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Résolution 2130 (2016)

Enseignements à tirer de l’affaire des «Panama Papers» pour assurer la justice sociale et fiscale

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 11 octobre 2016 (31e séance) (voir Doc. 14141 et addendum, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteur: M. Stefan Schennach; Doc. 14165, avis de la commission des questions politiques et de la démocratie, rapporteur: M. Dirk Van der Maelen; et avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Mart van de Ven). Texte adopté par l’Assemblée le 11 octobre 2016 (31e séance).

1. Le scandale des «Panama Papers» a dévoilé au grand jour les pratiques courantes de dissimulation de revenus et d’actifs imposables dans des paradis fiscaux par l’intermédiaire de sociétés-écrans et de comptes secrets. Ces révélations ont exacerbé le sentiment d’indignation qui couvait dans l’opinion publique depuis plusieurs années: aujourd’hui plus que jamais, il est devenu inacceptable aux yeux des citoyens que des systèmes juridiques permettent à de grandes sociétés et aux plus riches de se soustraire facilement à leurs obligations fiscales, et à d’autres de dissimuler des profits mal acquis, tandis qu’eux s’acquittent de leur impôt sur des revenus stagnants, voire en baisse. Les «Panama Papers» ont érodé la confiance des citoyens dans les systèmes démocratiques, financiers et fiscaux tout entiers, mettant ainsi en péril les valeurs fondamentales de la société européenne, notamment la justice sociale et fiscale.
2. L’Assemblée parlementaire est vivement préoccupée par l’ampleur de l’optimisation fiscale, de l’évasion fiscale, voire de la fraude fiscale dans les sociétés modernes: aujourd’hui, ces pratiques concernent même des sociétés et des personnalités publiques bien connues, lesquelles devraient au contraire être des modèles d’éthique. Du point de vue de l’Assemblée, il faut introduire davantage d’éthique dans les milieux politiques et le monde des affaires pour protéger les systèmes économiques, sociaux et démocratiques. L’Assemblée appelle à garantir la transparence des activités commerciales des responsables politiques, dans la mesure où les rapports opaques entre les entreprises et la politique minent la confiance des citoyens dans les structures démocratiques.
3. Le droit d’accès à l’information est un droit fondamental garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), qui s’applique aux données détenues par les organismes du secteur public et dans certains cas par des organismes du secteur privé. A cet égard, l’Assemblée encourage vivement les enquêteurs à rendre publiques toutes les données constituant les «Panama Papers» pour permettre à la police et à la justice de chaque pays de mener leurs propres enquêtes nationales et de traduire en justice tous ceux qui auraient été mêlés à des activités illégales, notamment de corruption et de fraude fiscale.
4. L’Assemblée souligne le rôle important des lanceurs d’alerte, dont la protection est cruciale pour renforcer la lutte contre la corruption. Elle renvoie à ses Résolution 1729 (2010) et Résolution 2060 (2015) sur la protection des donneurs d’alerte, et demande instamment à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe de protéger comme il convient les personnes qui signalent des comportements répréhensibles pour le bien de nos sociétés.
5. L’Assemblée considère que la lutte contre la fraude fiscale, l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale requiert de nouvelles normes juridiques ou techniques; cependant, le plus urgent est la mise en œuvre effective des normes existantes. Par conséquent, l’Assemblée recommande aux Etats membres:
5.1. de donner des suites concrètes à sa Résolution 1881 (2012) «Promouvoir une politique appropriée en matière de paradis fiscaux»;
5.2. de rejoindre, s’ils ne l’ont pas encore fait, le Forum mondial de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, et de mettre en œuvre l'échange automatique de renseignements de l’OCDE relatifs aux comptes financiers en matière fiscale sur une base multilatérale et par le biais d'accords multilatéraux plutôt que bilatéraux;
5.3. de mettre en place au niveau national des systèmes fiscaux solides, transparents, stables et équitables, n’imposant pas de formalités administratives trop lourdes et prévoyant des mesures de lutte contre la corruption pour encourager les sociétés et les personnes physiques à maintenir leurs actifs dans leur pays de résidence;
5.4. d’accroître la transparence en établissant un registre central et accessible au public des bénéficiaires effectifs de toutes les sociétés, fondations et fiducies (trusts), auquel tout changement quant à la propriété effective de la structure devra obligatoirement être signalé dans un délai raisonnable, sous peine de sanctions dissuasives pour non-respect;
5.5. de maintenir une étroite coopération avec le Fonds monétaire international, l’OCDE, les Nations Unies et la Commission européenne pour améliorer les modèles fiscaux existants et répondre aux nouveaux défis qui se présentent;
5.6. de consacrer davantage de ressources aux enquêtes financières au niveau national et de renforcer la formation des policiers, des procureurs et des juges concernés aux techniques modernes d’investigation financière;
5.7. d’accroître l’échange international d’informations et de bonnes pratiques concernant les techniques d’investigation financière;
5.8. d’envisager des modifications de la législation afin que l’accès aux renseignements financiers soit systématiquement assuré à un stade suffisamment précoce dans les enquêtes sur les produits de la criminalité;
5.9. de prévoir des sanctions plus sévères pour les banques et les entités juridiques qui facilitent la fraude fiscale, notamment la suspension ou le retrait temporaire des licences d'exploitation, ainsi que le gel des comptes et des avoirs;
5.10. de faire en sorte que les lignes directrices de l'OCDE relatives à l'érosion de la base d'imposition et au transfert de bénéfices (BEPS), qui ont déjà été approuvées par les pays de l'OCDE et du G20, deviennent la nouvelle norme mondiale;
5.11. d'encourager l'OCDE à réexaminer, avec le Conseil de l'Europe, leur Convention conjointe concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale (STE no 127), dans le but de faciliter la création d'un organisme international de coordination fiscale sous les auspices de l'OCDE, qui serait en mesure d'imposer des sanctions;
5.12. d’élaborer également, conjointement avec l’OCDE, de nouvelles dispositions internationales qui permettent l’imposition directe des revenus et des avoirs des entreprises installées dans les paradis fiscaux, de manière à court-circuiter les personnes physiques et morales qui les mettent en place et à lever les obstacles juridiques existants à cette imposition directe, soit au moyen d’une nouvelle convention, soit dans le cadre de la révision de l’actuelle Convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale;
5.13. de signer et de ratifier la Convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale et son Protocole d'amendement de 2010 (STCE no 208), s’ils ne l’ont pas encore fait.
6. Pour lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux, l’Assemblée recommande aux Etats membres:
6.1. de ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198, «Convention de Varsovie») et d’assurer sa mise en œuvre effective;
6.2. d’assurer l’application effective et la conformité technique aux normes existantes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, parmi lesquelles les recommandations du Groupe d’action financière adoptées en 2012 et la Directive (UE) 2015/849 (4e directive européenne) dans les secteurs judiciaire, répressif et financier;
6.3. de poursuivre avec rigueur le processus d’évaluation du risque en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et de signaler aux autorités compétentes toute préoccupation concernant d’éventuelles lacunes;
6.4. de veiller à ce qu’il existe au niveau national une cellule de renseignement financier (CRF) efficace et indépendante, libre de toute ingérence politique dans la prise de décisions opérationnelles;
6.5. de veiller à ce que les banques et autres institutions financières appliquent des mesures de vigilance renforcées du plus haut niveau à l’égard des dossiers internationaux complexes et des clients qui présentent un risque potentiellement élevé; l’avis du service responsable de la conformité devra être déterminant dans le processus décisionnel;
6.6. de reconnaître l’importance de la coopération internationale et d’accroître le volume d’informations transmises spontanément aux autorités étrangères en dehors des demandes de coopération internationale.
7. L’Assemblée reconnaît la nécessité de restaurer la confiance des citoyens dans le système démocratique européen, notamment en empêchant les personnes politiquement exposées d’avoir recours aux juridictions adeptes du secret, et demande par conséquent aux Etats membres:
7.1. de veiller à ce que les établissements financiers et les entreprises et professions non financières désignées s’emploient à repérer les personnes politiquement exposées, les membres de leur famille ainsi que les personnes qui leur sont étroitement associées et leur appliquent avec rigueur les mesures renforcées nécessaires (notamment pour établir l’origine de leur patrimoine);
7.2. de veiller à ce que ces comptes fassent l’objet d’une surveillance renforcée continue et soient activement suivis par les autorités de contrôle lors des inspections, et à ce que des sanctions proportionnées et dissuasives soient appliquées lorsque des manquements sont constatés;
7.3. de maintenir la surveillance renforcée des transactions opérées par les personnes politiquement exposées pendant au moins cinq ans après que ces dernières ont cessé d’exercer les fonctions justifiant ce statut.