1. Introduction
1. En 2013, le Comité de bioéthique
(DH-BIO) du Conseil de l'Europe a commencé à élaborer un protocole additionnel
à la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine (STE
no 164, «Convention d’Oviedo»), visant
à protéger les droits humains et les libertés fondamentales des
personnes atteintes de «troubles mentaux» à l'égard de l’utilisation
du traitement et du placement involontaires
.
A cette fin, un groupe de rédaction a été mis en place, qui a tenu
sa première réunion les 19 et 20 juin 2013.
2. Le 1er octobre 2013, pour permettre
au point de vue de l’Assemblée parlementaire d’avoir le maximum d’impact
sur le processus de rédaction du protocole additionnel et son résultat
final, la commission des questions sociales, de la santé et du développement
durable a déposé une proposition de recommandation intitulée «Le
placement et le traitement involontaires des personnes ayant un
handicap psychosocial: nécessité d’un nouveau paradigme», qui est
à l’origine du présent rapport. Se référant à la Convention des Nations
Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) et à
son approche fondée sur les droits caractérisée par la non-discrimination,
l'autonomie et l'inclusion des personnes handicapées, la proposition soulignait
que le principe même du recours à des mesures involontaires pour
les personnes ayant un handicap psychosocial (problèmes de santé
mentale)
était
remis en cause.
3. Le 11 mars 2014, le groupe de rédaction a organisé, conjointement
avec le Bureau du DH-BIO, une audition des organisations internationales
non gouvernementales (OING) qui représentent les différentes parties
prenantes (y compris les patients, les professionnels de santé et
les personnes ayant un handicap psychosocial). Le 6 mai 2014, le
DH-BIO a procédé à un premier échange de vues sur un avant-projet
de protocole additionnel établi par le groupe de rédaction sur la
base des observations des délégations au DH-BIO et des remarques
formulées par les OING à l’occasion de l’audition susmentionnée.
Lors de sa réunion le 13 novembre 2014, le DH-BIO a procédé à un
échange de vues sur la version révisée du projet de protocole additionnel
.
4. Le 24 mars 2015, j’ai présenté à la commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable une note introductive
dans laquelle j’exposais mes doutes quant à la compatibilité du
projet de protocole additionnel avec la CDPH et à l'opportunité
d'élaborer, au niveau du Conseil de l'Europe, un instrument juridiquement
contraignant sur le placement et le traitement involontaires des
personnes ayant un handicap psychosocial. J'ai également fait part
de mes préoccupations à l'égard du processus de rédaction du protocole
additionnel, qui se déroulait à huis clos, sans participation directe
des organisations de défense des droits des personnes handicapées,
comme requis par la CDPH et l'Assemblée
. Pour faire
entendre en amont le point de vue et les préoccupations de l’Assemblée,
j’ai proposé que la note introductive soit mise à la disposition
du DH-BIO et du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe. La commission a accepté cette proposition.
5. Le 5 mai 2015, j'ai assisté à la réunion du DH-BIO et exposé
personnellement les préoccupations exprimées dans ma note introductive.
Le DH-BIO a estimé que, lors de l’élaboration du protocole additionnel, il
a été dûment tenu compte des instruments juridiques existants, en
particulier de la CDPH. A la même réunion, le DH-BIO a convenu de
rendre public pour consultation un projet de protocole additionnel.
6. La consultation publique a été lancée en juin 2015 et a duré
jusqu'au 15 novembre 2015. Au total, 39 commentaires ont été reçus,
y compris du Rapporteur général de l'Assemblée parlementaire sur
les droits des lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT),
du Commissaire aux droits de l’homme, du Comité d'experts sur les
droits des personnes handicapées du Conseil de l'Europe, des organes
des Nations Unies, de l’Agence des droits fondamentaux de l'Union
européenne et d’organisations non gouvernementales (ONG). Les réponses
étaient principalement de deux types: les unes faisaient état de
préoccupations fondamentales sur le projet de protocole additionnel,
soulignant l'incompatibilité de son approche avec la CDPH, et demandant que
la proposition d'élaborer un protocole soit retirée; et les autres
contenaient des propositions de rédaction, acceptant implicitement
ou explicitement l'approche adoptée par le projet de protocole additionnel.
7. Lors de sa dernière réunion, le 1er décembre
2015, le DH-BIO a procédé à un échange de vues sur les commentaires
reçus durant la consultation publique. J’étais présente lors des
discussions et j’ai exprimé mon entière confiance que le DH-BIO
entendrait les préoccupations de plusieurs organismes des droits
humains au sujet de la compatibilité du projet de protocole additionnel
avec la CDPH (pour des raisons similaires à celles présentées dans
ma note introductive). Au regard de la nature des commentaires reçus,
le DH-BIO a convenu de réfléchir aux options possibles pour poursuivre
les travaux sur la question. A cette fin, les délégations du DH-BIO
ont été invitées à répondre à un certain nombre de questions, y
compris sur le fait de savoir si le DH-BIO devrait poursuivre ses
travaux sur le protocole additionnel.
8. Lors de sa prochaine réunion qui se tiendra du 31 mai au 2
juin 2016, le DH-BIO examinera les approches possibles pour la suite
des travaux, sur la base des réponses des délégations. En fournissant
une position officielle de l'Assemblée à l’égard du projet de protocole
additionnel, ce rapport vise à contribuer à la prochaine discussion
du DH-BIO.
2. La Convention des Nations
Unies relative aux droits des personnes handicapées et le changement de
paradigme
9. Comme cela transparaît clairement
de ce qui précède, la question du placement et du traitement involontaires
des personnes ayant un handicap psychosocial ne saurait être examinée
sans tenir dûment compte de la CDPH, qui est le premier traité international
sur les droits des personnes handicapées. Avec 163 Etats Parties
en février 2016, elle est l’un des traités des Nations Unies relatifs
aux droits humains les plus ratifiés. Un total de 41 Etats membres
du Conseil de l’Europe l’ont ratifiée ainsi que l’Union européenne
. Elle fait
actuellement figure d’instrument de référence dans le domaine du
handicap, à la lumière duquel les mesures prises à l’échelon international
et national sont évaluées.
10. La CDPH ne crée pas de nouveaux droits ni de droits spécifiques
au profit des personnes handicapées, mais réaffirme un certain nombre
de droits fondamentaux qui leur sont reconnus. La CDPH ne contient
pas de définition officielle du handicap, mais son article premier
affirme que «[p]ar personnes handicapées on entend des personnes
qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles
ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières
peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la
société sur la base de l’égalité avec les autres».
11. Ce faisant, la CDPH reconnaît que ce sont les divers obstacles
auxquels se heurtent les personnes présentant des déficiences qui
créent la situation de handicap. Dans ce cas, le handicap est appréhendé
d’une manière fondamentalement différente: il n’est plus considéré
comme une conséquence de la déficience de l’individu. Autrement
dit, c’est l’incapacité de la société à créer un environnement inclusif
qui invalide les individus et non l’état mental ou intellectuel
de la personne
.
La CDPH modifie par conséquent totalement l’approche traditionnelle
où le handicap est perçu à travers le modèle médical, qui envisage
pour l’essentiel la personne handicapée comme un problème et cherche
à l’adapter au monde tel qu’il est. Grâce à la CDPH, les personnes
handicapées deviennent titulaires de droits (sujets), au lieu d’être
simplement les destinataires des associations caritatives ou de
l’attention des milieux médicaux (objets). Cela signifie aussi qu’on
passe du paternalisme à la responsabilisation
.
12. La CDPH traduit également en termes juridiques le slogan du
mouvement de défense des droits des personnes handicapées, «Rien
sur nous sans nous», en faisant obligation aux Etats Parties de
consulter étroitement et activement les organisations qui représentent
les personnes handicapées lorsqu’ils élaborent et mettent en œuvre
la législation et les politiques visant à appliquer la convention.
Par ailleurs, elle met en place un comité (Comité CDPH) composé
de 18 experts indépendants, qui est chargé de suivre la mise en
œuvre de la convention. Pour les Etats qui ont ratifié le protocole
facultatif à la CDPH, le Comité peut également recevoir et examiner
des demandes individuelles et collectives.
3. Le cadre juridique du placement
et du traitement involontaires des personnes ayant un handicap psychosocial
13. Historiquement, en raison de
l’application du modèle médical, la guérison ou la gestion du handicap passait
par son identification, sa compréhension et l’apprentissage des
moyens qui permettaient de le contrôler et d’en modifier le cours.
En conséquence, la réponse apportée au handicap consistait principalement
en une réparation sociale assurée par la mise au point de services
de soins spécialisés (dans des institutions). Mais, même si elles
étaient nécessaires et animées des meilleures intentions, ces réponses ont
accru l’exclusion des personnes handicapées et ont conduit à leur
stigmatisation. Si l’on y ajoute le risque de violence inhérent
à l’institutionnalisation, elles ne sont plus considérées comme
des réponses appropriées au handicap. C’est la raison pour laquelle
les Etats ont été appelés à abandonner la culture de l’institutionnalisation
des personnes handicapées et à s’orienter vers des services de proximité
.
14. Néanmoins, partout en Europe, des centaines de milliers de
personnes handicapées continuent à vivre dans les institutions,
parfois contre leur volonté. C’est le cas en particulier des personnes
ayant un handicap psychosocial. En fait, les lois sur la santé mentale
en vigueur dans de nombreux pays autorisent le placement et le traitement
involontaires de ces personnes en fonction du prétendu danger qu’elles
présentent pour elles-mêmes ou pour autrui.
3.1. La CDPH et la position du
Comité CDPH
15. La CDPH ne mentionne pas expressément
le placement ou le traitement involontaire des personnes handicapées.
Son article 14.1 réaffirme le droit à la liberté et la sûreté de
leur personne et précise clairement que la privation de liberté
fondée sur l’existence d’un handicap serait contraire à la CDPH.
16. En septembre 2015, le Comité CDPH a adopté des lignes directrices
en vue de fournir des précisions complémentaires sur l'article 14.
Il a noté que la législation de plusieurs Etats Parties, notamment
les lois sur la santé mentale, présentait encore des situations
dans lesquelles des personnes peuvent être détenues en raison de
leur déficience réelle ou perçue, à condition que leur détention
soit motivée par d’autres raisons, y compris le fait qu'elles ont
été jugées dangereuses pour elles-mêmes ou pour autrui. Selon le
Comité CDPH, cette pratique est incompatible avec l'article 14,
elle est de nature discriminatoire et équivaut à une privation arbitraire
de liberté.
17. Dans les lignes directrices susmentionnées, se référant aux
négociations qui ont abouti à l'adoption de la CDPH, le Comité a
noté que l'article 14 interdit la privation de liberté sur la base
de la déficience réelle ou perçue, même si d’autres facteurs ou
critères ont également été utilisés pour justifier la privation
de liberté
. Il a souligné
que le placement involontaire dans les établissements de santé mentale
comportait le déni de la capacité juridique de la personne à décider
des soins, du traitement et de l'admission dans un hôpital ou un établissement,
et donc violait l'article 12 (reconnaissance de la personnalité
juridique dans des conditions d’égalité), en conjonction avec l'article
14
.
18. Déjà en 2014, dans son Observation générale no 1
concernant l'article 12, le Comité CDPH précisait que les Etats
parties devraient renoncer à la pratique du déni de la capacité
juridique des personnes handicapées et de leur détention dans des
établissements contre leur volonté, sans le consentement libre et
éclairé des personnes concernées ou avec le consentement d'un mandataire
spécial
,
et considérait cette pratique comme étant une privation arbitraire
de liberté en violation des articles 12 et 14 de la Convention
.
19. Dans la même Observation générale, s’agissant du traitement
involontaire, le Comité CDPH indique: «Le droit de jouir du meilleur
état de santé possible (art. 25) implique le droit à des soins de
santé sur la base du consentement libre et éclairé. Les Etats parties
ont l’obligation d’exiger de tous les médecins et professionnels
de la santé (y compris les psychiatres) qu’ils obtiennent le consentement
libre et éclairé des personnes handicapées avant de les traiter
(…); le traitement forcé par des psychiatres et autres médecins
et professionnels de la santé constitue une violation du droit à
la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions
d’égalité et une atteinte au droit à l’intégrité de la personne
(art. 17), au droit de ne pas être soumis à la torture (art. 15)
et au droit de ne pas être soumis à l’exploitation, à la violence
et à la maltraitance (art. 16). Une telle pratique constitue un
déni de la capacité juridique d’une personne de choisir un traitement médical
et constitue donc une violation de l’article 12 de la Convention.
(…) Le traitement forcé constitue un problème particulier pour les
personnes souffrant de handicaps psychosociaux et intellectuels
ou d’autres handicaps cognitifs.»
20. Sur la base de ces éléments, le Comité CDPH recommande aux
«Etats parties [d’]abolir les politiques et abroger les dispositions
législatives qui autorisent ou prévoient un traitement forcé, car
il s’agit d’une violation autorisée par les lois sur la santé mentale
dans le monde entier alors que des preuves empiriques indiquent
qu’un tel traitement est inefficace et que les usagers des systèmes
de santé mentale auxquels il a été administré déclarent que celui-ci
leur a causé des souffrances et traumatismes profonds»
.
3.2. Les instruments du Conseil
de l’Europe
3.2.1. La Convention européenne
des droits de l’homme
21. L’article 5.1.
e de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»)
autorise expressément la détention d’un «aliéné». La Cour européenne
des droits de l’homme («la Cour») a déterminé dans quelle situation
la privation de liberté d’un «aliéné» pouvait se justifier: soit
l’intéressé représente une menace sérieuse en raison de son comportement
violent, soit la détention est exigée pour raisons thérapeutiques.
La Cour a également défini les critères applicables à l’évaluation
médicale, qui devrait tenir compte de l’état de santé mentale réel
de l’intéressé et pas uniquement des épisodes antérieurs, ainsi
que les seuils qui doivent être atteints pour que la privation de
liberté soit conforme à l’article 5.1.
e)
. La Cour a par ailleurs mis en
place certaines garanties procédurales, comme l’obligation de statuer
rapidement sur la légalité de la détention dans un établissement
psychiatrique.
22. La Convention ne comporte aucune disposition spécifique sur
le traitement involontaire. Toutefois, les affaires pertinentes
portées devant la Cour ont été examinées au titre des articles 3
(interdiction de la torture) et 8 (droit au respect de la vie privée)
de la Convention. Dans l’affaire de référence Herczegfalvy
c. Autriche, qui concernait un requérant placé sous tutelle,
auquel une alimentation et des neuroleptiques avaient été administrés
de force et qui avait été placé à l’isolement et menotté à un lit
de sécurité (avec le consentement au traitement de son tuteur),
la Cour a estimé qu’il appartenait aux autorités médicales de décider
des méthodes thérapeutiques à utiliser pour les patients totalement
incapables de décider pour eux-mêmes. En règle générale, une mesure
vue comme une nécessité thérapeutique ne saurait être considérée
comme un traitement inhumain ou dégradant, mais la nécessité médicale
de cette mesure doit être démontrée de manière convaincante.
3.2.2. La Convention d’Oviedo
23. L’article 7 de la Convention
d’Oviedo autorise expressément le traitement involontaire des personnes souffrant
d’un «trouble mental» grave, mais uniquement lorsque l'absence d'un
tel traitement risque d'être gravement préjudiciable à leur santé.
En outre, ce traitement doit avoir pour but d’atténuer le problème
de santé mentale en question. Cette disposition fait exception au
principe de consentement, consacré à l’article 5
. Par ailleurs, l’article 6, qui porte
sur la protection des personnes n’ayant pas la capacité de consentir,
précise dans son alinéa 3 que «lorsque, selon la loi, un majeur
n'a pas, en raison d'un handicap mental, d'une maladie ou pour un
motif similaire, la capacité de consentir à une intervention, celle-ci
ne peut être effectuée sans l'autorisation de son représentant,
d'une autorité ou d'une personne ou instance désignée par la loi».
3.2.3. La Recommandation Rec(2004)10
du Comité des Ministres
24. En 2004, à l’issue d’une réflexion
menée au sein du Conseil de l’Europe sur la protection des personnes atteintes
de «troubles mentaux», à l’occasion de laquelle une consultation
publique a été organisée sur la base d’un livre blanc, le Comité
des Ministres a adopté la
Recommandation
Rec(2004)10 relative à la protection des droits de l’homme et de
la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux. En matière
de placement involontaire, cette recommandation suit l’interprétation
de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme
et réaffirme l’approche adoptée par la Cour. Elle réunit les garanties
élaborées par la Cour et fixe les seuils qui devraient être atteints
avant qu’une décision de placement puisse être prise. Pour le traitement involontaire,
la recommandation va au-delà de la Convention européenne des droits
de l’homme et de la Convention d’Oviedo, en exigeant, par exemple,
que le traitement involontaire fasse partie d’un programme de traitement
écrit; cette garantie permet de mieux vérifier si les décisions
médicales ont été prises sur la base d’éléments solides et si le
traitement était le moins restrictif possible
.
3.3. Le Commissaire aux droits
de l’homme
25. Ces dernières années, le Commissaire
a publié trois documents relatifs aux droits des personnes handicapées,
qui à l’évidence s’inspirent davantage de la CDPH que des instruments
du Conseil de l’Europe. Le Commissaire s’y montre quelque peu critique
à l’égard du placement et du traitement involontaires des personnes
handicapées. De fait, soulignant que les personnes handicapées sont
parfois internées de force par décision judiciaire ou en vertu de
lois qui autorisent la détention et le traitement forcés de personnes considérées
comme ayant une maladie mentale dont la nature ou le degré «justifie»
l’internement, le Commissaire précise que l’article 14 de la CDPH
dénonce ces situations et interdit la privation de liberté fondée sur
l’existence d’un handicap
.
26. Plus précisément, dans son rapport sur la Norvège, par exemple,
le Commissaire a appelé les autorités à «mener une réforme de la
législation relative au placement involontaire, de manière à ce
que s’appliquent des critères objectifs et non discriminatoires,
qui ne visent pas spécifiquement les personnes présentant des déficiences
psychosociales, tout en assurant des garanties adéquates contre
les abus envers les personnes concernées»
. Le Commissaire a également
déclaré que tout traitement médical devrait être fondé sur un consentement
libre et pleinement éclairé, sauf en cas d’urgence vitale, lorsque
l’absence de capacité de décision n’est pas contestée.
4. Le Conseil de l’Europe devrait-il
élaborer le protocole additionnel?
4.1. Compatibilité du protocole
additionnel avec la CDPH
27. En juin 2011, le Comité directeur
pour la bioéthique du Conseil de l’Europe (CDBI)
alors en place a convenu d’intégrer
l’élaboration du protocole additionnel dans son programme de travail,
au terme de trois années de réflexion sur la pertinence et la valeur
ajoutée d’un nouvel instrument juridiquement contraignant dans ce
domaine. A cette fin, le CDBI avait évalué l’impact de la Recommandation
Rec(2004)10
et
avait également demandé au Comité directeur pour les droits de l’homme
(CDDH) et au Comité européen pour la prévention de la torture et
des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) leur avis
sur l’opportunité d’un protocole additionnel. Le CDDH et le CPT
ont tous deux appuyé la rédaction d’un instrument contraignant en
la matière.
28. Le protocole additionnel vise à développer, sur la base des
dispositions de la Recommandation Rec(2004)10 et pour la première
fois dans le cadre d’un instrument juridiquement contraignant, les
dispositions de l’article 5 de la Convention européenne des droits
de l’homme et de l’article 7 de la Convention d’Oviedo. Ce faisant,
il entend conférer un rang supérieur dans la hiérarchie des normes
à un certain nombre de principes fondamentaux de la protection des
personnes atteintes de «troubles mentaux» à propos du placement
et du traitement involontaires, qui tiendront alors lieu de référence,
notamment pour l’élaboration ou la révision des législations nationales
pertinentes.
29. Toutefois, les instruments du Conseil de l'Europe sur lesquels
le projet de protocole additionnel vise à se fonder sont d’un rang
inférieur aux normes de la CDPH, car ils autorisent le placement
et le traitement involontaires des personnes sur la base de leur
«trouble mental», une pratique clairement rejetée par le Comité CDPH
du fait de sa nature discriminatoire. Cela peut sembler sévère,
surtout si l’on considère que ces instruments et le projet de protocole
additionnel visent à protéger les personnes ayant un handicap psychosocial
contre des violations des droits humains. Cependant, il ne faut
pas oublier que ces instruments remontent à l'ère antérieure à la
CDPH, et reflètent donc le modèle médical du handicap qui prévalait
au moment de leur adoption.
30. En conséquence, le projet de protocole additionnel, qui se
fonde sur une approche identique à celle d’autres instruments du
Conseil de l'Europe, est tout sauf compatible avec la CDPH. Les
commentaires reçus des principaux organismes des droits humains
durant la consultation publique viennent renforcer cette conclusion.
4.2. Critiques reçues durant
la consultation publique sur le projet de protocole additionnel
31. En fait, dans leurs commentaires,
le Commissaire et le Comité d'experts sur les droits des personnes handicapées
du Conseil de l'Europe considèrent que la CDPH, en tant qu’instrument
de référence internationale dans le domaine du handicap, devrait
être le point de départ des travaux du Conseil de l'Europe en la
matière. Le Commissaire, tout en partageant pleinement les préoccupations
exprimées dans ma note introductive
,
est non seulement en désaccord avec l'approche du projet de protocole
additionnel (qu'il considère comme incompatible avec la CDPH et
sa propre approche), mais conteste aussi clairement la valeur ajoutée
d'un instrument juridiquement contraignant offrant des garanties
pour l'utilisation de mesures involontaires. Il souligne avec éloquence
que le manque de garanties suffisantes pour le recours à des mesures
involontaires et les violations qui en résultent s’inscrivent dans
un phénomène beaucoup plus important: ces garanties se révèlent
souvent insuffisantes dans la pratique, en raison des lacunes des systèmes
juridiques et de leur nature intrinsèquement discriminatoire
.
Le Commissaire souligne également les risques potentiels en cas
d'adoption du projet de protocole additionnel, y compris en particulier
un conflit entre les normes internationales aux niveaux mondial
et européen. Dans une approche constructive, le Commissaire suggère
qu’au lieu d'un protocole additionnel sur les mesures involontaires,
le DH-BIO fournisse plutôt des conseils en vue de réduire la nécessité
de la contrainte en psychiatrie (y compris par la promotion des
alternatives aux mesures involontaires) et de lutter contre la discrimination
des personnes ayant un handicap psychosocial.
32. Comme on pouvait s'y attendre, les quatre organes des Nations
Unies ayant présenté des observations sur le projet de protocole
additionnel
considèrent
que celui-ci ne satisfait pas aux normes relatives aux droits humains
des personnes handicapées inscrits dans la CDPH et mises au point
par le Comité CDPH ou est expressément en contradiction avec ces
dernières. Notant que le texte est basé sur le modèle médical désuet du
handicap, ils considèrent que le fait que le Conseil de l'Europe
élabore des normes qui ne tiennent pas compte du changement de paradigme
de la CDPH pose problème. Ils rappellent aussi l'obligation qui
incombe aux Etats Parties de ne pas procéder à un acte ou une pratique
incompatible avec la CDPH, y compris la négociation de normes régionales
qui ne sont pas conformes à l'approche des droits humains relatifs
au handicap inscrits dans la CDPH. Ils craignent que l'adoption
du protocole additionnel risque non seulement d’affaiblir le niveau
de protection des personnes handicapées, mais aussi de miner le
passage progressif dans les lois et politiques nationales du droit
des personnes handicapées actuellement en cours. En un mot, ils encouragent
implicitement ou explicitement le DH-BIO à se retirer de l'élaboration
du protocole additionnel et à poursuivre d'autres initiatives qui
permettraient d'améliorer la protection des droits des personnes handicapées
et d’aider à mettre la législation nationale en conformité avec
la CDPH.
33. L’Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, le
médiateur norvégien sur l'égalité et la non-discrimination, certaines
associations de patients et ONG expriment des préoccupations similaires
en ce qui concerne le projet de protocole additionnel. D'autres
réponses (principalement des ministères et des professionnels de
la santé) appuient l'approche générale et/ou font des propositions
de rédaction du texte
.
34. En ce qui concerne le Rapporteur général de l'Assemblée parlementaire
sur les droits des personnes LGBT, ses préoccupations portent sur
le terme «trouble mental» qui, dans le projet de protocole, sont
définis «conformément aux normes médicales internationalement reconnues».
Le projet d'exposé des motifs précise que la classification statistique
internationale des maladies et des problèmes de santé connexes de l'Organisation
mondiale de la santé (CIM-10) est un exemple de norme médicale reconnue
au niveau international. Cependant, comme le rapporteur général
le souligne à juste titre, la CIM-10 couvre une grande variété de
«troubles mentaux», y compris «troubles de l'identité de genre»,
ce qui implique que les personnes transgenres pourraient être incluses
dans le champ d'application du projet de protocole additionnel.
Sur la base de l'exemple réel d'une législation nationale exigeant
des personnes transgenres qui cherchent à changer leur sexe juridique
à subir l'internement dans un établissement psychiatrique pour être
diagnostiqué de «transsexualisme», le Rapporteur général craint
que le protocole serve à justifier à la fois la qualification de «trouble
mental» pour les personnes transgenres et leur placement dans des
établissements psychiatriques. Je partage entièrement ses craintes.
4.3. La marche à suivre
35. Quelques commentateurs et défenseurs
ont fait valoir que la CDPH n’autorise aucune détention forcée pour
des raisons de santé mentale ou de tout autre handicap, quelles
que soient les circonstances. Je ne pense pas que cette interprétation
soit exacte. Je crois qu’il peut y avoir des cas où les mesures
involontaires sont inévitables. Cependant, de tels cas devraient
être l'exception
et
surtout ils devraient être définis de manière neutre pour que ces
mesures soient appliquées à toutes les personnes, et pas seulement
aux personnes handicapées.
36. Je comprends de l’interprétation de la CDPH et du Comité CDPH,
ainsi que des commentaires critiques reçus durant la consultation
publique, que tout instrument juridique qui maintient un lien entre
les mesures involontaires et le handicap sera de nature discriminatoire
et donc contraire à la CDPH. Le projet de protocole additionnel
est discriminatoire à l'égard des personnes ayant un handicap psychosocial
(et est donc incompatible avec la CDPH) car il maintient le diagnostic
médical (du «trouble mental») comme base du traitement et placement
involontaires, et ne soumet pas d'autres personnes qui pourraient
présenter le risque d’être dangereuses pour elles-mêmes ou autrui
aux mêmes limitations de leurs droits (par exemple, dans le contexte
de la violence domestique, à des crimes dits «d'honneur» ou menaces
de meurtres-suicides dans la famille). Cela signifie non pas que
les personnes ayant un handicap, y compris celles ayant un handicap psychosocial,
ne puissent pas être privées légalement de liberté pour recevoir
des soins et un traitement; cela signifie seulement que «le fondement
juridique de la restriction de liberté doit être dissocié du handicap
et défini de manière neutre afin de s’appliquer à toutes les personnes
de manière égale»
.
37. Je suis consciente des difficultés qu’ont les Etats membres
à concilier les principes de non-discrimination de la CDPH avec
les dispositions traditionnelles en matière de soins de santé mentale
et de droits humains. Je suis également consciente que certains
Etats membres sont très réticents à accepter l'interprétation du
Comité CDPH
. Cependant, je crois que la question
que nous devrions nous poser est une question de principe tout à
fait indépendante de la position de certains Etats membres, à savoir:
est-ce que le Conseil de l'Europe peut ignorer l'interprétation
de la CDPH par son organe de suivi établi en vertu du droit international
et poursuivre l'élaboration d'un protocole additionnel qui est incompatible
avec le changement de paradigme introduit par la CDPH, sans porter
atteinte à sa propre crédibilité et en prenant le risque de créer un
conflit explicite entre les normes internationales aux niveaux mondial
et européen? Un tel protocole additionnel peut-il satisfaire aux
critères d'«opportunité» requis par le Comité des Ministres pour
l'élaboration de nouveaux instruments juridiques
?
Je ne le pense vraiment pas. Je crois que le Conseil de l'Europe
devrait reconnaître la position du Comité CDPH et agir en conséquence.
Bien que nous ne puissions pas changer les instruments juridiques
déjà existants du Conseil de l’Europe qui ont été adoptés avant
la CDPH, nous pouvons nous abstenir d’élaborer un nouvel instrument
dans ce domaine, et surtout un instrument juridiquement contraignant.
38. Faisant écho aux commentaires du Commissaire aux droits de
l’homme, nous devrions aussi nous demander si un protocole additionnel
serait vraiment une valeur ajoutée et si nous ne devrions pas plutôt concentrer
notre énergie sur le développement de mesures visant à accroître
la participation des personnes ayant un handicap psychosocial aux
décisions affectant leur santé, notamment en remplaçant les mécanismes de
prise de décision par substitution en vigueur par des mécanismes
de prise de décision assistée (par exemple en mettant en place des
réseaux d’assistance ou un système de personnes de confiance), abolir
leur régime de tutelle complète, qui permet de priver les personnes
ayant un handicap psychosocial de leur capacité juridique, abandonner
la culture du placement en institution et prendre en considération
les solutions de remplacement des soins en institution (par exemple
par les services de proximité), en tenant compte du choix des personnes
handicapées
.
39. Au regard de ces éléments, j’en conclus que le DH-BIO devrait
retirer le projet de protocole additionnel.
5. Conclusion
40. Je suis convaincue que le Comité
des Ministres et le DH-BIO entendront l'appel lancé dans ce rapport, ainsi
que par plusieurs organes des droits humains durant la consultation
publique. Toutefois, si tel n’est pas le cas et si le Conseil de
l'Europe poursuit l'élaboration du protocole additionnel, les organisations
de défense des droits des personnes handicapées devraient prendre
pleinement part au processus de rédaction. L’audition des OING,
qui a eu lieu en mars 2014, était une initiative bienvenue, tout
comme la consultation publique de 2015. Toutefois, ceux-ci ne sauraient
être un moyen satisfaisant ou suffisant de faire participer les organisations
de défense des droits des personnes handicapées. Il importe que
ces dernières prennent part à l’ensemble du processus d’élaboration
du texte.
41. Enfin, il va sans dire que l'Assemblée peut présenter une
autre proposition sur le projet de protocole additionnel en vue
d'être impliquée dans le processus de rédaction s’il se poursuit
malgré les nombreux doutes exprimés par l'Assemblée, le Comité CDPH,
le Commissaire aux droits de l’homme, et des organisations clés des
Nations Unies. Si l'Assemblée choisit de ne pas le faire, elle aura
la possibilité de formuler ses commentaires lorsque le Comité des
Ministres demandera son avis statutaire sur la version finale du
projet de protocole additionnel.