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Rapport | Doc. 14300 | 26 avril 2017

Projet de Convention du Conseil de l’Europe sur les infractions visant des biens culturels

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Stefan SCHENNACH, Autriche, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14290, Renvoi 4284 du 24 avril 2017. 2017 - Deuxième partie de session

Résumé

L’Assemblée parlementaire se félicite de l’initiative du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe d’élaborer une Convention du Conseil de l’Europe sur les infractions visant des biens culturels qui s’avère pertinente et arrive à point nommé. La nouvelle convention a un vaste champ d’application et la protection offerte ne s’étendra pas seulement aux biens désignés par ses États Parties mais aussi à l’ensemble des biens désignés par tout État Partie à la Convention de 1970 de l’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels et la Convention de 1972 de l’UNESCO concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel. La convention vise à renforcer le système global de lutte contre le trafic de biens culturels et à fournir une base juridique solide pour mener des actions répressives.

L’Assemblée propose quelques amendements destinés à renforcer les dispositions actuelles du projet de texte afin de s’assurer que le nouvel instrument tiendra ses promesses et exhorte le Comité des Ministres à affecter des ressources suffisantes au mécanisme de suivi de manière à permettre une mise en œuvre efficace et dynamique de ce nouvel instrument.

A. Projet d’avis 
			(1) 
			Projet d’avis adopté
à l’unanimité par la commission le 25 avril 2017.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire se félicite de l’initiative du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe d’élaborer une Convention du Conseil de l‘Europe sur les infractions visant des biens culturels et salue les principes qui sous-tendent ce texte.
2. L’Assemblée apprécie en particulier la grande portée de cette nouvelle convention, dont la protection ne s’étend pas seulement aux biens désignés par les États qui auront ratifié le traité du Conseil de l’Europe, mais à tous les biens désignés par tout État Partie à la Convention de l’Unesco de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels et à la Convention de l’Unesco de 1972 concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel.
3. L’Assemblée souligne que cette nouvelle convention renforcerait les efforts de répression en imposant aux États Parties d’incriminer certains actes liés au trafic et à la destruction de biens culturels. Les États Parties seraient en effet tenus de veiller à ce que leur droit pénal interne reconnaisse à la fois la responsabilité pénale des personnes physiques et celle des personnes morales et prévoie l’application de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives ou, dans certaines circonstances, des sanctions non pénales, notamment de nature administrative.
4. L’Assemblée considère toutefois que certaines dispositions ont été affaiblies au cours du processus de rédaction et mériteraient d’être renforcées afin de s’assurer que ce nouvel instrument soit à la hauteur de ses promesses.
5. S’agissant de l’importation illicite, les États Parties peuvent se réserver le droit de prévoir des sanctions non pénales en lieu et place de sanctions pénales. Cette possibilité affaiblit clairement l’ensemble du système, dont la finalité est de mettre en place les moyens de lutter contre le trafic illicite de biens culturels, ce qui constitue l’un des objectifs essentiels de ce projet de convention d’après son article 1.a.
6. L’Assemblée regrette qu’il ait été décidé, lors de la dernière phase des négociations, de supprimer une disposition qui prévoyait l’incrimination d’autres actes relatifs au trafic de biens culturels, tels que le stockage, le transport et le transfert de biens culturels meubles, lorsque l’auteur de ces actes avait connaissance du fait que les biens concernés provenaient de la commission d’infractions pénales ou avaient été obtenus directement ou indirectement au moyen de telles infractions et que ces actes avaient pour but l’importation, l’exportation ou la mise sur le marché illicite de ces biens.
7. L’Assemblée considère qu’il est important d’inclure la participation à un «groupe terroriste» dans les circonstances aggravantes qui peuvent éventuellement être retenues lors de la condamnation de personnes reconnues coupables d’une infraction portant sur des biens culturels, comme exposé dans le projet de convention. Le rapport explicatif de la convention pourrait indiquer que les États Parties peuvent se référer à d’autres instruments internationaux qui définissent cette notion et établir qu’elle doit être alignée sur la définition figurant à l’article 2.1 du Protocole additionnel de 2015 à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 217), en renvoyant aussi, si nécessaire, à l’article 2.d.c de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme.
8. L’Assemblée regrette que la proposition d’instituer un observatoire européen des infractions relatives aux biens culturels, envisagé comme mécanisme central de soutien au Comité des Parties dans l’exercice de ses fonctions, formulée initialement par le groupe d’experts PC-IBC, n’ait pas été retenue. En conséquence, l’Assemblée insiste sur le fait que la fonction importante consistant à enregistrer les infractions relatives aux biens culturels devra être remplie par le Comité des Parties.
9. Enfin, l’Assemblée relève que le libellé actuel de l’article 27.1 ouvre la convention à la signature et à la ratification des seuls États non membres «ayant participé à son élaboration». Pour l’Assemblée, l’ouverture de la convention à d’autres États non membres, sous réserve des conditions usuelles, présente clairement un intérêt.
10. En conséquence, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
10.1. de supprimer l’article 5.2;
10.2. d’insérer dans le texte final de la convention une nouvelle disposition (inspirée de la version antérieure du texte établie par le Comité sur les Infractions visant les Biens Culturels (PC-IBC), qui pourrait être libellée comme suit:
«Chaque Partie veille à ce que les actes suivants constituent une infraction pénale en vertu de son droit interne lorsqu’ils sont commis intentionnellement: le stockage, le recel, le transport et le transfert de biens culturels meubles, lorsque l’auteur de ces actes a connaissance du fait que ces biens proviennent directement ou indirectement d’infractions pénales ou ont été obtenus directement ou indirectement au moyen de telles infractions dans l’intention de procéder à leur importation, exportation ou mise sur le marché illégale afin d’en tirer un profit illicite»;
10.3. d’amender l’article 15.c comme suit:
«l’infraction a été commise dans le cadre du crime organisé ou d’un groupe terroriste»;
10.4. d’amender l’article 22.5 comme suit:
«Le Comité des Parties tient un registre des infractions visées dans la présente Convention qui sont commises dans les limites de la juridiction des Parties, ce registre comprenant des informations détaillées sur les personnes reconnues coupables de ces infractions et sur les peines prononcées à leur encontre, et peut proposer au Comité des Ministres les moyens adéquats pour engager une expertise pertinente afin de soutenir une mise en œuvre efficace de la présente Convention»;
10.5. d’amender l’article 19 en conséquence de l’amendement ci-dessus afin d’exiger des Parties qu’elles fournissent les informations pertinentes au Comité des Parties;
10.6. d’ajouter, après l’article 27.1, le paragraphe suivant:
«La présente Convention est également ouverte à la signature de tout autre État non membre du Conseil de l’Europe sur invitation du Comité des Ministres. La décision d’inviter un État non membre à signer la Convention est prise à la majorité prévue à l’article 20.d du Statut du Conseil de l’Europe et à l’unanimité des voix des représentants des États contractants ayant le droit de siéger au Comité des Ministres»;
10.7. de procéder, si nécessaire, aux modifications correspondantes dans le rapport explicatif du projet de convention, de manière à refléter les amendements apportés au projet de convention.
11. L’Assemblée insiste sur le fait que la mise en œuvre dynamique et efficace de ce nouvel instrument nécessitera que le Comité des Ministres alloue des ressources suffisantes au fonctionnement du Comité des parties, de manière à ce qu’il puisse échanger et se réunir régulièrement, au moins une fois tous les deux an.
12. Enfin, l’Assemblée encourage tous les États membres à entamer aussi rapidement que possible les procédures internes nécessaires à la ratification de cette nouvelle convention.

B. Exposé des motifs, par M. Stefan Schennach, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La Convention européenne sur les infractions visant des biens culturels (STE no 119, «Convention de Delphes») a été ouverte à la signature des États membres du Conseil de l’Europe le 23 juin 1985 à Delphes, mais n’est jamais entrée en vigueur. En effet, seuls six États l’ont signée et aucun ne l’a ratifiée.
2. La Convention de Delphes avait pour but principal de lutter contre le trafic de biens culturels par des moyens de droit pénal et de promouvoir la coopération entre les États. Elle visait également à protéger le patrimoine culturel européen et à sensibiliser le public aux effets dommageables du trafic de biens culturels.
3. Le commerce illicite de biens culturels est devenu une activité très lucrative; des objets précieux, des antiquités et des œuvres d’art sont déterrés, pillés ou volés pour être vendus à des collectionneurs privés. Le trafic d’objets et d’antiquités volés, qui prive des populations d’un patrimoine culturel irremplaçable et de leur identité culturelle, peut aussi faciliter des actes graves de violence et de destruction, en finançant des groupes criminels organisés et des groupes terroristes. Des infractions majeures visant des biens culturels ont été commises au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, notamment les démolitions et pillages de Palmyre, en Syrie, et de sites archéologiques proches de Mossoul, en Irak. De nombreuses «antiquités du sang» issues de ces infractions ont été exportées illégalement et vendues sur des marchés étrangers par des trafiquants sans scrupules.
4. En réaction à cette situation, les ministres responsables du patrimoine culturel des 50 États Parties à la Convention culturelle européenne (STE no 18), réunis en Belgique, ont adopté l’«appel de Namur» 
			(2) 
			À
l'initiative de la présidence belge du Comité des Ministres du Conseil
de l'Europe, les ministres européens de la Culture des 50 États
Parties à la Convention culturelle européenne se sont rassemblés
à Namur (Belgique) du 22 au 24 avril 2015, pour leur sixième conférence,
sur le thème «Le patrimoine culturel au XXIe siècle
pour mieux vivre ensemble: vers une stratégie commune pour l'Europe». en avril 2015. Par cette initiative, les ministres ont condamné «les destructions délibérées du patrimoine culturel et le trafic illicite des biens culturels» et ont décidé de «renforcer la coopération européenne» pour prévenir et sanctionner de tels actes. Ils se sont aussi référés au rapport de l’Assemblée parlementaire intitulé «Le patrimoine culturel dans les situations de crise et de postcrise» 
			(3) 
			Doc. 13758., qui avait été élaboré par notre ancienne collègue, Mme Ismeta Dervoz (Bosnie-Herzégovine, PPE/DC) et a donné lieu à l’adoption, par l’Assemblée, de la Résolution 2057 (2015) et de la Recommandation 2071 (2015).
5. Afin que soit donnée suite comme il se doit à la décision du Comité des Ministres 
			(4) 
			CM/Del/Dec(2013)1168/10.2. sur le passage en revue des conventions du Conseil de l’Europe, le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) s’est accordé sur le fait que le Conseil de l’Europe devait préparer une nouvelle convention de droit pénal sur la lutte contre le trafic de biens culturels.
6. Il a été jugé important que le Conseil de l’Europe se donne les moyens de faire en sorte que cette nouvelle convention soit ratifiée par un plus grand nombre d’États. Dans ce but, il a été estimé qu’une approche simplifiée devait être adoptée, tant pour la définition des biens culturels que pour le choix d’infractions facultatives.

2. Le contexte juridique international

7. Au niveau international, l’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) a adopté, le 14 novembre 1970, la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites de biens culturels. Cette convention, qui compte 127 États Parties, est la plus importante dans ce domaine. Par la suite, UNIDROIT a adopté, le 24 juin 1995, la Convention sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, dans le but de compléter la convention de l’UNESCO de 1970 en se concentrant plus spécifiquement sur les aspects de droit civil.
8. L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), en collaboration avec l’UNESCO et Interpol, a élaboré récemment des lignes directrices internationales concernant les mesures de prévention du crime et de justice pénale relatives au trafic de biens culturels et à d’autres infractions connexes.
9. De son côté, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté plusieurs résolutions 
			(5) 
			Voir
les Résolutions n° 2199 du 12 février 2015 et n° 2249 (2015) du 20 novembre
2015. en réaction à des rapports ayant révélé que le trafic d’antiquités était devenu l’une des sources de financement d’organisations terroristes, en plus du pétrole et des enlèvements de personnes.
10. Au niveau européen, les institutions de l’Union européenne ont adopté deux instruments en vue de prévenir la circulation illicite de biens culturels, à savoir le Règlement n° 116/2009 du 18 décembre 2008 concernant l’exportation de biens culturels et la Directive 2014/60 du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre. Ces instruments ont pour objet de favoriser la reconnaissance réciproque, par les États membres, des dispositions nationales conçues pour lutter contre le commerce illégal d’antiquités, ainsi que la mise en œuvre de contrôles aux frontières.

3. La valeur ajoutée de la nouvelle convention du Conseil de l'Europe

11. Une révision de la Convention de 1985 visait à simplifier et à rationaliser le libellé et la structure du texte pour harmoniser les dispositions pénales sur le sujet.
12. La nouvelle convention, qui a une large portée, représente une avancée décisive: les protections qu’elle prévoit s’appliquent non seulement aux biens désignés par un État ayant ratifié le traité du Conseil de l'Europe, mais aussi à tous les biens désignés par tout État qui est Partie à la Convention de l’UNESCO de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites de biens culturels, ou qui est Partie à la Convention de l’UNESCO de 1972 concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. Le champ d’application de la nouvelle convention est donc beaucoup plus étendu. Cette caractéristique est l’un des moyens de faire contribuer la convention au cadre juridique international relatif aux biens culturels, tout en veillant à ce que ses dispositions soient pleinement compatibles avec les normes juridiquement contraignantes qui existent déjà en la matière aux niveaux international et supranational.
13. Étant donné qu’aucun de ces instruments internationaux ne traite des questions de droit pénal, la valeur ajoutée de la convention réside dans le fait qu’elle renforce l’action des services répressifs en imposant aux États Parties l’obligation de conférer le caractère d’infraction pénale à certains comportements relatifs au trafic et à la destruction de biens culturels. Le Comité sur les Infractions visant les Biens Culturels (PC-IBC) a donc été chargé de rédiger des dispositions de droit pénal matériel qui puissent être effectivement mises en œuvre par les États Parties et qui permettent aux dispositions pénales nationales fondées sur le projet de convention d’être suffisamment claires et précises.
14. La mise en œuvre de la convention vise à créer une situation dans laquelle le système anti-trafic ne présente pas de lacunes évidentes qui pourraient être exploitées par des criminels et dans laquelle un ensemble complet et cohérent de dispositions donne un fondement juridique solide à l’action des services répressifs. La convention oblige les États Parties à veiller à ce que leur droit pénal national permette d’engager la responsabilité pénale de personnes physiques et morales et à ce que puissent être appliquées des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives, ou, dans certaines conditions, des sanctions non pénales (y compris des sanctions administratives).
15. En obligeant les États à conférer le caractère d’infraction pénale à des actes visant des biens culturels, cette approche s’inspire des Conventions de l’UNESCO de 1970 et 1972 et de la Convention d’UNIDROIT de 1995 et comble les lacunes que présentait encore le droit pénal international.

4. Éléments clés de la convention

16. Les dispositions de droit pénal matériel qui font l’objet des articles 3 à 10 visent des infractions comme le vol (et d’autres formes d’appropriation illégale), les fouilles et la détention illégales, l’importation et l’exportation illicites, l’acquisition, la mise sur le marché, la production de faux documents et la falsification de documents, et la destruction de biens culturels. En vertu de l’article 11, qui concerne la complicité et la tentative, les infractions auxiliaires et préparatoires sont aussi visées. L’article 15 oblige les États à prendre en compte plusieurs circonstances aggravantes, notamment le fait qu’une personne abuse de son rôle professionnel ou de ses fonctions officielles, ou commet une infraction en lien avec la criminalité organisée. La convention augmente donc la capacité des États à enquêter, à poursuivre, à condamner et/ou à extrader des personnes suspectées ou condamnées pour des infractions tombant sous le coup de la convention.
17. Cependant, bien que l’élaboration de la convention ait été motivée à bien des égards par les infractions commises par des organisations terroristes, le PC-IBC a estimé qu’il n’était pas nécessaire de rédiger des dispositions se rapportant directement aux activités terroristes. Des versions antérieures de la convention contenaient une disposition qui demandait aux États de considérer comme des circonstances aggravantes, lors de la détermination des peines, les situations dans lesquelles les infractions visant des biens culturels ont été commises en lien avec des activités terroristes. Les rédacteurs ont estimé que ces infractions feraient l’objet de poursuites en tant qu’infractions terroristes, et non pas en tant qu’infractions visant des biens culturels. Toutefois, je suis convaincu que les États devraient, lorsque cela se justifie, considérer un lien avec le terrorisme ou avec le financement du terrorisme comme une circonstance aggravante au titre de l’article 15.
18. Par ailleurs, la convention facilite la coopération internationale en matière pénale et encourage l’adoption, aux niveaux national et international, de mesures préventives destinées à réduire le risque que soient commises les infractions visées par la convention. Au niveau national, la série de mesures recommandées, qui s’appliquent aux entités publiques et privées, tiennent largement compte des bonnes pratiques nationales et des traités internationaux déjà en vigueur. Ces mesures servent aussi à protéger et aider les acteurs du commerce de l’art qui respectent les lois et qui sont pénalisés par les transactions ayant lieu sur le marché noir. Au niveau international, la convention prévoit que les États Parties coopèrent, dans toute la mesure du possible, pour éviter que soient commises les infractions visées par la convention, notamment en échangeant des informations pertinentes sur les biens culturels, en interconnectant leurs bases de données et inventaires nationaux, et en prenant les dispositions nécessaires pour protéger les biens culturels en période d’instabilité ou de conflit.
19. Concernant la surveillance, la convention prévoit la création d’un Comité des Parties, chargé de favoriser la mise en œuvre effective de la convention, de jouer un rôle consultatif et de faciliter l’échange d’informations sur des évolutions majeures relatives aux dispositions de la convention. Lors des négociations a été examinée la proposition d’établir un observatoire européen des infractions visant des biens culturels. L’objectif serait de faciliter la mise en œuvre et de réduire la charge pesant sur les États en matière de surveillance et de coopération. Vu la valeur ajoutée potentielle d’une telle institution permanente, qui assurerait un suivi et une coordination systématiques des actions de lutte contre les infractions visant des biens culturels, je propose que l’Assemblée soutienne cette proposition.

5. Propositions d’améliorations

20. Compte tenu des considérations qui précèdent, je souhaiterais faire les propositions suivantes, destinées à améliorer le projet actuel.

5.1. Importation illicite

21. L’article 5 du projet de convention, qui traite de l’«importation illicite», prévoit ce qui suit:
«1. Chaque Partie veille à ce que, lorsqu’elle est commise intentionnellement, l’importation de biens culturels meubles dont l’importation est interdite conformément à son droit interne en raison du fait que ces biens ont été:
a. volés dans un autre État;
b. excavés ou conservés dans les circonstances décrites à l’article 4 de la présente Convention; ou
c. exportés en violation du droit de l’État qui a classé, défini ou spécifiquement désigné de tels biens culturels conformément à l’article 2 de la présente Convention, constitue une infraction pénale conformément à son droit interne, lorsque l’auteur de l’infraction savait que les biens culturels avaient été volés, excavés ou exportés en violation du droit de cet autre État.»
22. Cette disposition est très prudente, dans la mesure où l’obligation qu’elle contient est soumise à une double condition: d’une part, l’importation est déjà interdite par le droit interne et, d’autre part, l’auteur de l’infraction savait que les biens culturels avaient été volés, excavés ou exportés en violation du droit de l’État d’origine.
23. En outre, l’article 5.2 se lit ainsi:
«2. Tout Etat peut, au moment de la signature ou au moment du dépôt de son instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion, dans une déclaration adressée au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, déclarer qu’il se réserve le droit de prévoir des sanctions non pénales, au lieu de sanctions pénales, pour le comportement mentionné au paragraphe 1 du présent article.»
24. Il est étrange que cette possibilité soit prévue car elle affaiblit à l’évidence l’ensemble du système destiné à lutter contre le trafic de biens culturels; or, selon l’article 1.a du projet de convention, la lutte contre ce phénomène est un aspect essentiel de cet instrument juridique. En conséquence, je propose de recommander de supprimer l’article 5.2.

5.2. Autres infractions liées au trafic de biens culturels

25. Lors de la dernière phase de négociations, il a été décidé de supprimer une disposition (l’ancien article 10) qui imposait de conférer le caractère d’infraction pénale à d’autres actes en lien avec le trafic de biens culturels, notamment au stockage, à la conservation, à la restauration, au transport et au transfert de biens culturels meubles, lorsque l’auteur des actes savait que ces biens provenaient directement ou indirectement de la commission d’une infraction pénale ou avaient été obtenus directement ou indirectement en la commettant, et que les actes avaient pour but l’importation illicite des biens, leur exportation ou leur mise sur le marché.
26. Je comprends que l’on puisse faire des objections à l’idée de conférer le caractère d’infraction pénale à des activités comme la «conservation» et la «restauration» (qui pourraient éventuellement être des éléments favorables à l’auteur). En revanche, s’agissant des autres activités, j’estime que la suppression de leur incrimination est une mauvaise décision. En effet, ici encore, l’absence d’approche harmonisée et de sanctions effectives ne manquera pas d’entraver la lutte contre le trafic de biens culturels. Lorsque des comportements comme le stockage, le transport et le transfert – et j’ajouterais certainement aussi la dissimulation – de biens culturels meubles sont liés aux actes criminels principaux et permettent d’introduire des biens illégaux sur le marché, il est logique de sanctionner ces comportements. De fait, il est nécessaire de prendre en considération l’ensemble de la chaîne, et pas uniquement les premiers et les derniers maillons.
27. En conséquence (et même s’il n’est pas réaliste d’envisager la possibilité de rouvrir le débat à ce stade), je suggérerais d’inviter le Comité des Ministres à reconsidérer la question et à réintroduire dans le texte final de la convention une disposition (inspirée du texte supprimé) qui pourrait être libellée comme suit:
«Chaque Partie veille à ce que les comportements suivants constituent des infractions pénales conformément à son droit interne, lorsqu’ils sont intentionnels: le stockage, la dissimulation, le transport et le transfert de biens culturels meubles dont celui qui se livre à ces actes sait qu’ils proviennent directement ou indirectement de la commission d’une infraction pénale ou ont été obtenus directement ou indirectement en la commettant, si ces actes visent l’importation illicite des biens, leur exportation ou leur mise sur le marché, dans le but d’obtenir un profit illicite.»

5.3. Circonstances aggravantes

28. Dans le préambule du projet de convention, il est indiqué que les Parties constatent avec préoccupation «que des groupes terroristes sont impliqués dans la destruction délibérée de patrimoine culturel et que le commerce illégal de biens culturels représente une source de financement pour ces groupes». L’élaboration de la convention a en effet été largement motivée par l’implication massive de Daech en particulier dans le commerce illégal de biens culturels pillés dans les zones soumises à son contrôle.
29. Je suggérerais donc l’amendement suivant à l’article 15.c:
«l’infraction a été commise dans le cadre du crime organisé ou d’un groupe terroriste
30. L’objectif principal de l’amendement proposé vise à faire en sorte que le lien avec un groupe terroriste soit pris en compte en tant que circonstance aggravante possible lors de la détermination des peines applicables à des personnes reconnues coupables d’une infraction visée par le projet de convention. Quant à l’expression «groupe terroriste» employée dans ce contexte, il n’est pas nécessaire d’en donner une définition spécifique aux fins de la convention. Le rapport explicatif de la convention pourrait indiquer que les États Parties peuvent se référer à d’autres instruments internationaux qui définissent l’expression «groupe terroriste». Il serait encore mieux que le rapport explicatif précise que cette expression doit être entendue conformément à la définition figurant à l’article 2.1 du Protocole additionnel de 2015 à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme, en faisant aussi référence, si nécessaire, à l’article 2.5.c de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (STCE no 217). Je considère également que la référence faite au «crime organisé» est plus englobante que la référence à une «organisation criminelle»; de plus, selon mon avis, le «crime organisé» ne devrait pas être considéré dans le sens d’une «organisation» (institution).

5.4. Registre des infractions

31. À l’article 15.d du projet de convention figure, parmi les circonstances qui doivent pouvoir être considérées comme des circonstances aggravantes dans la détermination des peines, le fait que l’auteur de l’infraction a déjà été condamné pour des infractions établies conformément à la convention. Quant à l'article 16, il impose aux Parties l'obligation d'adopter les mesures nécessaires pour prévoir la possibilité de prendre en compte, dans le cadre de l’appréciation de la peine, les peines définitives prononcées dans une autre Partie pour des infractions pénales visées par la convention. La mise en œuvre de ces deux dispositions suppose cependant que la juridiction qui juge l’auteur de l’infraction connaisse les condamnations antérieures et les peines prononcées dans une autre Partie. Un moyen efficient et efficace d’atteindre cet objectif important serait de rendre ces informations disponibles de manière systématique, par le biais du mécanisme central du Comité des Parties.
32. C’est donc avec regret que je constate que n’a pas été retenue la proposition initiale du PC-IBC, qui figurait dans l’ancien article 24.3 et qui concernait la création d’un observatoire européen des infractions visant des biens culturels, chargé d’aider le Comité des Parties à remplir sa mission. En conséquence, je suggérerais que, à défaut d’observatoire, cette fonction consistant à répertorier les infractions visant des biens culturels soit exercée par le Comité des Parties. Je proposerais donc de modifier l’article 22.5 comme suit:
«Le Comité des Parties tient un registre des infractions visées par la présente Convention qui ont été commises en tous lieux relevant de la juridiction des Parties à la Convention, en consignant des données sur les personnes condamnées pour ces infractions et sur les peines qui leur ont été imposées, et peut proposer au Comité des Ministres les moyens adéquats pour engager une expertise pertinente afin de soutenir une mise en œuvre efficace de la présente Convention.»
33. Si cet amendement est adopté, il sera nécessaire de modifier aussi l’article 19, de manière à exiger des Parties qu’elles communiquent les informations pertinentes au Comité des Parties.
34. Concernant la signature et l’entrée en vigueur, je proposerais de modifier l’article 27 de manière à permettre à tous les États non membres intéressés de signer et ratifier la convention. À mon avis, le libellé actuel, qui ouvre cette possibilité aux seuls États non membres ayant participé à l’élaboration de la convention, est trop restrictif.
35. La disposition de l’article 27.1 devrait être complétée par un nouveau paragraphe, libellé ainsi:
«La présente Convention est également ouverte à la signature de tout autre État non membre du Conseil de l’Europe sur invitation du Comité des Ministres. La décision d'inviter un État non membre à signer la Convention est prise à la majorité prévue à l'article 20.d du Statut du Conseil de l'Europe, et à l'unanimité des voix des représentants des États contractants ayant le droit de siéger au Comité des Ministres.»
36. Enfin, de manière générale, j’insisterais sur la nécessité, pour le Comité des Ministres, d’allouer des ressources suffisantes au fonctionnement du Comité des Parties, pour permettre la tenue de réunions régulières (au moins une tous les deux ans), de manière à assurer la mise en œuvre effective de la convention au moyen d’échanges plus réguliers et de réexamens des pratiques et des mécanismes de coopération.

6. Conclusion

37. J’invite l’Assemblée à accueillir favorablement cette initiative d’adopter une nouvelle convention sur les infractions visant des biens culturels, qui arrive à point nommé, et je salue l’approche et les principes qui sous-tendent le projet de convention. Les propositions de modifications qui figurent dans le projet d’avis sont celles que j’ai tenté d’expliquer précédemment; elles visent à renforcer la mise en œuvre effective de la convention – et donc sa valeur pour tous les partenaires – par le renforcement de son mécanisme de suivi.