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Rapport | Doc. 14141 | 26 septembre 2016

Enseignements à tirer de l’affaire des «Panama Papers» pour assurer la justice sociale et fiscale

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Stefan SCHENNACH, Autriche, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14034, Doc. 14045 et Doc. 14047, Renvoi 4210 du 27 mai 2016 et Doc. 13150, Renvoi 3952 du 26 avril 2013.. 2016 - Quatrième partie de session

Résumé

En avril 2016, une fuite d’informations sans précédent, qualifiée de «Panama Papers», a attiré l’attention du monde entier. Les documents tirés de la base de données du quatrième plus grand cabinet juridique offshore du monde, Mossack Fonseca, ont révélé des informations secrètes sur la façon dont des personnes riches dissimulent leurs actifs financiers pour éviter tout contrôle fiscal.

Outre des milliardaires, des célébrités et des criminels, les documents mentionnent 143 responsables politiques et leurs collaborateurs originaires de quelque 50 pays, ayant transféré leurs avoirs à l’étranger à des fins d’évasion ou de fraude fiscale. Même s’il existe des moyens légitimes d’utiliser les paradis fiscaux, les juridictions extraterritoriales sont connues pour créer des sociétés-écrans derrière lesquelles se cachent les bénéficiaires effectifs. De telles pratiques sont courantes pour procéder à une optimisation fiscale agressive, dissimuler des fortunes illicites et masquer le financement de terroristes, de cartels de la drogue, de criminels et de politiciens corrompus.

Les révélations des «Panama Papers» démontrent que la lutte contre les paradis fiscaux et l’instauration d’une transparence fiscale n’ont eu, à ce jour, qu’un effet limité. Le présent rapport explique à quel point il reste impératif de trouver de bons moyens d’assurer une conformité technique aux normes internationales déjà existantes en matière de politiques de lutte contre l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent. Les Etats membres devraient veiller à une mise en œuvre effective des normes dans tous les secteurs, qu’il s’agisse de la finance ou des institutions judiciaires et policières, tout en encourageant l’adoption de mesures plus énergiques au niveau international.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 21 septembre
2016.

(open)
1. Le scandale dit des «Panama Papers» a dévoilé au grand jour les pratiques courantes de dissimulation de revenus et d’actifs imposables dans des paradis fiscaux par l’intermédiaire de sociétés-écrans et de comptes secrets. Ces révélations ont exacerbé le sentiment d’indignation qui couvait dans l’opinion publique depuis plusieurs années: aujourd’hui plus que jamais, il est devenu inacceptable aux yeux des citoyens que des systèmes juridiques permettent à de grandes sociétés et aux plus riches de se soustraire facilement à leurs obligations fiscales, et à d’autres de dissimuler des profits mal acquis, tandis qu’eux s’acquittent de leur impôt sur des revenus stagnants, voire en baisse. Les «Panama Papers» ont érodé la confiance des citoyens dans les systèmes démocratiques, financiers et fiscaux tout entiers, mettant ainsi en péril les valeurs fondamentales de la société européenne et notamment la justice sociale et fiscale.
2. L’Assemblée parlementaire est vivement préoccupée par l’ampleur de l’évasion et de la fraude fiscales dans les sociétés modernes: aujourd’hui, ces pratiques concernent même des sociétés et des personnalités publiques bien connues, lesquelles devraient au contraire être des modèles d’éthique. Du point de vue de l’Assemblée, il faut introduire davantage d’éthique dans les milieux politiques et le monde des affaires pour protéger les systèmes économiques, sociaux et démocratiques.
3. Le droit d’accès à l’information est un droit fondamental garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), qui s’applique aux données détenues par les organismes du secteur public et dans certains cas par des organismes du secteur privé. A cet égard, l’Assemblée encourage vivement les enquêteurs à rendre publiques l’ensemble des données constituant les «Panama Papers» pour permettre à la police et à la justice de chaque pays de mener leurs propres enquêtes nationales et de traduire en justice tous ceux qui auraient été mêlés à des activités illégales, notamment de corruption et de fraude fiscale.
4. L’Assemblée souligne le rôle important des «lanceurs d’alerte», dont la protection est cruciale pour renforcer la lutte contre la corruption. Elle renvoie à ses Résolution 1729 (2010) et Résolution 2060 (2015) sur la protection des lanceurs d’alerte et demande instamment à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe de protéger comme il convient les personnes qui signalent des comportements répréhensibles pour le bien de nos sociétés.
5. L’Assemblée considère que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ne requiert pas nécessairement de nouvelles normes juridiques ou techniques, car c’est plutôt la mise en œuvre effective des normes existantes qui fait défaut. Par conséquent, l’Assemblée recommande aux Etats membres:
5.1. de donner des suites concrètes à sa Résolution 1881 (2012) «Promouvoir une politique appropriée en matière de paradis fiscaux»;
5.2. de rejoindre, s’ils ne l’ont pas encore fait, le Forum mondial de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales et d’assurer rapidement une mise en œuvre globale et effective des normes d’échange de renseignements sur demande et d’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale pour permettre la communication d’informations standardisées en matière fiscale;
5.3. de mettre en place au niveau national des systèmes fiscaux solides, transparents et stables, n’imposant pas de formalités administratives trop lourdes et prévoyant des mesures de lutte contre la corruption pour encourager les sociétés et les personnes physiques à maintenir leurs actifs dans leur pays de résidence;
5.4. d’accroître la transparence en établissant un registre central des bénéficiaires effectifs de toutes les sociétés, fondations et fiducies (trusts), auquel tout changement de structure devra obligatoirement être signalé dans un délai raisonnable sous peine de sanctions dissuasives;
5.5. de maintenir une étroite coopération avec le Fonds monétaire international, l’OCDE, les Nations Unies et la Commission européenne pour améliorer les modèles fiscaux existants et répondre aux nouveaux défis qui se présentent;
5.6. de consacrer davantage de ressources aux enquêtes financières au niveau national et de renforcer la formation des policiers, procureurs et juges concernés aux techniques modernes d’investigation financière;
5.7. d’accroître l’échange international d’informations et de bonnes pratiques concernant les techniques d’investigation financière;
5.8. d’envisager des modifications de la législation pour faire en sorte que l’accès aux renseignements financiers soit systématiquement assuré à un stade suffisamment précoce dans les enquêtes sur les produits de la criminalité.
6. Pour lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux, l’Assemblée recommande aux Etats membres:
6.1. de ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198, «Convention de Varsovie») et d’assurer sa mise en œuvre effective;
6.2. d’assurer l’application effective et la conformité technique aux normes existantes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, parmi lesquelles les Recommandations du Groupe d’action financière adoptées en 2012 et la Directive (UE) 2015/849 (4e Directive européenne) dans les secteurs judiciaire, répressif et financier;
6.3. de poursuivre avec rigueur le processus d’évaluation du risque en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et de signaler aux autorités compétentes toute préoccupation concernant d’éventuelles lacunes;
6.4. de veiller à ce qu’il existe au niveau national une Cellule de renseignements financiers (CRF) efficace et indépendante, libre de toute ingérence politique dans la prise de décisions opérationnelles;
6.5. de veiller à ce que les banques et autres institutions financières appliquent des mesures de vigilance renforcées du plus haut niveau à l’égard des dossiers internationaux complexes et des clients qui présentent un risque potentiellement élevé; l’avis du service responsable de la conformité devra être déterminant dans le processus décisionnel;
6.6. de reconnaître l’importance de la coopération internationale et d’accroître le volume d’informations transmises spontanément aux autorités étrangères en dehors des demandes de coopération internationale.
7. L’Assemblée reconnaît la nécessité de restaurer la confiance des citoyens dans le système démocratique européen, notamment en empêchant les personnes politiquement exposées d’avoir recours aux juridictions adeptes du secret, et demande par conséquent aux Etats membres:
7.1. de veiller à ce que les établissements financiers et les entreprises et professions non financières désignées s’emploient à repérer les personnes politiquement exposées, les membres de leur famille ainsi que les personnes qui leur sont étroitement associées et leur appliquent avec rigueur les mesures renforcées nécessaires (notamment pour établir l’origine de leur patrimoine);
7.2. de veiller à ce que ces comptes fassent l’objet d’une surveillance renforcée continue et soient activement suivis par les autorités de contrôle lors des inspections, et à ce que des sanctions proportionnées et dissuasives soient appliquées lorsque des manquements sont constatés;
7.3. de maintenir la surveillance renforcée des transactions opérées par les personnes politiquement exposées pendant au moins cinq ans après que ces dernières ont cessé d’exercer les fonctions justifiant ce statut.

B. Exposé des motifs, par M. Stefan Schennach, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. En avril 2016, des sociétés et des individus du monde entier ont vu leurs opérations financières les plus sensibles dévoilées au grand jour dans le cadre d’une fuite massive de documents obtenus du cabinet juridique Mossack Fonseca basé à Panama. Parmi ceux qui avaient dissimulé des actifs dans des paradis fiscaux figuraient d’anciens et actuels dirigeants mondiaux, des dictateurs, leurs amis et membres de leur famille, des dirigeants d’entreprise, des personnalités connues du monde du spectacle, ainsi que des marchands d’armes et des narcotrafiquants. Cette fuite massive a alimenté un débat déjà très animé sur l’évasion et la fraude fiscales. Les enquêtes relatives aux «Panama Papers» battent actuellement leur plein.
2. Ces révélations ont exacerbé le sentiment d’indignation qui couvait dans l’opinion publique depuis des années: aujourd’hui plus que jamais, il est devenu inacceptable aux yeux des citoyens que des systèmes juridiques permettent aux «1 %» les plus riches de se soustraire facilement à leurs obligations fiscales et de dissimuler des profits mal acquis, tandis qu’eux s’acquittent de leur impôt sur des revenus stagnants, voire en baisse. Les citoyens européens considèrent avec de plus en plus de suspicion leurs élites politiques et économiques; ils exigent une action efficace contre la fraude fiscale internationale et les pratiques agressives d’optimisation fiscale 
			(2) 
			L’évasion
fiscale (l’évitement fiscal) se produit lorsque les entreprises/individus
utilisent des méthodes artificielles, mais légales pour minimiser
leur fardeau fiscal. En revanche, la fraude fiscale est une activité
illégale qui implique la déclaration fiscale frauduleuse visant
à réduire ou à échapper à l'impôt..
3. Les efforts internationaux de lutte contre l’usage légal et illégal des paradis fiscaux 
			(3) 
			Il
convient de mentionner que la possession d'une société offshore
n’est pas illégale dans la plupart des pays, à condition que des
politiques de divulgation appropriées soient respectées. Un certain
nombre de pratiques sont tout à fait légitimes et peuvent être considérées
comme une étape logique pour un large éventail de transactions commerciales. L’illégalité
ne se produit que lorsque les entreprises qui sont soumises à certaines
réglementations en Europe (ou ailleurs), décident de canaliser leurs
ressources financières par des filiales offshore, afin de se soustraire
aux dispositions qu'ils sont tenus de respecter légalement. n’ont eu jusqu’à présent qu’un effet limité. Dans ce domaine, les mesures nationales ne sont pas suffisantes: il faut aussi une action plus énergique à l’échelon international. Des initiatives coordonnées sont également nécessaires au niveau du Conseil de l’Europe pour résoudre le problème de l’évasion fiscale en trouvant des moyens appropriés d’assurer la conformité technique avec les normes internationales existantes et d’obtenir un engagement politique fort à ce sujet.
4. L’Assemblée parlementaire s’est déjà penchée sur cette question, notamment dans sa Résolution 1887 (2012) «Promouvoir une politique appropriée en matière de paradis fiscaux». Au cours de sa réunion de juin de cette année, la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable a décidé de fusionner trois propositions de résolution concernant les «Panama Papers» (Doc. 14034, Doc. 14045 et Doc. 14047) avec celle intitulée «Pour une lutte efficace contre les dégâts de l’argent sale» (Doc. 13150) et a entériné ma nomination en tant que rapporteur. Après une audition tenue à Paris le 15 mars 2016 avec deux experts (MM. John Ringguth et Luc Recordon), la commission a eu un échange de vues en juin 2016 à Strasbourg avec M. Boudewijn Van Looij, analyste des politiques fiscales à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans le cadre de la préparation du présent rapport.

2. Les origines du scandale des «Panama Papers»

2.1. Une fuite de documents

5. Les «Panama Papers» représentent environ 2,6 téraoctets de données réparties dans plus de 11,5 millions de fichiers contenant des informations sensibles collectées au cours des 40 dernières années. Ils ont été communiqués par une source anonyme au journal allemand Süddeutsche Zeitung. Ces documents proviennent de la société Mossack Fonseca, cabinet juridique, qui propose «toute une gamme de services juridiques et fiduciaires» 
			(4) 
			Kelly
Phillips Erb, «What are Panama Papers?» Forbes, avril 2016, <a href='http://www.forbes.com/sites/'>www.forbes.com/sites/</a>..
6. Fondé en 1977, ce cabinet, basé à Panama, est le quatrième fournisseur de services offshore au monde. Bien positionné au cœur du marché mondial offshore et des paradis fiscaux, il agit pour le compte de près de 300 000 sociétés et emploie 500 personnes dans 42 pays, en particulier dans des juridictions qui appliquent une réglementation stricte en matière de secret bancaire 
			(5) 
			Mossack Fonseca: inside
the firm that helps the super-rich hide their money, The Guardian, 8 avril 2016, <a href='https://www.theguardian.com/news/2016/apr/08/mossack-fonseca-law-firm-hide-money-panama-papers'>https://www.theguardian.com/news/2016/apr/08/mossack-fonseca-law-firm-hide-money-panama-papers</a>..
7. D’après son site web, Mossak Fonseca est spécialisé dans les services aux trusts, la gestion de patrimoine, les structures d’entreprises internationales et le droit commercial, entre autres. Il propose des prestations de recherche, de conseil et d’autres services pour les territoires suivants: Belize, Pays-Bas, Costa Rica, Royaume-Uni, Malte, Hong Kong, Chypre, Iles vierges britanniques, Bahamas, Panama, Anguilla, Seychelles, Samoa, Nevada et Wyoming (Etats-Unis) 
			(6) 
			Site web de Mossack
Fonseca, <a href='http://www.mossfon.com/about_service/mf-group/'>www.mossfon.com/about_service/mf-group/</a>..
8. Les «Panama Papers» se composent principalement de courriers électroniques, de fichiers PDF et de fichiers photo, ainsi que d’extraits d’une base de données interne de Mossack Fonseca. Les premiers documents remontent aux années 1970 et les plus récents datent du printemps 2016. Le journal Süddeutsche Zeitung les a analysés en coopération avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) 
			(7) 
			«Panama
papers, the secrets of dirty money», Süddeutsche
Zeitung, <a href='http://panamapapers.sueddeutsche.de/'>http://panamapapers.sueddeutsche.de/.</a>. La base de données ne contient qu’une partie des informations qui ont filtré depuis les bureaux de Panama de Mossack Fonseca. Pour l’heure, les documents eux-mêmes ne sont pas accessibles au public et les détails restent relativement limités 
			(8) 
			«What’s On the Panama
Papers’ Database, What’s Not, and Why?», Organised Crime and Corruption
Reporting Project, 10 mai 2016. 
			(8) 
			<a href='https://www.occrp.org/en/daily/5217-what-s-on-the-panama-papers-database-what-s-not-and-why'>https://www.occrp.org/en/daily/5217-what-s-on-the-panama-papers-database-what-s-not-and-why.</a>.
9. Les documents rendus publics à ce jour mentionnent 143 responsables politiques, dont 12 leaders nationaux, des élus et leurs associés 
			(9) 
			Site officiel de l’International
Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) (Consortium international
des journalistes d’investigation), <a href='https://panamapapers.icij.org/the_power_players/'>https://panamapapers.icij.org/the_power_players/.</a> de près de 50 pays, ainsi que plusieurs milliardaires de la liste Forbes 
			(10) 
			«Panama tax papers:
the taxonomy of the leak», The Economist,
14 avril 2016., des célébrités et des criminels dont on sait maintenant qu’ils ont eu recours à des paradis fiscaux offshore. L’affaire des «Panama Papers» offre un regard que l’on a rarement sur la manière dont les personnes riches et les célébrités dissimulent leur argent, la plupart du temps pour échapper à l’impôt. Les documents dévoilent également des scandales de corruption auxquels ont été mêlés entre autres des représentants gouvernementaux. Après les révélations, plusieurs hommes politiques ont été contraints de démissionner sous la pression de l’opinion publique 
			(11) 
			Site officiel de l’International
Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) (Consortium international
des journalistes d’investigation), <a href='https://panamapapers.icij.org/the_power_players/'>https://panamapapers.icij.org/the_power_players/.</a>.
10. L’affaire des «Panama Papers» n’est pas le premier scandale de ce type. Celui des «Luxembourg Leaks» (ou LuxLeaks), par exemple, a été dévoilé en novembre 2014 à la suite d’une enquête journalistique du Consortium international des journalistes d’investigation. Les affaires Offshore Leaks et Swiss Leaks complètent la liste des récentes révélations scandaleuses concernant des pratiques fiscales suspectes.
11. Il convient de noter ici que le rôle des lanceurs d’alerte au sein de la société n’est pas seulement souhaitable: il est devenu essentiel. Le travail de ces personnes présente un intérêt public prépondérant et ne peut être réalisé efficacement sans protection spéciale. Les Etats ont l’obligation de protéger les lanceurs d’alerte, groupe vulnérable, qui s’exposent à des risques de stigmatisation du fait de l’exercice de leur droit fondamental d’accès à l’information et d’obtention de renseignements 
			(12) 
			<a href='http://www.ohchr.org/Documents/Issues/Opinion/Protection/CenterConstitutionalRights.pdf'>www.ohchr.org/Documents/Issues/Opinion/Protection/CenterConstitutionalRights.pdf.</a>. Malheureusement, la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe ne disposent pas d’une législation complète pour la protection des lanceurs d’alerte, comme l’a déploré l’Assemblée dans sa Résolution 2060 (2015) «Améliorer la protection des donneurs d’alerte».
12. La récente issue du procès national qui avait été ouvert à la suite des LuxLeaks illustre parfaitement le manque cruel de protection des lanceurs d’alerte. Cette affaire avait révélé au grand jour des centaines de transactions fiscales controversées conclues avec l’administration fiscale luxembourgeoise, dont des ententes grâce auxquelles 340 grandes entreprises comme Burberry, Pepsi, Ikea, Heinz, Shire Pharmaceuticals et d’autres ont pu réduire à la portion congrue leur charge fiscale. Après un long procès, le lanceur d’alerte concerné s’est vu infliger une peine d’emprisonnement de 12 mois avec sursis et une amende de € 1 500. Il a été déclaré coupable de vol et de violation des lois strictes du secret professionnel au Luxembourg 
			(13) 
			«LuxLeaks whistleblower
avoids jail after guilty verdict», The
Guardian, 29 juin 2016, <a href='https://www.theguardian.com/world/2016/jun/29/luxleaks-pwc-antoine-deltour-avoids-jail-but-is-convicted-of-theft'>https://www.theguardian.com/world/2016/jun/29/luxleaks-pwc-antoine-deltour-avoids-jail-but-is-convicted-of-theft.</a>.

2.2. Les paradis fiscaux, au cœur du scandale des «Panama Papers»

13. Les paradis fiscaux existent depuis que l’impôt existe. C’est lorsque la pression fiscale a augmenté dans les années 1960 que l’on a assisté au développement des activités offshore actuelles. Le processus s’était toutefois enclenché dès les années 1920 et 1930, lorsque quelques petits pays dont la Suisse en tête, ont commencé à acquérir leur réputation de paradis fiscaux.
14. Le Luxembourg a été l’un des premiers pays à introduire le concept de société holding. En vertu de la loi du 31 juillet 1929, les sociétés de ce type ont été exonérées d’impôt sur le revenu. Il apparaît que les Bermudes, les Bahamas et Jersey ont également servi dans une moindre mesure de paradis fiscaux durant l’entre-deux-guerres. Panama est l’un des plus anciens paradis fiscaux au monde. A l’âge d’or du trafic de cocaïne, à la fin du siècle dernier, le pays facilitait le blanchiment d’argent pour les barons de la drogue latino-américains, en proposant un ensemble de services financiers. Dans le même temps, la fameuse loi suisse de 1934 sur le secret bancaire est née à la suite d’un scandale de fraude fiscale en France, impliquant quelques riches élites. Tout cela montre bien que depuis leur création, les paradis fiscaux ont toujours eu vocation à soustraire aux regards l’argent des plus riches et puissants 
			(14) 
			Sébastien Guex, «The
Origins of the Swiss Banking Secrecy Law and Its Repercussions for
Swiss Federal Policy», The Business History
Review, Vol. 74, no 2 (été
2000)..
15. Il y a eu ces dernières années une prise de conscience croissante de la nécessité de mieux comprendre les activités des centres financiers offshore. Certains d’entre eux concentrent en effet une part importante des flux financiers mondiaux et leur interdépendance avec d’autres centres financiers est telle que leurs activités pourraient compromettre la stabilité financière de nombreux pays 
			(15) 
			Offshore
Financial Centers (OFCs): IMF Staff Assessments, International Monetary
Fund, <a href='https://www.imf.org/external/NP/ofca/OFCA.aspx'>https://www.imf.org/external/NP/ofca/OFCA.aspx</a>.. D’après une étude récente, 8 % des richesses financières mondiales sont détenues offshore, ce qui coûte chaque année au moins 200 milliards de dollars de recettes fiscales aux gouvernements. 10 % des richesses financières européennes sont détenues dans des paradis fiscaux, ce qui engendre une perte de rentrées fiscales de 75 milliards de dollars par an 
			(16) 
			Gabriel Zucman, «La richesse cachée des nations: enquête sur
les paradis fiscaux», University of Chicago Press.. Selon les estimations du Réseau pour la justice fiscale, entre 21 et 32 billions de dollars seraient cachés offshore, protégés par un fort secret bancaire et soumis à une fiscalité réduite ou nulle 
			(17) 
			James
S. Henry, «The Price of Offshore Revisited», Tax Justice Network,
juillet 2012, <a href='http://www.taxjustice.net/wp-content/uploads/2014/04/Price_of_Offshore_Revisited_120722.pdf'>www.taxjustice.net/wp-content/uploads/2014/04/Price_of_Offshore_Revisited_120722.pdf.</a>.
16. A ce jour, il n’existe pas de définition précise de la notion de paradis fiscal. Le Fonds monétaire international (FMI), par exemple, retient trois grands critères: l’orientation des activités financières essentiellement vers les non-résidents, un environnement réglementaire favorable (exigences de supervision et communication d’informations minimales) et l’absence de taxes ou leur très faible niveau 
			(18) 
			Zoromé A., document
de travail du FMI, «Concept of Offshore Financial Centers: In Search
of an Operational Definition», avril 2007.. Il qualifie de «paradis fiscal», «un pays ou une juridiction qui fournit des services financiers aux non-résidents à une échelle sans commune mesure avec la taille et le financement de son activité domestique». D’autres organes internationaux ont établi leur propre définition des centres financiers offshore.
17. L’une des manières de traiter de façon globale le problème des paradis fiscaux consiste à s’attaquer directement au secret des centres financiers offshore et à l’infrastructure qui le crée au niveau mondial. Pour cela, il faut commencer par identifier de manière aussi précise que possible les juridictions qui font de l’offre de services financiers offshore protégés par le secret leur domaine d’activité. C’est cette fonction que remplit par exemple l’Indice d’opacité financière calculé par le Réseau pour la justice fiscale (Tax Justice Network), qui classe les juridictions selon leur degré d’opacité et l’ampleur de leurs activités financières extraterritoriales. Cet outil livre des enseignements utiles sur le secret financier international et les flux financiers illicites ou la fuite de capitaux 
			(19) 
			Financial
Secrecy Index, Tax Justice Network<a href='http://www.financialsecrecyindex.com/introduction/introducing-the-fsi'>,
www.financialsecrecyindex.com/introduction/introducing-the-fsi.</a>. Dans le classement 2015, la Suisse occupe la première place avec 6,5 billions de dollars d’actifs gérés, dont 51 % proviennent de l’étranger. Le Luxembourg, l’Allemagne, le Royaume-Uni et Panama figurent parmi les 15 pays dont l’indice d’opacité financière est le plus élevé. Si les territoires britanniques d’outre-mer ou dépendances de la Couronne étaient évalués ensemble, le Royaume-Uni serait en tête du classement.
18. Des catégories très diverses de personnes et d’organisations se tournent vers les paradis fiscaux à des fins légales ou illégales: contournement de la réglementation, réduction du montant de l’impôt dû par le jeu des prix de transfert, blanchiment d’argent, activités criminelles ou fraude fiscale. Les multinationales ont souvent recours à des sociétés offshore pour transférer artificiellement leurs bénéfices depuis des juridictions à fiscalité forte vers des juridictions à fiscalité faible par diverses techniques comme le transfert des dettes vers les juridictions à fiscalité forte. Les sociétés utilisent les paradis fiscaux en toute légalité pour minimiser l’impôt dû (évasion fiscale) dans le cadre de ce que l’on appelle les «dispositifs d’optimisation fiscale agressive» et par le biais de sociétés-écrans pour simplifier la détermination des prix de transfert.
19. Les personnes physiques peuvent se soustraire à l’impôt sur les revenus passifs comme les intérêts, dividendes et plus-values, en ne déclarant pas les revenus perçus à l’étranger. Tant que le secret existera, il est probable que non seulement les fraudeurs à l’impôt, mais aussi les blanchisseurs de capitaux, les criminels et les hommes politiques corrompus continueront de passer par les pays qui le pratiquent pour dissimuler leurs actifs. Le nœud du problème est donc le secret et plus généralement, l’opacité.
20. Derrière les «Panama Papers», il y a aussi des victimes et des exemples choquants. Les documents ont ainsi révélé que Mossack Fonseca avait créé trois sociétés pour le compte d’Andrew Mogilyansky, riche homme d’affaires russo-américain, avant que le service de conformité de la société ne découvre en 2014 que celui-ci avait été condamné pour pédophilie. Le cabinet a cependant décidé qu’il ne relevait pas de sa responsabilité légale de signaler aux autorités les activités offshore de son client. De même, les centres financiers offshore auraient joué un rôle dans le financement de crimes de guerre en Syrie. Des sociétés qui ont eu recours aux services du cabinet panaméen ont été accusées d’avoir fourni du carburant aux forces aériennes syriennes. Une société en Ouganda aurait également rémunéré Mossack Fonseca pour économiser 4 millions de dollars d’impôts. Un montant dont on notera qu’il représente plus de la totalité du budget de santé du gouvernement pour l’ensemble du pays.
21. En ce qui concerne la corruption, plusieurs grandes banques et institutions financières ont ouvert des comptes secrets pour des personnes politiquement exposées (PPE), leur permettant ainsi de s’enrichir au détriment du bien-être de leur population, et de cacher leurs profits mal acquis 
			(20) 
			Moran Harari, Markus
Meinzer et Richard Murphy, «Key Data Report: Financial Secrecy,
Banks and the Big 4 Firms of Accountants», Tax Justice Network,
octobre 2012, <a href='http://www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/FSI2012_BanksBig4.pdf'>www.taxjustice.net/cms/upload/pdf/FSI2012_BanksBig4.pdf</a>.. Lorsque des banques gèrent des comptes pour des hommes politiques ou des représentants de l’Etat corrompus (les «cleptocrates»), elles contribuent pour beaucoup à faciliter les flux financiers illicites 
			(21) 
			Robert Palmer, «Profiting
from corruption: The role and responsibility of financial institutions»,
Anti-Corruption Resource Centre, décembre 2009, <a href='http://www.cmi.no/publications/file/3537-profiting-from-corruption.pdf'>www.cmi.no/publications/file/3537-profiting-from-corruption.pdf</a>..
22. Oxfam, une confédération d’organisations non gouvernementales (ONG) travaillant dans plus de 90 pays dans le monde pour lutter contre la pauvreté, a récemment attiré l’attention sur le fait que les inégalités de revenus ont atteint un niveau record. D’après cette étude, le patrimoine cumulé des 1 % les plus riches du monde a dépassé l’an dernier celui des 99 % restants. En 2015, 62 personnes possédaient autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale, soit 3,6 milliards de personnes 
			(22) 
			Oxfam GB, «An economy
for the 1%», Oxfam International, ISBN 978-1-78077-993-5, janvier
2016.. Le réseau mondial de paradis fiscaux, qui permettent aux plus fortunés de dissimuler quelque 7,6 billions de dollars, est l’une des principales causes de cette injustice sociale. Oxfam appelle les gouvernements à prendre un engagement en faveur d’une deuxième série de réformes fiscales visant à mettre un terme aux pratiques préjudiciables, dans l’intérêt de tous les pays.
23. La lutte contre l’évasion et la fraude fiscales des sociétés et des personnes nécessite l’adoption au niveau international d’un code de conduite qui assure la transparence de la propriété et la traçabilité des actifs jusqu’à leurs bénéficiaires effectifs. Les exigences de transparence appellent un renforcement de la législation anti-blanchiment et une action internationale solide.

2.3. Blanchiment d’argent

24. L’«argent sale» est le moteur de l’économie souterraine et de la criminalité. Cette expression désigne des «sommes d’argent obtenues illégalement qui doivent être “blanchies” pour pouvoir être utilisées dans le cadre de transactions commerciales normales» 
			(23) 
			<a href='http://www.businessdictionary.com/definition/dirty-money.html'>www.businessdictionary.com/definition/dirty-money.html#ixzz3d7ThUmKq</a>.. Elle décrit souvent les «produits de la criminalité», c’est-à-dire les revenus tirés d’activités clandestines (trafic, fraude, vol, corruption, etc.) qu’il est nécessaire de soumettre à une opération de blanchiment pour en faire de l’argent propre ou neutre. Selon les estimations brutes disponibles, les volumes d’argent sale circulant d’un pays à l’autre représenteraient entre $US 1,1 et 1,6 billions par an à l’échelle mondiale 
			(24) 
			«Le talon d’Achille
du capitalisme», Raymond Baker, 2004, et «La richesse cachée des
nations», Gabriel Zucman, 2013..
25. Bien que la communauté internationale se soit dotée depuis une vingtaine d’années des moyens juridiques nécessaires à l’éradication du blanchiment d’argent, on peut s’interroger sur l’efficacité des actions menées au niveau national et international. D’ailleurs, les institutions financières ferment quelquefois les yeux sur ces pratiques. Il existe également des activités ou méthodes «limites» qui, sans être forcément illégales, sont contraires à l’éthique et préjudiciables à la société (par exemple, l’évasion fiscale, les sociétés écrans, certaines transactions immobilières et des produits financiers excessivement complexes). La création et la circulation d’argent sale gangrènent l’économie réelle européenne, provoquent des drames humains majeurs, menacent la sécurité dans nos sociétés et favorisent l’apparition de pouvoirs économiques de type mafieux qui sapent la démocratie.
26. Les mesures anti-blanchiment intéressent un nombre considérable d’acteurs nationaux:
  • les ministères, en particulier des Finances, de la Justice et de l’Intérieur;
  • les services chargés de faire respecter la loi, et notamment les services d’enquête de la police, des douanes et des gardes-frontières ainsi que les services de sécurité, le ministère public et les juges;
  • les banques centrales et les autorités de régulation financière, l’ensemble du secteur financier et notamment les établissements de crédit et autres institutions financières, le secteur des assurances, les marchés boursiers, les expéditeurs de fonds et les maisons de change;
  • Les entreprises et professions non financières désignées (EPNFD): avocats, comptables, prestataires de services aux trusts et aux sociétés, casinos, agents immobiliers et notaires;
  • le secteur à but non lucratif et les associations caritatives.
27. Les institutions centrales en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux au niveau national sont les Cellules de renseignements financiers (CRF) (ou autres autorités similaires) qui servent principalement de centres nationaux pour la réception et l’analyse des déclarations d’opérations ou d’activités suspectes transmises par les banques et autres entités déclarantes. La plupart rendent compte d’une manière ou d’une autre au gouvernement, au Président ou au parlement. Quelles que soient les procédures prévues au niveau national pour qu’elles s’acquittent de leurs obligations en la matière, les normes internationales exigent l’indépendance des CRF contre toute ingérence politique dans la prise de décisions opérationnelles.
28. Bon nombre de CRF (mais pas toutes) sont habilitées à ordonner la suspension de transactions – en général sur de courtes périodes – pour que l’analyse puisse se poursuivre sans que les fonds disparaissent. Si une CRF considère qu’un soupçon est fondé, elle transmet les résultats de son analyse aux autorités de police (ou au ministère public) pour enquête et poursuites. Dans les cas urgents, une coordination avec le ministère public sera assurée pour saisir rapidement les tribunaux afin de convertir l’ordonnance de suspension en une ordonnance judiciaire de gel.

2.4. Questions liées aux risques nationaux en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux

29. Les institutions financières et EPNFD doivent connaître les risques de blanchiment de capitaux liés aux clients avec lesquels elles traitent et appliquer des mesures pour atténuer ces risques. Les normes préventives exigent qu’elles prennent des mesures dans le cadre de leur devoir de vigilance à l’égard de la clientèle:
  • lorsqu’elles établissent des relations d’affaires;
  • lorsqu’elles effectuent des opérations occasionnelles supérieures au seuil désigné applicable;
  • lorsqu’il existe un soupçon de blanchiment de capitaux (ou de financement du terrorisme);
  • lorsqu’elles doutent de la véracité ou de la pertinence des données d’identification du client précédemment obtenues.
30. Les mesures de vigilance à l’égard de la clientèle devant être prises par les institutions financières et EPNFD sont les suivantes:
  • identifier le client (la personne avec laquelle elles traitent) et vérifier son identité;
  • identifier le bénéficiaire effectif 
			(25) 
			Dans les normes du
Groupe d’action financière (GAFI), l’expression «bénéficiaire effectif»
désigne «la ou les personnes physiques qui en dernier lieu possèdent
ou contrôlent un client et/ou la personne physique pour le compte
de laquelle une opération est effectuée. Sont également comprises
les personnes qui exercent en dernier lieu un contrôle effectif
sur une personne morale ou une construction juridique». Les expressions
«en dernier lieu possèdent ou contrôlent» et «exercent en dernier
lieu un contrôle effectif» désignent les situations où la propriété
ou le contrôle sont exercés par le biais d’une chaîne de propriété
ou par toute autre forme de contrôle autre que directe. et prendre des mesures raisonnables pour vérifier son identité;
  • comprendre et obtenir des informations sur l’objet et la nature envisagée de la relation d’affaires;
  • exercer une vigilance constante à l’égard de la relation d’affaires, afin de s’assurer que les opérations effectuées dans le cadre de celle-ci sont cohérentes avec la connaissance qu’a l’institution financière de son client, de ses activités commerciales et de son profil de risque, ce qui comprend, le cas échéant, l’origine des fonds.
31. La proposition commerciale peut impliquer un montage complexe, prévoyant éventuellement le recours à des prête-noms, des titres au porteur ou à une fiducie discrétionnaire dans une autre juridiction. Ces montages peuvent avoir comme seul but de dissimuler des produits illégaux. Il arrive encore assez souvent (et pas uniquement lorsque des opérations internationales complexes sont en jeu) que des décisions commerciales soient prises d’accepter une affaire rentable malgré les préoccupations des services de conformité quant aux risques de celle-ci (à supposer que ces services soient consultés, ce qui n’est pas toujours le cas). Lorsqu’un établissement financier prend des décisions concernant les clients et activités pouvant présenter un risque élevé, il devrait systématiquement demander l’avis du service de conformité sur le risque de blanchiment, avis qui devrait être décisif. La clientèle non résidente devrait toujours être traitée comme une clientèle à haut risque nécessitant des mesures de vigilance.
32. Le processus global d’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux peut aboutir à la publication de listes noires des pays dans lesquels il existe des insuffisances majeures en la matière et de listes gris foncé et grises des pays où les lacunes sont moindres. Le Forum mondial de l’OCDE sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales suit une approche similaire dans ses évaluations visant à améliorer la mise en œuvre des normes applicables en matière d’échange de renseignements à des fins fiscales. Le fait de figurer sur ces listes a non seulement des répercussions économiques pour les pays concernés, mais également des conséquences sur le plan de la réputation. Les parlementaires devraient être encouragés à mener avec rigueur le processus d’évaluation des risques à l’échelle nationale aux fins de la lutte contre le blanchiment de capitaux et à tenir à jour les évaluations tout en portant à l’attention des autorités compétentes, par les voies appropriées, leurs préoccupations quant à d’éventuelles lacunes.

2.4.1. Questions relevant des services répressifs

33. Les techniques d’investigation financières sont des compétences que les agents des services répressifs se doivent d’acquérir. Si les enquêteurs qui s’intéressent à l’infraction principale ne sont pas formés aux techniques les plus modernes en la matière, ils auront du mal à suivre comme il se doit les aspects financiers des enquêtes. Dans les affaires importantes mettant en jeu de grosses sommes d’argent, les enquêteurs financiers peuvent également avoir besoin d’un appui en matière de comptabilité et de profilage financier des suspects (pour mettre en évidence les écarts entre les revenus déclarés et le train de vie apparent). Il serait important que les parlementaires demandent à obtenir des estimations du nombre d’infractions graves génératrices de produits commises sur leur territoire et à connaître le nombre d’enquêteurs financiers formés et opérationnels dans leur pays.
34. Le faible nombre d’enquêteurs financiers dûment formés peut être préoccupant. Bien souvent, les services répressifs considèrent qu’il n’est tout simplement pas rentable d’investir des ressources dans les enquêtes financières, notamment lorsqu’il s’agit de retrouver la trace d’actifs transférés à l’étranger par l’intermédiaire de diverses sociétés-écrans, fiducies et autres structures d’entreprise (légitimes), car cela exige du temps et de la persévérance. Par le passé, de nombreuses enquêtes de police sur les produits du crime organisé et de la corruption ont échoué en raison de l’incapacité à retrouver les bénéficiaires effectifs des comptes à l’étranger. Soit les éléments nécessaires n’étaient tout simplement pas disponibles, car ils n’avaient pas été demandés par les institutions financières qui détenaient les fonds, soit ils n’avaient pas été conservés par les avocats (ou autres prestataires de services) qui avaient constitué les sociétés ou fiducies à l’étranger. Et lorsque ces informations avaient été demandées, elles n’avaient pas nécessairement été vérifiées ou tenues à jour.
35. De manière générale, la formation professionnelle dans le domaine de l’investigation financière doit être renforcée au niveau national et les pays doivent consacrer davantage de ressources à ce type d’enquêtes. Les parlementaires devraient contrôler avec les autorités compétentes la capacité des services répressifs nationaux à obtenir des renseignements couverts par le secret financier suffisamment tôt dans toutes les enquêtes portant sur des faits de blanchiment d’argent ou des infractions graves de nature à générer des produits, ainsi que dans les demandes de confiscation connexes. Les services répressifs et les procureurs devraient évaluer plus souvent les dispositions législatives applicables et faire part de toute difficulté aux responsables politiques chargés de l’élaboration des lois, afin de modifier celles-ci ou de faire en sorte que l’accès à ces renseignements soit systématiquement assuré à un stade suffisamment précoce dans les enquêtes sur les produits de la criminalité.

3. Instruments internationaux de lutte contre le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale

36. Il existe aujourd’hui une multitude de normes internationales dans le domaine de la lutte contre l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent. Dans la plupart des pays, la volonté politique de les adopter et de les faire respecter n’est pas mise en cause: en général, le choix du moment auquel cela sera fait n’est qu’une question de planification et de calendrier législatif. C’est plutôt leur mise en œuvre effective dans tous les secteurs (judiciaire, répressif et financier) qui pose le plus de difficultés aux Etats aujourd’hui. En théorie, lorsque les Etats auront apporté à leur législation tous les changements nécessaires pour donner suite aux initiatives en cours au niveau international, la plupart des pays européens devraient disposer d’un solide arsenal de mesures tant au plan répressif (pénal) que préventif.
37. Les travaux normatifs permanents des Nations Unies, de l’OCDE, des institutions européennes et du Groupe d’action financière (GAFI) imposent aux Etats de mettre régulièrement à jour leurs régimes de lutte contre le blanchiment de capitaux afin de se doter des bases juridiques, des systèmes et des outils optimaux nécessaires pour lutter plus efficacement contre le blanchiment de capitaux. Les pays européens sont en train de modifier leur réglementation pour tenir compte des Recommandations révisées de 2012 du GAFI et de la Directive (UE) 2015/849 (4e Directive européenne) 
			(26) 
			Directive
(UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système
financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement
du terrorisme..

3.1. Résolution 1881 (2012) de l’Assemblée parlementaire

38. Comme indiqué précédemment, l’Assemblée parlementaire a traité la question des paradis fiscaux dans sa Résolution 1881 (2012) «Promouvoir une politique appropriée en matière de paradis fiscaux». Elle a proposé toute une série de mesures et notamment le renforcement des pressions exercées sur les juridictions adeptes du secret et les paradis fiscaux pour éliminer progressivement le secret bancaire à des fins fiscales, l’obligation des multinationales de rendre compte, pays par pays, de leur activité dans tous les secteurs et l’interdiction de la détention de comptes anonymes, de la tenue de comptabilité hors bilan et des actions au porteur. L’importance de connaître publiquement le bénéficiaire final de toutes les entités (notamment des fiducies et fonds) a été soulignée, tout comme la nécessité d’une harmonisation des pratiques fiscales en Europe et au-delà. Il a également été recommandé aux Etats membres de s’orienter vers l’échange automatique d’informations en matière fiscale. Enfin, l’Assemblée parlementaire a appelé à exercer davantage de pression, notamment à l’égard des Etats qui ont une influence directe sur les juridictions adeptes du secret et les paradis fiscaux, pour renforcer leur coopération en matière fiscale.

3.2. G20 et OCDE

39. Les organes internationaux comme le G20 (Groupe de 20 chefs d’Etat ou de gouvernement, ministres des Finances et gouverneurs des banques centrales) et l’OCDE ont intensifié leurs efforts concertés pour obtenir une vision plus réaliste de la répartition des revenus et actifs dans le monde. En 2009, les leaders du G20 ont placé la transparence au cœur de leur réponse à la crise économique mondiale. Aujourd’hui, la plupart des gouvernements se sont engagés à faire en sorte que les renseignements financiers soient aisément accessibles.
40. Dans sa déclaration du 18 avril 2016, le G20 a invité le GAFI et le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales à formuler des propositions pour améliorer la mise en œuvre des normes internationales en vigueur en matière de transparence, notamment en ce qui concerne la fourniture et l’échange international de renseignements sur les bénéficiaires effectifs.
41. Les ministres des Finances du G20 réunis à Washington les 14 et 15 avril 2016 ont demandé instamment à tous les pays concernés, et notamment à tous les centres financiers et juridictions, de s’engager à mettre en œuvre la Norme d’échange automatique de renseignements (AEOI) dès 2017 et 2018, et l’OCDE a été invitée à établir des critères objectifs visant à identifier les juridictions non coopératives. Les pays du G20 ont été appelés à envisager des mesures de défense pour celles dans lesquelles aucun progrès n’aura été constaté lors de l’évaluation réalisée par le Forum mondial.
42. Le Forum mondial examine les lois en vigueur dans les pays en matière d’échange de renseignements, évalue l’efficacité de ces échanges et attribue des notes de conformité. L’OCDE a élaboré des normes relatives à l’échange de renseignements sur demande (EOIR) et plus récemment les Normes communes de déclaration et de diligence raisonnable (NCD) qui prévoient l’échange automatique entre autorités fiscales des renseignements relatifs aux comptes financiers (AEOI) 
			(27) 
			OECD Secretary-General
Report to G20 Finance Ministers – Update on tax transparency, Washington
D.C., Etats-Unis, avril 2016, <a href='https://www.oecd.org/tax/oecd-secretary-general-tax-report-g20-finance-ministers-april-2016.pdf'>https://www.oecd.org/tax/oecd-secretary-general-tax-report-g20-finance-ministers-april-2016.pdf.</a>. A ce jour, le Forum mondial compte 135 juridictions membres, dont 43 des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe (manquent la Bosnie-Herzégovine, la République de Moldova, le Monténégro et la Serbie).
43. Les 132 membres du Forum mondial se sont engagés à mettre en œuvre la norme de transparence fiscale pour l’EOIR et 94 juridictions ont fait l’objet d’une évaluation de leur conformité avec cette norme dans le cadre d’un processus rigoureux d’examen par les pairs. Une première série d’examens sera achevée d’ici la fin 2016. Lors de la deuxième série d’examens, les juridictions seront évaluées conformément au mandat révisé, en tenant notamment compte des exigences de fourniture de renseignements sur les bénéficiaires effectifs. L’OCDE s’est félicitée de l’adhésion de 98 juridictions aux NCD pour l’AEOI, dont récemment Nauru et Vanuatu. Deux centres financiers, Panama et Bahreïn, doivent encore le faire (en mai 2016, Panama s’est engagé à mettre en œuvre la NCD à partir de 2018) 
			(28) 
			Echange de vues avec
M. Boudewijn Van Looij, analyste des politiques fiscales, OCDE,
23 juin 2016..
44. Près de 100 pays et juridictions sont maintenant couverts par la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (STE no 127) qui constitue l’instrument juridique le plus complet pour faciliter la mise en œuvre des engagements en faveur de la transparence fiscale. Cette convention a été élaborée conjointement par l’OCDE et le Conseil de l’Europe en 1988 et modifiée par un Protocole en 2010 (STCE no 208).
45. Une autre initiative importante est le projet BEPS (Erosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices) de l’OCDE et du G20 pour favoriser la transparence et l’échange de renseignements entre juridictions à des fins fiscales. On entend par «érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices» les stratégies qui exploitent les failles et les différences de réglementation en matière fiscale pour transférer artificiellement des bénéfices dans des pays ou territoires à fiscalité réduite ou nulle. Le cadre inclusif rassemble plus de 100 pays et juridictions qui travaillent en collaboration pour mettre en œuvre les mesures BEPS.
46. Les normes élaborées par l’OCDE et entérinées par le G20 et le reste de la communauté internationale sont solides. Elles ont déjà permis de réaliser d’importants progrès puisque plus d’un demi-million de contribuables ont déclaré leurs actifs détenus offshore à l’administration fiscale de leur pays de résidence et au moins 50 milliards d’euros de recettes supplémentaires ont été comptabilisés dans les pays qui ont mis en place des programmes de déclaration volontaire et des initiatives similaires.
47. Cela dit, des efforts doivent encore être faits pour assurer une mise en œuvre effective et globale des normes de l’OCDE. Il convient également de noter que le Forum mondial, dont les travaux sont beaucoup utilisés, n’est pas une autorité de contrôle et n’apporte pas l’assurance que les normes continueront d’être respectées 
			(29) 
			Initiatives européennes
pour la suppression des paradis fiscaux et les transactions financières offshore et impact de ces constructions
sur les ressources et le budget propres de l’Union (European initiatives
on eliminating tax havens and offshore financial transactions and
the impact of these constructions on the Union’s own resources and
budget), 2013, <a href='http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/cont/dv/staes_study/staes_studyen.pdf'>www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/cont/dv/staes_study/staes_studyen.pdf</a>..

3.3. Union européenne

48. L’Union européenne est aux avant-postes de la lutte contre le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale et la fraude fiscale. Ces dernières années, elle a adopté une nouvelle législation sur le blanchiment d’argent – qui prévoit notamment la création de registres des sociétés –, sur la coopération entre administrations fiscales pour mettre en œuvre la nouvelle norme internationale d’échange automatique de renseignements fiscaux, ainsi que sur le secteur bancaire (Directive IV 2013 sur les exigences de fonds propres), obligeant les grandes banques européennes à divulguer le montant de leurs règlements effectués au titre des impôts et à respecter des règles de vigilance en ce qui concerne l’identification de leurs clients. La Commission européenne a également présenté deux paquets de mesures, l’un en faveur de la transparence en 2015 et l’autre contre l’évasion fiscale en 2016 
			(30) 
			<a href='http://www.greens-efa.eu/fileadmin/dam/Documents/TAXE_committee/Outome_of_the_political_meeting_with_the_presence_of_LS__24052016_CLEAN.pdf'>www.greens-efa.eu/fileadmin/dam/Documents/TAXE_committee/Outome_of_the_political_meeting_with_the_presence_of_LS__24052016_CLEAN.pdf.</a>.
49. Ce dernier contient un ensemble d’initiatives visant à renforcer et à mieux coordonner l’action de l’Union contre les pratiques fiscales abusives auxquelles se livrent les entreprises, au sein du marché unique et au-delà. Il repose sur trois grands piliers: une imposition effective, la transparence fiscale et la réduction du risque de double imposition.
50. Le paquet de mesures contient plusieurs initiatives législatives et non législatives visant à aider les Etats membres à protéger leur base d’imposition, à créer un environnement équitable et stable pour les entreprises et à préserver la compétitivité de l’Union européenne à l’égard des pays tiers. Il se compose d’une directive sur la lutte contre l’évasion fiscale, qui propose une série de mesures de lutte contre l’évasion fiscale juridiquement contraignantes, que tous les Etats membres devront mettre en œuvre pour contrecarrer les principaux mécanismes de planification fiscale agressive et d’une recommandation sur les conventions fiscales, qui indique aux Etats membres les moyens de rendre leurs conventions fiscales plus étanches aux pratiques abusives utilisées par ceux qui se livrent à la planification fiscale agressive, d’une manière conforme à la législation de l’Union européenne. Il contient également une révision de la directive sur la coopération administrative, qui introduit un système d’échange de déclarations pays par pays entre les autorités fiscales sur les principales informations relatives à la fiscalité des multinationales 
			(31) 
			Commission
européenne – Fiche d’information: Paquet de mesures contre l’évasion
fiscale – Questions et réponses (mise à jour), Bruxelles, 21 juin 2016, <a href='http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-16-2265_en.htm'>http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-16-2265_en.htm.</a>.
51. Après le scandale des «Panama Papers», l’Union européenne a commencé à analyser les informations disponibles et à prendre des mesures concrètes. En juillet 2016, la commission d’enquête spéciale (PANA) chargée d’examiner les éventuelles violations du droit de l’Union européenne par les personnes mentionnées dans ces documents, a tenu sa première réunion 
			(32) 
			Daniel Mützel, «Panama
Papers parliament committee keen to avoid LuxLeaks mistakes», ‎13‎ ‎juillet ‎2016, <a href='http://www.euractiv.com/section/euro-finance/news/'>www.euractiv.com/section/euro-finance/news/</a>.. Cette commission devra également déterminer quels Etats membres n’ont pas transposé les règles de l’Union européenne dans leur droit interne et permis aux évadés fiscaux de se livrer à des pratiques illicites. Elle se compose de 65 membres et dispose d’un délai de 12 mois pour mener à bien ses travaux. Elle pourra prendre connaissance des dossiers liés à l’affaire et convoquer des membres de haut niveau de la Commission européenne et des gouvernements des Etats membres à des auditions auxquelles ils devront obligatoirement être présents. Un rapport final sera publié pour présenter les conclusions de la Commission.
52. La Directive (UE) 2015/849 vise à renforcer les règles de l’Union européenne en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Elle met l’accent sur l’évaluation des risques et adopte une approche fondée sur les risques; autrement dit, les règles de vigilance qu’elle impose varient en fonction du niveau de risque. Elle définit des exigences minimales, laissant aux Etats membres la faculté d’imposer des obligations plus strictes s’ils le jugent nécessaire.
53. En conformité avec les normes du GAFI, la 4e Directive sur le blanchiment d’argent demande aux Etats membres de l’UE de veiller à ce que les entités constituées sur leur territoire conservent des informations suffisantes, exactes et actuelles sur leurs bénéficiaires effectifs et sur leur propriétaire légal. La directive va plus loin que le GAFI en exigeant des personnes morales qu’elles transmettent ces informations à un registre central. Elle demande également aux Etats membres de veiller à ce que leurs autorités compétentes et CRF soient en mesure de fournir en temps utile ces informations aux autorités compétentes et aux CRF d’autres Etats membres, sans toutefois fixer de délai pour l’accès au registre par les services répressifs.
54. La directive étend également le champ des obligations de vigilance. Pour les personnes négociant des biens, le seuil des transactions en espèces est abaissé à € 10 000 et les personnes politiquement exposées (PPE) nationales et étrangères font l’objet de mesures de vigilance renforcées. Tous les Etats membres de l’UE devront avoir transposé la Directive dans leur droit interne d’ici juillet 2017 
			(33) 
			A Guide to Directive
(EU) 2015/849 of 20 May 2015 on the prevention of the use of the
financial system for the purposes of money laundering or terrorist
financing<a href='http://www.cepi-cei.eu/index.php?mact=Profile,cntnt01,downloadfile,0&cntnt01returnid=400&cntnt01uid=5616455196376&cntnt01showtemplate=false&hl=fr'>,
www.cepi-cei.eu/.</a>.

3.4. Convention de Varsovie du Conseil de l’Europe

55. La Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198, «Convention de Varsovie»), a été ouverte à la signature en 2005. Elle a recueilli jusqu’ici 26 ratifications et doit donc encore être ratifiée par 21 Etats membres du Conseil de l’Europe.
56. De plus en plus de pays européens sont à la recherche de solutions législatives innovantes pour s’attaquer aux cas de richesse inexpliquée dans leurs sociétés. Ils savent que la confiance dans la capacité de leurs autorités nationales à faire respecter la primauté du droit est mise en péril lorsque les citoyens voient que certaines personnes sont à la tête d’un patrimoine important, mais d’origine indéterminée. La Convention de Varsovie contient un article important concernant le renversement de la charge de la preuve. Elle prévoit l’adoption par les Etats Parties des mesures législatives ou autres qui se révèlent nécessaires pour exiger, en cas d’une infraction grave telle que définie par son droit interne, que l’auteur établisse l’origine de ses biens, suspectés d’être des produits ou d’autres biens susceptibles de faire l’objet d’une confiscation, dans la mesure où une telle exigence est compatible avec les principes de son droit interne. Il est également intéressant de noter que les pays qui obtiennent les meilleurs résultats dans la lutte contre le crime organisé et la corruption grâce à des ordonnances de confiscation d’importants actifs sont ceux qui ont adopté des dispositions de renversement de la charge de la preuve dans les affaires graves.
57. La plupart des pays peuvent, par ordonnances judiciaires appropriées, autoriser l’accès aux historiques bancaires dans le cadre des enquêtes. Une autre technique particulièrement utile dans les investigations financières, qui n’est toutefois pas accessible aux services répressifs dans tous les pays, est celle des ordonnances de surveillance financière «préventive» grâce auxquelles l’activité sur un compte peut être suivie en temps réel pendant une période déterminée, au stade de l’instruction. La Convention de Varsovie oblige les Etats membres à adopter des mesures pour que cette technique d’investigation puisse être appliquée aux renseignements bancaires à des fins d’enquêtes nationales ou de coopération internationale avec d’autres Etats Parties.
58. Il convient également de noter que de nombreux pays européens affichent des performances insuffisantes en ce qui concerne les condamnations lourdes pour blanchiment d’argent et le recouvrement d’avoirs importants. C’est d’ailleurs pour aider les services répressifs et le ministère public à obtenir de meilleurs résultats en la matière que certains des pouvoirs énoncés dans la Convention de Varsovie vont au-delà des normes internationales en vigueur, et c’est pour cette raison que la convention doit être ratifiée rapidement par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.

3.5. Groupe d’action financière

59. Le Groupe d’action financière (GAFI) est un organe intergouvernemental établi en 1989 à l’initiative du G7 pour élaborer des politiques de lutte contre le blanchiment d’argent. En 2001, son mandat a été étendu à la lutte contre le financement du terrorisme.
60. Le GAFI a pour mandat d’élaborer des normes et de promouvoir la mise en œuvre efficace de mesures législatives, réglementaires et opérationnelles pour lutter contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme, le financement de la prolifération ainsi que les autres menaces connexes pour l’intégrité du système financier international. Les Normes du GAFI comprennent les Recommandations proprement dites et leurs notes interprétatives, ainsi qu’un glossaire des définitions applicables 
			(34) 
			Normes
internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et
le financement du terrorisme et de la prolifération (Recommandations
du GAFI), février 2012 (version mise à jour 2016): <a href='http://www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/recommendations/pdfs/FATF_Recommendations.pdf'>www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/recommendations/pdfs/FATF_Recommendations.pdf.</a>. Pour suivre les progrès réalisés par ses pays membres dans la mise en œuvre de ses Recommandations, le GAFI a recours à une procédure dite d’«évaluations mutuelles» (une forme d’examen par les pairs).
61. Les pays disposant de cadres juridiques, administratifs et opérationnels et de systèmes financiers différents, ils ne peuvent pas tous adopter des mesures identiques pour parer à ces menaces. Les recommandations du GAFI constituent des normes internationales que les pays devraient mettre en œuvre au moyen de mesures adaptées à leur situation particulière. Elles définissent les mesures essentielles que les pays devraient mettre en place pour:
  • identifier les risques et développer des politiques et une coordination au niveau national;
  • agir contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération;
  • mettre en œuvre des mesures préventives pour le secteur financier et les autres secteurs désignés;
  • doter les autorités compétentes (par exemple, les autorités chargées des enquêtes, les autorités de poursuite pénale et les autorités de contrôle) des pouvoirs et des responsabilités nécessaires et mettre en place d’autres mesures institutionnelles;
  • renforcer la transparence et la disponibilité des informations sur les bénéficiaires effectifs des personnes morales et des constructions juridiques;
  • faciliter la coopération internationale.
62. Le GAFI appelle tous les pays à mettre en œuvre des mesures efficaces pour mettre leurs systèmes nationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux en conformité avec ses Recommandations révisées.

3.6. Personnes politiquement exposées

63. Selon la définition du GAFI, l’expression «personnes politiquement exposées (PPE)» étrangères désigne les personnes qui exercent d’importantes fonctions publiques dans un pays étranger. Depuis 2003, le GAFI demande à toutes les institutions financières et EPNFD de prendre des mesures de vigilance renforcée à l’égard de toutes les PPE étrangères, les membres de leur famille et les personnes qui leur sont étroitement associées. Le GAFI ne définit pas une durée maximale au-delà de laquelle une personne qui n’exerce plus ses importantes fonctions publiques doit cesser d’être considérée comme une PPE.
64. De nombreuses PPE exerçant des fonctions officielles hors d’Europe ont fait l’objet d’enquêtes ou ont été reconnues comme ayant été impliquées dans des affaires de pots-de-vin ou de pillage des actifs publics de leur propre Etat. Ces fonds se sont trop souvent retrouvés dans des banques européennes. Dans son rapport annuel de 2013, la FCA (Financial Conduct Authority) britannique indiquait qu’un tiers des banques inspectées n’identifiaient pas les PPE. Trois quarts des banques examinées n’établissaient pas non plus l’origine du patrimoine des PPE et, du point de vue du régulateur, se fondaient trop sur les explications fournies par les clients eux-mêmes. Ces problèmes d’identification de l’origine du patrimoine des PPE ne sont pas spécifiques au Royaume-Uni: on les retrouve dans bien d’autres pays.
65. La 4e Directive exige des entités assujetties qu’elles prennent en considération, pendant au moins 12 mois, le risque que continuent de poser les PPE qui ont cessé d’exercer une fonction publique importante. Il est considéré qu’une application stricte de la limite de 12 mois n’est pas compatible avec les normes du GAFI et que les Etats devraient encourager leurs institutions financières à définir la durée des mesures de vigilance renforcées à l’égard de ces personnes au cas par cas, sur la base d’une appréciation de ce risque.
66. Dans le cadre des mesures de vigilance renforcées, les entités assujetties doivent disposer de systèmes de gestion des risques pour déterminer si le client ou le bénéficiaire effectif est une PEP, obtenir l’autorisation de la haute direction d’établir ou de poursuivre une relation d’affaires avec ces personnes, prendre des mesures raisonnables pour établir l’origine de leur patrimoine et de leurs fonds et assurer une surveillance continue renforcée à l’égard de ladite relation d’affaires.
67. Les pays doivent veiller à ce que les institutions financières et EPNFD fassent preuve de vigilance pour repérer les PEP, les membres de leur famille et les personnes qui leur sont étroitement associées, qu’elles appliquent avec rigueur les mesures renforcées nécessaires (notamment pour ce qui est d’établir l’origine du patrimoine) et soumettent les comptes en question à une surveillance renforcée permanente. Les autorités de contrôle devraient suivre activement ces mesures renforcées dans le cadre de leurs inspections et appliquer des sanctions proportionnées et dissuasives lorsque des manquements sont constatés. Il est également recommandé aux Etats de ne pas imposer une limite unique à la durée pendant laquelle une PPE devrait continuer à être considérée comme telle une fois qu’elle a cessé d’exercer ses fonctions publiques. Les institutions financières sont tenues de répondre aux demandes de conservation des registres bancaires dans des affaires impliquant des PPE afin que ceux-ci puissent servir dans le cadre des poursuites. A cet égard, il pourrait être utile de prolonger le délai normal de conservation des archives par les institutions financières qui s’occupent de comptes pour des PPE (actuellement de cinq ans au minimum) pour le porter à 8-10 ans.

4. Conclusions et recommandations

68. L’impôt est une ressource économique essentielle des Etats démocratiques. En tant que contribuables respectueux de la loi, la majorité des citoyens sont attachés à la justice fiscale. Or, dans de nombreux pays à travers le monde, les politiques fiscales sont conçues par des lobbys très puissants pour le compte des plus riches, ce qui prive les gouvernements des ressources nécessaires pour s’acquitter de leurs obligations, par exemple celle de faire respecter le droit de leurs citoyens à des services publics essentiels. Le paiement de l’impôt est quasiment devenu une activité facultative pour les plus aisés – les personnes et sociétés les plus riches pouvant se permettre de recourir aux paradis fiscaux pour ne pas avoir à s’acquitter de leurs obligations envers le reste de la société.
69. Il ne sert à rien, chacun en conviendra, de chercher à mettre en place des solutions fiscales universellement acceptables si leur mise en œuvre n’est pas assurée au niveau international. Le scandale des «Panama Papers» a démontré qu’en dépit des progrès réalisés ces dernières années dans la mise en place de normes internationales solides en faveur de la transparence fiscale, le voile du secret continue de porter préjudice à nos sociétés, que ce soit par des pratiques «légitimes» d’optimisation fiscale agressive et d’évasion fiscale, par la dissimulation de revenus pour échapper à l’impôt ou par la commission d’autres infractions financières graves comme le blanchiment d’argent. C’est pourquoi la question de la transparence fiscale est aujourd’hui plus que jamais au cœur des préoccupations politiques.
70. Comme cela a été souligné dans le présent rapport, le problème n’est pas l’absence de normes, mais le caractère encore insuffisant de leur mise en œuvre. L’Assemblée parlementaire devrait inviter les organes internationaux comme l’OCDE, le Fonds monétaire international, la Commission européenne et le G20 à procéder à une analyse approfondie de la législation et des pratiques pour en recenser les lacunes et aider les pays à assurer leur conformité technique aux normes internationales tout en apportant les outils et les orientations pratiques nécessaires à la mise en œuvre harmonisée de ces normes au niveau mondial.
71. Toutes les infractions économiques sont commises à des fins lucratives. Le blanchiment d’argent permet à ceux qui le pratiquent, que ce soit des individus isolés ou des groupes criminels très organisés, de conserver et d’accroître les gains tirés de leurs activités criminelles. Il alimente les flux de trésorerie de ceux qui se livrent à la corruption, à la traite d’êtres humains ou au trafic de stupéfiants et leur fournit des capitaux d’investissement tout en les incitant à commettre de nouveaux crimes générateurs de profits. L’Assemblée parlementaire devrait encourager les Etats membres à redoubler d’efforts pour se mettre en conformité avec les normes internationales et accroître la pression sur les autorités nationales pour qu’elles obtiennent de meilleurs résultats en matière de lutte contre le blanchiment d’argent.
72. La corruption nuit à la responsabilité démocratique et à l’Etat de droit, limite injustement l’accès aux ressources et services publics, pille les richesses nationales et porte préjudice à l’activité économique légale. Elle constitue également un grave affront aux droits humains. Rétablir l’intégrité des systèmes financiers, fiscaux et gouvernementaux et renforcer la confiance accordée à ces derniers, est devenu une question de survie pour nos institutions démocratiques. Par conséquent, nous devons recommander que soit traité sans plus attendre le problème des personnes politiquement exposées qui ont recours aux paradis fiscaux pour échapper à l’impôt et procéder au blanchiment de leurs produits illégaux.