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Résolution 2072 (2015)

Après Dublin: le besoin urgent d'un véritable système européen d'asile

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 29 septembre 2015 (31e séance) (voir Doc. 13866, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteur: M. Michele Nicoletti; et Doc. 13884, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Boriss Cilevičs). Texte adopté par l’Assemblée le 29 septembre 2015 (31e séance).

1. En leur qualité de Parties à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, tous les Etats membres du Conseil de l’Europe ont l’obligation de protéger les réfugiés. Pour déterminer qui doit bénéficier de cette protection et éviter ainsi toute violation de cette obligation, il est nécessaire d’examiner individuellement les demandes d’asile.
2. Le règlement de Dublin est un instrument juridique de l’Union européenne qui établit un système pour identifier définitivement le pays participant auquel il revient d’examiner une demande donnée. Avec d’autres instruments et dispositifs, il fait partie du régime d’asile européen commun (RAEC) de l’Union européenne. Son but premier est de répondre aux problèmes des demandes d’asile multiples dans différents pays («asylum shopping») et des «réfugiés en orbite». Il est crucial de résoudre ces problèmes pour que le RAEC fonctionne comme il le devrait.
3. Cependant, depuis l’adoption de la version initiale de la Convention de Dublin, en 1990, l’échelle, la nature et le point de convergence des migrations massives vers l’Union européenne ont considérablement changé, avec des conséquences particulièrement dramatiques ces dernières années, et notamment au cours des dernières semaines. De plus, la répartition des demandeurs d’asile entre les pays participants est extrêmement inégale, dans de nombreux cas simplement en raison de leur situation géographique. Ainsi, en 2014, cinq pays participants ont traité 72% de l’ensemble des demandes.
4. Le système de Dublin n’a pas pour vocation ni ne peut servir de mécanisme de «répartition de la charge» afin de contrebalancer cette iniquité. Au contraire, l’iniquité est aggravée par les transferts de demandeurs d’asile effectués selon le critère du «franchissement irrégulier de la frontière» en application du règlement de Dublin. Il s’agit là du critère le plus fréquemment invoqué et en vertu duquel les demandeurs d’asile sont transférés dans le pays de première entrée sur le territoire de l’Union européenne. Le système de Dublin est ainsi devenu un symbole d’injustice et de manque de solidarité de la politique européenne d’asile, et en particulier du RAEC, qui est dépourvu de tout mécanisme efficace compensatoire pour redistribuer la charge.
5. Les dysfonctionnements inhérents au système de Dublin ont des effets préjudiciables qui dépassent les frontières de l’Union européenne. L’élément essentiel du système, qui prévoit le transfert des réfugiés dans le premier pays d’entrée dans l’Union européenne, est source d’une injustice supplémentaire souvent occultée: parfois, le premier pays d’entrée dans l’Union européenne a tendance à rejeter artificiellement les demandes d’asile, afin de pouvoir renvoyer les demandeurs d’asile dans le dernier pays de transit où ils se trouvaient avant leur entrée dans l’Union européenne. Cela fait peser, sur les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas membres de l’Union et qui sont principalement situés sur les principaux axes de transit, une charge supplémentaire injuste.
6. De plus, la mise en œuvre du système de Dublin a entraîné dans un certain nombre de cas des violations des droits de l’homme des demandeurs d’asile, comme le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, le droit de ne pas être détenu arbitrairement, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit à un recours effectif et l’interdiction des expulsions collectives. Certaines de ces violations ont été constatées par des décisions de justice rendues à l’échelon national ou européen. Le système de Dublin peut aussi plonger les demandeurs d’asile dans une longue période d’incertitude et de précarité avant que l’Etat auquel il revient d’examiner leur demande soit identifié; cette situation peut encore se prolonger lorsque l’intéressé est transféré dans un pays où les procédures d’asile sont très longues.
7. Nombre de ces problèmes sont causés par des déficiences dans l’application d’autres éléments du RAEC, en particulier le règlement Eurodac relatif au prélèvement des empreintes digitales des demandeurs d’asile (Règlement (UE) no 603/2013), la directive sur les conditions d’accueil (Directive 2013/33/UE) et la directive sur les procédures d’asile (Directive 2013/32/UE) qui peuvent faire obstacle à la bonne application du système de Dublin. En effet, le fait que le transfert des demandeurs d’asile vers un pays donné constitue une charge est une incitation perverse à ne pas respecter strictement ces autres instruments. Dans le cas des directives relatives aux conditions d’accueil et aux procédures d’asile, cela se fait largement au détriment de la protection accordée aux demandeurs d’asile.
8. L’Assemblée parlementaire a déjà fait part de ses critiques au sujet du fonctionnement du système de Dublin, notamment dans sa Résolution 2000 (2014) sur l’arrivée massive de flux migratoires mixtes sur les côtes italiennes, sa Résolution 1918 (2013) «Migrations et asile: montée des tensions en Méditerranée orientale», et sa Résolution 1820 (2011) «Demandeurs d’asile et réfugiés: pour un partage des responsabilités en Europe», et conclut que le système de Dublin ne fonctionne pas comme il faut. Il n’est pas efficace et certainement pas efficient dans la réalisation de ses buts premiers; son fonctionnement concret génère un coût humain élevé et inacceptable pour les demandeurs d’asile, et des coûts pour les Etats participants du fait des ressources qu’ils doivent mobiliser pour se conformer à ses procédures longues et compliquées, alors qu’il ne fait qu’aggraver la répartition inéquitable des responsabilités. De plus, il est difficile de voir comment le système de Dublin pourrait fonctionner comme il est censé le faire puisqu’il repose sur la présomption toujours non confirmée que tous les pays participants sont capables d’assurer la protection des demandeurs d’asile et de traiter correctement le nombre de demandes qu’ils reçoivent. En fait, des événements récents en Allemagne, en Autriche, en Hongrie et ailleurs montrent que le système de Dublin s’est déjà effondré et doit être réformé de toute urgence.
9. Le système de Dublin, qui comprend le règlement lui-même et son application concrète, doit donc être réformé d’urgence, tout comme d’ailleurs le RAEC dans son ensemble. Sans une réforme de grande envergure, il y a un risque que les pays participants suspendent l’application du système de Dublin ou s’en retirent, ce qui sèmerait le chaos et la confusion. L’Assemblée se félicite que la Commission européenne ait décidé de procéder à une évaluation du système de Dublin en 2016 et prend note des conclusions du Conseil européen du 26 juin 2015. Néanmoins, de nombreuses mesures nécessaires peuvent et doivent être prises dès à présent, tandis que se profile déjà la nécessité d’autres mesures, plus ambitieuses. Si une réforme du système de Dublin ne peut répondre à toutes les questions soulevées par les flux migratoires mixtes à destination et aux alentours de l’Europe que nous connaissons aujourd’hui, l’incapacité à le réformer anéantira tous les autres efforts entrepris pour traiter le problème et mettra en danger l’ensemble du RAEC. C’est la solidarité politique de l’Europe qui est en jeu.
10. En conséquence, s’agissant de la mise en œuvre du système de Dublin et des instruments qui y sont associés, l’Assemblée recommande à l’Union européenne et à ses Etats membres:
10.1. d’inclure un système contraignant permanent de répartition des demandeurs d’asile entre les Etats membres, qui utilise une clé de répartition obligatoire équitable, tout en prenant en compte les perspectives d’intégration, et les besoins et circonstances spécifiques des demandeurs d’asile eux-mêmes;
10.2. d’appliquer strictement les critères de responsabilité liés à la famille et les dispositions relatives à l’intérêt supérieur de l’enfant, notamment celles concernant les mineurs non accompagnés, afin de faciliter le regroupement familial au-delà de la famille nucléaire;
10.3. d’appliquer de manière équitable, bienveillante et souple la clause humanitaire, et celle relative aux personnes dépendantes, en prenant davantage en compte les préférences des demandeurs d’asile;
10.4. d’appliquer avec rigueur les clauses discrétionnaires lorsqu’un transfert serait incompatible avec des obligations découlant du droit international;
10.5. d’éviter le recours automatique au critère de «franchissement irrégulier de la frontière» pour renvoyer les demandeurs d’asile dans le pays de première entrée;
10.6. d’utiliser de manière extrêmement proactive le mécanisme d’alerte rapide, de préparation et de gestion de crise pour anticiper la mise sous pression critique exercée sur le régime d’asile des pays participants ou les problèmes pouvant affecter ce système;
10.7. d’assurer l’harmonisation des procédures et des normes nationales en matière d’asile par la mise en œuvre complète, effective et cohérente de la directive relative aux procédures d’asile, de la directive relative aux conditions d’accueil et de la directive relative aux conditions à remplir pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale (Directive 2011/95/UE);
10.8. de renforcer et d’utiliser davantage les ressources disponibles de mécanismes financiers tels que le Fonds « Asile, migration et intégration »;
10.9. de davantage partager l’expertise et l’assistance technique, notamment par le biais du Bureau européen d’appui en matière d’asile;
10.10. d’exécuter rapidement et pleinement les arrêts pertinents de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne.
11. S’agissant du contexte plus large dans lequel s’inscrit le système de Dublin et dont il dépend, l’Assemblée recommande:
11.1. que les procédures nationales d’octroi du statut de réfugié fassent l’objet d’une supervision plus stricte, en vue d’une reconnaissance mutuelle des décisions nationales d’octroi du statut; ou autrement, que soit mis en place un traitement «conjoint» des demandes d’asile, ce qui aurait l’avantage de contribuer au partage des charges;
11.2. que les réfugiés dont le statut est reconnu soit relocalisés par le biais de procédures automatiques appropriées, dans des proportions permettant d’assurer un partage équitable des charges entre les Etats participants;
11.3. que soit créé un statut de «réfugié européen» pour les bénéficiaires de la protection internationale, ce qui permettrait le transfert de résidence et de l’exercice d’autres droits entre les différents Etats; ou autrement, que soit ramenée à deux ans la période permettant aux bénéficiaires de la protection internationale d’être couverts par la directive relative aux résidents de longue durée (Directive 2003/109/CE).
12. L’Assemblée appelle l’Union européenne et ses Etats membres à réviser d’urgence le règlement de Dublin. A cette fin, elle recommande, notamment:
12.1. que la proposition législative de la Commission européenne visant à lever l’ambiguïté de la disposition régissant la responsabilité du traitement des demandes d’asile déposées par des mineurs non accompagnés soit adoptée rapidement;
12.2. qu’il soit envisagé de retirer le critère de «franchissement irrégulier de la frontière» pour déterminer quel Etat est responsable d’une demande d’asile;
12.3. qu’il soit envisagé de mettre en place la notion de «demandes manifestement fondées», afin d’accélérer la procédure d’asile;
12.4. prenant en compte les recommandations précédentes, qu’une évaluation immédiate du système de Dublin, couvrant les Etats membres de l’Union européenne et les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas membres de l’Union et sont situés sur les axes de transit, soit effectuée, et que cette évaluation considère de manière globale l’ensemble des effets et le contexte plus large dans lequel s’inscrit le système de Dublin.