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Avis 294 (2017)

Budget et priorités du Conseil de l'Europe pour l'exercice biennal 2018-2019

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 30 mai 2017 (voir Doc. 14318, rapport de la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles, rapporteur: M. George Loucaides).

1. L’Europe doit faire face à des tensions de plus en plus vives liées aux menaces d’attaques terroristes, à la persistance des hostilités dans les zones de conflit, à la crise des migrants et des réfugiés, et à une situation économique encore fragile dans un certain nombre d’États membres. Par ailleurs, l’accroissement des inégalités économiques et sociales en Europe et au-delà, ainsi que l’augmentation de la pauvreté et de l’exclusion sociale, mais aussi l’insuffisance des réponses des institutions publiques à ces défis, fournissent un terrain fertile au développement du populisme, de l’extrémisme, du racisme et de la xénophobie partout en Europe.
2. Ces tendances sapent les principes et les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. L’Assemblée parlementaire considère que le Conseil de l’Europe, de par sa dimension géographique et son solide système de valeurs, est l’organisation européenne le plus à même de combattre ces menaces, de contrer les dérives actuelles et de relever ces défis, en réaffirmant la nécessité de défendre ses valeurs que sont les droits de l’homme, l’État de droit et la démocratie.
3. L’Assemblée partage pleinement l’analyse que le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, M. Thorbjørn Jagland, a présentée dans son discours intitulé «Comprendre le populisme et défendre les démocraties européennes: le Conseil de l’Europe en 2017» prononcé devant elle le 24 janvier 2017. Depuis bientôt soixante-dix ans, le Conseil de l’Europe veille à faire respecter dans tous les États membres les principes de l’État de droit, de la démocratie pluraliste et des droits de l’homme. Comme l’y encourage le Secrétaire Général, «ce précieux héritage» doit être protégé.
4. Pour les prochains programmes et budget biennaux 2018-2019, le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe identifie trois défis prioritaires que le Conseil de l’Europe devra s’efforcer de relever:
4.1. répondre à la menace populiste, en dotant les citoyens européens de parlements efficaces, de médias dynamiques et pluralistes, de tribunaux dans lesquels ils peuvent avoir confiance, d’une société civile qui leur offre des moyens d’agir et, ce qui est essentiel, de droits sociaux dans les secteurs de l’emploi, de la santé et de l’éducation, le tout au sein de sociétés inclusives;
4.2. défendre les droits des migrants et des réfugiés, au travers de l’action de tous les organes du Conseil de l’Europe;
4.3. lutter contre le terrorisme, en axant les initiatives sur son financement, notamment à travers le trafic d’objets culturels, que le Secrétaire Général dénonce comme le commerce des «antiquités du sang».
5. L’Assemblée réaffirme la position qu’elle avait énoncée dans son Avis 288 (2015) sur le budget et les priorités du Conseil de l’Europe pour l’exercice biennal 2016-2017, selon laquelle l’ensemble des actions menées par le Conseil de l’Europe doit aller de pair avec la mise en place d’un système cohérent de protection des droits de l’homme à l’échelle européenne, et d’une coopération renforcée avec les États membres pour lutter contre le terrorisme, en veillant à ce que les États n’adoptent pas de mesures contraires aux principes de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
6. S’agissant de la question des migrants et des réfugiés, l’Assemblée regrette que le Conseil de l’Europe n’ait plus de comité intergouvernemental chargé de cette question. Elle salue néanmoins l’initiative du Secrétaire Général, qui a nommé un représentant spécial sur les migrations et les réfugiés, chargé de promouvoir et de coordonner les actions de l’Organisation dans ce domaine.
7. Dans ce contexte, l’Assemblée soutient pleinement la nouvelle Convention du Conseil de l’Europe sur les infractions visant des biens culturels (STCE n° 221), qui était au cœur des priorités de la présidence chypriote du Comité des Ministres, seul traité international consacré aux mesures et aux sanctions pénales contre les activités illicites dans le domaine du patrimoine culturel. L’Assemblée invite tous les États membres et non membres du Conseil de l’Europe à la signer et à la ratifier le plus tôt possible.
8. Toutefois, on ne pourra apporter une réponse aux défis mentionnés par le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe sans œuvrer en faveur d’une véritable Europe sociale sur tout le continent européen, objectif que partage également l’Union européenne ainsi qu’elle l’a affirmé dans la Déclaration de Rome du 25 mars 2017. En conséquence, l’Assemblée souhaite que le programme d’activités du prochain budget biennal soit renforcé dans le domaine des droits sociaux, avec comme objectif de lutter contre l’accroissement des inégalités sociales et économiques qui ne cessent de se creuser en Europe. L’Assemblée entend également soutenir toutes les initiatives visant à faire de la Charte sociale européenne (STE n° 35) le socle sur lequel doit s’appuyer le pilier social de l’Union européenne, afin de contribuer à l’édification d’une Europe sociale et inclusive plus harmonisée.
9. L’Assemblée souhaite que des initiatives résolues soient prises afin que tous les États membres du Conseil de l’Europe soient Parties à la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163), qui contient les droits sociaux les plus avancés, et qu’ils adoptent le système de réclamation collective prévu par la Charte, soit en signant et en ratifiant le Protocole additionnel prévoyant un système de réclamations collectives (STE no 158), soit en acceptant l’article D de la Charte sociale révisée.
10. L’Assemblée aimerait également que le programme de travail du Conseil de l’Europe pour l’exercice 2018-2019 s’inscrive dans la lignée de la Résolution 70/1 des Nations Unies «Transformer notre monde: le Programme de développement durable à l’horizon 2030» adoptée le 25 septembre 2015, qui définit 17 objectifs de développement durable, dont au moins huit correspondent aux priorités du Conseil de l’Europe.
11. L’Assemblée reconnaît que le train de réformes conduit par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe depuis son entrée en fonction en 2009 pour revitaliser l’Organisation et lui donner un nouvel élan politique a porté ses fruits. En redéfinissant les programmes d’actions du Conseil de l’Europe afin qu’ils répondent aux défis auxquels les États membres sont confrontés et en renforçant les domaines prioritaires, en particulier l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, les questions d’égalité et de dignité humaine, la liberté d’expression et des médias, la lutte contre le terrorisme et son financement, et, enfin, la crise des migrants et des réfugiés, le Secrétaire Général a su redonner à l’Organisation toute sa place.
12. Dans ce contexte, l’Assemblée soutient pleinement les différents plans d’action thématiques ou nationaux mis en place par le Secrétaire Général. En réalisant des projets concrets, le Conseil de l’Europe a pu apporter à un nombre ciblé de pays, en particulier ceux de l’Europe orientale et de l’Europe du Sud-Est, une assistance substantielle pour leur permettre de répondre aux exigences du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.
13. S’agissant plus particulièrement des plans d’action thématiques, l’Assemblée encourage vivement l’initiative du Secrétaire Général visant à la mise en place d’un plan d’action consacré aux enfants migrants non accompagnés, qui fait écho au travail de l’Assemblée et à sa campagne parlementaire pour mettre fin à la rétention d’enfants migrants, lancée en 2015 et financée grâce à la générosité de la Suisse.
14. Toutefois, promouvoir des solutions efficaces à long terme pour relever l’ensemble des défis auxquels les États membres font face réclame un nouvel engagement du Conseil de l’Europe. Cela ne sera possible que si l’Organisation renforce sa capacité normative, mise en œuvre par son réseau de comités intergouvernementaux, dont les mandats pourraient être revus pour tenir compte des défis susmentionnés.
15. Or, l’Assemblée regrette que le pilier consacré à l’établissement de normes – cœur historique du Conseil de l’Europe et de la coopération intergouvernementale – ait été quelque peu marginalisé par rapport aux programmes d’assistance technique.
16. En 2012, le secteur intergouvernemental a été profondément réorganisé pour faire face à la pression exercée sur le budget ordinaire du Conseil de l’Europe, accentuée dès 2014 par la décision du Comité des Ministres d’imposer à l’Organisation le principe de croissance zéro en termes nominaux des contributions obligatoires des États membres au budget ordinaire. La coopération intergouvernementale, disposant de moins de ressources financières, a réduit le nombre de ses comités directeurs (avec un mandat plus large) et de ses réunions (une à deux par an).
17. La faiblesse de cette stratégie réside dans la focalisation de l’attention et des moyens au profit d’un nombre limité d’États membres. Or, la mission du Conseil de l’Europe est de s’adresser à 47 États européens. Restaurer pleinement ce rôle nécessite un renforcement de la coopération intergouvernementale, matérialisée par les deux piliers que sont l’établissement de normes et le suivi de leur application. L’Assemblée est convaincue que des réponses concrètes peuvent être apportées aux défis actuels si les États partagent leurs expériences. Pour ce faire, les comités intergouvernementaux actuels (directeurs et subordonnés) devraient disposer des ressources supplémentaires nécessaires pour pouvoir élargir leurs mandats et accroître leur rythme de réunion, moyens indispensables pour permettre l’élaboration d’outils efficaces.
18. Ce renforcement des mécanismes de coopération implique, d’une part, la promotion des traités du Conseil de l’Europe notamment vis-à-vis de l’Union européenne, qui n’a pas pleinement exploité les possibilités existantes pour adhérer aux traités du Conseil de l’Europe – n’étant Partie qu’à 11 conventions sur les 54 qui lui sont ouvertes – et, d’autre part, une clarification de l’attitude des États membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne concernant leur participation au travail intergouvernemental qui, en raison de leurs obligations dans le cadre de l’Union européenne, peuvent bloquer le Conseil de l’Europe dans l’élaboration de nouvelles conventions ou la révision de conventions existantes, qui sont importantes en particulier pour les États non membres de l’Union européenne.
19. Pour répondre à tous ces défis, le Conseil de l’Europe doit revenir à une croissance réelle. Entre 2013 et 2017, les contributions payées par les États membres au budget ordinaire sont restées stables, voire, pour certains pays, ont diminué. En revanche, la Turquie, en décidant d’augmenter sa contribution aux budgets du Conseil de l’Europe pour l’exercice biennal 2016-2017 (budget ordinaire, fonds de réserve des pensions et budget extraordinaire) a contribué à redonner de l’oxygène à l’Organisation, lui permettant de couvrir notamment les besoins organiques (tels que les investissements immobiliers, la sécurité, la modernisation des outils informatiques, le fonctionnement des organes intergouvernementaux et statutaires, et les services centraux).
20. Depuis que les États membres appliquent une croissance zéro au budget du Conseil de l’Europe (d’abord réelle puis nominale), l’Assemblée a régulièrement suggéré une modification du règlement financier afin que le solde non dépensé de l’année écoulée (reliquat) soit laissé à la disposition de l’Organisation, et non plus restitué aux États membres.
21. Cette demande n’a pas été exaucée. Cependant, l’Assemblée remercie les États (20 en 2015) qui ont laissé à la disposition de l’Organisation les crédits non dépensés de l’année précédente, pour un total de 413 000 € (correspondant à 28 % du reliquat 2015), qui ont pu être réaffectés aux besoins de la Cour européenne des droits de l'homme et de différents plans d’action.
22. Afin d’endiguer l’érosion mécanique des ressources de l’Organisation en raison de l’inflation (qui est actuellement de 0,5 % en France) et d’éviter que les effets positifs de la décision de la Turquie d’intégrer le club des grands contributeurs soient gommés à moyen terme, l’Assemblée réitère son appel aux États membres de revenir à une croissance réelle du budget afin de donner au Conseil de l’Europe les moyens de fonctionner correctement. En période de faible inflation, et compte tenu de l’application actuelle du règlement financier concernant la destination des reliquats, un retour à une croissance réelle n’est pas un effort insurmontable pour la grande majorité des États membres. Cette décision représenterait un signe fort de l’engagement des États dans la perspective d’un 4e Sommet des chefs d’État et de gouvernement des États membres du Conseil de l’Europe (en 2019).