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Rapport | Doc. 14069 | 23 mai 2016

Les réseaux éducatifs et culturels des communautés à l’étranger

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Pierre-Yves LE BORGN', France, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13404, Renvoi 4028 du 7 mars 2014. 2016 - Troisième partie de session

Résumé

L’intégration des migrants et des diasporas est un enjeu majeur pour les sociétés européennes actuelles. Les communautés qui vivent à l’étranger sont des relais essentiels entre les cultures européennes et peuvent contribuer à la cohésion sociale et au renforcement du pluralisme et de la démocratie dans les sociétés européennes.

Dans ce rapport, les Etats membres sont invités à faire participer les réseaux éducatifs et culturels des communautés vivant à l’étranger de manière plus systématique à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques concernant différents aspects du processus d’intégration (dont l’intégration éducative, culturelle et sociale). Il leur est aussi demandé de mettre en place des plateformes nationales qui permettraient aux différents ministères et institutions spécialisées de travailler de manière transversale avec les associations de diasporas, d’encourager la création de plateformes analogues au niveau local et de proposer des programmes d’aide financière adéquats pour aider les associations de diasporas à professionnaliser leurs activités, à développer et à consolider leurs réseaux et à mener des actions conjointes.

Au niveau européen, le rapport préconise la mise en place d’un réseau parlementaire européen sur les politiques relatives aux diasporas et la création, par celles-ci, d’une plateforme européenne chargée de recueillir des données et d’évaluer les impacts de ces communautés sur les sociétés européennes des points de vue culturel et social, ainsi que de promouvoir l’échange de bonnes pratiques et la mise au point de projets conjoints.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 18 avril
2016.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire considère que les communautés qui vivent à l’étranger devraient être considérées comme des relais essentiels entre les cultures européennes et comme un atout pour les pays de résidence et d’origine. Il est vrai que l’intégration des diasporas et des migrants est un enjeu majeur pour les sociétés européennes actuelles.
2. Les problèmes de marginalisation et d’exclusion se multiplient en Europe. La faible identification avec à la fois le pays de résidence et le pays d’origine peut donner lieu à un sentiment d’exclusion, en particulier chez les jeunes des deuxième et troisième générations en quête d’identité et d’appartenance. Nombreux sont ceux qui ont le sentiment de ne pas être perçus comme des citoyens à part entière et qui peuvent tomber dans les pièges du fondamentalisme, de l’extrémisme et du racisme. Ces craintes peuvent encore accentuer les clivages linguistiques, culturels et religieux entre les communautés.
3. L’Assemblée estime que le rôle des réseaux éducatifs et culturels des communautés vivant à l’étranger est essentiel pour contribuer à la cohésion sociale, par le renforcement du pluralisme et la démocratie dans les sociétés européennes. Ces réseaux jouent un rôle majeur en matière de soutien, de solidarité et d’entraide; ils font le lien avec la culture d’origine et donnent accès à de multiples appartenances culturelles; ils cultivent le plurilinguisme; ils apportent un soutien culturel et éducatif aux enfants et aux jeunes des deuxième et troisième générations. Ils peuvent aussi jouer un rôle important en tant que médiateurs entre les membres des diasporas et les pouvoirs publics.
4. L’Assemblée considère néanmoins que leur rôle n’est pas suffisamment compris, reconnu et mobilisé, en particulier dans le contexte de l’élaboration de stratégies nationales et locales visant à renforcer la cohésion sociale et l’esprit du «vivre ensemble». Qui plus est, très peu de recherches sont menées aux niveaux national et européen pour mesurer l’influence culturelle et sociale des diasporas sur les sociétés locales.
5. L’Assemblée recommande en conséquence aux gouvernements et aux parlements des Etats membres et observateurs du Conseil de l'Europe ainsi qu’aux Etats dont le parlement bénéficie du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée:
5.1. lorsqu’ils sont concernés en tant que pays de résidence:
5.1.1. de faire participer les associations de diasporas à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques concernant différents aspects du processus d’intégration, dont l’intégration éducative, culturelle et sociale;
5.1.2. d’envisager la mise en place de plateformes nationales pour permettre aux différents ministères et institutions spécialisées de travailler de manière transversale et pour faciliter l’élaboration et l’application de stratégies nationales d’intégration par un dialogue permanent avec les organisations qui se font l’écho des intérêts et des opinions des différentes diasporas dans le pays de résidence; d’encourager la création de plateformes analogues au niveau local;
5.1.3. de proposer des programmes d’aide financière adéquats aux associations de diasporas pour les aider à professionnaliser leurs activités, à développer et à consolider leurs réseaux et à mener des actions conjointes;
5.2. lorsqu’ils sont concernés en tant que pays d’origine:
5.2.1. de renforcer les partenariats entre les organismes publics compétents – en particulier les établissements scolaires et les universités, les ambassades et les centres culturels et linguistiques – et les organisations de diasporas, en cherchant à favoriser leur action par la mise en commun de connaissances et un soutien concret (mise à disposition d’enseignants, de matériels pédagogiques et de locaux appropriés) pour l’enseignement des langues et sa reconnaissance dans le système éducatif formel;
5.2.2. si ce n’est pas déjà le cas, d’envisager de créer un bureau à haut niveau (éventuellement au niveau gouvernemental) chargé des questions relatives aux diasporas et/ou de l’élection de représentants de ces dernières aux parlements nationaux et, s’il y a lieu, régionaux;
5.3. en coopération avec le Conseil de l'Europe et l’Union européenne, de créer des partenariats:
5.3.1. pour mettre en place un réseau parlementaire européen sur les politiques relatives aux diasporas;
5.3.2. pour appuyer la mise en place par les diasporas d’une plateforme européenne chargée de recueillir des données et d’évaluer les répercussions des diasporas sur les sociétés européennes des points de vue culturel et social, de promouvoir l’échange de bonnes pratiques et de mettre au point des projets conjoints.
6. L’Assemblée, qui se félicite du Plan d’action du Conseil de l'Europe intitulé «Construire des sociétés inclusives» (2016-2019), invite le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe à y inclure des initiatives concrètes dans le domaine de la culture et de l’éducation qui associent les diasporas.

B. Exposé des motifs, par M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur

(open)

1. Origine, portée et objectifs du rapport

1. Conformément à la proposition de résolution, le présent rapport souligne que «les communautés à l’étranger sont une richesse pour l’Europe, pour le pays d’accueil comme pour celui d’origine. Elles créent de précieux flux économiques et humains. Elles sont un pont indispensable entre les cultures de l’Europe et entre celles-ci et le reste du monde. S’il est rare que les communautés à l’étranger jouissent d’une représentation politique, elles sont souvent organisées autour de structures associatives puissantes, qui sont particulièrement actives dans le domaine éducatif et culturel. Elles offrent un cadre social grâce auquel les migrants peuvent trouver des voies d’intégration dans leur pays de résidence, tout en préservant les liens avec le pays d’origine».
2. Il a été par conséquent suggéré dans la proposition de résolution de «réfléchir sur les actions concrètes qui pourraient être mises en œuvre au niveau national et/ou européen pour venir en soutien à ces réseaux associatifs, éducatifs et culturels et mieux s’appuyer sur leur contribution au dialogue interculturel et à la paix sociale».
3. Dans ce rapport, je poursuis les travaux importants entrepris par notre collègue M. Carlos Costa Neves dans son rapport intitulé «Identités et diversité au sein de sociétés interculturelles» (Résolution 2005 (2014) et Recommandation 2049 (2014)). Le présent rapport s’inscrit également dans le cadre des activités du Conseil de l’Europe visant à promouvoir les compétences interculturelles et à élaborer des politiques et des instruments dans le domaine de la diversité 
			(2) 
			<a href='http://www.coe.int/t/democracy/topics2_FR.asp?'>www.coe.int/t/democracy/topics2_FR.asp?#Intercultural_dialogue</a>., ainsi que de l’action menée de longue date par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, concernant les diasporas de migrants 
			(3) 
			Notamment le rapport
de M. Andrea Rigoni (Doc. 13648) intitulé «La participation démocratique des diasporas
de migrants»; Résolution
1696 (2009) et Recommandation
1890 (2009) «L’engagement des diasporas européennes: le besoin de
réponses gouvernementales et intergouvernementales» et Recommandation 1410 (1999) sur les liens entre les Européens vivant à l'étranger
et leur pays d'origine»..
4. Je m’efforce de compléter ces travaux extrêmement utiles en envisageant les diasporas sous l’angle de la culture. J’examine, notamment, comment les réseaux associatifs et culturels des communautés d’Européens à l’étranger peuvent aider les personnes à vivre leur culture, à la préserver et à la transmettre – c’est-à-dire à acquérir un sentiment d’appartenance à une communauté – tout en réussissant leur intégration dans leur pays de résidence – à savoir en favorisant l’inclusion, la participation à la vie sociale et publique et la citoyenneté démocratique.
5. Compte tenu de l’objet de ce rapport, il est important d’établir une distinction entre les migrants de première génération, arrivés récemment en Europe, et une diaspora plus établie, regroupant la première, la deuxième, la troisième, voire la quatrième génération.
6. Le concept de «diaspora» est relativement flou. Les diasporas sont généralement éparpillées, diffuses, non représentées et en grande partie invisibles. D’après la publication de l’OCDE «Resserrer les liens avec les diasporas: panorama des compétences des migrants», le terme désigne (en théorie) toutes les personnes qui entretiennent une certaine forme d’attachement à un pays d’origine spécifique en relation avec leur passé migratoire. Je rappellerai également la définition de la diaspora donnée par M. Gérard-François Dumont (définition également retenue par le rapport de l’Assemblée parlementaire sur «La participation démocratique des diasporas de migrants» (Doc. 13648)), qui la décrit comme «un ensemble d’individus vivant sur un territoire et ayant en commun la certitude ou le sentiment d’être originaires, eux-mêmes ou leur famille, d’un autre territoire avec lequel ils entretiennent des relations régulières». Ces personnes peuvent être des migrants ou bien les enfants ou les petits-enfants de migrants. Certaines ont acquis la nationalité du pays en question; d’autres ont plusieurs nationalités ou seulement la nationalité de leur pays de résidence. Dans la pratique, en raison du manque de données, les analyses quantitatives sur les diasporas sont aujourd’hui peu nombreuses et se limitent généralement à la première génération de migrants.
7. Il existe peu de statistiques pour les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe. Les données disponibles pour les pays de l’Union européenne montrent que près de 17,9 millions de citoyens de l’Union européenne vivent dans un autre pays de l’Union européenne, soit près de 3 % de la population totale. Environ 15 % des mariages contractés dans l’Union européenne sont des mariages mixtes. En Suisse par exemple, environ 30 % des nouveau-nés ont une double nationalité.
8. Dans le contexte de la mondialisation et de la mobilité accrue des citoyens européens, la notion de diaspora liée à un lieu de résidence permanente telle qu’elle prévalait au XXe siècle a évolué; pour beaucoup de personnes (bénéficiant souvent d’un niveau élevé d’éducation et de qualification), vivre à l’étranger est parfois synonyme de résidence provisoire, de déplacement de pays en pays pour poursuivre des études, rechercher un emploi ou mener une carrière à l’international, ou passer sa retraite dans un lieu adapté. Les formes plus «traditionnelles» de diasporas subsistent toutefois, voire se développent, mais leurs attentes ne sont plus les mêmes; en effet, l’évolution rapide et la disponibilité des technologies de l’information et de la communication et la baisse du coût des transports font qu’il est aujourd’hui beaucoup plus facile de maintenir le lien avec les pays d’origine.
9. En dépit des ces évolutions positives, j’ai la conviction que, dans la plupart des pays européens, le rôle majeur joué par les réseaux associatifs et culturels des diasporas dans le développement d’un sentiment d’appartenance à une communauté et le rapprochement des différentes cultures n’est pas suffisamment compris, reconnu ni mis à profit. S’agissant notamment de l’élaboration de stratégies locales et nationales visant à renforcer la cohésion sociale et la philosophie du «vivre ensemble», très peu de recherches sont menées au niveau national et européen pour évaluer l’impact culturel et social des diasporas sur les sociétés locales. Il s’agit pourtant d’une urgence politique pour la plupart des pays européens, face à la montée des tensions, de l’incompréhension et de l’insécurité dans la société – des tendances anxiogènes qui ne font malheureusement qu’accentuer les clivages linguistiques, culturels et religieux entre communautés.

2. Intégration des diasporas dans le pays de résidence

10. L’intégration des diasporas dans le pays de résidence est une question politique importante au cœur des travaux de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées. Du point de vue des droits politiques, cette commission a souligné la nécessité d’associer davantage les migrants à la vie politique et de renforcer ainsi leur capacité à promouvoir et à diffuser les valeurs démocratiques et a recommandé aux Etats membres d’élaborer des politiques migratoires qui encouragent le rôle institutionnel des diasporas. C’est un point de vue auquel j’adhère sans réserve, étant moi-même député des Français de l’étranger. A titre d’exemple, dans son dernier rapport adopté en mars 2015 (Doc. 13648), M. Rigoni a traité de la participation démocratique et du droit de vote des membres de diasporas de migrants.
11. C’est pourquoi j’adopterai un angle différent pour mon rapport, analysant les options qui s’offrent aux pouvoirs publics du pays de résidence (à l’échelon local, régional et national) pour améliorer leurs politiques d’intégration grâce à une coopération plus étroite avec les réseaux éducatifs et culturels des diasporas résidant dans le pays. Les structures associatives constituent un repère important pour les communautés, en raison de leur caractère moins bureaucratique et plus informel.
12. Je pense qu’une coopération plus étroite et plus institutionnalisée avec les structures associatives des diasporas peut permettre aux pouvoirs publics de toucher plus largement les première et deuxième générations d’immigrés, et ce d’une manière plus directe et susceptible de créer un socle pour l’instauration de relations et d’une confiance durables. Je ferais par ailleurs remarquer qu’il appartient aux pouvoirs publics d’associer activement les organisations de diasporas non seulement à la mise en œuvre des politiques, mais aussi à leur élaboration.

2.1. Rôle et fonctions des organisations de la diaspora

13. Avant de détailler les divers domaines de coopération possibles, permettez-moi de rappeler les principales composantes du processus d’intégration du point de vue d’un individu. Ce processus comprend une intégration structurelle (acquisition de droits, accès à l’emploi, à l’éducation et au logement), une intégration culturelle (acquisition des éléments de base et des compétences de la culture de la société hôte), une intégration sociale (établissement de relations) et enfin une identification (sentiment d’appartenance) 
			(4) 
			Voir Roger Bauböck
(éd.) (2006), Introduction, in Migration
and Citizenship. Legal Status, Rights and Political Participation,
Amsterdam, Amsterdam University Press: 9-13. . Les organisations de diasporas soutiennent et favorisent généralement l’intégration dans l’ensemble de ces domaines tout en cultivant des liens avec le pays d’origine.
14. Cependant, les approches et buts des associations de diasporas ne sont pas figés, ils évoluent au fil du temps. Ils suivent la dynamique de l’intégration dans le pays de résidence et les changements dans leurs relations avec leur pays d’origine. Lorsque l’installation de la diaspora est un phénomène récent et que la plupart des migrants sont de première génération, les organisations font en sorte de satisfaire aux besoins et aux priorités essentiels. A mesure que la communauté s’intègre dans le pays de résidence, les besoins et les priorités changent, amenant les organisations à modifier leurs rôles et leurs structures.
15. De plus, la façon dont les organisations et les réseaux contribuent à l’intégration et à l’établissement de relations sociales au-delà des frontières est très variable, chaque groupe de diaspora agissant en fonction de son histoire, de son approche politique ou culturelle, des caractéristiques individuelles des personnes et de leur perception d’elles-mêmes.
16. Les activités de conseil et d’assistance, ainsi que la médiation avec les pouvoirs publics, présentent une importance toute particulière pour les nouveaux arrivants. Les organisations associatives, du fait de leur structure informelle, sont d’un abord plus facile que les ambassades et les consulats et servent souvent de point de contact initial. Elles fournissent des informations utiles et mènent des activités de mise en réseau. Leur rôle est essentiel non seulement pour mettre en contact les personnes, mais aussi pour renforcer les liens communautaires. Aujourd’hui, les sites web et les médias sociaux sont autant d’outils d’information et d’activités en réseau.
17. Rombel, une association de Roumains en Belgique 
			(5) 
			<a href='http://www.rombel.com/'>www.rombel.com.</a>, a lancé en 2009 le «Guide du Roumain en Belgique», un ouvrage de 120 pages très utile visant à faciliter l’intégration des expatriés, mais aussi à préserver des liens culturels avec la Roumanie. Le guide en ligne a été téléchargé 80 000 fois et 5 000 exemplaires imprimés ont été distribués. L’association met à disposition une plateforme web détaillant tous les aspects de la vie sociale en Belgique et promeut la mise en réseau pour toucher les petites communautés isolées d’expatriés. La plateforme accueille près de 120 000 visiteurs par an.
18. Albinfo, Actualités des Albanophones en Suisse 
			(6) 
			<a href='http://www.albinfo.ch/'>www.albinfo.ch.</a>, créée en 2009 sous la forme d’un site web trilingue, se définit comme «une plateforme d’informations, de contacts, d’échanges et de services». En mai 2015, le site cumulait 1 055 109 visites, avec un fort impact dans les médias suisses et des Balkans. Albinfo propose divers services, dont la mise en contact des expatriés avec les autorités et les entreprises, le téléchargement d’une base de données d’associations, d’entreprises et de services, des réponses à un grand nombre de d’interrogations individuelles, etc. La plateforme coopère avec trois institutions fédérales suisses s’occupant des migrations: le Département fédéral de justice et police – Secrétariat d’Etat aux migrations, la Direction du développement et de la coopération et la Commission fédérale pour les questions de migration. L’association œuvre à l’intégration des migrants en Suisse, en partant du principe que l’identité n’est pas exclusive et que les médias ont un rôle déterminant à jouer pour faire évoluer l’identité. Albinfo fait en sorte de faciliter la communication entre les «deux réalités» des migrants (le pays de résidence et le pays d’origine), coopère avec d’autres communautés d’expatriés et organise régulièrement des conférences 
			(7) 
			Par exemple, la table
ronde «Les Balkans: 20 ans après Dayton – Bilan et perspective»,
Université de Fribourg, 2 novembre 2015; Conférence «Changements
politiques et démocratie dans les Balkans: quelle contribution de
la diaspora?», dans le but d’inscrire la diaspora dans le débat politique du pays de résidence.

2.2. Pouvoirs publics: approches politiques de l’intégration

19. Pour de nombreux Etats, l’intégration a traditionnellement été associée à l’assimilation, qui mène à une dissolution progressive des liens avec le pays d’origine, ou au pluralisme, permettant la coexistence de différentes identités collectives au sein d’une même société et n’imposant pas de changement d’identité ou d’appartenance culturelle. Aujourd’hui, les approches politiques de la plupart des pays européens évoluent en cherchant à s’adapter à de nouvelles formes de mobilité et à l’explosion des flux migratoires. Le défi consiste à bâtir une cohésion sociale sur la base de la diversité culturelle et à créer des interactions positives entre des personnes d’appartenances culturelles différentes et souvent multiples. Cette démarche ne va pas à l’encontre de la préservation des liens avec le pays d’origine.
20. En fonction de la structure de l’Etat, la question de l’intégration des communautés d’immigrés peut relever de la compétence du pouvoir central (structure centralisée) ou des pouvoirs locaux ou régionaux (structure décentralisée). En France par exemple, les institutions nationales jouent un rôle prédominant. Dans d’autres pays, tels que l’Italie, les politiques d’intégration des immigrés sont essentiellement gérées par les autorités locales et régionales. Par ailleurs, les institutions locales peuvent plus facilement coopérer avec les organisations et les réseaux de diasporas, dont la plupart déploient leurs activités au plan local.

2.3. Exemples de coopération entre les pouvoirs publics et les organisations de la diaspora

2.3.1. Conseils consultatifs locaux en Italie

21. Des conseils municipaux de ressortissants étrangers ont été créés dans de nombreuses villes italiennes afin d’offrir une forme institutionnelle de représentation aux étrangers qui ne disposent pas du droit de vote. Les conseils d’immigrés sont des organes consultatifs dont les membres sont directement élus par les résidents étrangers ou désignés dans les rangs des représentants d’organisations de diasporas.
22. Ces conseils consultatifs ont en particulier pour rôle: 1) de donner aux ressortissants d’Etats non membres de l’Union européenne les moyens de faire entendre leur voix; 2) de promouvoir et de soutenir les activités des organisations de diasporas; 3) d’encourager les initiatives et les projets visant à l’intégration des ressortissants étrangers et à l’élimination de toutes les formes de discrimination; 4) d’établir une passerelle entre les institutions locales et les diasporas; 5) de recueillir et d’examiner les problèmes et les besoins des ressortissants étrangers et de les intégrer au processus d’élaboration des politiques en matière d’emploi, de santé, de logement, d’écoles, de transports publics, etc.

2.3.2. Coopération décentralisée en Allemagne

23. En Allemagne, les organisations de diasporas peuvent contribuer à l’intégration au plan national en participant aux sommets sur l’intégration organisés par la Chancellerie fédérale et en collaborant avec la Commissaire fédérale à l’intégration à l’élaboration de la stratégie nationale d’intégration et du plan d’action national pour l’intégration. La plupart des Länder allemands, notamment ceux qui accueillent une forte proportion de migrants, consultent régulièrement les organisations de diasporas. Ils les invitent par exemple à des conférences annuelles sur l’intégration (Rhénanie du Nord-Westphalie, Hesse, Sarre) et s’assurent de leur participation à la conception des politiques. Les moyens permettant aux associations de migrants d’influer sur la politique et les décisions ne sont pas toujours précisés. Les grands Länder proposent des programmes de soutien (financier) spécifiques aux organisations de diasporas (c’est le cas par exemple de la Rhénanie du Nord-Westphalie), d’autres tentent de les intégrer à des mécanismes de financement réguliers (Hesse). Cependant, les Länder ne sont pas tous en mesure de soutenir financièrement ces organisations, en raison d’obstacles juridiques ou de restrictions budgétaires (par exemple le Schleswig-Holstein). La plupart des commissaires à l’intégration des Länder allemands, ainsi que les pouvoirs locaux et les centres d’intégration, travaillent en étroite collaboration avec les associations de diasporas, même si leur coopération n’est pas institutionnalisée.
24. L’initiative prise par le ministère de l’Intégration de Sarre pour tenter d’institutionnaliser la coopération avec les organisations de diasporas peut être considérée comme un exemple de bonne pratique dans le contexte allemand. Le ministère a préparé une «Déclaration sur la politique d’intégration en Sarre» qui a été signée par les associations de diasporas, les institutions religieuses, les chambres de commerce, les associations caritatives et les conseils locaux. Le ministre consulte et rencontre régulièrement les organisations bénévoles pour démontrer l’intérêt qu’il leur porte, mais aussi leur expliquer la politique d’intégration du Land et ses programmes de soutien, et encourager les associations à établir des réseaux entre elles. La plupart des associations font preuve d’une grande ouverture et soutiennent une approche interculturelle. Le ministre du Land joue un rôle essentiel dans la réduction du risque d’isolement des associations de migrants qui s’enferment trop sur leur propre identité, les encourageant à devenir une passerelle entre la diaspora et la population majoritaire.
25. Depuis les changements intervenus dans les politiques migratoires allemandes à la fin des années 1990, on a pu observer une évolution manifeste, les diasporas isolées et fermées se transformant progressivement en organisations bien intégrées, cherchant le dialogue et l’interaction. Beaucoup d’associations ont élargi leurs activités pour mener des projets d’intégration, créé de puissantes organisations faîtières et cherché à coopérer avec les autorités et les institutions.

2.3.3. Modèle suisse

26. Le modèle suisse de coopération avec les organisations de diasporas est fortement institutionnalisé. La Confédération helvétique a adopté une approche interministérielle transversale, basée sur une coordination bien rôdée entre le Département fédéral de justice et police, chargé de l’intégration, et le Département fédéral des affaires étrangères, qui traite des flux migratoires en appuyant des projets dans les pays d’origine. Une coopération est également établie avec d’autres départements responsables de certains aspects spécifiques de l’intégration (par exemple le Service de la culture, le Département de la santé).
27. Cette coopération transversale et stratégique se reflète également dans le financement des organisations de diasporas. Les projets ne sont pas simplement soumis pour financement, ils sont négociés avec les pouvoirs publics compétents afin que l’ensemble de la société profite des résultats. Les associations de diasporas exposent leurs idées aux pouvoirs publics, puis un plan concret est élaboré en commun et les attentes sont harmonisées avec les stratégies et les structures d’intégration générales.
28. Comme exemple de bonne pratique, citons le Service de consultation pour les étrangers GGG de la ville de Bâle 
			(8) 
			<a href='http://www.ggg-ab.ch/francais.html'>www.ggg-ab.ch/francais.html.</a>, qui fournit informations, conseils et médiation dans 15 langues sur diverses questions juridiques et sociales et aide les étrangers à contacter les pouvoirs publics, les institutions et les employeurs. Les consultations peuvent porter sur l’emploi, le permis de séjour, la naturalisation, les assurances, le logement, les impôts, les finances, la famille, l’école, la santé, etc. Le Service organise aussi régulièrement des séminaires d’information dans les locaux d’associations de diasporas.
29. Par ailleurs, le Service de consultation pour les étrangers encourage la coordination des pratiques dans divers pays. Une plateforme a ainsi été créée pour échanger les bonnes pratiques, les sources d'inspiration et des idées. La coopération concerne non seulement les organisations de diasporas mais aussi les organisations locales/autochtones participant à des projets d’échange avec des pays voisins (Allemagne et France).

3. Préservation et transmission de l’identité culturelle du pays d’origine

«Si l’on ne donne pas une patrie aux jeunes immigrés (...), ils se créeront dans leur tête une patrie imaginaire. L’intégrisme et le fanatisme feront le reste: au bout de l’exclusion, on trouve souvent la délinquance et parfois le terrorisme.» Michel Rocard

30. Si la présence de communautés de différentes origines soulève la délicate question de l’intégration dans les pays de résidence, pour diverses raisons d’ordre personnel, politique ou historique, de nombreux expatriés ont parfois des difficultés à préserver leur identité, à maintenir un lien culturel et linguistique avec le pays d’origine et à le transmettre aux générations suivantes. Ces enjeux sont interdépendants, le processus d’intégration dépendant largement de la capacité de la personne à structurer sa propre identité. Je suis persuadé que le fait de cultiver une identité plurielle et des liens culturels avec le pays d’origine n’implique nullement un refus de s’intégrer à la vie du pays de résidence; au contraire, cela renforce l’identité (plurielle) de chacun et établit une base solide pour une intégration réussie.

3.1. Deuxième et troisième générations

31. Les besoins des membres des deuxième et troisième générations diffèrent grandement de ceux de la première génération. Le défi consiste à concilier une intégration pleine et entière dans le pays où ils sont nés et où ils grandissent et la préservation des liens avec le pays d’origine de leurs parents ou grands-parents, de parvenir à un juste équilibre entre deux cultures et, dans certains cas, entre plusieurs cultures.
32. La deuxième génération peut être définie comme les enfants nés de parents immigrés ou nés dans le pays d’origine et ayant migré avec leurs parents dans le pays de résidence avant l’âge de six ans 
			(9) 
			Mark Thomson
et Maurice Crul (2007), The Second Generation in Europe and the
United States: How is the Transatlantic Debate Relevant for Further
Research on the European Second Generation?, Journal
of Ethnic and Migration Studies, 33:7, p. 1025-1041.. Ils peuvent préserver la culture et la langue chères à leurs parents tout en s’intégrant et en tissant des liens avec le pays de résidence, qui est leur patrie. La question de savoir où placer la «patrie» semble être au cœur du problème, notamment si la «société hôte» n’est pas suffisamment ouverte pour accepter pleinement les deuxième et troisième générations comme des citoyens égaux.
33. Leur intégration représente un grand défi et une mutation pour les sociétés européennes. Cependant, cette intégration n’est pas toujours couronnée de succès et les problèmes de marginalisation et d’exclusion prennent de l’ampleur dans de nombreux pays européens. Une identification faible, tant à la société hôte qu’à la diaspora, fait naître un sentiment d’aliénation dans les rangs des deuxième et troisième générations, en particulier chez les jeunes en quête d’identité et d’appartenance, qui peuvent facilement succomber au fondamentalisme, à l’extrémisme et au racisme.
34. Dans leur quête d’une identité forte, beaucoup sont conduits à adopter une identité imaginaire, en utilisant des références au passé et à des racines communes dont ils ont une image déformée. Cherchant à satisfaire leur besoin d’appartenance, ils se concentrent sur les différences et tracent des frontières qui les séparent de la société. Ce profond malaise et cette ségrégation peuvent aisément déclencher des affrontements culturels.

3.2. Vivre ensemble: la perspective d’identités composites ou hybrides

35. Le rôle des organisations et des réseaux de diasporas est de ce fait crucial pour promouvoir de manière positive la perspective d’identités composites ou hybrides et surmonter la prévalence d’une approche nostalgique, voire régressive, de l’identité et des valeurs du pays d’origine. Pour les individus, la construction de sens et de valeurs est largement influencée par des codes culturels partagés avec leurs groupes d’appartenance. Des organisations de diasporas ouvertes et prospectives peuvent jouer un rôle décisif en cultivant des «identités composites», qui ne se limitent plus à des identités collectives prédéfinies propres à des groupes ethniques ou religieux particuliers.
36. Beaucoup d’organisations de diasporas travaillent avec les deuxième et troisième générations, mettant l’accent sur la communauté et le travail en réseau, les activités culturelles, l’éducation et l’enseignement de la langue.
37. L’association «A ta Turquie» est un bon exemple de petite association indépendante, aux ressources limitées, parvenant à promouvoir des rencontres entre les cultures et les valeurs turques et françaises et à établir ainsi un terrain d’entente. L’association a été créée en France en 1989 dans le but de promouvoir la culture turque auprès du grand public mais aussi auprès des jeunes d’origine turque. La laïcité est l’un des traits marquants de l’organisation, qui revendique une neutralité absolue vis-à-vis de la Turquie et des questions politiques, religieuses et ethniques. L’association diffère des autres organisations turques, sachant que la plupart des personnes d’origine turque se tournent plutôt vers des organisations aux positions politiques et/ou religieuses clairement tranchées.
38. L’association vise à faire connaître la Turquie (au-delà des stéréotypes) et à encourager et valoriser la production artistique et littéraire de jeunes migrants talentueux. Elle édite un magazine bimensuel bilingue, Oluşum/Genèse, et administre un site web 
			(10) 
			<a href='http://www.ataturquie.fr/'>www.ataturquie.fr.</a> publiant régulièrement des actualités générales et des informations relatives à des projets ou à des événements à venir. L’association mène également des recherches sur la communauté turque en France et en Europe, axées pour l’essentiel sur l’intégration. L’un de ses grands projets a été une étude des activités de médiation à mettre en place pour la diaspora turque.
39. En Allemagne, les Turcs préfèrent aujourd’hui se définir eux-mêmes comme une minorité ethnique allemande plutôt que comme des immigrés ou une diaspora. Le principal objectif de leurs associations bénévoles est d’établir des passerelles entre l’Allemagne et la Turquie et de créer une identité biculturelle positive, en nouant des relations sociales étroites avec le pays de résidence sans perdre pour autant les liens avec le pays d’origine et sa culture. A cet égard, elles adoptent une approche transnationale ouverte, plaidant en faveur d’identités inclusives multidimensionnelles, par opposition au concept traditionnel d’intégration.

3.3. Ecoles du samedi et plurilinguisme

40. Le plurilinguisme est une richesse, tant pour les personnes que pour la société. A mon sens, les pays de résidence ne peuvent s’enrichir au plan culturel et économique qu’en renforçant le plurilinguisme. Les associations de diasporas jouent un rôle important dans l’enseignement informel de la langue pour les deuxième et troisième générations. Cependant, elles manquent généralement d’appui institutionnel, de financement et dans certains cas de compétences professionnelles pour assurer cet enseignement linguistique.
41. Les «Ecoles du samedi» est une organisation faîtière créée en 1990 au Royaume-Uni. L’objectif principal des 22 écoles du samedi est d’enseigner l’allemand à des enfants d’origine allemande vivant au Royaume-Uni. Cet apprentissage est important pour eux, car les enfants des familles allemandes vivant au Royaume-Uni sont moins amenés à pratiquer l’allemand à la maison et risqueraient de perdre leurs compétences linguistiques sans un enseignement spécial. Les écoles fonctionnent essentiellement sur la base du bénévolat, même si elles bénéficient d’un appui de la part de l’ambassade allemande et de l’Institut Goethe. Du fait de l’absence de financement régulier, le système n’est pas pérenne, des écoles ouvrant et fermant fréquemment. Mais l’organisation comble un vide laissé par l’Allemagne, qui n’a pas mené au Royaume-Uni de politique rigoureuse pour assurer le rayonnement de la langue allemande et enseigner l’allemand aux expatriés.
42. A l’inverse, au Royaume-Uni, les pays dont l’histoire a été marquée par l’émigration sont plus enclins à investir dans l’enseignement de la langue, car ils tablent sur le retour de leurs expatriés. Les enfants espagnols et portugais, par exemple, peuvent suivre plusieurs heures d’enseignement linguistique gratuit dans de nombreuses écoles londoniennes, grâce à des accords de coopération entre les institutions et les organisations de diasporas.
43. J’estime que l’enseignement de la langue native assuré par des organisations de diasporas pourrait se dérouler de manière plus institutionnalisée dans le cadre du système d’enseignement national. Si la promotion du bilinguisme et du plurilinguisme est un objectif partagé, la mise en œuvre ne peut pas incomber aux seules organisations de diasporas et requiert la participation active des institutions de l’Etat. Des partenariats plus forts devraient être noués entre les institutions du pays de résidence (gouvernement, administration scolaire), les ambassades et d’autres institutions du pays d’origine (centres culturels ou linguistiques) et les organisations de diasporas, afin de financer les enseignants, le matériel pédagogique et les locaux adéquats indispensables pour enseigner la langue et d’intégrer cet enseignement dans le système éducatif national (établissements primaires, secondaires), en y associant des enfants de la population locale/des ressortissants nationaux. Cette étape est essentielle pour parvenir à construire des sociétés plurilingues en Europe.
44. Il conviendrait de mieux soutenir l’enseignement de la langue native et de le considérer comme une ressource non seulement pour la diaspora mais pour l’Europe toute entière, car c’est un outil extraordinaire pour instaurer des conditions plus propices à la compréhension mutuelle et au vivre ensemble. Une politique linguistique européenne cohérente en matière de promotion et de soutien des langues des communautés, d’accès aux qualifications linguistiques appropriées et de reconnaissance officielle des compétences linguistiques (examens) pourrait être liée au Cadre européen commun de référence pour les langues.
45. Le bilinguisme est un moyen de surmonter la présomption d’un choix à faire entre identification avec la culture du pays de résidence et préservation de la culture du pays d’origine. Bien au contraire, en encourageant activement le bilinguisme, voire le plurilinguisme, les gouvernements peuvent aider les deuxième et troisième générations à construire des appartenances multiples.

3.4. Les politiques en faveur de la participation des diasporas

46. Avec le développement mondial de l’économie, du commerce et l’accroissement de la mobilité, les gouvernements et les institutions des pays d’émigration se soucient désormais davantage des communautés de diasporas. Ils ont commencé à adopter divers outils pour maintenir les relations avec les expatriés, y compris la double nationalité. Le soutien de l’intégration dans les pays d’accueil a lui aussi été renforcé, comme le prouvent la présence et le rôle des ministères, agences et services ministériels spécialement mis en place à cet effet.
47. En Turquie par exemple, le Premier ministre a créé en 2010 une Présidence des Turcs de l’étranger et des communautés apparentées, organisation faîtière chargée de coordonner la structure complexe des organes institutionnels turcs traitant avec la diaspora. Certains pays ont mis en place des stratégies et des fonds pour assurer une représentation institutionnelle de la diaspora.
48. Il importe cependant de souligner que beaucoup d’associations de diasporas tiennent à préserver leur indépendance et refusent de dépendre d’institutions pilotées par le gouvernement dans le pays d’origine ou d’y être associées, de peur d’ingérences politiques. Cette dissociation est plus apparente lorsque le pays de résidence et le pays d’origine diffèrent substantiellement par leur histoire culturelle, religieuse ou politique. Il convient de reconnaître le caractère hybride des communautés expatriées modernes: elles sont attachées à leurs origines tout en étant tournées vers l’avenir. Ce ne sont pas des citoyens qui peuvent être «gouvernés» comme une extension extraterritoriale de la population nationale. Ce sont au contraire des sociétés civiles et des associations avec de multiples allégeances culturelles qui nécessitent de ce fait des formes particulières de partenariat pour que le climat de confiance perdure.
49. Dans ce contexte, l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) est à mon sens un bon exemple. Cette organisation représente depuis près d’un siècle les intérêts des ressortissants suisses vivant à l’étranger. Bien que politiquement indépendante et neutre, elle entretient des liens étroits avec l’Etat et se veut avant tout un organe consultatif, habilitée à publier des résolutions, des lignes directrices et des avis. Son secrétariat (25 personnes) est en contact régulier avec des organisations faîtières dans les pays de résidence et assure quatre missions principales: informer (essentiellement au moyen d’un magazine bimestriel et d’une lettre d’information); conseiller les ressortissants suisses vivant à l’étranger et favoriser leurs rencontres; développer un programme pour les jeunes à l’étranger (en leur proposant des activités dans leur pays d’origine ainsi qu’un service d’orientation scolaire); et mener des actions de lobbying pour défendre les intérêts des Suisses à l’étranger. Le principal défi auquel est confrontée l’organisation est de montrer que les Suisses vivant à l’étranger sont un atout potentiel pour la Confédération helvétique.
50. Le magazine «Revue suisse» informe les Suisses vivant à l’étranger des thèmes d’actualité dans leur pays d’origine et fournit des informations spécifiques pour les votes et les élections. La Revue suisse propose également à intervalle régulier des pages régionales synthétisant les informations relatives à des pays ou à des groupes de pays spécifiques. Le magazine est publié en quatre langues: français, allemand, anglais et espagnol. Une fois par an, l’organisation organise une convention réunissant quelque 400 participants autour d’un thème d’intérêt commun pour eux et pour les représentants gouvernementaux des pays de résidence. Depuis 2010, l’OSE a mis en place un réseau social 
			(11) 
			<a href='http://www.swisscommunity.org/'>www.swisscommunity.org.</a>, fort de plus de 30 000 membres.
51. L’organisation réalise des projets spécifiques en faveur des jeunes, qu’il s’agisse d’activités de loisir ou de formations. Elle donne également aux jeunes la possibilité de participer au parlement fédéral et d’assister à un séminaire d’une semaine consacré au thème du Congrès des Suisses de l’étranger. L’OSE entretient des relations étroites avec «educationsuisse» pour soutenir les jeunes Suisses vivant à l’étranger et souhaitant étudier en Suisse.
52. L’OSE est reconnue comme le porte-parole des Suisses de l’étranger. Elle mène des activités de lobbying au sein du parlement et exerce son influence sur l’action législative par l’intermédiaire du Conseil des Suisses de l’étranger, composé de 120 délégués de l’étranger et de 20 membres de la diaspora vivant en Suisse. Un autre point de référence est l’intergroupe parlementaire «Suisses de l’étranger», qui regroupe une centaine de parlementaires fédéraux et se consacre à des thèmes concernant les Suisses de l’étranger.

3.5. Les centres culturels en tant qu’espaces de rencontres interculturelles

53. Les centres culturels peuvent aussi jouer un rôle stratégique dans la promotion du dialogue interculturel, de l’intégration, du plurilinguisme et du pluriculturalisme, en associant les organisations de diasporas d’une manière moins bureaucratique. Les centres culturels, tels que l’Institut Goethe, l’Institut Dante Alighieri, l’Institut français et le British Council, ont été créés à la fin du XIXe siècle afin de préserver et de promouvoir la langue, l’identité et la culture nationales de ressortissants vivant à l’étranger, notamment dans les colonies. Au XXe siècle, ces centres sont passés de l’impérialisme culturel à la diplomatie culturelle.
54. Aujourd’hui, les centres culturels poursuivent divers autres objectifs, parallèlement à la promotion de la culture nationale à l’étranger. Visant entre autres à étendre l’usage de leur langue et à maintenir des liens avec les diasporas, ils peuvent potentiellement devenir des espaces de rencontres interculturelles et organiser des activités associant la diaspora et des citoyens du pays hôte. Ces activités contribuent à la visibilité des diasporas et à leur reconnaissance par la société hôte, leur donnant ainsi l’occasion de présenter et de valoriser la culture de leur pays d’origine et d’interagir de manière créative avec les autres cultures 
			(12) 
			Sonia Gsir et Elsa
Mescoli (2015), Maintaining national culture abroad: countries of
origin, culture and diaspora, INTERACT Conceptual Paper, RR 2015/10..

4. Perspectives d’avenir

55. Permettez-moi de m’associer à M. Costa Neves qui, dans son rapport sur «Identités et diversité au sein de sociétés interculturelles» concluait que la diversité culturelle devient un état de fait inhérent à la société humaine en raison non seulement de la mobilité accrue et de la migration transfrontalière, mais aussi des effets culturels de la mondialisation. C’est pourquoi, à l’avenir, la plupart des sociétés européennes seront inévitablement composées de nouvelles générations dotées de références culturelles multiples et d’identités composites, non limitées à une identité collective homogène. Ce scénario n’est pas celui de sociétés multiculturelles, dans lesquelles coexistent des identités collectives, mais celui d’identités composites ou hybrides, où la diversité coexiste au cœur des individus.
56. Je partage la forte conviction de M. Costa Neves que ce profond changement sociétal exige de reconsidérer en urgence les processus, mécanismes et relations nécessaires à la lutte contre le racisme et l’intolérance et au renforcement du pluralisme et de la démocratie au sein des sociétés européennes.

4.1. Reconnaissance politique: la diaspora comme passerelle entre les cultures

57. A cet égard, la première et particulièrement les deuxième, troisième et quatrième générations des populations de diasporas – qui portent en elles des références culturelles diverses – peuvent engager une action décisive en tant qu’acteurs clés du changement culturel. Non seulement ces générations représentent une passerelle entre les cultures, mais elles peuvent également enrichir la société en en synthétisant de nouvelles. Cependant, pour agir positivement, elles ont besoin d’un soutien et d’une juste reconnaissance. Au plan politique, il nous appartient de valoriser le rôle des diverses cultures dans le développement des identités nationales et d’une identité européenne. Aujourd’hui, ces identités sont en évolution et doivent se caractériser par la diversité, le pluralisme et le respect des droits de l'homme et de la dignité.

4.2. Financement, durabilité et résilience

58. Le rôle des associations et des réseaux de diasporas dans le rapprochement des cultures et la construction d’une société cohésive (vivre ensemble) n’est pas encore suffisamment compris, reconnu et encouragé.
59. La plupart des organisations reposent sur le travail bénévole, un fort enthousiasme et l’engagement de quelques individus. Elles cherchent activement des voies de coopération, mais ne disposent généralement pas des structures adéquates, des financements suffisants et pérennes et des ressources humaines indispensables. Elles sont de plus en plus chargées de missions importantes en matière d’intégration, d’éducation et de culture, mais elles manquent désespérément de soutien financier et luttent pour leur «survie». Certaines ont même cessé d’exister.
60. Beaucoup sont dans l’obligation de consacrer beaucoup de temps à la recherche de financements de base et à la promotion de leurs projets. Par voie de conséquence, il leur est difficile de trouver le juste équilibre entre le temps passé sur les projets et celui consacré au plaidoyer. Du fait des coupes budgétaires importantes dans les dépenses publiques de la plupart des pays européens, elles dépendent de plus en plus de financements internationaux, qui s’accompagnent de procédures lourdes et d’exigences jugées souvent trop complexes et chronophages. Les petites associations déplorent un manque d’information à propos des programmes de soutien et des mécanismes de financement de l’Union européenne et des autres institutions supranationales et manifestent leur découragement face aux procédures bureaucratiques.
61. Je pense que dans les stratégies nationales et locales en faveur de l’intégration, les pouvoirs publics devraient proposer aux associations de diasporas des programmes adéquats de soutien financier afin de tirer au mieux profit de cette ressource essentielle et de toucher plus efficacement les diasporas. Une forme plus systématique de coopération et de financement permettrait d’améliorer la coopération entre les associations, les aiderait à professionnaliser leurs activités, à prévenir la fragmentation et à mieux structurer leurs initiatives et activités communes.

4.3. Coopération entre les organisations de diasporas et les pouvoirs publics

62. Les pouvoirs locaux sont souvent les partenaires clés des principaux associations de diasporas. Cependant, dans la plupart des cas, ces partenariats restent informels. Pour les rendre pérennes et durablement efficaces, il conviendrait à mon sens de leur conférer une forme plus institutionnalisée. La mise en place de conseils consultatifs et l’élection de représentants des diasporas dans les conseils locaux pourraient par exemple en être les moyens.
63. Tous les représentants d’organisations de diasporas s’accordent sur la nécessité d’un renforcement du rôle des pouvoirs publics dans la valorisation et le soutien de leurs activités et dans la promotion des politiques d’intégration grâce une coopération plus étroite avec les réseaux éducatifs et culturels des différentes communautés.
64. Les organisations de diasporas pourraient jouer un rôle important de médiateurs entre les diasporas et les pouvoirs publics. La création d’une interface publique, d’une plateforme d’échange entre les autorités et les associations de diasporas, constituerait un point de référence et rendrait ces partenariats plus structurés, plus transparents et plus efficients. De telles plateformes seraient en même temps une occasion de développer des synergies au plan local entre les diverses diasporas.
65. De même, une interface publique (plateforme) pourrait être établie à l’échelon national afin de permettre aux divers ministères et institutions spécialisées de travailler de manière transversale et de faciliter l’élaboration et la mise en œuvre des stratégies nationales d’intégration via un dialogue permanent avec les organisations reflétant les intérêts et opinions des différentes diasporas dans le pays de résidence. Un problème essentiel reste toutefois à régler: celui de la représentativité. En effet les associations de diasporas diffèrent grandement en ce qui concerne leur positionnement politique et les systèmes de valeurs qu’elles défendent, les thèmes qu’elles abordent et les services qu’elles assurent. Il est important également d’éviter de renforcer la position d’organisations qui ne disposent pas d’une réelle assise populaire et ne reflètent que les intérêts ou les opinions personnels de quelques-uns.
66. En raison de l’accroissement de la mobilité, beaucoup de pays européens deviennent aujourd’hui à la fois pays d’émigration et pays d’immigration, et doivent assurer l’intégration des diverses diasporas résidant dans le pays tout en préservant leurs liens avec les communautés d’expatriés vivant à l’étranger. Ils seront de plus en plus amenés à coordonner un grand nombre de politiques et d’initiatives diverses et variées pour approfondir l’intégration au plan national en instaurant un dialogue plus systématique avec les diasporas tout en aidant, en parallèle, les deuxième et troisième générations à établir des liens avec les pays d’origine de leurs parents, susceptibles de devenir des opportunités et des atouts pour le pays de résidence.
67. Il appartient par ailleurs aux gouvernements de développer des politiques et des partenariats avec les organisations d’expatriés. Les représentants élus des diasporas (ressortissants nationaux ou personnes ayant une double nationalité) auprès des parlements nationaux peuvent constituer une solution viable pour faire entendre la voix des communautés vivant à l’étranger. A titre d’exemple, en France, en Croatie, en Italie et au Portugal, la législation prévoit une représentation politique des citoyens vivant à l’étranger au sein des parlements nationaux.

4.4. Synergies au niveau européen

68. Au plan européen, les concepts de «diaspora» et d’«expatriés» devraient être totalement intégrés dans les politiques européennes. Une solution envisageable pourrait consister à désigner des commissaires chargés des relations avec les diasporas à l’échelon national et européen, suivant en cela l’exemple du Commissaire suédois chargé des expatriés européens.
69. Une plateforme européenne pour les associations de diasporas, chargée de la coordination et de l’échange de bonnes pratiques, pourrait jouer un rôle stratégique. Plusieurs organisations sont d’avis que des contacts réguliers entre organisations de diasporas sont d’une importance particulière, car elles sont toutes confrontées à des problèmes et questions similaires. La conférence annuelle des organisations faîtières scandinaves d’expatriés pourrait servir de modèle pour une conférence plus large organisée à l’échelon européen.
70. Le dialogue et la coopération devraient être davantage promus grâce à l’organisation de réunions au niveau national et européen et des échanges réguliers via des plateformes en ligne, faciles d’accès et économiques, consacrées au partage d’informations, à la tenue de débats et à l’échange de bonnes pratiques. Les plateformes en ligne pourraient proposer des informations générales sur le financement et les exigences des associations, du matériel à intégrer aux programmes culturels ou encore des études de cas accompagnées d’expériences de diasporas spécifiques. Le partage d’informations et une meilleure communication pourraient aussi inciter les diverses diasporas locales à travailler ensemble, en mettant par exemple sur pied des événements et des projets conjoints transnationaux.
71. Le Conseil de l’Europe pourrait faciliter la coordination et promouvoir l’échange de bonnes pratiques dans les domaines éducatifs et culturels. Je suis persuadé que les informations fournies au niveau de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe pourraient aider les expatriés et d’autres citoyens à mieux connaître leurs droits et les possibilités qui s’offrent à eux et contribuer à promouvoir une image positive de la diversité culturelle.

5. Conclusions

72. Aux prises avec les tensions dans la société et pressés de réagir rapidement, les pouvoirs publics réexaminent aujourd’hui leurs politiques et font des choix politiques cruciaux: faut-il renforcer l’intégration et l’identité nationale? Ou bien asseoir la cohésion sociale sur la diversité culturelle et une interaction positive? Comme l’a déjà fait valoir M. Costa Neves dans son rapport sur le thème «Identités et diversité au sein de sociétés interculturelles», la diversité culturelle est une réalité sociale dans une grande partie de l’Europe et, par conséquent, une tendance inévitable. Reste à savoir comment l’envisager de manière positive. Comme lui, je pense que, dans cette nouvelle ère culturelle, il nous faudra innover et multiplier les «laboratoires d’échanges culturels» pour cultiver la diversité culturelle et, peu à peu, développer un espace culturel européen propre à encourager l’expression créative de multiples appartenances et identités culturelles.
73. La participation des réseaux associatifs et culturels des diasporas à ce processus sera dès lors cruciale. Ces réseaux jouent un rôle majeur en matière de soutien, de solidarité et d’entraide; ils font le lien avec la culture d’origine et donnent accès à de multiples appartenances culturelles; ils cultivent le plurilinguisme; ils animent la vie culturelle et sociale; ils apportent un soutien culturel et éducatif aux enfants et aux jeunes des deuxième et troisième générations; ils valorisent de manière positive la «différence» des identités plurielles; grâce aux activités sociales et aux manifestations culturelles, ils peuvent s’ouvrir à la société locale, élaborer des projets communs et créer des possibilités d’interaction.
74. Toutefois, à côté des nombreux atouts que présente le rapprochement des cultures, il existe également le risque d’une ségrégation, d’attachements aux «valeurs anciennes» qui n’ont pas toujours évolué avec les sociétés contemporaines, ainsi que celui d’une montée de l’extrémisme, du fondamentalisme et de l’intolérance. La question qui se pose alors est celle du type de politique qu’il convient de mettre en place dans le domaine de la culture, de l’éducation et de la jeunesse aux niveaux local, national et européen pour faire en sorte que les chances soient supérieures aux risques. Comment créer des synergies?
75. Les pays de résidence devront, selon moi, joindre leurs efforts pour recueillir des données quantitatives et qualitatives plus précises sur les diasporas (qui permettront de mieux les connaître) pour instaurer un dialogue avec elles afin de créer des mécanismes et des partenariats adaptés permettant d’associer les diasporas de manière plus systématique et structurée. A la section 4, j’ai examiné quelques mesures pratiques qui pourraient être prises à l’échelon local, national et européen.
76. De même, le renforcement des liens avec les communautés expatriées pourrait aussi grandement servir les pays d’origine, en permettant d’établir des relations culturelles, économiques et politiques plus étroites avec d’autres pays et de favoriser le développement socio-économique des pays d’origine, grâce aux investissements, aux transferts de connaissances, aux nouveaux modèles culturels et aux nouvelles compétences apportés par les expatriés. Notons l’importance grandissante des jeunes de la deuxième, voire de la troisième génération, qui sont plus mobiles, jouissent d’une double culture, y compris linguistique, et sont prêts à établir un lien avec le pays d’origine de leurs parents. Leur participation dépendra toutefois largement des conditions économiques, sociales et politiques du pays d’origine ainsi que du type de partenariat et de l’ampleur du soutien qui leur sera fourni.
77. Aujourd’hui mon pays, la France, se trouve contrainte de réagir rapidement à la suite des massacres terroristes perpétrés à Paris le 13 novembre 2015. Parallèlement au problème de sécurité et à la nécessité de lutter contre le terrorisme à court terme, il nous faut également penser à la prévention à long terme. Je suis fermement convaincu que la priorité politique en France, mais aussi dans toute l’Europe, est d’engager une action plus concertée, de dresser le bilan des politiques d’intégration et des bonnes pratiques existantes, d’échanger les expériences, de mutualiser les ressources et de coopérer plus intensivement pour développer des synergies plus efficaces avec le secteur associatif des diasporas au plan national, au plan bilatéral entre les pays d’émigration et d’immigration, et au plan multilatéral à l’échelle de l’Europe.