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Rapport | Doc. 14015 | 04 avril 2016

Les préoccupations humanitaires concernant les personnes capturées pendant la guerre en Ukraine

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteure : Mme Nellija KLEINBERGA, Lettonie, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13829, Renvoi 4141 du 26 juin 2015. 2016 - Deuxième partie de session

Résumé

Depuis l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie et le début des opérations militaires sur les territoires (oblasts) de Lougansk et de Donetsk dans la partie orientale de l’Ukraine, des centaines de militaires et de civils ukrainiens auraient été capturés ou enlevés. Certains d’entre eux ont été libérés depuis, mais beaucoup de ceux qui sont toujours en captivité seraient détenus dans des conditions inhumaines et soumis à la torture, à des humiliations, au travail forcé et à d’autres formes de violence.

Le présent rapport évalue la mise en œuvre de l’un des volets essentiels de l’accord de Minsk sur l’échange de prisonniers et la libération des otages et des personnes détenues illégalement dans le contexte de la guerre en Ukraine. Il contient des recommandations adressées à toutes les parties au conflit, qui sont encouragées à accélérer ce processus conformément à leurs engagements internationaux. Il appelle également la Fédération de Russie à remettre en liberté tous les prisonniers ukrainiens ayant été capturés et emprisonnés en Fédération de Russie et dans le territoire annexé de la Crimée sur la base d’accusations à caractère politique.

Le rapport porte une attention particulière aux besoins des personnes libérées et de leurs familles. Il encourage les autorités ukrainiennes à régler la question de l’aide médicale, juridique, financière et sociale aux personnes libérées. S’agissant des personnes qui sont toujours en captivité, l’Etat devrait apporter une aide financière à leurs familles.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 22 mars 2016.

(open)
1. Des centaines de militaires et de civils ukrainiens auraient été capturés ou enlevés depuis l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie et le début des agressions militaires dans les régions de Lougansk et de Donetsk, dans la partie orientale de l’Ukraine.
2. D’après le Service de sécurité de l’Ukraine, 3 015 personnes capturées ont été libérées depuis avril 2014, mais 123 sont toujours détenues par les séparatistes et 693 sont toujours portées disparues. Cependant, ces chiffres n’incluent pas toutes les personnes qui ont été capturées par les séparatistes dans les territoires occupés, les familles ayant souvent peur de les déclarer aux autorités ukrainiennes.
3. L’Assemblée parlementaire est gravement préoccupée par les nombreux rapports de traitements inhumains et dégradants infligés aux personnes capturées qui sont victimes de tortures, de mauvais traitements et de violences sexuelles. En outre, il apparaît que des personnes capturées par les séparatistes ont été exécutées par la suite.
4. L’Assemblée est également très préoccupée par la situation en Crimée où, depuis l’annexion de la péninsule par la Fédération de Russie, les autorités de fait invoquent la législation russe réprimant l’extrémisme, le séparatisme et le terrorisme pour placer en détention des militants tatars de Crimée et ukrainiens.
5. L’Assemblée est en outre alarmée par les rapports de défenseurs des droits de l’homme concernant 13 prisonniers ukrainiens qui seraient détenus par les autorités russes en violation du droit international sur la base de chefs d’inculpation fabriqués de toutes pièces. L’exemple le plus flagrant est celui de Mme Nadiia Savchenko, membre de l’Assemblée parlementaire, qui a été emmenée de force en Fédération de Russie où elle est maintenue illégalement en détention depuis juin 2014 malgré, entre autres, l’immunité dont elle bénéficie en vertu de l’article 40.a du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1) et de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe et son Protocole additionnel (STE nos 2 et 10), auxquels la Fédération de Russie est Partie. Par ailleurs, huit ressortissants ukrainiens au moins sont détenus en Crimée sur la base d’accusations à caractère politique.
6. L’Assemblée relève en outre avec une grande inquiétude des allégations de violations du droit à la liberté et du droit à un procès équitable dont devraient bénéficier les personnes détenues par les services secrets ukrainiens ou par différents bataillons militaires ukrainiens, y compris des bataillons de volontaires. Elle demande aux autorités ukrainiennes d’enquêter sur chacune de ces affaires et de punir les auteurs conformément à la législation ukrainienne pertinente.
7. L’Assemblée est convaincue que, si toutes les parties concernées ne sont pas déterminées à mettre un terme à cette guerre, il ne sera pas possible de trouver une solution au problème des personnes capturées pendant l’agression militaire russe en Ukraine. C’est pourquoi elle invite instamment l’Ukraine, la Fédération de Russie et les groupes séparatistes qui contrôlent les territoires occupés des régions de Donetsk et Lougansk:
7.1. à arrêter toutes les opérations militaires dans l’Est de l’Ukraine, à retirer toutes les armes et à restaurer un climat de paix dans la région;
7.2. à mettre en œuvre sans plus tarder l’accord de Minsk, et en priorité le paragraphe sur la libération de toutes les personnes capturées; leur libération ne doit pas dépendre du respect d’autres points de l’accord de Minsk;
7.3. à respecter le droit humanitaire international et les droits et obligations des parties concernant les prisonniers de guerre et la protection des civils, tels que consacrés par la troisième et la quatrième Convention de Genève de 1949 et des deux protocoles additionnels de 1977 (sur les conflits armés internationaux et non internationaux);
7.4. à accorder aux organisations humanitaires internationales l’accès sans conditions à tous les détenus.
8. L’Assemblée invite par ailleurs instamment les autorités de la Fédération de Russie:
8.1. à libérer tous les prisonniers ukrainiens capturés et emprisonnés en Fédération de Russie et en Crimée annexée sur la base d’accusations à caractère politique, y compris, mais pas seulement, M. Ahtem Çiygöz;
8.2. à mener des enquêtes en bonne et due forme et à engager des poursuites à l’encontre des auteurs d’actes d’enlèvement, de disparition forcée, de torture et d’assassinat à caractère politique de militants ukrainiens et de militants tatars de Crimée;
8.3. à user de son influence sur les groupes séparatistes qui contrôlent les territoires occupés dans les régions de Donetsk et de Lougansk pour les inciter à libérer tous les prisonniers ukrainiens;
8.4. à accorder immédiatement aux missions internationales de contrôle du respect des droits de l’homme un accès au territoire de la Crimée;
8.5. à remettre immédiatement en liberté Mme Savchenko, qui bénéficie de l’immunité aux termes de l’Accord général sur les privilèges et les immunités du Conseil de l’Europe, ainsi que d’autres prisonniers ukrainiens détenus illégalement, et à les autoriser à rentrer en Ukraine.
9. L’Assemblée invite instamment les groupes séparatistes qui contrôlent les territoires occupés des régions de Donetsk et Lougansk:
9.1. à libérer toutes les personnes capturées, qu’elles soient prisonnières ou otages;
9.2. à s’abstenir de toute violation des droits de l’homme, et notamment de l’enlèvement, de la torture et de l’assassinat à motivation politique de citoyens ukrainiens;
9.3. à coopérer avec la partie ukrainienne pour coordonner les listes et catégories de personnes capturées en vue de procéder à l’échange de prisonniers dans le cadre de l’accord de Minsk en vertu du principe «tous contre tous»;
9.4. à permettre aux missions humanitaires internationales d’accéder à tous les lieux de détention des personnes capturées.
10. L’Assemblée invite par ailleurs instamment les autorités ukrainiennes:
10.1. s’agissant des mesures juridiques:
10.1.1. à ratifier le Statut de Rome afin de permettre à la Cour pénale internationale de mener des enquêtes effectives sur des cas concrets de violation du droit international humanitaire pendant la guerre en Ukraine;
10.1.2. à mener des enquêtes en bonne et due forme et à engager des poursuites à l’encontre des auteurs dans les cas d’enlèvement et de détention illégale, ainsi que d’extorsion et de corruption en rapport avec la libération de personnes capturées;
10.1.3. à mettre la législation interne, y compris le code pénal et le code de procédure pénale, en conformité avec les dispositions du droit pénal international, et en particulier à prévoir un statut de personne capturée et à incriminer la torture en tant que crime grave;
10.1.4. à modifier la loi «sur la prévention de la persécution et du châtiment des personnes impliquées dans les évènements qui ont eu lieu sur le territoire des régions de Donetsk et Lougansk», à veiller à ce que l’amnistie ne soit pas accordée aux personnes ayant commis des crimes de guerre; à veiller à ce que l’amnistie ne soit utilisée qu’à l’issue d’une enquête en bonne et due forme et d’un procès équitable;
10.1.5. à élaborer une nouvelle loi sur la réadaptation psychologique en étroite concertation avec des organisations non gouvernementales (ONG) et des spécialistes internationaux qui interviennent dans ce domaine, en particulier en tenant compte des besoins des victimes des actions militaires;
10.2. s’agissant de l’assistance aux personnes capturées et à leurs familles:
10.2.1. à élaborer un mécanisme d’indemnisation publique et de soutien des familles des personnes capturées et à veiller à ce que les familles concernées soient informées de l’existence d’un tel mécanisme;
10.2.2. à veiller à ce que, une fois libérées, les personnes capturées bénéficient d’une aide au retour et reçoivent une prise en charge médicale, sociale et psychologique;
10.2.3. à mettre en place une procédure spéciale pour faciliter la délivrance de nouveaux documents aux personnes libérées;
10.2.4. à proposer aux psychologues et au personnel médical des formations spéciales sur la manière d’assurer une réadaptation psychologique répondant aux besoins spécifiques des personnes capturées et de leurs familles;
10.2.5. à envisager de désigner un représentant officiel des autorités ukrainiennes, dont la mission consisterait à coordonner l’aide humanitaire et sociale à la population civile dans les territoires occupés en étroite concertation avec des organisations humanitaires internationales et à faciliter le processus d’échange de prisonniers.
11. L’Assemblée appelle la communauté internationale à s’impliquer davantage dans le processus de libération des personnes en captivité, elle appelle notamment:
11.1. l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe à faciliter les négociations et la résolution du problème des personnes capturées dans le cadre du groupe de travail sur les questions humanitaires créé dans le cadre de l’accord de Minsk;
11.2. le Comité international de la Croix-Rouge à poursuivre ses efforts pour obtenir un accès illimité à toutes les personnes détenues en lien avec la guerre, à contrôler les conditions de leur détention et le traitement qui leur est réservé, et à faciliter les opérations de libération simultanée, en sa qualité d’intermédiaire neutre.
12. L'Assemblée encourage le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants à mettre en place une mission spéciale de contrôle pour vérifier les conditions de détention des prisonniers ukrainiens détenus pour des motifs politiques en Fédération de Russie ainsi qu’en Crimée, et de ceux détenus illégalement dans les territoires contrôlés par ce que l’on appelle la «République populaire de Lougansk» et la «République populaire de Donetsk». La mission devrait également vérifier la situation des personnes qui sont détenues par les autorités ukrainiennes sur la base d’allégations selon lesquelles elles auraient été impliquées dans des activités séparatistes et terroristes pendant le conflit en Ukraine.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté par la commission le 22 mars 2016.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution… (2016) sur les préoccupations humanitaires concernant les personnes capturées pendant la guerre en Ukraine.
2. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres de prévoir l’assistance psychologique aux personnes capturées et à leurs familles dans les programmes d’aide prévus dans le cadre de la mise en œuvre de l’actuel plan d’action pour l’Ukraine.
3. L’Assemblée demande également au Comité de Ministres d’encourager les autorités ukrainiennes et russes à permettre au Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants d’effectuer ses visites de contrôle pour vérifier les conditions de détention des citoyens ukrainiens détenus pour des motifs politiques en Fédération de Russie, ainsi qu’en Crimée, et de ceux détenus illégalement dans les territoires contrôlés par ce que l’on appelle la «République populaire de Lougansk» et la «République populaire de Donetsk».

C. Exposé des motifs, par Mme Kleinberga, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Depuis l’occupation de la Crimée par la Fédération de Russie et le début des opérations militaires dans les régions de Lougansk et de Donetsk, dans la partie orientale de l’Ukraine, des centaines de militaires et de civils ukrainiens auraient été capturés ou enlevés.
2. Certains d’entre eux ont été libérés, mais beaucoup de ceux qui sont toujours en captivité seraient détenus dans des conditions inhumaines et soumis à la torture, à des humiliations, au travail forcé et à d’autres formes de violence.
3. D’autre part, les autorités de fait séparatistes affirment que les Ukrainiens détiendraient des combattants séparatistes et des civils soupçonnés de collaboration avec les séparatistes, et que ces personnes détenues seraient victimes d’abus.
4. Un certain nombre de personnes sont détenues en Fédération de Russie en rapport avec le conflit en Ukraine. La commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées est particulièrement préoccupée par ce problème: en effet, Mme Nadiia Savchenko, qui fait partie de ses membres, a été capturée en juin 2014 et reste détenue en Fédération de Russie, malgré plusieurs appels lancés par l’Assemblée parlementaire.
5. Les préoccupations humanitaires concernant les personnes capturées pendant le conflit en Ukraine incluent le problème des personnes portées disparues pendant le conflit; en effet, certaines des personnes portées disparues ont été capturées par les séparatistes, qui refusent d’indiquer aux autorités ukrainiennes où elles se trouvent. Lorsque la partie ukrainienne établit des listes pour l’échange de prisonniers, elle y fait figurer ces personnes portées disparues dont on ignore le sort. La question des personnes portées disparues pendant le conflit en Ukraine a fait l’objet d’un rapport spécifique de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées; la Résolution 2067 (2015) et la Recommandation 2076 (2015) ont été adoptées en juin 2015.
6. Dans le présent rapport, je traiterai à la fois des militaires et des civils capturés, par toutes les parties au conflit.
7. Le rapport vise notamment à évaluer la mise en œuvre de l’un des volets essentiels de l’accord de Minsk sur l’échange de prisonniers et la libération des otages et des personnes détenues illégalement dans le contexte du conflit en Ukraine. Il contient des recommandations adressées à toutes les parties au conflit, qui seront encouragées à accélérer ce processus conformément à leurs engagements internationaux.
8. En outre, le rapport examine le rôle de différents acteurs internationaux dans le processus de protection des personnes capturées et de libération de ces personnes, notamment le rôle de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), ainsi que des groupes de travail sur les questions humanitaires créés dans le cadre de l’accord de Minsk.
9. Dans le cadre de la préparation de ce rapport, j’ai effectué, du 24 au 26 novembre 2015, une mission d’information en Ukraine, où j’ai eu des discussions avec les autorités ukrainiennes, les organisations non gouvernementales et internationales qui interviennent sur cette question et un représentant de la «République populaire de Lougansk» (RPL) dans les négociations du groupe humanitaire de Minsk. Je tiens à remercier la délégation ukrainienne auprès de l’Assemblée parlementaire et son secrétariat pour l’organisation de cette visite. Ma gratitude va également à Mme Sasha Romancova, de l’ONG Centre for Civil Liberties, et à Mme Anna Mokrousova, de l’ONG Blue Bird, pour l’organisation de réunions avec les organisations non gouvernementales et les victimes de la captivité. Je sais personnellement gré à MM. Lev Mamay, Valerij Makeev, Oleksandr Kononov et Serhij Samarskiy, de leurs témoignages sur l’expérience cruelle qu’ils ont vécue en captivité.

2. Situation actuelle concernant les personnes capturées pendant le conflit en Ukraine

10. Les premiers cas de la série de crimes liés aux détentions illégales sont survenus entre la fin de février et le début de mars 2014, lorsque les séparatistes ont commencé à s’emparer des administrations locales dans l’est de l’Ukraine. Des citoyens de différentes catégories ont été capturés et privés de liberté, y compris des militaires, des agents des forces de l’ordre et des civils. Ces premiers cas de captivité ont été caractérisés par un degré de cruauté particulier. Depuis lors, des personnes ont été continuellement enlevées et détenues illégalement 
			(3) 
			Surviving Hell: Testimonies
of Victims on Places of Illegal detention in Donbas [Rescapés de
l’enfer: témoignages de victimes sur les lieux de détention illégale
dans le Donbass], Coalition d’organisations et d’initiatives «Justice
for Peace in Donbas» en coopération avec le Commissaire aux droits
de l’homme du Parlement ukrainien et avec l’appui de la Fondation
Helsinki pour les droits de l’homme (Varsovie), Kiev, 2015..
11. Comme l’a indiqué le Service de sécurité de l’Ukraine (SBU) 
			(4) 
			Tous les chiffres émanant
du Service de sécurité de l’Ukraine datent de fin mars 2016., principal organe officiel chargé du problème des personnes capturées, 3 015 otages avaient été libérés au 27 janvier 2016 (1 116 membres des Forces armées ukrainiennes, 264 membres de la Garde nationale de l’Ukraine, 112 agents du ministère de l’Intérieur, 26 agents du Service national des frontières de l’Ukraine, 28 journalistes, 66 membres des bataillons de volontaires, 39 bénévoles et 1 364 civils).
12. En tout, 123 personnes sont toujours retenues par des groupes séparatistes: 77 sont des militaires et des agents des forces de l’ordre (62 membres des Forces armées ukrainiennes, 4 membres de la Garde nationale de l’Ukraine, 1 membre de la Garde nationale, 5 agents du ministère de l’Intérieur et 5 membres des bataillons de volontaires) et 46 sont des civils (dont 3 bénévoles et 1 journaliste).
13. Un total de 693 personnes sont portées disparues: 274 sont des militaires et des agents des forces de l’ordre (208 membres des Forces armées ukrainiennes, 18 membres de la Garde nationale de l’Ukraine, 5 agents du Ministère de l’Intérieur, 29 membres des bataillons de volontaires) et 419 sont des civils (dont 13 bénévoles et 2 journalistes).
14. Cependant, ce chiffre n’inclut pas toutes les personnes qui ont été capturées par les séparatistes dans les territoires occupés, sachant que de nombreuses personnes ont eu peur de déclarer la captivité de leurs proches aux autorités ukrainiennes.
15. De leur côté, les autorités séparatistes avancent que 458 de leurs combattants militaires, 563 «prisonniers politiques» (selon leur expression) et 199 civils ont été capturés par la partie ukrainienne. Elles indiquent aussi avoir libéré 317 prisonniers ukrainiens 
			(5) 
			<a href='http://news24today.info/kiev-sorval-obmen-plennymi-v-lnr-izmeniv-ego-usloviya-v-odnostoronnem-poryadke--morozova.html'>http://news24today.info/kiev-sorval-obmen-plennymi-v-lnr-izmeniv-ego-usloviya-v-odnostoronnem-poryadke--morozova.html.</a>.
16. Par ailleurs, différentes organisations non gouvernementales collectent des informations sur les personnes en captivité. La base de données de l’ONG Blue Bird, qui recueille des informations sur les civils capturés dans les territoires occupés, recense 247 personnes portées disparues. Pour 63 d’entre elles, il est confirmé qu’elles ont été capturées par les séparatistes. L’ONG Centre for Civil Liberties, qui a réalisé une étude spéciale sur le problème de la détention illégale dans le Donbass 
			(6) 
			Surviving
Hell: Testimonies of Victims on Places of Illegal detention in Donbas, op. cit. , indique que le nombre de personnes capturées par les séparatistes se situe entre 500 et plusieurs milliers de ressortissants ukrainiens. L’écart important entre les chiffres donnés par les ONG et les chiffres officiels s’explique par le fait que les ONG tiennent compte des civils portés disparus qui ne sont pas officiellement déclarés aux autorités et comptabilisés par ces dernières dans leurs estimations.
17. Comme je l’ai mentionné plus haut, le problème des personnes capturées est directement lié à celui des personnes portées disparues. Une personne est considérée comme «capturée» dès lors que sa captivité est confirmée, tandis qu’une personne dont le sort n’est pas déterminé est considérée comme «disparue». Malheureusement, il est arrivé que des personnes qui étaient considérées comme «capturées» aient ensuite été «portées disparues». C’est le cas lorsque des personnes capturées sont transférées d’un lieu de captivité à un autre ou, pire, lorsqu’elles sont enlevées pendant leur captivité par un autre groupe séparatiste. En pareil cas, les informations sur leur sort deviennent caduques et les autorités ukrainiennes les incluent sur les listes des personnes portées disparues.
18. J’ai compris qu’en fait personne ne peut donner le chiffre exact des individus capturés et portés disparus à ce stade où le conflit est toujours en cours. Au cours de ma visite à Severodonetsk, j’ai appris qu’un nombre élevé de personnes étaient portées disparues dans la ville (environ 1 500) mais que, leur disparition n’ayant pas été officiellement déclarée, elles n’étaient pas enregistrées comme telles. Et ce chiffre ne concerne qu’une seule ville libérée par l’armée ukrainienne.
19. On ne dispose malheureusement pas d’informations sur la situation dans les territoires occupés; cela étant, j’ai eu connaissance de plusieurs allégations de disparition de personnes dans ces zones.

2.1. Militaires capturés

20. Pendant ma visite à Kiev, le vice-ministre ukrainien de la Défense, M. Ihor Dolgov, m’a indiqué que 62 militaires étaient aux mains des séparatistes. Sur l’ensemble de la période du conflit, 988 militaires avaient été capturés par les séparatistes, dont 926 avaient été libérés à la date de ma visite.
21. S’agissant de la Garde nationale, force militaire du ministère de l’Intérieur, 392 de ses éléments avaient été capturés ou avaient disparu. En outre, 210 personnes avaient été libérées et 72 avaient été trouvées mortes.
22. Parmi le personnel militaire capturé, il y avait aussi huit membres de la mission spéciale d’observation de l’OSCE, qui ont été libérés peu de temps après.

2.2. Civils capturés: quelques exemples

23. Les forces séparatistes de ce que l’on appelle la «République populaire de Lougansk» («RPL») et de la «République populaire de Donetsk» («RPD») ont capturé un certain nombre de civils, dont des journalistes, des bénévoles et des militants locaux. Plusieurs de ces personnes ont été victimes de torture, d’esclavage, de traitements humiliants, voire de viol. Les conditions de leur captivité ont été très mauvaises et les organisations internationales n’ont pas eu accès aux captifs.
24. A Severodonetsk, j’ai rencontré M. Oleksandr Kononov. Dès le début de la guerre, lui et sa femme, Viktoria Kononova, ont bénévolement apporté leur aide aux forces militaires ukrainiennes. Ce fut une décision très courageuse, étant donné que le couple vivait en territoire occupé et que de nombreux militants pro-ukrainiens y avaient été tués ou capturés. Un jour, ils furent eux-mêmes capturés par des séparatistes en se rendant sur la ligne de front avec de l’aide humanitaire. Le premier jour de leur captivité, ils furent tous deux soumis à des tortures: Viktoria fut étouffée au moyen d’un sac en plastique jusqu’à perdre connaissance; elle fut aussi soumise à des décharges électriques devant son mari; Oleksandr fut battu et soumis à la «roulette russe», simulacre de tir dans la tête; il s’en sortit avec des blessures. A la fin, les séparatistes demandèrent au couple de se dire adieu, feignant d’emmener Viktoria pour l’exécuter. Oleksandr fut conduit au centre de détention provisoire du Département de la police du district de Leninskyi dans la ville de Lougansk, où il fut détenu. Trois jours plus tard, il apprit que sa femme se trouvait dans la cellule voisine. Ils ont été détenus dans des conditions terribles: entre 15 et 20 personnes dans une petite cellule de huit mètres carrés, hommes et femmes mélangés. Au total, ils ont passé trois mois en captivité. Cette affaire est d’autant plus choquante qu’Oleksandr est un ancien combattant de la guerre d’Afghanistan, durant laquelle il a perdu sa main droite et sa jambe gauche. J’ai du mal à imaginer comment il a pu survivre à ces conditions inhumaines. Finalement, Oleksandr et Viktoria ont été libérés à l’occasion de l’échange de prisonniers organisé par des anciens combattants d’Afghanistan le 28 octobre 2014.
25. En Crimée, après l’occupation de la péninsule par la Fédération de Russie, les autorités locales se sont appuyées sur la législation russe de lutte contre l’extrémisme, le séparatisme et le terrorisme pour placer en détention des militants tatars de Crimée et ukrainiens. Par ailleurs, des procédures pénales forgées de toutes pièces ont été ouvertes, concernant de prétendues infractions commises avant l’occupation russe et à l’extérieur du territoire de la Crimée. Ainsi, huit personnes ont été privées de liberté pour des motifs d’ordre politique et sont toujours en captivité en Crimée: MM. Ahtem Chijzov, Ali Asanov et Mustafa Degerzhmendzhi ont été capturés lors de la manifestation du 26 février 2014 et accusés d’émeutes; MM. Ruslan Zejtulajev, Rustem Vaitov, Nuri Primov et Refat Sajfulaev, membres de l’association religieuse des Tatars de Crimée, ont été placés en détention sous le chef d’accusation d’activités terroristes; M. Yuri Ilchenko, propriétaire d’une école privée de langues étrangères, qui avait publié un article condamnant l’occupation russe de la Crimée et la guerre dans le Donbass sur son site internet, a été arrêté pour provocation à la haine. Il risque une peine de 20 ans d’emprisonnement.

2.3. Séparatistes détenus par les autorités ukrainiennes

26. Depuis le début de l’opération anti-terroriste, le Service de sécurité de l’Ukraine a arrêté 640 personnes impliquées dans les activités terroristes de groupes armés illégaux de ce que l’on appelle la «RPD» et la «RPL». Depuis mars 2014, le SBU a engagé 3 000 procédures pénales concernant des crimes contre la sûreté nationale et l’ordre public, des activités de groupes armés illégaux et d’organisations terroristes et d’autres infractions ayant trait à la propagation du séparatisme et du terrorisme dans le sud-est de l’Ukraine. En tout, 911 enquêtes pénales ont été menées à terme, ce qui a permis d’engager des poursuites pénales dans 529 affaires.
27. En 2015, le Service de sécurité a ouvert 2 592 procédures pénales pour des crimes relevant d’une ou plusieurs des catégories susmentionnées, dans le cadre desquelles 493 personnes ont été inculpées et ont vu leur affaire renvoyée pour procès. Par décision de justice, 141 personnes ont été arrêtées parce que soupçonnées d’avoir commis de tels crimes et 856 personnes ont été inscrites sur une liste de personnes recherchées.
28. Les autorités séparatistes soutiennent qu’un millier de personnes ont été détenues par la partie ukrainienne.
29. Dans son dernier rapport sur la situation des droits de l’homme en Ukraine, la mission des Nations Unies de surveillance des droits de l'homme en Ukraine (HCDH) 
			(7) 
			Rapports
sur la situation des droits de l’homme en Ukraine (6 août-15 novembre
2015), HCDH, p. 10-12. indique qu’elle a continué à enregistrer les allégations de mauvais traitements lors des arrestations et des premiers interrogatoires d’une heure conduits par le SBU, ainsi que les allégations de détention de personnes dans des lieux de détention informels.
30. Il y a eu des cas de détention de membres de différents bataillons militaires, y compris des bataillons de combattants séparatistes volontaires sur la ligne de front. Dans certains cas, les détenus ont été soumis à des mauvais traitements par les forces ukrainiennes et les procédures de détention ont été enfreintes. Ces cas sont décrits dans les rapports du Bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme 
			(8) 
			Rapports
sur la situation des droits de l’homme en Ukraine (16 février-15
mai 2015, 16 mai-15 août 2015 et 16 août-15 novembre 2015), HCDH.. D’après les autorités ukrainiennes, elles enquêtent sur chacun de ces cas et les auteurs des infractions sont poursuivis conformément à la loi. La police et les autorités militaires ont ainsi engagé plusieurs actions pénales, y compris pour enlèvement et mauvais traitement de prisonniers par des membres du bataillon de volontaires Aidar, notamment une action pénale contre l’ancien commandant de ce bataillon, M. Serhij Melnichuk.
31. Il y a également eu des cas de capture de civils pro-séparatistes par les autorités ukrainiennes. Certaines de ces personnes ont été arrêtées par le Service de sécurité de l’Ukraine parce que soupçonnées de soutien direct aux séparatistes. Dans la majorité des cas, elles sont avisées des accusations motivant leur détention le deuxième ou le troisième jour après leur arrestation. Cependant, les organisations bénévoles ont enregistré 10 cas de détention de personnes sans inculpation.
32. Plusieurs cas d’exécution de civils par les forces pro-ukrainiennes ont été rapportés au «Centre pour les libertés civiles», une ONG ukrainienne. La plupart impliquaient des combattants de bataillons de volontaires comme Aidar et Kiev-2. M. Volodymyr Nazdrychkin aurait ainsi été arrêté à un point de contrôle par trois combattants du bataillon Kiev-2 qui l’auraient dévalisé, torturé et tué sur place. Ils ont ensuite détruit sa voiture pour effacer les traces de leur crime 
			(9) 
			FIDH-CCL
– Eastern Ukraine: Civilians caught in the crossfire, octobre 2015,
p. 49..
33. Il est de la plus haute importance que tous ces cas de violation des droits de l’homme pendant la guerre en Ukraine fassent l’objet d’une enquête approfondie par les autorités ukrainiennes et que les auteurs répondent de leurs actes. Ces enquêtes doivent être transparentes et les victimes ou leurs familles doivent obtenir réparation.

2.4. Ressortissants ukrainiens détenus illégalement sur le territoire de la Fédération de Russie

34. En Fédération de Russie, 13 militants ukrainiens sont détenus illégalement par les autorités russes. Nombre d’entre eux ont été arrêtés par des agents du Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie et illégalement transférés sur le territoire russe.
35. Oleg Sentsov, célèbre cinéaste ukrainien, Olexandr Kolchenko, Olexii Cheerniy et Gennady Afanasyev ont été accusés d’activités terroristes sur le territoire de la Crimée et condamnés à des peines d’emprisonnement allant de 7 à 20 ans. D’après le médiateur ukrainien, ils ont été torturés pendant la procédure d’enquête 
			(10) 
			Annual report of the
Ukrainian Parliament Commissioner for Human Rights on the observance
of human and citizens’ rights and freedoms, Summary 2014 [rapport
annuel du Commissaire aux droits de l’homme du Parlement ukrainien
sur le respect des droits et libertés de l’homme et du citoyen,
résumé 2014], Kiev, 2015, p. 26..
36. Hayser Dzhemilev, fils de M. Mustafa Dzhemilev – qui est membre de l’Assemblée parlementaire et dirigeant de la communauté tatare de Crimée en Ukraine –, a été illégalement transféré de Crimée en Russie et condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans et demi.
37. Viktor Shur, Vlentyn Vyhivskyy et Yuriy Solonenko ont été accusés d’espionnage et risquent une peine d’emprisonnement de 20 ans.
38. Mykola Karpyuk et Stanislav Klyh ont été accusés d’homicide durant les actions militaires de la guerre de Tchétchénie. D’après les avocats des accusés, les enquêteurs n’ont pas apporté la preuve de l’implication de ces personnes dans les actions militaires en Tchétchénie.
39. Sergiy Litvinov risque la prison à vie pour l’accusation d’homicide durant les actions militaires dans le Donbass. Il est détenu à Rostov.
40. Le cas de M. Oleksandr Kostenko a créé un précédent très dangereux. Il a été arrêté en Crimée en février 2015 et accusé d’«actes de violence motivés par la haine politique et idéologique» pendant les évènements de Maïdan en 2014. Après cela, il a été illégalement transféré en Fédération de Russie, puis accusé par cette dernière d’actes commis sur le territoire de l’Ukraine contre des ressortissants ukrainiens.
41. Le cas de Mme Nadiia Savchenko, membre de l’Assemblée parlementaire, constitue la violation la plus flagrante des droits de l’homme de ressortissants ukrainiens par la Fédération de Russie. Mme Savchenko, qui combattait en tant que soldat d’infanterie dans le bataillon de volontaires «Aidar», fut capturée lors d’une bataille par des séparatistes le 17 juin 2014. Après cela, elle fut transférée de force et détenue illégalement en Russie. Elle est accusée d’avoir effectué des missions de repérage pour l’artillerie et d’avoir délibérément demandé et guidé la frappe qui a tué deux journalistes russes, MM. Kornelyuk et Voloshin. Les avocats de la défense de Mme Savchenko affirment être en possession de données de son téléphone mobile, qui prouvent qu’elle a été capturée une heure avant la frappe ayant coûté la vie aux journalistes.
42. Le cas de Mme Savchenko est devenu emblématique de la résistance ukrainienne, notamment lorsqu’elle a entamé une grève de la faim. Il est aussi devenu un sujet de pourparlers politiques lors des négociations de Minsk, mais malheureusement les autorités russes ont rejeté tous les appels à la libération de Mme Savchenko lancés par la communauté internationale. Actuellement, Mme Savtchenko est toujours détenue dans la Fédération de Russie et le tribunal russe, par sa décision du 22 mars 2016, l’a reconnue coupable et l’a condamnée à une peine d’emprisonnement de 22 ans.

3. Echanges de prisonniers

43. L’échange de prisonniers a été l’un des principaux sujets de l’accord de Minsk, dont le point 6 prévoit la libération et l’échange de l’ensemble des otages et des personnes retenues illicitement, sur la base du principe de «tous contre tous», en précisant que ce processus devra prendre fin au plus tard le cinquième jour suivant le retrait des troupes. Cependant, l’application de cette partie de l’accord a été bloquée.
44. Il convient de noter que l’accord de Minsk ne couvre pas tous les prisonniers ukrainiens dans la Fédération de Russie.
45. Les autorités ukrainiennes soutiennent que les séparatistes incluent dans leurs listes les noms de détenus qui ont été inculpés et condamnés pour différentes infractions et purgent leur peine d’emprisonnement dans un établissement pénitencier, ou qui ont été inculpés et attendent leur procès. Cela complique sérieusement le processus d’échange dans la mesure où, pour libérer ces auteurs d’infractions pénales, les tribunaux doivent réexaminer les accusations, ce qui constitue une violation de la législation ukrainienne.
46. La libération de civils capturés est encore compliquée par le fait que les autorités ukrainiennes ne peuvent pas échanger des combattants capturés contre des civils: si elles procédaient ainsi, elles mettraient en danger la population civile des territoires contrôlés par les séparatistes.
47. Deux des échanges de prisonniers les plus récents sont intervenus le 29 octobre 2015, date à laquelle 20 prisonniers ont été échangés (les séparatistes ont remis 8 soldats ukrainiens et un civil en échange de 11 séparatistes capturés au cours des combats) et le 1er décembre 2015, date à laquelle l’officier ukrainien Andrij Grechanov, chef du Service des enquêtes de la 81e brigade des forces ukrainiennes, a été échangé contre l’officier russe Vladimir Strelkov, capturé par le Service des gardes-frontières ukrainien durant l’été 2015.
48. Il y a eu des cas où les proches de prisonniers ont négocié la libération de ces derniers directement auprès de séparatistes à titre privé. Très souvent, ils versent une rançon pour obtenir la libération du membre de leur famille détenu. Ce phénomène a créé un risque préoccupant d’extorsion et d’escroquerie: des bandits et des bandes criminelles prétendant avoir des nouvelles de personnes portées disparues ou capturées pourraient venir terroriser leurs familles. L’aspect le plus odieux est que certains négociateurs officiels, selon les accusations d’organisations bénévoles, solliciteraient de l’argent des familles de prisonniers en vue de faciliter leur libération.
49. L’implication de personnalités controversées telles que l’oligarque Viktor Medvedchuk, qui entretient des liens personnels avec le Président Poutine et intervient en tant que représentant de l’Ukraine au sein du sous-groupe humanitaire du Groupe de contact trilatéral, est vivement contestée par la société civile et les organisations bénévoles qui traitent du problème des prisonniers. Elles l’accusent de saper et de ralentir le processus d’échange.
50. Si le processus d’échange était à peine encadré du côté des séparatistes au début du conflit, deux représentantes des négociations du groupe humanitaire de Minsk sont désormais chargées de cette question: Mme Darya Morozova, de la dite «République populaire de Donetsk», et Mme Olga Kobceva, de la dite «République populaire de Lougansk». La «RPD» a même établi une commission sur l’échange de prisonniers. Néanmoins, des échanges sont encore organisés par les chefs de groupes séparatistes, qui ne coordonnent pas leur action avec le gouvernement séparatiste et sont guidés par leurs propres intérêts.
51. Le principal problème dans l’échange de prisonniers est la coordination des listes et des catégories de personnes capturées des deux côtés. Ce processus est aussi compliqué par l’absence d’informations précises sur le nombre de personnes détenues en captivité par les différents groupes séparatistes. Maintenant que le Centre du Service de sécurité de l’Ukraine va devenir l’organe unique responsable de la libération des personnes capturées en Ukraine, j’espère que le processus de négociations sur la base du principe «tous contre tous» sera facilité. Trouver une solution pour la libération de l’ensemble des prisonniers devrait être une priorité pour toutes les parties au conflit.

4. Préoccupations majeures liées à la situation de captivité

4.1. Considérations juridiques

52. La question de l’échange de prisonniers n’est pas correctement réglementée par le droit ukrainien, ce qui peut se comprendre dans la mesure où le pays ne s’était pas préparé à ce conflit militaire. Par conséquent, outre le Code de procédure pénale, qui réglemente les termes de la détention des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions pénales, deux autres actes normatifs concernent directement le problème des personnes capturées. Malheureusement, ils comportent de nombreuses lacunes en termes de protection des droits de l’homme.
53. La loi portant modification de la loi sur la lutte contre le terrorisme 
			(11) 
			<a href='http://w1.c1.rada.gov.ua/pls/zweb2/webproc4_1?pf3511=51738'>http://w1.c1.rada.gov.ua/pls/zweb2/webproc4_1?pf3511=51738.</a> inclut une disposition applicable dans la zone des opérations anti-terroristes concernant la détention préventive, pendant une durée supérieure à 72 heures, des personnes impliquées dans des activités terroristes. Ces personnes peuvent être détenues sans décision de justice pendant une période pouvant aller jusqu’à 30 jours. Cela signifie que les organes d’application de la loi, sans devoir engager une procédure pénale, peuvent placer une personne en détention pendant un mois sans qu’une décision judiciaire ait été prise à cet effet. Dans ces conditions, la personne concernée ne bénéficie d’aucune garantie contre l’arbitraire; en particulier elle est privée du droit d’assurer sa défense, du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de la présomption d’innocence.
54. Le projet de loi sur la prévention de la persécution et du châtiment des personnes impliquées dans les évènements qui ont eu lieu sur le territoire des régions de Donetsk et Lougansk 
			(12) 
			<a href='http://w1.c1.rada.gov.ua/pls/zweb2/webproc4_1?pf3511=52183'>http://w1.c1.rada.gov.ua/pls/zweb2/webproc4_1?pf3511=52183.</a>, dite loi d’amnistie, comporte de nombreuses lacunes de nature procédurale et contextuelle. En particulier, il n’exclut pas du champ des bénéficiaires d’une telle amnistie les personnes ayant commis des actes de torture et de mauvais traitement. Cela crée la possibilité que des personnes ayant commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité se soustraient à leurs responsabilités sur le plan judiciaire, ce qui constitue une violation d’un principe clé du droit international humanitaire et de la Constitution de l’Ukraine. Il convient de noter que cette loi attend toujours la signature du Président ukrainien.
55. L’entrée en vigueur de la loi d’amnistie est l’une des principales conditions préalables à un échange de prisonniers à grande échelle formulées par les séparatistes. La loi a été adoptée par le Parlement ukrainien en 2014, mais n’a pas encore été signée par le Président. La mise en œuvre de cette loi est prévue par l’accord de Minsk II (paragraphe 5: «Garantir la grâce et l’amnistie en promulguant la loi interdisant toutes poursuites et toutes sanctions à l’encontre de personnes en rapport avec les événements qui ont eu lieu dans certaines zones des régions ukrainiennes de Donetsk et de Lougansk»).
56. Quoi qu’il en soit, les négociateurs de la partie séparatiste ne sont pas pleinement satisfaits de cette loi et souhaiteraient la voir modifiée. La partie ukrainienne se dit disposée à examiner des modifications, mais la violation continue du cessez-le-feu rend impossible l’adoption d’un nouveau projet de loi. Toute idée d’amnistie et d’échange de prisonniers sur la base du principe «tous contre tous» ne serait réalisable qu’à la condition d’un arrêt de toutes les opérations militaires des deux côtés.
57. S’agissant du droit international humanitaire, les droits et les obligations des parties en rapport avec les prisonniers de guerre sont énoncés par la troisième Convention de Genève de 1949. Ils peuvent être résumés en une phrase: «Les détenus doivent toujours être traités avec humanité.» Le fait de soumettre des prisonniers de guerre à la torture ou à tout autre traitement cruel constitue un crime de guerre.
58. La protection des civils contre la prise d’otages dans les territoires occupés et dans les zones militaires est réglementée par la quatrième Convention de Genève de 1949 et les deux Protocoles additionnels de 1977 (sur les conflits armés internationaux et non internationaux).
59. Pour résumer, en tenant compte de la situation actuelle de conflit militaire sur son territoire, l’Ukraine devrait mettre sa législation interne, y compris son Code pénal et son Code de procédure pénale, en harmonie avec les dispositions du droit international pénal. La loi d’amnistie élaborée pour mettre en œuvre les points pertinents de l’accord de Minsk devrait inclure une procédure claire garantissant que ceux qui ont commis des crimes graves et actes de trahison ne bénéficient pas de l’amnistie.
60. L’Ukraine devrait également ratifier le Statut de Rome afin de permettre à la Cour pénale internationale de mener des enquêtes effectives sur des cas concrets de violation du droit international humanitaire pendant la guerre en Ukraine. Il s’agit également de l’une des obligations des autorités ukrainiennes vis-à-vis de l’Union européenne, conformément à l’accord d’association.
61. Je pense également que la mise en œuvre du paragraphe 6 de l’accord de Minsk sur la libération de tous les prisonniers de guerre et otages civils devrait constituer un objectif prioritaire et ne devrait pas être lié à l’adoption de la loi sur l’amnistie.

4.2. Traitement inhumain des prisonniers

62. L’ONG Centre pour les libertés civiles a rédigé un rapport sur les otages, la torture et les exécutions extrajudiciaires dans la région de Lougansk. Elle a interrogé 130 personnes libérées par les séparatistes. Un otage civil sur deux a déclaré avoir été torturé par des séparatistes. Dans plus de 40 % des cas, les personnes capturées ont indiqué avoir été interrogées par des militaires ou des volontaires russes. Dans certains cas, les prisonniers avaient été transportés sur le territoire de la Fédération de Russie et y avaient été torturés.
63. Lors de ma visite en Ukraine, j’ai personnellement rencontré quatre civils qui avaient été capturés par les séparatistes. Tous ont déclaré avoir été battus, torturés et soumis à de mauvais traitements. Les types de mauvais traitements les plus courants sont les coups et les passages à tabac. Souvent, les personnes capturées sont battues plusieurs fois par jour; parfois, le passage à tabac peut durer 20 minutes. Au cours des interrogatoires, les séparatistes recourent souvent à la méthode de la suffocation. Certaines personnes capturées sont aussi soumises à la torture sous forme de décharges électriques et de simulacres de tir et d’exécution, en plus d’être détenues dans des conditions inhumaines, notamment dans des bâtiments dépourvus d’installations sanitaires, peu ouvertes à la lumière naturelle et très humides (par exemple, des caves).
64. De nombreux prisonniers ont été témoin de l’exécution d’autres personnes pendant leur période de captivité. Des prisonniers ont aussi indiqué que les séparatistes avaient placé en détention de nombreux habitants locaux et même des combattants issus de leurs propres rangs pour différentes sortes de violations de l’ordre public. Ces personnes ont elles aussi été soumises à des passages à tabac, des actes de torture et des exécutions.
65. Les «défilés de prisonniers de guerre» constituent une des formes les plus cruelles de traitement des soldats ukrainiens capturés. Cette forme de traitement vise à humilier et déshonorer encore davantage les prisonniers aux yeux des médias et du public. Les images de ces «défilés» sont diffusées dans les médias locaux et sur internet.
66. Des militaires et des civils capturés témoignent de l’existence d’une pratique de travail forcé pendant la période de leur détention par les séparatistes. Des prisonniers ont été contraints de creuser des tranchées, de reconstruire des maisons, d’assurer la propreté de locaux 
			(13) 
			Surviving
Hell: Testimonies of Victims on Places of Illegal detention in Donbas, op. cit., p. 31. et de voies publiques et de décharger des «convois russes» d’armes. Certains prisonniers ont également été forcés de procéder à des exhumations ou d’enterrer des cadavres.
67. A l’occasion de mes réunions officielles à Severodonetsk, j’ai appris que pendant l’occupation de ce territoire, de nombreux citoyens locaux ont été emmenés de force par les séparatistes pour effectuer un travail forcé dans des mines et sur le territoire russe. On ignore toujours ce qu’il est advenu de 1 500 personnes.
68. J’ai été informée que les autorités ukrainiennes ont envoyé aux autres parties au conflit 24 demandes d’information concernant les conditions de détention des Ukrainiens capturés et les lieux où ils sont détenus. Elles n’ont reçu aucune réponse officielle à ce jour. Le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l'Europe devrait, selon moi, mettre en place une mission spéciale de contrôle pour vérifier les conditions de détention des prisonniers ukrainiens détenus pour des motifs politiques en Fédération de Russie ainsi qu’en Crimée, et de ceux détenus illégalement dans les territoires contrôlés par ce que l’on appelle la «RPL» et la «RPD». La mission devrait également vérifier la situation des personnes qui sont détenues par les autorités ukrainiennes sur la base d’allégations selon lesquelles elles auraient été impliquées dans des activités séparatistes et terroristes pendant la guerre en Ukraine.

4.3. Assistance aux personnes libérées et à leurs familles par le Gouvernement ukrainien

69. Depuis le début du conflit, des négociations en vue de la libération de prisonniers de la partie ukrainienne ont été menées par différents acteurs et organismes officiels, mais aussi par des bénévoles et organisations non gouvernementales, des acteurs privés et des proches de prisonniers. Cependant, jusqu’à récemment ces efforts n’étaient pas coordonnés, ce qui explique en partie les écarts notables entre les estimations du nombre de prisonniers.
70. Au niveau gouvernemental, un Centre interministériel d’aide à la libération des captifs et des otages et de recherche des personnes portées disparues a été établi en septembre 2014 en tant que principal organe responsable des négociations en vue de l’échange de prisonniers. Cependant, dans la pratique, le Centre a seulement fait office de ligne téléphonique d’urgence pour l’enregistrement d’informations sur les personnes capturées et portées disparues. Il n’a pas joué le rôle d’un mécanisme de coordination avec les autres organes d’application de la loi et, par conséquent, n’a pas réellement assuré sa fonction.
71. Ce n’est qu’en octobre 2015, après les critiques formulées par différentes ONG et les recommandations faites par l’Assemblée dans la Résolution 2067 (2015) sur les personnes portées disparues pendant le conflit en Ukraine, que le Gouvernement ukrainien a restructuré le Centre et l’a placé sous l’autorité du Service de sécurité de l’Ukraine, en tant que nouveau Centre unique de coordination de la recherche et de la libération des personnes illégalement privées de liberté et des otages, et de localisation des personnes portées disparues dans la zone des opérations anti-terroristes. Le nouveau centre devrait réunir des représentants de tous les organes d’application de la loi, mais aussi des représentants d’ONG et d’organisations bénévoles ainsi que certains particuliers. Il devrait établir une liste des personnes capturées depuis le 7 avril 2014, coordonnera le processus de négociation en vue de la libération des prisonniers et traitera les demandes des citoyens en rapport avec ce problème.
72. Comme indiqué lors de mes entretiens au ministère de la Défense et à la Garde nationale de l’Ukraine, ces organes sont représentés au sein du nouveau centre et contribuent activement à son travail.
73. En cas de capture d’un militaire, à la suite du rapport adressé par le commandant au quartier général de l’armée sur la capture ou la disparition d’un de ses éléments, une procédure d’enquête est immédiatement déclenchée. Conformément à l’article 6 de la loi sur la protection sociale du personnel militaire, la famille d’un militaire capturé perçoit sa solde mensuelle. Les militaires libérés ont aussi droit à une réadaptation psychologique gratuite, garantie par la nouvelle loi du 3 novembre 2015 portant modification du régime de protection sociale des militaires et de leurs familles.
74. Les autorités ukrainiennes ont pris quelques mesures concrètes en coopération avec les ONG pour apporter une aide directe aux personnes capturées. Le ministère de la Défense a organisé plusieurs distributions de vivres et de vêtements chauds aux personnes détenues par les séparatistes dans les territoires occupés. Le ministre de l’Intérieur de l’Ukraine a aussi pris la décision d’allouer une enveloppe de 10 000 UAH à chaque personne libérée.
75. La situation est beaucoup plus compliquée en cas de capture d’un civil. Etant donné que cette situation est nouvelle d’un point de vue juridique, elle n’est pas réglementée par la législation ukrainienne en vigueur. En pratique, les familles de prisonniers doivent informer la police ou le Service de sécurité de l’Ukraine des cas de captivité, et ces autorités doivent engager une procédure et une enquête pénales pour chaque demande. La législation ukrainienne ne définit pas de statut spécial de «personne capturée»; par conséquent, les familles des personnes capturées n’ont pas droit à une assistance financière ou sociale. En théorie, en cas d’ouverture de la procédure pénale par le parquet général, les personnes libérées peuvent se voir reconnaître le statut de victime. Le ministère de la Politique sociale doit fournir une aide médicale et sociale à ces personnes. Dans les faits, les hôpitaux sont surchargés et la procédure administrative à suivre pour bénéficier d’une aide est si compliquée que les citoyens n’ont pas le courage de déposer une demande d’aide.
76. Une fois libérés, de nombreux prisonniers sont confrontés à plusieurs problèmes de taille. Les civils libérés éprouvent des difficultés pour quitter les zones militaires, sachant que, très souvent, ils n’ont pas d’argent et que leurs documents d’identité ont été détruits par les séparatistes. Le principal problème auquel ils sont confrontés est de trouver une nouvelle habitation.
77. Toutes les personnes libérées ont besoin de mesures spéciales d’aide psychologique et de réadaptation. Hélas, l’Ukraine ne dispose pas d’un nombre suffisant de spécialistes médicaux qualifiés prêts à prendre en charge les victimes de captivité. Par ailleurs, le niveau de culture en la matière est faible dans la société: les gens n’ont pas l’habitude des consultations psychologiques et préfèrent ne pas parler de leurs problèmes, craignant d’être stigmatisés. Cependant, des organisations non gouvernementales telles que le Service psychologique de crise, Pouvoir des femmes d’Ukraine et les Ligues des officiers dispensent une assistance psychologique aux victimes d’actions militaires. La Garde nationale de l’Ukraine et le ministère de la Défense ont créé des services spécialisés en aide psychologique et organisent des formations à l’intention de leurs personnels avec l’appui de professionnels en provenance de pays qui ont acquis une expérience en matière de conflits militaires. Le ministère de la Défense a ouvert quatre centres de réadaptation psychologique.
78. L’expérience de la guerre du Vietnam et d’autres conflits militaires a montré que les traumatismes psychologiques doivent être traités aussitôt que possible. Si les personnes ayant subi une «blessure invisible» ne sont pas prises en charge sans délai par des professionnels, des répercussions négatives du traumatisme (telles que la violence, la toxicomanie ou l’alcoolisme) pourraient se manifester au cours des vingt années suivantes.

5. Contribution de la société civile et de la communauté internationale à la libération et au soutien des personnes capturées

5.1. Rôle des organisations bénévoles et des organisations non gouvernementales dans la libération et le soutien des personnes capturées

79. Dès les premiers jours du conflit, les organisations bénévoles et les ONG, en particulier celles qui étaient établies dans les zones nouvellement occupées, ont activement participé à la recherche et à l’échange des victimes de captivité, et leur ont apporté une assistance.
80. Notamment au début du conflit, bon nombre de personnes capturées n’ont été relâchées qu’à l’initiative et grâce aux efforts de bénévoles. Certains de ces bénévoles ont eux-mêmes été capturés et, après leur libération, ont fait tout leur possible pour obtenir la libération d’autres personnes en captivité. J’aimerais ici exprimer mon soutien à ces personnes courageuses qui risquent leur vie pour sauver celle d’autrui, à savoir Mme Anna Mokrousova, M. Valerij Makeev, Mme Gajde Rizaeva, Mme Alla Gontar et Mme Oksana Bilozir, ainsi qu’aux organisations Blue Bird, Patriot, South, le Centre pour la libération des prisoniers et Donbass SOS. Parfois, les commandants militaires des séparatistes sont plus réticents à entrer en contact et à négocier avec les bénévoles qu’avec les autorités officielles. Les bénévoles ont été les premières personnes à recueillir des informations sur les civils capturés et à rendre publique la base de données de ces personnes capturées et portées disparues.
81. Des ONG telles que le Centre pour les libertés civiles, Euromajdan SOS, la Coalition des initiatives civiles et Justice pour la paix dans le Donbass accomplissent un travail très important en matière de collecte et d’enregistrement d’informations sur les violations des droits de l’homme en Crimée et dans les territoires occupés. Leurs rapports sont soumis à la Cour internationale de justice de La Haye, qui, je l’espère, établira un tribunal spécial pour traduire en justice tous ceux qui ont commis des crimes graves pendant ce conflit.
82. L’assistance initiale aux victimes de captivité et à leurs familles est aussi dispensée par des organisations non gouvernementales, telles que Forpost, qui fournit des services de réadaptation aux militaires, et Sich, qui procure une aide sociale et psychologique aux victimes du conflit. Désormais, après presque deux ans de conflit, ces organisations interviennent en étroite coopération avec des organismes de l’Etat, alors qu’au début du conflit elles étaient le seul contact des familles des personnes capturées.
83. A mon sens, il est très important que l’Etat reconnaisse le rôle important que les organisations non gouvernementales jouent dans la résolution du problème des personnes capturées et les associe à l’élaboration des dispositions législatives et des procédures administratives pertinentes, ainsi qu’à la formation des professionnels en charge de ce problème.

5.2. Assistance des organisations internationales

84. La mission de l’OSCE en Ukraine ne joue aucun rôle dans le processus de Minsk en ce qui concerne les questions humanitaires. Les autorités de ce que l’on appelle la «RPL» et de «RPD» s’opposent à l’intervention de l’OSCE dans des questions autres que la sécurité. Il en va de même en ce qui concerne le territoire de la Crimée, auquel l’OSCE n’a pas accès.
85. Le CICR a commencé à participer à l’assistance aux populations affectées par le conflit en Ukraine au printemps 2014. Il a rendu visite respectivement en 2014 et en 2015 à 155 et 618 personnes détenues par les autorités ukrainiennes en relation avec le conflit. En revanche, début 2016, il n’a rendu visite qu’à quatre personnes capturées et retenues par les séparatistes.
86. Le 29 octobre 2015, pour la première fois, le CICR a participé à la libération et au transfert vers leur localité d’origine de 20 personnes détenues en relation avec le conflit en Ukraine. Agissant en tant qu’intermédiaire neutre et en conformité avec son mandat, le CICR a facilité cette libération et ce transfert en concertation avec toutes les parties 
			(14) 
			Ukraine:
ICRC facilitates release and transfer of conflict-related detainees
[Ukraine: le CICR facilite la libération et le transfert de détenus
dans le contexte du conflit], CICR, communiqué de presse, 29 octobre
2015.. Le 15 novembre 2015, il a facilité une opération similaire qui a permis la libération et le transfert de quatre personnes détenues vers leur localité d’origine.
87. La Cour européenne des droits de l’homme traite elle aussi le problème des personnes capturées pendant le conflit en Ukraine. On dénombre actuellement trois requêtes interétatiques introduites par l’Ukraine contre la Russie (Ukraine c. Russie, Requêtes nos 42410/15, 20958/14 et 43800/14). L’affaire Ukraine c. Russie, la plus récente (Requête no 42410/15), concerne principalement la responsabilité de la Russie dans les nombreuses violations de la Convention européenne des droits de l’homme commises en Crimée et dans les territoires de Donetsk et de Lougansk, y compris les cas d’enlèvement et de détention de militants de l’opposition et de membres de la communauté tatare de Crimée, ainsi que de tortures et de mauvais traitements infligés à des civils et des militaires ukrainiens. La Cour a invité le Gouvernement russe à faire part de ses observations sur cette affaire.
88. Plus de 200 requêtes individuelles introduites par des soldats et/ou leurs proches à la suite de leur enlèvement et de leur captivité subséquente sont actuellement en instance devant la Cour. Dans plus d’une centaine d’autres requêtes introduites devant la Cour, les requérants se plaignent d’avoir subi des dommages corporels ou des tortures, ou de ce que des proches ont été tués ou ont disparu à la suite d’actions de membres du mouvement séparatiste ou dans le cadre d’opérations militaires 
			(15) 
			La
Cour européenne des droits de l’homme communique à la Russie une
nouvelle affaire interétatique concernant les événements en Crimée
et dans l’Est de l’Ukraine, communiqué de presse du Greffier de
la Cour, CEDH 296(2015), 1er octobre
2015..
89. Il y a aussi une requête individuelle, Savchenko c. Russie (Requête no 50171/14), introduite par Mme Nadiia Savchenko, membre de l’Assemblée parlementaire, pour son placement en détention par les autorités russes au motif qu’elle était soupçonnée de meurtre et de passage illégal de la frontière russe. La Cour attend les observations écrites du Gouvernement russe. Actuellement, Mme Savtchenko est toujours détenue dans la Fédération de Russie et le tribunal russe, par sa décision du 22 mars 2016, l’a reconnue coupable et l’a condamnée à une peine d’emprisonnement de 22 ans.

6. Conclusions et recommandations

90. La première chose que m’ont dite les autorités locales de Severodonetsk, ville située à 50 km de la ligne de front et libérée des séparatistes en juillet 2014, est qu’il n’y a pas de véritable cessez-le-feu et que le conflit est loin d’être terminé. En fait, ce qui se passe dans la partie orientale de l’Ukraine ne constitue pas à proprement parler un conflit. Pour la population locale, les personnes libérées et les soldats que nous avons rencontrés au niveau des postes de contrôle, les «opérations anti-terroristes» ont pris la tournure d’une guerre qui ne dit pas son nom. Et sans une volonté forte de part et d’autre d’arrêter cette guerre, de retirer tous les armements et de restaurer un climat de paix dans la région, un règlement du problème des personnes capturées pendant le conflit en Ukraine est impossible.
91. Toutes les parties à ce problème, y compris la Fédération de Russie, devraient réaffirmer leur attachement à un traitement humain et digne des personnes en captivité. Elles devraient également accorder aux organisations humanitaires internationales l’accès à tous les détenus sans conditions. Concernant la question de l’échange de prisonniers, il est très important que toutes les parties fassent preuve d’une plus grande volonté d’appliquer l’accord de Minsk. L’amnistie ne devrait être accordée qu’aux séparatistes qui n’ont pas commis de crimes et d’actes de trahison graves.
92. La Fédération de Russie devrait user de son influence sur les séparatistes afin de les exhorter à libérer tous les prisonniers. Elle devrait aussi libérer tous les prisonniers ukrainiens qui sont détenus sur son territoire.
93. Afin de faciliter les négociations avec chaque partie, les autorités ukrainiennes devraient selon moi désigner un représentant officiel dont la mission consisterait à coordonner l’aide humanitaire et sociale à la population civile dans les territoires occupés en étroite concertation avec des organisations humanitaires internationales, et à faciliter le processus d’échange de prisonniers.
94. D’un point de vue juridique, il est très important d’instruire tous les cas de traitement inhumain subi par des prisonniers des différentes parties au conflit et de punir tous les auteurs de ces crimes conformément à la législation ukrainienne. Le Code pénal de l’Ukraine devrait être modifié de sorte à y inclure un statut de personne capturée et à y ériger la torture en crime grave.
95. La communauté internationale devrait être davantage associée au processus de libération des prisonniers, notamment en tant que médiateur et facilitateur de ce processus. Le CICR possède une expérience inestimable en la matière; il devrait appliquer son mandat en contrôlant les conditions de détention des prisonniers et en facilitant leur libération, en sa qualité d’intermédiaire neutre. L’OSCE devrait elle aussi participer plus activement aux négociations et au règlement du problème des personnes capturées durant les opérations militaires en Ukraine. Je pense qu’il est très important de mettre sur pied une commission multilatérale spéciale, avec la participation d’organisations internationales, pour dresser des listes des prisonniers de toutes les parties et enregistrer tous les cas de traitement inhumain de prisonniers.
96. Une fois que des personnes capturées sont libérées, elles devraient être transférées vers leur localité d’origine et recevoir les premiers secours et une assistance médicale, sociale et psychologique. Le règlement de la question de leur statut juridique est crucial pour leur réadaptation.
97. Les autorités ukrainiennes devraient, dans les meilleurs délais, régler la question de l’aide médicale, juridique, financière et sociale aux personnes libérées, en particulier les civils. S’agissant des personnes qui sont toujours en captivité, l’Etat devrait apporter une aide financière à leurs familles. Les organes d’application de la loi devraient ouvrir une enquête pénale pour tout cas d’enlèvement et de détention illégale, ainsi que pour tout cas d’extorsion et de corruption en rapport avec la libération de personnes capturées.
98. Très souvent, les personnes sortant de captivité ont des difficultés pour récupérer leurs documents d’identité, leurs diplômes et leur permis de conduire. Le ministère ukrainien de l’Intérieur devrait mettre en place une procédure spéciale pour faciliter la délivrance de nouveaux documents.
99. La nouvelle loi sur la réadaptation psychologique devrait être élaborée en étroite concertation avec les ONG et les spécialistes internationaux qui interviennent dans ce domaine. Cette loi devrait avant tout répondre aux besoins des victimes des opérations militaires.
100. Enfin, même si l’on ne connaît pas le nombre exact de personnes en captivité, on peut estimer à plusieurs milliers le nombre de personnes libérées et de personnes capturées. Je pense qu’il est du devoir du Gouvernement ukrainien et de toutes les structures qui en dépendent d’agir pour atténuer les souffrances de ces personnes et leur assurer une protection de l’Etat, une aide en réaffirmant la responsabilité de l’Etat à leur égard pour leur avenir.