1. Les attaques terroristes qui
ont ensanglanté plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe en
2014, 2015 et 2016 ont mis en lumière l’ampleur du phénomène de
radicalisation menant au terrorisme. Les explications de ce phénomène
sont complexes et nécessitent une analyse approfondie et objective
afin de ne pas tomber dans le piège des idées reçues et des stéréotypes
qui mènent tout droit vers la stigmatisation, la discrimination
et la haine.
2. La forme de radicalisation qui est aujourd’hui l’objet de
toutes les attentions est la radicalisation religieuse. Les récents
attentats terroristes commis sur le territoire européen sont en
effet revendiqués par leurs auteurs comme relevant du djihad. Il
faut toutefois se souvenir qu’il existe d’autres formes de radicalisation
que la radicalisation religieuse. Elle peut en effet être politique,
comme cela était le cas dans les années 70 où la radicalité s’exprimait
plutôt dans les mouvements d’extrême-gauche. Les mouvements d’extrême-droite
en Europe peuvent également être vus comme une forme de radicalisation.
De même, les attaques d’Utoya en Norvège en 2011 sont l’expression
de la radicalisation politique de leur auteur, sans aucune dimension
religieuse. Il existe également des mélanges entre la radicalisation
religieuse et la radicalisation politique. De plus, les différents
types de radicalisation sont interdépendants, de telle manière que
la radicalisation religieuse peut mener à la radicalisation politique
et vice-versa.
La discrimination et l’Islamophobie
3. Je voudrais exprimer mon soutien
à la position de la rapporteure selon laquelle l’islamophobie peut parfois
être un facteur aggravant dans certains engrenages menant au terrorisme.
Lors d’une audition organisée en juin 2015 par l’Alliance parlementaire
contre la haine et la commission des questions sociales, de la santé
et du développement, le Professeur Tahir Abbas avait ainsi souligné
les liens entre la radicalisation et l'islamophobie comme étant
toutes deux la résultante du contexte social actuel. Il avait rappelé
que les musulmans nés en Europe impliqués dans le djihadisme violent
sont très peu nombreux et que «l’extrémisme est souvent une conséquence
de la marginalisation et du désengagement, de ceux qui ne sont pas
à même de faire entendre leur voix dans leur contexte social. Ceci
vaut pour les musulmans, mais aussi pour d’autres groupes défavorisés
».
4. Dans son avis sur le rapport «Combattre le terrorisme tout
en protégeant les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe»,
la commission sur l’égalité et la non-discrimination avait également
souligné que «l’approche politique en vue d’empêcher la survenance
d’actes terroristes futurs est tout aussi cruciale que les réponses
immédiates aux événements qui se sont déjà produits. Les réponses
politiques à long terme doivent toujours être pensées en ayant à
l’esprit qu’on ne peut parvenir à une cohésion durable, y compris
un sentiment partagé d’appartenance à la nation, dans une société
dont des pans importants de la population se sentent exclus ou victimes
de discrimination. Le discours polémique stigmatisant des individus
ou des groupes en raison de leur origine nationale ou ethnique,
de leur religion, de leur couleur de peau, de leur nationalité ou de
leur “race” supposée fait déjà beaucoup de mal au tissu de nos sociétés
européennes
». Ce phénomène peut
être qualifié de néoracisme. Il se manifeste dans les Etats membres
du Conseil de l’Europe sous différentes formes. L’une d’elle, le
«racisme sans race», est, comparé au racisme traditionnel, «tout
aussi délétère puisqu’il tend à justifier la discrimination envers
certains groupes et individus
».
5. Je pense qu’il est important de rappeler que les actes d’individus
ne doivent pas être imputés et supportés par un groupe tout entier.
Nous ne devons pas accepter l’idée d’une responsabilité collective
pour des actes individuels. Pourtant, les amalgames perdurent. Bien
que les attentats terroristes récents n’aient pas été suivis d’explosions
de violence à l’égard de personnes de confession musulmane, une
augmentation des actes anti-musulmans a toutefois été constatée.
En France, les chiffres fournis en janvier 2016 par la Délégation
interministérielle contre le racisme et l’antisémitisme (Dilcra)
sur le nombre d’actes anti-musulmans a révélé une augmentation de
223 % entre 2014 et 2015. Il est d’ailleurs à signaler que les femmes musulmanes
qui portent le voile sont parmi les premières victimes de ces actes.
6. Ce constat nous oblige à une grande vigilance et à un effort
de pédagogie pour ne pas attiser la haine envers un groupe de la
population et ne pas entrer dans un cercle vicieux qui aboutirait
à plus de haine, plus de discrimination et plus de radicalisation
en réaction. Tel est l’objectif de l’amendement que je voudrais proposer
au paragraphe 3 du projet de résolution (amendement A).
7. Je voudrais souligner que les parlementaires ont une responsabilité
particulière dans ce contexte en raison du grand pouvoir de communication
et d’expression qui leur est donné dans les tribunes publiques et les
médias. En tant que membre de l’Alliance parlementaire contre la
haine, j’encourage ainsi vivement les membres de l’Assemblée parlementaire
à rejoindre l’Alliance et à prendre position publiquement contre
toutes les formes de racisme, d’intolérance et de haine.
Chiffres et portraits de jeunes
radicalisés
8. Les chiffres varient sans cesse
à la hausse s’agissant du nombre d’Européens partis rejoindre Daech en
Syrie et en Irak. En France, 500 citoyens et résidents auraient
participé à l’action militaire dans ces deux pays; ils seraient
750 provenant du Royaume-Uni
.
D’autres Etats membres du Conseil de l’Europe sont également touchés.
Tel est par exemple le cas de la Bosnie-Herzégovine où plus de 200
citoyens bosniens auraient rejoint Daech
ou de la Fédération de Russie dont 4 000
ressortissants seraient en Syrie et en Irak auprès de Daech. Les
portraits disponibles de ces personnes radicalisées montrent qu’il
n’existe pas un profil unique. Toutefois, leur point commun est
leur jeune âge: la plupart de ces Européens sont âgés de moins de 30
ans. Je me félicite ainsi que la rapporteure de la commission des
questions sociales, de la santé et du développement durable ait
inclus les jeunes adultes dans le champ d’étude de son rapport,
sans le restreindre aux mineurs comme initialement envisagé.
9. Compte-tenu notamment du jeune âge de ceux qui sont les plus
radicalisés, il est particulièrement important, en matière de prévention,
d’apprendre aux enfants et aux adolescents à avoir une approche
critique des informations qu’ils reçoivent. Il est tout aussi important
de leur apprendre à nuancer les discussions (pour éviter la simplification
excessive), ainsi qu’à réfléchir attentivement à ce qu’ils lisent
et ce qu’on leur dit (amendement B).
10. Un politologue français, Olivier Roy, a décrit le phénomène
actuel en parlant d’une «islamisation de la radicalité», par opposition
à une prétendue «radicalisation de l’Islam». En ce sens, l’Islam
n’apparaît que comme le «produit» disponible pour permettre l’expression
de cette radicalisation. Les portraits de la plupart des jeunes
passés à l’action terroriste montrent qu’ils ne s’intéressent généralement
pas à la théologie, fréquentent peu les mosquées ou se sont convertis
très peu de temps avant de se radicaliser
. Je suis
pour ma part convaincue que l'identité religieuse n’est pas la cause
directe de la radicalisation et que de nombreux jeunes radicalisés
ne sont pas du tout croyants. Au contraire, une identité religieuse
stable semble prévenir la radicalisation. Tout comme l’éducation
religieuse dans les écoles et les autres institutions religieuses,
les mosquées devraient être davantage encouragées à mettre en valeur
la dimension pacifique des religions, tout en menant des activités
dans le domaine de la prévention (amendement C).
11. Olivier Roy observe également qu’en Syrie ces djihadistes
«ne font que la guerre: aucun ne s’intègre ou ne s’intéresse à la
société civile. Et s’ils s’attribuent des esclaves sexuelles ou
recrutent des jeunes femmes sur Internet pour en faire des épouses
de futurs martyrs, c’est bien qu’ils n’ont aucune intégration sociale
dans les sociétés musulmanes qu’ils prétendent défendre
».
Dans son témoignage publié en janvier 2016, une jeune femme partie
en Syrie décrit la mainmise de Daech sur la ville de Rakka en la
qualifiant «d’armée d’occupation
».
Ces témoignages sont précieux et constituent certainement les meilleurs
arguments pour dissuader des jeunes gens de rejoindre Daech.
12. Dans son avis sur le rapport «Combattre le terrorisme tout
en protégeant les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe»,
la commission sur l’égalité et la non-discrimination avait déjà
observé que «la radicalisation, au sens où le sujet adopte des points
de vue (quelque peu) extrêmes, conteste les normes de la société
et a une attitude rebelle, est courante au sein de la jeunesse.
De nombreux jeunes et moins jeunes adoptent des opinions religieuses
fondamentalistes ou perçues par les autres comme telles. Toutefois,
cela ne signifie pas qu’ils représentent un risque pour la société,
autrement dit qu’ils chercheront à exprimer ces opinions par des
moyens violents. La grande majorité des individus qui ont des opinions
religieuses ultra-orthodoxes ou fanatiques ne sont pas et ne deviendront
jamais des terroristes. Ce qui distingue les terroristes des autres
personnes est que, d’une façon ou d’une autre, ils sont arrivés
à la conclusion que le fait qu’ils commettent des actes violents
(y compris des assassinats le cas échéant) dans le but de répandre
la terreur est moins grave que le fait que d’autres personnes transgressent
les principes qu’ils défendent
».
13. Le 11 mars 2016, la commission sur l’égalité et la non-discrimination
a entendu le témoignage émouvant de Mme Véronique
Roy Burin dont le fils est parti pour le djihad en Syrie en 2014
après s’être converti à l’Islam quelques années auparavant. A la
suite de la mort de son fils en janvier 2016, Mme Roy
Burin continue de participer à des campagnes de sensibilisation
afin de contribuer à la prévention de la radicalisation des jeunes. Elle
a expliqué à la commission qu’elle n’a remarqué ou compris les signes
de radicalisation que très tard dans le processus et elle a souligné
le sentiment d’abandon des familles qui se retrouvent seules face
à ces situations. C’est pour cette raison que je voudrais proposer
d’ajouter une référence explicite au besoin de soutien des familles
dans le projet de résolution (amendement D).
Les femmes et la radicalisation
menant au terrorisme
14. En tant que membre de la commission
sur l’égalité et la non-discrimination, je voudrais exprimer ma préoccupation
face au nombre croissant de jeunes filles et de femmes radicalisées.
Selon l’Institut pour le dialogue stratégique, 550 femmes occidentales
se trouvent actuellement dans des zones contrôlées par Daech
. Elles représenteraient 10 % à 20 % des
combattants étrangers dans certains pays
.
Il s’agit souvent de jeunes filles d’environ 18 ans ou moins, certaines
âgées de 15 ans à peine
. Ces femmes se rendent en Syrie
seules ou bien avec leur mari, voire toute leur famille, emmenant
parfois des enfants en bas âge
.
15. Lors de l’audition organisée par la commission sur l’égalité
et la non-discrimination le 11 mars 2016, Mme Melanie
Smith, chercheuse au Centre international d’études sur la radicalisation
et la violence politique (ICSR) et à l’Institut pour le dialogue
stratégique, a présenté ses travaux de recherche sur l’extrémisme féminin.
Il ressort de ces recherches que les femmes radicalisées ne correspondent
pas à un profil type
. Elles peuvent être originaires de la classe
moyenne et ne pas avoir de lien fort avec l’Islam. Certaines se
sont converties récemment; d’autres viennent de familles musulmanes
modérées sur le plan religieux.
16. Ces femmes sont souvent recrutées via les réseaux sociaux,
généralement par d’autres femmes, pour construire «le califat» de
«l’Etat islamique» (Daech) c’est-à-dire devenir des épouses des
combattants djihadistes et les mères de la future génération. Contribuer
à la création d’un nouvel Etat apparaît être un facteur d’attraction
pour des jeunes femmes, de même que la promesse de sororité avec
d’autres femmes partageant les mêmes valeurs. Elles peuvent aussi
partir pour des raisons humanitaires en vue d’aider leurs frères
et sœurs syriens dans les hôpitaux. Il ne faut toutefois pas simplifier
leurs motivations ni sous-estimer leur dangerosité. Il apparaît
en effet qu’elles ont également un rôle d’incitation à la violence
qui fait craindre des passages à l’acte terroriste de plus en plus
fréquents.
17. La résolution récente de l’Assemblée parlementaire sur «Les
combattants étrangers en Syrie et en Irak» a également exprimé l’inquiétude
de l’Assemblée face à la proportion croissante de femmes et de jeunes femmes
qui partent rejoindre Daech. L’Assemblée appelle les Etats membres
et les observateurs et les Etats dont les parlements ont le statut
de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire
«à prendre dûment en compte le nombre croissant de femmes et de
jeunes filles qui partent rejoindre Daech, à adopter une approche
différenciée par sexe en matière de prévention et de réinsertion,
à développer des contre discours ciblant plus particulièrement les
femmes et les jeunes filles et à tirer pleinement parti du rôle social
et familial des femmes dans la lutte contre l’extrémisme violent
». Je voudrais me joindre à cette recommandation.
18. Les témoignages des femmes et jeunes filles revenues de Syrie
et d’Irak doivent en effet être mieux utilisés dans les programmes
de prévention. Tel est l’objectif des amendements E et F que je
propose au projet de résolution. Les descriptions des conditions
de vie, particulièrement dures pour les femmes qui se retrouvent souvent
enfermées, sont de puissants contre-discours pour les jeunes filles
et des femmes qui souhaitent partir en Syrie et en Irak, bien loin
de l’idéal utopique mis en avant par Daech pour attirer de nouvelles
recrues. Mme Melanie Smith a expliqué
lors de l’audition organisée le 11 mars 2016 que les témoignages
de femmes revenues rappellent que la Syrie et l’Irak sont des zones
de guerre ce qui implique le manque de services de base avec des
conséquences graves sur la santé, en particulier pour les femmes
enceintes. De plus, rejoindre Daech est généralement un aller-simple
et le retour est extrêmement difficile et dangereux.
19. S’agissant de la radicalisation religieuse, je suis d’avis
qu’il est crucial qu’un dialogue soit engagé, non seulement entre
les religions, par exemple les Musulmans et les Chrétiens, mais
également au sein des communautés musulmanes et chrétiennes. Pour
prévenir la radicalisation causée par le fanatisme religieux, les
religions et leurs théologiens devraient initier le débat sur des
questions telles que: le contenu religieux des grandes religions
promeut-il le fanatisme ou la radicalisation religieuse? Je propose
pour cette raison les amendements G, H et I.
20. Pour conclure, je voudrais citer le rapport publié le 14 mars
2016 par le International Crisis group qui souligne que: «Si les
racines sont complexes, le catalyseur est évident. Le glissement
de la plupart des révolutions arabes de 2011 vers le désordre ou
le chaos a constitué une aubaine exceptionnelle pour les extrémistes.
Les mouvements se sont renforcés au fur et à mesure que les crises
s’envenimaient et évoluaient, tandis que l’argent, les armes et
les combattants circulent, et que la violence s’intensifie. L’inimitié
croissante entre les Etats conduit les puissances régionales à moins
se soucier des extrémistes que de leurs rivaux traditionnels, à
exploiter la lutte contre l’EI pour combattre leurs ennemis ou à
se servir des jihadistes comme leur bras armé. Au Moyen-Orient,
en particulier, la progression des jihadistes résulte plutôt de
l’instabilité plutôt qu’il n’en est le moteur; est causée davantage
par la radicalisation durant les crises que par une situation préexistante;
et doit plus aux affrontements entre leurs ennemis qu’à leurs propres
forces. Un mouvement jihadiste parvient rarement à se consolider
ou à gagner du terrain en dehors d’une zone de guerre ou d’un Etat en
déliquescence.»
Nous
devons tirer les conséquences de ce constat: afin de prévenir efficacement l’extrémisme
violent et la radicalisation menant au terrorisme, nous devons sans
plus de délai investir dans la prévention des conflits.