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Rapport | Doc. 14130 | 31 août 2016

Conséquences politiques du conflit en Ukraine

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteure : Mme Kristýna ZELIENKOVÁ, République tchèque, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4058 du 27 juin 2014. 2016 - Quatrième partie de session

Résumé

La commission des questions politiques et de la démocratie regrette que, dans un contexte sécuritaire dégradé et à défaut d’un cessez-le-feu durable, il n’y ait pas eu de progrès dans la mise en œuvre des aspects politiques de l’ensemble des mesures en vue de l’application des Accords de Minsk. Elle réitère son soutien à une solution pacifique du conflit et au processus de Minsk et appelle la Fédération de Russie à retirer ses troupes du territoire ukrainien et à cesser de fournir du matériel militaire aux séparatistes.

La commission réaffirme son engagement en faveur de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues. Elle regrette que, malgré le refus persistant de la communauté internationale de reconnaître l’annexion de la Crimée par la Russie et l’application de différents types de sanctions à l’encontre de la Russie et des citoyens russes, non seulement l’annexion n’ait pas été annulée, mais la situation des droits de l’homme dans la péninsule continue de se détériorer.

Le rapport souligne que seule une Ukraine démocratique dotée d’institutions stables, efficaces et responsables peut être forte et prospère, capable de mettre fin à l’agression venant de l’extérieur et de rétablir la paix et il appelle instamment les autorités ukrainiennes à prendre une série de mesures.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 21 juin 2016.

(open)
1. Plus de deux ans après le déclenchement du conflit militaire en Ukraine, l’Assemblée parlementaire est profondément préoccupée par ses conséquences politiques tant pour l’Ukraine elle-même que pour la stabilité et la sécurité globales en Europe.
2. Pour l’Ukraine, le conflit a entraîné la violation de sa souveraineté et de son intégrité territoriale. Cela a démarré au lendemain de l’Euromaïdan, avec l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie, et s’est poursuivi avec le soutien apporté par la Russie aux séparatistes à l’est de l’Ukraine et son rôle croissant dans le conflit en cours. Depuis mi-avril 2014, plus de 9 300 personnes ont été tuées, plus de 21 500 personnes ont été blessées et environ un million et demi de personnes ont quitté leur maison à cause du conflit. Des centaines de personnes sont détenues ou portées disparues.
3. L’Assemblée réaffirme son engagement en faveur du principe d’un règlement pacifique des conflits, ainsi que de l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues.
4. S’agissant de la Crimée, l’Assemblée réitère sa condamnation de l’annexion illégale de la péninsule et de la poursuite de son intégration dans la Fédération de Russie, en violation du droit international et du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1). Elle regrette que, malgré le refus persistant de la communauté internationale de reconnaître l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie et l’application de différents types de sanctions à l’encontre de la Fédération de Russie et des citoyens russes, non seulement l’annexion n’ait pas été annulée, mais la situation des droits de l’homme dans la péninsule continue de se détériorer. En particulier, l’Assemblée:
4.1. est vivement préoccupée par les actions menées contre des organismes de médias critiques, les actes d’intimidation et de harcèlement des opposants, les affaires de disparition et les menaces d’enlèvement, ainsi que la répression contre les personnes appartenant à des minorités, en particulier les Tatars de Crimée, en application de la loi sur l’extrémisme;
4.2. considère que l’interdiction du Mejlis du Peuple des Tatars de Crimée, qualifiée «d’organisation extrémiste», est une mesure extrêmement répressive qui vise la communauté tatare de Crimée dans son ensemble et demande que cette mesure soit annulée;
4.3. demande que toutes les instances du Conseil de l’Europe intervenant dans le domaine des droits de l’homme aient accès total et sans restriction à la péninsule de Crimée, afin qu’elles puissent mener leurs activités de suivi sans entraves et conformément à leur mandat;
4.4. appelle les autorités russes à annuler l’annexion de la Crimée et à permettre à l’Ukraine de regagner le contrôle sur la péninsule.
5. S’agissant du conflit en cours dans l’est de l’Ukraine, l’Assemblée est profondément préoccupée par les violations constantes du cessez-le-feu, qui transgressent les Accords de Minsk et l’ensemble de mesures en vue de leur application, de février 2015. Une escalade de la violence le long de la ligne de contact dans le Donbass a conduit à un rapprochement des positions des deux parties de la ligne de contact et s’est traduit par une hausse du nombre de victimes civiles par des tirs d’artillerie. L’Assemblée regrette également le nombre croissant de violations des engagements de retrait des armes et les restrictions imposées à la liberté de mouvement de la mission spéciale d’observation de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
6. L’Assemblée réitère son soutien à une solution pacifique du conflit et au processus de Minsk. Elle appelle à nouveau:
6.1. la Fédération de Russie à retirer ses troupes du territoire ukrainien et à cesser de fournir du matériel militaire aux séparatistes;
6.2. toutes les parties à mettre en œuvre de manière responsable et faisant preuve de bonne foi leurs engagements conformément aux Accords de Minsk et à l’ensemble des mesures en vue de leur application, en commençant par le respect effectif du cessez-le-feu.
7. L’Assemblée regrette que, dans un contexte sécuritaire dégradé et à défaut d’un cessez-le-feu durable, il n’y ait pas eu de progrès dans la mise en œuvre des aspects politiques de l’ensemble des mesures en vue de l’application des Accords de Minsk.
8. En ce qui concerne en particulier la question des élections locales à organiser dans le Donbass, l’Assemblée souligne que, pour qu’elles soient conformes à la législation ukrainienne et aux normes internationales relatives à des élections libres et équitables, il est indispensable d’assurer: un environnement sécuritaire amélioré, suite au retrait des troupes et des armes, et un stockage sécurisé de ces dernières sous contrôle international; la possibilité pour tous les partis ukrainiens de participer au scrutin et pour les médias ukrainiens de diffuser leurs émissions dans le Donbass pendant la campagne; le respect du droit des personnes déplacées du Donbass à l‘intérieur de l’Ukraine ou de celles qui se sont réfugiées dans la Fédération de Russie de prendre part au vote.
9. L’Assemblée se félicite de la libération d’un de ses membres, Mme Nadiia Savchenko, après les appels répétés de la communauté internationale, y compris plus récemment dans la Résolution 2112 (2016) de l’Assemblée sur les préoccupations humanitaires concernant les personnes capturées pendant la guerre en Ukraine. Elle se félicite également de la libération de M. Yuriy Soloshenko et de M. Gennady Afanasyev ainsi que d’autres prisonniers. Au-delà de gestes humanitaires importants, ces libérations offrent l’occasion d’instaurer la confiance entre les parties au conflit et de donner au processus de Minsk un élan positif. L’Assemblée réitère son appel en faveur de la libération de toutes les personnes capturées conformément à la Résolution 2112 (2016).
10. L'Assemblée se joint au Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe dans son appel pour garantir l’établissement des responsabilités dans les cas de graves violations des droits de l’homme commises pendant le conflit comme élément clé du processus de réconciliation. Les auteurs de crimes graves tels que des meurtres, des disparations forcées et des actes de torture des deux côtés de la ligne de démarcation doivent être amenés à rendre compte de leurs actes.
11. Seule une Ukraine démocratique dotée d’institutions stables, efficaces et responsables, respectant enfin les promesses de l’Euromaïdan de réformer un système corrompu et oligarchique, peut être forte et prospère, capable de mettre fin à l’agression venant de l’extérieur et de rétablir la paix. En conséquence, l’Assemblée:
11.1. tout en se félicitant de l'adoption d'amendements constitutionnels sur le système judiciaire, appelle instamment les autorités ukrainiennes à mettre en œuvre efficacement les nouvelles mesures, à lutter résolument contre toutes les formes de corruption, y compris au plus haut niveau politique, à assurer le bon fonctionnement des institutions anticorruption nouvellement créées et à poursuivre les réformes, y compris la réforme constitutionnelle sur la décentralisation;
11.2. appelle les autorités ukrainiennes à réagir positivement aux avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) concernant l’Ukraine;
11.3. appelle les autorités ukrainiennes à s’assurer que les enquêtes et les procédures relatives aux violents incidents lors des manifestations de l’Euromaïdan ainsi qu’aux événements tragiques survenus à Odessa en mai 2014, progressent plus rapidement et dans l’impartialité afin de rendre justice et renforcer la confiance du public dans le système de procédure pénale, conformément aussi aux recommandations du Groupe consultatif international créé par le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe;
11.4. se félicite du soutien accru offert par le Conseil de l’Europe à l’Ukraine, notamment dans le cadre du Plan d’action du Conseil de l’Europe pour l’Ukraine 2015-2017, et appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe à envisager d’avantage de financement, y compris par le biais de contributions volontaires.
12. Au-delà de l’Ukraine, l’Assemblée regrette que le conflit et les actions de la Fédération de Russie à cet égard aient sapé la stabilité et la sécurité globales sur notre continent ainsi que les avancées, réalisées depuis des décennies, vers un partenariat stratégique avec la Fédération de Russie. L'Union européenne devrait également tirer ses propres leçons et réfléchir à des stratégies pour l'avenir de la région qui permettront de désamorcer les tensions actuelles et contribueront à rétablir la confiance dans son voisinage.
13. Quant aux répercussions économiques du conflit, l’Assemblée constate qu’elles sont considérables non seulement pour l’Ukraine elle-même et la Fédération de Russie, mais également pour l’Union européenne et différents pays européens frappés à des degrés divers mais non négligeables par les sanctions appliquées contre la Fédération de Russie et par les contre-sanctions russes. Le débat relatif aux sanctions divise l’Union européenne et menace sa cohésion.
14. L’Assemblée appelle instamment les Etats membres du Conseil de l’Europe à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour soutenir le processus de paix en Ukraine afin d’éviter une nouvelle escalade de la violence, avec des conséquences dangereuses pour les civils vivant dans la zone touchée par le conflit, ou la transformation en un «conflit gelé» ou «semi-gelé», ce qui prolongerait l’instabilité et l’insécurité en Ukraine et dans toute l’Europe.
15. Pour sa part, l’Assemblée pourrait servir de plateforme unique de dialogue et de coopération interparlementaires et contribuer positivement à la résolution pacifique du conflit, notamment en favorisant l’établissement de la confiance. Elle regrette que, jusqu’à présent, elle n’ait pas pu jouer son rôle naturel de diplomatie parlementaire, principalement du fait que depuis deux années consécutives les parlementaires russes n’ont pas participé à ses travaux. Indépendamment des divergences sur l’origine de la crise, l’Assemblée réitère son appel au Parlement russe à s’engager dans un dialogue constructif avec elle dans le respect mutuel.
16. L’Assemblée décide de continuer à suivre de près les conséquences politiques et humanitaires du conflit en Ukraine ainsi que les défis relatifs aux droits de l’homme et à l’Etat de droit qu’il soulève dans les territoires sous ou hors du contrôle du Gouvernement ukrainien.

B. Exposé des motifs, par Mme Kristýna Zelienková, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Dans le cadre de la préparation de mon rapport, j’ai effectué plusieurs visites en Ukraine et organisé différentes auditions au sein de la commission des questions politiques et de la démocratie.
2. Pour rappel, ces diverses auditions ont notamment vu la participation de Mme Iryna Gerashchenko, présidente de la commission du Parlement ukrainien pour l’intégration européenne et envoyée spéciale du Président ukrainien pour le règlement du conflit dans les régions de Donetsk et de Lougansk (aujourd’hui première vice-présidente du Parlement ukrainien); M. Gianni Buquicchio, président de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise); M. Armen Harutyunyan, à l’époque chef de la mission de suivi des droits de l’homme des Nations Unies en Ukraine; le Professeur Aldo Ferrari de l’Université Ca’ Foscari de Venise et de l’Institut pour les études de politique internationale (Istituto per gli Studi di Politica Internazionale, ISPI), et plus récemment de M. Niels Mužnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, et M. Christos Giakoumopoulos, à l’époque représentant spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pour l’Ukraine.
3. Ma première visite en Ukraine en ma qualité de rapporteure a eu lieu du 15 au 18 février 2015. Elle était d’autant plus d’actualité que je suis arrivée quelques heures seulement après la réunion, à Minsk, des dirigeants du format «Normandie» qui avait pour but de convenir d’un ensemble de mesures en vue de l’application des Accords de Minsk. Lors de ce premier déplacement, je me suis rendue à Kiev mais aussi dans les deux oblasts en partie contrôlés par les séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine et plus précisément dans les villes de Sloviansk et Kramatorsk dans l’oblast de Donetsk ainsi qu’à Sievierodonetsk dans l’oblast de Lougansk 
			(2) 
			Voir ma note d’information
sur la visite d’information en Ukraine du 15 au 18 février 2015, <a href='http://www.assembly.coe.int/CommitteeDocs/2015/Fpdoc02rev_15.pdf'>AS/Pol
(2015) 02 rev</a>..
4. Depuis lors, je me suis rendue à trois reprises en Ukraine en qualité de rapporteure: en septembre 2015, où j’ai tenu des réunions à Kiev, Lviv (partie occidentale de l’Ukraine) et Odessa dans le sud; en novembre 2015, pour y rencontrer le Président Porochenko 
			(3) 
			Voir ma <a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=5871&lang=1&cat='>déclaration </a>suite à mon entrevue avec le Président Porochenko le
11 novembre 2015., et, plus récemment, du 4 au 7 avril 2016, à Kiev et une nouvelle fois dans la région de l’est, à Marioupol et Dnipropetrovsk, avec Mme Marieluise Beck, rapporteure de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme sur les recours juridiques contre les violations des droits de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes.
5. En plus de ma rencontre avec le Président Porochenko, j’ai tenu, au cours de mes différentes visites en Ukraine, des réunions avec des représentants du gouvernement et du parlement, y compris le président du parlement, le vice-premier ministre, le ministre et le vice-ministre des Affaires étrangères, des gouverneurs et responsables locaux, des représentants de la communauté internationale et diplomatique, y compris le Représentant spécial du Président en exercice de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) (j'ai rencontré à la fois l'ambassadrice Tagliavini et l'ambassadeur Sajdik) et le chef de la mission spéciale d’observation de l'OSCE en Ukraine, ainsi que des représentants de la société civile y compris des organisations non gouvernementales (ONG) locales et internationales. J'ai eu des discussions franches et constructives avec tous les interlocuteurs et j’ai été particulièrement impressionnée par la résilience, la détermination et l’énergie de la population locale que j’ai rencontrée. Je suis reconnaissante envers la délégation ukrainienne, et en particulier M. Volodymyr Ariev, président de la délégation, Mmes Iryna Gerashchenko et Mariia Ionova, qui m'ont aidée à organiser la première visite à l'est de l'Ukraine, M. Andrii Lopushanskyi, qui m'a accompagnée durant mes trois visites en Ukraine, et M. Oleksii Goncharenko, qui m'a accompagnée lors de la visite dans l'est de l'Ukraine et à Odessa. Mes remerciements vont également à l'équipe du bureau du Conseil de l'Europe à Kiev pour son assistance.
6. Je souhaitais également me rendre dans la Fédération de Russie pour recueillir l’avis des autorités et de la société civile russes sur le conflit en Ukraine. J’avais obtenu l'autorisation de la commission à cet effet durant la partie de session de juin 2015. Lorsque j'ai contacté la délégation russe à cet égard, on m'a informée que je recevrais une réponse après le vote sur l’«Examen de l'annulation des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie (suivi du paragraphe 16 de la Résolution 2034 (2015))». J'ai reçu une réponse négative à la suite de ce vote et l’adoption de la Résolution 2063 (2015), qui a maintenu les sanctions à l’égard des membres de la délégation russe.
7. En outre, la commission m'avait autorisée à me rendre, «dans la mesure du possible, en accord avec les autorités ukrainiennes, [dans] les territoires ukrainiens qui échappent au contrôle des autorités ukrainiennes». Cela n'a pas été possible pour des raisons de sécurité comme il sera expliqué ci-dessous, dans le chapitre 4.2.
8. Lors de sa réunion du 24 mai 2016 à Paris, la commission a eu la possibilité de tenir un premier échange de vues sur l’objet de mon rapport, en se fondant sur un avant-projet. J’ai ainsi pu intégrer dans la présente version révisée les derniers développements, ainsi que certains des commentaires de mes collègues ou des réponses à leurs questions. Je souhaiterais actualiser une nouvelle fois le rapport, au moyen d’un addendum, à temps pour le débat de l’Assemblée prévu lors de la partie de session d’octobre 2016.

2. La portée de mon rapport

9. Le titre initial de mon rapport, tel que proposé par le Bureau de l’Assemblée à la suite du débat d'actualité tenu en juin 2014, portait sur la question des «conséquences politiques de la crise en Ukraine».
10. Cependant, un tel titre prêtait à confusion. Ce qui se passe en Ukraine est beaucoup plus qu’une simple «crise». C’est un conflit à part entière qui a démarré au lendemain de l’Euromaïdan, avec l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie en février 2014 et s’est poursuivi avec le rôle de la Russie dans le conflit dans l’est de l’Ukraine, en violation de la souveraineté de cette dernière.
11. Sur ma proposition, la commission a par conséquent convenu de modifier comme suit l’intitulé du rapport: «Conséquences politiques du conflit en Ukraine».
12. Après un rapide tour d’horizon des derniers développements intervenus en Ukraine (voir ci-dessous chapitre 3) et à la lumière des discussions tenues au sein de la commission, mon rapport abordera trois aspects essentiels du sujet: les conséquences politiques du conflit pour l’Ukraine elle-même (voir chapitre 4), les conséquences géopolitiques plus larges du conflit (voir chapitre 5), et, pour finir, les conséquences plus spécifiques pour notre Assemblée et le rôle de cette dernière (voir chapitre 6).
13. Ni l’analyse détaillée de la situation politique interne en Ukraine ni les défis relatifs aux droits de l’homme et à l’Etat de droit, y compris les restrictions en matière de droits de l’homme et de libertés fondamentales résultant du conflit, ni le processus de réforme en cours n’entrent dans le cadre de mon rapport. Ceci relève du mandat des rapporteurs de la commission de suivi, qui sont chargés de vérifier que l’Ukraine satisfait aux obligations qu’elle a contractées aux termes du Statut du Conseil de l'Europe (STE no 1), de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et de toutes les autres conventions du Conseil de l'Europe auxquelles elle est Partie et qu’elle honore les engagements pris par les autorités ukrainiennes lors de son adhésion au Conseil de l'Europe, et également de suivre le fonctionnement des institutions démocratiques du pays 
			(4) 
			Les rapporteurs de
la commission de suivi ont suivi de près les développements en Ukraine,
en particulier depuis février 2014. Voir le rapport de la commission
de suivi (<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=20712&lang=fr'>Doc.
13482</a>) et la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=20873&lang=FR'>Résolution
1988 (2014)</a> «Développements récents en Ukraine: menaces pour le
fonctionnement des institutions démocratiques». Voir également <a href='http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2014/fmondoc16-2014.pdf'>AS/Mon
(2014) 16</a> Respect des obligations et engagements de l’Ukraine,
note d’information des corapporteures sur leur visite d’information
à Kiev et Odessa (du 7 au 11 juillet 2014), <a href='http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2015/fmondoc13-2015.pdf'>AS/Mon
(2015) 13</a>, Respect des obligations et engagements de l’Ukraine,
note d’information des corapporteurs sur leur visite d’information
à Kiev (du 25 au 27 mars 2015), <a href='https://pace.coe.int/documents/19887/1699601/AS-MON-2015-21-FR.pdf/d2d4c424-7816-4b77-8309-362f7c201e22'>AS/Mon
(2015) 21</a>, Respect des obligations et engagements de l’Ukraine,
note d’information des corapporteurs sur leur visite d’information
à Kiev, Dnipropetrovsk et Kharkiv (du 18 au 22 mai 2015), et <a href='https://pace.coe.int/documents/19887/2221584/fmondoc05_2016-Ukraine-FR.pdf/994f51a3-6dc6-461a-9ce3-0088212a0038'>AS/Mon
(2016) 05</a>, Respect des obligations et engagements de l’Ukraine,
note d’information des corapporteurs sur leur visite d’information
à Kiev (du 1er au 3 février 2016)..
14. Les nombreuses questions liées aux droits de l'homme que l'annexion de la Crimée et le conflit en cours dans le Donbass ont soulevées font également partie d'un autre rapport sur les «Recours juridiques contre les violations des droits de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes» qui est en cours de préparation par la rapporteure de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, Mme Marieluise Beck.
15. Enfin et surtout, les conséquences humanitaires du conflit, y compris les questions d’une importance cruciale comme les droits du million et demi de personnes déplacées dans leur propre pays (PDI), ou capturées et portées disparues, sont traitées par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées. Je renvoie par conséquent à cet égard aux rapports déjà établis par cette commission 
			(5) 
			La situation humanitaire
des réfugiés et des personnes déplacées ukrainiens, <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewPDF.asp?FileID=21335&lang=fr'>Doc.
13651</a>, <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewPDF.asp?FileID=21361&lang=fr'>Doc.
13651 Add</a> et <a href='http://semantic-pace.net/tools/pdf.aspx?doc=aHR0cDovL2Fzc2VtYmx5LmNvZS5pbnQvbncveG1sL1hSZWYvWDJILURXLWV4dHIuYXNwP2ZpbGVpZD0yMTQ4MCZsYW5nPUZS&xsl=aHR0cDovL3NlbWFudGljcGFjZS5uZXQvWHNsdC9QZGYvWFJlZi1XRC1BVC1YTUwyUERGLnhzbA==&xsltparams=ZmlsZWlkPTIxNDgw'>Résolution
2028 (2015)</a>; Les personnes portées disparues pendant le conflit
en Ukraine<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewPDF.asp?FileID=21795&lang=fr'>,
Doc. 13808</a>, <a href='http://semantic-pace.net/tools/pdf.aspx?doc=aHR0cDovL2Fzc2VtYmx5LmNvZS5pbnQvbncveG1sL1hSZWYvWDJILURXLWV4dHIuYXNwP2ZpbGVpZD0yMTk3MCZsYW5nPUZS&xsl=aHR0cDovL3NlbWFudGljcGFjZS5uZXQvWHNsdC9QZGYvWFJlZi1XRC1BVC1YTUwyUERGLnhzbA==&xsltparams=ZmlsZWlkPTIxOTcw'>Résolution
2067 (2015)</a>, <a href='http://semantic-pace.net/tools/pdf.aspx?doc=aHR0cDovL2Fzc2VtYmx5LmNvZS5pbnQvbncveG1sL1hSZWYvWDJILURXLWV4dHIuYXNwP2ZpbGVpZD0yMTk3MSZsYW5nPUZS&xsl=aHR0cDovL3NlbWFudGljcGFjZS5uZXQvWHNsdC9QZGYvWFJlZi1XRC1BVC1YTUwyUERGLnhzbA==&xsltparams=ZmlsZWlkPTIxOTcx'>Recommandation
2076 (2015)</a>, et réponse du Comité des Ministres, <a href='http://semantic-pace.net/tools/pdf.aspx?doc=aHR0cDovL2Fzc2VtYmx5LmNvZS5pbnQvbncveG1sL1hSZWYvWDJILURXLWV4dHIuYXNwP2ZpbGVpZD0yMjU4MyZsYW5nPUZS&xsl=aHR0cDovL3NlbWFudGljcGFjZS5uZXQvWHNsdC9QZGYvWFJlZi1XRC1BVC1YTUwyUERGLnhzbA==&xsltparams=ZmlsZWlkPTIyNTgz'>Doc.
14004</a>; Les préoccupations humanitaires concernant les personnes
capturées pendant la guerre en Ukraine, <a href='http://semantic-pace.net/tools/pdf.aspx?doc=aHR0cDovL2Fzc2VtYmx5LmNvZS5pbnQvbncveG1sL1hSZWYvWDJILURXLWV4dHIuYXNwP2ZpbGVpZD0yMjU2NCZsYW5nPUZS&xsl=aHR0cDovL3NlbWFudGljcGFjZS5uZXQvWHNsdC9QZGYvWFJlZi1XRC1BVC1YTUwyUERGLnhzbA==&xsltparams=ZmlsZWlkPTIyNTY0'>Doc.
14015</a>, <a href='http://semantic-pace.net/tools/pdf.aspx?doc=aHR0cDovL2Fzc2VtYmx5LmNvZS5pbnQvbncveG1sL1hSZWYvWDJILURXLWV4dHIuYXNwP2ZpbGVpZD0yMjY5NCZsYW5nPUZS&xsl=aHR0cDovL3NlbWFudGljcGFjZS5uZXQvWHNsdC9QZGYvWFJlZi1XRC1BVC1YTUwyUERGLnhzbA==&xsltparams=ZmlsZWlkPTIyNjk0'>Doc.
14015 Add</a>, <a href='http://semantic-pace.net/tools/pdf.aspx?doc=aHR0cDovL2Fzc2VtYmx5LmNvZS5pbnQvbncveG1sL1hSZWYvWDJILURXLWV4dHIuYXNwP2ZpbGVpZD0yMTk3MSZsYW5nPUZS&xsl=aHR0cDovL3NlbWFudGljcGFjZS5uZXQvWHNsdC9QZGYvWFJlZi1XRC1BVC1YTUwyUERGLnhzbA==&xsltparams=ZmlsZWlkPTIxOTcx'>Résolution 2112
(2016)</a> et <a href='http://semantic-pace.net/tools/pdf.aspx?doc=aHR0cDovL2Fzc2VtYmx5LmNvZS5pbnQvbncveG1sL1hSZWYvWDJILURXLWV4dHIuYXNwP2ZpbGVpZD0yMTk3MSZsYW5nPUZS&xsl=aHR0cDovL3NlbWFudGljcGFjZS5uZXQvWHNsdC9QZGYvWFJlZi1XRC1BVC1YTUwyUERGLnhzbA==&xsltparams=ZmlsZWlkPTIxOTcx'>Recommandation
2090 (2016)</a>. et à ses travaux en cours, et m’efforcerai de limiter autant que faire se peut les références à ces questions afin d’éviter les doublons et les messages divergents.

3. Bref aperçu des récents développements

16. Ma dernière visite en Ukraine avec Mme Beck s’est déroulée (du 4 au 7 avril 2016) à un moment où, après des mois de querelles politiques intestines qui ont paralysé les efforts de lutte contre la corruption ainsi que l’adoption des réformes urgentes indispensables et retardé la fourniture d’une aide financière étrangère et internationale, les négociations pour la mise en place d’une nouvelle coalition et d’un nouveau gouvernement semblaient toucher à leur fin.
17. Tandis que le Président Porochenko avait, dès la mi-février 2016, appelé le Premier ministre Iatseniouk à démissionner, ce dernier, après avoir survécu, dans un premier temps, à un vote de défiance au parlement, a remis sa démission deux jours après notre départ du pays, le 10 avril 2016. Son gouvernement était accusé de corruption et critiqué pour son incapacité à mettre en œuvre les réformes. Depuis le début de l’année, plusieurs ministres et haut-fonctionnaires avaient quitté le gouvernement, à l’instar en février du ministre de l’Economie, M. Aivaras Abromavičius, accusant le gouvernement d’un manque de détermination à mettre fin à la corruption. L’incertitude politique s’est encore accrue après que le parti Batkivshchyna dirigé par Ioulia Timochenko et le parti Samopomitch, conduit par le maire de Lviv, Andri Sadovy, ont quitté la coalition.
18. Le 14 avril 2016, un proche du Président Porochenko, M. Volodymyr Groïsman, que nous venions de rencontrer en sa qualité de Président du Parlement, était nommé au poste de Premier ministre. C’est une bonne nouvelle pour le Conseil de l'Europe sachant que M. Groïsman est un ancien partenaire, non seulement en tant que Président de la Verkhovna Rada, mais aussi comme acteur de premier plan dans la réforme de la décentralisation et comme ancien membre du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe. D’autres partenaires de discussion du Conseil de l'Europe sont restés les mêmes, comme le ministre de la Justice Petrenko et le Vice-Premier ministre et Ministre du développement régional Zubko. Il est également intéressant de noter qu’un nouveau ministère pour les territoires temporairement occupés et les PDI en Ukraine a été créé et que le nouveau ministre, M. Vadym Chernysh, s’est rendu au Conseil de l’Europe peu après sa nomination, en mai 2016.
19. Le nouveau gouvernement semble renforcer encore l’influence du Président Porochenko. En effet, outre le Premier ministre qui est issu de son groupe politique, le nouveau ministre des Finances, M. Oleksandr Danylyuk, n’est autre que l’ancien adjoint au chef de l’administration présidentielle, tandis que le nouveau ministre du Développement économique et du Commerce et premier Vice-Premier ministre, M. Stepan Kubiv, est l’ancien représentant du Président auprès du parlement. De manière à contrebalancer quelque peu le pouvoir accru du groupe du Président Porochenko, le nouveau Président du parlement, M. Andry Parouby, ancien chef des forces d’autodéfense de l’Euromaïdan, est issu du Front populaire, le deuxième parti de la nouvelle coalition bipartite. Le parti de M. Iatseniouk dispose par ailleurs de plus de postes ministériels au sein du nouveau Cabinet ainsi que d’un poste de Vice-Premier ministre. Certains détracteurs regrettent le départ du gouvernement de l’ancienne ministre des Finances, Natalie Jaresko, dont la communauté internationale avait loué la gestion de la crise de la dette.
20. L’ancien procureur général Chokine a fini par démissionner après des mois de querelles quant à sa personnalité et son rôle. Sa démission a été approuvée par le parlement le 29 mars. Avec pour toile de fond les nombreux scandales entachant le ministère public, le 12 mai 2016, le Président Porochenko a nommé au poste de procureur général l’un de ses proches alliés, à savoir l’ancien dirigeant de son parti et de son groupe parlementaire, M. Iouri Lutsenko, ex-ministre de l’Intérieur d’Ukraine.
21. Le nouveau gouvernement est confronté à de nombreux défis, devant désormais mettre en œuvre au plus vite les réformes indispensables, dont la lutte contre la corruption et la mise en place d’institutions démocratiques efficaces, transparentes et responsables tout en faisant face dans le même temps à l’agression russe dans l’est de l’Ukraine et dans la Crimée annexée. Il aura également pour mission de sortir le pays d’une profonde crise économique et de la dette, réduire l’influence politique des oligarques et stopper la montée du populisme et du nationalisme. Le nouveau Premier ministre semblait parfaitement conscient de ces défis lorsqu’il a déclaré, au moment où le parlement approuvait sa nomination: «Je comprends les menaces auxquelles nous sommes confrontés. En particulier, je voudrais souligner trois menaces: la corruption, la gouvernance inefficace et le populisme qui constituent une menace non moins sérieuse que l’ennemi dans l’est de l’Ukraine.»
22. S’agissant de la lutte contre la corruption, qui constituait l’une des principales revendications du peuple ukrainien pendant les manifestations de l’Euromaïdan et s’avère indispensable pour la démocratisation, le développement économique et la poursuite de l’intégration européenne du pays, je renvoie à la note d’information présentée par M. Michele Nicoletti, rapporteur sur «La corruption en tant que système de gouvernance: un obstacle à l’efficacité et au progrès des institutions», au terme de sa visite d’information en Ukraine en janvier 2016 
			(6) 
			<a href='https://pace.coe.int/documents/18848/2200765/AS-POL-2016-05-FR.pdf/e64e3580-d57d-45bb-bfe3-7963c5301947'>AS/Pol
(2016) 05</a>.. M. Nicoletti a parfaitement expliqué les principaux facteurs historiques du phénomène de corruption dans le pays et résumé les mesures récemment prises pour combattre ce fléau.
23. Le nouveau procureur général, M. Lutsenko, a fait de la lutte contre la corruption le fer de lance de l’action de son équipe, dans le but d’assainir le ministère public, en procédant notamment à un remaniement important du personnel. La commission de sélection des membres de l’Inspection générale, censée être opérationnelle à compter de décembre 2016, a pour mission de «faire la chasse aux fonctionnaires corrompus et aux traîtres» au sein de l’institution. Après la publication du dernier rapport sur la situation des droits de l’homme en Ukraine (du 16 février au 15 mai 2016), par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (OHCHR), qui dénonçait les violations des droits de l’homme commises dans le Donbass et impliquait également le Service de sécurité d’Ukraine (SBU) dans la détention illégale et la torture de centaines de personnes 
			(7) 
			<a href='http://www.ohchr.org/Documents/Countries/UA/10thOHCHRreportUkraine.pdf'>www.ohchr.org/Documents/Countries/UA/10thOHCHRreportUkraine.pdf</a>., M. Lutsenko a invité le représentant du médiateur Mykailo Chaplyha et le Commissaire aux droits de l’homme de la Verkhovna Rada, Valeria Lutkovska, à mener à l’improviste une inspection des lieux de détention du SBU. Il est à espérer que le nouveau procureur général prenne des mesures résolues afin de montrer qu’il ne saurait y avoir d’impunité pour les auteurs de violations des droits de l’homme. A cet égard, je me joins au Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, qui, suite à sa dernière visite en Ukraine, a souligné que l’établissement des responsabilités dans les cas de graves violations des droits de l’homme commises pendant le conflit est un élément clé du processus de réconciliation. Les auteurs de crimes graves tels que des meurtres, des disparations forcées et des actes de torture des deux côtés de la ligne de démarcation doivent être amenés à rendre compte de leurs actes 
			(8) 
			<a href='http://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/ukraine-accountability-for-serious-human-rights-violations-is-key-to-reconciliation-process?inheritRedirect=true&redirect=%2Fen%2Fweb%2Fcommissioner%2Fnews-2016'>Déclaration
du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe le 29
mars 2016</a>.. Dans le même contexte, il est également d'une importance capitale d’accélérer les progrès dans les enquêtes et les procédures relatives aux violents incidents lors des manifestations de l’Euromaïdan et les événements tragiques survenus à Odessa en mai 2014, qui ont entraîné 48 décès ainsi que plusieurs centaines de blessés. 
			(9) 
			<a href='http://www.coe.int/fr/web/portal/international-advisory-panel/-/asset_publisher/EPeqGGDr0yBr/content/maidan-violence-investigation?inheritRedirect=false&redirect=http%3A%2F%2Fwww.coe.int%2Ffr%2Fweb%2Fportal%2Finternational-advisory-panel%3Fp_p_id%3D101_INSTANCE_EPeqGGDr0yBr%26p_p_lifecycle%3D0%26p_p_state%3Dnormal%26p_p_mode%3Dview%26p_p_col_id%3Dcolumn-4%26p_p_col_pos%3D2%26p_p_col_count%3D4'>Rapport </a>du <a href='http://www.coe.int/fr/web/portal/international-advisory-panel'>Groupe
consultatif international</a>, créé par le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe,
sur l'examen des enquêtes sur les incidents violents lors de la
manifestation de Maïdan, publié le 31 mars 2015, et le <a href='http://www.coe.int/fr/web/portal/international-advisory-panel/-/asset_publisher/EPeqGGDr0yBr/content/iap-report-on-odessa-events?inheritRedirect=false&redirect=http%3A%2F%2Fwww.coe.int%2Ffr%2Fweb%2Fportal%2Finternational-advisory-panel%3Fp_p_id%3D101_INSTANCE_EPeqGGDr0yBr%26p_p_lifecycle%3D0%26p_p_state%3Dnormal%26p_p_mode%3Dview%26p_p_col_id%3Dcolumn-4%26p_p_col_pos%3D2%26p_p_col_count%3D4'>rapport </a>de ce groupe sur son examen des enquêtes sur les événements
tragiques survenus à Odessa en mai 2014, publié le 4 novembre 2015.
24. Fait très positif, le 2 juin 2016, la Verkhovna Rada a adopté les amendements constitutionnels attendus de longue date concernant le pouvoir judiciaire et le ministère public. Elaborés avec l’aide de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, ces amendements visent à accroître l’indépendance des juges en renforçant le Conseil supérieur de la justice et en supprimant la possibilité pour les organes politiques, que ce soit le Président ou la Verkhovna Rada, de s’immiscer dans la carrière des juges. L’effet combiné des amendements constitutionnels et de la nouvelle loi sur le système judiciaire et le statut des juges, adoptée le même jour, permettra de révoquer les juges corrompus ou incompétents. Ces modifications apportées à la Constitution permettront également de consolider la réforme du ministère public, et notamment de limiter ses fonctions, conformément à la nouvelle loi sur le ministère public adoptée antérieurement et aux normes européennes.
25. L’adoption des amendements auxquels appelait depuis de nombreuses années le Conseil de l’Europe, et en particulier son Assemblée parlementaire, a été saluée par les corapporteurs de la commission de suivi 
			(10) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6209&lang=1&cat='>Déclaration
des co-rapporteurs de la commission de suivi du 3 juin 2016</a>. et par le Secrétaire Général de l’Organisation 
			(11) 
			<a href='http://www.coe.int/fr/web/secretary-general/news-2016/-/asset_publisher/CzknNIF0G0lq/content/jagland-ukraine-s-constitutional-amendments-a-major-step-towards-european-standards/16695?inheritRedirect=false&redirect=http%3A%2F%2Fwww.coe.int%2Fen%2Fweb%2Fsecretary-general%2Fnews-2016%3Fp_p_id%3D101_INSTANCE_CzknNIF0G0lq%26p_p_lifecycle%3D0%26p_p_state%3Dnormal%26p_p_mode%3Dview%26p_p_col_id%3Dcolumn-4%26p_p_col_count%3D1'>Déclaration
du Secrétaire Général sur les modifications constitutionnelles en
Ukraine du 2 juin 2016</a>. . Quelques jours auparavant, dans le cadre de l’évaluation à mi-parcours de la mise en œuvre du Plan d’action du Conseil de l’Europe pour l’Ukraine 2015-2017 
			(12) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016802ed0c1'>Plan
d’action du Conseil de l’Europe 2015-2017.</a>, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a rappelé le soutien intense offert par l’Organisation, de par son expertise et ses conseils. Tout en saluant la mise en place d’un cadre juridique modernisé applicable au système judiciaire et l’adoption de documents stratégiques, comme les nouvelles lois relatives au ministère public, aux organes de lutte contre la corruption, à la police et au bureau national d’enquête, le Secrétaire Général a insisté sur l’importance de garantir la mise en œuvre effective de nouvelles mesures, dont le fonctionnement efficace des nouvelles institutions anticorruption. Je partage sa conclusion selon laquelle le succès de la réforme judiciaire est une condition préalable indispensable à la réussite des réformes dans d’autres secteurs; de la réforme judiciaire dépendent notamment la croissance économique et les perspectives d’investissements étrangers 
			(13) 
			<a href='http://www.coe.int/fr/web/secretary-general/news-2016/-/asset_publisher/CzknNIF0G0lq/content/judicial-reform-in-ukraine-statement-of-support-from-secretary-general/16695?inheritRedirect=false&redirect=http%3A%2F%2Fwww.coe.int%2Fen%2Fweb%2Fsecretary-general%2Fnews-2016%3Fp_p_id%3D101_INSTANCE_CzknNIF0G0lq%26p_p_lifecycle%3D0%26p_p_state%3Dnormal%26p_p_mode%3Dview%26p_p_col_id%3Dcolumn-4%26p_p_col_count%3D1'>Déclaration
du Secrétaire Général sur les réformes en Ukraine du 26 mai 2016</a>..

4. La violation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine

26. La principale conséquence politique du conflit militaire pour l’Ukraine est incontestablement la violation de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, en contradiction avec le droit international et le Statut du Conseil de l’Europe. Cela a démarré avec l'annexion de la Crimée par la Fédération de Russie en mars 2014 et s’est poursuivi avec le soutien apporté aux rebelles dans le Donbass et son rôle croissant dans le conflit depuis avril 2014.

4.1. La Crimée

27. Le Conseil de l’Europe, y compris son Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres, a, à plusieurs reprises, condamné l’annexion, par la Fédération de Russie, de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol et a souligné que celle-ci ne saurait servir de fondement à une quelconque modification de leur statut. Ce faisant, les organes statutaires du Conseil de l’Europe ont réaffirmé à plusieurs occasions leur engagement en faveur du principe d’un règlement pacifique des conflits, de l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, et du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
28. Pour sa part, l’Assemblée parlementaire a réagi de manière concrète à l’annexion de la Crimée en décidant de sanctions à l’égard des membres de la délégation parlementaire russe auprès de l’Assemblée parlementaire lors de sa partie de session d’avril 2014. Elle a également appliqué des sanctions en janvier 2015, en réaction à la poursuite de l’intégration de la Crimée dans la Fédération de Russie et aux actions russes dans le cadre du conflit dans l’est de l’Ukraine. Je reviendrai sur la question des sanctions imposées à la délégation russe et sur l’état actuel des relations entre l’Assemblée et le Parlement russe ci-après, au chapitre 6.
29. Au-delà du Conseil de l’Europe, l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie a été condamnée par l’Assemblée générale des Nations Unies laquelle, dans sa Résolution 68/262, sur l’intégrité territoriale de l’Ukraine, adoptée le 27 mars 2014, a affirmé son attachement à la souveraineté, à l’indépendance politique, à l’unité et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, en soulignant que le «référendum» organisé dans la République autonome de Crimée le 16 mars 2014 n’avait aucune validité. Par un vote de 100 en faveur, 11 contre et 58 abstentions, l’Assemblée générale des Nations Unies a demandé à tous les Etats, organisations internationales et institutions spécialisées de ne reconnaître aucune modification du statut de la Crimée et de Sébastopol, ville portuaire de la Mer noire, et de s’abstenir de tout acte ou contact susceptible d’être interprété comme valant reconnaissance d’une telle modification de statut.
30. L’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie a également constitué une violation de ses obligations au titre du mémorandum de Budapest de 1994 sur les garanties de sécurité. Par ce mémorandum, les trois puissances nucléaires signataires, en l’occurrence la Fédération de Russie, les Etats-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni, accordaient des garanties de sécurité s’agissant de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine (mais aussi du Bélarus et du Kazakhstan). En contrepartie, l’Ukraine (et les deux autres Etats concernés) adhéraient au Traité de non-prolifération des armes nucléaires. Invoquant entre autres une violation du mémorandum de Budapest, les autres partenaires ont suspendu, le 24 mars 2014, la participation de la Russie au G8 (désormais G7).
31. A défaut d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies susceptible de mener à l’adoption de sanctions internationales en conformité avec l’Article VII de la Charte des Nations Unies, l’Union européenne et les Etats-Unis, ainsi que quelques pays européens, ont également réagi par une première vague de sanctions unilatérales à l’encontre de la Fédération de Russie, sanctions qui ont ensuite été prolongées et étendues face aux actions de la Russie contre l’intégrité territoriale de l’Ukraine ou l’absence de mise en œuvre des Accords de Minsk.
32. Trois types différents de sanctions ont été adoptés par l’Union européenne: immédiatement après les événements de Crimée, en mars 2014, le Conseil européen a adopté des mesures restrictives à caractère politique et diplomatique (première étape), telles que la suspension des discussions sur les visas, l’annulation des sommets officiels UE–Russie, etc.; des mesures individuelles à l’égard de personnes et d’entités, par exemple des interdictions de visa ou le gel d’avoirs (deuxième étape), ont été adoptées en plusieurs vagues à compter du 17 mars 2014. Elles touchent actuellement 146 personnes (chefs séparatistes, membres du gouvernement de Crimée, oligarques et près de 30 députés russes) et 37 entités (principalement en Crimée et dans l’est de l’Ukraine); des sanctions économiques liées à certains secteurs de l’économie (troisième étape) sont entrées en vigueur le 1er août 2014 et le 12 septembre 2014, en coordination avec les Etats-Unis. Différentes échéances sont fixées pour les divers types de sanctions de l’Union européenne. Les mesures restrictives de l’Union européenne mises en place en réponse spécifiquement à l’annexion de la Crimée et de la ville de Sébastopol, comme l’interdiction d’importer dans l’Union européenne des biens en provenance de Crimée et l’interdiction des investissements européens en Crimée, ont été prolongées jusqu’au 23 juin 2017.
33. Néanmoins, aujourd’hui, malgré le rejet persistant de la communauté internationale de reconnaitre l’annexion de la Crimée par la Russie et l’application toujours en vigueur de différents types de sanctions à l’encontre de la Russie en réponse à des actions à cet égard, non seulement l’annexion n’a pas été annulée, mais la situation des droits de l’homme dans la péninsule est en constante détérioration, en ce qui concerne notamment le non-respect de la liberté d’expression, de la liberté de réunion, de la liberté de religion et de conviction, ainsi que des faits d’intimidation et de harcèlement des opposants et une répression contre les personnes appartenant à des minorités, en particulier les Tatars de Crimée 
			(14) 
			Voir les <a href='https://search.coe.int/cm/pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680648621'>décisions
des Délégués des Ministres du 27 avril 2016</a>..
34. Même si le sujet des violations des droits de l’homme en Crimée relève du rapport de Mme Beck, je ne peux m’empêcher de m’y référer même brièvement étant donné notamment qu’au cours de notre dernière visite en Ukraine, nous avons rencontré les deux dirigeants des Tatars de Crimée, M. Refat Chubarov, actuel Président du Mejlis du Peuple des Tatars de Crimée, et M. Mustafa Dzhemilev, son prédécesseur et membre actuellement du Parlement ukrainien, qui a passé 15 ans en tant que prisonnier politique dans les camps soviétiques. Tous les deux étaient précédemment sous le coup d’une interdiction d’entrée en Crimée; ils peuvent désormais s’y rendre, mais sous la menace d’une arrestation.
35. Comme nous l’avons déjà déclaré avec Mme Beck, le fait que ces deux dirigeants, comme d’autres Tatars de Crimée, soient effectivement opposés à l’annexion, en violation du droit international, de la Crimée par la Fédération de Russie, ne fait pas pour autant de leur travail une «activité extrémiste» 
			(15) 
			Voir le <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6103&lang=1&cat=137'>communiqué
joint</a> publié par Mme Beck et moi-même
le 14 avril 2016..
36. En effet, depuis l’annexion, les Tatars de Crimée (mais pas uniquement eux) ont été les cibles les plus fréquentes d’opérations menées par les forces d’occupation, selon l’application de la loi sur l’extrémisme, car ils sont considérés par ces dernières comme la principale menace en matière d’extrémisme et de contestation à l’encontre de l’ordre actuel. De telles opérations comprennent des perquisitions (souvent sans mandat), l’usage disproportionné de la force par des agents des forces de l’ordre, des faits d’intimidation et des menaces d’enlèvement. Les affaires de disparition concernent tant des Tatars de Crimée que des Ukrainiens. En outre, la fermeture abusive du média ATR, qui a une large audience au sein de la communauté tatare de Crimée, constitue une grave violation de la liberté des médias dans la péninsule.
37. Dans ce contexte, la décision de la soi-disant «Cour suprême de Crimée» d’interdire les activités du Mejlis, qualifié «d’organisation extrémiste», indique un nouveau niveau de répression visant la communauté tatare de Crimée dans son ensemble 
			(16) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/sso/SSODisplayDCTMContent?documentId=090000168064211f&ticket=ST-264866-orZaG1c2N25zE4U7GYV7-cas'>Rapport
présenté au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe par l’Ambassadeur
Stoudmann</a>.. Le Mejlis est une structure représentative, sociale et traditionnelle importante de cette communauté. L’interdiction, qui peut s’appliquer à plus de 2 500 membres parmi les 250 mejlis locaux dans les différents villages et villes en Crimée, augmente considérablement le risque d’aliéner encore plus la communauté tatare de Crimée et d’isoler cette dernière du reste de la population vivant sur la péninsule.
38. Tant les Délégués des Ministres que le Président de l’Assemblée ont réagi à l’interdiction du Mejlis qui coïncide par ailleurs avec une détérioration dans les relations entre la Russie et la Turquie. En la considérant comme «une mesure extrêmement répressive qui vise la communauté tatare de Crimée dans son ensemble», le Président de l’Assemblée a demandé instamment aux autorités de prendre «toutes les mesures nécessaires pour revenir sur cette décision» 
			(17) 
			<a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-EN.asp?newsid=6143&lang=2&cat=15'>Déclaration
du Président</a> du 27 avril 2016.. Lors de sa rencontre en Ukraine le 13 mars 2016 avec le Président Porochenko, ce dernier a souligné qu’une telle nouvelle vague de répression sans précèdent à l’encontre des Tatars de Crimée et des Ukrainiens sur la péninsule ne pouvait être ignorée par le Conseil de l’Europe.
39. Nous devons insister sur l’annulation de l’interdiction du Mejlis. Nous devons également nous joindre à l’appel des Délégués des Ministres du Conseil de l’Europe visant à assurer un accès libre et sans restriction à la péninsule de Crimée, à tous les organes du Conseil de l’Europe intervenant dans le domaine des droits de l’homme, de manière à ce qu’ils puissent mener leurs activités de suivi sans entraves et conformément à leur mandat et réagir en urgence aux détériorations des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dans son rapport présenté au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe sur sa visite consacrée aux droits de l’homme en Crimée 
			(18) 
			Voir note de bas de
page 17 ci-dessus., l’Ambassadeur Stoudmann est parvenu aux mêmes conclusions et a souligné par ailleurs qu’il n’est «ni normal ni acceptable qu’une population de 2,5 millions de personnes soit soustraite aux mécanismes de garantie des droits de l’homme établis pour protéger tous les Européens».
40. Dernier point, et non des moindres, je maintiens ma position que tant qu’il n’est pas mis un terme à l’annexion de la Crimée, il ne saurait être question d’un retour à la normale de nos relations avec la Fédération de Russie.

4.2. Les défis en matière de sécurité et les perspectives de paix et de stabilité dans l'est de l'Ukraine

41. Plus de 9 000 personnes ont été tuées et plus de 21 500 blessées dans la zone de conflit de l’est de l’Ukraine, entre mi-avril 2014 et mi-mai 2016, y compris des civils, des membres des forces armées ukrainiennes et des séparatistes armés. Ces chiffres correspondent à une «estimation prudente» réalisée sur la base des données disponibles par l’OHCHR dans son dernier rapport sur la situation des droits de l’homme en Ukraine 
			(19) 
			Voir note de bas de
page 8 ci-dessus..
42. Le rapport confirme également que la situation dans l’est de l’Ukraine reste instable et résume les options envisageables: la transformation en un «conflit gelé», créant une situation prolongée d’insécurité et d’instabilité; une escalade de la violence, avec des conséquences désastreuses pour les civils vivant dans la zone touchée par le conflit; une évolution vers une paix durable grâce à la mise en œuvre effective de l’ensemble de mesures en vue de l'application des Accords de Minsk 
			(20) 
			Ibid..

4.2.1. Le processus de Minsk

43. Rappelons brièvement que «l’ensemble de mesures en vue de l'application des Accords de Minsk», convenu à Minsk le 12 février 2015 (ci-après «l’ensemble de mesures») constitue une feuille de route traitant à la fois de la situation sécuritaire sur le terrain (cessez-le-feu, retrait des armes lourdes, contrôle de ce processus par l’OSCE et, à terme, rétablissement du contrôle de l’Ukraine sur sa frontière avec la Russie) et du processus politique nécessaire à la résolution du conflit (amnistie, échange de prisonniers sur la base du principe «tous contre tous», réforme constitutionnelle relative à la décentralisation, «statut spécial» pour le Donbass et des élections locales à organiser dans cette région «selon la loi ukrainienne») dans le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine 
			(21) 
			Voir
pour plus de détails <a href='http://www.assembly.coe.int/CommitteeDocs/2015/Fpdoc02rev_15.pdf'>document
AS/Pol (2015) 2 rev et son annexe 1</a>. Voir également le <a href='http://www.senat.fr/rap/l15-659/l15-6591.pdf'>rapport
du Sénat français, du 1er juin 2016 relatif au régime de sanctions
de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie</a>.. L’ensemble de mesures fait référence au Protocole de Minsk du 5 septembre 2014 et à son Mémorandum d’application du 19 septembre 2014 et englobe la plupart des points déjà inclus dans ces documents mais contient certaines explications supplémentaires des aspects et processus politiques. Ainsi, la mise en œuvre d’un cessez-le-feu reste la principale condition préalable à l’application de plusieurs autres mesures.
44. L’ensemble de mesures a été signé par les mêmes personnes que le Protocole et le Mémorandum de Minsk de septembre 2014, c’est-à-dire par les membres du Groupe de contact trilatéral établi par le format «Normandie» (l’ambassadrice Heidi Tagliavini, à l’époque représentante spéciale du Président en exercice de l’OSCE en Ukraine, M. Koutchma, deuxième Président de l’Ukraine, M. Zourabov, ambassadeur de la Fédération de Russie en Ukraine, et MM. Zakhartchenko et Plotnitski, représentants de certaines zones des régions de Donetsk et Lougansk). Il s’y ajoute néanmoins de manière significative une déclaration des quatre dirigeants du format «Normandie» (France, Allemagne, Russie et Ukraine) «approuvant» ces mesures et réaffirmant leur «attachement au plein respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine». Ils sont également convenus de créer un mécanisme de suivi conforme au format «Normandie» (réunions régulières aux niveaux administratif, ministériel et des chefs d’Etat et de gouvernement). De plus, le Conseil de sécurité des Nations Unies, dans sa Résolution 2202 adoptée le 17 février 2015, a appelé à la mise en œuvre de cet ensemble de mesures après avoir réaffirmé à l’unanimité «son attachement au plein respect de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine» et s’être dit «fermement convaincu que le règlement de la situation dans les régions de l’est de l’Ukraine n’est possible que par des moyens pacifiques».
45. Quatre groupes de travail thématiques, réunis sous l’égide de l’OSCE, facilitent la mise en œuvre des mesures convenues. Le délai initialement fixé au 31 décembre 2015 pour leur mise en œuvre a été prolongé lors du sommet en format «Normandie» le 2 octobre 2015, au vu de l’insuffisance des progrès.
46. J’aimerais rappeler que l’appui politique exprimé par les quatre dirigeants à l’ensemble de mesures convenu en février 2015 a été qualifié à l’époque de «chance historique» ou encore de «dernière chance» pour la paix. Et ce, malgré toutes les critiques formulées à l’égard des mesures au moment de leur adoption, y compris l’absence d’un ensemble de procédures clairement définies pour en contrôler l’application ou le fait hautement contesté que le contrôle de la frontière ne revienne à l’Ukraine qu’après satisfaction de plusieurs conditions, comme la tenue d’élections locales et un règlement politique d’ensemble, y compris une réforme constitutionnelle afin d’instaurer la décentralisation. Il est clair aussi que les mesures ont été convenues en des temps extrêmement difficiles pour l’Ukraine, son armée étant au bord de l’effondrement face aux troupes russes, et la marge de négociation du Président Porochenko extrêmement limitée. A l’exception notable de Debaltseve 
			(22) 
			A
Debaltseve, les tirs des séparatistes prorusses se sont poursuivis,
voire intensifiés, après la date butoir pour l’entrée en vigueur
du cessez-le-feu (15 février, 00h00, heure locale). Le 16 février
2015, les observateurs de l’OSCE se voyaient interdire l’accès à
cette zone. Les affrontements militaires ont continué de faire rage
dans les jours qui ont suivi et les membres de l’OSCE se sont vus
refuser l’accès à plusieurs occasions. Cette situation a débouché
sur l’annonce, le 18 février 2015, par le Président Porochenko d’un
«retrait planifié et organisé» des troupes ukrainiennes de la ville
de Debaltseve. Il a, par la suite, proposé le déploiement, par les
Nations Unies, d’une opération de maintien de la paix en Ukraine
en tant que moyen susceptible de contribuer à terme à la mise en
œuvre des accords de paix. Quasiment au même moment, le ministre
des Affaires étrangères me faisait part de cette même idée. La communauté
internationale, dont l’ancienne Présidente de l’Assemblée Mme Anne
Brasseur avec qui j’étais en contact, a condamné la violation de l’accord
de cessez-le-feu par les séparatistes prorusses. Le Secrétaire général
de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a déclaré que l’offensive des rebelles
a mis en péril les accords de paix plus larges et a sommé la Russie
d’user de toute son influence pour amener les séparatistes à respecter
le cessez-le-feu. Cependant, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei
Lavrov, a affirmé que ces actes ne constituaient pas une violation
du cessez-le-feu dans la mesure où la «ville était aux mains des
rebelles» au moment de la signature des accords de paix. Ce point
n’a toutefois pas été convenu à Minsk. L’ensemble de mesures ne
prévoit aucune exception, que ce soit pour Debaltseve ou une quelconque
autre ville. Un cessez-le-feu est un cessez-le-feu; des engagements
sont des engagements et ils ne sont pas modifiables. Il a été décidé à
Minsk que tous les tirs devaient cesser à compter du 15 février,
00h00 heure locale., les mesures ont eu le mérite d’avoir permis un déclin général de la violence dans tout le pays et d’avoir initié un processus politique; ceci ne doit pas être oublié par ceux qui critiquent les mesures.
47. Ce n’est pas le manque de clarté des dispositions qui retarde et entrave la mise en œuvre des aspects politiques des Accords de Minsk, y compris de l’ensemble de mesures, mais la non mise en œuvre de son volet «sécurité», en commençant par le cessez-le-feu, condition préalable essentielle à l’enclenchement des autres mesures. Celles annoncées dans les Accords de Minsk sont des étapes à franchir les unes après les autres, il ne peut y avoir de progrès tangible concernant le reste des engagements souscrits, y compris en matière de dialogue politique, tant que les tirs se poursuivent.

4.2.2. La situation sécuritaire sur le terrain

48. La situation est marquée par une escalade de la violence depuis cet hiver et une détérioration significative de la sécurité le long de la ligne de contact dans le Donbass. A cet égard, le cessez-le-feu, entré en vigueur le 1er septembre 2015 en suscitant l’espoir qu’il s’agissait d’une étape décisive dans la bonne direction, a été à l’origine d’une grande déception car il n’a duré que quelques semaines.
49. C’est dans ce contexte de dégradation du climat sécuritaire que nous nous sommes rendues dans le pays avec ma collègue, Mme Beck, du 4 au 7 avril 2016, et notamment à Dnipropetrovsk et Marioupol. Nous avons été informées qu’à plusieurs occasions, l’intensité des combats entre les forces ukrainiennes et les rebelles prorusses a atteint des niveaux non égalés depuis août 2014. Au cours de la semaine qui a précédé notre visite, du 28 mars au 3 avril 2016, la mission spéciale d’observation de l’OSCE a enregistré le plus grand nombre de tirs de mortier et d’artillerie de ses deux années de déploiement. Elle a par ailleurs noté l’utilisation de systèmes de lance-roquettes multiples à de nombreuses occasions.
50. La mission spéciale d’observation de l’OSCE n’établit pas qui, des deux parties, est responsable des violations du cessez-le-feu, mais nos interlocuteurs ukrainiens, et notamment M. Groïsman, ont souligné que la dégradation de la situation sécuritaire était le fruit de provocations de plus en plus fréquentes et d’une escalade de la violence de la part des rebelles et de la Russie. M. Groïsman a évoqué près de 140 bombardements sporadiques quotidiens au début du mois de mars.
51. Nos interlocuteurs internationaux nous ont affirmé que les combats étaient généralement menés en guise de représailles à partir de positions statiques, et ne visaient pas des objectifs tactiques ou stratégiques manifestes. Cependant, dans certaines zones, les deux parties ont essayé de rapprocher leurs positions de la ligne de contact, une tentative de franchissement de cette ligne ayant même été relevée. A certains endroits, les mouvements ont conduit à un rapprochement des positions à moins de cent mètres les unes des autres, dans la zone tampon. L’officier ukrainien que nous avons rencontré au point de contrôle 1 à Marioupol nous a précisé qu’à une occasion durant la nuit, les rebelles se sont aventurés à 30 mètres des troupes ukrainiennes.
52. Le regain de violence s’est également traduit par une hausse du nombre de victimes civiles liées aux violations du cessez-le-feu. Ainsi, entre le 16 février et le 15 mai 2016, cinq civils ont été tués par des tirs d’artillerie (trois femmes et deux hommes) et 41 ont été blessés (14 femmes, 19 hommes et cinq adultes de sexe inconnu; deux garçons et un enfant de sexe inconnu) 
			(23) 
			Voir note de bas de
page 8 ci-dessus..
53. De même, les parties ont, ces derniers mois, peu respecté leurs engagements s’agissant du retrait des armes lourdes convenu dans l’ensemble de mesures de février 2015, ou de celui convenu dans son additif du 29 septembre 2015. Les premières réalisations, dont j’ai rendu compte lors de notre réunion d’octobre 2015, ont été et sont actuellement remises en cause. Ainsi, la mission spéciale d’observation de l’OSCE mentionne un nombre croissant d’armes disparues des sites de stockage permanent et des entrepôts connus et l’état d’abandon de beaucoup de ces installations. Ces armes se retrouvent de plus en plus en service sur la ligne de contact.
54. Les autorités ukrainiennes ainsi que l’officier que nous avons rencontré au point de contrôle 1 près de Marioupol au cours de notre visite d’avril 2016 nous ont indiqué que les rebelles avaient profité du début du retrait des armes par les Ukrainiens pour multiplier les violations du cessez-le-feu et avancer leurs positions.
55. La mission spéciale d’observation de l’OSCE fait par ailleurs état d’une corrélation directe entre les violences armées, les violations des engagements de retrait des armes et les restrictions de plus en plus fréquentes imposées ces derniers mois à sa liberté de mouvement. Selon elle, ces restrictions sont beaucoup plus nombreuses dans les zones non contrôlées par le gouvernement que dans celles sous contrôle gouvernemental et empêchent la mission de vérifier le respect du retrait des armes.
56. La présence d’armes fréquemment constatée dans la zone de sécurité, mais aussi de temps à autre dans les zones habitées, est encore plus inquiétante, en raison du risque encouru par la population civile. Si les parties placent un nombre symbolique d’armes dans des sites de stockage vérifiables par la mission de l’OSCE, dans les faits, des chars et des armes lourdes continuent d’être déployés sur la ligne de front.
57. A la fin du mois de mai 2016, deux incidents se sont produits mettant en danger les membres de la mission spéciale d’observation de l’OSCE. Lors de la réunion du Groupe de contact trilatéral, le 1er juin 2016, le Représentant spécial en Ukraine du Président en exercice de l’OSCE, l’ambassadeur Martin Sajdik, a exprimé ses préoccupations devant les violations du cessez-le-feu qui ont fait plusieurs victimes militaires et civiles et les violations délibérées qui ont pris pour cible du personnel non armé et des biens de la mission spéciale d’observation de l’OSCE.
58. Au vu de l’escalade de la violence, des discussions sont en cours au sein de l’OSCE en vue de déployer une mission armée ou une mission de police dans la zone de conflit, comme proposé par la partie ukrainienne. Cependant, pour ce faire, tous les Etats membres de l’OSCE, y compris la Russie, doivent parvenir à un consensus, ce qui n’est pas le cas pour l’heure. Pour leur part, les séparatistes ont déjà exprimé leur ferme opposition à toute mission de police de l’OSCE.
59. Dans ce contexte sécuritaire dégradé, nous n’avons pas été surpris de l’impossibilité, pour la mission spéciale d’observation de l’OSCE, de garantir la sécurité de notre délégation et donc de nous aider à franchir la ligne de contact et à nous rendre dans les zones tenues par les rebelles.

4.2.3. Le processus politique

60. Face à l’escalade de la violence et tant que le cessez-le-feu, première condition préalable à toute autre mesure, n’est pas respecté, les progrès concernant les autres exigences/engagements souscrits à Minsk, y compris en matière de dialogue politique, sont restés limités.
61. Ces considérations m’amènent aux questions extrêmement controversées de la réforme constitutionnelle sur la décentralisation à mener en Ukraine et des élections locales à organiser dans le Donbass conformément à la législation ukrainienne.
62. Selon l’ensemble de mesures en vue de l’application des Accords de Minsk, l’Ukraine doit mettre en œuvre une réforme constitutionnelle dont un «élément essentiel» sera la décentralisation (faisant expressément référence aux spécificités de «certaines zones des régions de Donetsk et de Lougansk, à définir en accord avec les représentants de ces régions») et adopter une législation permanente relative au «statut spécial» de ces zones conformément aux mesures énoncées dans une note de bas de page. L’ensemble de mesures prévoit aussi le rétablissement du contrôle sur la frontière d’Etat de l’Ukraine dans la zone du conflit par le Gouvernement ukrainien, dès le premier jour suivant les élections locales dans la zone du conflit qui seront organisées conformément à la législation ukrainienne.
63. A de multiples occasions, j’ai appelé au respect, par l’Ukraine, de son engagement de mettre en œuvre la réforme constitutionnelle sur la décentralisation, car je suis convaincue qu’elle est importante pour la modernisation et le développement du pays et bénéfique aux citoyens ukrainiens, et pas seulement une exigence fixée par les Accords de Minsk.
64. La Commission de Venise a clairement fait savoir dès le début que la décentralisation n’avait pas besoin d’être réglementée en détail dans les amendements constitutionnels à adopter. Il suffit de lever les obstacles constitutionnels à la décentralisation et d’envoyer un signal politique témoignant clairement de la volonté d’agir en ce sens. Il serait par exemple possible d’évoquer dans la Constitution les «dispositions spéciales» pour certaines zones, à préciser ultérieurement dans la loi, comme c’est le cas notamment en République de Moldova pour le statut de la Gagaouzie.
65. Lors de ma première visite en Ukraine, en février 2015, j’ai cependant eu l’impression que la plupart de mes interlocuteurs ukrainiens ne tenaient pas à privilégier une telle approche basée sur des «dispositions spéciales» pour certaines zones et qu’ils étaient plutôt favorables à une décentralisation étendue et approfondie pour l’ensemble des régions ukrainiennes. J’ai pu comprendre qu’une telle approche facilite l’acceptation de nouvelles dispositions par la population dans l’ensemble du pays.
66. A partir du moment où un modèle de décentralisation satisfaisant aux exigences de l’ensemble de mesures de Minsk peut être mis en place dans l’ensemble du pays et garanti par la Constitution, je ne vois pas quelle objection pourrait être soulevée. A titre d’exemple, si l’ensemble de mesures de Minsk prévoit le droit à «l’autodétermination linguistique» dans certaines zones des régions de Donetsk et Lougansk, je ne vois pas pourquoi ce droit ne pourrait pas être accordé à d’autres régions de la partie occidentale de l’Ukraine pour des langues telles que le hongrois ou le polonais. J’ai aussi compris que trois domaines seront exclus de la décentralisation: la sécurité, la défense et les affaires étrangères. A cet égard, nous avons été informés de diverses solutions pour assurer le respect de l’ensemble de mesures de Minsk, y compris de sa note de bas de page. A titre d’exemple, le chef de la police locale d’une région pourrait être proposé par le conseil local mais serait officiellement nommé par le ministre de l’Intérieur (sous réserve du respect de certaines conditions, par exemple qu’il n’ait pas été impliqué dans des crimes contre l’humanité).
67. Enfin, après les consultations également tenues avec la Commission de Venise, un projet d’amendements constitutionnels sur la décentralisation, élaboré par la commission constitutionnelle menée par le président du parlement d’alors, M. Groïsman, a inclus dans les dispositions constitutionnelles transitoires un article 18 selon lequel: «Les dispositions particulières de l’autonomie locale dans certaines parties des régions de Donetsk et de Lougansk font l’objet d’une loi distincte».
68. Les amendements ont été votés en première lecture le 31 août 2015 à la majorité simple, avec le soutien de députés du bloc Porochenko, du Front populaire et du bloc d’opposition. Le parti radical, qui avait quitté antérieurement la coalition, ainsi que deux des quatre formations qui faisaient encore à l’époque partie de la coalition, Batkivshchyna et Samopomitch, s’y sont opposés.
69. Pour ma deuxième visite, je suis arrivée en Ukraine une semaine à peine après le vote en première lecture des amendements sur la décentralisation. Les principales critiques que j’ai entendues de la bouche des opposants à ces amendements reposaient sur des motifs de procédure et de fond: je les ai entendus, d’une part, se plaindre de l’absence de communication et de consultation et, d’autre part, formuler des objections sur le contenu de la décentralisation et sur le lien avec les Accords de Minsk. En particulier, l’article 18 des dispositions transitoires a été sévèrement critiqué par les dirigeants des partis politiques susmentionnés comme étant la porte ouverte à «la cession» du Donbass aux rebelles.
70. Il n’entre pas dans le cadre de mon mandat (mais plutôt dans celui des corapporteurs de la commission de suivi) de commenter le fond de la réforme de la décentralisation, qui a fait l’objet d’une évaluation positive de la part de la communauté internationale, y compris du Conseil de l’Europe. Je ne suis pas en mesure non plus de juger du bon déroulement du processus de consultation et en particulier des éventuels malentendus quant aux positions des uns et des autres.
71. J’ai cependant fait part de mon désaccord avec ceux qui estimaient que l’article 18 proposé dans le cadre des dispositions transitoires revenait à céder le pouvoir aux rebelles. Cette disposition vise uniquement à garantir le respect des Accords de Minsk en créant la possibilité d’octroyer dans le futur à certaines zones actuellement aux mains des rebelles des compétences élargies, lorsque les conditions requises seront remplies.
72. Indépendamment des arguments avancés, l’opposition politique aux amendements sur la décentralisation, et notamment à cette disposition transitoire, a été extrêmement virulente et il est clairement apparu qu’ils ne pourraient pas passer en seconde lecture, qui nécessite une majorité des deux tiers. Le deuxième tour a ainsi été reporté. Selon une interprétation des dispositions constitutionnelles pertinentes, le parlement actuel pourrait procéder au vote à tout moment, dès l’atteinte de la majorité constitutionnelle.
73. Au cours de ma dernière visite en Ukraine en avril 2016, je me suis entretenue de cette question avec l’ensemble des factions parlementaires, le président du parlement et le vice-ministre des Affaires étrangères. Il est clairement ressorti de ces discussions que tant que l’escalade de la violence se poursuivra dans le Donbass, il sera politiquement impossible pour le gouvernement et le président de convaincre les deux tiers des membres du Parlement ukrainien de voter sur la possibilité de prévoir des «dispositions spécifiques» dans la région, même pour l’avenir.
74. M. Groïsman a souligné que si les Russes mettent un terme à l’escalade de la violence et procèdent au retrait de leurs troupes, ceci renforcerait la confiance dans le processus de paix et permettrait aux députés ukrainiens de parvenir à la majorité des deux tiers requise pour l’adoption des amendements constitutionnels sur la décentralisation. Cela étant, M. Groïsman a mis en avant le renforcement des compétences et du pouvoir financier des régions consécutif à l’entrée en vigueur de la nouvelle législation sur la décentralisation. On nous a fait savoir que même aujourd’hui, si la législation ukrainienne était en vigueur, Donetsk exercerait bien plus de fonctions décentralisées que n’importe quelle ville russe.
75. Récemment, le nouveau président du parlement s’est dit convaincu qu’en cas de retrait de l’article 18 des dispositions transitoires proposées, les autres amendements relatifs à la décentralisation pourraient être acceptés par les deux tiers des députés ukrainiens. Mais pour en arriver là, il faudrait un nouveau cycle d’adoption (un avis de la Cour constitutionnelle et deux lectures), le texte des amendements ne pouvant être modifié avant la première et la deuxième lecture.
76. En conclusion, j’encourage les dirigeants politiques ukrainiens à trouver le plus petit dénominateur commun qui leur permettra d’adopter la réforme constitutionnelle sur la décentralisation afin de favoriser encore davantage le développement démocratique de leur pays, avec le soutien constant et l’avis du Conseil de l’Europe. Dès lors qu’un modèle de décentralisation satisfaisant à l’ensemble de mesures de Minsk peut s’appliquer à toutes les régions et être garanti par la Constitution, il devrait également répondre aux exigences de Minsk. Il est à espérer que l’impulsion donnée par l’adoption des amendements constitutionnels relatifs au système judiciaire contribuera également à faire progresser la réforme constitutionnelle sur la décentralisation.
77. Entretemps, malgré l’absence d’accord sur des amendements constitutionnels relatifs à la décentralisation et la poursuite de l’escalade de la violence sur le terrain, des discussions sur une éventuelle loi sur les élections locales dans le Donbass sont en cours au niveau du groupe de travail en charge des questions politiques du Groupe de contact trilatéral.
78. Pour nos interlocuteurs ukrainiens, outre le plein respect du cessez-le-feu, le retrait des troupes et des armes et le stockage sécurisé de ces dernières, ainsi qu’une présence internationale à la frontière ukrainienne avec la Russie, sont également des conditions minimales, non satisfaites à ce jour, pour organiser des élections locales dans le Donbass. A cet égard, nous avons été informés de la nécessité d’une présence internationale de maintien de la paix et en particulier d’un élargissement du mandat de l’OSCE pour introduire des compétences militaires ou de police, une question qui, comme nous l’avons dit précédemment, est actuellement en discussion.
79. Par ailleurs, comme l’a également souligné le Président Porochenko lors de notre rencontre en novembre 2015, des élections libres et équitables, dans le respect des normes internationales et de la législation ukrainienne (comme prévu dans l’ensemble de mesures de Minsk), sont inconcevables sans la participation de tous les partis ukrainiens au scrutin, et sans le respect du droit des 1,5 millions de personnes déplacées du Donbass de prendre part au vote. Les personnes du Donbass réfugiées en Russie devraient bien évidemment être autorisées à voter et cette situation est prévue dans le projet élaboré par les Ukrainiens. Le Président Porochenko a également insisté sur la possibilité, pour tous les médias ukrainiens, et plus particulièrement les chaînes de télévision, de diffuser leurs émissions dans le Donbass au cours de la campagne, ainsi que sur l’indépendance de la commission électorale centrale.
80. Lors de notre rencontre en novembre 2015, le Président Porochenko m’a remis un exemplaire du projet de loi sur les élections locales au Donbass préparé par la partie ukrainienne, qui constituait une bonne base pour ces discussions. Ce projet a malheureusement été rejeté par les rebelles, qui ont rédigé leur propre projet. Celui-ci est cependant inacceptable car il ne respecte nullement les normes internationales sur des élections libres et équitables. Plus précisément, les rebelles refusent que les partis ukrainiens participent aux élections et sont opposés à la présence de médias ukrainiens dans la campagne. Ils rejettent le droit de vote des PDI et sont en désaccord avec le système électoral, la composition de la commission électorale centrale, etc.
81. Pour sa part, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, à la fin de la réunion des ministres des Affaires étrangères des quatre pays du format «Normandie» organisée le 11 mai 2016, a évoqué la nécessité d’adopter une loi sur les élections en concertation avec Donetsk et Lougansk, de prendre une décision sur le statut particulier du Donbass, sous la forme d'une loi spécifique et d'un amendement à la Constitution, ainsi que d’une amnistie pour les militants comme condition préalable à toute élection locale, ajoutant qu’aucune élection n'est possible avant l'amnistie. Pour lui, le déploiement d’une mission militaire de l’OSCE dans les régions de Donetsk et de Lougansk n’est pas nécessaire pour y tenir des élections locales.
82. Plus récemment, le OHCHR des Nations Unies a exprimé ses vives inquiétudes quant à la capacité à mettre en œuvre des élections libres et équitables dans les régions de Donetsk et de Lougansk comme prévu dans l’ensemble de mesures en vue de l'application des Accords de Minsk, évoquant l’absence de liberté d’expression, de liberté d’association et de liberté de réunion dans les zones aux mains de groupes armés. 
			(24) 
			Voir
note de bas de page 8 ci-dessus.
83. Comme au cours de mes précédentes visites en Ukraine, lorsque je me suis rendue dans le pays en avril 2016, tous mes interlocuteurs étaient unanimes sur le rôle de la Russie dans le conflit dans l’est de l’Ukraine. Ils sont persuadés que la population des régions de l’est, mais aussi les représentants de ces régions, pourraient être convaincus de travailler ensemble à un règlement politique pacifique, dans le respect des principes de Minsk, à condition que la Russie cesse toute ingérence. L’implication de la Russie ne se limite pas à la fourniture d’armes lourdes et de combattants mais est aussi présente dans la chaîne de commandement et la prise de décisions politiques.
84. L’action de la Russie se traduit également par une intense guerre d’information ou de propagande, qui est presque aussi dangereuse que le conflit militaire car elle fait obstacle à toute tentative de réconciliation ou de restauration de la confiance. Les médias ukrainiens ne sont pas présents dans le Donbass et la propagande russe prétend que des néonazis s’en prennent à des populations pacifiques.
85. Plus récemment, et contrairement aux déclarations continuelles de la Russie selon lesquelles elle n’est pas partie au conflit au Donbass, il y a des signes d’une participation russe accrue dans les deux entités séparatistes au Donbass. Moscou fournit de l'argent pour les pensions, les autres paiements sociaux et les salaires des militaires et du gouvernement, et le rouble est devenu la monnaie la plus fréquemment utilisée dans les entités séparatistes 
			(25) 
			Une enquête exhaustive
du magazine BILD, publiée
le 16 janvier 2016 et intitulée «<a href='http://www.bild.de/politik/ausland/ukraine-konflikt/russia-finances-donbass-44151166.bild.html'>How
Russia finances the Ukrainian rebel territories</a>» («Comment la Russie finance les territoires rebelles
ukrainiens»), a révélé que la Russie a pris en charge le versement
des salaires et des prestations sociales à compter d’avril 2015.
Selon cette même enquête, une «commission interministérielle russe
pour la fourniture de l’aide humanitaire aux zones touchées des
régions de Lougansk et Donetsk» a été créée le 14 décembre 2014
et rattachée au ministère du Développement économique de la Fédération de
Russie. Voir également <a href='http://www.bloomberg.com/news/articles/2015-09-15/the-central-bank-with-no-currency-no-interest-rates-but-atms'>The
Central Bank With No Currency, No Interest Rates, But ATMs («</a>La Banque centrale sans devise, sans taux d’intérêts
mais avec des distributeurs automatiques<a href=''>»).</a>  
			(26) 
			Pour de plus amples
informations sur les récents changements politiques dans les entités
séparatistes, leurs relations avec Moscou et la nature de la présence
de la Russie et des contrôles qu’elle exerce, voir <a href='http://www.crisisgroup.org/en/regions/europe/ukraine/b079-russia-and-the-separatists-in-eastern-ukraine.aspx'>Russia
and the Separatists in Eastern Ukraine</a>, («La Russie et les séparatistes dans l’Est de l’Ukraine»),
International Crisis Group Europe et Central Asia Briefing no 79,
Kiev/Bruxelles, 5 février 2016.. En outre, la majorité des conseillers russes (Kurators) a récemment été remplacée par des agents du Service fédéral de sécurité (FSB). Ainsi, les grandes décisions politiques et militaires semblent être prises à Moscou et leur mise en œuvre est supervisée par les autorités russes sur le terrain. Cela pourrait indiquer la volonté de la Russie de consolider sa position dans les entités pour une période de temps considérable 
			(27) 
			Ibid..
86. Les développements récents démontrent ainsi encore plus clairement que les régions de l’est de l’Ukraine ne sont pas touchées par une «guerre civile». Pour bon nombre de mes interlocuteurs en Ukraine, en particulier de la société civile mais aussi certains parlementaires et observateurs internationaux, il s’agit davantage d’une guerre entre la Russie et le monde occidental menée sur le territoire ukrainien. D’après eux, le Kremlin ne veut pas un conflit gelé, mais un conflit «semi-gelé» permettant de déstabiliser l’Ukraine et de mettre en péril son intégrité territoriale et sa souveraineté (voir également ci-dessous le chapitre 5).
87. Alors que le Donbass était l’une des régions les plus prospères d’Ukraine, le risque de prolongation d’un conflit de faible intensité sur une longue période fait obstacle au développement de cette région, mais aussi de l’Ukraine dans son ensemble, tout en pesant de plus en plus lourdement sur le budget de la Russie 
			(28) 
			Voir également le <a href='http://www.senat.fr/rap/l15-659/l15-6591.pdf'>rapport
du Sénat français du 1er juin 2016 relatif au régime de sanctions
de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie</a>..
88. La communauté internationale continue de soutenir la mise en œuvre des Accords de Minsk, considérés comme le seul moyen d’assurer une résolution pacifique du conflit dans l’est de l’Ukraine et d’inverser la dynamique qui conduirait à un conflit gelé ou semi-gelé.
89. Dans le même temps, la situation sécuritaire ne s’améliorant pas sur le terrain, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre en Ukraine et à l’étranger, soulignant la nécessité d’une nouvelle tentative diplomatique pour promouvoir une solution politique à ce conflit. J’ai ainsi entendu à plusieurs reprises mes interlocuteurs ukrainiens mais aussi des observateurs internationaux 
			(29) 
			Voir également <a href='http://europe.newsweek.com/what-west-should-next-ukraine-453066?rm=eu'>What
the West should do next in Ukraine</a> («Que devrait faire l’Ouest ensuite en Ukraine»), Marieluise Beck
et Ralf Fücks, Newsweek, 27
avril 2016. évoquer la nécessité d’une participation accrue des Etats-Unis et du Royaume-Uni, en leur capacité de garants, avec la Russie, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine en vertu du mémorandum de Budapest de 1994 sur les garanties de sécurité.
90. Pour ma part, je suis d’avis que notre Assemblée devrait continuer de soutenir le processus de Minsk et appeler à la mise en œuvre des Accords de Minsk, malgré leur faiblesse et les lents progrès enregistrés à ce jour, car ils offrent un cadre concret de négociation sous supervision internationale. Ceci ne doit pas exclure un engagement plus fort des autres acteurs, tels que les Etats-Unis et le Royaume-Uni, qui sont également des Etats participant à l’OSCE.

4.3. L’affaire Savchenko

91. La libération le 25 mai 2016 de notre collègue Nadiia Savchenko, 708 jours après son enlèvement en Ukraine, est probablement la meilleure nouvelle depuis bien longtemps dans ce dossier. Nous sommes tous très heureux que Mme Savchenko puisse enfin rentrer dans son pays et y retrouver sa famille, après les nombreux appels lancés depuis près de deux ans en faveur de sa remise en liberté.
92. Sa libération au lendemain même de l’échange téléphonique qu’ont tenu les dirigeants du format «Normandie» (Ukraine, Russie, France et Allemagne) est officiellement consécutive à la grâce accordée par le Président russe pour des motifs humanitaires, à la demande des familles des victimes dont Mme Savchenko avait été accusée de meurtre au terme d’un procès jugé impartial par la communauté internationale, y compris l’Union européenne et les Etats-Unis. Au moment même où Mme Savchenko embarquait dans l’avion la ramenant de Russie en Ukraine, deux militaires russes, capturés sur le sol ukrainien et jugés coupables d’infractions liées au terrorisme avant d’être graciés par le Président Porochenko, montaient à bord d’un avion de retour vers la Russie.
93. A son retour en Ukraine, Mme Savchenko a exprimé son soutien aux Accords de Minsk et s’est dite déterminée à tout mettre en œuvre pour parvenir à leur application. Saluant son retour, le Président Porochenko a déclaré que sa libération aurait été impossible sans les Accords de Minsk et a remercié Mme Savchenko pour son appui inconditionnel clairement affiché, ajoutant qu’elle faisait preuve de «détermination civique». Pour sa part, le Président russe Poutine a affirmé que la grâce et la libération de Mme Savchenko n’avaient rien à voir avec les Accords de Minsk et qu’elle avait été accordée pour des motifs humanitaires.
94. La remise en liberté de Mme Savchenko a été saluée par l’ensemble de la communauté internationale, dont le Président de notre Assemblée et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe. Au-delà d’un geste humanitaire important, c’est également selon nous l’occasion d’instaurer la confiance entre les parties au conflit et de donner au processus de Minsk l’élan positif dont il a cruellement besoin.
95. Depuis son arrivée en Ukraine, Mme Savchenko s’est rapidement immergée dans la vie politique ukrainienne. Elue à la Verkhovna Rada en 2014 alors qu’elle était en détention, elle a officiellement prêté serment en tant que membre du parlement le 31 mai 2016 et confirmé qu’elle prendrait ses fonctions au sein de notre Assemblée.
96. Pendant les deux dernières années, j’ai constamment soulevé le cas de Nadiia Savchenko et appelé à sa remise en liberté en mes différentes capacités: en tant que rapporteure de l’Assemblée, pendant toutes mes visites en Ukraine, lors de toutes les réunions de la commission des questions politiques et toutes les déclarations et autres documents d’information que j’ai produits; en tant que membre du groupe ADLE, au sein duquel j’ai initié une campagne en faveur de la libération de Nadiia Savchenko; et enfin en tant que membre du Parlement tchèque, où j’ai organisé plusieurs évènements en faveur de sa libération.
97. Au sein de l’Assemblée, son affaire a été suivie de près au plus haut niveau, celui de la présidence de l’Assemblée. Plus récemment, l’Assemblée a pris position sur cette affaire dans le cadre du débat sur les «Préoccupations humanitaires concernant les personnes capturées pendant la guerre en Ukraine», qui a eu lieu le 21 avril 2016. L’addendum au rapport principal résume les événements ayant conduit au procès et à la condamnation de Nadiia Savchenko ainsi que les réactions de la communauté internationale au verdict du tribunal, y compris les différents appels par notre Assemblée, son Président et les rapporteurs compétents en faveur de sa libération tant avant qu’après sa condamnation. Afin d’éviter des répétitions superflues je me réfère à ce document (Doc. 14015 Add) ainsi qu’à la Résolution 2112 (2016) adoptée par l’Assemblée et appelant également à la libération d’autres prisonniers ukrainiens.
98. Mme Savchenko et le Président Porochenko ont déclaré que leur principale priorité était désormais d’assurer le retour d’autres prisonniers ukrainiens condamnés illégalement en Russie ou détenus sur les territoires occupés. Je me félicite de la libération, le 14 juin 2016, de deux d’entre eux, M. Yuri Soloshenko et M. Gennady Afanasyev.

5. Les conséquences géopolitiques du conflit en Ukraine 
			(30) 
			Ce
chapitre est basé sur un rapport d’expert rédigé à ma demande par
M. Aldo Ferrari, professeur à l’Université Ca’ Foscari, Venise,
qui travaille également pour l’ISPI (Istituto per gli studi di politica
internazionale), Milan. Voir également du même auteur, Oltre la
Crimea. La Russia contro l’Europa?,
ouvrage électronique ISPI (Istituto, Milan, juillet 2014, <a href='http://www.ispionline.it/sites/default/files/pubblicazioni/oltre_la_crimea.pdf'>www.ispionline.it/sites/default/files/pubblicazioni/oltre_la_crimea.pdf</a> et Beyond Ukraine. EU and Russia in search of a new
relation, ouvrage électronique ISPI, Milan, juin 2015, 
			(30) 
			<a href='http://www.ispionline.it/sites/default/files/pubblicazioni/beyondukraine.euandrussiainsearchofanewrelation.pdf'>www.ispionline.it/sites/default/files/pubblicazioni/beyondukraine.euandrussiainsearchofanewrelation.pdf</a>.

99. Le conflit a pour première conséquence géopolitique l’éloignement, apparemment définitif, de l’Ukraine de la sphère d’influence de Moscou. Si, par le passé, depuis l’effondrement de l’URSS, l’Ukraine hésitait entre deux directions très différentes, l’une généralement qualifiée de «pro-russe», l’autre de «pro-occidentale», il semble qu’à présent le pays ait résolument choisi la seconde. De ce point de vue, l’action de la Russie paraît avoir grandement aidé l’Ukraine non seulement à choisir un camp politique mais aussi à renforcer son identité nationale 
			(31) 
			D. Trenin, The Ukraine
crisis and the resumption of great-power rivalry, juillet 2014, <a href='http://carnegieendowment.org/files/ukraine_great_power_rivalry2014.pdf'>http://carnegieendowment.org/files/ukraine_great_power_rivalry2014.pdf</a>..
100. En annexant la Crimée et en violant l’intégrité territoriale de l’Ukraine, la Russie n’a pas seulement enfreint ses obligations envers l’Ukraine au titre du Mémorandum de Budapest de 1994 sur les garanties de sécurité, elle a en outre mis à mal la crédibilité du système des garanties de sécurité dans son ensemble offert en contrepartie d’engagements de non-prolifération. D’un autre côté, l’exclusion de Moscou du G8, due en partie à ses agissements contraires au Mémorandum de Budapest, a également eu un impact important sur le plan symbolique.
101. Dans un contexte plus large, le conflit en Ukraine a provoqué une très grave crise entre la Russie et l’Occident, une crise beaucoup plus grave et durable que celle engendrée par la guerre russo-géorgienne d’août 2008 alors qu’il était pourtant question d’une nouvelle guerre froide 
			(32) 
			Voir à cet égard A.
Ferrari, Una nuova guerra fredda per il Caucaso? Scenari internazionali
dopo il conflitto in Ossetia, dans Dopo la guerra russo-georgiana.
Il Caucaso in una prospettiva europea, étude de l’ISPI réalisée
avec le soutien du ministère des Affaires étrangères, octobre 2008, <a href='http://www.ispionline.it/it/ricerca.php?id=55'>www.ispionline.it/it/ricerca.php?id=55.</a>.
102. La crise ukrainienne a poussé la Russie à remettre ouvertement et radicalement en question l’ordre international instauré au cours des premières décennies qui avaient suivi l’effondrement de l’Union soviétique. Moscou a ainsi lancé un défi manifeste à l’ordre européen tel qu’établi après la fin de la guerre froide. Si la Russie a toujours cherché, souvent dans la discrétion, à empêcher l’élargissement de l’OTAN à ses voisins, c’est à présent ouvertement qu’elle s’oppose à ce principe. La Russie ne veut pas seulement réaffirmer le concept de sphère d’influence mais aussi lui conférer une nouvelle légitimité comme principe directeur de l’ordre européen et, en tout état de cause, n’est plus prête à accepter l’ordre établi par l’Occident après la guerre froide 
			(33) 
			<a href='http://www.ecfr.eu/profile/C236'>Piotr Buras,
Anthony Dworkin, François Godement, Daniel Levy, Mark Leonard, Kadri
Liik</a>, 10 conseguenze globali della crisi ucraina (10 conséquences
globales de la crise en Ukraine), <a href='http://www.ecfr.eu/rome/post/10_conseguenze_globali_della_crisi_ucraina'>www.ecfr.eu/rome/post/10_conseguenze_globali_della_crisi_ucraina</a>. Voir également les politologues russes, F. Luk’janov,
«Why Moscow is being so decisive over Ukraine» dans Russia beyond
the headline, 21 mars 2014 et D. Trenin, Moscow determined to follow
its own path, 1er avril 2014, <a href='http://carnegie.ru/2014/04/01/moscow-determined-to-follow-its-own-path/h6sy'>http://carnegie.ru/2014/04/01/moscow-determined-to-follow-its-own-path/h6sy</a>.. A cet égard, si l’OTAN décide, en juillet 2016, d’étendre sa présence en Europe orientale, comme l’on peut s’y attendre 
			(34) 
			Voir
également la <a href='http://www.nato-pa.int/default.asp?CAT2=4202&CAT1=20&CAT0=2&COM=4203&MOD=0&SMD=0&SSMD=0&STA=&ID=0&PAR=0&LNG=1'>Déclaration
428 de l’OTAN</a> sur «Un programme d’action uni et résolu pour le sommet
de l’OTAN à Varsovie», 30 mai 2016., cela sera très probablement interprété par Moscou comme une provocation.
103. Si les relations entre Moscou et Washington étaient déjà largement entachées d’incompréhension et de méfiance, ces dernières sont aujourd’hui encore plus marquées qu’avant. La Russie a le sentiment que ses propres intérêts sécuritaires vitaux ont été lésés suite au bouleversement politique de février 2014 en Ukraine, tandis que les Etats-Unis se refusent absolument à admettre que ce pays et les autres Etats postsoviétiques puissent appartenir à la sphère d’influence privilégiée de la Russie.
104. Le conflit en Ukraine, cependant, a porté atteinte non seulement aux relations de la Russie avec les Etats-Unis, mais aussi à ses rapports avec l’Union européenne qui, par le passé, étaient plus positifs au niveau politique et caractérisés par une forte interdépendance économique, notamment au plan énergétique. Le conflit en Ukraine n’a pas eu que des conséquences directes comme des sanctions économiques importantes, des interdictions de visas et des gels d’avoirs imposés par l’Union européenne à l’encontre de la Russie et de citoyens russes, suivies de contre-sanctions russes; il a également, en termes plus politiques, considérablement entraîné l’effritement de la position traditionnellement favorable à Moscou qui était celle des pays les plus importants de la «vieille Europe». Cette situation a naturellement permis aux Républiques de l’ancienne Europe centrale et orientale, et notamment aux pays baltes, de faire valoir leur propre attitude qui traduit, et c’est compréhensible, une plus grande défiance à l’égard de la Russie; ces Etats sont, en outre, les principaux promoteurs de la politique de Partenariat oriental que Moscou a toujours combattue tout comme l’extension de l’OTAN à l’Est.
105. Le conflit en Ukraine a manifestement eu d’importantes répercussions économiques. En premier lieu pour l’Ukraine elle-même qui est la principale victime du conflit et qui a perdu le Donbass, sa région la plus industrialisée, d’où provenait un quart des exportations du pays; mais aussi pour la Russie et différents pays européens, frappés à des degrés divers mais non négligeables par les sanctions appliquées contre la Russie et par les contre-sanctions russes qui ont suivi 
			(35) 
			P. Havlik,
Economic Consequences of the Ukraine Conflict, Institut d’études
économiques internationales de Vienne, <a href='http://wiiw.ac.at/economic-consequences-of-the-ukraine-conflict-dlp-3427.pdf'>http://wiiw.ac.at/economic-consequences-of-the-ukraine-conflict-dlp-3427.pdf</a>.. Les sanctions et contre-sanctions ont, par-delà leur efficacité économique, porté un dur coup aux relations entre la Russie et l’Europe.
106. Il faut signaler, en outre, que le conflit en Ukraine a considérablement renforcé les sentiments antirusses dans divers pays européens, même dans certains pays où ils étaient quasiment inexistants. Dans le même temps, la forte opposition géopolitique et idéologique à l’Occident a fortement ranimé en Russie les sentiments patriotiques et nationalistes et renforcé la popularité du Président russe.
107. L’agression de la Russie contre l’Ukraine constitue un changement de la politique extérieure russe 
			(36) 
			Voir également <a href='http://www.ecfr.eu/page/-/ECFR-176_-_RUSSIA_2030_-_A_STORY_OF_GREAT_POWER_DREAMS_AND_SMALL_VICTORIOUS_WARS_(WEB).pdf'>Russia
2030: A story of great power dreams and small victorious wars</a>. qui a une autre conséquence importante, à savoir la revitalisation de l’OTAN qui fait figure d’alliance contre Moscou principalement, comme c’était le cas à l’époque de la guerre froide. Jusqu’à une date récente, en effet, le Kremlin défendait avec force le respect de la souveraineté nationale, la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre Etat, l’inviolabilité des frontières et l’illégalité du recours unilatéral à la force. Avec l’annexion de la Crimée et son implication dans le conflit au Donbass, la Russie conteste à présent ouvertement la légitimité des frontières postsoviétiques et revendique le droit de recourir à la force pour défendre la population de souche russe.
108. Cette voie d’un affrontement ouvert avec les Etats-Unis et l’OTAN apparaît extrêmement risquée, notamment pour la Russie. Comme l’a observé le directeur du Centre Carnegie de Moscou, Dmitri Trenine, la Russie, sur cette voie, rencontrera de redoutables opposants et très peu d’alliés. Pour ce qui est des amis, elle n’en aura que deux sur lesquels elle pourra compter, à savoir son armée et sa marine. L’issue de cette compétition très inégale déterminera l’avenir de la Russie au XXIe siècle 
			(37) 
			D. Trenin, Where next
after Crimea?, 19 mars 2014, <a href='http://america.aljazeera.com/articles/2014/3/19/russia-where-nextaftercrimea.html'>http://america.aljazeera.com/articles/2014/3/19/russia-where-nextaftercrimea.html</a>.. En outre, pour tenir une position globalement aussi astreignante, une Russie «forte mais isolée» devrait pouvoir se fonder sur une économie beaucoup plus développée et dynamique que celle qui la caractérise actuellement.
109. Le conflit ukrainien, marqué par l’annexion de la Crimée et une orientation nationaliste et revancharde déclarée, a une autre conséquence dangereuse pour la Russie dans la mesure où il l’oppose non seulement à l’Occident mais aussi à plusieurs pays postsoviétiques et même à ceux que les perspectives de coopération économique et politique intéressent le plus. La crise ukrainienne a, en effet, mis très nettement un frein au projet d’union eurasiatique dans lequel le Président russe s’était beaucoup investi dès sa campagne électorale visant à obtenir un troisième mandat présidentiel.
110. L’annexion de la Crimée a suscité de fortes inquiétudes au Bélarus mais surtout au Kazakhstan (où les Russes constituent une minorité importante, concentrée dans le nord du pays), c’est-à-dire dans les Etats qui étaient, avec l’Arménie, les partenaires les plus proches de Moscou et les premiers à faire partie de l’Union douanière eurasiatique. Les résistances déjà notables que ces deux pays opposaient à la transformation politique du projet économique eurasiatique se sont, en effet, considérablement renforcées ces derniers temps. De ce point de vue, l’entrée successive dans l’Union économique eurasiatique de pays comme l’Arménie et le Kirghizstan ne change guère la donne. Ce n’est pas seulement la perte de l’Ukraine, qui était une composante essentielle de ce projet sous l’angle tant politique qu’économique, mais aussi le comportement même de Moscou dans cette crise qui ont vidé de sa substance la perspective d’une nouvelle intégration au sein de l’espace eurasiatique.
111. Une conséquence potentiellement plus importante du conflit ukrainien, même si sa gravité n’a pas été suffisamment prise en considération, c’est d’avoir amené la Russie à se tourner vers l’Est. La perception d’une fermeture de l’Occident après le conflit ukrainien a accéléré une tendance qui était toutefois déjà présente dans la vision stratégique de Moscou en vue, tout d’abord, de valoriser, mieux que par le passé, les immenses régions sibériennes et, en même temps, de tirer parti de la situation de la Russie qui constitue un pont entre l’Europe et un Extrême-Orient à forte croissance politique et économique. La décision de se tourner vers l’Est se traduit essentiellement par le renforcement de la coopération économique, en premier lieu énergétique, entre la Russie et la Chine. Ce n’est pas un hasard si la visite la plus importante du Président Poutine après le déclenchement de la crise ukrainienne s’est effectuée à Shanghai où a été conclu, dès le 20 mai 2014, un contrat trentenaire et fondamental de fourniture de gaz sibérien à Pékin.
112. Par ailleurs, un éventuel rapprochement politique et économique ultérieur avec la Chine, induit par la dégradation des relations avec l’Occident, serait, de la part de la Russie, une démarche peut être profitable à court terme mais assurément non dépourvue de risques, et même graves à plus long terme. Moscou est pleinement conscient de ces risques; cependant, un rapprochement stratégique avec la Chine ne peut être exclu si le fossé qui s’est creusé entre la Russie et l’Occident n’est pas rapidement comblé.
113. Au-delà de la perspective d’une collaboration renforcée avec la Chine, le conflit en Ukraine semble avoir nettement consolidé l’orientation asiatique de la politique extérieure russe, au détriment de l’axe occidental.
114. Le conflit en Ukraine a une autre conséquence plus récente qu’illustrent les clivages ainsi créés au sein de l’Union européenne et qui menacent sa cohésion. Plus spécifiquement, on observe des divergences croissantes entre les Etats membres de l’Union européenne quant à la nécessité de prolonger les sanctions à l’égard de la Russie et des citoyens russes liées au conflit (annexion de la Crimée, action russe dans le Donbass ou non mise en œuvre des Accords de Minsk), ou d’opter pour leur levée ou allègement progressif en fonction des progrès réalisés dans l’application des Accords de Minsk. Le Sénat français a ainsi adopté le 8 juin 2016 une résolution non contraignante appelant, entre autres, à la levée immédiate des sanctions à l’égard des parlementaires russes afin de rétablir le dialogue interparlementaire pour débloquer la situation politique 
			(38) 
			<a href='http://www.senat.fr/leg/tas15-154.pdf'>www.senat.fr/leg/tas15-154.pdf</a>.. En Allemagne, il semble y avoir des divergences de vues entre les membres du gouvernement d’un côté et la chancelière de l’autre. Plusieurs Etats membres de l’Union européenne ont exprimé des doutes quant au maintien des sanctions contre la Russie ou adopté des mesures qui témoignent de leurs interrogations, à l’instar de l’Italie, de la Hongrie, de la Grèce et de la République tchèque, qui avancent des arguments économiques ou jugent stérile la prolongation des sanctions. D’un autre côté, le Royaume-Uni, la Pologne et les Etats baltes demeurent les pays au sein de l’Union européenne les plus favorables au maintien des sanctions à l’égard de la Russie 
			(39) 
			Pour
sa part, la chef de la politique étrangère de l’Union européenne,
Mme Federica Mogherini, évoquant les divergences
de vues entre les Etats de l’Union européenne, a récemment déclaré
s’attendre à une prolongation des sanctions dans le domaine financier,
énergétique et de la défense. Notant que c’est au cours du second
semestre 2016 que les Etats membres de l’Union européenne auront
à évaluer le degré de mise en œuvre des Accords de Minsk et les possibilités
de résolution du conflit en Ukraine, Mme Mogherini
a jugé probable l’émergence plus tard dans l’année d’un changement
de politique de l’Union européenne à l’égard de la Russie..

6. Les conséquences du conflit en Ukraine pour l’Assemblée

115. Le conflit en Ukraine a aussi eu des conséquences directes et indirectes sur les relations entre notre Assemblée parlementaire et le Parlement russe, ainsi que sur les travaux de l’Assemblée.
116. Etant donné que la Russie et l’Ukraine sont l’une et l’autre des Etats membres du Conseil de l'Europe, l’un des problèmes majeurs pour l’Assemblée parlementaire était de savoir comment défendre les principes fondamentaux du droit international et du Statut du Conseil de l'Europe tout en maintenant un dialogue constructif avec la Russie.
117. A la suite de l’escalade de la violence en Ukraine et de l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie en mars 2014, l’Assemblée, lors de sa partie de session d’avril 2014, a exprimé sa profonde inquiétude face aux agissements de la Fédération de Russie qui ont conduit à l’annexion de la Crimée, dont le vote unanime du Conseil de la Fédération autorisant le recours à la force militaire en Ukraine, l’approbation des amendements constitutionnels permettant l’annexion de la Crimée et la ratification du traité d’adhésion illégal.
118. Toutefois, tout en condamnant les actions de la Russie en Ukraine, l’Assemblée a estimé que le dialogue politique devait rester le moyen privilégié de trouver un compromis. C’est pourquoi l’Assemblée a décidé, en adoptant la Résolution 1990 (2014) en avril 2014, de ne pas annuler les pouvoirs de la délégation russe, ce qui aurait rendu un tel dialogue impossible, mais de suspendre le droit de vote de ses membres, le droit d’être représentée au sein du Bureau de l’Assemblée, du Comité présidentiel et de la Commission permanente, ainsi que le droit de participer à des missions d’observation d’élections jusqu’à la fin de 2014.
119. Le but des sanctions n’était pas d’exclure la Russie des activités du Conseil de l'Europe mais de donner un signal fort et de promouvoir un règlement politique du conflit. Toutefois, suite au vote, la délégation russe a décidé de s’exclure elle-même. Elle a quitté Strasbourg immédiatement après le vote et refusé de participer à toute session plénière pour le restant de l’année. Malheureusement, la non-participation des membres de la délégation russe aux débats pléniers et sa participation limitée aux réunions de commission ont rendu tout dialogue impossible.
120. A l’ouverture de la partie de session de janvier 2015, les pouvoirs de la délégation russe ont été contestés aux motifs que le rôle de la Fédération de Russie et sa participation au conflit dans l’Est de l’Ukraine ainsi que son annexion illégale persistante de la Crimée constituaient une violation du Statut du Conseil de l'Europe.
121. Les débats et le vote ont eu lieu dans un climat très tendu: en témoigne, par exemple, l’agression physique dont ont été victimes deux membres de la délégation russe auprès de l’Assemblée sur le parvis du Conseil de l'Europe, agression commise par deux parlementaires ukrainiens non membres de la délégation ukrainienne auprès de notre Assemblée.
122. Une fois encore, désireuse de prouver sa volonté de maintenir le dialogue avec la délégation russe, l’Assemblée a décidé de ratifier les pouvoirs de ses membres; cependant, pour exprimer clairement sa condamnation des graves violations persistantes du droit international, elle a décidé de suspendre le droit de vote de ses membres, le droit pour la délégation d’être représentée au sein du Bureau de l’Assemblée, du Comité présidentiel et de la Commission permanente, le droit pour ses membres d’être désigné rapporteur, le droit de participer à des missions d’observation d’élections, et le droit de représenter l’Assemblée dans les organes du Conseil de l'Europe et auprès d’institutions extérieures.
123. Malgré notre volonté de laisser ouvertes les possibilités de communication, la délégation russe a officiellement décidé de suspendre toutes les relations officielles avec l’Assemblée jusqu’à la fin de 2015, dont toutes les visites au nom des instances de l’Assemblée.
124. Dans sa Résolution 2034 (2015), adoptée en janvier 2015, l’Assemblée a, en outre, décidé qu’elle annulerait les pouvoirs de la délégation russe en juin 2015 si aucun progrès n’était accompli s’agissant d’accéder aux demandes de l’Assemblée et, notamment, de mettre en œuvre le Protocole et le Mémorandum de Minsk. La question a été réexaminée lors de la partie de session de juin, qui a été une nouvelle occasion de réaffirmer la nécessité de respecter la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ainsi que de favoriser un dialogue ouvert entre l’Assemblée et la délégation russe en vue de trouver une solution durable. A titre de nouvelle preuve de son engagement à maintenir le dialogue ouvert, l’Assemblée, tout en prenant acte des sanctions en vigueur, a décidé une nouvelle fois, dans sa Résolution 2063 (2015) adoptée en juin 2015, de ne pas annuler les pouvoirs de la délégation russe.
125. En janvier 2016, le Parlement russe n’a pas présenté de pouvoirs à l’Assemblée. En conséquence, depuis le début de l’année, il n’y a plus de parlementaires russes parmi nous.
126. Lors de la réunion tenue par la commission le 24 mai à Paris, il a été question du rôle de l’Assemblée dans le conflit en Ukraine en lien avec l’objectif de mon rapport. Un membre de la commission a demandé si l’Assemblée ne devrait pas participer plus activement au processus visant à régler le conflit en Ukraine et proposer sa propre médiation pour remplacer le processus de Minsk. Un autre collègue a exprimé l’avis suivant: il importe certes que nous défendions nos principes et que nous condamnions toute violation du droit international, mais, si nous voulons jouer un rôle dans les questions concernant l’Ukraine, nous devrions permettre le dialogue avec l’autre partie, écouter les arguments avancés par les parlementaires russes pour justifier les actions menées en Ukraine, ainsi que leur point de vue sur la réalité sur le terrain, et voir s’il est encore possible de parvenir à un compromis entre les deux parties.
127. En réaction à cette discussion, je souhaiterais clarifier certains points et expliquer ma propre position.
128. Concernant le premier point, je tiens à préciser que notre Assemblée ne peut se substituer ni au processus de Minsk ni à aucun autre processus de négociation. Le règlement des conflits fait partie du mandat de l’OSCE, et non pas de celui du Conseil de l'Europe. Le Conseil de l'Europe contribue au règlement des conflits par le renforcement de la démocratie et par la promotion de l’Etat de droit et des droits de l'homme dans les Etats membres où surviennent des conflits, conformément à la notion de «sécurité profonde» ou «sécurité démocratique». Pour sa part, l’Assemblée peut servir de plate-forme unique de dialogue entre parlementaires et contribuer à apaiser les tensions entre Etats membres, notamment en favorisant l’établissement de la confiance. C’est d’ailleurs l’essence de la diplomatie parlementaire. Celle-ci ne va cependant pas jusqu’à conférer un rôle de «médiation» à notre Assemblée.
129. Sans vouloir approfondir la question, car ce n’est pas l’objet de mon rapport, il est cependant utile de rappeler que, par le passé, l’Assemblée a utilisé avec succès les outils de la diplomatie parlementaire pour contribuer à apaiser des tensions dans des Etats membres: par exemple, entre la majorité et l’opposition en Albanie et en République de Moldova, ou même lors du conflit en Tchétchénie. En revanche, elle a obtenu bien moins de résultats chaque fois qu’elle a tenté, sous diverses formes, de jouer un rôle dans un conflit qui opposait deux Etats membres, comme le conflit du Haut-Karabakh ou la guerre de 2008 entre la Russie et la Géorgie.
130. En tout cas, tant que les membres du Parlement russe ne participent pas aux activités de l’Assemblée, l’Assemblée ne peut rien faire pour promouvoir un dialogue entre les parlementaires ukrainiens et russes en vue d’établir, par exemple, des relations de confiance qui pourraient contribuer à favoriser la mise en œuvre des engagements au titre du droit international et des Accords de Minsk. Concernant ce point, je tiens à répéter que, si nous nous trouvons dans cette situation, ce n’est pas parce que notre Assemblée a exclu la délégation russe de ses rangs ou refusé d’écouter les arguments des membres de cette délégation, mais parce que le Parlement russe a décidé de suspendre tout contact avec nous à la suite de la décision sur les sanctions. Je tiens aussi à répéter que, dans le cadre de l’élaboration de mon rapport, j’ai à maintes reprises invité la délégation russe à donner son point de vue et tenté de me rendre dans le pays, mais toutes mes tentatives ont échoué. Je pense que nous devons écouter nos collègues russes s’ils veulent nous parler, mais que nous ne pouvons pas les y obliger s’ils ne le veulent pas.
131. L’objet du présent rapport n’est sûrement pas d’examiner la question des futures relations entre l’Assemblée et le Parlement russe. Cette question figurera probablement à nouveau à l’ordre du jour de notre Assemblée après l’élection, en septembre 2016, d’un nouveau parlement en Russie, soit déjà à l’automne 2016, soit en janvier 2017.

7. Observations finales

132. Le conflit ukrainien n’a pas été un coup de tonnerre dans un ciel serein. Depuis plus de vingt ans, la Russie, d’une part, et l’Union européenne (ainsi que les Etats-Unis et l’OTAN), d’autre part, mettent en œuvre des stratégies très différentes concernant les territoires post-soviétiques de l’Europe orientale et du Caucase méridional. La vision de l’Union européenne de sa propre expansion vers l’Est n’est pas partagée par Moscou tandis que l’Europe n’admet pas la volonté de la Russie de maintenir une quelconque forme de contrôle sur les territoires post-soviétiques, notamment en excluant résolument toute possibilité d’adhésion de ces territoires à l’OTAN.
133. L’évaluation différente des révolutions de couleur, le différend sur l’installation de missiles en Europe orientale, la guerre russo-géorgienne d’août 2008, les politiques adverses du Partenariat oriental et de l’Union douanière eurasiatique ont été des facteurs d’accentuation progressive de l’antagonisme qui a atteint son paroxysme en Ukraine fin 2013. Sous l’autorité du Président Viktor Ianoukovitch, l’Ukraine balançait, à la recherche d’un meilleur compromis entre, d’une part, l’Union européenne et sa proposition de renforcer les liens grâce au programme de Partenariat oriental puis, ultérieurement, à un accord d’association et, d’autre part, la Russie qui tentait de convaincre les ex-Républiques soviétiques de s’engager dans un projet d’union douanière 
			(40) 
			Voir
les rapports de la commission de suivi d’avril 2014, <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=20882&lang=FR'>Résolution
1990 (2014)</a> et <a href='C:\Users\morel_r\AppData\Local\Microsoft\Windows\Temporary Internet Files\Content.Outlook\2M181R6J\Réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe'>Doc.
13483</a> «Réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs
déjà ratifiés de la délégation russe»; <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=20873&lang=FR'>Résolution
1988 (2014)</a> et <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=20712&lang=FR'>Doc.
13482 </a>«Développements récents en Ukraine: menaces pour le fonctionnement
des institutions démocratiques»..
134. Il aurait probablement fallu consacrer plus d’efforts à l’époque pour trouver une «troisième voie» plutôt que de pousser l'Ukraine à choisir entre deux directions opposées. A cet égard, comme M. Štefan Füle, Commissaire à l'élargissement et à la politique européenne de voisinage de février 2010 à octobre 2014, me l’a également confirmé, l'Union européenne a probablement son propre mea culpa à faire et a sûrement appris quelques leçons de ce qui est arrivé en Ukraine. L'Union européenne devrait maintenant réfléchir à des stratégies pour l'avenir de la région qui permettront de désamorcer les tensions actuelles et contribueront à rétablir la confiance dans son voisinage. Mais pour l’Ukraine, il est maintenant impossible de revenir en arrière et de réécrire l’histoire.
135. Nous déplorons naturellement tous la violence à laquelle les événements de Maïdan ont conduit et la perte de vies humaines à la suite de la décision de Viktor Ianoukovitch de ne pas signer l’Accord d’association avec l’Union européenne mais de choisir plutôt de renforcer les liens avec la Russie. Nous, au sein du Conseil de l'Europe, avons d’ailleurs essayé d’aider le pays à enquêter sur les pages les plus sombres de ces événements par l’intermédiaire d’un Comité consultatif d’experts 
			(41) 
			<a href='http://www.coe.int/fr/web/portal/international-advisory-panel'>Comité
consultatif international sur l’Ukraine</a>, voir aussi note de bas de page 10 ci-dessus..
136. Néanmoins, Maïdan restera dans les mémoires avant tout comme le symbole de la lutte du peuple ukrainien pour la démocratie, le respect de l’Etat de droit et de la dignité humaine (dans un pays où la corruption est largement répandue) et aussi pour l’intégration européenne.
137. Il est vraiment terrible qu’à ce moment précis, alors que sur la place Maïdan le peuple ukrainien réclamait un renforcement des relations avec l’Europe, davantage de liberté et une démocratie véritable, son voisin de l’Est ait fait comprendre crûment non seulement aux Ukrainiens mais à l’Europe et au monde entier qu’il n’accepterait pas l’établissement de liens aussi étroits avec l’Union européenne dans un pays qui, selon lui, fait légitimement partie de sa propre sphère d’influence.
138. La Fédération de Russie a commencé par annexer la Crimée, en violation flagrante du droit international, ce qui nous a tous consternés. Ensuite, le conflit s’est étendu au Donbass. L’Ukraine a perdu une grande partie de cette région et les zones industrielles de l’Est et du Sud-Est. Les sanctions imposées à la Russie afin d’obtenir un changement dans sa politique à l’égard de l’Ukraine ont jusqu’à présent échoué à remplir cet objectif. Les événements en Ukraine ont rapidement dépassé les frontières du pays, en déstabilisant l’ordre européen et mondial de l’après-guerre froide.
139. La situation en Ukraine accélère, en effet, les changements de rapports de force. Ces derniers mois, les relations entre la Russie et l’Union européenne et entre la Russie et les Etats-Unis ont atteint leur niveau le plus bas depuis la fin de la guerre froide. Les Etats-Unis et l’Union européenne campent sur leurs positions et continuent à appliquer des sanctions pour contrer le recours de la Russie à la force militaire tandis que cette dernière, face à un Occident de plus en plus hostile, se tourne manifestement vers l’Orient: la Chine et la Russie se sont encore rapprochées et la Russie a réaffirmé son rôle en tant qu’acteur majeur au Proche-Orient. Plus récemment, des points de vue de plus en plus divergents entre les Etats membres de l’Union européenne sur la question de savoir si les sanctions à l’encontre de la Russie doivent être maintenues créent des divisions qui menacent l’unité et la cohésion de l’Union européenne.
140. Malgré une interdépendance économique croissante, l’Union européenne et la Russie ont été jusqu’à présent incapables de trouver des modalités durables d’entente politique fondées sur l’acceptation des différences d’intérêts et de valeurs entre les deux acteurs.
141. S’il n’y a pas lieu de composer avec les valeurs fondamentales, telles que la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, l’exclusion de tout dialogue avec la Russie et l’isolement de cette dernière ne sont dans l’intérêt ni de la Russie ni du reste de l’Europe, l’Ukraine comprise.
142. Les Accords de Minsk, malgré leurs nombreuses faiblesses et parfois leur manque de clarté, semblaient offrir au moins un point de départ vers la solution du conflit au Donbass qui aurait pu ouvrir la voie vers une sortie de la logique des sanctions et aider à construire une base pour poursuivre le dialogue. Certes, d’autres Etats pourraient participer plus activement au processus de règlement du conflit en Ukraine (comme ceux qui, avec la Russie, ont signé le Mémorandum de Budapest de 1994), mais ce qui importe, ce sont moins les modalités des négociations que la bonne volonté manifestée par toutes les parties; je pense ici surtout à l’Ukraine et à la Russie (puisque les chefs séparatistes du Donbass s’aligneront toujours sur la position de la Russie). En l’absence de bonne volonté, on aura beau multiplier les tentatives diplomatiques et les modalités de négociation, la situation sur le terrain et le dialogue politique ne s’amélioreront pas.
143. Aujourd’hui, alors qu’en toile de fond nous constatons un environnement sécuritaire détérioré sur le terrain, mais aussi un contrôle accru de la Russie sur les régions séparatistes du Donbass, les chances d’une mise en œuvre effective des Accords de Minsk dans un proche avenir semblent minces. Après tout, l’on ne sait pas si la Russie souhaite vraiment voir ces accords mis en œuvre et la souveraineté ukrainienne restaurée dans les régions séparatistes. Peut-être préfère-t-elle prolonger (plutôt que geler) le conflit dans l’est de l’Ukraine, et ainsi maintenir l’instabilité et l’insécurité dans l’ensemble du pays, tout en continuant à adresser des menaces hybrides (rappelant l’époque de la guerre froide) au reste de l’Europe.
144. Pour sa part, l’Ukraine a ses raisons de douter de la possibilité d’avancer sérieusement dans le dialogue politique conformément aux Accords de Minsk, notamment en ce qui concerne les dispositions spécifiques pour le Donbass et l’organisation, dans la région, d’élections locales, tant que la toute première étape envisagée dans ces accords, c’est à dire le cessez-le-feu, n’est pas respecté et tant que des troupes et des armements lourds russes sont déployés dans la région.
145. Toutefois, aussi minces que soient les chances de succès et malgré toutes leurs faiblesses, les Accords de Minsk constituent le seul cadre concret de négociations dont nous disposions pour le moment et nous devrions continuer à leur apporter notre soutien. La libération de notre collègue, Nadiia Savchenko, et d’autres détenus après près de deux ans de négociations est considérée comme un signe que les Accords de Minsk sont vivants et peuvent produire des résultats (bien que le Président russe affirme avec insistance que la libération de Mme Savchenko n’a rien à voir avec Minsk); il est à espérer que cette libération puisse créer une dynamique positive qui permette de progresser dans d’autres domaines aussi.
146. En même temps, si l’Ukraine veut continuer à bénéficier du soutien de l’Europe vis-à-vis de son voisin, elle doit démontrer une détermination et une volonté politique forte en mettant en œuvre les réformes urgemment nécessaires et en respectant enfin les promesses de l’Euromaïdan de réformer un système corrompu et oligarchique. Ceci d’autant plus qu’elle ne peut imputer le retard dans leur mise en œuvre à la poursuite du conflit ou à l’absence de respect par l’autre partie des Accords de Minsk. A cet égard, l’adoption par le Parlement ukrainien d’amendements constitutionnels relatifs au système judiciaire, attendus depuis longtemps, représente un autre progrès important. Ces réformes doivent maintenant être mises en œuvre et il reste nécessaire – en plus, voire au-delà, des reformes législatives – d’obtenir enfin des résultats tangibles dans la lutte contre la corruption. Ces objectifs sont également vitaux pour le développement économique du pays et l’encouragement des investissements venant de l’étranger. La réforme constitutionnelle de la décentralisation devrait également être menée à bien, non seulement pour satisfaire aux Accords de Minsk, mais aussi et surtout pour moderniser l’Etat ukrainien. Toutes les forces politiques doivent s’unir plus que jamais et trouver un terrain d’entente minimal pour permettre la conduite de cette réforme aussi.
147. Comme nous l’avons répété à maintes occasions et comme l’a souligné le nouveau Premier ministre de l’Ukraine, le front intérieur est tout aussi important que le front extérieur. Seule une Ukraine démocratique dotée d’institutions publiques stables respectant l’Etat de droit peut être forte et prospère, capable de mettre fin à l’agression venant de l’extérieur et de rétablir la paix. Des réformes réussies seront également le meilleur moyen de convaincre la population des zones sous contrôle des rebelles que leur avenir est bien au sein de l’Ukraine.