Imprimer
Autres documents liés

Avis de commission | Doc. 13966 | 27 janvier 2016

Combattre le terrorisme international tout en protégeant les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Gülsün BİLGEHAN, Turquie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4174 du 25 janvier 2016 (débat selon la procédure d’urgence). Commission chargée du rapport: Commission des questions politiques et de la démocratie. Voir Doc. 13958. Avis adopté par la commission le 26 janvier 2016. 2016 - Première partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)
1. La commission sur l’égalité et la non-discrimination félicite le rapporteur de la commission des questions politiques et de la démocratie pour son rapport et souscrit, dans l’ensemble, au projet de résolution proposé.
2. La commission présente néanmoins un amendement, qui vise à renforcer le projet de résolution en ce qui concerne l’égalité et à la non-discrimination.

B. Amendement proposé au projet de résolution

(open)

Amendement A (au projet de résolution)

Au paragraphe 19, remplacer les mots: «L’Assemblée invite en outre» par «L’Assemblée souligne que les préoccupations soulevées par les réponses répressives au terrorisme ne doivent pas faire perdre de vue la nécessité pour nos sociétés d’œuvrer également sans relâche à l’inclusion de tous leurs membres. Elle invite».

Note explicative: Cet amendement répond à un souci d’équilibre. L’Assemblée doit relayer les vives inquiétudes au sujet de l’absence de garde-fous adéquats et des risques pour les droits de l’homme que représente une réponse pénale excessive au terrorisme. Cela étant dit, nous devons absolument éviter que nos inquiétudes actuelles sur ces questions occultent la nécessité de bâtir des sociétés inclusives, qui constituent l’un des moyens les plus efficaces pour prévenir le terrorisme.

C. Exposé des motifs, par Mme Bilgehan, rapporteure pour avis

(open)

1. Remarques générales

1. En premier lieu, je voudrais féliciter M. Tiny Kox pour son rapport détaillé au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie, qui expose un certain nombre de questions clés relatives à la lutte contre le terrorisme international dans le respect des normes et des valeurs du Conseil de l’Europe et met en lumière les préoccupations constantes exprimées dans ce domaine par l’Assemblée parlementaire ces dernières années.
2. Le rapport souligne, à juste titre, que les actes de terrorisme ne sont pas des actes de guerre mais des crimes odieux, qui doivent être combattus en tant que tels, et insiste sur le fait que l’Europe doit continuer à œuvrer ensemble pour trouver une réponse démocratique à la montée du terrorisme. Il attire l’attention sur la nécessité de veiller à ce que les réponses pénales soient conformes aux normes des droits de l’homme. Le rapport traite également des mesures qui pourraient être prises pour empêcher que ne fleurissent des viviers du terrorisme et du fanatisme religieux.
3. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme a été invitée à donner son avis sur les aspects du rapport qui relèvent de son mandat. Je souhaiterais également féliciter M. Pierre-Yves Le Borgn’ pour son avis qui met en exergue des préoccupations importantes en ce qui concerne les aspects juridiques de la lutte contre le terrorisme, ainsi que des questions liées aux droits de l’homme. Pour ma part, au nom de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, j’aborderai dans cet avis les questions les plus étroitement liées à la promotion de l’égalité et du respect du principe de non-discrimination, y compris les questions liées au racisme et à l’intolérance qui y est associée.
4. Je crois qu’il est essentiel d’établir une distinction entre les nécessaires réponses aux événements déjà survenus – lesquelles doivent se concentrer sur l’établissement des faits et de leurs causes – et les mesures qui doivent être prises pour prévenir la répétition de tels événements dans le futur. C’est la raison pour laquelle j’ai scindé mes observations ci-dessous en deux parties: les réponses aux événements qui se sont déjà produits, d’une part, et la prévention d’actes terroristes futurs, d’autre part.
5. Je voudrais aussi souligner que certaines formes de terrorisme touchent, voire ciblent, les femmes en particulier. Au Nigéria, par exemple, les femmes ne sont pas les seules victimes du conflit 
			(1) 
			La violence et les
attaques contre les populations civiles dans le nord-est du Nigéria
et les pays voisins ont, par exemple, causé l’interruption des études
d’un nombre très important d’enfants pendant de longues périodes,
avec le risque qu’une partie d’entre eux abandonnent définitivement
l’école. «Le conflit au Nigéria oblige plus d’un million d’enfants
à quitter l’école», communiqué de presse, UNICEF, 22 décembre 2015. et l’enlèvement par le groupe terroriste Boko Haram, en avril 2014, de plus de 200 lycéennes à Chibok visait peut-être plusieurs objectifs tactiques: disposer de boucliers humains et/ou d’une monnaie d’échange pour obtenir la libération de militants de Boko Haram, accéder à une forêt où il serait facile de se cacher, instaurer un climat de peur au sein de la population en vue de la dissuader de coopérer avec l’armée nigériane. Cependant, le fait d’avoir ciblé ces lycéennes avait peut-être d’autres motivations, par exemple offrir aux membres de Boko Haram un accès à des épouses sans avoir à acquitter la dot traditionnelle, ou encore présenter leur enlèvement comme un moyen de lutter contre l’endoctrinement des filles avec des valeurs occidentales 
			(2) 
			Je voudrais remercier
le professeur Marc-Antoine Pérouse de Monclos pour les éléments
essentiels de cette analyse, présentés à la commission sur l’égalité
et la non-discrimination lors d’une audition tenue à Paris le 2 juin
2014. . Près de deux ans plus tard, les filles n’ont pas été libérées 
			(3) 
			«Nigerian
President offers talks with Boko Haram over Chibok girls», BBC News,
31 décembre 2015.. La réadaptation et la réinsertion des prisonnières de Boko Haram qui se sont échappées ou ont été libérées nécessiteront des efforts importants 
			(4) 
			«Nigeria: reintegrating
women and children liberated from Boko Haram ‘essential’ to peace,
say UN experts», Centre d’actualités des Nations Unies, 22 janvier
2016.. L’Assemblée devrait prêter une plus grande attention au sort des femmes victimes du terrorisme.

2. Les réponses aux événements qui se sont déjà produits

6. A la suite d’actes terroristes tels que les attentats à grande échelle évoqués dans le projet de résolution présenté aujourd’hui à l’Assemblée, qui ont causé un grand nombre de morts et de blessés, il est de toute évidence impératif d’enquêter sur les infractions commises afin d’identifier, de poursuivre et de punir leurs auteurs. De même, il est indispensable, dans l’intérêt de l’ensemble de la société, de veiller à ce que les réponses pénales et les autres réponses juridiques restent proportionnées et tout à fait conformes aux droits de l’homme.
7. Les réponses politiques sont également importantes. La Commission des questions politiques et de la démocratie a réaffirmé à juste titre le message fort et cohérent de l’Assemblée selon lequel rien ne saurait justifier le terrorisme et qu’il ne saurait y avoir aucun «mais».
8. Ayant cela à l’esprit, les dirigeants politiques sont assurément soumis à de fortes pressions dans les heures et les jours qui suivent les attentats terroristes, non seulement pour exprimer l’indignation de la société et condamner les crimes odieux qui ont été perpétrés, mais aussi pour montrer qu’ils agissent déjà afin d’empêcher que des événements similaires ne se reproduisent. En condamnant les actes terroristes immédiatement après leur survenance – ainsi qu’ils doivent le faire –, les responsables politiques doivent toutefois peser leurs mots avec grand soin. Ils doivent particulièrement veiller à ne pas faire, délibérément ou par mégarde, de généralisations stigmatisantes qui fassent porter à des groupes entiers de la population la responsabilité des actes d’individus: ils doivent se rappeler que l’acte terroriste relève d’un choix individuel. Il est établi que dix individus ont participé directement aux tueries de Paris le 13 novembre 2015 
			(5) 
			Quatre
au Stade de France (trois kamikazes et un conducteur); trois dans
les fusillades des terrasses de cafés et de restaurants; trois au
Bataclan. Tous les auteurs des faits, sauf un, à savoir le conducteur
présumé du commando du Stade de France, sont désormais morts. . Ils n’ont certainement pas agi seuls, et les enquêtes pénales en cours ont déjà commencé à identifier d’autres acteurs de premier plan. Cependant, lorsqu’on considère ces éléments, il ne faut jamais perdre de vue le fait que les personnes en cause ne représentent qu’une infime partie de l’ensemble de la population musulmane, qui compte aujourd’hui 4 à 5 millions de personnes en France 
			(6) 
			La législation française
ne permet pas la collecte de données démographiques ventilées par
religion. L’enquête Trajectoire et origines réalisée
en 2008 par l’INED et l’Insee a estimé à 2,1 millions le nombre
de Musulmans âgés de 18 à 50 ans vivant en France (soit environ
8 % de la population). Par extrapolation, le nombre total de Musulmans
dans l’ensemble de la population s’élèverait à quelque 4 millions
de personnes. Le ministère de l’Intérieur estime, par extrapolation
sur la base des origines géographiques, le nombre de Musulmans en
France à 4 à 5 millions de personnes. Voir Alexandre Pouchard et
Samuel Laurent, «Quel est le poids de l’Islam en France?», Le Monde, 21 janvier 2015, et les sources
citées dans cet article. Le Pew Research Centre a récemment estimé
le nombre de Musulmans en France à 4,7 millions de personnes (soit
7,5 % de la population). Voir Pew-Templeton Global Religious Futures
Project (en anglais) [projet Pew-Templeton sur l’avenir des religions
dans le monde].. Les dirigeants politiques doivent affirmer, clairement et avec force, qu’ils font la part des choses entre le très faible nombre de personnes impliquées dans les activités terroristes et la masse vaste et pacifique d’individus qui (en l’espèce) croient dans le même Dieu mais ne partagent pas les tendances criminelles violentes d’un nombre infime d’individus et qui sont, à vrai dire, aussi traumatisés par le terrorisme que le reste de la société.
9. A la suite de la série d’attentats survenus à Paris en 2015, on a observé une hausse du nombre d’infractions inspirées par la haine à l’encontre des musulmans 
			(7) 
			D’après des chiffres
fournis le 20 janvier 2016 par la Délégation interministérielle
contre le racisme et l’antisémitisme (Dilcra), le nombre d’actes
anti-musulmans a augmenté de 223 % en France entre 2014 et 2015,
alors que le nombre d’actes anti-catholiques a augmenté de 20 %
et le nombre d’actes antisémites a diminué de 5 % pendant cette
période (le nombre de ces derniers ayant toutefois augmenté de 101%
l’année précédente. <a href='http://www.la-croix.com/France/Justice/Bond-actes-antimusulmans-2015-2016-01-20-1200732547'>www.la-croix.com/France/Justice/Bond-actes-antimusulmans-2015-2016-01-20-1200732547</a>.. Bien qu’ils relèvent d’une catégorie autre que les crimes terroristes, les crimes motivés par la haine ne sont pas plus justifiables que le terrorisme. Les dirigeants politiques doivent également condamner ces actes comme étant insensés et répréhensibles. Ce n’est pas seulement une question de principe, mais il s’agit aussi d’adresser aux musulmans vivant en France le message selon lequel les attaques ciblant leur minorité, à l’instar de toute autre minorité, constituent des attaques contre l’ensemble de la société et sont injustifiables.
10. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que les mesures pénales et les messages politiques sont intimement liés. Dans le contexte français, par exemple, l’impact des perquisitions policières de domiciles et des assignations à résidence pratiquées à grande échelle dans le cadre de l’état d’urgence décrété après les attentats du 13 novembre 2015 devra être analysé avec soin, au moins sous deux angles: d’une part, à quel point ces mesures ont effectivement contribué à faire progresser les enquêtes pénales nécessaires et, d’autre part, leur impact à long terme sur la confiance dans les forces de police et, plus généralement, dans les autorités, au sein des groupes particulièrement affectés.

3. La prévention d’actes terroristes futurs

11. Une réponse courante des dirigeants politiques et des parlements aux actes terroristes consiste en un réflexe de «durcissement» de l’arsenal pénal à disposition pour prévenir et réprimer le terrorisme dans le futur. Cependant, la législation ainsi que les pouvoirs déjà accordés à la police, aux autres forces de sécurité et aux autorités de surveillance ne posent pas nécessairement problème: le fait de ne pas avoir réussi à empêcher la commission d’un acte terroriste peut être la conséquence d’un défaut de ciblage de la collecte de renseignements, d’un manque de moyens, de faiblesses dans la façon dont la législation en vigueur est appliquée, etc. Je m’en remets à l’avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme pour ce qui est des aspects du projet de résolution concernant les mesures pénales. Je voudrais néanmoins souligner que les gouvernements qui «durcissent» l’arsenal pénal en renforçant les pouvoirs de police et de surveillance, en supprimant les garde-fous et en réduisant le contrôle juridictionnel font peut-être confiance à leur propre administration centrale pour ce qui est du respect des droits de l’homme dans l’exercice de ces pouvoirs étendus. Cependant, les gouvernements et les administrations centrales changent. Un gouvernement ne devrait jamais s’accorder ou accorder à son administration centrale des pouvoirs qu’il ne verrait pas sans méfiance exercés par d’autres. S’il le faisait, il exposerait à des abus de pouvoir l’ensemble de la population – et les minorités en particulier, lorsque celles-ci sont perçues comme une menace.
12. Je me réjouis que l’Assemblée reconnaisse dans la Résolution 2045 (2015), comme souligné par le rapporteur du présent rapport, que la surveillance de masse est inefficace. L’Assemblée a aussi exprimé dans le passé ses préoccupations à l’égard du profilage racial parfois pratiqué par la police (Résolution 1968 (2014) sur la lutte contre le racisme dans la police 
			(8) 
			Voir en particulier
le paragraphe 2.). Le profilage racial est inefficace pour les mêmes raisons que la surveillance de masse. Par ailleurs, je tiens à souligner que le profilage racial est aussi contreproductif: ainsi que l’a fait observer la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), «[le profilage racial] génère un sentiment d’humiliation et d’injustice au sein de certains groupes de personnes et conduit à leur stigmatisation et à leur aliénation tout en détériorant les relations entre la police et ces groupes, suite à la perte de confiance qu’ils devraient avoir en elle» 
			(9) 
			ECRI, Recommandation
de politique générale no 11: La lutte
contre le racisme et la discrimination raciale dans les activités
de la police, exposé des motifs, paragraphe 34. . Les pouvoirs liés aux activités de contrôle, de surveillance ou d’investigation ne devraient être exercés que sur la base d’une suspicion raisonnable – c’est-à-dire, une suspicion fondée sur des critères objectifs 
			(10) 
			ECRI, Recommandation
de politique générale no 11: La lutte
contre le racisme et la discrimination raciale dans les activités
de la police, paragraphe 3. Le profilage racial est défini dans
ce texte (paragraphe 1) comme «L’utilisation par la police, sans
justification objective et raisonnable, de motifs tels que la race,
la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine
nationale ou ethnique dans des activités de contrôle, de surveillance
ou d’investigation». . Le fait est que plusieurs des terroristes impliqués dans les événements de Paris étaient déjà connus de la police ou d’autres forces de sécurité. Les appels à réduire les moyens consacrés à la surveillance de masse pour les consacrer à une surveillance plus ciblée reflètent ce constat. Il devrait en être de même en ce qui concerne le profilage racial.
13. L’approche politique en vue d’empêcher la survenance d’actes terroristes futurs est tout aussi cruciale que les réponses immédiates aux événements qui se sont déjà produits. Les réponses politiques à long terme doivent toujours être pensées en ayant à l’esprit qu’on ne peut parvenir à une cohésion durable, y compris un sentiment partagé d’appartenance à la nation, dans une société dont des pans importants de la population se sentent exclus ou victimes de discrimination. Le discours polémique stigmatisant des individus ou des groupes en raison de leur origine nationale ou ethnique, de leur religion, de leur couleur de peau, de leur nationalité ou de leur «race» supposée fait déjà beaucoup de mal au tissu de nos sociétés européennes. L’Alliance parlementaire contre la haine établie par notre Assemblée il y a un an de cela est une initiative visant à promouvoir des réponses plus efficaces des parlementaires à la haine et, plus important encore, à la désamorcer en œuvrant à la compréhension mutuelle. L’Alliance compte désormais plus de 50 membres, a été saluée par le Secrétaire général des Nations Unies 
			(11) 
			Allocution de Ban Ki-moon,
Secrétaire général des Nations Unies, 23 juin 2015, AS (2015) CR 21. et s’élargit en permanence. Des initiatives du même ordre devraient être prises aux niveaux national et local, consolidées et intensifiées.
14. Au-delà des simples mots, le contenu des mesures adoptées en vue de prévenir le terrorisme sur le long terme adresse également des messages à l’ensemble de la population sur la façon dont certaines parties de la société sont actuellement perçues, ainsi que sur le type de société que les dirigeants politiques veulent bâtir.
15. Par conséquent, les sanctions telles que la déchéance de nationalité pour les binationaux dont l’introduction est envisagée sont non seulement contestables d’un point de vue juridique mais aussi inefficaces en tant que moyen de dissuasion (il est peu probable qu’un kamikaze potentiel, par exemple, se préoccupe du fait de savoir s’il conservera sa nationalité après sa mort). En outre, l’introduction de ce type de sanction singularise les personnes qui ont plusieurs nationalités, adressant à ces personnes et au reste de la société le message selon lequel elles sont des citoyens de seconde classe par rapport aux personnes qui n’ont qu’une seule nationalité, étant donné que, pour éviter une situation d’apatridie, ces dernières ne peuvent perdre la nationalité de leur pays même en cas de commission de crimes abominables. Si l’on considère une fois de plus le cas de la France, la proposition d’adoption de cette mesure adresse déjà un message préjudiciable à sa communauté musulmane, dont une grande partie a la double nationalité (française et, notamment, marocaine, algérienne ou tunisienne) 
			(12) 
			Il
n’existe pas de statistiques officielles sur la double nationalité.
D’après l’enquête Trajectoire et origines réalisée
en 2008 par l’INED et l’Insee, plus des deux tiers des immigrés
originaires d’Afrique du nord et environ un tiers de leurs descendants
avaient alors la double nationalité. <a href='https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/memos-demo/focus/double-nationalite-identite-nationale/'>https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/memos-demo/focus/double-nationalite-identite-nationale/</a>. . Les gouvernements devraient s’abstenir d’introduire une telle sanction, dans la mesure où son seul impact garanti est l’aliénation d’une partie significative de la population.
16. J’en viens enfin à la nécessité de comprendre les causes profondes du terrorisme et de les combattre par une approche à long terme. Même si rien ne peut justifier le terrorisme, comme je l’ai indiqué plus haut, le fait est que certaines personnes franchissent le Rubicon. Il est donc vital de comprendre les éléments qui déclenchent leur basculement, car c’est en neutralisant ces éléments déclencheurs qu’on pourra le plus efficacement empêcher d’autres personnes de suivre la même voie. La radicalisation, au sens où le sujet adopte des points de vue (quelque peu) extrêmes, conteste les normes de la société et a une attitude rebelle, est courante au sein de la jeunesse. De nombreux jeunes et moins jeunes adoptent des opinions religieuses fondamentalistes ou perçues par les autres comme telles. Toutefois, cela ne signifie pas qu’ils représentent un risque pour la société, autrement dit qu’ils chercheront à exprimer ces opinions par des moyens violents. La grande majorité des individus qui ont des opinions religieuses ultraorthodoxes ou fanatiques ne sont pas et ne deviendront jamais des terroristes. Ce qui distingue les terroristes des autres personnes est que, d’une façon ou d’une autre, ils sont arrivés à la conclusion que le fait qu’ils commettent des actes violents (y compris des assassinats le cas échéant) dans le but de répandre la terreur est moins grave que le fait que d’autres personnes transgressent les principes qu’ils défendent.
17. La laïcité est l’un des fondements des sociétés démocratiques et doit être protégée vigoureusement. Toutefois, comme les considérations ci-dessus le soulignent, elle n’est pas en soi une solution pour prévenir la terreur, y compris la terreur engendrée par le fanatisme religieux. Un dialogue doit être engagé à un niveau beaucoup plus profond. Nous devons prendre cela en compte dans nos réponses à long terme à la terreur en mettant l’accent sur la prévention. Je pense que, dans le projet de résolution dont nous sommes saisis aujourd’hui, il importe de prêter une plus grande attention au traitement des causes du terrorisme – par ce terme, j’entends, non pas d’éventuelles justifications (il n’y en a pas), mais les facteurs qui sont susceptibles d’accroître le risque que des individus choisissent cette voie, les éléments spécifiques qui déclenchent leur basculement et les moyens par lesquels on peut les contrer au mieux.
18. L’Assemblée a fortement mis l’accent sur les mesures de prévention dans sa Résolution 2031 (2015), adoptée à la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015. Il existe, au sujet de l’absence de garde-fous adéquats et des risques qu’une réponse pénale excessive au terrorisme représentent pour les droits de l’homme, de vives inquiétudes – que l’Assemblée doit relayer. Toutefois, nous ne devons pas laisser nos préoccupations actuelles sur ces questions nous faire perdre de vue la nécessité pour nos sociétés d’œuvrer également sans relâche à l’inclusion et à l’acceptation de tous leurs membres. Les propositions détaillées de l’Assemblée concernant les efforts nécessaires en vue de prévenir le terrorisme à long terme gardent toute leur pertinence. Il s’agit notamment d’analyser et de contrer les voies d’endoctrinement des détenus à des fins de terrorisme; de surveiller et de lutter contre le discours de haine sur internet, la radicalisation et le cyber-djihadisme; de promouvoir l’éducation à la citoyenneté démocratique; de promouvoir le dialogue interculturel et le modèle du «vivre ensemble»; de combattre la marginalisation, l’exclusion sociale, la discrimination et la ségrégation; de soutenir les familles afin qu’elles éduquent leurs enfants dans une culture de démocratie et de tolérance; de protéger la sécurité et la liberté d’expression des journalistes, des écrivains et des artistes; et de soutenir l’action du Conseil de l’Europe dans les domaines susmentionnés.
19. Dans ce contexte, j’accueille favorablement plusieurs rapports pertinents en cours de préparation au niveau de l’Assemblée: le rapport en cours de préparation par la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable sur le thème «Prévenir la radicalisation d’enfants en s’attaquant à ses causes profondes», dont le projet a aussi été soumis à la commission sur l’égalité et la non-discrimination pour avis; le rapport en cours de préparation par la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias sur le thème «Vers un cadre de compétences pour la citoyenneté démocratique»; et le rapport en cours de préparation par la commission sur l’égalité et la non-discrimination sur le thème «Mettre fin à la cyberdiscrimination et aux propos haineux en ligne».
20. Je tiens enfin à souligner que nos sociétés sont fondées sur le principe fondamental de l’égalité de tous les êtres humains. Il est aujourd’hui, plus que jamais, important de respecter et d’appliquer ce principe. Permettre que les préjugés, l’intolérance et la discrimination s’insinuent dans la façon dont les Etats et les acteurs privés traitent les individus ne constitue pas seulement une injustice: cela nous conduirait au désastre.