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Avis de commission | Doc. 14303 | 26 avril 2017

La convergence technologique, l’intelligence artificielle et les droits de l’homme

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Boriss CILEVIČS, Lettonie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13833, Renvoi 4145 du 28 septembre 2015. Commission chargée du rapport: Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias. Voir Doc. 14288. Avis approuvé par la commission le 25 avril 2017. 2017 - Deuxième partie de session

A. Conclusions de la commission

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1. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme félicite le rapporteur de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, M. Jean-Yves Le Déaut (France, SOC), pour son rapport et souscrit pour l’essentiel au projet de recommandation.
2. La commission propose quelques amendements qui visent à mettre en lumière certains aspects juridiques de la recommandation. Il ne fait aucun doute que, compte tenu de la complexité et de la nature des nouvelles technologies, qui évoluent rapidement, d’autres aspects du droit et des droits de l’homme devront être soigneusement examinés. L’Assemblée parlementaire devrait continuer à se pencher sur cette question sans trop tarder.
3. En outre, comme le souligne à juste titre le projet de recommandation déposé par la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, la commission insiste sur le fait que le Comité des Ministres doit impérativement conclure ses travaux sur la modernisation de la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108), en adoptant dès que possible la version révisée de cette convention.

B. Amendements proposés

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Amendement A (au projet de recommandation)

Après le paragraphe 3, insérer le paragraphe suivant:

«L’Assemblée rappelle le principe consacré à l’article 2 de la Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine (STE no 164, “Convention d’Oviedo”), qui affirme la primauté de l’être humain, en déclarant que “l'intérêt et le bien de l'être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science”.»

Amendement B (au projet de recommandation)

Dans le paragraphe 6.1, après le mot «achever», insérer les mots «sans plus tarder».

Amendement C (au projet de recommandation)

Avant le paragraphe 8.1.1, insérer le paragraphe suivant:

«le fait que la responsabilité d’un acte et l’obligation de rendre des comptes à son sujet incombent à un être humain, indépendamment des circonstances dans lesquelles il a été commis. La mention d’une prise de décision “indépendante” par des systèmes d’intelligence artificielle ne saurait exonérer les créateurs, propriétaires et gérants de ces systèmes de leur obligation de rendre des comptes pour les violations des droits de l’homme commises en utilisant ces systèmes, même lorsque l’acte qui a causé le préjudice n’a pas été directement ordonné par un commandant ou opérateur humain responsable;»

Amendement D (au projet de recommandation)

Après le paragraphe 8, insérer le paragraphe suivant:

«L’Assemblée réitère l’appel qu’elle avait lancé dans la Résolution 2051 (2015) «Drones et exécutions ciblées: la nécessité de veiller au respect des droits de l’homme et du droit international» à l’ensemble des États membres et des États observateurs, ainsi qu’aux États dont les parlements jouissent du statut d’observateur auprès de l’Assemblée, pour qu’ils s’abstiennent de recourir à toute procédure automatique (robotique) visant à choisir des personnes pour procéder à leur exécution ciblée ou leur causer quelque dommage que ce soit sur la base de modes de communication ou d’autres données collectées par des techniques de surveillance de masse. Cela vaut non seulement pour les drones, mais également pour les autres types de matériel de combat doté de systèmes d’intelligence artificielle, ainsi que pour les autres formes de matériel et/ou de logiciels susceptibles de causer un préjudice aux personnes, aux biens et aux bases de données qui comportent des données à caractère personnel ou des informations ou de constituer une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, le droit à la liberté d’expression ou le droit à l’égalité et à l’absence de discrimination.»

C. Exposé des motifs, par M. Boriss Cilevičs, rapporteur pour avis

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1. J’aimerais féliciter M. Le Déaut pour son rapport, qui souligne à juste titre le défi que représentent les nouvelles technologies pour les droits de l’homme.
2. Permettez-moi d’insister d’emblée sur la difficulté qu’il y a à donner un point de vue juridique sur les questions soulevées dans ce rapport. Nous manquons en effet de compétence pour ce faire, puisse que celle-ci est, au mieux, limitée à l’heure actuelle. Les questions abordées dans ce rapport semblent à première vue de l’ordre de la science-fiction. Mais l’évolution, voire la révolution, technologique atteint une telle ampleur qu’elle devient irrésistible. Elle est cependant tout à fait réelle et il est de la plus haute importance que nous examinions sérieusement les conséquences qu’elle peut avoir sur les droits de l’homme.
3. La particularité des «véritables» systèmes d’intelligence artificielle, qui les distingue des logiciels «classiques», est leur capacité à produire des résultats qui ne sont pas directement prévus par les instructions données par leur programmateur. Ces résultats sont obtenus par une accumulation, un traitement et une prise en compte des nouvelles données qui s’effectuent de manière «indépendante». Les systèmes d’intelligence artificielle possèdent donc, d’une certaine façon, la capacité d’apprendre et de prendre des décisions eux-mêmes.
4. Ce sujet est beaucoup trop vaste et complexe pour être traité convenablement du point de vue juridique dans le cadre d’un avis. Je me contenterai donc de formuler quelques observations. Je propose que nous poursuivions une réflexion plus approfondie sur cette question dans un futur rapport.

1. Questions relatives à l’obligation de rendre des comptes

5. Du point de vue juridique, le présent rapport soulève la question de la subjectivité du système d’intelligence artificielle. Cette question présente deux aspects. Premièrement, peut-on considérer un système d’intelligence artificielle comme un titulaire autonome de droits? Ce point a été largement traité par la science-fiction et continue pour le moment à faire exclusivement partie de ce domaine. Mais un autre aspect, celui de l’obligation de rendre des comptes, est déjà une réalité concrète aujourd’hui. À qui incombe la responsabilité d’un préjudice causé par un système d’intelligence artificielle, notamment lorsqu’il s’agit d’une violation des droits de l’homme?
6. L’Assemblée parlementaire s’est déjà en partie penchée sur cette question. Elle a, en particulier dans sa Résolution 2051 (2015) «Drones et exécutions ciblées: la nécessité de veiller au respect des droits de l’homme et du droit international», appelé l’ensemble des États membres et des États observateurs, ainsi que les États dont les parlements jouissent du statut d’observateur auprès de l’Assemblée, à s’abstenir de recourir à «toute procédure automatique (robotique) visant à cibler des personnes sur la base de modes de communication ou d’autres données collectées par des techniques de surveillance de masse».
7. Dans une récente résolution sur les dispositions de droit civil relatives à la robotique 
			(1) 
			<a href='http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/20170210IPR61808/robots-les-d%C3%A9put%C3%A9s-veulent-des-r%C3%A8gles-europ%C3%A9ennes-en-mati%C3%A8re-de-responsabilit%C3%A9'>Résolution
du Parlement européen du 16 février 2017</a> contenant des recommandations à la Commission concernant des
règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL)); voir également
le <a href='http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/20170210IPR61808/robots-les-d%C3%A9put%C3%A9s-veulent-des-r%C3%A8gles-europ%C3%A9ennes-en-mati%C3%A8re-de-responsabilit%C3%A9'>communiqué
de presse</a>., le Parlement européen souligne qu’il faut établir d’urgence un projet de législation pour préciser les questions de responsabilité, surtout pour les voitures automatisées. Dans cette résolution, le Parlement européen indique à juste titre que, dans ce contexte, «la question de la responsabilité juridique en cas d’action dommageable d’un robot devient une question cruciale». Le Parlement européen va jusqu’à demander à la Commission européenne «d’envisager, à long terme, la possibilité de créer un statut juridique spécial pour les robots, afin de clarifier la responsabilité en cas de dommages».
8. Or il devrait être clair, selon moi, que l’obligation de rendre des comptes au sujet d’un acte incombe à un être humain, indépendamment des circonstances dans lesquelles il a été commis. En tout état de cause, la mention d’une prise de décision «indépendante» par des systèmes d’intelligence artificielle ne saurait exonérer les créateurs, propriétaires et gérants de ces systèmes de leur obligation de rendre des comptes pour les violations des droits de l’homme commises en utilisant ces systèmes, même lorsque l’acte qui a causé le préjudice n’a pas été directement ordonné par un commandant ou opérateur humain responsable.

2. Les instruments pertinents du Conseil de l’Europe

9. Deux conventions du Conseil de l’Europe présentent une pertinence directe pour la question qui nous occupe.
  • La Convention pour la protection des Droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine: «Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine» ou «Convention d’Oviedo» (STE n° 164 )
10. La Convention d’Oviedo protège les droits de l’homme dans le domaine de la biomédecine. Il s’agit d’une convention-cadre, qui vise à protéger la dignité et l’identité de tous les êtres humains et à garantir à toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales dans l’application de la biologie et de la médecine.
11. Fait très important, la Convention d’Oviedo affirme la primauté de l’être humain. Son article 2 est libellé comme suit: «L'intérêt et le bien de l'être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science.» Cela vaut tout particulièrement pour le domaine des robots de soins. Comme le souligne le rapport de M. Le Déaut, cet élément soulève la question du droit de choisir entre le contact humain et l’assistance d’un robot. En définitive, si le contact humain était totalement remplacé par des robots, ce qui pourrait avoir pour effet d’entraîner une privation complète de contact humain, l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) pourrait entrer en jeu.
  • La Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE n° 108)
12. La Convention no 108, ouverte à la signature le 28 janvier 1981, a été le premier – et reste aujourd’hui le seul – instrument international juridiquement contraignant dans le domaine de la protection des données. En vertu de cette convention, les parties sont tenues de prendre les mesures qui s’imposent dans leur législation interne pour appliquer les principes énoncés par cet instrument, afin de garantir le respect, sur leur territoire, des droits de l’homme fondamentaux de tous les individus dans le traitement des données à caractère personnel. Il est clair que le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication a connu une gigantesque évolution depuis 1981, surtout pour ce qui est du traitement automatisé des données. Cette évolution entraîne de nouveaux défis à relever pour le respect de la vie privée.
13. Il est donc devenu indispensable de moderniser la Convention no 108 pour qu’elle reflète la nouvelle réalité de la situation et continue à assurer une protection adéquate au vu de l’évolution des technologies et de l’apparition de nouvelles technologies. En 2010, il a été décidé d’entreprendre cette modernisation de la convention. Il s’agit de mieux surmonter les difficultés nées de l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, mais également de renforcer la mise en œuvre de la Convention no 108.
14. Le comité intergouvernemental compétent (Comité ad hoc sur la protection des données – CAHDATA) a achevé ses travaux en juin 2016. À l’époque, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe espérait que le Comité des Ministres achèverait ses travaux d’ici à la fin 2016 
			(2) 
			<a href='http://www.coe.int/fr/web/secretary-general/-/-convention-108-from-a-european-reality-to-a-global-treaty-'>www.coe.int/fr/web/secretary-general/-/-convention-108-from-a-european-reality-to-a-global-treaty-.</a>. Mais à ce jour, la version révisée du traité n’a toujours pas été adoptée.
15. Il importe donc que l’Assemblée invite instamment le Comité des Ministres à achever ses travaux sur la modernisation de la Convention no 108 et à adopter sans tarder la version révisée du traité.

3. Amendements

Amendement A: il s’explique de lui-même.

Amendement B: il s’explique de lui-même.

Amendement C

Note explicative:

Cet amendement vise à indiquer clairement que la responsabilité incombe à un être humain, quelles que soient les circonstances.

Amendement D

Note explicative:

Cet amendement vise à réitérer l’appel lancé par l’Assemblée dans sa Résolution 2051 (2015), mentionnée plus haut, en élargissant le champ d’application de cet appel de manière à ne pas viser uniquement les drones (qui étaient précisément le sujet du rapport de 2015), mais à prendre également en compte les autres systèmes d’intelligence artificielle susceptibles de causer un préjudice et de porter atteinte aux droits de l’homme.