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Avis 294 (2017)
Budget et priorités du Conseil de l'Europe pour l'exercice biennal 2018-2019
1. L’Europe doit faire face à des
tensions de plus en plus vives liées aux menaces d’attaques terroristes, à
la persistance des hostilités dans les zones de conflit, à la crise
des migrants et des réfugiés, et à une situation économique encore
fragile dans un certain nombre d’États membres. Par ailleurs, l’accroissement des
inégalités économiques et sociales en Europe et au-delà, ainsi que
l’augmentation de la pauvreté et de l’exclusion sociale, mais aussi
l’insuffisance des réponses des institutions publiques à ces défis,
fournissent un terrain fertile au développement du populisme, de
l’extrémisme, du racisme et de la xénophobie partout en Europe.
2. Ces tendances sapent les principes et les valeurs fondamentales
du Conseil de l’Europe. L’Assemblée parlementaire considère que
le Conseil de l’Europe, de par sa dimension géographique et son
solide système de valeurs, est l’organisation européenne le plus
à même de combattre ces menaces, de contrer les dérives actuelles
et de relever ces défis, en réaffirmant la nécessité de défendre
ses valeurs que sont les droits de l’homme, l’État de droit et la
démocratie.
3. L’Assemblée partage pleinement l’analyse que le Secrétaire
Général du Conseil de l'Europe, M. Thorbjørn Jagland, a présentée
dans son discours intitulé «Comprendre le populisme et défendre
les démocraties européennes: le Conseil de l’Europe en 2017» prononcé
devant elle le 24 janvier 2017. Depuis bientôt soixante-dix ans,
le Conseil de l’Europe veille à faire respecter dans tous les États
membres les principes de l’État de droit, de la démocratie pluraliste
et des droits de l’homme. Comme l’y encourage le Secrétaire Général,
«ce précieux héritage» doit être protégé.
4. Pour les prochains programmes et budget biennaux 2018-2019,
le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe identifie trois défis
prioritaires que le Conseil de l’Europe devra s’efforcer de relever:
4.1. répondre à la menace populiste,
en dotant les citoyens européens de parlements efficaces, de médias
dynamiques et pluralistes, de tribunaux dans lesquels ils peuvent
avoir confiance, d’une société civile qui leur offre des moyens
d’agir et, ce qui est essentiel, de droits sociaux dans les secteurs
de l’emploi, de la santé et de l’éducation, le tout au sein de sociétés
inclusives;
4.2. défendre les droits des migrants et des réfugiés, au travers
de l’action de tous les organes du Conseil de l’Europe;
4.3. lutter contre le terrorisme, en axant les initiatives
sur son financement, notamment à travers le trafic d’objets culturels,
que le Secrétaire Général dénonce comme le commerce des «antiquités
du sang».
5. L’Assemblée réaffirme la position qu’elle avait énoncée dans
son Avis 288 (2015) sur
le budget et les priorités du Conseil de l’Europe pour l’exercice
biennal 2016-2017, selon laquelle l’ensemble des actions menées
par le Conseil de l’Europe doit aller de pair avec la mise en place
d’un système cohérent de protection des droits de l’homme à l’échelle
européenne, et d’une coopération renforcée avec les États membres
pour lutter contre le terrorisme, en veillant à ce que les États
n’adoptent pas de mesures contraires aux principes de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5)
et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
6. S’agissant de la question des migrants et des réfugiés, l’Assemblée
regrette que le Conseil de l’Europe n’ait plus de comité intergouvernemental
chargé de cette question. Elle salue néanmoins l’initiative du Secrétaire
Général, qui a nommé un représentant spécial sur les migrations
et les réfugiés, chargé de promouvoir et de coordonner les actions
de l’Organisation dans ce domaine.
7. Dans ce contexte, l’Assemblée soutient pleinement la nouvelle
Convention du Conseil de l’Europe sur les infractions visant des
biens culturels (STCE n° 221), qui était au cœur des priorités de
la présidence chypriote du Comité des Ministres, seul traité international
consacré aux mesures et aux sanctions pénales contre les activités
illicites dans le domaine du patrimoine culturel. L’Assemblée invite
tous les États membres et non membres du Conseil de l’Europe à la
signer et à la ratifier le plus tôt possible.
8. Toutefois, on ne pourra apporter une réponse aux défis mentionnés
par le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe sans œuvrer en
faveur d’une véritable Europe sociale sur tout le continent européen,
objectif que partage également l’Union européenne ainsi qu’elle
l’a affirmé dans la Déclaration de Rome du 25 mars 2017. En conséquence,
l’Assemblée souhaite que le programme d’activités du prochain budget
biennal soit renforcé dans le domaine des droits sociaux, avec comme
objectif de lutter contre l’accroissement des inégalités sociales
et économiques qui ne cessent de se creuser en Europe. L’Assemblée
entend également soutenir toutes les initiatives visant à faire
de la Charte sociale européenne (STE n° 35) le socle sur lequel
doit s’appuyer le pilier social de l’Union européenne, afin de contribuer
à l’édification d’une Europe sociale et inclusive plus harmonisée.
9. L’Assemblée souhaite que des initiatives résolues soient prises
afin que tous les États membres du Conseil de l’Europe soient Parties
à la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163),
qui contient les droits sociaux les plus avancés, et qu’ils adoptent
le système de réclamation collective prévu par la Charte, soit en
signant et en ratifiant le Protocole additionnel prévoyant un système
de réclamations collectives (STE no 158),
soit en acceptant l’article D de la Charte sociale révisée.
10. L’Assemblée aimerait également que le programme de travail
du Conseil de l’Europe pour l’exercice 2018-2019 s’inscrive dans
la lignée de la Résolution 70/1 des Nations Unies «Transformer notre
monde: le Programme de développement durable à l’horizon 2030» adoptée
le 25 septembre 2015, qui définit 17 objectifs de développement
durable, dont au moins huit correspondent aux priorités du Conseil
de l’Europe.
11. L’Assemblée reconnaît que le train de réformes conduit par
le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe depuis son entrée en
fonction en 2009 pour revitaliser l’Organisation et lui donner un
nouvel élan politique a porté ses fruits. En redéfinissant les programmes
d’actions du Conseil de l’Europe afin qu’ils répondent aux défis
auxquels les États membres sont confrontés et en renforçant les
domaines prioritaires, en particulier l’exécution des arrêts de
la Cour européenne des droits de l’homme, les questions d’égalité
et de dignité humaine, la liberté d’expression et des médias, la
lutte contre le terrorisme et son financement, et, enfin, la crise
des migrants et des réfugiés, le Secrétaire Général a su redonner
à l’Organisation toute sa place.
12. Dans ce contexte, l’Assemblée soutient pleinement les différents
plans d’action thématiques ou nationaux mis en place par le Secrétaire
Général. En réalisant des projets concrets, le Conseil de l’Europe
a pu apporter à un nombre ciblé de pays, en particulier ceux de
l’Europe orientale et de l’Europe du Sud-Est, une assistance substantielle
pour leur permettre de répondre aux exigences du Conseil de l’Europe
et de l’Union européenne.
13. S’agissant plus particulièrement des plans d’action thématiques,
l’Assemblée encourage vivement l’initiative du Secrétaire Général
visant à la mise en place d’un plan d’action consacré aux enfants
migrants non accompagnés, qui fait écho au travail de l’Assemblée
et à sa campagne parlementaire pour mettre fin à la rétention d’enfants
migrants, lancée en 2015 et financée grâce à la générosité de la
Suisse.
14. Toutefois, promouvoir des solutions efficaces à long terme
pour relever l’ensemble des défis auxquels les États membres font
face réclame un nouvel engagement du Conseil de l’Europe. Cela ne
sera possible que si l’Organisation renforce sa capacité normative,
mise en œuvre par son réseau de comités intergouvernementaux, dont
les mandats pourraient être revus pour tenir compte des défis susmentionnés.
15. Or, l’Assemblée regrette que le pilier consacré à l’établissement
de normes – cœur historique du Conseil de l’Europe et de la coopération
intergouvernementale – ait été quelque peu marginalisé par rapport
aux programmes d’assistance technique.
16. En 2012, le secteur intergouvernemental a été profondément
réorganisé pour faire face à la pression exercée sur le budget ordinaire
du Conseil de l’Europe, accentuée dès 2014 par la décision du Comité
des Ministres d’imposer à l’Organisation le principe de croissance
zéro en termes nominaux des contributions obligatoires des États
membres au budget ordinaire. La coopération intergouvernementale,
disposant de moins de ressources financières, a réduit le nombre
de ses comités directeurs (avec un mandat plus large) et de ses
réunions (une à deux par an).
17. La faiblesse de cette stratégie réside dans la focalisation
de l’attention et des moyens au profit d’un nombre limité d’États
membres. Or, la mission du Conseil de l’Europe est de s’adresser
à 47 États européens. Restaurer pleinement ce rôle nécessite un
renforcement de la coopération intergouvernementale, matérialisée par
les deux piliers que sont l’établissement de normes et le suivi
de leur application. L’Assemblée est convaincue que des réponses
concrètes peuvent être apportées aux défis actuels si les États
partagent leurs expériences. Pour ce faire, les comités intergouvernementaux
actuels (directeurs et subordonnés) devraient disposer des ressources
supplémentaires nécessaires pour pouvoir élargir leurs mandats et
accroître leur rythme de réunion, moyens indispensables pour permettre
l’élaboration d’outils efficaces.
18. Ce renforcement des mécanismes de coopération implique, d’une
part, la promotion des traités du Conseil de l’Europe notamment
vis-à-vis de l’Union européenne, qui n’a pas pleinement exploité
les possibilités existantes pour adhérer aux traités du Conseil
de l’Europe – n’étant Partie qu’à 11 conventions sur les 54 qui
lui sont ouvertes – et, d’autre part, une clarification de l’attitude
des États membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne
concernant leur participation au travail intergouvernemental qui,
en raison de leurs obligations dans le cadre de l’Union européenne,
peuvent bloquer le Conseil de l’Europe dans l’élaboration de nouvelles
conventions ou la révision de conventions existantes, qui sont importantes
en particulier pour les États non membres de l’Union européenne.
19. Pour répondre à tous ces défis, le Conseil de l’Europe doit
revenir à une croissance réelle. Entre 2013 et 2017, les contributions
payées par les États membres au budget ordinaire sont restées stables,
voire, pour certains pays, ont diminué. En revanche, la Turquie,
en décidant d’augmenter sa contribution aux budgets du Conseil de
l’Europe pour l’exercice biennal 2016-2017 (budget ordinaire, fonds
de réserve des pensions et budget extraordinaire) a contribué à
redonner de l’oxygène à l’Organisation, lui permettant de couvrir notamment
les besoins organiques (tels que les investissements immobiliers,
la sécurité, la modernisation des outils informatiques, le fonctionnement
des organes intergouvernementaux et statutaires, et les services centraux).
20. Depuis que les États membres appliquent une croissance zéro
au budget du Conseil de l’Europe (d’abord réelle puis nominale),
l’Assemblée a régulièrement suggéré une modification du règlement
financier afin que le solde non dépensé de l’année écoulée (reliquat)
soit laissé à la disposition de l’Organisation, et non plus restitué
aux États membres.
21. Cette demande n’a pas été exaucée. Cependant, l’Assemblée
remercie les États (20 en 2015) qui ont laissé à la disposition
de l’Organisation les crédits non dépensés de l’année précédente,
pour un total de 413 000 € (correspondant à 28 % du reliquat 2015),
qui ont pu être réaffectés aux besoins de la Cour européenne des
droits de l'homme et de différents plans d’action.
22. Afin d’endiguer l’érosion mécanique des ressources de l’Organisation
en raison de l’inflation (qui est actuellement de 0,5 % en France)
et d’éviter que les effets positifs de la décision de la Turquie
d’intégrer le club des grands contributeurs soient gommés à moyen
terme, l’Assemblée réitère son appel aux États membres de revenir
à une croissance réelle du budget afin de donner au Conseil de l’Europe
les moyens de fonctionner correctement. En période de faible inflation,
et compte tenu de l’application actuelle du règlement financier
concernant la destination des reliquats, un retour à une croissance
réelle n’est pas un effort insurmontable pour la grande majorité
des États membres. Cette décision représenterait un signe fort de l’engagement
des États dans la perspective d’un 4e Sommet
des chefs d’État et de gouvernement des États membres du Conseil
de l’Europe (en 2019).