1. Mme Françoise
Hetto-Gaasch, rapporteure de la commission sur l’égalité et la non-discrimination,
a rédigé un exposé des motifs remarquablement complet qui s’attaque
à la question de la coresponsabilité parentale sous l’angle de l’égalité
femme/homme, mais qui tient également compte des droits de l’enfant.
Je partage pleinement sa conclusion selon laquelle, en règle générale
– dans une cellule familiale intacte ou plus encore à la suite d’une
séparation – la coresponsabilité parentale est bénéfique pour toutes
les parties (la mère, le père et l’enfant), et ce d’autant plus
lorsqu’elle résulte d’un accord amiable (par exemple, obtenu par voie
de médiation), plutôt que de l’ordonnance d’un tribunal.
2. En tant que rapporteur pour avis de la commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable, dont le mandat
consiste à protéger les droits de l’enfant, il est de mon devoir
d’insister sur la dimension des droits de l’enfant. Trop souvent,
les couples en voie de séparation mettent le droit de garde et de
visite sur le même plan que leurs biens matériels: s’ils n’arrivent
pas à s’entendre sur qui gardera la maison, la voiture ou le canapé,
il se tournent vers les tribunaux pour faire valoir leurs droits
de propriété – et comptent sur la justice pour en faire de même
lorsqu’il s’agit de se partager la responsabilité parentale ou la
garde et/ou le domicile de l’enfant. De trop nombreux tribunaux,
ancrés dans des traditions juridiques et sociétales où les droits
de l’enfant sont un concept encore relativement nouveau, cèdent
à la tentation d’essayer de répondre aux revendications concurrentes
des parents – en perdant de vue les droits de l’enfant concerné.
Même lorsqu’un d’accord amiable est trouvé, par exemple grâce à
la médiation, on s’attache trop souvent à ce que les parents jouissent
des mêmes droits vis-à-vis de leurs enfants, et pas assez aux droits
de ces derniers.
3. Il importe de préciser ici que le droit international ne reconnaît
pas aux parents le droit exprès à la coresponsabilité (ou autre
responsabilité) parentale d’un enfant (et encore moins à la résidence
alternée) – mais que tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement
des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux
parents.
4. Sur le plan sociétal, la politique des Etats membres s’attache
à inciter les parents, et en particulier les pères, à prendre une
part active à la garde de leurs enfants et à endosser davantage
de responsabilités. Le rôle du père dans l’éducation n’a été que
marginalement développé au sein de la société et les conséquences s’en
font malheureusement sentir en cas de séparation ou de divorce.
5. Il faut que les Etats membres s’engagent politiquement à faire
en sorte que les citoyens prennent conscience que si les relations
de couple et les mariages ont une fin, il n’en va pas de même pour
la parentalité. Les mères et les pères restent toute leur vie des
parents, même une fois le sentiment amoureux éteint. C’est là que
la société doit comprendre que les lois visent uniquement l’intérêt
de l’enfant et qu’il est hors de question qu’elles soient détournées
pour s’appliquer aux problèmes relationnels.
6. Bien qu’ils n’aient été que brièvement mentionnés dans l’exposé
des motifs de Mme Hetto-Gaasch, je souhaiterais
rappeler quels sont dans ce contexte les trois principaux droits
des enfants, garantis par la Convention des Nations Unies relative
aux droits de l'enfant (CNUDE) depuis plus de 25 ans, à savoir:
a. le droit de l'enfant à ne pas être
séparé de ses parents et d'entretenir régulièrement des relations personnelles
et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est
contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant (article 9) ;
b. le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question
l’intéressant, ses opinions étant dûment prises en considération
eu égard à son âge et à son degré de maturité (article 12);
c. l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération
primordiale (article 3), tel qu’interprété dans l’Observation générale
no 14 (2013) relative à l’intérêt supérieur
de l’enfant en tant que considération primordiale .
7. De fait, l’Observation générale no 14
(2013) explique quelle est la position du Comité des droits de l’enfant
des Nations Unies concernant la coresponsabilité parentale:
«67. Le Comité estime que le partage
des responsabilités parentales est, en général, dans l’intérêt supérieur
de l’enfant. Dans les décisions portant sur les responsabilités
parentales, le seul critère à prendre en compte doit cependant être
l’intérêt supérieur de l’enfant concerné. Il serait contraire à
cet intérêt que la loi attribue automatiquement ces responsabilités
aux deux parents ou à l’un d’eux. Pour évaluer l’intérêt supérieur
de l’enfant, le juge doit tenir compte du droit de l’enfant de préserver
sa relation avec ses deux parents, ainsi que des autres éléments
pertinents en l’espèce.»
8. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a également
clairement précisé les éléments à prendre en considération en déterminant
quel est l’intérêt supérieur de l’enfant: il s’agit avant toute
chose des opinions de l’enfant. Les recommandations visant uniquement
à garantir aux parents les mêmes droits vis-à-vis de leurs enfants,
ou accordant automatiquement la coresponsabilité parentale (ou la
garde ou la résidence alternée) aux deux parents ne respectent donc
pas le droit de l’enfant à ce que ses opinions soient dûment prises
en compte, ceci dans son intérêt supérieur qui est une considération
primordiale.
9. Il va sans dire qu’il n’est pas dans l’intérêt supérieur d’un
enfant d’être en butte à la violence ou aux mauvais traitements:
voici donc qui devrait naturellement être la considération première
en attribuant (ou plutôt, en n’attribuant pas), notamment le droit
de garde à un parent maltraitant ou négligent. Malheureusement,
les données disponibles suggèrent que ce type de situations n’est
pas aussi exceptionnel qu’on voudrait l’espérer
et
que les allégations de violence – en particulier lorsque c’est l’enfant
lui-même qui les formule – doivent être prises au sérieux et donner
lieu à une enquête en bonne et due forme.
10. La rapporteure de la commission sur l’égalité et la non-discrimination
a consacré plusieurs pages de son exposé des motifs à la “résidence
alternée”, qui veut qu’après la séparation, chaque parent passe
de 35 % à 65 % du temps avec l’enfant. Ce modèle est à la base de
la recommandation contenue dans le projet de résolution, laquelle
prône l’introduction du principe de la résidence alternée pour les
enfants de couples séparés, en limitant les exceptions aux cas de
mauvais traitements et de violences et en adaptant la durée réelle
du séjour chez chacun des parents aux besoins et intérêts de l’enfant
concerné.
11. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies n’a pas
(encore) émis de lignes directrices sur le mode de résidence alternée
mais, en cas de responsabilités parentales partagées, j’espère que
l’accent sera mis sur les droits de l’enfant et plus particulièrement,
dans ce contexte précis, sur son droit d’être entendu et de voir
son opinion dûment prise en considération et son intérêt supérieur
considéré comme primordial.
12. En premier lieu, il est malheureusement rare qu’on demande
son opinion à un enfant
(c’est
toutefois la norme en Croatie)
, en particulier si
l’arrangement parental n’a pas été déterminé par une procédure judiciaire (au
Royaume-Uni, par exemple, la priorité est donnée au principe de
non-ingérence
et
c’est uniquement en cas de désaccord des parents que l’affaire est
portée devant le tribunal). Il semblerait aussi que l’avis des enfants
soit rarement sollicité lors des médiations, ce qui a suscité des
appels à y associer davantage les enfants
. C’est pourquoi je ne soulignerai
jamais assez l’importance du paragraphe 5.6 du projet de résolution, qui
stipule qu’il convient que «le droit des enfants d’être entendus
dans toutes les affaires les concernant, ou à tout le moins de l'être
dès lors qu'ils sont censés être capables de discernement pour ce
qui est des affaires en question» soit respecté, non seulement par
les tribunaux, médiateurs et autres professionnels concernés, mais
également par les parents eux-mêmes. Je souhaiterais également ajouter
qu’il faut donner à l’avis des enfants l’importance qu’il mérite:
il ne suffit pas de les écouter, et puis de ne rien faire. Bien
entendu, les enfants peuvent avoir envie de choses qui ne sont pas
forcément dans leur intérêt supérieur et leurs opinions également
évoluer au fur et à mesure qu’ils mûrissent. Mais je maintiens très
fermement qu’il est important de tenir compte de l’avis d’un enfant,
surtout si le mode de résidence appliqué dans son cas particulier
le rend malheureux
.
13. En second lieu, les avis divergent quant à savoir quelles
conditions de résidence sont véritablement dans l’intérêt supérieur
de l’enfant, mais nul ne contredira la baronne Hale of Richmond,
selon laquelle:
«Lorsqu’un juge
aux affaires familiales décide avec qui les enfants de parents séparés
devront vivre, le bien-être de ces enfants doit être sa considération
première (…) Ceci signifie qu’il lui faut choisir parmi les solutions
envisageables le meilleur avenir pour ces enfants, et non l’avenir
qui conviendra le mieux aux adultes .»
14. A vrai dire, le fait que le mode de résidence alternée soit
dans l’intérêt supérieur de l’enfant ne fait pas encore consensus
– les opinions divergent sensiblement entre les chercheurs, les
militants (tels les groupes de défense des droits des pères
) et les professionnels (notamment
parmi les avocats). Dans l’ensemble, nos connaissances restent largement
lacunaires (en particulier concernant le mode d’alternance paritaire
– 50 % du temps chez l’un, 50 % chez l’autre)
.
Ceci permet aux chercheurs de parvenir à différentes conclusions
qui sont alors invoquées, et cela est bien naturel, pour appuyer
des arguments pour ou contre le mode de résidence alternée.
15. Les arguments les plus convaincants en faveur du mode de résidence
alternée, également cités par Mme Hetto-Gaasch,
sont selon moi que les preuves dont nous disposons suggèrent que
les enfants élevés dans ce genre de système réussissent en général
aussi bien voire un peu mieux
que ceux d’autres
couples divorcés
–
résultat qui est évidemment dans l’intérêt supérieur de l’enfant
et qui paraît dû en grande partie aux meilleures relations que les
enfants entretiennent avec leur père
.
16. Il ne faut pas non plus sous-estimer les risques que comporterait
un mode de résidence alternée érigé en norme; en effet, selon les
termes de la
British Law Society,
«[u]ne telle présomption risque de subordonner l’intérêt supérieur
de l’enfant aux attentes des parents en matière d’égalité de droits»
,
ou de la Commission pour les enfants dans les familles (
Children in Families Committee) du
Conseil de justice aux affaires familiales (
Family
Justice Council), «[l]es demandes de résidence alternée
se font souvent dans l’intérêt des parents; leurs sentiments; la
lutte de pouvoirs au sein de leur relation; leurs tentatives d’exercer
un contrôle sur l’autre après la séparation (…)»
.
Faire la part des choses entre les motivations financières ou affectives
est aussi parfois difficile.
La solution permettant de réduire ces
risques est, selon moi, de privilégier les droits des enfants, en
décidant au cas par cas, en associant les enfants aux décisions
prises et en plaçant leur intérêt supérieur au-dessus de toute autre
considération. C’est aussi pour cette raison que je propose deux amendements
au projet de résolution: l’un au paragraphe 5.5, pour clarifier
que tout cas d’abus ou de négligence d’enfant ou de violence domestique
devrait être pris en compte en attribuant la résidence, non seulement
la violence sexuelle ou basée sur le genre, et l’autre au paragraphe
5.9, afin de continuer à promouvoir la médiation dans l’intérêt
supérieur de l’enfant.
17. Enfin, je souhaiterais évoquer le mode de résidence alternée
paritaire (50 % du temps avec l’un, 50 % avec l’autre) qui, c’est
regrettable, est très rarement pratiqué (sans doute parce qu’il
suppose des ressources suffisantes pour assumer trois lieux de résidence
distincts): l’enfant continue de vivre dans la maison familiale, et
ce sont les parents qui la partagent en alternance avec l’enfant.
J’estime que cette solution est probablement la plus adaptée pour
protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, étant donné qu’elle combine
tous les avantages de la résidence alternée paritaire, sans l’inconvénient
que l’enfant perde sa maison et soit obligé de faire des allers-retours
entre les domiciles de ses parents. C’est aussi la solution qui
présuppose que les parents font réellement passer l’intérêt de leurs
enfants avant tout le reste.
18. Permettez-moi de conclure: en qualité de rapporteur pour avis
de la commission des questions sociales, de la santé et du développement
durable, avec pour mandat de protéger les droits de l’enfant, je
sens qu’il me faut mettre l’accent sur la dimension des droits de
l’enfant plutôt que sur la perspective de l’égalité entre femmes
et hommes. Je soutiens sans réserve la conclusion de la commission
sur l’égalité et la non-discrimination, selon laquelle la coresponsabilité
parentale profite en règle générale à l’ensemble des parties (la
mère, le père et l’enfant) et félicite Mme Hetto-Gaasch
pour son rapport exhaustif qui tient compte des droits des enfants.
Je souhaite souligner qu’il est important de reconnaître que le
droit d’un parent à la coresponsabilité parentale, la garde conjointe
ou la résidence alternée d’un enfant ne peut jamais prendre le pas
sur les droits de l’enfant. Aussi ne suffit-il pas que les parents
eux-mêmes, ou les tribunaux compétents, déterminent la manière dont
doivent se partager la responsabilité, la garde ou la résidence:
l’opinion de l’enfant concerné doit être prise en compte et son
intérêt supérieur primer sur toute autre considération.