1. Malheureusement,
c’est plus qu’une «crise» passagère
1. M. Marques, dans son rapport,
a raison d’analyser les défis globaux soulevés par les flux de migrants et
de réfugiés à grande échelle, y compris leurs causes profondes ces
dernières années; il anticipe également les défis à venir comme
les migrations forcées causées par le dérèglement des conditions
climatiques.
2. Il ressort donc clairement du rapport que le terme de «crise»
seul ne rend pas justice aux défis auxquels les pays européens doivent
faire face. En effet, le terme de «crise» décrit une situation exceptionnelle, temporaire
qui devrait être bientôt surmontée. Cependant, les flux de migrants
et de réfugiés que l’Europe connaît depuis quelques années ont des
causes géopolitiques et économiques dans le voisinage et au-delà, comme
les conflits syrien et en libyen, mais aussi la situation générale
en Afrique qui, malheureusement, devrait perdurer dans les années
à venir.
3. La Commission des questions politiques et de la démocratie
a réagi dès 2012 à la guerre en Syrie, puis en 2013 et plus récemment
a élaboré un rapport sur la situation à Alep. Le constat est choquant:
la
Résolution 1878 (2012) aurait pu être rédigée aujourd’hui, alors qu’il s’est
écoulé cinq années aux conséquences humanitaires catastrophiques,
dont plus de 300 000 morts! En effet, nous sommes toujours à la
recherche d’un «processus politique inclusif dirigé par les Syriens»,
conduisant à une véritable transition politique qui «doit répondre
aux aspirations du peuple syrien et lui permettre de décider de
son avenir, de manière indépendante et démocratique, par le biais
d'élections libres et équitables, après la stabilisation de la situation
dans le pays»
.
4. Concernant la situation en Libye, notre commission a organisé
une conférence régionale en juin 2015 à Rome et a discuté, entre
autres choses, de la situation en Libye notamment avec des représentants
de ce pays
. Encore une fois, la situation a
peu évolué depuis. Nous essayons toujours de stabiliser la situation politique
et sécuritaire en Libye pour aider les autorités libyennes à s’assurer
le contrôle des frontières terrestres et maritimes et pour lutter
contre les activités de transit et de trafic
. Le soutien de l’Union européenne
au Conseil de la présidence et au gouvernement d’union nationale
soutenus par les Nations Unies a été récemment réaffirmé dans la
Déclaration de Malte, adoptée par le Conseil européen du 3 février
2017, dont l’objectif général est de parvenir à «un règlement politique
inclusif dans le cadre de l’accord politique libyen»
.
5. Tant que nous ne parviendrons pas à apporter des réponses
politiques appropriées à ces conflits, il est difficile d’imaginer
comment nous pourrions empêcher les habitants de quitter ces régions,
eux qui risquent leur vie et celles de leurs proches pour fuir la
guerre. Par conséquent, je soutiens pleinement la position de M. Marques,
qui se retrouve dans le projet de résolution proposée par la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, selon lequel
les États membres du Conseil de l’Europe et les pays voisins de
l’Europe devraient poursuivre le dialogue politique avec les pays
où sévit un conflit armé et s’employer au mieux à promouvoir des
solutions pacifiques. Notre Assemblée peut au moins jouer un rôle modeste
mais important, notamment de plateforme de dialogue, avec les pays
dont le parlement a le statut de partenaire pour la démocratie,
comme la Jordanie
et le Maroc
ou ceux avec qui nous avons mis en
place un dialogue privilégié, comme la Tunisie
.
6. D’autres causes profondes des flux de migrants et de réfugiés,
comme les difficultés économiques du fait de l’augmentation des
inégalités dans le monde, vont malheureusement perdurer, tandis
que les causes environnementales liées au dérèglement des conditions
climatiques deviennent de plus en plus prégnantes.
7. Par conséquent, je propose, par l'amendement F, d'ajouter
au titre de la résolution une référence aux «flux continus en Europe»
afin qu'il soit clair que ce qui a commencé comme une situation
d'urgence, une «crise», est un phénomène qui se poursuit et qui
malheureusement ne se terminera pas de sitôt.
8. Pour les mêmes raisons, je propose, par l’amendement A une
référence, au premier paragraphe de la résolution, aux «flux de
migrants et de réfugiés à grande échelle vers l’Europe». L’amendement
A vise aussi à renforcer le message principal et la finalité du
rapport, à savoir la nécessité de proposer une «réponse humanitaire
et politique globale», chose que l’Europe a jusqu’à présent échoué
à faire, principalement à cause du manque de volonté politique de
la part de beaucoup de gouvernements européens.
2. Principes de
dignité humaine et de solidarité, base d’une réaction globale
9. Il est évident, et M. Marques
partage cette position dans son rapport, que les problèmes soulevés
par les flux de migrants et de réfugiés à grande échelle en Europe
ne peuvent pas être résolus par une gestion technocratique de ces
flux, par des politiques fragmentaires pour dissuader ou «intercepter»
les migrants ou les réfugiés, et encore moins par la fermeture des
frontières ou la construction de murs.
10. Toute réaction humanitaire et politique globale à ces problèmes
devrait se fonder sur les principes et valeurs de dignité humaine
et de solidarité et viser à améliorer la coopération et à harmoniser
la protection des droits de l’homme comme cela est défini, entre
autres, dans le texte fondamental de la culture juridique européenne,
la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
Tel devrait être le message principal de la résolution qui sera
adoptée et, bien que ce soit également ce que veut dire M. Marques
dans son rapport, je propose d’énoncer plus clairement les principes
qui devraient guider notre action commune dans l’amendement C.
11. En effet, on pourrait se demander ce qui reste encore aujourd’hui
des valeurs fondamentales et des grands idéaux qui ont inspiré,
à l’époque, les premiers visionnaires d’une intégration européenne
pacifique et démocratique. La crise des réfugiés a entraîné l’émergence
de phénomènes, de politiques, de discours et de stéréotypes de notre
sombre passé européen que nous pensions voués à l’oubli. Le racisme
et la xénophobie réapparaissent dans une atmosphère générale d’obsolescence
et de déclin institutionnels; c’est le grand retour des contrôles,
mais aussi des gardes armés et des barbelés le long de frontières
hermétiquement fermées entre États européens.
12. Le plein respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux
des réfugiés et des demandeurs d’asile est un des sujets pour lequel
il faudrait trouver un consensus pour une réaction globale. Comme
la question des droits fondamentaux des réfugiés et des migrants
est abordée dans le rapport de M. Miltiadis Varvitsiotis sur les
«Répercussions sur les droits de l’homme de la réponse européenne
aux migrations de transit en Méditerranée»
, je tiens, pour ma part, à souligner
que la culture et les valeurs européennes ne sont pas menacées par
les réfugiés, mais uniquement par ceux qui, sous prétexte de les
défendre, s’enfoncent dans la misanthropie et le racisme. L’Europe
aura perdu ses valeurs et sa substance même si nous fermons la porte
et tournons le dos aux personnes qui cherchent un refuge.
13. Viennent ensuite la solidarité et le partage équitable des
responsabilités, qui sont un autre grand principe sur lequel devrait
se fonder toute réponse aux mouvements importants de réfugiés et
de migrants en Europe mais aussi dans le monde entier. En effet,
n’oublions pas que l’Europe n’accueille qu’une faible part des réfugiés
de notre monde.
14. Au nom des principes de solidarité et de partage équitable
des responsabilités, il convient de mettre en place un système équitable
et efficace d’allocation et de relocalisation des réfugiés, sur
la base du nombre de réfugiés auquel chaque pays est capable d’offrir
l’asile.
15. J’explique ci-dessous, dans la partie 3 qui traite spécifiquement
de l’Union européenne, ce que le principe de solidarité implique
pour ses États membres.
16. À l’échelle mondiale, il convient de rappeler un texte récent,
à savoir
la
Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants, adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies
en septembre 2016, qui souligne le besoin d’un partage équitable
des responsabilités dans l’accueil des réfugiés au niveau mondial. C'est
la raison pour laquelle je propose l’amendement B.
17. Cette importante déclaration politique cherche à améliorer
la réaction de la communauté internationale dans son ensemble face
aux mouvements importants de réfugiés et de migrants, y compris
quand la situation perdure. Elle reflète l’idée selon laquelle la
protection de ceux qui sont contraints à l’exil et l’aide apportée
aux pays et aux communautés qui les hébergent sont des responsabilités
partagées au niveau international, qui doivent être portées de manière
plus équitable et plus prévisible.
18. Dans son annexe I, la Déclaration de New-York présente un
Cadre d’action global pour les réfugiés qui appelle les États membres
à déployer une approche multipartite et collective de la société
qui comprend «les autorités nationales et locales, les organisations
internationales, les institutions financières internationales, les organisations
régionales, les mécanismes de coordination régionale et de partenariat,
les partenaires de la société civile, notamment les organisations
confessionnelles et les universités, les entités du secteur privé,
les médias et les réfugiés eux-mêmes»
. En particulier,
le cadre vise à assurer des réponses plus durables pour les réfugiés
en établissant plus tôt, lors des crises, des liens entre l’action
humanitaire et l’aide au développement, et en renforçant les approches
durables d’investissement dans la résilience des réfugiés et des
communautés d’accueil, notamment par des investissements dans les
systèmes nationaux et locaux, si possible
.
19. Dernier point et pas le moindre, toute réponse humanitaire
et politique globale à la crise des migrants et des réfugiés et
au flux continus vers l’Europe devrait comporter une politique globale
d’intégration sociale et économique des réfugiés dans les sociétés
européennes, comme M. Marques le souligne à propos dans son rapport.
Le fanatisme religieux est le dernier refuge de ceux qui n’ont nulle
part vers où se tourner, les isolés, les exclus. Le lien entre la
violence aveugle et l’exclusion sociale, la pauvreté, le chômage
et le racisme est démontré et ne peut être réfuté.
20. L’intégration des réfugiés réinstallés et relocalisés est
un défi de taille pour les pays hôtes et personne ne conteste le
fait que cela demande des mesures et des investissements conséquents
de leur part. Je comprends donc que le projet de résolution proposé
par la commission des migrations cherche à éviter que ces mesures
et ces investissements ne soient «gaspillés», dans le cas où les
réfugiés qui ont reçu de l’aide partiraient dans un autre pays.
Cependant, on ne peut pas les «obliger» à vivre dans le pays qui
les a aidés. Je propose donc, avec l’amendement E, de garder le
message mais de le reformuler afin qu’il soit clair que nous ne
voulons pas obliger les réfugiés à s’installer dans un pays donné,
mais que nous souhaitons créer des incitations pour qu’ils choisissent
de s’installer dans le pays qui les a aidés et qui a facilité leur
intégration.
3. Conséquences
du principe de solidarité pour les États membres de l’Union européenne
21. Comme je l’ai indiqué plus
haut, le principe de solidarité devrait être le fondement de toute
réponse politique globale aux défis soulevés par les flux de migrants
et de réfugiés aujourd’hui et à l’avenir.
22. Dans cette dernière partie exclusivement consacrée à l’Union
européenne, je tiens à souligner que, pour les États membres de
celle-ci, la solidarité n’est pas un simple principe politique qu’ils
peuvent choisir de mettre en œuvre ou non. Il s’agit d’une obligation
juridique issue de l’article 80 du Traité sur le fonctionnement
de l’Union européenne et d’un principe fondamental du droit de l’Union.
23. Ce principe a pris forme grâce à des décisions concrètes fondamentales
prises par l’Union européenne en 2015 sur la relocalisation et la
réinstallation de migrants et de réfugiés, conçues pour partager
l’effort et la responsabilité de façon plus équitable entre États
membres. Il est inacceptable que deux ans après, ces décisions juridiquement
contraignantes soient restées largement lettre morte. On se demande
pourquoi le principe pacta sunt servanda ne
s’applique pas dans ce cas. Il faut espérer que la Cour de Luxembourg,
qui examine actuellement les cas de la Hongrie et de la République
slovaque à cet égard, dissipera le moindre doute sur l’obligation
juridique incombant aux États membres de l’Union européenne de mettre
en œuvre les décisions qu’ils ont eux-mêmes prises.
24. De fait, comment peut-on parler de réformer la politique migratoire
européenne alors que l’Europe a échoué à appliquer ses propres politiques
et décisions dans ce domaine?
25. C’est pourquoi avec l’amendement D, je propose que, dans un
seul paragraphe traitant des responsabilités spécifiques au niveau
de l’Union européenne, nous clarifiions le caractère juridique du
principe de solidarité et la nécessité d’appliquer pleinement les
décisions de relocalisation et de réinstallation déjà prises.
26. De plus, je suggère que nous soyons plus précis sur le stade
de procédure au sein de l’Union européenne concernant le processus
de réforme et en particulier l’adoption du nouveau règlement sur
une procédure d’asile commune. En réalité, ce dernier est actuellement
bloqué au sein du Conseil européen par certains États membres. Plutôt
que d’appeler à son application une fois adopté, nous devrions donc commencer
par demander son adoption au plus vite.
27. Je rejoins tout à fait le projet de résolution proposé lorsqu’il
suggère de réformer le régime d’asile européen commun dans son ensemble,
y compris de réviser le règlement de Dublin. Dans le libellé, je
propose de rendre plus clair le fait que cette réforme devrait aboutir
précisément à un système fixe et permanent de partage équitable
des responsabilités entre les Etats membres de l’Union européenne
en application du principe de solidarité juridiquement contraignant.
De mon point de vue, la seule option viable pour atteindre ce but
consiste à entériner juridiquement les quotas obligatoires pour
la relocalisation des demandeurs d’asile, sur la base de critères
spécifiques intégrés au sein du système de Schengen, afin d’obtenir
une application automatique.
28. Pour conclure, je tiens à rappeler le discours prononcé par
Václav Havel en 1996 à Aix-la-Chapelle, où il a déclaré que l’Union
européenne représentait une tentative sans précédent de transformer
l’Europe en un espace démocratique régi par la solidarité.
29. Aujourd’hui, nous sommes peut-être face à la dernière possibilité
de sauver les valeurs sur lesquelles l’unité de l’Europe s’est construite:
la solidarité, la démocratie et l’égalité entre les États partenaires,
et l’assurance que les États et les peuples d’Europe avanceront
sur un même chemin. Il faut que nous travaillions ensemble en toute
bonne foi et dans un esprit de compréhension mutuelle pour y parvenir.