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Résolution 2166 (2017)
La transition politique en Tunisie
1. Depuis la
«Révolution de la dignité» intervenue en janvier 2011, la Tunisie
est sur la voie de la démocratie. Des pays concernés par le «Printemps
arabe», elle est le seul à avoir connu un développement positif.
2. Dans ses Résolutions
1791 (2011) et 1819 (2011), et sa Recommandation
1972 (2011) sur la situation en Tunisie, ainsi que dans sa Résolution 1893 (2012) sur la transition politique en Tunisie, l’Assemblée parlementaire
a apporté son soutien aux aspirations démocratiques du peuple tunisien
et offert sa coopération afin que les institutions et la société
civile tunisiennes puissent bénéficier de son expérience en matière d’accompagnement
de la transition démocratique.
3. Dans le cadre de l’observation des élections, l’Assemblée
parlementaire a suivi tous les scrutins nationaux tenus en Tunisie
depuis 2011, l’élection de l’Assemblée nationale constituante d’octobre
2011, celle de l’Assemblée des représentants du peuple en octobre
2014 et celle du Président de la République en décembre 2014, et
a salué leur organisation et leur déroulement.
4. L’Assemblée se félicite de l’adoption de la Constitution du
27 janvier 2014 qui reflète les attentes du plus grand nombre des
Tunisiens, consacre un chapitre entier aux droits de l’homme et
aux libertés fondamentales, dote la Tunisie d’une Cour constitutionnelle
chargée de les faire respecter, et met en place un système politique
où les contre-pouvoirs sont institutionnalisés.
5. L’Assemblée rend hommage au peuple tunisien et à ses dirigeants,
qui ont su mener à bien ce processus constitutionnel dans un contexte
politique et sécuritaire très difficile, et salue le sens des responsabilités
et du compromis des décideurs politiques ainsi que l’engagement
de la société civile, en particulier celui du Quartet du dialogue
national tunisien mené par l’Union générale des travailleurs tunisiens.
6. L’Assemblée note avec satisfaction que le nouveau cadre institutionnel
fonctionne. Le parlement monocaméral, l’Assemblée des représentants
du peuple, s’est doté d’un règlement intérieur qui met en œuvre les
droits conférés à l’opposition par la Constitution. La responsabilité
politique du gouvernement devant l’Assemblée des représentants du
peuple est effective. Enfin, le Président de la République joue
un rôle très actif d’impulsion dans le processus législatif et de
garant de la Constitution.
7. L’Assemblée appelle les autorités tunisiennes à donner toute
leur place tant aux instances constitutionnelles indépendantes qu’aux
instances nationales établies par la loi. L’ensemble de ces instances sont
destinées à contribuer de manière importante à la protection des
droits de l’homme, conformément aux «Principes de Paris» approuvés
par l’Assemblée générale et la Commission des droits de l’homme
des Nations Unies, devenue depuis le Conseil des droits de l’homme.
En conséquence, l’Assemblée invite les autorités compétentes:
7.1. à adopter rapidement le projet
de loi organique comportant des dispositions communes à toutes les
instances constitutionnelles, dont l’Assemblée des représentants
du peuple a été saisie depuis le mois de mars 2016;
7.2. à octroyer les ressources financières et les moyens humains
aux instances constitutionnelles et législatives à la hauteur des
responsabilités qui leur sont confiées;
7.3. à garantir l’indépendance de ces instances en assurant
réellement leur autonomie financière, telle qu’elle est prévue par
la Constitution et/ou leurs textes statutaires;
7.4. à saisir la Commission européenne pour la démocratie par
le droit (Commission de Venise) tant sur le projet de loi organique
commun aux instances constitutionnelles que sur les projets de lois organiques
propres à chacune des instances qui prendront la suite des instances
provisoires actuelles.
8. L’Assemblée a pris note de la démission simultanée de trois
membres de l’Instance supérieure indépendante pour les élections,
dont son vice-président et son président. Elle rend hommage à l’exemplarité du
travail effectué par l’instance et appelle ses membres à poursuivre
l’organisation des élections à venir de manière impartiale et transparente,
dans le respect de la Constitution et des conventions internationales.
9. L’Assemblée salue les réformes menées dans le domaine judiciaire
qui contribuent à la construction de l’État de droit et soutient
les efforts déployés par le ministère de la Justice pour mettre
en place des pôles financiers capables de lutter efficacement contre
la corruption. Elle note la fin du blocage concernant l’élection du
Conseil supérieur de la magistrature, qui devrait permettre la mise
en place de la Cour constitutionnelle.
10. L’Assemblée est consciente du besoin de mener la réconciliation
nationale à son terme, y compris dans les domaines économique et
financier. Elle rappelle cependant qu’il importe que cette réconciliation
ne se fasse pas au détriment de la justice et ne débouche pas sur
un sentiment d’impunité. À cet égard, elle appelle l’Assemblée des
représentants du peuple à prendre en considération les principes
de l’avis intérimaire de la Commission de Venise sur les aspects
institutionnels du projet de loi sur les procédures spéciales concernant la
réconciliation dans les domaines économique et financier de la Tunisie,
à l’occasion d’un nouveau débat sur une version révisée de ce projet
de loi.
11. L’Assemblée confirme son fort attachement à la liberté de
la presse et salue les progrès intervenus en ce sens en Tunisie.
Elle encourage les autorités tunisiennes à préserver la réelle indépendance
des journalistes et à garantir que tous les groupes de presse se
comportent de manière éthique. En outre, l’état d’urgence ne doit
pas être utilisé pour interférer dans le travail des journalistes.
La voie à suivre pour réprimer les comportements illégaux qui ne
mettent pas en danger la sécurité nationale est celle des procédures
civiles et pénales. Dans ce contexte, elle appelle les autorités
tunisiennes:
11.1. à soutenir pleinement
la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle
dans sa mission de régulation et à créer le plus rapidement possible
l’instance constitutionnelle indépendante en charge du secteur audiovisuel;
11.2. à régler le plus rapidement possible la question des organes
de presse confisqués et administrés par la puissance publique après
la chute du régime de Ben Ali, ainsi que celle des journalistes
qui y sont employés.
12. L’Assemblée note avec satisfaction que la Tunisie a spontanément
demandé au Conseil de l’Europe d’accompagner la mise en place de
son mécanisme national de prévention de la torture. Elle encourage
les autorités tunisiennes:
12.1. à
mettre en œuvre les recommandations du Comité des Nations Unies
contre la torture, publiées en mai 2016, selon lesquelles les mauvais
traitements infligés par des dépositaires de la force publique restent
trop souvent impunis;
12.2. à donner à l’instance nationale pour la prévention de
la torture, le plus rapidement possible, les ressources financières
et les moyens humains nécessaires à son fonctionnement.
13. L’Assemblée salue les réformes menées par la Tunisie pour
lutter contre les discriminations. À cet égard, elle soutient les
autorités tunisiennes dans leur volonté continue de promouvoir l’égalité
entre les hommes et les femmes, conformément à la Constitution.
14. Elle considère que le mode de scrutin adopté pour les élections
municipales et régionales, qui impose l’alternance sur les listes
entre un homme et une femme et qui oblige les formations politiques
à réserver la moitié des têtes de liste à des femmes, tout en constituant
une discrimination positive, améliorera de manière significative
la représentation politique des femmes.
15. En matière de discrimination, elle encourage les autorités
tunisiennes:
15.1. à intensifier
la lutte contre les discriminations économiques à l’égard des femmes
et à veiller à ce que l’ensemble des progrès législatifs en matière
d’égalité soient mis en œuvre, quelle que soit l’origine géographique
ou sociale de celles-ci;
15.2. à poursuivre leurs efforts en matière de criminalisation
du racisme et à adopter le projet de loi en ce sens actuellement
débattu à l’Assemblée des représentants du peuple;
15.3. à reconsidérer la licéité des dispositions du Code pénal
criminalisant l’homosexualité à la lumière de la Constitution, qui
interdit toute forme de discrimination et garantit le droit à la
vie privée.
16. L’Assemblée est solidaire du peuple tunisien dans sa lutte
contre le terrorisme et se félicite du travail des forces de l’ordre.
Dans ce contexte:
16.1. elle appelle
les autorités tunisiennes à évaluer la mise en œuvre de la loi organique
no 2015-26 du 7 août 2015 relative à
la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent, notamment
en ce qui concerne:
16.1.1. la durée
de la garde à vue et la possibilité d’empêcher la présence d’un
avocat pendant les premières 48 heures;
16.1.2. plus généralement, ses effets sur les libertés au regard
des résultats obtenus en matière de sécurité publique;
16.2. elle invite les autorités tunisiennes à réaffirmer leur
attachement au maintien du moratoire sur la peine de mort que la
Tunisie respecte depuis 1991 et à s’engager à ce que ni l’application
de la loi du 7 août 2015, ni celle d’articles du Code pénal qui
prévoient la peine capitale ne le remettent en cause.
17. L’Assemblée appelle les États membres et observateurs du Conseil
de l’Europe, ainsi que l’Union européenne, à apporter leur aide
à la Tunisie pour lui permettre d’affronter les défis économiques
et sécuritaires qui conditionnent la réussite de sa transition démocratique.
Elle réitère son appel de 2012 aux principaux partenaires internationaux
de la Tunisie à soutenir la relance économique et touristique du
pays, et encourage les autorités tunisiennes à faire de la lutte
contre la corruption un outil de retour à la croissance.
18. Elle invite également ces partenaires internationaux à poursuivre
leur coopération dans le domaine de la sécurité, dans le respect
de la souveraineté tunisienne, et considère l’Initiative tunisienne
pour la Libye comme la meilleure solution, à l’heure actuelle, pour
permettre la mise en œuvre de l’accord de Skhirat négocié sous l’égide
des Nations Unies. En matière de gestion des ressortissants tunisiens
revenant des zones de conflit, elle encourage la Tunisie à établir
des coopérations avec les pays ayant enregistré des résultats probants
en matière de déradicalisation.
19. Compte tenu des défis économique et sécuritaire auxquels la
Tunisie est actuellement confrontée, du contexte géopolitique incertain
dans lequel elle évolue, et de l’importance des liens économiques
et humains qui l’unissent à l’Europe, l’Assemblée estime que l’Europe
doit tout mettre en œuvre afin de ne pas laisser la Tunisie être
déstabilisée par son environnement immédiat. La Tunisie et l’Europe
partagent une proximité de destin. Une détérioration de la situation
en Tunisie aurait des répercussions immédiates sur le continent européen,
sur les plans migratoire et sécuritaire. En conséquence, l’Assemblée:
19.1. exhorte instamment les États
membres et observateurs du Conseil de l’Europe ainsi que l’Union européenne
à prendre toutes les mesures adéquates pour préserver la stabilité
et contribuer à la transition démocratique de la Tunisie;
19.2. attire l’attention des institutions compétentes de l’Union
européenne, et en particulier de la Commission européenne, sur l’importance,
pour la Tunisie, d’obtenir un accord de libre-échange complet et
approfondi qui soit équitable, en particulier dans le domaine de
l’agriculture.
20. L’Assemblée se félicite de la coopération intense et fructueuse
de la Tunisie avec les différentes instances du Conseil de l’Europe,
qui contribue largement à sa transition démocratique. Cette coopération devrait
être développée davantage et étendue à d’autres domaines, notamment
celui de la décentralisation tunisienne, pour laquelle le Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe vient d’être sollicité.
21. L’Assemblée estime que cette coopération gagnerait en efficacité
si elle était complétée par un dialogue au niveau parlementaire.
Elle se tient prête à renforcer ses liens avec l’Assemblée des représentants
du peuple et invite les élus tunisiens à profiter pleinement de
l’occasion qu’elle offre de participer au dialogue parlementaire
européen.