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Résolution 2107 (2016)

Une réponse renforcée de l'Europe à la crise des réfugiés syriens

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 20 avril 2016 (15e séance) (voir Doc. 14014, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteure: Mme Annette Groth). Texte adopté par l’Assemblée le 20 avril 2016 (15e séance).

1. La crise des réfugiés syriens est une conséquence de la guerre en cours en Syrie, qui a commencé en 2011. Les réfugiés ont commencé à fuir la Syrie dès le début du conflit. Début mars 2016, le nombre total de réfugiés syriens enregistrés était de plus de 4,8 millions de personnes, auquel il faut ajouter environ 6,6 millions de personnes déplacées dans leur propre pays. La complexité grandissante du conflit ainsi que la participation militaire croissante d’acteurs extérieurs ont éloigné encore plus les perspectives de paix. Il est donc également peu probable que les conditions qui règnent en Syrie puissent laisser espérer un retour massif de réfugiés à court terme, voire à moyen terme.
2. La Jordanie accueille désormais quelque 640 000 réfugiés syriens enregistrés, ainsi qu’un nombre similaire de Syriens résidents mais non enregistrés en tant que réfugiés. La population totale actuelle de ce pays est d'environ 7,5 à 8 millions de personnes. Environ 18 % de réfugiés vivent dans des camps, les autres sont des réfugiés «urbains». Les camps de réfugiés – notamment Za'atari et Azraq – sont bien équipés, approvisionnés et organisés, mais la situation alimentaire est critique – les femmes en particulier sont souvent sous-alimentées – et les soins médicaux sont insuffisants. Environ 1 070 000 réfugiés syriens enregistrés vivent au Liban, soit une baisse de 115 000 personnes par rapport au niveau record atteint en avril 2015. Mais il faut leur ajouter quelque 400 000 autres Syriens, pour la plupart des réfugiés non enregistrés. Le Liban compte 5 850 000 habitants et les réfugiés syriens représentent près d’un quart de la population. Il n'y a pas de camps de réfugiés officiels pour les Syriens au Liban: les réfugiés syriens vivent dans des logements urbains ou dans l’un des 1 900 campements informels répartis dans le pays. La Turquie compte 79,5 millions d’habitants, selon les estimations de 2015. Avec 2 715 789 réfugiés syriens, la Turquie est le pays qui compte la plus grande population de réfugiés dans le monde. Près de 10 % des réfugiés syriens en Turquie vivent dans les 26 camps installés dans le sud du pays.
3. La Jordanie et le Liban ne sont pas Parties à la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés et n’accordent donc pas aux réfugiés la protection juridique prévue par les normes internationales, mais les deux pays sont tenus de respecter l’interdiction de refoulement inscrit dans le droit international coutumier. La Turquie a ratifié la Convention des Nations Unies de 1951 et son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, mais applique une limitation géographique qui exclut les réfugiés syriens. Cependant, la loi turque de 2013 sur les étrangers et la protection internationale dispose que les réfugiés syriens peuvent bénéficier d’une «protection temporaire» analogue à celle qui découle de la convention de 1951, notamment une protection contre le refoulement.
4. L'Assemblée parlementaire constate qu'il existe des problèmes d'accès à la protection dans les trois pays. Un groupe de plus de 20 000 réfugiés syriens est bloqué par les autorités jordaniennes dans le désert, à la frontière avec la Syrie. Beaucoup d’entre eux le sont depuis plusieurs mois. Au Liban, de nombreux réfugiés n'ont pas pu renouveler leur statut de résident depuis janvier 2015, et, en mai 2015, le Gouvernement libanais a demandé au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) de suspendre l’enregistrement des nouveaux arrivants. La politique de la Turquie semble avoir changé ces dernières semaines: des milliers de réfugiés fuyant l'intensification des combats autour d'Alep se seraient vu refuser l’entrée sur le territoire turc, et 110 000 personnes sont désormais bloquées dans des camps du côté syrien de la frontière.
5. Les trois pays subissent une tension sociale, politique et économique extrême. Du point de vue des réfugiés, citons les problèmes suivants: un statut juridique incertain et une protection précaire (surtout en Jordanie et au Liban); le manque de logements décents et abordables; les pénuries alimentaires; l’absence de permis de travail (en Jordanie, au Liban et, jusqu’à récemment, en Turquie) qui encourage l'emploi irrégulier et l'exploitation; la pauvreté et l’endettement; l’accès insuffisant aux soins de santé; l’accès insuffisant à l'éducation; et le recours à des stratégies d'adaptation négatives telles que le travail des enfants, les mariages précoces et la prostitution. Du point de vue des communautés d’accueil, les problèmes sont notamment la pénurie de logements et les augmentations de loyer, la hausse des prix des aliments, la concurrence sur le marché du travail et les réductions de salaire (surtout dans l'emploi informel), la pression sur les infrastructures et les services municipaux, la dégradation de l'environnement, et des contraintes budgétaires énormes qui ont gonflé la dette publique et ébranlé la croissance économique. Du point de vue à la fois des réfugiés et des communautés d’accueil, la situation actuelle est intenable.
6. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que beaucoup de réfugiés syriens, confrontés à une protection insuffisante et à un manque de perspectives pour eux-mêmes et leurs enfants, et conscients qu’ils ont peu de chances de pouvoir rentrer chez eux, se tournent vers l'Europe occidentale, attirés par son action reconnue en faveur du respect des droits de l’homme et de l'Etat de droit, et par sa prospérité beaucoup plus grande.
7. L'Assemblée estime que la réponse européenne à la crise des réfugiés syriens doit reposer sur les principes suivants:
7.1. ceux qui fuient le conflit en Syrie ont droit à une protection internationale;
7.2. cette protection est généralement, mais pas toujours, mieux assurée dans les pays voisins;
7.3. ces pays voisins ne peuvent pas assurer cette protection s’ils ne bénéficient pas d’un soutien extérieur important, qui doit être adapté à leur situation particulière;
7.4. ce soutien doit inclure une aide financière suffisante, ainsi que des mesures techniques, notamment un accès privilégié aux marchés d’exportation;
7.5. ce soutien doit être accompagné de voies humanitaires de réinstallation d’un nombre considérable de réfugiés syriens, qui donnent la priorité aux plus vulnérables et évitent aux réfugiés d’emprunter des itinéraires dangereux et irréguliers pour chercher une protection en Europe;
7.6. les procédures de regroupement familial pour les réfugiés devraient être améliorées et accélérées; la délivrance de visas pour les membres d’une famille ayant des enfants ou des parents dans des pays européens doit être rapide et la procédure simplifiée, en appliquant une définition large de la famille.
8. Par conséquent, l'Assemblée se félicite des progrès réalisés dans le cadre des initiatives récentes, notamment la Conférence de Londres du 4 février 2016 sur le soutien à la Syrie et aux pays de la région, l'aide financière promise à la Turquie, le plan d’action commun conclu le 15 octobre 2015 entre l’Union européenne et la Turquie, dans lequel les deux parties se sont engagées à améliorer la situation des réfugiés syriens, et la Réunion de haut niveau sur le partage au plan mondial des responsabilités par des voies d'admission des réfugiés syriens. La communauté internationale, notamment les Etats européens et l'Union européenne, doit être prête à faire davantage si ses efforts actuels s'avèrent insuffisants. En outre, le soutien de l'Union européenne aux réfugiés syriens en Turquie ne doit pas être subordonné à une réduction du nombre de personnes – dont beaucoup ne sont pas, loin de là, des réfugiés syriens – qui traversent la mer Egée entre la Turquie et les îles grecques. Il faut également s'assurer que l'aide financière est bien utilisée, comme prévu, pour répondre aux besoins des réfugiés, tant dans les zones urbaines que dans les camps.
9. L'Assemblée souligne que la crise des réfugiés syriens relève de la responsabilité non seulement des Etats voisins et de l'Europe, mais aussi de la communauté internationale dans son ensemble. Elle demande aux autres Etats, notamment ceux qui sont situés dans la région du Moyen-Orient, d'adopter une approche similaire qui consiste à apporter non seulement une aide financière, ce que beaucoup se sont engagés à faire lors de la Conférence de Londres, mais aussi à créer des voies humanitaires d'admission des réfugiés syriens.
10. Les réfugiés palestiniens, surtout ceux qui vivaient auparavant en Syrie, ont été particulièrement touchés par le conflit, et le fait que bon nombre d'entre eux soient apatrides aggrave d’autant plus leurs problèmes. De même, le fait qu’ils soient presque exclusivement pris en charge par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) les a laissés quelque peu à l’écart d'une grande partie de l'aide internationale destinée aux réfugiés syriens. L'Assemblée demande par conséquent aux Etats européens et à l'Union européenne de répondre généreusement à l’appel d’urgence lancé en 2016 par l'UNRWA sur la crise régionale en Syrie.
11. L’Assemblée recommande:
11.1. aux Etats membres du Conseil de l’Europe:
11.1.1. de s’abstenir de refuser l’entrée aux réfugiés syriens;
11.1.2. de s’abstenir de renvoyer des réfugiés en Turquie, car ce pays ne peut être considéré comme un pays tiers sûr pour les réfugiés;
11.2. aux Etats membres de l’Union européenne et aux autres Etats participants de se conformer immédiatement aux accords sur la relocalisation des réfugiés de Grèce et d’Italie, adoptés par le Conseil «Justice et affaires intérieures» en septembre 2015;
11.3. à la Turquie:
11.3.1. de garder ses frontières ouvertes pour les réfugiés syriens venant directement de Syrie ou indirectement via le Liban ou la Jordanie, afin de leur permettre de fuir la violence de leur pays;
11.3.2. de permettre aux organisations humanitaires, comme le HCR et le Croissant-Rouge, ainsi qu’aux conseillers et représentants juridiques, d’accéder aux «centres de rétention avant renvoi»;
11.4. à la Commission européenne d’adopter un dispositif de réinstallation à grande échelle pour les réfugiés syriens venus de Turquie, du Liban et de Jordanie, en donnant la priorité aux réfugiés vulnérables, y compris aux réfugiés palestiniens de Syrie.