1. Introduction
1. La Convention du Conseil de
l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul») est entrée en vigueur le 1er août 2014
et a été ratifiée par 18 Etats Parties
. Les membres de l’Assemblée parlementaire
et les parlementaires nationaux ont joué un rôle important tout
au long du processus qui a conduit à ce résultat et continueront
d’agir en ce sens
.
2. En détaillant des exemples de législation et de pratiques
appliqués dans les Etats membres du Conseil de l’Europe en matière
de violence à l’égard des femmes, le présent rapport vise à renforcer
l’expertise de ces parlementaires en tant que législateurs. Il a
aussi pour objectif de compléter les futurs travaux du GREVIO, l’organe
de suivi de la convention, et les activités relatives au suivi parlementaire.
3. Dans le présent rapport, je traiterai des quatre grands domaines
de la convention, les «4 P», à savoir la prévention, la protection
des victimes, la poursuite des auteurs et les politiques intégrées,
au moyen d’un catalogue de bonnes pratiques qui ont été mises en
œuvre dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Cette liste
n’est pas exhaustive et doit servir principalement d’incitation
à de futures actions.
4. Pour identifier ces exemples de bonnes pratiques, j’ai bénéficié
du soutien de Women Against Violence Europe (WAVE), un réseau formel
d’organisations non gouvernementales (ONG) européennes de femmes
qui publie tous les ans des rapports par pays sur des thèmes liés
à la violence à l’égard des femmes. Je tiens à les remercier pour
leur aide précieuse.
5. Le cas échéant, j’ai également fait référence à l’étude publiée
par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA)
en mars 2014
. Bien
qu’elle ne traite que partiellement de la zone géographique couverte
par le Conseil de l’Europe, elle fournit des données intéressantes
dans divers domaines ayant trait à la violence à l’égard des femmes.
Ma collègue, Maria Edera Spadoni (Italie, NI), prépare un rapport
plus détaillé sur la question de la collecte de données
.
2. Exemples de législation et de pratiques
en matière de violence à l’égard des femmes en Europe
2.1. Prévention
2.1.1. Obligations
générales (article 12)
6. L’article 12 de la Convention
d’Istanbul impose aux Etats d’adopter au plan national un vaste
éventail de mesures destinées à prévenir toutes les formes de violence
à l’égard des femmes. Ces mesures visent à faire évoluer les mentalités,
le rôle des hommes et des femmes et les stéréotypes qui augmentent
la tolérance envers la violence à l’égard des femmes. Ils devraient,
par exemple, encourager les hommes et les garçons à contribuer activement
à la prévention de toutes les formes de violence.
7. En 2002, le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP),
le ministère turc de la Santé et les forces armées turques ont décidé
de créer un module spécifique destiné aux soldats turcs sur l’égalité
entre les femmes et les hommes et sur la prévention de la violence
à l’égard des femmes fondée sur le genre
. En 2009, trois millions d’hommes
avaient suivi cette formation, et le projet avait été pérennisé
par un décret de l’armée turque. Bien que de nombreux soldats aient
déclaré que la formation les avait profondément touchés, le programme
s’est heurté à la résistance de certains autres et a eu des difficultés
à obtenir l’adhésion de responsables militaires à tous les niveaux
.
2.1.2. Campagnes
de sensibilisation (article 13)
8. Selon le rapport de la FRA,
la plupart des cas de violence à l’égard des femmes ne sont signalés
ni à la police ni à une quelconque organisation de soutien aux victimes.
La moitié des femmes interrogées durant l’enquête ont déclaré qu’il
n’existait pas de législation spécifique relative à la violence
domestique dans leur pays de résidence ou qu’elles en ignoraient
l’éventuelle existence. En moyenne, dans l’Union européenne, près
d’une femme sur cinq (19 %) ne connaît aucun des services d’aide
aux victimes de la violence à l’égard des femmes existant dans son
pays. Cependant, une femme sur deux dans l’Union européenne déclare
avoir récemment vu ou entendu des campagnes traitant de la violence
à l’égard des femmes
. Cela m’amène à la conclusion que la
plupart des femmes victimes de violence ne sont pas au courant de
leurs droits et de l’existence des services de soutien à la disposition
des victimes. Les campagnes de sensibilisation sont par conséquent
un moyen essentiel pour les atteindre.
9. En 2011 et 2012, une campagne innovante sur la violence psychologique
a été menée en Belgique
. Deux courts métrages diffusés à
la télévision nationale décrivaient le déclin d’une relation et
la violence sournoise qui y était associée. La campagne a eu un
énorme impact sur la société belge en ce qu’elle montrait, à juste
titre, que la violence ne se limitait pas à la dimension physique,
si souvent dépeinte, mais qu’elle pouvait aussi prendre beaucoup
d’autres formes, notamment psychologiques. Cette campagne a aussi
été l’occasion de faire connaître au public la ligne d’appel d’urgence
gratuite et anonyme réservée aux victimes de violence domestique.
10. Le centre d’aide d’urgence aux victimes de viol de Sarrebruck
(Allemagne), ainsi que l’association de planning familial, ont trouvé
une manière intéressante de diffuser largement et simplement leur
numéro d’aide téléphonique. Ces coordonnées ont été imprimées sur
les sachets utilisés par les boulangeries allemandes pour vendre
du pain et des pâtisseries. Cette campagne de sensibilisation a
permis de diffuser l’information parmi les clients des boulangeries,
a attiré l’attention des médias et a depuis été reproduite dans
l’ensemble du pays et au-delà
.
11. Les campagnes de sensibilisation devraient être conçues en
étroite collaboration avec les institutions nationales des droits
de l’homme et les organes œuvrant pour l’égalité, la société civile
et les ONG, notamment les organisations de femmes, et doivent s’appuyer
sur des données précises afin que leurs messages ciblent bien le
public concerné
.
2.1.3. Education
(article 14)
12. L’éducation joue un rôle fondamental
dans la formation des attitudes et des comportements futurs et en fin
de compte dans la modification de la perception sociale de la violence
à l’égard des femmes. La Convention d’Istanbul préconise d’inclure
dans l’éducation formelle et informelle des ressources pédagogiques
sur des sujets tels que la violence à l’égard des femmes fondée
sur le genre, l’égalité entre les femmes et les hommes, les rôles
non stéréotypés des genres, le respect mutuel et la résolution non
violente des conflits dans les relations interpersonnelles, ainsi
que le droit à l’intégrité personnelle.
13. Pour illustrer mon propos, je voudrais mentionner une initiative
particulière, «Voix contre la violence», lancée par l’Association
mondiale des guides et des éclaireuses (AMGE) et par ONU-Femmes
. Grâce à des activités personnalisées
en fonction de l’âge, comprenant des récits, des jeux, des concours
d’affiches, des campagnes et du volontariat, ce programme mixte
est un outil qui permet aux jeunes de comprendre les causes profondes
de la violence au sein de leurs communautés, mais aussi d’éduquer
et d’impliquer leurs pairs et la communauté pour prévenir cette
violence. Cette campagne traite de formes spécifiques de violence
à l’égard des femmes et des filles.
2.1.4. Formation
des professionnels (article 15)
14. La Convention d’Istanbul prône
la formation des professionnels concernés aux nombreuses causes, manifestations
et conséquences de toutes les formes de violence. La formation ne
permet pas seulement de sensibiliser les professionnels, elle contribue
également au changement de perspective et de comportement de ces
professionnels face aux victimes. En outre, elle améliore de manière
significative la nature et la qualité du soutien apporté à ces dernières
.
15. De 2010 à 2013, la Serbie a mis au point une série de protocoles
pour combattre la violence à l’égard des femmes
.
Au titre de ces protocoles, toutes les agences participantes étaient
tenues de former leur personnel dans le domaine de la violence à
l’égard des femmes et la violence domestique. Dans 11 villes, 550 prestataires
de service public, y compris des juges, des procureurs, des travailleurs
sociaux, des policiers, des membres du personnel de santé, des professeurs
et des éducateurs ont été formés à la manière d’assurer des services
intégrés à l’échelon local. Par ailleurs, la police et l’Ecole de
la magistrature, ainsi que le service des ressources humaines de
la fonction publique, ont mis en place des modules spécialisés dans
leurs programmes de formation ordinaires. Ainsi, 361 policiers,
292 juges et procureurs et 150 fonctionnaires de l’Etat ont été
formés à l’égalité entre les femmes et les hommes et à la façon
de traiter les victimes de violence sexiste sans les exposer à une
victimisation secondaire
.
16. La formation de base des procureurs suédois comprend un module
consacré à la violence domestique et aux maltraitances sexuelle
et psychologique. Certains procureurs en chef se sont même spécialisés
dans la violence domestique. Leur nombre augmente progressivement
au fil des ans et, en avril 2010, ils n’étaient pas moins de 31
en activité au sein des 32 bureaux locaux du ministère public suédois.
17. L’académie de police turque
a récemment mis au point
une série de programmes de formation interne sur l’égalité entre
les femmes et les hommes et sur la prévention de la violence à l’égard
des femmes. Lors de la première session, organisée en mai 2015,
les services de police principalement chargés des affaires de violence
à l’égard des femmes ont été formés en particulier aux questions
concernant les normes applicables et les obligations des Etats au
titre de la Convention d’Istanbul.
18. Au total, 45 Etats membres du Conseil de l’Europe ont déclaré
avoir mis en place des formations régulières à un certain niveau,
destinées aux professionnels
.
Cependant, il n’existe pas d’informations détaillées sur la qualité
et l’efficacité de ces sessions et une «formation spécifique appropriée»
peut recouvrir une foule de possibilités, allant des simples séances
d’apprentissage de dispositions juridiques et d’informations succinctes
à des sessions plus longues, obligatoires ou optionnelles. Il serait
par conséquent nécessaire de recueillir des données sur ces formations
et de procéder à des évaluations comparatives de leurs contenus,
de leur qualité et de leurs effets.
2.1.5. Programmes
préventifs d’intervention et de traitement (article 16)
19. La Convention d’Istanbul impose
aux Etats d’établir ou de soutenir des programmes de traitement
visant à apprendre aux auteurs de violence domestique et aux délinquants
sexuels à adopter un comportement non violent, à assumer la responsabilité
de leurs actes et à réfléchir à leur attitude envers les femmes.
20. Au Luxembourg, la loi sur la violence domestique, modifiée
en juillet 2013, fait obligation aux auteurs sous ordonnance d’interdiction
de comparaître dans un délai d’une semaine devant un service spécialisé chargé
des auteurs de violence. A défaut, l’auteur sera convoqué et fera
l’objet d’un rapport au bureau du procureur. Il doit collaborer
avec la police, les autorités judiciaires et de l’Etat et travailler
en étroite coopération avec le service d’assistance aux victimes
de violence domestique. Cette initiative vise à encourager les auteurs à
assumer la responsabilité de leurs actes et à prévenir la récidive.
21. En France, l’article 15 de la loi pour l’égalité entre les
femmes et les hommes, adoptée le 23 juillet 2014, prévoit l’insertion
dans le Code pénal de l’alinéa «la réalisation, à leurs frais, d’un
stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre
les violences au sein du couple et sexistes» dans les articles relatifs
aux obligations pouvant être imposées par le juge au titre d’une
condamnation pénale. Cet ajout est une conséquence directe de la
ratification de la Convention d’Istanbul par la France
.
22. Au Royaume-Uni, le programme de traitement de base des délinquants
sexuels, lancé en 1991, est le principal programme proposé à titre
volontaire aux auteurs de violence à caractère sexuel à risque moyen
et élevé dans les prisons britanniques. Il aide les auteurs à comprendre
comment et pourquoi ils ont commis des infractions sexuelles et
les sensibilise au préjudice qu’ils ont causé aux victimes. Sur
une période de deux ans, les auteurs traités ont présenté des taux
de récidive sexuelle et/ou violente inférieurs à ceux des délinquants non
traités. L’impact le plus fort s’est produit sur les délinquants
à risque moyen. Les participants ont indiqué qu’ils comprenaient
mieux la portée de leurs agressions ainsi que les effets de celles-ci
sur les victimes, et qu’ils avaient acquis des stratégies d’adaptation
pour l’avenir. Toutefois, ce programme Core SOTP ne semble pas être
un traitement suffisant pour les délinquants à risque élevé
.
2.1.6. Participation
du secteur privé et des médias (article 17)
23. Tout en respectant leur liberté
d’expression et leur indépendance, le secteur privé et les médias
doivent être encouragés à participer à l’élaboration et à la mise
en œuvre des politiques, ainsi qu’à mettre en place des lignes directrices
pour prévenir la violence à l’égard des femmes et renforcer le respect
de leur dignité. A ce jour, 16 Etats membres du Conseil de l’Europe
se sont dotés d’un code ou ont élaboré un ensemble de lignes directrices
pour les médias
.
24. En janvier 2013, le ministre du Travail et des Politiques
sociales d’Italie et le président de l’Institut d’autodiscipline
publicitaire (Istituto di Autodisciplina Pubblicitaria – IAP) ont
convenu de renforcer leur coopération dans le contrôle et la suppression
des publicités choquantes et indécentes. Le Département de l’égalité
des chances de la présidence italienne du Conseil des ministres
est désormais habilité à demander le retrait des publicités montrant
des images dégradantes des femmes, contenant des images d’actes
de violence perpétrés contre des femmes ou incitant à la violence
à leur égard. Il en ira de même en cas de signalement provenant
d’autres entités. Entre février 2013 et juillet 2014, le Département
de l’égalité des chances a signalé 14 publicités choquantes à l’IAP,
dont sept ont été retirées. Au cours de la même période, la diffusion
de 19 publicités offensantes a été stoppée par l’IAP
. On pourrait souhaiter que la procédure
soit accélérée entre le moment du signalement et la décision de
retrait, car pendant les quinze jours qui s’écoulent, la publicité
et son message sont encore largement diffusés.
25. En partenariat avec le Centre de formation professionnelle
des journalistes (CENJOR), la Commission sur la citoyenneté et l’égalité
des genres (CIG), le mécanisme national portugais pour l’égalité
entre les femmes et les hommes, promeut un module de formation de
12 heures intitulé «Genre et information» à l’intention des journalistes
bénéficiant d’un titre professionnel, comprenant des formations
sur la violence fondée sur le genre comme expression d’asymétrie
de pouvoir entre les hommes et les femmes, la violence à l’égard
des femmes (le cas des mutilations génitales féminines), la violence
domestique comme exemple de violence fondée sur le genre et la couverture
médiatique de l’homicide dans le cadre des relations intimes. Le formateur
responsable de la question de la violence fondée sur le genre est
coordinateur de l’Observatoire des femmes assassinées, structure
créée en 2004 par l’UMAR, une ONG sur l’égalité entre les femmes
et les hommes. L’observatoire analyse l’ensemble des travaux journalistiques
et articles de presse consacrés aux affaires d’homicide dans le
cadre des relations intimes
.
26. En Ecosse (Royaume-Uni), la campagne «Tolérance Zéro» a produit
un manuel destiné aux professionnels des médias et intitulé «Handle
with Care: A guide to responsible media reporting of violence against
women»
. Ce guide fournit des recommandations
sur les normes de signalement en la matière, des exemples de bonnes
pratiques et des conseils sur la manière de communiquer avec les
victimes de violence.
2.2. Protection
des victimes
27. Les mesures de protection et
de soutien des femmes victimes de violence doivent entre autres s’appuyer
sur une compréhension fondée sur le genre de la violence à l’égard
des femmes et de la violence domestique, éviter une victimisation
secondaire et viser à leur émancipation et indépendance économique.
2.2.1. Champ
d’application de la Convention d’Istanbul (articles 2, 4, 59, 60
et 61)
–
Définition de «victime»
28. Le terme «victime» désigne à la fois les victimes de violence
à l’égard des femmes et les victimes de violence domestique. La
convention encourage également les Etats Parties à étendre son champ
d’application aux hommes et aux enfants victimes de violence domestique.
Ils peuvent le faire de la manière qu’ils considèrent la plus appropriée,
en tenant notamment compte des spécificités du contexte national
et de l’évolution de leur société
.
29. L’Autriche a mis en place la première loi sur la protection
contre la violence domestique en 1997
. Cette loi s’applique
à toutes les victimes, quels que soient leur sexe, âge ou situation
familiale. Ne définissant pas la relation avec l’auteur des actes
de violence, la loi est applicable à toutes les victimes, les protégeant
contre toutes les formes de violence en tout lieu, public ou privé
(domicile, lieu de travail, école, crèche, pendant les vacances,
etc.).
– Droit de séjour des femmes
migrantes
30. La menace de l’expulsion ou de la perte du droit de séjour
est souvent utilisée par les auteurs de violence à l’égard des femmes
ou de violence domestique pour dissuader leurs victimes de chercher
de l’aide auprès des autorités ou de les quitter. Dans la majorité
des Etats membres du Conseil de l’Europe, les conjoints ou les partenaires
étrangers doivent rester mariés ou entretenir une relation durable
(souvent entre un et trois ans) pour pouvoir bénéficier d’un titre
de séjour autonome. De ce fait, de nombreuses victimes subissent
des violences pendant une longue période. La convention entend garantir
que les femmes migrantes victimes de violence qui dépendent de leur
conjoint ou de leur partenaire pour obtenir un droit de séjour,
se voient accorder, dans l’éventualité de la dissolution du mariage
ou de la relation, un titre de séjour autonome d’une durée de validité
limitée.
31. En août 2012, le Service irlandais de la naturalisation et
de l’immigration (INIS) a rendu publique une mesure qui prévoit
d’accorder un titre de résident indépendant aux femmes migrantes
victimes de violence domestique qui autrement dépendraient de leurs
conjoints violents pour renouveler leur titre de séjour. L’INIS a
également publié des lignes directrices
pour aider les victimes dont la relation
a pris fin à obtenir un titre de séjour indépendant. Les victimes
doivent apporter la preuve des violences domestiques en produisant,
par exemple, une ordonnance de protection, un rapport médical attestant
de lésions ou un rapport de police sur les incidents.
32. En Belgique, de nouvelles dispositions ont été introduites
en 2006 et en 2007 dans la loi sur l’immigration afin de permettre
aux migrantes victimes de violence domestique de ne pas perdre leur
droit de séjour lorsqu’elles quittent un partenaire violent. Pour
cela, elles doivent prouver qu’elles sont victimes d’actes de violence
domestique
.
33. Dans ce domaine, il est urgent de mener des recherches afin
de mieux appréhender la situation, de tirer les enseignements des
expériences et de doter les Etats Parties à la Convention de recommandations concrètes
sur la mise en œuvre de cet article important.
– Les femmes réfugiées
34. La convention fait aussi expressément référence à la protection
des femmes réfugiées contre la violence et établit plusieurs obligations
relatives aux demandes d’asile (article 60). Les Etats Parties doivent
prendre des mesures pour que la violence à l’égard des femmes fondée
sur le genre soit reconnue comme une forme de persécution au sens
de l’article 1.A(2) de la Convention relative au statut des réfugiés
de 1951. Elle demande également aux Etats d’appliquer une interprétation
sensible au genre à chacun des motifs de la convention, et d’adopter
des lignes directrices fondées sur le genre et des procédures d’asile
sensibles au genre, tout en respectant le principe du non-refoulement
(article 61).
35. En 2007, la Belgique a adopté une loi sur l’approche intégrée
de l’égalité entre les femmes et les hommes
qui impose aux autorités belges d’intégrer
la dimension de genre dans toutes les politiques fédérales, y compris
les procédures d’asile. Un ensemble d’instructions a été adopté
pour aider les agents de l’immigration qui examinent les demandes
d’asile liées au genre et une formation sur les questions liées
au genre a été organisée pour les interprètes. Une brochure spécifique
au genre intitulée «Femmes, jeunes filles et asile en Belgique:
informations pour les femmes et jeunes filles demandeuses d’asile»
a été traduite en sept langues et contient des informations sur
les droits et les devoirs liés à la procédure d’asile, comme le
droit de demander que l’entretien soit mené par une enquêtrice et
une interprète, le droit à un entretien individuel et l’accès à
un service de garde d’enfants pendant l’entretien. La brochure aborde
aussi des thématiques plus spécifiques aux femmes, comme la grossesse,
la contraception et d’autres questions liées à la santé et à leurs droits
en matière de sexualité et de procréation, les questions de santé
et de bien-être, les violences intrafamiliales, d’autres formes
de violence, l’exploitation et les mutilations génitales féminines
.
36. Concernant la crise des réfugiés et des migrants qui touche
actuellement l’Europe, je souhaiterais souligner que la violence
à l’égard des femmes durant leur voyage clandestin est très répandue
et devrait constituer une préoccupation majeure pour nous tous.
En effet, en plus des difficultés rencontrées par un migrant irrégulier
durant tout voyage clandestin – faim, soif, fatigue extrême, conditions
de voyage terribles avec des milliers de femmes et d’hommes se noyant
en mer Méditerranée – les femmes sont victimes de violence sexuelle,
enlevées par les passeurs et les trafiquants et violées dans les
centres de détention. Ces femmes ont des droits fondamentaux qui
doivent être respectés. Cela signifie que lors de leur arrivée,
elles devraient être logées dans des centres de réception en toute
sécurité. Elles devraient avoir accès à des procédures d’asile sensibles
au genre et des services de soutien, comme exigé dans la Convention
d’Istanbul. Sans compter la nécessité de contester la légalité des
détentions longues quand celles-ci s’avèrent inappropriées.
– Femmes handicapées
37. La liste des motifs de discrimination figurant dans l’article 4.3
de la convention s’inspire de l’article 14 de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5) et de
son Protocole no 12 (STE no 177)
. La liste non exhaustive inclut
le handicap.
38. Il est estimé que les femmes handicapées sont de 1,5 à 10 fois
plus exposées à la violence que les femmes sans handicap
. Selon l’enquête
de la FRA, plus d’une femme sur deux présentant des problèmes de
santé, un handicap ou des difficultés dans la vie quotidienne est
ou a été victime de violence psychologique de la part de son partenaire
ou de harcèlement sexuel. Un tiers est victime de violence physique
.
39. Je tiens à ajouter que les femmes handicapées victimes de
violence rencontrent des obstacles spécifiques susceptibles de les
empêcher de signaler les abus et les violences dont elles souffrent
.
Il peut s’agir entre autres: de difficultés d’accès à l’information;
du nombre réduit de foyers accessibles aux femmes handicapées; du
risque de ne plus bénéficier d’un auxiliaire de vie si elles quittent
leur domicile; de la peur d’être placée en institution ou de perdre
la garde de leurs enfants.
40. Beverley Lewis House est le seul refuge du Royaume-Uni à accueillir
des femmes rencontrant des difficultés d’apprentissage et victimes
de violence domestique
.
Le service peut héberger 12 femmes, la durée moyenne de séjour étant
de deux ans. Le plan de soutien intensif inclut des conseils individuels
et une thérapie comportementale cognitive. La plupart des femmes
mènent par la suite une vie autonome en bénéficiant d’un soutien,
certaines avec quelques heures d’aide sociale par semaine, après
avoir acquis des compétences pratiques et une nouvelle assurance.
2.2.2. Services
de soutien généraux (article 20)
41. Les services de soutien sont
indispensables à une protection et un rétablissement efficaces des
femmes victimes de violence. Ces services aident à prévenir de nouvelles
violences et assistent les victimes dans leur rétablissement physique,
psychologique et social. Ils doivent être gratuits et d’un accès
facile et sûr.
42. Il convient d’établir une distinction entre les services de
soutien généraux et les services de soutien spécialisés
. Les premiers font référence
au soutien fourni par les pouvoirs publics dans les domaines de l’aide
sociale, de la santé et de la recherche d’emploi, qui s’inscrit
dans le long terme et s’adresse au grand public et pas seulement
aux victimes. A l’inverse, les services spécialisés façonnent le
soutien et l’assistance en fonction des besoins – souvent immédiats
– des victimes de formes spécifiques de violence à l’égard des femmes
ou de violence domestique, et ne sont pas ouverts au grand public.
Bien qu’ils puissent être gérés ou financés par l’administration
publique, la grande majorité des services spécialisés sont assurés
par des ONG.
43. En Autriche, la deuxième loi sur la protection contre la violence
de 2009 instaure, au cours des procédures civiles et pénales, une
assistance psychosociale et juridique devant les tribunaux pour
les victimes de violence. L’assistance est fournie par des organisations
de protection des victimes, des centres d’intervention et des centres
de prévention de la violence. Avec l’assistance psychosociale devant
les tribunaux, les victimes sont accompagnées jusque dans les locaux
de la police pour établir le signalement, elles sont informées des
procédures pénales et y sont préparées, et elles sont assistées
lors de l’interrogatoire devant le tribunal et durant le procès.
L’assistance juridique devant les tribunaux consiste en la représentation par
un avocat au cours des procédures pénales, afin de protéger les
droits de la victime. Durant la procédure pénale, cette assistance
juridique est gratuite. En octobre 2014, l’Autriche s’est vu décerner
pour cette loi une médaille d’argent du Future Policy Award 2014
sur le thème «Mettre fin aux violences contre les femmes et les filles»
.
2.2.3. Refuges
44. Les femmes victimes de violence
et leurs enfants doivent bénéficier d’un accès immédiat et si possible à
toute heure du jour ou de la nuit à un hébergement sûr. Il convient
de créer des foyers en nombre suffisant – déterminé en fonction
des besoins réels – et de proposer des services de soutien et de
protection par du personnel formé.
45. Le rapport final d’activité de la Task Force du Conseil de
l'Europe pour combattre la violence à l'égard des femmes, y compris
la violence domestique (EG-TFV(2008)6) recommande un accueil sûr
dans des foyers spécialisés pour femmes répartis dans toutes les
régions et capables de recevoir une famille pour 10 000 habitants.
D’après le rapport 2014 de WAVE
, deux pays parmi les
Etats membres du Conseil de l’Europe remplissent ces critères: le
Luxembourg et la Slovénie.
2.2.4. Permanences
téléphoniques (article 24)
46. Les permanences téléphoniques
sont l’un des moyens les plus importants pour permettre aux victimes d’accéder
à l’aide et au soutien dont elles ont besoin. La convention fait
obligation aux Etats de mettre en place à l’échelle nationale des
permanences téléphoniques gratuites, accessibles vingt-quatre heures
sur vingt-quatre, sept jours sur sept.
47. En Turquie, la permanence ALO 183, créée en 2007 par le ministère
de la Famille et des Politiques sociales et financé par l’Etat,
a reçu des appels de 81 provinces et a aidé des femmes, des enfants
et des personnes handicapées victimes de violence à accéder rapidement
à des conseils et des services d’orientation psychologique, judiciaire
et économique. La ligne téléphonique de Hürriyet «Non à la violence
domestique!» est une permanence à couverture nationale portant assistance
aux femmes victimes d’une forme quelconque de violence, gérée par
le journal Hürriyet et financée
par des donateurs privés.
48. En 2013, le ministère allemand de la Famille, des Personnes
âgées, des Femmes et de la Jeunesse a mis en place une permanence
téléphonique nationale et gratuite qui offre une assistance compétente
sur demande aux femmes victimes de toute forme de violence. Une
soixantaine de conseillers spécialement formés apportent un soutien
confidentiel et gratuit en 15 langues, 24 heures sur 24 et 365 jours
par an. Si nécessaire, ils peuvent rediriger les personnes qui les
appellent vers des solutions d’assistance locales adaptées. Ce nouveau
service a comblé une lacune dans la structure de soutien en Allemagne
et remplit une fonction importante d’orientation des victimes, de
leurs proches et de leurs amis, ainsi que des professionnels, vers
des services d’aide adéquats dans tout le pays
.
2.2.5. Soutien
aux victimes de violence sexuelle (article 25)
49. La prévalence de la violence
sexuelle à l’égard des femmes reste élevée en Europe, les femmes
étant confrontées à la violence sexuelle tant de la part d’inconnus
que de leur partenaire ou ex-partenaire. Selon l’enquête de la FRA,
on estime que 3,7 millions de femmes dans l’Union européenne ont
été victimes de violence sexuelle au cours des 12 mois précédent
l’enquête – ce qui correspond à 2 % des femmes âgées de 18 à 74 ans
dans l’Union européenne
. Une femme sur vingt (5 %)
a été violée dès l’âge de 15 ans.
50. Trente-trois Etats membres confirment l’existence de services
pour les victimes de viol ou d’abus sexuels
. Toutefois, s’agissant du nombre de services,
la majorité des pays précisent qu’il est relativement faible ou
qu’ils n’ont aucune information à ce sujet. Seuls 20 Etats considèrent
que ces services sont accessibles dans une zone géographique suffisamment
large. Treize Etats membres affirment ne pas disposer de tels services.
51. La violence sexuelle a des effets particulièrement graves
et à long terme et les victimes souffrent souvent de nombreuses
conséquences psychologiques, comme évoqué dans le projet de recherche
«We are still alive. We have been harmed but we are brave and strong»
mené par l’ONG Medica Zenica en Bosnie-Herzégovine avec des victimes
de viol en temps de guerre
. Depuis 1993, l’organisation
a développé une approche globale combinant prise en charge gynécologique,
conseil psychosocial, conseil juridique, activités génératrices
de revenus, mesures de renforcement des capacités et actions de
plaidoyer dans le but d’améliorer la situation des femmes et des
jeunes filles victimes de viol et de violences sexuelles et de renforcer leurs
droits.
52. Au Royaume-Uni, les centres de traitement des victimes d’agression
sexuelle assurent un service intégré et global auprès des victimes
de viol et d’autres violences sexuelles. Au départ, ces centres
se consacraient à l’amélioration de la réponse médico-légale au
viol, en mettant l’accent sur la mise en place de pratiques normalisées
pour les interventions sanitaires immédiates et la collecte de preuves
médico-légales. Aujourd’hui, ces services fondamentaux ont pris
de l’ampleur et incluent des interventions en santé sexuelle et
génésique, une assistance en cas de crise, des examens de santé
mentale et des actions de conseil et de plaidoyer. Les victimes
ont accès à un spécialiste de l’intervention d’urgence et à un avocat
dès le premier contact avec le centre, jusqu’au moment où la victime
décide d’elle-même de s’affranchir du service. Chaque centre de
traitement assure les services liés aux viols et aux actes de violence
sexuelle dans une zone géographique définie. Il est d’accès facile
et sûr et disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept
jours sur sept
.
53. Au Danemark, le centre danois pour les victimes de viol et
d’agressions sexuelles a été créé en 1999 dans la ville d’Aarhus
à la suite de la décision du parlement, en 1998, d’améliorer les
services offerts aux victimes de violence, dont le viol
. Ce centre s’appuie sur une approche
multidisciplinaire axée sur les victimes visant à proposer des services
multidisciplinaires et éviter une victimisation secondaire. Le centre
est installé dans le service des urgences de l’hôpital régional,
est opérationnel 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, et prend en
charge les victimes de violences sexuelles de plus de 12 ans. Il
propose gratuitement un traitement médical, un examen médico-légal,
des conseils et, au besoin, un hébergement de nuit. Le personnel
du centre suit des formations régulières et le centre a mis au point
un kit de prélèvement devenu le kit normalisé au plan national pour
le recueil de preuves en cas de viol. Il a par ailleurs publié un
manuel de directives normalisées destiné aux professionnels qui
est utilisé dans tout le pays. Depuis la création du premier centre,
sept autres ont vu le jour au Danemark.
2.2.6. Protection
et soutien des enfants témoins (article 26)
54. L'exposition aux violences
et aux mauvais traitements physiques, sexuels ou psychologiques
entre les parents ou d'autres membres de la famille a un impact
grave sur les enfants. Aux termes de l’article 26 de la convention,
des mesures doivent être prises pour que les droits et les besoins
des enfants témoins de violence soient dûment pris en compte, ces
mesures comprenant notamment des conseils psychosociaux adaptés
à l’âge des enfants.
55. Au Luxembourg, le service de conseil psychologique pour les
enfants et les jeunes victimes de violence domestique, soutenu par
le ministère de l’Egalité des chances, accueille les enfants et
les jeunes de 3 à 18 ans directement victimes de violence, présents
pendant la commission des actes de violence et qui en sont les témoins
directs, ou exposés aux cris et autres bruits de violence. Le but
est de les éduquer en ce qui concerne les processus de violence
domestique ainsi que le rôle et la responsabilité de chaque membre
de la famille, de faciliter l’expression de leurs émotions grâce
à divers médias (langue, chant, dessin, etc.), de discuter des stéréotypes
et de renforcer leur relation avec le parent victime de violence.
Un groupe de soutien consacré aux enfants victimes de violence a
commencé ses activités en septembre 2015.
2.2.7. Signalement
(article 27)
56. La majorité des incidents de
violence à l'égard des femmes ne sont pas signalés. Les professionnels
de la santé peuvent jouer un rôle plus important en identifiant
et en aidant à prévenir les cas de violence à l’égard des femmes.
La convention prévoit de lever les règles de confidentialité pour
permettre aux professionnels d’effectuer un signalement, s’ils le
souhaitent, lorsqu’ils ont des raisons de croire que des actes graves
de violence ont été commis et que de nouveaux actes sont à craindre.
La disposition n’impose pas aux professionnels de procéder au signalement;
elle lève simplement les barrières posées au signalement en cas de
violence et de danger graves.
57. En Autriche, les médecins confrontés à des cas de violences
à l’égard d’enfants sont tenus de faire un signalement à la police
ou aux autorités chargées de la protection de l’enfance. Si les
victimes sont des adultes, les médecins doivent signaler les lésions
corporelles graves à la police, même en l’absence de consentement
de la part du patient. Si la lésion n’est pas grave mais que la
personne est limitée dans sa capacité à prendre soin d’elle-même
(par exemple une personne présentant un handicap intellectuel),
les médecins sont tenus d’informer le Centre d’intervention local
(un service de soutien pour les victimes de violence à l’égard des
femmes et de violence domestique)
.
58. Selon l’étude de 2014 de la FRA, près de neuf femmes sur dix
(87 %) sont d’accord pour que les médecins s’enquièrent systématiquement
de possibles faits de violence lorsqu’ils rencontrent en consultation des
femmes présentant certaines lésions
. Cependant, cette démarche soulève des
problèmes sérieux concernant la confidentialité et la relation de
confiance entre le médecin et ses patients. Je peux imaginer que dans
ce domaine, une formation plus poussée, un travail en réseau et
une approche holistique lors des contacts avec des victimes de violence
– car la violence est un phénomène nécessitant une coopération et
des réponses multidisciplinaires – peuvent conférer aux médecins
davantage de sérénité pour procéder aux signalements.
– Ordonnances d’urgence d’interdiction
et ordonnances d’injonction ou de protection (articles 52 et 53)
59. Dans les situations de danger immédiat, le moyen le plus efficace
de garantir la sécurité d’une victime de violence domestique est
d’instaurer une distance physique entre celle-ci et l’auteur des
violences. Il importe également de garantir le départ de l’auteur
des violences de manière à permettre à la victime de conserver son lieu
de résidence. La Convention d’Istanbul établit l’obligation de reconnaître
aux autorités compétentes le pouvoir d’ordonner à l’auteur de violence
domestique de quitter la résidence de la victime ou de l’empêcher
d’y retourner ou de contacter la victime. Dans les Etats membres
du Conseil de l’Europe dotés d’un tel système, cette durée varie
entre dix jours et quatre semaines avec ou sans possibilité de reconduction.
Le terme «danger immédiat» désigne toute situation de violence domestique
pouvant très rapidement entraîner des atteintes à l’intégrité physique
de la victime ou s’étant déjà matérialisée et risquant de se reproduire
.
60. En Espagne, la loi organique 1/2004 du 28 décembre 2004 sur
les mesures de protection intégrée contre la violence liée au genre
prévoit des mesures d’éloignement et la possibilité d’utiliser des
appareils électroniques afin de contrôler que l’auteur présumé des
violences les respecte. Il peut s’agir de bracelets portés par l’auteur
des violences, mais aussi par la victime, afin de lui permettre
de contacter rapidement la police en cas de menace ou de violation
de la mesure d’éloignement. Ces dispositifs enregistrent toute violation
de la mesure d’éloignement par l’auteur des violences, qui devient
alors pénalement responsable. Plus de 1 800 dispositifs ont ainsi
été activés depuis la mise en place du Système électronique de contrôle
des mesures d’éloignement en 2009. En octobre 2014, cette loi organique
a valu à l’Espagne de recevoir une mention honorable du Future Policy
Award 2014 pour mettre fin à la violence faite aux femmes et aux
filles.
2.3. Poursuite
des auteurs de violences
61. La Convention d’Istanbul indique
clairement que la violence à l’encontre des femmes doit être érigée
en infraction pénale et sanctionnée de manière adéquate. Outre les
violences physiques, la convention définit plusieurs infractions
pénales spécifiques, comme le mariage forcé, les mutilations génitales
féminines, l’avortement forcé et la stérilisation forcée. Aucune
justification, qu’elle soit fondée sur la culture, la coutume, la
religion ou «l’honneur», ne doit être acceptée. Elle prévoit également
que ces infractions doivent faire l’objet de sanctions pénales ou
judiciaires, interdit les modes alternatifs de résolution des conflits
et les condamnations obligatoires et vise à améliorer la protection
des victimes d’une manière qui respecte leurs droits à toutes les
étapes des procédures.
2.3.1. Infractions
pénales spécifiques
–
Mariages forcés (article 37)
62. Dans cet article, la Convention d’Istanbul retient deux types
de situation: le fait de forcer une personne à contracter un mariage
et le fait de tromper une personne afin de l’emmener à l’étranger
avec l’intention de la forcer à contracter un mariage. D’après la
convention, ces agissements devraient être couverts par le droit pénal
des Parties, afin de prendre en compte les normes établies par d’autres
instruments internationaux juridiquement contraignants.
63. Mme Lucy Monaghan, directrice adjointe
de l’Unité sur les mariages forcés (FMU)
, a expliqué
qu’au Royaume-Uni, les victimes de mariages forcés ont la possibilité
d’engager des poursuites contre les responsables au pénal et au
civil. La loi de 2007 sur les mariages forcés a introduit les ordonnances
de protection contre le mariage forcé, qui peuvent être demandées
pour éviter qu’une personne soit contrainte au mariage, qu’il soit
religieux ou non, et emmenée à l’étranger. Ces ordonnances sont
essentielles lorsque la victime se trouve dans un pays où la FMU
ne peut pas lui venir en aide, lorsqu’elle est à l’étranger et n’est
pas ressortissante britannique, lorsque la liberté de circulation
est restreinte ou encore lorsqu’il s’agit d’un pays où la FMU n’a
pas de contact. Depuis le 16 juin 2014, le mariage forcé est une
infraction pénale (Anti-social Behaviour, Crime and Policing Act
2014; loi de 2014 sur les comportements antisociaux, la criminalité
et le maintien de l’ordre), tout comme les manœuvres visant, par
la tromperie, à inciter une personne à quitter le Royaume-Uni pour
la forcer à se marier. Dans les cas où une personne n’a pas la capacité
de consentir (ou a moins de 16 ans), toute conduite visant à amener
cette personne à se marier, qu’elle se caractérise ou non par la
violence, des menaces ou toute autre forme de coercition, constitue
également une infraction. Dans la pratique, la FMU a mis en place
une ligne nationale d’assistance téléphonique et un service de messagerie électronique
pour aider les victimes en leur prodiguant des conseils et en leur
apportant un soutien; l’Unité coopère avec la police, les travailleurs
sociaux, les enseignants, les agents des services sociaux, les praticiens de
la santé et beaucoup d’autres professionnels au Royaume-Uni afin
de protéger les personnes en danger; avec l’aide d’ONG et d’associations
caritatives, elle cherche en outre des logements sûrs pour les victimes
au Royaume-Uni. A l’étranger, la FMU travaille en étroite collaboration
avec les hauts-commissariats et les ambassades pour garantir le
retour en toute sécurité au Royaume-Uni des personnes qui fuient
une situation de mariage forcé; son action consiste notamment à
délivrer d’urgence des documents de voyage, à organiser les vols
et un transfert en toute sécurité jusqu’à l’aéroport, à fournir
un hébergement d’urgence ou simplement à apporter des conseils et
un soutien.
64. En Allemagne, les mariages forcés sont reconnus comme une
infraction pénale distincte depuis juillet 2011, et sont passibles
de six mois à cinq ans d’emprisonnement. Le délai pour l’annulation
d’un mariage forcé est passé d’un an à trois ans. Un droit au retour
pour les étrangers mineurs qui résident légalement en Allemagne
a été introduit pour traiter les cas de mariages forcés contractés
à l’étranger. Une étude allemande de novembre 2012 a montré que
la plupart des victimes ont subi des violences psychologiques, mais
aussi des atteintes à leur intégrité physique dans le but de les
contraindre à se marier
.
65. En Espagne, à la suite de la réforme du Code pénal en 2015,
le nouvel article 172 bis prévoit que toute personne qui use de
violence ou d’intimidation pour obliger une autre personne à se
marier est passible de six mois à trois ans d’emprisonnement. Quiconque
force la victime à quitter le territoire espagnol pour contracter un
mariage à l’étranger encourt la même sanction.
66. Il est à noter que l’article 32 de la Convention d’Istanbul
traite des conséquences civiles des mariages forcés et dispose que
ces mariages doivent pouvoir être «annulables, annulés ou dissous».
– Mutilations génitales féminines
(article 38)
67. Par mutilations génitales féminines (MGF), on entend toutes
les interventions incluant l’ablation partielle ou totale des organes
génitaux externes de la femme ou toute autre lésion des organes
génitaux féminins qui sont pratiquées pour des raisons non médicales
(Organisation mondiale de la santé (OMS), 2008). Sur la base de
cette classification de l’OMS, l’article 38 de la Convention d’Istanbul
impose d’ériger en infraction pénale ce type d’agissement, qui peut
causer des dommages irréversibles dont les effets se font sentir
tout au long de la vie des victimes, sans leur consentement. En
raison de son caractère, la MGF fait partie des infractions qui dérogent
au principe de neutralité entre les sexes imprégnant la partie de
la convention consacrée au droit pénal, les victimes étant nécessairement
des femmes ou des filles
.
68. En octobre 2014, le Royaume-Uni a entrepris une réforme importante
dans sa lutte contre la violence à l’égard des femmes. Dans le projet
de loi sur les infractions graves, s’il y a des raisons de soupçonner
que des filles risquent d’être exposées à des MGF, les tribunaux
peuvent désormais recourir aux nouvelles ordonnances de protection
contre les MGF pour interdire à leurs parents de quitter le pays
avec elles. Ils peuvent aussi mettre en place des examens médicaux
obligatoires pour les filles exposées à un risque de MGF, les filles
concernées ayant l’obligation d’habiter à une adresse donnée afin
que les autorités puissent vérifier qu’elles n’y ont pas été soumises
.
69. S’agissant du cadre juridique et politique au niveau de l’Union
européenne, le Parlement européen a adopté une résolution sur la
lutte contre les mutilations sexuelles féminines pratiquées dans
l’Union
tandis que
l’Institut européen sur l’égalité entre les hommes et les femmes
(EIGE) et la Commission européenne travaillent actuellement à l’élaboration
d’une méthodologie et d’indicateurs communs pour évaluer le risque
de mutilations génitales féminines dans les Etats membres de l’Union
européenne
.
70. Amnesty International et le Conseil de l’Europe ont publié
un guide
destiné à attirer l’attention des responsables
politiques sur le problème des MGF et à promouvoir la Convention
d’Istanbul. Il contient des exemples de bonnes pratiques telles
que la «déclaration contre la circoncision féminine», un document
officiel de 2011 élaboré par le Gouvernement néerlandais pour aider
les parents à résister à la pression familiale. La déclaration,
traduite en plusieurs langues, insiste sur les conséquences des
MGF pour la santé et explique la législation néerlandaise en la
matière. Les centres de soins et les médecins scolaires remettent
un exemplaire du document aux parents. Des «ambassadeurs» contre
les MGF ont également été désignés en 2010-2011 pour informer les
parents originaires de pays qui pratiquent cette coutume – notamment
Ethiopie, Somalie et Soudan – sur les dangers qu’elle représente.
L’initiative a été reprise par les Gouvernements du Royaume-Uni et
de la Belgique
.
71. Ma collègue, Mme Béatrice Fresko-Rolfo
(Monaco, PPE/DC), prépare actuellement un rapport sur les mutilations
génitales féminines
, dans lequel elle prône une approche
multidisciplinaire, rappelle les origines de cette pratique, présente
les structures psychosociales mises à la disposition des victimes
et les dernières avancées médicales pour réparer les dommages causés
aux organes génitaux féminins.
– Avortement et stérilisation
forcés (article 39)
72. Cet article érige l’avortement et la stérilisation forcés
des femmes et des filles en infraction pénale, dérogeant au principe
de neutralité entre les sexes imprégnant la partie de la Convention
d’Istanbul consacrée au droit pénal
. Dans la convention, un «avortement
forcé» désigne l’acte consistant à mettre intentionnellement fin
à une grossesse sans le consentement préalable et éclairé de l’intéressée.
Le terme «stérilisation» désigne une intervention pratiquée dans
le but d’ôter à une femme ou une fille la capacité de se reproduire
naturellement. Elle est forcée si elle est réalisée sans que l’intéressée
ait donné au préalable son consentement éclairé. L’article 39 est
conforme aux normes de la Convention des droits de l’homme et la biomédecine
(STE no 164).
73. Cet article souligne l’importance du respect des droits des
femmes en matière de procréation, en leur permettant de décider
librement du nombre et de l’espacement de leurs grossesses et en
leur garantissant un accès à des informations pertinentes sur la
reproduction naturelle et le planning familial. Le but de la convention
n’est pas d’ériger en infraction pénale les interventions médicales
ou chirurgicales pratiquées, par exemple, dans le but de porter
assistance à une femme pour lui sauver la vie ou de porter assistance
à une femme n’ayant pas la capacité de consentir
.
74. La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes
handicapées contient aussi des dispositions sur la stérilisation
forcée. L’article 23 renforce le droit de la personne handicapée
à se marier et à fonder une famille, et de conserver sa fertilité,
sur la base de l’égalité avec les autres. L’article 12 réaffirme
le droit de la personne handicapée à la reconnaissance en tous lieux
de sa personnalité juridique et à jouir de la capacité juridique
dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres,
y compris à l’accompagnement dont elle peut avoir besoin pour exercer
sa capacité juridique. L’article 25 précise clairement que le consentement
libre et éclairé doit être la base des soins de santé apportés aux
personnes handicapées. Dans l’une de ses toutes premières recommandations,
le Comité sur les droits des personnes handicapées recommande à
un Etat Partie «d’inscrire dans la législation l’interdiction d’avoir
recours à la chirurgie ou de dispenser un traitement sans le plein
consentement du patient, donné en connaissance de cause»
.
75. Le 11 janvier 2013, la division de la famille de la High Court
of Justice du Royaume-Uni a rejeté la demande de procéder à l’avortement
forcé d’une femme handicapée mentale, reconnaissant ainsi la capacité de
l’intéressée et son droit à prendre sa propre décision concernant
sa grossesse
.
– Justification inacceptable
des infractions pénales, y compris les crimes commis au nom du prétendu «honneur»
(article 42)
76. Cet article renforce l’obligation consacrée au paragraphe 5
de l’article 12, dans lequel la Convention d’Istanbul demande aux
Parties de veiller à ce que la culture, la coutume, la religion,
la tradition ou le prétendu «honneur» ne soient pas considérés comme
justifiant tout acte de violence couvert par le champ d’application de
la convention. Le droit pénal matériel et procédural national ne
doit pas autoriser ces justifications, et les convictions personnelles
des acteurs judiciaires ne doivent pas mener à des interprétations
du droit équivalant à une justification basée sur l’un des fondements
cités ci-dessus. Ces actes étant souvent commis par un enfant –
n’ayant pas atteint l’âge de la majorité pénale – à l’instigation
d’un membre adulte de la famille ou de la communauté, la convention
établit également la responsabilité pénale de l’instigateur ou des
instigateurs de tels crimes, de manière à éviter toute brèche dans
le dispositif d’engagement de la responsabilité pénale
.
77. Dans de nombreux Etats membres, les crimes d’honneur semblent
encore considérés comme un problème limité à des groupes d’immigrés
spécifiques et, bien que ce phénomène soit en augmentation, moins de
15 Etats membres ont adopté une politique nationale sur cette question
précise
.
78. D’après une étude de la Commission européenne réalisée en 2010,
seuls cinq pays de l’Union européenne (Allemagne, Danemark, Pays-Bas,
Royaume-Uni et Suède) ont adopté un cadre juridique sur la violence
fondée sur l’honneur, sept pays (les cinq précédents, la Belgique
et la Finlande) ont adopté des politiques en la matière, et quatre
pays considèrent la violence d’honneur comme une circonstance aggravante
.
79. Le Code pénal turc a été largement révisé en 2004 grâce aux
travaux d’envergure menés dans le pays par le mouvement féministe.
Avant la réforme, les «crimes d’honneur» bénéficiaient d’une réduction
de peine. Leurs auteurs encourent désormais la perpétuité. L’article 462
du Code pénal, qui auparavant accordait des réductions de peine
à toute personne qui tuait ou blessait un membre de la famille coupable
d’adultère, a également été abrogé et tout acte de violence à l’égard
de femmes commis au nom de l’honneur constitue désormais une circonstance
aggravante
.
80. Le volet II.B du plan d’action national 2010-2014 de la Belgique
traite de la violence liée au prétendu «honneur». Dans ce volet,
il est indiqué que des mesures doivent être mises en œuvre pour
développer la connaissance et améliorer la compréhension de la problématique.
Une mesure supplémentaire vise à poursuivre l’élaboration d’une
approche concertée entre le gouvernement fédéral, les communautés
et les régions en vue de prévenir, de réduire et de réprimer la
violence liée à l’honneur.
81. L’article 42 de la Convention d’Istanbul ne fait pas uniquement
référence aux prétendus «crimes d’honneur», il renvoie aussi à toutes
les formes de justification par la culture, la coutume, la religion
ou la tradition. Dans l’affaire
Gökce
c. Autriche portée devant le Comité des Nations Unies
pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes
, les autorités autrichiennes ont
justifié l’abandon des poursuites contre l’auteur de violences en
qualifiant ses menaces de tuer Sahide de «déclarations brutales
qu’expliquaient ses antécédents»
. Elles
faisaient référence à l’origine immigrée de l’auteur des violences,
et laissaient entendre que ce genre de menaces étaient «normales»
dans sa culture et étaient certes brutales mais pas illégales. Des antécédents
culturels présumés sont ainsi utilisés pour qualifier un acte puni
par la loi et créer des normes à géométrie variable – les menaces
proférées dans telle culture doivent être jugées différemment de
celles proférées dans la culture «autrichienne» – et la victime
n’a pas droit à une protection contre ce qui, dans la logique d’un
tel raisonnement, cesse d’être une menace. Ces justifications d’infractions
sont préoccupantes et potentiellement dangereuses pour les victimes;
elles peuvent aisément causer des préjudices et violent l’obligation
de faire preuve de diligence pour prévenir activement la violence
à l’égard des femmes et protéger les victimes au titre de l’obligation
visée à l’article 5 de la convention. Elles peuvent également conduire
à une victimisation secondaire des victimes dans les procédures
judiciaires. Les Etats Parties doivent prendre des mesures effectives
pour garantir une approche fondée sur la diligence et demander des
comptes aux acteurs étatiques qui ne l’appliquent pas. Ces dernières
années, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé plusieurs
affaires portant sur l’absence de diligence dans la protection des
victimes
.
2.3.2. Sanctions
et autres mesures
–
Sanctions et circonstances aggravantes (articles 45 et 46)
82. L’article 45 de la Convention d’Istanbul exige des Parties
qu’elles prennent des sanctions «effectives, proportionnées et dissuasives».
Celles-ci incluent, le cas échéant, des peines privatives de liberté
pouvant donner lieu à l’extradition. D’autres mesures peuvent être
adoptées, comme le suivi ou la surveillance de la personne condamnée
et la déchéance des droits parentaux, si l’intérêt de l’enfant,
qui peut inclure la sécurité de la victime, ne peut être garanti
d’aucune autre façon.
83. En France, les articles 221-5-5 et 222-48-2 du Code pénal,
établis par la loi sur l’égalité entre les hommes et les femmes,
disposent qu’en cas de condamnation pour un crime ou un délit commis
par un parent sur la personne de son enfant ou de l’autre parent,
la juridiction de jugement doit statuer sur le retrait total ou partiel
de l’autorité parentale, en application des articles 378 et 379-1
du Code civil.
84. L’article 46 exige des Parties qu’elles veillent à ce que
certaines circonstances puissent être prises en compte en tant que
circonstances aggravantes lors de la détermination des peines relatives
aux infractions établies conformément à la convention, par exemple
si l’infraction a été commise à l’encontre d’un ancien ou actuel
conjoint ou partenaire, si elle a été commise de manière répétée
ou à l’encontre ou en présence d’un enfant.
85. Vu la diversité des systèmes juridiques, il est très difficile
de se faire une juste représentation de la manière dont les circonstances
aggravantes sont réglementées. En France, certaines infractions
commises à l’encontre d’un (ancien) partenaire ou conjoint doivent
toujours être considérées comme aggravantes. Le cas aggravant peut
être une infraction caractérisée distincte comme l’est l’abus de
confiance dans la législation allemande, ou la violence familiale
dans la législation italienne. Dans leurs réponses à un questionnaire, 46 Etats
membres ont répondu «oui» pour au moins un facteur constitutif d’une
circonstance aggravante. Vingt-six Etats membres ont confirmé que
chacune des circonstances citées dans le questionnaire est, sur
le plan juridique, considérée comme aggravante. Sans examiner de
manière approfondie le droit pénal et procédural de chaque pays,
il est impossible de se faire une idée plus claire et précise de
la situation
.
– Interdiction des modes alternatifs
de résolution des conflits ou des condamnations obligatoires (article 48)
86. «La médiation peut s’avérer particulièrement délicate, voire
dangereuse, dans les affaires de violence à l’égard des femmes,
en particulier la violence domestique. Ce type d’affaires se caractérise
par des rapports de force inégaux entre les parties au litige, définis
par l’agression physique, l’intimidation violente et un comportement
dominant, violent ou humiliant. La médiation suppose que les parties
abordent ce processus avec des ressources et un pouvoir identiques,
ce qui n’est pas souvent le cas dans ces affaires
.»
87. Le droit pénal et civil de plusieurs Etats membres du Conseil
de l’Europe contient des dispositions sur les modes alternatifs
de règlement des litiges et la médiation. Si la Convention d’Istanbul
ne nie pas l’importance et les effets positifs de tels dispositifs
dans un système judiciaire moderne, elle appelle à la prudence lorsqu’ils
sont utilisés dans le contexte de la violence à l’encontre des femmes
et de la violence domestique.
88. De fait, les victimes n’abordent jamais les procédures alternatives
de règlement des litiges sur un pied d’égalité avec les auteurs
de violences, et le risque est grand que la procédure ait sur elles
des effets négatifs. Un principe essentiel des mesures alternatives
est donc que les droits et les besoins de la victime soient pris en
compte à toutes les étapes de la procédure. Conformément à l’article 48,
ces mesures ne doivent pas être obligatoires, ce qui implique que
les victimes doivent être consultées et doivent donner leur accord.
89. En Espagne, l’article 44.5 de la loi organique 1/2004 mentionnée
précédemment interdit le recours à la médiation dans les affaires
de violence à l’égard des femmes.
90. En Autriche, en revanche, la médiation victime-auteur de l’infraction
dans les affaires pénales n’est possible qu’avec le consentement
de la victime (paragraphe 204.2 du Code de procédure pénale). Des procédures
spéciales sont prévues pour la médiation pénale victime-auteur de
violence afin de protéger les victimes et les autonomiser: la victime
a par exemple le droit d’être accompagnée par un avocat d’un service spécialisé
dans l’aide aux femmes (centre d’intervention) et elle n’est pas
obligée de rencontrer son agresseur en personne.
91. Au Centre virtuel de connaissances de l’ONU pour mettre fin
à la violence contre les femmes et les filles, des experts recommandent
des lignes directrices sur la manière d’utiliser la médiation dans
les affaires de violence à l’égard des femmes, y compris la nécessité
de former toutes les personnes chargées de faciliter la médiation,
et la possibilité, pour les femmes qui le souhaitent, d’abandonner
les procédures de médiation
.
– Réponse immédiate, prévention
et protection (article 50)
92. La Convention d’Istanbul impose que les services répressifs
responsables réagissent rapidement et de manière appropriée en offrant
une protection adéquate et immédiate aux victimes, notamment au
moyen de mesures opérationnelles préventives et de la collecte des
preuves. Cela inclut le droit des services répressifs responsables
de pénétrer dans des locaux où se trouve une personne en danger;
de prendre en charge les victimes et de leur fournir des conseils
de manière appropriée; de charger un personnel, le cas échéant féminin,
spécialement formé à cet effet, d’écouter sans délai les victimes
dans des locaux conçus de manière à instaurer une relation de confiance
entre ces dernières et les membres des services répressifs; et de
prévoir un nombre suffisant d’agents de sexe féminin au sein des
services répressifs, y compris à des niveaux élevés de responsabilité
.
93. Au Royaume-Uni, la police de Northumbria collabore avec un
centre local d’accueil des femmes pour lutter contre la violence
faite aux femmes. Les policiers qui patrouillent en voiture font
équipe avec une personne du centre d’accueil. Tandis que le policier
collecte des preuves, la personne du centre d’accueil parle à la
victime, lui propose des services d’aide, organise un suivi et dans
certains cas, peut même l’emmener immédiatement dans un endroit
sûr
.
– Procédures ex parte et ex officio
(article 55)
94. La Convention d’Istanbul impose aux Etats Parties de veiller
à ce que les enquêtes relatives à un certain nombre de catégories
d’infractions ne dépendent pas «entièrement» d’une dénonciation
ou d’une plainte déposée par la victime, et à ce que toute procédure
engagée puisse se poursuivre même si la victime se rétracte. Afin
d’encourager les victimes à engager une procédure pénale, la convention
demande aux Etats Parties de garantir aux organisations de victimes,
aux conseillers spécialisés dans la violence domestique et à d’autres
services d’aide et de défense la possibilité d’assister et/ou de
soutenir les victimes.
95. Les derniers passages en revue systématiques de la législation
et de sa mise en œuvre dans l’Union européenne ont identifié cinq
Etats qui exigent une plainte de la victime, voire une action privée
pour les cas de violence intrafamiliale; dans 19 Etats seulement,
le parquet est tenu d’engager des poursuites
ex
officio pour les affaires de viol. Certains systèmes
juridiques chargent la police d’estimer s’il y a lieu d’inculper,
comme c’est la tradition dans la common law britannique. Dans ce
cas, le procureur ne peut même pas prendre connaissance des affaires
si la police a conclu à l’absence d’infraction – cela concerne neuf
Etats de l’Union européenne. Cependant, plusieurs Etats ont annoncé
que des modifications sont en cours pour faciliter les poursuites
ex officio .
96. Le Code de procédure pénale autrichien (articles 34, 36 et
84) autorise les procédures ex officio dans les
affaires liées à toutes les formes de violence, quelle que soit
leur gravité.
97. En Allemagne, en Autriche, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en
Slovénie et en République tchèque, la police peut décider ex officio d’ordonner l’expulsion
pour 10 jours d’une personne qui met en danger la vie, la santé
ou la liberté d’une autre personne.
– Aide juridique (article 57)
98. L’article 57 vise à garantir l’égalité d’accès à la justice
pour toutes les femmes victimes de violences. Les procédures judiciaires
et administratives sont souvent très complexes et coûtent cher.
La convention impose à chaque Partie l’obligation de veiller à ce
que les victimes aient droit à une assistance juridique et à une
aide juridique gratuite selon les conditions prévues par leur droit
interne.
99. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe disposent de
mécanismes d’aide judiciaire en matière civile et en matière pénale,
mais deux Etats membres seulement, la France et le Luxembourg, accordent
un accès gratuit à tous les tribunaux et pour toutes les affaires
. Dans la plupart
des cas, les victimes sont soumises à un examen de leurs conditions
de ressources, dont les victimes de violences domestiques ou d’infractions
sexuelles sont généralement exonérées.
100. Dans six Etats membres de l’Union européenne (Autriche, Belgique,
Danemark, Hongrie, Italie et Lituanie), l’assistance juridique gratuite
est considérée comme un droit fondamental pour toutes les victimes de
violence
.
101. En Espagne, l’article 20 de la loi organique 1/2004 dispose
que les victimes de violences fondées sur le genre ont le droit
d’être défendues et représentées gratuitement par un avocat ou un
avoué pour toutes les procédures et démarches administratives résultant
directement ou indirectement de la violence. Cette disposition est
une application directe de l’article 119 de la Constitution espagnole,
qui garantit l’assistance judiciaire à toutes les personnes qui
peuvent justifier l’insuffisance de leurs ressources. Cette assistance couvre,
entre autres: des conseils et des services d’orientation gratuits
avant le lancement de la procédure; une défense et une représentation
gratuites par un avocat et un avoué pendant la procédure judiciaire;
ainsi que l’assistance gratuite d’experts pendant toute la procédure.
De plus, la loi de 2013 sur l’assistance judiciaire prévoit le droit
à une assistance judiciaire gratuite et sa mise en place immédiate
pour les victimes de violences liées au genre, qu’elles aient ou
non des ressources suffisantes pour agir en justice.
102. Le système néerlandais prévoit une aide juridique pour les
personnes ayant de faibles revenus (participation demandée en fonction
des revenus) et une aide juridique gratuite pour les victimes de
graves violences (sexuelles). Depuis le 1er avril
2006, ces dernières peuvent demander l’aide juridique gratuite d’un avocat
spécialisé, quelles que soient leurs ressources financières. Cette
aide est disponible pour les procédures pénales et civiles.
– Indemnisation (article 30)
103. Cet article de la Convention d’Istanbul impose à l’Etat de
faire en sorte que les victimes puissent demander une indemnisation
de la part des auteurs de violence. Il prévoit également que l’Etat
doit octroyer une indemnisation adéquate aux victimes qui ont subi
de graves atteintes à leur intégrité physique ou à leur santé, dans
la mesure où le préjudice n’est pas couvert par d’autres sources,
notamment par les assurances.
104. La Norvège a mis en place une procédure d’indemnisation par
l’Etat des victimes d’infractions violentes qui ont subi des lésions
en rapport avec une infraction grave. Tous les types d’infractions
ne donnent pas droit à une indemnisation. En vertu de la loi, l’acte
doit avoir été commis dans le but d’intenter à la vie ou à la santé d’une
personne ou de restreindre sa liberté. C’est le cas, par exemple,
des actes de violence et des agressions sexuelles. Les enfants,
ainsi que les parents proches des victimes peuvent également être
indemnisés (conjoints, enfants et parents) en cas de décès de la
victime à la suite d’une infraction pénale
.
105. On ne dispose pas d’informations comparatives sur le fonctionnement
des procédures d’indemnisation dans les différents pays en matière
de violence à l’égard des femmes et de violence domestique, mis
à part un rapport de 1999 de l’Institut HEUNI, qui n’est plus d’actualité.
La recherche sur la mise en œuvre et le suivi de la Convention européenne
relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes (STE
no 116) n’est pas plus probante. La recherche
dans ce domaine est assurément nécessaire.
2.4. Politiques
intégrées et collecte de données
2.4.1. Politiques
globales et coordonnées (articles 7 et 10)
106. L’article 7 de la Convention
d’Istanbul demande aux Etats de prendre les mesures législatives
et autres nécessaires pour prévenir et combattre toutes les formes
de violence couvertes par le champ d’application de la convention,
et d’adopter des politiques globales et coordonnées qui articulent
toutes les mesures autour des droits des victimes en associant tous
les acteurs compétents. A la question «Avez-vous adopté une politique globale
et coordonnée pour lutter contre toutes les formes de violence couvertes
par la Convention d’Istanbul et apportant une réponse holistique
à la violence à l’égard des femmes?», 23 Etats membres ont répondu
par l’affirmative, 21 d’entre eux l’ayant intégré dans un plan d’action
global ou une stratégie nationale
.
107. Au Portugal, le parlement a mis en place, en mars 2014, un
groupe de travail sur les «implications législatives de la Convention
d’Istanbul», afin qu’il identifie les chaînons manquants entre la
législation et la Convention d’Istanbul. Composé de cinq membres
représentant les différents groupes parlementaires, il a organisé
des consultations sur les mutilations génitales féminines, le harcèlement
sexuel, le viol et la contrainte sexuelle, le mariage forcé et le
harcèlement (stalking) avec des représentants institutionnels et
d’ONG. Huit projets de loi visant à compléter le Code pénal sont
en cours d’examen par la Commission des questions constitutionnelles,
des droits, des libertés et des garanties. Le groupe propose d’ériger
la mutilation génitale féminine, le harcèlement (stalking), le mariage
forcé et le harcèlement sexuel en infraction pénale, et de renforcer
la criminalisation du viol et de la contrainte sexuelle
.
108. En France, le Centre d’accueil en urgence des victimes d’agressions
(CAUVA) de Bordeaux propose une prise en charge multidisciplinaire
– médico-légale, infirmière, sociale, psychologique et judiciaire
selon les situations – pour les femmes victimes de violences.
109. Cosc, mot irlandais signifiant «arrêter» ou «prévenir», est
le bureau national pour la prévention de la violence domestique,
sexuelle et fondée sur le genre (National Office for the Prevention
of Domestic, Sexual and Gender-based Violence) en Irlande. Créé
en 2007 en tant que bureau exécutif du ministère de la Justice et
de l’égalité, il coordonne la réponse du gouvernement à la violence
domestique et sexuelle à l’égard des femmes et des hommes.
110. En République de Moldova, des progrès notables ont été accomplis
en matière de coopération intersectorielle, avec l’élaboration,
par le ministère du Travail, de la Protection sociale et de la Famille,
de lignes directrices fondées sur la loi 45-XVI de mars 2007 relative
à l’élimination de la violence domestique, telle que modifiée en 2010.
Le pays dispose désormais de lignes directrices sur la coopération
intersectorielle pour identifier les cas de violence domestique,
de lignes directrices pour identifier les victimes (potentielles)
de la traite des êtres humains et de lignes directrices sur la coopération
intersectorielle pour identifier et orienter les enfants (potentiellement)
victimes de la violence. Par ailleurs, un modèle de réglementation
a été élaboré pour encadrer les activités des équipes multidisciplinaires
qui travaillent au niveau local au sein du système national d’orientation,
et des lignes directrices précises ont été publiées sur le rôle
du secteur de la santé dans l’approche multisectorielle appliquée
pour lutter contre la violence domestique
.
111. En mai 2015, une commission spéciale créée au sein du Parlement
turc pour enquêter sur les causes de la violence à l’égard des femmes
a rendu un rapport soulignant la situation en Turquie
. Différents organes de l’Etat ont
contribué à l’élaboration de ce rapport complet qui examine en détail
les mesures juridiques et administratives qu’il conviendrait de
prendre pour lutter contre la violence domestique.
112. Dans son article 10, la Convention d’Istanbul oblige également
les Etats Parties à désigner ou à créer des organes responsables
pour la coordination, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation
des politiques et des mesures de prévention et de lutte contre toutes
les formes de violence à l’égard des femmes. En 2013, 39 Etats membres
ont fait part de l’existence d’un organe gouvernemental chargé de
la coordination de la mise en œuvre de politiques et de mesures
pour prévenir et combattre toutes les formes de violence à l’égard
des femmes, tandis que 30 Etats membres disposaient d’un organe
national responsable du suivi et de l’évaluation de ces politiques
et de ces mesures
.
113. Le 25 avril 2012, le Gouvernement suédois a nommé la commissaire
de police en chef, Carin Götblad, coordinatrice nationale de la
violence domestique. Elle est notamment chargée de réunir les autorités, municipalités,
conseils départementaux et organisations concernés et de les aider
à améliorer l’efficacité, la qualité et la viabilité des mesures
de lutte contre les violences entre proches. «Je recommande de faire
de la prévention de la violence domestique un objectif national
de santé publique» a-t-elle déclaré le 27 juin 2014, lors de la
présentation d’un rapport final qui comprenait 50 recommandations.
«Nous devons renforcer considérablement notre capacité à travailler
de manière plus large, plus coopérative et plus efficace. En clair, toute
la société doit s’y mettre et comprendre comment chacun peut empêcher
la violence entre proches» a-t-elle ajouté
.
2.4.2. Collecte
des données et recherche (article 11)
114. La Convention d’Istanbul réaffirme
l’importance de la collecte des données et de la recherche pour comprendre
la nature et la prévalence de la violence à l’égard des femmes et
de la violence domestique, pour concevoir des politiques fondées
sur des preuves et en évaluer l’efficacité. A cet égard, j’accueille
très favorablement le rapport de Mme Spadoni
sur la collecte systématique des données sur la violence à l’égard des
femmes.
115. Bien que les pratiques varient encore considérablement en
matière de collecte, d’analyse et de publication des données policières,
le nombre d’Etats membres disposant de procédures de compilation
des statistiques ventilées et intégrées (c'est-à-dire celles qui
associent des informations sur l’âge, le sexe et la relation) concernant
la violence à l’égard des femmes, ou tout au moins la violence domestique,
est en augmentation. Au total, dans 23 Etats membres, la police
enregistre les données recommandées, les combine et publie les résultats
.
116. En 2004, le Gouvernement norvégien a créé le Centre national
pour l’étude de la violence et du stress post-traumatique (NKVTS).
Son principal objectif est d’intégrer et de renforcer l’expertise
en ce qui concerne la violence, l’exploitation sexuelle, les catastrophes
et les réfugiés/demandeurs d’asile en adoptant une perspective interdisciplinaire
– médicale, psychologique, sociale, culturelle et juridique. Le
centre est impliqué dans des activités de recherche-développement,
de formation, d’orientation et de conseil
.
117. A Chypre, un bureau consacré à la violence domestique et aux
abus commis sur des enfants a été créé au sein de la police chypriote.
Ses principales fonctions sont les suivantes: le suivi des cas de
violence domestique et d’abus commis sur des enfants signalés dans
les commissariats; la gestion d’un fichier électronique regroupant
tous les cas de violence domestique et la publication de statistiques
annuelles; l’examen des dossiers de nature pénale et la proposition
d’avis; la formation des policiers aux problèmes liés à la violence
domestique et aux abus sur enfants; et la publication de supports
d’information pour le grand public.
3. Conclusions
118. L’entrée en vigueur de la Convention
d’Istanbul a envoyé un signal fort à toute l’Europe. La violence
à l’égard des femmes est désormais au premier rang des préoccupations
politiques. Les actes de violence dans ce domaine ne doivent pas
rester impunis. Or, en dépit des progrès importants enregistrés
depuis dix ans, les statistiques sont toujours aussi alarmantes.
Des milliers de femmes sont tuées chaque année et la grande majorité
des auteurs échappe à toute condamnation. Non seulement les législations
nationales doivent être conformes à la convention, mais elles doivent
aussi être pleinement mises en œuvre.
119. En raison de la crise économique, les programmes de prévention
et d’aide aux victimes de violence ont fait l’objet de coupes budgétaires
dans toute l’Europe. Les femmes victimes de violences hésitent davantage à
quitter le domicile familial, à demander à leur partenaire de partir
et à porter plainte. Lorsqu’elles quittent le domicile avec leurs
enfants, beaucoup trop de victimes sont confrontées à des situations
de refus d’accueil, faute de places dans les centres. Comme l’a
rappelé l’Assemblée parlementaire dans sa
Résolution 2032 (2015) sur l’égalité et la crise, la préservation des systèmes
d’aide et de protection est essentielle pour faire respecter les
droits des femmes.
120. Dans cette lutte commune contre la violence à l’égard des
femmes, les parlementaires ont un rôle capital à jouer. En ma qualité
de Rapporteure générale sur la violence à l’égard des femmes et
de coordinatrice politique du réseau parlementaire pour le droit
des femmes de vivre sans violence, je tiens à souligner l’engagement
sans faille des membres du réseau pour promouvoir la Convention
d’Istanbul et pour constamment élever le niveau des normes juridiques
et politiques applicables dans le domaine de la prévention de la
violence à l’égard des femmes, de la protection des victimes et
de la poursuite effective des auteurs. Ces efforts ont finalement
mené à l’entrée en vigueur de la Convention d’Istanbul. Une nouvelle
étape commence, pendant laquelle les parlements nationaux et l’Assemblée
parlementaire sont invités à participer au processus de suivi de
l’application de la convention. J’espère que le présent rapport
les aidera à remplir leur mission.