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Résolution 2090 (2016)

Combattre le terrorisme international tout en protégeant les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 27 janvier 2016 (6e séance) (voir Doc. 13958, rapport de la commission des questions politiques et de la démocratie, rapporteur: M. Tiny Kox; Doc. 13960, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Pierre-Yves Le Borgn’; Doc. 13966; avis de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, rapporteure: Mme Gülsün Bilgehan). Texte adopté par l’Assemblée le 27 janvier 2016 (6e séance).

1. L’Assemblée parlementaire est de plus en plus préoccupée par le terrorisme international, qui a fait ces dernières années un nombre considérable de victimes innocentes dans le monde entier, en particulier dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et leurs voisins directs. En 2015, 625 personnes ont été assassinées et plus de 800 autres blessées lors de huit attentats terroristes en France, en Turquie, en Egypte, en Irak, au Liban et en Tunisie. En 2016, plusieurs dizaines de personnes ont déjà été tuées dans des attentats terroristes en Turquie, au Burkina Faso et en Indonésie.
2. Tous ces attentats terroristes ont été revendiqués par des groupes terroristes se disant «islamiques». Daech est responsable des récents attentats terroristes en Europe et dans son voisinage immédiat; Boko Haram est, quant à lui, celui qui a tué le plus grand nombre de personnes innocentes. D’autres groupes terroristes, se revendiquant eux aussi de l’islam, dont Al-Qaïda et Al-Shabaab, ont également fait parler d’eux ces dernières années.
3. L’Assemblée insiste sur les conséquences dramatiques de ces attentats et menaces terroristes sur les individus comme sur nos sociétés. Au-delà de la tragédie qui frappe des innocents tués, blessés et traumatisés, l’agitation, la méfiance et la peur croissantes déstabilisent nos sociétés. En outre, les contre-mesures peuvent aboutir à des abus et à des restrictions disproportionnées des libertés individuelles, et aussi mobiliser une part importante des finances publiques qui ne peut être utilisée à d’autres fins.
4. Rappelant sa Résolution 2031 (2015) «Attaques terroristes à Paris: ensemble, pour une réponse démocratique», l’Assemblée répète que tous ces massacres terroristes cités ci-dessus visaient les valeurs mêmes de la démocratie et de la liberté en général, le type de société que notre Organisation paneuropéenne s’attache à bâtir depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
5. L’Assemblée réaffirme une nouvelle fois qu’elle condamne avec force tous les actes de terrorisme. Rien ne saurait les justifier. L’Assemblée rejette toute tentative de trouver des excuses aux attaques terroristes, car elles vont complètement à l’encontre de l’esprit, des normes et des valeurs consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
6. L’Assemblée se réjouit des formes diverses et variées sous lesquelles individus, groupes et sociétés ont protesté l’an dernier contre les actes de terrorisme. Elle rappelle que, le 11 janvier 2015, environ 2 millions de personnes, dont plus d’une quarantaine de dirigeants venus du monde entier, se sont réunies à Paris pour une marche de l’unité, et que 3,7 millions de personnes se sont associées à des manifestations dans toute l’Europe et dans le reste du monde.
7. L’Assemblée rejette avec force l’utilisation abusive du terme «islamique» dont se prévalent des organisations criminelles terroristes. Ni Daech ni des groupes terroristes similaires n’ont le moindre droit de déclarer qu’ils agissent au nom de l’islam, ou qu’ils représentent la communauté musulmane. Au contraire, à ce jour, la majorité de leurs victimes sont des musulmans, qui ont été et sont toujours terrorisés, abusés, exploités, torturés et massacrés par ces groupes terroristes, qui bafouent de surcroît leur religion en se revendiquant abusivement de l’Islam.
8. L’Assemblée reconnaît la situation inconfortable dans laquelle ces attentats placent les musulmans et appelle les dirigeants politiques à être particulièrement attentifs, lorsqu’ils condamnent ces attentats, à éviter les généralisations stigmatisantes qui font peser sur des groupes entiers de populations la responsabilité d’actes commis par des individus. Dans le même temps, elle encourage les dirigeants et intellectuels musulmans à condamner publiquement, sans ambiguïté et en permanence, l’instrumentalisation honteuse de leur religion par des assassins fanatiques dont le but est d’intimider les populations et les Etats en utilisant tous les types de violence à l’encontre de personnes innocentes. Elle appelle les dirigeants musulmans à souligner que les musulmans, tout comme les croyants d’autres religions, tirent largement avantage de la protection de leurs droits et libertés par la Convention européenne des droits de l’homme, et que, pour cette raison également, leurs communautés devraient défendre avec détermination et publiquement les normes et les valeurs du Conseil de l’Europe contre les terroristes qui les menacent.
9. Après les récents attentats terroristes, bon nombre de personnalités politiques ont déclaré être en guerre contre Daech. Or, ceux qui commettent des actes terroristes ne sont pas des soldats d’une armée représentant un quelconque Etat ou une organisation internationale, mais des criminels impitoyables qui commettent des crimes odieux contre des personnes innocentes afin de déstabiliser nos sociétés. Rappelant sa Résolution 1840 (2011) sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, l’Assemblée réaffirme que le concept de «guerre contre la terreur» est fallacieux et de peu d’utilité, et qu’il pourrait donc menacer l’ensemble du cadre des droits de l’homme internationaux.
10. L’Assemblée rappelle que les démocraties ont le droit inaliénable, et l’obligation indissociable, de se défendre lorsqu’elles sont attaquées. Elle estime donc que la lutte contre le terrorisme doit être renforcée, tout en garantissant le respect des droits de l’homme, de l’Etat de droit et des valeurs communes défendues par le Conseil de l’Europe. Elle souligne que la lutte contre le terrorisme et la protection des normes et des valeurs du Conseil de l’Europe ne sont pas contradictoires, mais complémentaires.
11. Tout en reconnaissant que les Etats membres ont besoin d’accéder à suffisamment d’instruments juridiques pour combattre efficacement le terrorisme, l’Assemblée prévient qu’il y a un risque que des mesures de contre-terrorisme entraînent des restrictions disproportionnées ou sapent le contrôle démocratique, violant ainsi les libertés fondamentales et la prééminence du droit, au nom de la sauvegarde de la sécurité intérieure.
12. A cet égard, l’Assemblée se fait l’écho des préoccupations exprimées par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe lorsque la France a décidé, en novembre 2015, de déclarer l’état d’urgence et, plus tard, de le prolonger. Elle se fait également l’écho des préoccupations du Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale, selon lequel, en Turquie, «dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, l’adoption de dispositions législatives contre le terrorisme et l’application de politiques axées sur la sécurité auraient abouti à un profilage racial de membres de la communauté kurde». L’Assemblée appréhende que le durcissement sécuritaire se propage à d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe.
13. L’Assemblée est également préoccupée par le fait que, en dépit de l’adoption mondiale, en 1999, de la Convention des Nations Unies pour la répression du financement du terrorisme et de l’entrée en vigueur, en 2008, de la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE n° 198), il a été impossible, jusqu’à présent, de couper les flux financiers vitaux de Daech, qui demeure donc l’organisation terroriste la plus riche de tous les temps; elle est en mesure de vendre du pétrole, du gaz et des objets archéologiques volés, et d’encaisser ainsi des dizaines de millions de dollars chaque mois.
14. Se référant aussi à sa Résolution 2091 (2016) sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak, l’Assemblée se félicite de l’adoption par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du Protocole additionnel à la Convention pour la prévention du terrorisme (STCE n° 217) sur les combattants terroristes étrangers, comme elle l’avait préconisé dans sa Résolution 2031 (2015).
15. Elle se félicite également de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre le terrorisme.
16. L’Assemblée invite par conséquent les parlements et les gouvernements des Etats membres, dans leur lutte contre le terrorisme:
16.1. à s’assurer que, lors de l’adoption et de l’application de dispositions législatives ou autres mesures administratives, un juste équilibre soit trouvé pour, d’un côté, défendre la liberté et la sécurité, et, de l’autre, éviter de violer ces mêmes droits;
16.2. à limiter l’état d’urgence au strict minimum dans le temps et dans l’espace, que cet état soit déclaré en vertu de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme ou qu’il résulte d’une situation de fait sur tout ou partie de leur territoire;
16.3. à veiller à ce que les autorités policières n’abusent pas de leurs pouvoirs ni ne contournent les exigences légales de base, et à ce qu’ils ne restreignent pas de manière disproportionnée les libertés individuelles, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme; toute décision administrative prise dans ce contexte devrait toujours être soumise à un contrôle judiciaire;
16.4. à veiller à ce qu’il n’y ait pas de profilage ethnique ou racial de suspects faisant l’objet de perquisitions, de saisies, d’arrestations ou autres mesures coercitives;
16.5. à veiller à ce qu’un contrôle démocratique efficace soit exercé par le parlement et par d’autres acteurs indépendants, tels que les institutions nationales des droits de l’homme et la société civile;
16.6. à veiller à doter les autorités policières, les services de sécurité et de renseignement de moyens appropriés, et à former leurs personnels pour faire face à la menace croissante de terrorisme, y compris aux nouveaux défis que pose la menace dite «djihadiste»;
16.7. à faire en sorte que les services de renseignement évitent toute surveillance massive indiscriminée, qui s’est révélée inefficace, et qu’ils intensifient au contraire leur collaboration; la collaboration avec d’autres démocraties ainsi qu’avec des pays du Proche-Orient et du monde arabe est également déterminante;
16.8. à faire en sorte que les registres nationaux pertinents liés aux infractions terroristes ainsi que les informations sur les passagers aériens constituant une menace pour la sécurité soient partagés, sous réserve de garanties appropriées concernant la protection des données;
16.9. à faire en sorte de couper les flux financiers vitaux du terrorisme international et du trafic d’armes, grâce notamment à la mise en œuvre effective des conventions des Nations Unies et du Conseil de l’Europe sur la lutte contre le financement du terrorisme.
17. L’Assemblée invite le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à suivre les mesures de contre-terrorisme prises par les Etats membres et à en évaluer la nécessité et la proportionnalité, le cas échéant, dans le cadre d’une enquête en vertu de l’article 52 de la Convention européenne des droits de l’homme, et à tenir l’Assemblée régulièrement informée.
18. En vue de renforcer l’action juridique contre le terrorisme, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe et les pays de son voisinage qui ne l’ont pas encore fait à signer et à ratifier en priorité la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196) et son nouveau protocole additionnel.
19. L’Assemblée souligne que les préoccupations soulevées par les réponses répressives au terrorisme ne doivent pas faire perdre de vue la nécessité pour nos sociétés d’œuvrer également sans relâche à l’inclusion de tous leurs membres. Elle invite vivement les Etats membres à faire tout leur possible pour éradiquer les terrains propices au terrorisme et au fanatisme religieux, en particulier par l’éducation, les politiques sociales et une société inclusive. Des mesures concrètes devraient être prises pour prévenir et combattre la radicalisation, en particulier dans les écoles, les quartiers défavorisés, les prisons, sur internet et sur les réseaux sociaux, en conformité également avec la Résolution 2031 (2015) de l’Assemblée.
20. L’Assemblée se félicite de la mise en œuvre à ce jour du Plan d’action sur «la lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme», adopté en mai 2015 par le Comité des Ministres, qui prévoit un certain nombre d’activités ciblées pour soutenir et renforcer les initiatives des Etats membres aux niveaux national et international. Relevant que la mise en œuvre pleine et entière de ce plan d’action dépend de ressources extrabudgétaires, l’Assemblée invite les Etats membres à envisager le versement de contributions volontaires à cette fin.
21. Enfin, pour permettre notamment au législateur d’appréhender correctement l’aspect constitutionnel de la question, l’Assemblée prie la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) de rédiger un avis sur la compatibilité du projet de révision de la Constitution française – visant à constitutionnaliser les dispositions relatives à l’état d’urgence et à la déchéance de nationalité – avec la Convention européenne des droits de l’homme et les normes du Conseil de l’Europe.