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Rapport | Doc. 13937 | 08 janvier 2016

Les combattants étrangers en Syrie et en Irak

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Dirk Van der MAELEN, Belgique, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13559, Renvoi 4069 du 3 octobre 2014. 2016 - Première partie de session

Résumé

Ces dernières années, beaucoup de jeunes ont quitté leur pays de résidence en Europe pour rejoindre l’«Etat islamique» («EI») et d’autres groupes extrémistes violents en Syrie et en Irak. Ces «combattants étrangers» sont source de grave préoccupation pour les autorités nationales et policières dans la mesure où, lors de leur retour en Europe, ils auront à la fois les aptitudes et la motivation pour perpétrer des attaques terroristes. Les attaques récentes à Paris sont la preuve de la réalité de cette menace.

Au-delà des menaces imminentes à la sécurité, se profile le risque d’ébranler la cohésion et l’intégrité des sociétés démocratiques en exacerbant les clivages entre les différents groupes ethniques et religieux.

Ce rapport vise à sensibiliser le public au phénomène des combattants étrangers qui représente une menace croissante pour la sécurité domestique et internationale. Il fournit des informations et matière à réflexion sur l’étendue du phénomène, les causes profondes et les motivations des individus qui deviennent combattants étrangers, et les mesures de lutte qui peuvent être prises à différents niveaux pour le contrer. Enfin, le rapport suggère quelques pistes de réflexion sur comment intensifier la réponse internationale à ce problème et plaide pour une plus grande contribution du Conseil de l’Europe au traitement des causes sous-jacentes.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 7 décembre
2015.

(open)
1. Ces dernières années, le phénomène des «combattants étrangers» – des individus qui, principalement motivés par l’idéologie, la religion et/ou la parenté, quittent leur pays d’origine ou de résidence habituel pour rejoindre un groupe engagé dans un conflit armé – s’est développé dans le monde entier ou presque, devenant un problème mondial majeur pour la communauté internationale.
2. L’Assemblée parlementaire condamne de la manière la plus ferme qui soit les récents attentats terroristes qui ont coûté la vie à des centaines de citoyens de la Turquie, de la Fédération de Russie, du Liban, de la France, de la Tunisie et de nombreux autres pays et réaffirme sa position de principe en faveur de la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes et où qu’il se manifeste. Elle relève avec une grande inquiétude que nombre de ces attentats terroristes récents peuvent être attribués à des individus qui agissent au nom de l’entité terroriste autoproclamée «Etat islamique» («EI») et le revendiquent.
3. Dans ce contexte, l’Assemblée est extrêmement préoccupée par le flux croissant de combattants étrangers – des hommes et des femmes de toute l’Europe – qui se rendent en Syrie et en Irak pour rejoindre «EI» et d’autres groupes extrémistes violents qui rejettent et attaquent ouvertement les valeurs fondamentales et commettent des crimes odieux à la fois contre des citoyens européens et contre la population locale des pays où ils vont faire le «djihad».
4. Par conséquent, l’Assemblée estime qu’il est capital de sensibiliser l’opinion au phénomène des combattants étrangers, de le comprendre et de s’y attaquer, y compris les problèmes liés au retour des combattants étrangers dans leur pays d’origine, qui constitue une menace majeure et croissante pour la sécurité nationale et internationale.
5. Cette menace revêt un degré d’urgence encore plus grand vu les attentats sanglants de Paris en novembre 2015 ainsi que les divers attentats terroristes antérieurs dont la plupart des auteurs sont liés à «EI» et ont combattu en Syrie/Irak, selon les indications fiables dont on dispose. Cette menace doit aussi être analysée dans le contexte de l’afflux sans précédent de réfugiés et de migrants en Europe.
6. Qui plus est, outre les menaces directes à la sécurité que représentent notamment les attentats terroristes perpétrés par les combattants de retour dans leur pays, il y a le risque que ces combattants cherchent, à la fois lorsqu’ils sont à l’étranger et après leur retour, à élargir le soutien à leur cause et à étendre les réseaux de terroristes radicaux en recrutant de nouveaux adeptes, en glorifiant les actes terroristes ainsi qu’en partageant leur expérience avec de nouvelles recrues et en leur assurant une formation aux méthodes terroristes.
7. Plus largement, en exploitant abusivement les motivations religieuses de leurs choix et de leurs actes, les combattants étrangers portent réellement préjudice aux communautés religieuses auxquelles ils prétendent appartenir et pour lesquelles ils disent lutter. En conséquence, ils risquent de saper la cohésion et l’intégrité des sociétés démocratiques en exacerbant les clivages entre les divers groupes ethniques et religieux. L’Assemblée réaffirme, à cet égard, que le terrorisme ne doit être associé à aucune religion, nationalité ou groupe ethnique.
8. L’Assemblée est particulièrement inquiète de constater la proportion croissante de femmes et de jeunes filles qui partent rejoindre «EI»; en effet, dans certains pays, ce pourcentage représente plus de 40 % des départs. Tandis que pour l’instant, il semble que les femmes et les filles ne participent pas directement aux combats, il est à craindre que cela se produise à l’avenir lorsque «EI» enregistrera des pertes dans les rangs de ses combattants.
9. Le problème des combattants étrangers restera probablement au centre des préoccupations politiques au cours des années à venir et pourrait encore s’aggraver. Il est donc essentiel de mieux comprendre ses causes profondes et de concevoir des réponses politiques appropriées pour s’y attaquer. Face à la tendance à prendre rapidement et ostensiblement des mesures à court terme axées sur la protection et la répression en réaction aux menaces immédiates, l’Assemblée estime qu’une approche sécuritaire ne suffit pas et souligne la nécessité de mettre davantage l’accent sur les facteurs sous-jacents de radicalisation ainsi que sur des politiques de prévention, de dissuasion et de réinsertion qui peuvent donner des résultats à long terme.
10. Selon diverses études, la transformation d’un individu en combattant étranger est le résultat, et peut être la phase ultime, du processus de radicalisation, un phénomène complexe caractérisé par des personnes qui embrassent une idéologie radicale et adoptent des opinions et idées intolérantes qui peuvent conduire à l’extrémisme violent et à la perpétration d’actes terroristes.
11. Le plus souvent, la radicalisation résulte de l’interaction d’une série de facteurs politiques, socioéconomiques, idéologiques, personnels et psychologiques. Elle peut toucher des hommes et des femmes de toute origine sociale, notamment les jeunes, dont ceux qui sont issus des classes moyennes et détenteurs de diplômes de l’enseignement supérieur. Les individus qui se sentent marginalisés, maltraités, socialement exclus et qui cherchent désespérément un sens à la vie et une appartenance risquent grandement d’être radicalisés, endoctrinés par une propagande extrémiste, y compris par l’intermédiaire d’internet et des réseaux sociaux, et recrutés par des groupes terroristes.
12. Parmi les facteurs susceptibles de motiver la décision de se rendre dans une zone de conflit peuvent figurer le sentiment d’indignation suscité par ce qui est prétendu se passer dans le pays où le conflit fait rage et l’empathie pour les personnes touchées, l’adhésion à l’idéologie du groupe qu’un individu souhaite rejoindre et la recherche d’une identité et d’une appartenance. Les griefs engendrés par la politique étrangère, la politique nationale, le conflit intergénérationnel et la pression des pairs peuvent être d’autres motivations. En outre, les jeunes femmes et les jeunes filles peuvent, par l’intermédiaire de recruteurs sur internet, être attirées par des promesses d’amour et de mariage avec des combattants de «EI», par leur supposée «vraie virilité» et par la perspective de fonder une véritable famille islamique dans un «califat» régi par la Charia et de devenir mères de la prochaine génération de djihadistes.
13. L’Assemblée réaffirme que les réponses au terrorisme doivent être conformes au droit international et aux principes fondamentaux de la démocratie, du respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit et éviter de saper les valeurs et les normes de la démocratie que les terroristes cherchent à détruire.
14. Le problème des combattants étrangers est étudié et traité à titre de priorité par de nombreux gouvernements nationaux, agences spécialisées, centres de recherche, pouvoirs locaux ainsi que par diverses organisations régionales et internationales. L’Assemblée souligne la nécessité de mettre en commun des informations et les meilleures pratiques et d’échanger des expériences ainsi que l’importance de coordonner les efforts entre tous les acteurs concernés.
15. Compte tenu de l’extension constante du problème des combattants terroristes au-delà des frontières nationales, régionales et même continentales, l’Assemblée estime que les Nations Unies doivent continuer de jouer un rôle moteur dans l’élaboration d’une stratégie mondiale de lutte contre cette tendance dangereuse. Elle renvoie notamment à la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les «menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d’actes de terrorisme», qui traite la question des combattants terroristes étrangers.
16. Dans ce contexte, l’Assemblée se réjouit que le Conseil de l'Europe soit devenu la première organisation internationale à avoir élaboré un instrument juridique régional pour mettre en œuvre les dispositions de la Résolution 2178, en adoptant un Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 217). Tout en regrettant que le Comité des Ministres n’ait pas pris en compte les amendements proposés dans son Avis 289 (2015), l’Assemblée se félicite de l’ouverture à la signature du Protocole additionnel.
17. L’Assemblée salue, en outre, la décision du Comité des Ministres d’apporter une contribution résolue à la lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme en adoptant pour 2015-2017 un plan d’action qui vise à accroître la capacité des sociétés européennes à rejeter toutes les formes d’extrémisme. Elle souligne, en particulier, l’utilité de prendre des mesures concrètes de prévention de la radicalisation par l’éducation, dans les prisons et sur internet.
18. Pour sa part, l’Union européenne coordonne activement la réponse de ses Etats membres au problème des combattants étrangers et a élaboré, entre autres, une «stratégie visant à lutter contre la radicalisation et le recrutement de terroristes» qui regroupe des réponses politiques également applicables dans les pays n’appartenant pas à l’Union européenne.
19. Compte tenu de leur proximité avec les citoyens, les autorités locales et d’autres acteurs locaux ont un rôle clé à jouer dans la détection et la prévention précoces de la radicalisation et du départ d’Européens vers les zones de conflit, ainsi qu’en matière de réadaptation et de déradicalisation des combattants de retour dans leur pays. A cet égard, l’Assemblée se félicite des initiatives du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe visant à rassembler les représentants des autorités locales de toute l’Europe en vue de partager leurs expériences et leurs bonnes pratiques sur la prévention de la radicalisation, et à promouvoir des approches intégrées au niveau local afin de s’assurer de la participation de tous les acteurs: la société civile, les organisations confessionnelles, les services sociaux et éducatifs et les institutions policières et judiciaires.
20. L’Assemblée appelle les Etats membres, observateurs et partenaires pour la démocratie:
20.1. à trouver une réponse globale au problème des combattants étrangers en établissant un bon équilibre entre la répression des comportements criminels, la protection des populations, la prévention de la radicalisation, la déradicalisation et la réinsertion des combattants de retour dans leur communauté d’origine et à s’attaquer aux causes profondes de la radicalisation;
20.2. à établir des partenariats entre les gouvernements, les autorités locales, le secteur privé et la société civile pour faire face à la menace représentée par les idéologies extrémistes violentes;
20.3. à reconnaître et à renforcer le rôle des pouvoirs locaux dans la recherche de réponses au problème des combattants étrangers en sensibilisant l’opinion au niveau local, en renforçant les fonctions consultatives essentielles, en rassemblant, analysant et mutualisant les stratégies locales, en créant des structures multiinstitutionnelles locales ainsi qu’en concevant et en mettant en commun de nouveaux instruments et ressources;
20.4. à revoir la situation dans les systèmes d’enseignement, à promouvoir une éducation inclusive et à s’assurer que les établissements scolaires jouent pleinement leur rôle dans la formation de citoyens actifs dotés d’un sens des responsabilités et d’aptitudes à la réflexion critique, prêts à vivre dans un monde pluriel et à défendre les valeurs de la démocratie;
20.5. à élaborer des mesures efficaces pour détecter et juguler la diffusion de la propagande extrémiste violente sur internet, les réseaux sociaux et les médias;
20.6. à exploiter activement l’ensemble des moyens de communication, dont internet et les médias sociaux, pour diffuser des contre discours destinés à dénoncer les propos extrémistes et à dissiper les illusions sur la situation dans les territoires contrôlés par «EI» et le sort de ses recrues;
20.7. à renforcer le dialogue interculturel et interconfessionnel avec les chefs des diverses communautés en mettant tout particulièrement l’accent sur la prévention de la radicalisation et la nécessité de contrer le discours de haine et la propagande extrémiste violente;
20.8. à accorder toute l’attention voulue à l’éducation et à la formation des chefs religieux dans le plein respect des valeurs démocratiques fondamentales de manière à s’assurer qu’ils diffusent un message de tolérance et s’opposent au discours de haine;
20.9. à accorder une attention particulière aux moyens de prévenir la radicalisation et le recrutement de terroristes dans les établissements pénitentiaires;
20.10. à prendre dûment en compte le nombre croissant de femmes et de jeunes filles qui partent rejoindre «EI», à adopter une approche différenciée par sexe en matière de prévention et de réinsertion, à développer des contre discours ciblant plus particulièrement les femmes et les jeunes filles et à tirer pleinement parti du rôle social et familial des femmes dans la lutte contre l’extrémisme violent;
20.11. à donner un degré de priorité élevé aux programmes de déradicalisation destinés aux combattants de retour dans leur pays;
20.12. à renforcer la coopération internationale entre les autorités nationales et locales compétentes et les agences spécialisées en vue d’assurer un échange rapide d’informations utiles, d’expériences et de bonnes pratiques pour établir le contact avec les combattants étrangers dans un but de prévention, de sensibilisation, de réadaptation et de réinsertion;
20.13. à signer et ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196) et son Protocole additionnel ainsi que d’autres instruments juridiques pertinents du Conseil de l'Europe.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 7 décembre
2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire se réfère à sa Résolution … (2016) sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak.
2. Les récents attentats terroristes qui ont coûté la vie à des centaines de citoyens de la Turquie, de la Fédération de Russie, du Liban, de la France, de la Tunisie et de nombreux autres pays, exigent que la communauté internationale intensifie la coopération dans la lutte contre le terrorisme.
3. L'Assemblée est convaincue que le Conseil de l'Europe, avec sa riche expérience dans la consolidation de la démocratie, la protection des droits de l'homme, le renforcement de la prééminence du droit et dans le traitement des questions relatives à la sécurité démocratique, peut apporter une contribution plus substantielle aux efforts pour traiter les causes profondes du phénomène des combattants étrangers, et de prévenir le terrorisme en général.
4. L’Assemblée se félicite de l’adoption, par le Comité des Ministres, du Plan d’action sur la lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme. Elle invite le Comité des Ministres:
4.1. à renforcer la contribution du Conseil de l’Europe à la lutte contre le terrorisme, augmenter ses capacités et les ressources disponibles pour les activités dans ce domaine;
4.2. à assurer la mise en œuvre rapide des mesures destinées à prévenir et à combattre la radicalisation contenues dans le Plan d'action, et à donner une plus grande priorité à l'éducation à la citoyenneté démocratique;
4.3. à donner de la substance à la proposition d'élaborer une recommandation du Comité des Ministres relative aux terroristes agissant de manière isolée.
5. En outre, l’Assemblée invite le Comité des Ministres à examiner la possibilité d'élaborer, au niveau du Conseil de l'Europe, une définition juridique globale du terrorisme, qui contribuerait grandement à une coopération pan-européenne accrue sur la prévention et la répression du terrorisme, l’extradition efficace des terroristes présumés et la fourniture d'une assistance juridique mutuelle entre les Etats membres dans les affaires de terrorisme.

C. Exposé des motifs, par M. Van der Maelen, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Depuis le début des combats entre les différentes parties en Syrie et, plus récemment, en Irak et en Libye, la communauté internationale est de plus en plus préoccupée par le nombre croissant d’étrangers, principalement de jeunes hommes de nombreux pays européens, qui partent dans ces zones pour combattre.
2. Le phénomène des combattants étrangers est devenu une priorité pour la police, les procureurs, les experts de la déradicalisation, les chercheurs, les décideurs, les municipalités, les gouvernements, les organisations internationales et les groupes de réflexion.
3. L’émergence de ce phénomène, devenu une menace mondiale pour la sécurité internationale, a incité les Nations Unies à tenir une réunion ouverte du Conseil de sécurité en septembre 2014, à laquelle ont participé une cinquantaine de dirigeants du monde entier. Le Conseil a adopté à l’unanimité la Résolution 2178 (2014) dans laquelle il condamne l’extrémisme violent et décide que les Etats membres doivent, dans le respect du droit international, prévenir et éliminer «les activités de recrutement, d’organisation, de transport ou d’équipement bénéficiant à des personnes qui se rendent dans un Etat autre que leur Etat de résidence ou de nationalité dans le dessein de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer.»
4. En juin 2014, j’ai déposé une proposition de résolution sur “Les combattants étrangers en Syrie” (Doc.13559) qui a été signée par 40 membres de l’Assemblée parlementaire. La proposition demandait à l’Assemblée de mieux faire connaître le phénomène des «combattants étrangers» en Europe, d’acquérir une compréhension plus approfondie de ce phénomène, en menant des recherches sur les principales motivations des «combattants étrangers», à la fois celles qui les poussent à quitter nos pays et celles qui les attirent, et de formuler des recommandations, à l’intention des responsables politiques, de la société civile et des autres acteurs concernés, pour dissuader les jeunes citoyens européens de participer à des conflits à l’étranger et pour traiter les menaces terroristes à leur retour.
5. En janvier 2015, la commission m’a désigné rapporteur. Le 16 mars 2015, la commission a tenu une audition à Paris sur cette question avec la participation de plusieurs experts reconnus traitant des différents aspects du problème des combattants étrangers. Après l’audition, j’ai demandé à l’un d’entre eux, M. Christophe Paulussen 
			(3) 
			Christophe Paulussen
est chercheur principal en droit international humanitaire et droit
pénal international, à l’Institut T.MC. Asser, et chercheur universitaire
au Centre international du contre-terrorisme, à La Haye, Pays-Bas.
Il a publié et mené des projets concrets (renforcement des capacités)
sur le thème des combattants étrangers et coordonne, avec le professeur
de Guttry et le Dr Capone, un ouvrage collectif sur le sujet, qui
sera publié aux presses de cet Institut à l’édition Springer. Son
étude a été finalisée le 22 juin 2015., de préparer une étude approfondie sur les combattants étrangers. Le présent rapport repose en grande partie sur cette excellente étude. Je tiens à exprimer mes sincères remerciements à M. Paulussen pour sa précieuse contribution.
6. Le problème des combattants étrangers est un phénomène complexe, multidimensionnel et en rapide évolution. Le rapport, qui ne prétend pas être exhaustif, vise à présenter quelques défis majeurs et contient diverses références à d’autres sources pertinentes et instructives, notamment aux excellentes études de Mme Sandra Krähenmann et de M. Rik Coolsaet, qui ont tous deux participé à l’audition qui s’est tenue à Paris. Je suis convaincu que ces références permettront aux collègues de trouver rapidement les informations complémentaires nécessaires sur cette question d’une actualité brûlante.
7. Le phénomène des combattants étrangers s’est déjà étendu à plusieurs pays d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne et d’Asie. Ces combattants serviraient l’ensemble des protagonistes en présence en Syrie et en Irak et seraient pour la plupart originaires de la région, les Européens ne représentant selon les estimations «que» 20 % de leur nombre total. C’est pourquoi j’ai l’intention de limiter la portée de ce rapport et de m’intéresser principalement aux combattants étrangers qui quittent leur pays en Europe pour rejoindre le groupe terroriste connu sous le sigle «EI» («Daesh» an arabe) 
			(4) 
			Selon
les diverses traductions, le même groupe a porté entre autres les
noms «Etat islamique en Irak et au Levant» (EIIL) et «Etat islamique
en Irak et en Syrie» (EIIS). Récemment, le groupe a lui-même pris
officiellement le nom d'«Etat islamique» (EI). Aux fins du présent
document et par souci d'uniformité, mais sans pour autant lui reconnaître
en quoi que soit le statut d'Etat, nous faisons ici référence au
groupe en employant le sigle «EI». et d’autres groupes armés non étatiques en Syrie et en Irak.

2. Comprendre le phénomène des «combattants étrangers»

2.1. Informations générales sur le phénomène et sa définition

8. Pratiquement chaque article ou chaque contribution sur les combattants étrangers commence par la phrase «ce phénomène n’est pas nouveau». Et cela est tout à fait exact: le plus fameux des anciens combattants étrangers est probablement Oussama ben Laden 
			(5) 
			D.
Malet, Foreign Fighters: Transnational
Identity in Civil Conflicts, Oxford University Press:
Oxford 2013 (ci-après: Malet 2013), p. 2., mais qui sait que le célèbre écrivain anglais George Orwell, auteur d’ouvrages classiques comme La Ferme des animaux et 1984, a combattu dans la guerre civile espagnole contre les troupes de Franco 
			(6) 
			Ibid.,
p. 98-99.? Certains chercheurs remontent même plus loin dans l’histoire et font référence aux zouaves pontificaux: des milliers de jeunes catholiques qui, dans les années 1860, ont rejoint l’armée des Etats pontificaux dans la lutte contre le Risorgimento à l’appel du Pape Pie IX.
9. Ce qui est nouveau dans la situation actuelle, cependant, c’est l’ampleur du phénomène et de sa menace potentielle. Le 26 janvier 2015, Peter Neumann, directeur du Centre international d’études sur la radicalisation et la violence politique (ICSR), a écrit que, selon la dernière estimation en date de l’ICSR, le nombre d’étrangers ayant rejoint les organisations militantes sunnites dans le conflit en Syrie et en Irak dépasse aujourd’hui les 20 000 combattants, soit un nombre plus élevé que pendant le conflit en Afghanistan dans les années 1980 
			(7) 
			Voir
P.R. Neumann, Foreign fighter total in Syria/Iraq now exceeds 20,000;
surpasses Afghanistan conflict in the 1980s, ICSR, 26 janvier 2015, <a href='http://icsr.info/2015/01/foreign-fighter-total-syriairaq-now-exceeds-20000-surpasses-afghanistan-conflict-1980s/'>http://icsr.info/2015/01/foreign-fighter-total-syriairaq-now-exceeds-20000-surpasses-afghanistan-conflict-1980s/</a> (ci-après: Neumann 2015).. Près d’un cinquième de ce contingent, à savoir 4 000 combattants, se compose de résidents ou de ressortissants des pays d’Europe occidentale 
			(8) 
			Ibid.. Neumann note que c’est pratiquement le double de l’estimation que son organisation a effectuée en décembre 2013. Selon les estimations plus récentes des analystes des renseignements américains 
			(9) 
			New
York Times, 26 septembre 2015, <a href='http://www.nytimes.com/2015/09/27/world/middleeast/thousands-enter-syria-to-join-isis-despite-global-efforts.html?hp&action=click&pgtype=Homepage&module=first-column-region&region=top-news&WT.nav=top-news&_r=1'>www.nytimes.com/2015/09/27/world/middleeast/thousands-enter-syria-to-join-isis-despite-global-efforts.html?hp&action=click&pgtype=Homepage&module=first-column-region&region=top-news&WT.nav=top-news&_r=1.</a>, près de 30 000 combattants étrangers de plus d’une centaine de pays se sont rendus en Irak et en Syrie depuis 2011.
10. Bien que le problème soit particulièrement grave pour les pays voisins de la Syrie – le Moyen-Orient avec un chiffre qui pourrait atteindre 11 000, reste la principale source de combattants étrangers dans le conflit 
			(10) 
			Neumann
2015. – ce rapport s’intéressera principalement au contexte européen. Neumann note que les effectifs les plus importants de combattants étrangers viennent des plus grands pays d’Europe occidentale – la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, avec respectivement 1 200, 500-600 et 500-600 combattants – mais que, par rapport à la taille de la population, les pays les plus touchés sont la Belgique (440, jusqu’à 40 combattants par million d’habitants) 
			(11) 
			<a href='http://www.egmontinstitute.be/wp-content/uploads/2015/03/academia-egmont.papers.75_16x24.pdf'>www.egmontinstitute.be/wp-content/uploads/2015/03/academia-egmont.papers.75_16x24.pdf</a> (ci-après: Coolsaet 2015)., le Danemark (100-150, jusqu’à 27 combattants par million d’habitants) et la Suède (150-180, jusqu’à 19 combattants par million d’habitants) 
			(12) 
			Neumann 2015. Ce document
porte principalement sur la situation qui prévaut en Europe, mais
il serait peut-être également intéressant de noter que les combattants
étrangers les plus nombreux viennent de Tunisie (1 500-3 000) (Neumann
2015), mais qu’eu égard au nombre d’habitants, c’est la Jordanie
qui est le pays le plus durement touché (1 500, jusqu’à 315 combattants
par million d’habitants), voir Radio Free Europe, Foreign Fighters
In Iraq and Syria, <a href='http://www.rferl.org/contentinfographics/foreign-fighters-syria-iraq-is-isis-isil-infographic/26584940.html'>www.rferl.org/contentinfographics/foreign-fighters-syria-iraq-is-isis-isil-infographic/26584940.html</a>.. Cependant, les méthodes de comptage pouvant être très variables, et ce même d’un Etat membre de l’Union européenne à l’autre, les comparaisons internationales sont à pratiquer avec prudence.
11. Le 29 mai 2015, le Conseil de sécurité des Nations Unies a publié les derniers chiffres disponibles à l'époque, mais ces chiffres ne portaient pas sur les combattants étrangers en tant que tels, mais sur les combattants terroristes étrangers – cette différence sera expliquée ci-après au paragraphe 16. De plus, les chiffres ne se limitent pas à la Syrie et à l’Irak. Le Conseil de sécurité s’est dit «profondément préoccupé par le fait qu’il y a maintenant plus de 25 000 combattants terroristes étrangers, de plus de 100 pays, qui ont voyagé pour rejoindre des entités terroristes associées à Al-Qaida, dont l’“Etat islamique d’Irak et du Levant” et le Front el-Nosra, et combattre pour elles» et a noté «que ces combattants se rendent principalement mais non exclusivement en République arabe syrienne et en Irak» 
			(13) 
			Voir
le Conseil de sécurité des Nations Unies, Déclaration de la Présidente
du Conseil de sécurité, S/PRST/2015/11, 29 mai 2015, <a href='http://www.un.org/en/sc/documents/statements/2015.shtml'>www.un.org/en/sc/documents/statements/2015.shtml</a>..
12. Les chiffres ne cessent d’augmenter. En septembre 2015, le Premier ministre français Manuel Valls a informé le parlement français que l’on soupçonnait jusqu’à 1 800 citoyens et résidents français d’être impliqués dans des réseaux djihadistes à l’échelle mondiale. Environ 500 d’entre eux auraient participé à l’action militaire en Syrie et en Irak, et 133 seraient morts au combat dans ces pays 
			(14) 
			<a href='http://www.gouvernement.fr/syrie-la-france-est-en-guerre-contre-le-terrorisme-le-djihadisme-l-islamisme-radical-ce-sera-long-2873'>www.gouvernement.fr/syrie-la-france-est-en-guerre-contre-le-terrorisme-le-djihadisme-l-islamisme-radical-ce-sera-long-2873</a>.. Selon les estimations de 2015, plus de 750 citoyens britanniques se seraient infiltrés en Syrie et en Irak pour prendre part à des activités liées au terrorisme, ce qui représente une augmentation de 50 % par rapport à 2014.
13. Ce phénomène ne se limite pas à l’Europe occidentale. Le président russe Vladimir Poutine a indiqué le 16 octobre 2015 que 5 000 à 7 000 terroristes étrangers venus de Russie et de plusieurs autres pays de l’ex-Union soviétique se sont rendus en Syrie pour rejoindre «EI» 
			(15) 
			Russia Today, 16 octobre 2015, <a href='https://www.rt.com/news/318826-putin-isis-soviet-republics-fighters/'>https://www.rt.com/news/318826-putin-isis-soviet-republics-fighters/.</a>.
14. L’engagement de plus en plus marqué de jeunes femmes et filles en faveur d’«EI» est une autre tendance nouvelle préoccupante, bien que l’on ne dispose pas d’éléments fiables prouvant que des femmes s’engagent directement dans le combat – de fait, il serait inexact de les qualifier de «combattantes étrangères». Au Royaume-Uni, la disparition de trois adolescentes ayant fui de chez elles pour rejoindre «EI» en février 2015, et qui auraient par la suite suivi des formations pour des missions dites «spéciales», a suscité un vaste débat public et politique. Si ce cas peut sembler isolé, il révèle en fait une tendance: d’après le ministère français de l’Intérieur, environ 40 % des personnes susceptibles d’être recrutées par «EI» sont des femmes et des filles. Par ailleurs, selon des experts, le nombre de départs de familles entières vers la Syrie et l’Irak ne cesse de croître.
15. Il existe une variété de définitions de l’expression «combattants étrangers». Pour David Malet 
			(16) 
			Malet
2013, p. 9., expert bien connu dans ce domaine, les combattants étrangers sont des «non-citoyens de pays en conflit qui rejoignent des insurrections durant des conflits civils». Sandra Krähenmann, auteure de l’étude récente «Foreign Fighters under International Law» (Combattants étrangers sous l’angle du droit international), propose la définition suivante: «Un combattant étranger est un individu qui quitte son pays d’origine ou de résidence habituel pour rejoindre un groupe armé non étatique dans un conflit armé à l’étranger et qui est principalement motivé par l’idéologie, la religion et/ou la parenté 
			(17) 
			Voir
Académie de droit international humanitaire et de droits humains
à Genève, Academy Briefing No. 7, Foreign Fighters under International
Law, octobre 2014, <a href='http://www.geneva-academy.ch/docs/publications/Briefings and In breifs/Foreign Fighters Under International Law Briefing no7.pdf'>www.geneva-academy.ch/docs/publications/Briefings%20and%20In%20breifs/Foreign%20Fighters%20Under%20International%20Law%20Briefing%20no7.pdf (ci-après:
Krähenmann 2014), p. 6.</a>.» Dans la dernière étude en date, qui est encore en préparation, Andrea de Guttry, Francesca Capone et Christophe Paulussen définissent les combattants étrangers comme des «individus principalement motivés par l’idéologie, la religion et/ou la parenté, qui quittent leur pays de résidence habituel pour rejoindre une partie engagée dans un conflit armé» 
			(18) 
			A. de Guttry, F. Capone
and Ch. Paulussen (éd.), Foreign Fighters
under International Law and Beyond, T.M.C. Asser Press/Springer
Verlag: à paraître..
16. Même si l’on peut trouver l’expression «combattant étranger» dans les textes des Nations Unies, cette organisation se réfère principalement aux combattants terroristes étrangers, ce qui signifie que le phénomène est davantage considéré dans une perspective de lutte contre le terrorisme. L’expression «combattants terroristes étrangers» a été définie dans la résolution clé sur cette question, la Résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 24 septembre 2014, à savoir «des individus qui se rendent dans un Etat autre que leur Etat de résidence ou de nationalité, dans le dessein de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme, notamment à l’occasion d’un conflit armé» 
			(19) 
			Conseil de sécurité
des Nations Unies, S/RES/2178 (2014), 24 septembre 2014, <a href='http://www.un.org/fr/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/RES/2178%20(2014)'>www.un.org/fr/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/RES/2178%20(2014)</a> (ci-après: Résolution 2178 du Conseil de sécurité des
Nations Unies), préambule, huitième alinéa..
17. Toutefois, de l’avis de nombreux juristes, cette définition n’est pas sans poser problème. Tout d’abord, elle ne limite pas son champ d’application au terrorisme international 
			(20) 
			M. Scheinin, Back to
Post-9/11 Panic? Security Council Resolution on Foreign Terrorist
Fighters, Just Security, 23 September 2014, <a href='http://justsecurity.org/15407/post-911-panic-security-council-resolution-foreign-terrorist-fighters-scheinin'>http://justsecurity.org/15407/post-911-panic-security-council-resolution-foreign-terrorist-fighters-scheinin</a> (ci-après: Scheinin 2014). , et le terrorisme lui-même n’est pas défini 
			(21) 
			K. Ambos, Our Terrorists,
Your Terrorists? The United Nations Security Council Urges States
to Combat «Foreign Terrorist Fighters», But Does Not Define «Terrorism»,
EJIL: Talk!, 2 octobre 2014, <a href='http://www.ejiltalk.org/our-terrorists-your-terrorists-the-united-nations-security-council-urges-states-to-combat-foreign-terrorist-fighters-but-does-not-define-terrorism'>www.ejiltalk.org/our-terrorists-your-terrorists-the-united-nations-security-council-urges-states-to-combat-foreign-terrorist-fighters-but-does-not-define-terrorism</a> (ci-après: Ambos 2014).. Etant donné que la Résolution 2178, tout comme la Résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 28 septembre 2011, exige des Etats qu’ils érigent en infraction pénale certains comportements qui peuvent être liés à des actes terroristes ou à un entraînement au terrorisme 
			(22) 
			Résolution 2178 du
Conseil de sécurité des Nations Unies, paragraphe 6 du dispositif., les Etats devront utiliser leurs définitions nationales 
			(23) 
			Ambos 2014. du terrorisme, ce qui peut conduire à un risque de fragmentation puisque chaque Etat s’appuiera sur sa propre définition. En effet, le dispositif de la Résolution 2178 prévoit que:
«tous les Etats doivent veiller à ce que la qualification des infractions pénales dans leur législation et leur réglementation internes permette, proportionnellement à la gravité de l’infraction, d’engager des poursuites et de réprimer:
a) Leurs nationaux qui se rendent ou tentent de se rendre dans un Etat autre que leur Etat de résidence ou de nationalité, et d’autres personnes qui quittent ou tentent de quitter leur territoire pour se rendre dans un Etat autre que leur Etat de résidence ou de nationalité, dans le dessein de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme;
b) La fourniture ou la collecte délibérées, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, par leurs nationaux ou sur leur territoire, de fonds que l’on prévoit d’utiliser ou dont on sait qu’ils seront utilisés pour financer les voyages de personnes qui se rendent dans un Etat autre que leur Etat de résidence ou de nationalité, dans le dessein de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme;
c) L’organisation délibérée, par leur nationaux ou sur leur territoire, des voyages de personnes qui se rendent dans un Etat autre que leur Etat de résidence ou de nationalité, dans le dessein de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme, ou la participation à d’autres activités qui facilitent ces actes, y compris le recrutement.»
18. En outre, il existe un risque que les Etats emploient une définition trop large du terrorisme, susceptible de conduire à des abus, par exemple faire taire les opposants politiques sous prétexte de lutte contre le terrorisme 
			(24) 
			Scheinin
2014..
19. Un autre problème a été mis en évidence par Sandra Krähenmann, qui a noté que la mention «notamment à l’occasion d’un conflit armé» qualifiait clairement des actes régis par le droit international humanitaire (DIH) d’«actes terroristes», sans limiter ce terme aux actes interdits par le DIH, comme les attaques contre des civils ou l’exécution de personnes hors de combat. De plus, Mme Krähenmann affirme que l’adhésion à une entité qui est à la fois une partie à un conflit armé et un groupe terroriste désigné peut équivaloir à «recevoir un entraînement terroriste», nonobstant le fait que les règles du DIH peuvent s’appliquer 
			(25) 
			Krähenmann 2014, p.
42..
20. L’expression «notamment à l’occasion d’un conflit armé» peut certainement être interprétée comme telle, mais elle peut aussi être lue différemment, à savoir signifier que cette résolution s’applique à certains actes terroristes, qu’ils se produisent en temps de paix ou en temps de conflit armé. Quelle que soit la situation, la portée de cette résolution est peu claire, et pose problème puisque, comme mentionné, la résolution devra être mise en œuvre au niveau national.
21. En dépit de certains signes positifs, force est de conclure qu’il y a effectivement un risque de fragmentation, un risque que les Etats utilisent une définition trop large et un risque que ne se concrétise la crainte de Mme Krähenmann, à savoir que des personnes soient poursuivies pour infractions terroristes en raison de leur (simple) participation à un conflit armé 
			(26) 
			Pour plus d’informations,
consulter le chapitre du futur ouvrage de S. Krähenmann (voir la
note de bas de page no 4)..
22. Enfin, et de manière plus générale, il convient de noter que, même si la Résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies porte sur les combattants terroristes étrangers, les combattants étrangers ne sont pas tous des terroristes (et tous ne combattent pas). Il y a lieu de veiller à ne pas considérer le problème des combattants étrangers dans la seule perspective de lutte contre le terrorisme.

2.2. Causes profondes et motivations

23. Des paradigmes différents pouvant facilement mener à des conclusions différentes, il est très difficile d’analyser la dynamique à l’origine du problème des combattants étrangers. Il y a souvent confusion entre deux dimensions. Selon les études relatives au terrorisme traditionnel, les causes du phénomène sont à trouver dans un environnement «déclencheur» ou propice à motiver des groupes ou des individus et à les orienter vers le recours à la violence 
			(27) 
			M.
Crenshaw, «The Causes of Terrorism», in Comparative
Politics, 1981, 13:4, p. 379‑399.. Les études les plus récentes en matière de radicalisation insistent quant à elles sur l’individu et, dans une certaine mesure, sur l’idéologie et le groupe, et minimisent en revanche l’importance des facteurs d’ordre général et le contexte entourant la radicalisation 
			(28) 
			M. Sedgwick, «The Concept
of Radicalization as a Source of Confusion», in Terrorism and Political Violence,
2010, 22: 4, p. 480‑481.. La seconde dimension est celle des motivations à l’origine du cheminement vers la violence. Il ne faut pas automatiquement prendre au pied de la lettre les motivations autoproclamées de ces individus comme explication de leur comportement. Elles peuvent en effet n’être rien d’autre qu’une explication soigneusement répétée par les aspirants au combat et développée pour justifier leur comportement, plutôt qu’une tentative sincère de comprendre les motivations souvent complexes qui les poussent à se rendre dans une zone de combat lointaine 
			(29) 
			R. Coolsaet, «What
Drives Europeans to Syria, and to IS? Insights from the Belgian
Case», Egmont Paper 75, Egmont – The Royal Institute for International
Relations, Academia Press, juin 2015 (update), <a href='http://www.egmontinstitute.be/wp-content/uploads/2015/03/academia-egmont.papers.75_16x24.pdf'>www.egmontinstitute.be/wp-content/uploads/2015/03/academia-egmont.papers.75_16x24.pdf</a> (ci-après: Coolsaet 2015), p. 10.. De plus, ces propos divergent intrinsèquement des facteurs de motivation tirés d’études comparatives et pluridisciplinaires.
24. De multiples facteurs peuvent conduire à la radicalisation d’une personne, mais ils interviennent à chaque fois à des degrés divers. En effet, chaque processus de radicalisation est dans une certaine mesure singulier, et les individus se rendent en Syrie, en Irak et sur d’autres théâtres de guerre pour des raisons différentes 
			(30) 
			Voir l’interview avec
Bibi Van Ginkel in «Harde aanpak alléén werkt averechts», Rechtspraak Magazine, mars 2015, <a href='https://www.rechtspraak.nl/Organisatie/Publicaties-en-brochures/Rechtspraak/Pages/default.aspx'>https://www.rechtspraak.nl/Organisatie/Publicaties-en-brochures/Rechtspraak/Pages/default.aspx</a> (ci-après: Van Ginkel 2015), p. 24.. C’est pourquoi il est également si difficile de concevoir une solution universelle au problème.
25. Ces différents facteurs peuvent, notamment, être personnels, idéologiques ou religieux. Il y a lieu de noter cependant qu’ils n’expliquent pas nécessairement pourquoi les individus recourent à des actes de violence. Dans le texte de Pauwels et al.: «Les motifs ne sont pas et ne peuvent pas être des causes de violence politique. Les motifs expliquent pourquoi il est important d’atteindre un certain but, mais n’expliquent pas pourquoi une action spécifique est choisie parmi plusieurs possibilités pour atteindre cet objectif. Ces conditions sont nécessaires mais non suffisantes pour expliquer l’action (...). Ce qui est nécessaire pour que des motifs extrémistes deviennent des causes, c’est le rôle contributif de l’interaction entre l’exposition situationnelle et la propension à l’extrémisme 
			(31) 
			L. Pauwels, F. Brion,
B. De Ruyver, M. Easton, N. Schils et J. Laffineur, Explaining and
understanding the role of exposure to new social media on violent
extremism: An integrative quantitative and qualitative approach,
2014, summary, <a href='http://www.belspo.be/belspo/fedra/TA/synTA043_en.pdf'>www.belspo.be/belspo/fedra/TA/synTA043_en.pdf</a> (ci-après: Pauwels et al. 2014),
p. 25.)
26. Les raisons personnelles sont probablement celles qui prédominent. Le professeur Coolsaet fait valoir que «l’aliénation personnelle devient le principal moteur de leur voyage» 
			(32) 
			Coolsaet 2015, p. 8.. Les jeunes – ce sont surtout des jeunes hommes qui sont ici concernés – peuvent avoir l’impression de n’avoir aucun avenir au sein de la société moderne, où les conditions peuvent être très dures 
			(33) 
			Coolsaet 2015, p. 13., et espèrent prendre un «nouveau départ» en partant dans des endroits tels que la Syrie. Pour citer le professeur Coolsaet, «[l]a société actuelle met beaucoup plus de pression sur les jeunes qu’il y a 40 ans. Du fait de l’individualisation et de la disparition des clivages politiques, religieux et idéologiques traditionnels, les jeunes sont livrés à eux-mêmes et exposés à la société beaucoup plus tôt que par le passé. Chez les adolescents et les jeunes adultes, le besoin d’appartenance et le désir de se sentir accepté ont toujours été un aspect essentiel de la maturation. Mais aujourd’hui, c’est beaucoup plus tôt que les jeunes doivent prendre leurs propres décisions dans une société qui offre incomparablement plus de choix dans toutes les dimensions de la vie. Autrement dit, il est plus astreignant d’être jeune aujourd’hui qu’autrefois. La société est devenue plus dure (...). Les représentants des jeunes en Belgique ont récemment attiré l’attention sur le fait que beaucoup de jeunes gens sont déprimés et se sentent désespérés. La stagnation durable de l’économie et du marché du travail explique assurément en partie le fait que les jeunes d’aujourd’hui ont l’impression qu’ils ne font que tourner en rond sans perspectives d’emploi décent».
27. Les personnes dont le réseau social est pauvre pensent pouvoir ainsi se transformer assez rapidement d’un simple individu 
			(34) 
			Voir la description
faite par Aydin Soei, sociologue danois, d’Omar Abdel Hamid el-Hussein,
le tireur de la fusillade de Copenhague des 14 et 15 février 2015:
«Ce n’était pas un islamiste intellectuel avec une longue barbe,
explique M. Soei. C’était un loser du ghetto qui est très, très
en colère contre la société danoise.» A. Higgins et M. Eddy, Anger
of Suspect in Danish Killings Is Seen as Only Loosely Tied to Islam, The New York Times, 16 février 2015, <a href='http://www.nytimes.com/2015/02/17/world/europe/copenhagen-denmark-attacks.html?_r=0'>www.nytimes.com/2015/02/17/world/europe/copenhagen-denmark-attacks.html?_r=0</a>. en un guerrier puissant 
			(35) 
			Voir aussi Coolsaet
2015, p. 18: «Les informations disponibles indiquent que la majorité
de ces jeunes étaient en effet confrontés à une existence précaire,
combinée à une aliénation personnelle. La Syrie leur fournit une
échappatoire et la possibilité instantanée de repartir de zéro pour
devenir un héros. Il en va de même pour les personnes qui projettent
et commettent des attentats dans leur pays d'origine, en se prétendant
membres de l’EI, mais qui n'ont aucun lien opérationnel avec l'organisation.», respecté et craint par les autres. Elles peuvent échapper à leurs problèmes à la maison, faire partie d’une «bande de frères/sœurs», appartenir à un groupe (fraternité) et enfin faire quelque chose d’intéressant et d’exaltant de leur vie 
			(36) 
			Voir aussi Coolsaet
2015, p. 17: «Certains essayent d’échapper à des peines de prison
en fuyant vers la Syrie. D’autres adoptent la violence façon Rambo
et affichent une attitude “djihadiste c’est cool”. Certains sont
sans nul doute des psychopathes, tandis que d’autres cherchent l’aventure,
en quête de quelque chose de plus excitant que la vie quotidienne
en Belgique.». La quête d’identité et d’appartenance semble bien être d’une importance primordiale. Selon le Professeur Coolsaet, «dans les récits susmentionnés, on ne peut manquer de remarquer la fréquence avec laquelle ils se réfèrent à l’absence d’avenir, à des difficultés personnelles auxquelles il faut faire face dans la vie quotidienne. Souvent, ces récits font état d’une volonté de tout quitter, d’être «quelqu’un», d’être accepté. En bref, de trouver refuge dans un environnement plus accueillant, où ils ont l’impression de ne pas être exclus et où ils seront en mesure de prendre leur vie en mains. La quête de certitudes absolues, encore une fois, est probablement une aspiration que les adolescents et les jeunes adultes ont de tout temps partagée, mais elle est sans doute plus forte pour ce sous-groupe, elle est un moyen de sortir de la complexité de leur environnement. Et cela, l’“Etat islamique” peut l’offrir. D’autres motifs peuvent également être identifiés. Ils veulent avoir des héros – ou en devenir un eux-mêmes» 
			(37) 
			Coolsaet 2015, p. 11
et 19. Voir aussi ibid., p.
17. Voir enfin S. Maher, The roots of radicalisation? It’s identity,
stupid, The Guardian, 17 juin
2015, <a href='http://www.theguardian.com/commentisfree/2015/jun/17/roots-radicalisation-identity-bradford-jihadist-causes'>www.theguardian.com/commentisfree/2015/jun/17/roots-radicalisation-identity-bradford-jihadist-causes</a>..
28. Certains experts estiment que la déception à l’égard des conditions sociales et la quête d’identité et de sens sont les principaux facteurs qui rendent vulnérables à l’attrait de l’«Etat islamique». D’après Pauwels, «Au lieu de se concentrer sur les motivations et l’idéologie, l’attention devrait se porter sur les questions structurelles, les processus de groupe et les tensions individuelles ressenties, qui constituent le terreau de la radicalisation violente. Les vraies raisons (impérieuses) (...) pour rejoindre des groupes extrémistes sont souvent de nature sociale et reposent sur des sentiments d’indignation et de perte de repères (...). Les personnes en quête d’inclusion sociale, d’identité/de sens et qui connaissent l’injustice sont particulièrement sensibles à l’extrémisme violent. Les groupes extrémistes renforcent souvent, cultivent voire installent ces griefs en utilisant un discours de polarisation et en fournissant des réponses simples, logiques et commodes. Plus précisément, les groupes extrémistes répondent aux besoins des individus en leur offrant 1) un fort sentiment d’identité, 2) une réponse politique militante face à l’injustice et 3) un foyer chaleureux et un sentiment d’appartenance (...). Si ces choses ne peuvent être trouvées dans le reste de la société (ou si la société ne parvient pas à les leur offrir), les groupes extrémistes peuvent devenir très attrayants pour l’individu» 
			(38) 
			Pauwels et al. 2014, p. 25. De plus, les problèmes de santé mentale peuvent aussi jouer un rôle dans ce contexte, bien que les points de vue divergent sur la question 
			(39) 
			Voir aussi A.W. Weenink,
Behavioral Problems and Disorders among Radicals in Police Files,
Perspectives on Terrorism, vol. 9, no 2
(2015), <a href='http://www.terrorismanalysts.com/pt/index.php/pot/article/download/416/826'>www.terrorismanalysts.com/pt/index.php/pot/article/download/416/826. </a>Mais
il y a lieu de noter que cette dernière étude a également été critiquée,
voir J.Barbier et M. Keulemans, «Heeft merendeel jihadisten psychische
problemen», De Volkskrant,
11 juin 2015, <a href='http://www.volkskrant.nl/dossier-klopt-dat-wel-/heeft-merendeel-jihadisten-psychische-problemen~a4070300/'>www.volkskrant.nl/dossier-klopt-dat-wel-/heeft-merendeel-jihadisten-psychische-problemen~a4070300/</a>). Voir enfin Pauwels et al. 2014,
p. 24: «Dès le début de notre étude, il nous est clairement apparu
que les extrémistes violents ne sont pas aliénés ni délirants lorsqu’ils
commettent des actes de violence politique.».
29. Sur le plan idéologique, nombre de combattants étrangers peuvent tout simplement être en colère ou extrêmement désabusés, et dans de nombreux cas pour des motifs valables. Ils sont en colère à cause de ce qui se passe au Moyen-Orient (la brutalité avec laquelle le régime Assad en Syrie a écrasé les manifestations initiales) et déçus par le monde occidental qui ne fait pas grand-chose, voire aggrave la situation 
			(40) 
			Voir
aussi Coolsaet 2015, p. 17. (par exemple, l’intervention américaine en Irak en 2003, qualifiée d’illégale par l’ancien Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan) 
			(41) 
			E. MacAskill et J.
Borger, Iraq war was illegal and breached UN charter, says Annan, The Guardian, 16 septembre 2004, <a href='http://www.theguardian.com/world/2004/sep/16/iraq.iraq'>www.theguardian.com/world/2004/sep/16/iraq.iraq</a>. Il convient de noter qu’ISIS (l’Etat islamique en Irak
et en Syrie) a succédé à ISI (Etat islamique d’Irak), lui-même issu
d’AQI (Al-Qaïda en Irak), fondé par Al-Zarqaoui en réponse à l’invasion
américaine de 2003..
30. D’après une étude récente de Ross Frenett et de Tanya Silverman basée sur des entretiens avec des personnes qui ont été touchées par le phénomène des combattants étrangers, les facteurs qui influent le plus sur le choix de se rendre dans une zone de conflit pour prendre part au combat sont: «1) l’indignation face à ce qui se passe supposément dans le pays où les conflits ont lieu et l’empathie pour les personnes concernées; 2) l’adhésion à l’idéologie du groupe que la personne souhaite rejoindre; et 3) la quête d’identité et d’appartenance. (…) Au nombre des autres facteurs supposés courants (…) figurent: les désaccords avec les politiques étrangères, les politiques nationales, le conflit intergénérationnel et la pression des pairs».
31. Quant à la dimension religieuse, les jeunes musulmans peuvent être aux prises avec les grandes questions de la vie – qui suis-je? où vais-je? – mais décider de n’aller ni à la mosquée ni voir l’imam pour trouver des réponses. Ils peuvent «bricoler» leur propre islam dans des sous-sols, avec l’aide de recruteurs et via internet – un internet qui peut être fort peu nuancé et donc très attrayant pour des personnes qui recherchent une direction claire. Plus spécifiquement, d’après une étude récente de l’Institut pour le dialogue stratégique, les trois grands motifs qui poussent à rejoindre l’«Etat islamique» en lien avec l’Islam sont: 1) la protection de la communauté musulmane [Oumma] contre les attaques; 2) l’instauration du califat; et 3) le respect du devoir et de l’identité individuels 
			(42) 
			C. Hoyle, A. Bradford
et R. Frenett, Becoming Mulan? Female Western Migrants to ISIS,
Institut pour le dialogue stratégique, 2015..
32. Au vu du nombre croissant de jeunes femmes et filles quittant l’Europe pour rejoindre «EI», il est important de comprendre leurs profils et leurs motivations. Des études récemment réalisées par l’Institut pour le dialogue stratégique 
			(43) 
			Voir par exemple C.
Hoyle, A. Bradford et R. Frenett, «Becoming Mulan? Female Western
Migrants to ISIS» et E. M. Saltman et M. Smith, «Till Martyrdom
Do Us Part» Gender and the ISIS Phenomenon, publiés par l’Institut
pour le dialogue stratégique, 2015. sur la question montrent que les recrues féminines d’Europe sont de plus en plus jeunes et parfois issues de milieux sociaux plutôt aisés. Bien que les motivations et raisons de rejoindre l’«Etat islamique» diffèrent dans chaque cas particulier, elles sont pour la plupart semblables à celles des combattants masculins: le sentiment que la communauté musulmane est attaquée, le devoir religieux et idéologique d’agir, une quête de camaraderie et le désir de donner un sens à leur vie. Cependant, l’attrait de la mission de l’«EI» consistant à bâtir un Etat semble plus fort chez les femmes. En outre, les jeunes filles peuvent être séduites, via des recruteurs sur internet, par des promesses d’idylle ou de mariage avec des combattants de l’«EI» et leur apparente «virilité authentique», ainsi que par la perspective de fonder une authentique famille islamique au sein d’un «califat» régi par la charia et de devenir les mères de la prochaine génération de djihadistes. Très souvent, c’est pour une «histoire d’amour» virtuelle en ligne avec un prétendu «amant» qui se révèle être un recruteur habile que les jeunes femmes se lancent dans l’aventure.
33. Quant au rôle des nouveaux médias sociaux, il peut être intéressant de se référer à l’étude majeure de Pauwels et al., qui «évalue l’incidence de l’exposition à des contenus extrémistes par le biais des nouveaux médias sociaux sur les processus de radicalisation et de recrutement chez les adolescents belges. La question centrale de cette étude porte sur le rôle des nouveaux médias sociaux dans le processus de radicalisation violente» 
			(44) 
			Pauwels et al 2014, p. 2.. L’étude a conclu ce qui suit:
«1. Il faut garder à l’esprit que, parallèlement à l’exposition à des contenus extrémistes par le biais des nouveaux médias sociaux, l’exposition au monde réel/hors ligne (par exemple, les pairs) est tout aussi importante.
2. C’est surtout l’exposition active aux nouveaux médias sociaux qui est importante. L’effet des informations et de la propagande extrémistes qui sont délibérément recherchées est beaucoup plus fort que l’effet des mêmes informations et de la même propagande lues par hasard.
3. L’effet de l’exposition aux nouveaux médias sociaux augmente de manière exponentielle lorsque le taux d’exposition est très élevé. Cela signifie que le plus grand danger réside dans une exposition répétée et constante, par rapport à des taux d’exposition faibles ou moyens.
4. Il existe une interaction entre la propension individuelle à l’extrémisme violent et l’exposition à l’extrémisme violent par le biais des nouveaux médias sociaux. Ces derniers auront un effet beaucoup plus fort sur les individus qui présentent des attitudes extrémistes déjà fortes que sur les personnes ayant une tendance faiblement ou moyennement extrémiste.
5. Jusqu’à un certain niveau, l’effet de l’exposition aux nouveaux médias sociaux ne pose pas problème, quelles que soient la propension et le niveau d’exposition. Toutefois, après un certain point de rupture, cet effet augmente de manière exponentielle. Ainsi, bien que l’exposition ait toujours une influence sur les individus, il est inutile de paniquer au sujet des faibles niveaux d’exposition (même s’il s’agit d’une exposition active), parce qu’ils ne provoquent qu’une très faible augmentation de la violence politique. Bien sûr, la difficulté consiste à déterminer où se situe le point de rupture dans la réalité 
			(45) 
			Ibid.,
p. 13. Voir aussi Coolsaet 2015, p. 11-12.
34. De plus, le climat politique qui prévaut dans les pays d’origine potentiels des combattants étrangers peut être perçu comme agressif et propice à l’aliénation. Les déclarations de responsables politiques de droite comme le député néerlandais Wilders peuvent sans doute inciter certains jeunes à s’éloigner de la société néerlandaise. La discrimination sur le marché du travail est tout aussi problématique et peut exacerber le sentiment d’exclusion que nourrissent certaines personnes, à tort ou à raison, et qui les pousse à chercher un «ailleurs» pour poursuivre leur vie 
			(46) 
			Voir
aussi Coolsaet 2015, p. 15-16..
35. Il importe aussi de souligner que les motivations peuvent changer, suivant l’évolution du conflit dont la nature peut elle-même changer. Il se peut que les personnes soient initialement parties en Syrie pour des raisons idéologiques, à savoir défendre des citoyens sans défense contre un dictateur brutal, puis leur motivation se transforme en désir d’aider «le califat» de l’«Etat islamique en Irak et en Syrie» (ISIS). D’autres peuvent se retrouver dans des organisations criminelles, impliqués dans le trafic d’armes, de drogues et d’êtres humains.
36. Il est clair que le mot «peut» revient souvent dans cette section. Il est donc nécessaire de mieux comprendre les facteurs d’attraction et de répulsion qui déterminent le phénomène des combattants étrangers.

2.3. Incidences pour les pays/sociétés d’origine

37. L’impact du conflit en Syrie et en Irak est très grave pour les pays eux-mêmes, en termes de peur, de destruction, de perte de vies innocentes, etc. Les Etats voisins, qui doivent accueillir des centaines de milliers de réfugiés et qui peuvent être confrontés à un débordement du conflit, souffrent eux aussi énormément de la guerre.
38. Toutefois, pour l’Europe, la plus grande crainte en relation avec le phénomène des combattants étrangers est sans doute le risque que nous ayons à faire face à un attentat terroriste comme ceux de Madrid ou de Londres, perpétré par des Européens de retour dans leur pays d’origine après être partis dans une zone de conflit. Lors de l’audition à Paris, Mats Benestad, coordinateur du sous-groupe sur la radicalisation et la réception d’un entraînement pour le terrorisme, y compris via internet, du Comité d’experts sur le terrorisme du Conseil de l’Europe (CODEXTER) a prévenu que «l’enseignement que nous pouvons tirer de conflits historiques comme l’Afghanistan, c’est que le risque d’une radicalisation encore plus forte des combattants étrangers du fait de leur participation au conflit est très réel. L’entraînement au maniement des armes et des explosifs peut être mis à profit pour commettre des attentats terroristes à leur retour en Europe» 
			(47) 
			Voir Conseil de l’Europe
2015..
39. La question est de savoir dans quelle mesure le risque qu’un tel attentat se produise est élevé. «Sur l’ensemble des terroristes djihadistes qui ont été condamnés pour des activités liées au terrorisme en Europe entre 2001 et 2009, environ 12 % avaient été à l’étranger avant l’attentat, soit pour des motifs idéologiques, soit pour un entraînement militaire, soit pour participer à des conflits étrangers. 
			(48) 
			Voir E. Bakker, Ch.
Paulussen et E. Entenmann, Dealing with European Foreign Fighters
in Syria: Governance Challenges & Legal Implications, ICCT Research
Paper, 16 décembre 2013, <a href='http://www.icct.nl/download/file/ICCT-Bakker-Paulussen-Entenmann-Dealing-With-European-Foreign-Fighters-in-Syria.pdf'>www.icct.nl/download/file/ICCT-Bakker-Paulussen-Entenmann-Dealing-With-European-Foreign-Fighters-in-Syria.pdf</a>, p. 4.»
40. Même si ce pourcentage peut sembler relativement faible, les chiffres absolus sont en hausse et, de ce fait, le risque d’attentat également, si on applique le même pourcentage à des nombres plus importants. En outre, il faut garder à l’esprit que, malgré tous les calculs basés sur des pourcentages, en fin de compte il suffit d’une seule personne de retour pour «réussir» un attentat, comme en témoignent ceux de Toulouse (Merah) et Bruxelles (Nemmouche). Les récents attentats de Paris offrent de nouvelles preuves de la réalité de cette menace.
41. On ne doit pas non plus sous-estimer le risque que posent les personnes qui ne se rendent même pas en Syrie ou en Irak, mais sympathisent néanmoins avec le djihad violent. Ces extrémistes pourraient se livrer, dans leur pays, à des crimes inspirés par de précédents faits d’armes et causer de graves dommages sans avoir traversé de frontières, comme ce fut le cas dans les incidents et attentats récemment perpétrés en Australie, au Canada et au Danemark.
42. Outre les attentats commis par un seul terroriste isolé, il y a aussi le risque de formation de nouveaux réseaux terroristes ou de renforcement des réseaux existants. Al-Qaïda a été établi par un réseau d’anciens combattants étrangers à la fin de l’intervention soviétique en Afghanistan dans les années 1980; or il y a d’ores et déjà plus de combattants étrangers qu’après dix ans de guerre en Afghanistan 
			(49) 
			Voir
aussi R. Briggs et T. Silverman, Western Foreign Fighters: Innovations
in Responding to the Threat, Institute for Strategic Dialogue, 2014, <a href='http://www.strategicdialogue.org/ISDJ2784_Western_foreign_fighters_V7_WEB.pdf'>www.strategicdialogue.org/ISDJ2784_Western_foreign_fighters_V7_WEB.pdf</a>, p. 49: «Les conflits précédents nous ont appris que
les personnes rentrent chez elles avec un bon réseau et bien entraînées ;
la dernière fois que quelque chose de semblable s’est produit, al-Qaïda
s’est formé.». Des réseaux se constituent aujourd’hui entre des individus (soit en Irak et en Syrie, soit avec des individus résidant dans d’autres pays, y compris leur pays d’origine) et même entre des organisations (voir par exemple la promesse d’allégeance de Boko Haram à l’«Etat islamique») 
			(50) 
			Voir «Nigeria’s Boko
Haram pledges allegiance to Islamic State», BBC, 7 mars 2015, <a href='http://www.bbc.com/news/world-africa-31784538'>www.bbc.com/news/world-africa-31784538</a>..
43. A plus long terme, ce qui est encore beaucoup plus inquiétant pour la société, c’est que «la route que ces jeunes gens choisissent non seulement les conduit à l’extrémisme et à la violence terroriste, mais en outre engendre une réaction en retour dans leur pays d’origine en renforçant l’animosité contre l’islam et contre les musulmans – ce qui était justement l’un des aspects de l’environnement qu’ils avaient fui ou en réaction auquel ils étaient partis» 
			(51) 
			Coolsaet 2015, p. 18..

3. Réponses au niveau national et local

44. Pour endiguer le flux de combattants étrangers en Syrie et en Irak et pour contrer le risque que les combattants de retour peuvent poser, diverses réponses sont envisageables, à différents niveaux. Citons les politiques de prévention, les programmes de déradicalisation, les campagnes de contre-discours, les poursuites pénales, le suivi et les sanctions administratives, y compris le retrait du passeport et même celui de la nationalité.
45. Malgré une prise de conscience croissante de la nécessité d’une stratégie équilibrée combinant des mesures axées sur la sécurité et la prévention, c’est la sécurité qui est jusqu’à présent considérée comme une priorité. Edwin Bakker et Mark Singleton soulignent qu’en Occident, la réponse politique à la radicalisation, à l’extrémisme violent et au terrorisme se concentre davantage sur la protection et la répression que sur la dissuasion ou la réintégration. Aux Etats-Unis, en Australie et au Canada, la radicalisation, l’extrémisme violent et le terrorisme sont généralement vus à travers le prisme de la «sécurité intérieure», souvent sans distinction nette entre les causes et objectifs de leurs manifestations diverses. En Europe, au cours du sommet des chefs d’Etat européens du 12 février 2015, de nouvelles mesures visant à contrer la menace perçue ont été adoptées et légitimées au nom de la protection des valeurs et de la société occidentale. Les mesures concrètes consistent essentiellement en des actions «dures» et répressives à court terme, et s’intéressent aux symptômes plutôt qu’aux causes profondes. Ayant pour objectifs de dissuader, désorganiser, détecter et détenir, de séparer et d’augmenter le «coût» de la radicalisation, ces mesures consistent notamment à ériger en infractions la préméditation ou les actes, à octroyer des compétences et ressources plus larges aux forces de sécurité, à renforcer les contrôles frontaliers et – plus particulièrement, eu égard à l’opposition passée entre le Parlement européen et les législateurs nationaux – à adopter le transfert des dossiers passagers (données PNR), jusqu’ici controversé 
			(52) 
			E. Bakker et M. Singleton,
«Foreign Fighters in the Syria and Iraq Conflict: Statistics and
Characteristics of a Rapidly Growing Phenomenon», in: A. de Guttry,
F. Capone et Ch. Paulussen (éd.), Foreign
Fighters under International Law and Beyond, T.M.C. Asser
Press/Springer Verlag: à paraître..
46. En parallèle, «à l’autre extrémité de la chaîne, des voix de la société civile et des gouvernements occidentaux se sont également élevées pour souligner l’importance de mesures préventives «plus modérées», comme des obstacles normatifs mis en place par la diffusion de messages positifs, un engagement communautaire, l’arrêt des recrutements grâce à la transmission de contre-discours, et la nécessité de l’intégration dans la société par le jeu de programmes en faveur du désengagement, de l’éducation et de l’emploi» 
			(53) 
			Ibid. .
47. Par ailleurs, dans les pays non européens, «nous observons une tendance à l’adoption de mesures fortes et dynamiques qui risquent de porter atteinte aux principes des droits de l’homme et de l’Etat de droit. La montée en puissance de l’“Etat islamique” en Irak et en Syrie, ainsi que la multiplication d’acteurs non étatiques affiliés violents, par exemple au Pakistan, en Libye et en Egypte, ainsi que le nombre croissant de combattants étrangers originaires de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), ont fourni à ces régimes un prétexte commode pour consolider leur assise politique nationale et sévir non seulement contre des groupes d’opposition islamistes tels que les salafistes, les Frères musulmans, le Hamas et les talibans pakistanais, mais aussi contre les partis d’opposition laïcs d’organisations de la société civile. Il est de plus très probable que l’adoption d’une nouvelle législation de lutte contre le terrorisme susceptible de réduire l’espace laissé à une opposition légitime renforcera l’extrémisme plutôt qu’elle ne l’affaiblira» 
			(54) 
			Ibid..
48. Même si, sur le papier, l’accent porte aujourd’hui davantage sur l’aspect préventif que par le passé (voir aussi la Résolution 2178 du Conseil de sécurité), dans la pratique, il semble que les Etats veuillent toujours surtout «montrer les muscles» 
			(55) 
			A. Reed, J. De Roy
van Zuijdewijn et E. Bakker, Pathways of Foreign Fighters: Policy
Options and Their (Un)Intended Consequences, ICCT
Policy Brief, avril 2015, <a href='http://www.icct.nl/download/file/ICCT-Reed-De-Roy-Van-Zuijdewijn-Bakker-Pathways-Of-Foreign-Fighters-Policy-Options-And-Their-Un-Intended-Consequences-April2015%281%29.pdf'>www.icct.nl/download/file/ICCT-Reed-De-Roy-Van-Zuijdewijn-Bakker-Pathways-Of-Foreign-Fighters-Policy-Options-And-Their-Un-Intended-Consequences-April2015%281%29.pdf</a>, p. 7: «Dans le contexte des politiques sur les combattants
étrangers (de retour), la tendance générale est un mouvement lent
mais régulier vers des mesures plus répressives et l’ouverture de
poursuites contre ceux qui rentrent.». Pas dans les proportions qui ont suivi directement les attentats terroristes du 11 septembre à New York et à Washington, mais il faut toujours prendre garde de ne pas tomber dans le piège de l’après-11 septembre 
			(56) 
			Scheinin 2014.. Les remarques du Président américain Barack Obama sur Guantánamo 
			(57) 
			«Remarks by the President
on National Security», The White House, Office of the Press Secretary,
21 mai 2009, <a href='https://www.whitehouse.gov/the_press_office/Remarks-by-the-President-On-National-Security-5-21-09/'>https://www.whitehouse.gov/the_press_office/Remarks-by-the-President-On-National-Security-5-21-09/</a>: «Au lieu de servir d’outil pour lutter contre le terrorisme,
Guantanamo est devenu un symbole qui a aidé Al-Qaïda à gagner des terroristes
à sa cause. De fait, l’existence de Guantanamo a vraisemblablement
créé davantage de terroristes dans le monde qu’il n’a hébergé de
détenus.» montrent bien les difficultés auxquelles les Etats peuvent être confrontés par suite de politiques répressives.
49. Le discours public, dans l’élaboration des diverses réponses, revêt également une grande importance. Il n’est sans doute pas judicieux de dire qu’ici, en Europe, nous sommes en guerre contre les terroristes, selon les propos du Premier ministre français Manuel Valls 
			(58) 
			France attacks: War
with terrorism not Islam, PM Valls says, BBC, 13 janvier 2015, <a href='http://www.bbc.com/news/world-europe-30794973'>www.bbc.com/news/world-europe-30794973</a>.. Ce serait, après tout, faire beaucoup d’honneur aux terroristes, car ils veulent précisément être vus comme des combattants 
			(59) 
			Voir aussi G. De Kerchove
et Ch. Höhn, Counter-Terrorism and International Law Since 9/11,
Including in the EU-US Context, in: T. D. Gill, T. McCormack, R.
Geiss, R. Heinsch, Ch. Paulussen et J. Dorsey (éd.), Yearbook of International Humanitarian Law,
vol. 16 (2013), T.M.C. Asser Press: The Hague 2015, p. 27: «Le terrorisme
est un crime qui doit faire l’objet d’une enquête et de poursuites.
Traiter le terrorisme comme un crime ôte toute gloire aux terroristes
et les montre comme les criminels qu’ils sont (alors qu’eux voudraient
être considérés comme des combattants et des martyrs).» – ce qu’ils ne sont pas, car ils tuent des civils non armés. Il est plutôt recommandé qu’en dehors des situations de conflit armé, ils soient considérés comme de simples criminels, relevant tout simplement du système de droit pénal commun, compte tenu de chaque cas d’espèce, et en particulier du fait que certains peuvent être très jeunes. Il ne faut pas suivre les terroristes dans leur rhétorique de guerre, car c’est exactement ce qu’ils attendent.
50. Concernant les poursuites pénales, il est bien sûr extrêmement difficile d’établir et de prouver exactement ce que ces personnes font en Syrie ou en Irak, en raison de la situation chaotique qui y règne, à moins qu’ils ne filment leurs crimes et mettent les vidéos en ligne.
51. Les déclarations de compagnons de voyage peuvent aussi être très utiles. C’est le cas par exemple de Jejoen Bontinck, un ancien membre de Sharia4Belgium. Le 11 février 2015, le tribunal de première instance d’Anvers a rendu son jugement dans une affaire contre 46 membres présumés de ce groupe, «le plus grand procès en Europe contre des personnes accusées d’avoir favorisé la violence islamiste en Syrie» 
			(60) 
			R.-J. Bartunek,
In Europe, parents’ dismay as Syria jihad lures troubled teens, Reuters, 8 février 2015, <a href='http://www.reuters.com/article/2015/02/08/us-mideast-crisis-belgium-trial-idUSKBN0LC0II20150208?feedType=RSS&feedName=worldNews&rpc=69'>www.reuters.com/article/2015/02/08/us-mideast-crisis-belgium-trial-idUSKBN0LC0II20150208?feedType=RSS&feedName=worldNews&rpc=69</a>.. Les déclarations de Jejoen, qui a été détenu par certains de ses co-inculpés en Syrie, se sont avérées très utiles pour le ministère public et les juges, qui ont trouvé son témoignage «complet et crédible» 
			(61) 
			Rechtbank van eerste
aanleg Antwerpen, Press Release on the Syria Fighters Trial, 14
janvier 2015, <a href='http://www.rechtbankeersteaanlegantwerpen.be/index.php/83-persinformatie/110-terro'>www.rechtbankeersteaanlegantwerpen.be/index.php/83-persinformatie/110-terro</a>, p. 80..
52. L’approche pénale n’est évidemment qu’une des nombreuses réponses possibles, et il est clair qu’une approche répressive ne sera pas efficace à elle seule. De fait, elle peut même être contreproductive 
			(62) 
			Van Ginkel 2015, p.
24. . D’après Singleton, «Les données empiriques indiquent que la légitimité perçue des politiques antiterroristes est le principal facteur qui conditionne la volonté de soutien et d’aide des communautés musulmanes aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Des politiques agressives de lutte contre le terrorisme, à l’inverse, ont partout eu pour effet d’aliéner les communautés musulmanes. Nous ne devrions jamais permettre que les atteintes aux droits civils et aux libertés commises à Paris ouvrent une boîte de Pandore de mesures draconiennes qui, en définitive, ne serviront qu’à restreindre les fondements de nos sociétés et à nous rendre plus vulnérables» 
			(63) 
			M. Singleton, Paris
7-8 January: Darkness in the City of Light , ICCT Op-Ed, 9 janvier
2015, <a href='http://icct.nl/publication/paris-7-8-january-darkness-in-the-city-of-light/'>http://icct.nl/publication/paris-7-8-january-darkness-in-the-city-of-light/</a>.. Il faut un équilibre entre les différentes mesures, et les Etats devraient sans doute se concentrer davantage sur les politiques de prévention, au lieu de combattre les symptômes sans résoudre vraiment les problèmes sous-jacents.
53. Les mesures préventives, en revanche, contribueront à des politiques efficaces sur le long terme, mais le succès de ces mesures «douces» n’est pas immédiat et est difficile à mesurer. Il est plus facile de montrer que la police a arrêté un certain nombre de suspects et que les tribunaux ont condamné un certain nombre de personnes, que de prouver l’efficacité de mesures préventives. Comment prouver que quelqu’un ne s’est pas radicalisé ? En effet, il est presque impossible de démontrer l’efficacité de la prévention. Cela ne signifie pas, toutefois, que les sociétés ne doivent pas investir dans la prévention, car celle-ci a sans aucun doute un effet indirect sur les causes profondes, qui contribue à une approche durablement viable pour résoudre – ou tout au moins pour maîtriser dans une certaine mesure – ce problème sur le long terme 
			(64) 
			Voir aussi
Pauwels et al. 2014, p. 27:
«Il est problématique, qu’à ce jour, seuls quelques projets soient
évalués de manière scientifique. Cependant, les études menées sur
des projets visant à réduire la violence chez les jeunes en général
montrent que seuls les projets qui commencent par la prévention
à un stade très précoce sont efficaces sur le long terme.».
54. Pour illustrer les effets préventifs potentiels de certaines mesures, on peut distinguer des solutions applicables au niveau individuel (par exemple, une ligne téléphonique d’urgence pour les parents dont les enfants sont radicalisés), au niveau du groupe (par exemple, un contre-discours crédible, de préférence de la part d’un ancien combattant étranger déçu de son expérience) 
			(65) 
			R. Barrett, Foreign
Fighters in Syria, The Soufan Group, juin 2014, <a href='http://soufangroup.com/wp-content/uploads/2014/06/TSG-Foreign-Fighters-in-Syria.pdf'>http://soufangroup.com/wp-content/uploads/2014/06/TSG-Foreign-Fighters-in-Syria.pdf</a>, p. 30: «Un combattant de retour aura beaucoup de crédibilité
dans les milieux radicaux de son pays d’origine. S’il plaide contre
la participation à la guerre, et plus généralement contre le discours
d’Al-Qaïda, cela sera probablement plus efficace que toutes les
mesures que peut prendre un gouvernement.», mais aussi au niveau de la société/de l’Etat 
			(66) 
			Van Ginkel 2015, p.
24..
55. Les Etats doivent faire de sérieux efforts pour éradiquer, par exemple, la discrimination sur le marché du travail. En effet, l’analyse réalisée par Pauwels et al. montre également que «1) des signes d’une mauvaise intégration sociale, 2) la perception d’une discrimination envers le groupe et d’une discrimination personnelle et 3) le sentiment que les autorités sont injustes et par conséquent illégitimes contribuent grandement à la violence politique» 
			(67) 
			Pauwels et al. 2014, p. 26.. Plus concrètement, on peut penser à la discrimination sur le marché du logement ou du travail, au sentiment d’être particulièrement ciblé lors des contrôles de police, etc. 
			(68) 
			Ibid..
56. Une plus grande attention devrait donc être portée à ces éléments lors de l’élaboration des politiques de prévention. Par exemple, «la politique devrait (...) viser à améliorer la confiance dans les autorités et le sentiment général de leur légitimité, et plus particulièrement lutter contre les actions injustes et partiales de la police (ou contre la vision de ces actions comme étant injustes et partiales)» 
			(69) 
			Ibid., p. 27.. Par ailleurs, «il est possible de rendre les jeunes plus résilients à l’égard de l’extrémisme violent en leur dispensant une formation pour leur apprendre à faire face aux problèmes et aux situations difficiles» 
			(70) 
			Ibid., p. 28..
57. Il est impératif que les politiques de prévention se fondent sur une compréhension claire des groupes de la société les plus vulnérables au discours extrémiste et qui risquent d’être radicalisés et recrutés pour se rendre en Syrie et en Irak. Par exemple, les établissements scolaires, les universités et les prisons comptent parmi les lieux où la radicalisation se produit le plus fréquemment.
58. A cet égard, les structures éducatives peuvent jouer un rôle essentiel en formant des citoyens actifs dotés d’un sens des responsabilités et d’un esprit critique, et prêts à vivre dans la diversité et à défendre les valeurs de la démocratie. Pour ce faire, il conviendrait de faire une plus grande place à l’enseignement des droits de l’homme, à la délibération et à la prise de décision démocratiques, à la justice sociale, à la société multiculturelle, à la tolérance et au respect mutuel. Il importe aussi que les théories apprises soit effectivement mises en pratique en classe. L’attitude des enseignants vis-à-vis de leurs élèves pourra ainsi contribuer à développer la tolérance, le respect envers autrui, ainsi qu’une approche collective de la résolution des problèmes.
59. Eu égard à la tendance inquiétante de l’augmentation des départs de jeunes femmes et de jeunes filles, il convient de s’efforcer tout particulièrement de toucher ce public et de concevoir des contre-discours pour faire front à la propagande djihadiste qui dépeint une vie heureuse et héroïque sous la charia et le destin glorieux d’une femme de combattant de l’«EI». Les récits de personnes de retour décrivant la réalité de la vie au sein de l’«EI» qui sont probablement la meilleure arme à employer pour dissuader les gens de partir pour les zones de conflit peuvent avoir un effet particulièrement fort sur les filles et les femmes.
60. L’identification des sympathisants et des défenseurs potentiels de l’«Etat islamique» à un stade précoce pourrait être l’outil le plus efficace en matière de prévention. A cet égard, certaines expériences nationales méritent d’être partagées. Par exemple, le ministère français de l’Intérieur a lancé en avril 2014 une ligne d’assistance téléphonique gratuite pour les personnes qui s’inquiètent du comportement de leurs proches et craignent qu’ils ne soient victimes d’un endoctrinement extrémiste. En octobre 2015, plus de 3 000 personnes à risque avaient été identifiées et prises en charge. De plus, des vidéos d’entretiens de parents dont les enfants sont partis en Syrie sont diffusées sur les chaînes de télévision nationales.
61. Il est essentiel que les jeunes se sentent chez eux et intégrés. Trop souvent, les propos des responsables politiques mettent à mal cette idée. Le maire de Rotterdam a déclaré que si des ressortissants néerlandais voulaient partir pour la Syrie et l’Irak, ils n’avaient qu’à y aller, mais qu’alors «il n’y aurait pas de possibilité de retour. Rendez votre passeport et prenez le risque de vous faire bombarder» 
			(71) 
			Rotterdam’s mayor praised
in Britain for «f*** off» jihadi stance, DutchNews.nl,
13 janvier 2015, 
			(71) 
			<a href='http://www.dutchnews.nl/news/archives/2015/01/rotterdams-mayor-praised-in-britain-for-f-off-jihadi-stance/'>www.dutchnews.nl/news/archives/2015/01/rotterdams-mayor-praised-in-britain-for-f-off-jihadi-stance/</a>.. Et le Premier ministre néerlandais, au cours d’un débat électoral, s’est récemment dit d’accord avec l’affirmation selon laquelle il serait préférable que les djihadistes néerlandais qui se rendent en Syrie y meurent plutôt que de rentrer aux Pays-Bas 
			(72) 
			Prime
minister defends «better dead» jihadi comments , DutchNews.nl, 6 mars 2015, 
			(72) 
			<a href='http://www.dutchnews.nl/news/archives/2015/03/prime-minister-defends-better-dead-jihadi-comments/'>www.dutchnews.nl/news/archives/2015/03/prime-minister-defends-better-dead-jihadi-comments/</a>.. De telles déclarations ne peuvent sans doute qu’accroître le problème.
62. Dans le même temps, force est de convenir avec Coolsaet que «l’action gouvernementale ne peut être qu’une partie de la solution, peut-être même une toute petite partie. Dans le domaine de la sécurité, les autorités jouent un rôle irremplaçable. En matière de prévention, en revanche, la responsabilité est beaucoup plus largement partagée et la participation du plus grand nombre est nécessaire» 
			(73) 
			Coolsaet 2015, p. 24..
63. Cependant, lorsqu’on examine les mesures plus répressives prises par les Etats, il semble que nombre de ces mesures soient aujourd’hui proposées et adoptées, sans que l’on ait vraiment évalué si elles étaient efficaces ou nécessaires. Ainsi, les appels en faveur d’une nouvelle législation antiterroriste, alors qu’on peut douter de sa nécessité et que l’insuffisance de la législation en vigueur n’a pas été démontrée. Par exemple, Omar H., soupçonné de préparer des crimes dans le contexte de son voyage «au jihad» en Syrie, a été condamné en première instance aux Pays-Bas sur la base du droit pénal commun, et non en vertu de dispositions antiterroristes 
			(74) 
			Ch. Paulussen, The
Syrian Foreign Fighters Problem: A Test Case from The Netherlands , ICCT Commentary, 2 décembre 2013, <a href='http://icct.nl/publication/the-syrian-foreign-fighters-problem-a-test-case-from-the-netherlands/'>http://icct.nl/publication/the-syrian-foreign-fighters-problem-a-test-case-from-the-netherlands/</a>..
64. Par ailleurs, une autre mesure consiste dans le retrait du passeport, voire de la nationalité. Dans certaines circonstances, cette mesure peut même entraîner l’apatridie: la ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni peut déchoir de la nationalité britannique une personne naturalisée, quitte à la rendre apatride, s’il existe des «motifs raisonnables permettant de penser» que cette personne peut acquérir une autre nationalité.
65. Cependant, Van Waas a souligné que cette possibilité théorique n’était pas la même chose que d’acquérir effectivement la nationalité en question et qu’il était permis de se demander quel pays serait prêt dans la pratique à accorder sa nationalité à quelqu’un qui s’est comporté d’une manière «gravement préjudiciable aux intérêts vitaux» du Royaume-Uni 
			(75) 
			Pour
plus d’informations, consulter le chapitre de Van Waas dans le recueil
à paraître (voir la note de bas de page no 4).. Ces mesures sont-elles vraiment nécessaires et efficaces ou sont-elles purement symboliques, destinées à stigmatiser le combattant étranger comme un paria de la société (ce dont on peut douter que ce soit le bon message) ?
66. Selon Van Ginkel, «nombre de mesures récemment adoptées ont été présentées comme ayant un effet dissuasif, alors que cela est – au mieux – discutable (…). C’est, par exemple, le cas des poursuites engagées contre ceux qui tentent de se rendre en Syrie et en Irak, ou de ceux qui agissent comme recruteurs. La menace de poursuites ou d’une peine plus sévère ne semble pas être dissuasive. Il en va de même des mesures visant à retirer la nationalité ou à poursuivre ceux qui incitent à commettre des actes de terrorisme. De toute évidence, il pourrait y avoir d’autres raisons politiques pour adopter ces mesures, par exemple le fait qu’il est de la prérogative de l’Etat de punir et d’appliquer des sanctions qui reflètent les sentiments d’horreur de la population pour les atrocités commises. Cependant, les décideurs et les politiciens doivent être conscients du fait que les mesures qu’ils adoptent n’ont pas toutes un effet dissuasif et que, parfois, elles peuvent même avoir un effet contraire. Ce n’est qu’en prenant compte tous ces effets potentiels qu’il sera possible d’élaborer une politique globale efficace de lutte contre le terrorisme» 
			(76) 
			B.
Van Ginkel, The (In-)Effectiveness of «Deterrence» as an Instrument
Against Jihadist Terrorist Threats , ICCT Commentary,
30 mars 2015, <a href='http://icct.nl/publication/the-in-effectiveness-of-deterrence-as-an-instrument-against-jihadist-terrorist-threats/'>http://icct.nl/publication/the-in-effectiveness-of-deterrence-as-an-instrument-against-jihadist-terrorist-threats/</a>..
67. En bref, un cadre de suivi et d’évaluation effectif s’impose manifestement si l’on veut analyser l’impact et l’efficacité des politiques et des pratiques existantes et futures.
68. Il faut aussi considérer, lorsqu’on décide des mesures à prendre, que de nombreux Etats sont aux prises avec ce problème et peuvent apprendre les uns des autres. Par conséquent, il est important d’échanger des expériences et de partager les bonnes pratiques. C’est, heureusement, ce qui se pratique de plus en plus 
			(77) 
			Voir, à titre d’exemple,
Forum mondial de lutte contre le terrorisme, The
Hague – Marrakech Memorandum on Good Practices for a More Effective
Response to the FTF Phenomenon , 
			(77) 
			<a href='https://www.thegctf.org/documents/10162/159879/14Sept19_The+Hague-Marrakech+FTF+Memorandum.pdf'>https://www.thegctf.org/documents/10162/159879/14Sept19_The+Hague-Marrakech+FTF+Memorandum.pdf</a>..
69. En outre, il y a lieu de noter que des organisations toujours plus nombreuses interviennent dans la question des combattants étrangers. Cela est bien sûr positif au regard de la gravité de la menace, mais il est également très important de coordonner les différentes initiatives pour limiter autant que possible les doublons 
			(78) 
			Cela vaut également
pour les organisations et les ministères au sein d’un pays, voir,
par exemple, Coolsaet 2015, p. 4 et Pauwels et
al. 2014, p. 28.
70. Enfin, il faut être conscient que, s’il est important de contrer cette menace au niveau international, national et régional, l’accent devrait sans doute porter principalement sur l’échelon local, où les familles, les amis, les enseignants, les éducateurs et les travailleurs sociaux peuvent faire changer les choses 
			(79) 
			Voir aussi Pauwels et al. 2014, p. 28..

4. Réponse internationale

4.1. Organisation des Nations Unies

71. Comme mentionné plus haut, la montée du phénomène des combattants étrangers, devenu une menace pour la sécurité internationale, a incité les Nations Unies à tenir en septembre 2014 une réunion ouverte du Conseil de sécurité, à laquelle ont participé une cinquantaine de dirigeants du monde entier. Les membres de la réunion ont adopté à l’unanimité la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies par laquelle il condamne l’extrémisme violent et appelle les Etats membres des Nations Unies à prendre une série de mesures visant à prévenir et à limiter le flux de combattants terroristes étrangers vers des zones de conflit.
72. Conformément à la Résolution 2178 (2014), les Etats membres doivent, dans le respect du droit international, prévenir «les activités de recrutement, d’organisation, de transport ou d’équipement bénéficiant à des personnes qui se rendent dans un Etat autre que leur Etat de résidence ou de nationalité dans le dessein de commettre [ou] d’organiser des actes de terrorisme (…), ou afin d’y participer».
73. Tous les Etats doivent en particulier veiller à ce que la qualification des infractions pénales dans leur législation et leur réglementation internes permette, proportionnellement à la gravité de l’infraction, d’engager des poursuites et de réprimer le fait de se rendre à l’étranger dans le dessein de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme, ainsi que la fourniture ou la collecte délibérée de fonds, et l’organisation délibérée ou la participation à d’autres activités qui facilitent de tels voyages.
74. Compte tenu de l’extension constante du problème des combattants terroristes au-delà des frontières nationales, régionales et même continentales, les Nations Unies doivent continuer de jouer un rôle moteur dans l’élaboration d’une stratégie mondiale de lutte contre cette tendance dangereuse.

4.2. Union européenne

75. L’Union européenne coordonne activement la réponse de ses Etats membres au problème de la radicalisation et des combattants étrangers. En novembre 2005, elle a notamment élaboré une stratégie de lutte contre le terrorisme comportant entre autres un pilier «Prévention» qui vise à lutter contre la radicalisation et le recrutement des terroristes en identifiant leurs méthodes, leur propagande et les outils qu’ils utilisent. Cette stratégie est révisée en permanence et les questions liées à la radicalisation et aux combattants étrangers figurent parmi ses priorités absolues.
76. La Commission européenne a pour sa part inauguré en septembre 2011 le réseau européen de sensibilisation à la radicalisation (RAN), qui rassemble des experts et des praticiens d’Etats membres de l’Union européenne et de Norvège engagés dans la prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent: ce sont par exemple des travailleurs sociaux, des chefs religieux, des animateurs de jeunesse, des policiers, des chercheurs, etc. œuvrant sur le terrain au sein de communautés vulnérables, afin d’échanger idées, connaissances et expériences. Le RAN comprend huit groupes de travail composés de professionnels et de chercheurs participant concrètement à la prévention de la radicalisation. Le réseau formule à l’intention des décideurs politiques des recommandations fondées sur l’expérience pratique et recense les meilleures pratiques (comme par exemple la Déclaration de bonnes pratiques concernant la prévention, la sensibilisation, la réhabilitation et la réinsertion des combattants étrangers) 
			(80) 
			Déclaration
de bonnes pratiques concernant la prévention, la sensibilisation,
la réhabilitation et la réinsertion des combattants étrangers du
RAN: <a href='http://www.icct.nl/download/file/RAN-Declaration-Good-Practices-for-Engagement-with-Foreign-Fighters.pdf'>www.icct.nl/download/file/RAN-Declaration-Good-Practices-for-Engagement-with-Foreign-Fighters.pdf</a>..

4.3. Conseil de l’Europe

77. A la suite de l’adoption de la Résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a pris l’initiative de rédiger un Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 217). Ce protocole, qui entend s’attaquer au phénomène des combattants terroristes étrangers, a été adopté à la session ministérielle du Comité des Ministres qui s’est tenue à Bruxelles le 19 mai 2015.
78. Le 22 octobre, le Protocole additionnel a été ouvert à la signature lors d’une conférence tenue à Riga (Lettonie). Les dix-neuf Etats membres suivants l’ont signé: Allemagne, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Espagne, Estonie, France, Islande, Italie, Lettonie, Luxembourg, Norvège, Pologne, Royaume-Uni, Slovénie, Suède, Suisse, Turquie et Ukraine. L’Union européenne a signé le Protocole et la Convention sur la prévention du terrorisme (STCE no 196).
79. Le Conseil de l’Europe est ainsi devenu la première organisation internationale à se doter d’un instrument juridique régional pour la mise en œuvre des dispositions de la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité sur les combattants terroristes étrangers.
80. De plus, le Comité des Ministres a adopté en mai 2015 un plan d’action sur la lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme, à mettre en œuvre en 2015-2017. Il a pour but de mettre en place, dans le cadre du mandat du Conseil de l’Europe et en tirant parti des forces et avantages comparatifs de l’Organisation, des activités ciblées à même de soutenir et de renforcer les efforts des Etats membres et de contribuer aux objectifs définis au niveau des Nations Unies.
81. Le Plan d’action a un double objectif: renforcer le cadre juridique contre le terrorisme et l’extrémisme violent, et prévenir et combattre la radicalisation violente par des mesures concrètes dans le secteur public, en particulier dans les établissements scolaires et les prisons, et sur internet.
82. Concernant le renforcement du cadre juridique commun, il faut en priorité aider tous les Etats membres et les pays voisins à signer et ratifier les instruments pertinents du Conseil de l'Europe, soit:
  • la Convention pour la prévention du terrorisme (2005) (STCE no 196) – 34 pays l’ont déjà signée et ratifiée;
  • le Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (2015) (STCE no 217) – comme indiqué plus haut, 21 pays l’ont déjà signé mais aucun ne l’a encore ratifié;
  • la Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (2005) (STCE no 198) – 27 pays l’ont déjà signée et ratifiée;
  • le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (2003) (STCE no 189) – 24 pays l’ont déjà signé et ratifié.
83. Le Comité d’experts sur le terrorisme (CODEXTER) continuera à examiner les instruments juridiques du Conseil de l’Europe consacrés à la lutte contre le terrorisme, décèlera les lacunes éventuelles du cadre juridique mis en place par le Conseil de l’Europe dans le domaine de la prévention et de la suppression du terrorisme et évaluera l’assistance dont disposent les Etats membres qui ont besoin de surmonter des obstacles à la signature et à la ratification.
84. En outre, le plan d’action propose d’élaborer une nouvelle recommandation relative aux terroristes agissant de manière isolée, qui donne aux Etats membres des orientations concernant la manière de prévenir et de réprimer efficacement cette forme particulière de terrorisme.
85. S’agissant de la prévention et de la répression de la radicalisation, le plan d’action met l’accent sur l’éducation. Des actions concrètes sont prévues pour définir les compétences requises pour l’enseignement de la culture démocratique et du dialogue interculturel dans les programmes scolaires européens. L’objectif sera de veiller à ce que les jeunes acquièrent des valeurs, des connaissances, une compréhension ainsi que la capacité d’agir en citoyens responsables.
86. Un autre projet, intitulé «Construire des sociétés inclusives» vise à soutenir, par des initiatives concrètes, le travail d’acteurs tels que les collectivités locales, les médias, la société civile (y compris le secteur privé), les travailleurs sociaux et les éducateurs, qui sont essentiels à la construction et à la consolidation de sociétés plus inclusives. Il comportera des initiatives destinées à lutter contre les clichés et la discrimination, à soutenir les stratégies d’inclusion à l’échelon local, à renforcer la confiance des citoyens par-delà les différences sociales et culturelles et à favoriser la communication et les aptitudes interculturelles.
87. La troisième priorité éducative, intitulée «Opposer des contre-arguments au dévoiement de la religion», vise à contrebalancer les messages destructeurs des extrémistes par des contre-discours. Elle veut offrir une tribune aux chefs religieux et aux universitaires faisant autorité pour que ceux-ci expliquent pourquoi les activités des organisations terroristes sont inconciliables avec la religion.
88. Le plan d’action a également pour objectif – grâce à des mesures concrètes prises au niveau du Conseil de l’Europe – de régler le problème de la radicalisation dans les prisons, ainsi que l’utilisation d’internet et des médias sociaux pour véhiculer les discours de haine, favoriser la radicalisation et procéder au recrutement des combattants terroristes.
89. Selon moi, le plan d’action touche à certains des domaines qui revêtent une importance capitale pour contrer la radicalisation, et contribue ainsi à traiter le problème des combattants étrangers. Le Conseil de l’Europe devrait accorder une plus grande priorité à ce type d’activités. De manière plus générale, il faut intensifier l’action du Conseil de l’Europe visant à s’attaquer aux causes profondes du terrorisme et allouer pour ce faire des fonds supplémentaires.
90. Comme mentionné précédemment, il est de plus en plus important d’agir au niveau local pour s’attaquer aux causes premières de la radicalisation, empêcher le départ des candidats pour les zones de conflit et s’assurer que les combattants étrangers rentrant dans leur pays sont pris en charge pour être déradicalisés et réintégrés. Dans ce contexte, il me faut mentionner les travaux du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe qui visent à rassembler les représentants des autorités territoriales de toute l’Europe en vue de partager leurs expériences et leurs bonnes pratiques sur la prévention de la radicalisation et de promouvoir des approches intégrées au niveau local afin de s’assurer de la participation de tous les acteurs: société civile, organisations confessionnelles, services sociaux et éducatifs et institutions policières et judiciaires.

5. Conclusions

91. La question des combattants étrangers nous occupera encore de nombreuses années. Il est donc de la plus haute importance que nous sensibilisions l’opinion et approfondissions nos connaissances sur les causes profondes de ce phénomène et que nous adoptions des réponses adéquates qui apporteront des résultats sur le long terme. Nous devrions nous concentrer d’abord sur les causes profondes, et réfléchir ensuite aux réponses – et pas l’inverse.
92. Les réponses actuelles semblent parfois dénoter un manque de stratégie et de compréhension, et leur nécessité et leur efficacité ne sont pas toujours claires. Bien qu’il soit tout à fait compréhensible que les responsables politiques soient tentés de prendre le plus grand nombre de mesures possibles, dans l’espoir de ne pas se voir ensuite reprocher par leurs électeurs de ne pas avoir fait assez pour contrecarrer un attentat – dont l’Europe pourrait encore une fois être le théâtre –, nous devrions continuer à nous efforcer d’adopter uniquement des réponses nécessaires, proportionnées, viables sur la durée et respectueuses du droit international et du droit des droits de l’homme, en ciblant un phénomène que nous comprenons (plus ou moins bien).
93. Dans le même temps, les Européens devraient également comprendre que la sécurité à 100 % est impossible et que, même avec toutes les mesures les plus répressives du monde, un attentat sera toujours possible. La réponse politique à la menace terroriste doit donc être jugée sur la qualité, et non sur la quantité, des propositions d’actions contre le terrorisme.
94. Enfin, la société ne doit pas se cacher derrière les responsables politiques, elle doit les aider à trouver des solutions au phénomène des combattants étrangers, phénomène complexe et en constante évolution. Ainsi que le souligne Coolsaet, un grand nombre d’acteurs doivent conjuguer leurs efforts: les gouvernements, la société civile, les médias, les citoyens. Ce n’est que si on offre aux jeunes un espoir dans l’avenir, que le terreau s’asséchera et qu’ils cesseront d’être attirés «vers un pays qu’ils ne connaissent pas, une culture qui ne leur est pas familière et une langue qu’ils ne comprennent pas» 
			(81) 
			Coolsaet 2015, p. 24..
95. Eu égard à son expérience et ses connaissances dans les domaines relatifs à la démocratie, à la protection des droits de l’homme et à l’Etat de droit, ainsi qu’à ses instruments juridiques, le Conseil de l’Europe se doit de contribuer plus activement à la recherche de moyens pour s’attaquer aux causes profondes de la radicalisation qui mène à la violence, et au renforcement du cadre juridique afin de prévenir toute forme de terrorisme.
96. Dans cette optique, je propose que les Etats membres du Conseil de l’Europe adoptent une série de mesures destinées à contrer, prévenir et traiter les conséquences du phénomène des combattants étrangers. Ces mesures figurant dans le projet de résolution visent:
  • à définir une réponse englobant tous les aspects, à tous les stades;
  • à établir un partenariat entre tous les acteurs sociaux;
  • à renforcer le rôle des pouvoirs locaux;
  • à promouvoir une éducation inclusive pour former des citoyens actifs;
  • à parer à la propagande extrémiste violente et développer des contre-discours positifs;
  • à renforcer le dialogue avec les dirigeants des diverses communautés;
  • à accorder une attention accrue à la formation des chefs religieux;
  • à prévenir la radicalisation dans les prisons;
  • à concevoir une approche par genre;
  • à donner la priorité à la déradicalisation des personnes de retour;
  • à renforcer la coopération internationale et le partage d’informations et d’expériences;
  • à encourager les Etats à adhérer aux instruments juridiques pertinents du Conseil de l’Europe.
97. Je propose en outre un projet de recommandation pour demander au Comité des Ministres d’accroître la contribution du Conseil de l’Europe à la lutte contre le terrorisme en renforçant ses capacités et, notamment, de rendre opérationnelle la proposition d’élaborer une recommandation du Comité des Ministres sur les terroristes agissant de manière isolée, et de donner davantage la priorité à l’éducation à la citoyenneté démocratique – ces deux éléments figurant dans le plan d’action 2015-2017 sur la lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme.