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Résolution 2171 (2017)

Le contrôle parlementaire de la corruption: la coopération des parlements avec les médias d'investigation

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 27 juin 2017 (22e séance) (voir Doc. 14274, rapport de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, rapporteure: Mme Gülsün Bilgehan). Texte adopté par l’Assemblée le 27 juin 2017 (22e séance).Voir également la Recommandation 2106 (2017).

1. La corruption sape les systèmes démocratiques et économiques des États. Lutter contre cette menace est indispensable pour défendre les valeurs européennes et doit rester une priorité tant pour le Conseil de l’Europe que pour ses États membres. L’Assemblée parlementaire est fermement résolue à œuvrer pour renforcer la dimension parlementaire de cette lutte, notamment à travers sa plateforme anticorruption.
2. Les parlements nationaux ont un rôle essentiel à jouer, non seulement à travers leur activité législative mais aussi en encourageant l’intégrité dans leurs propres rangs, en donnant le bon exemple en matière de transparence et en renforçant la coopération avec la société civile et particulièrement avec les médias.
3. Le journalisme d’investigation est une arme essentielle de la lutte contre la corruption et, dans certains cas, il est peut-être le seul moyen externe de prévention réellement efficace. De nombreux cas de corruption n’auraient jamais été dévoilés sans le travail patient, difficile et dangereux accompli par des journalistes et le courage de lanceurs d’alerte. Dès lors, l’Assemblée considère que le journalisme d’investigation est un «bien public», qu’il faut davantage valoriser et soutenir. L’Assemblée note qu’un financement exclusif du journalisme d’investigation par des sources privées ou par des sources contrôlées par l’État pourrait générer un manque de confiance du public dans le choix des sujets d’investigation et la manière dont ils sont traités.
4. Les parlements nationaux devraient rechercher activement des synergies avec les journalistes et les médias d’investigation dans la lutte contre la corruption et les malversations financières, et plus largement dans la promotion d’une bonne gouvernance. L’Assemblée est convaincue qu’une coopération plus étroite entre les parlements et les journalistes d’investigation renforcerait le rôle et la crédibilité des parlements dans la lutte contre la corruption et la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques et les médias.
5. Un environnement favorable au journalisme d’investigation – et plus généralement à la liberté d’information et à celle des médias – requiert tout d’abord une protection efficace des journalistes contre toute atteinte à leur sécurité et intégrité physique, toute mesure de détention abusive, toute tentative d’intimidation et toute pression indue contraire à leur indépendance. L’Assemblée le rappelle sans cesse. Néanmoins, d’autres conditions sont aussi nécessaires afin que le journalisme d’investigation puisse mieux servir la cause commune qu’est la lutte contre la corruption.
6. En conséquence, l’Assemblée recommande aux États membres du Conseil de l’Europe de mieux intégrer le rôle du journalisme d’investigation dans leurs stratégies de lutte contre la corruption et, à cet effet:
6.1. de se doter de lois assurant l’accès le plus large possible à l’information;
6.2. de mettre en place des mécanismes financiers pour soutenir le journalisme d’investigation sans compromettre son indépendance;
6.3. d’assurer une protection adéquate aux donneurs d’alerte, y compris en limitant le risque de poursuites pénales et de rétorsions.
7. L’Assemblée recommande en particulier aux parlements nationaux:
7.1. en ce qui concerne l’accès à l’information:
7.1.1. de veiller à ce que la Convention du Conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics (STCE no 205) soit ratifiée le plus tôt possible, si ce n’est pas déjà fait;
7.1.2. d’inscrire dans les calendriers des travaux parlementaires la révision et l’amélioration des lois d’accès à l’information; ces lois devraient, entre autres:
7.1.2.1. s’appliquer aussi aux parlements et garantir la transparence des intérêts financiers de tous leurs membres;
7.1.2.2. prévoir que les données relatives aux propriétaires et aux bénéficiaires effectifs des sociétés seront aisément accessibles au public en général et aux journalistes d’investigation en particulier;
7.2. en ce qui concerne le soutien financier au journalisme d’investigation:
7.2.1. d’étudier, en étroite collaboration avec les associations nationales de journalistes, la création d’un fonds national pour le journalisme d’investigation, dont les statuts devraient garantir l’absence de but lucratif et une gestion transparente et indépendante du politique; prévoir que ce fonds national puisse bénéficier de subventions publiques, ainsi que de dons privés dont la transparence devra être garantie;
7.2.2. d’inscrire au budget annuel une subvention affectée au financement de projets d’enquête, de reportages ou d’investigations journalistiques, dont le montant devrait assurer la viabilité financière du fonds; l’organe de gestion du fonds devrait avoir l’obligation d’informer le parlement et le public de son utilisation, sans préjudice des enquêtes en cours de réalisation ou prévues;
7.3. en ce qui concerne une meilleure protection des lanceurs d’alerte:
7.3.1. de donner une définition précise, mais large, des «lanceurs d’alerte» et de leur assurer un niveau de protection au moins égal à celui prévu par la Recommandation CM/Rec(2014)7 du Comité des Ministres sur la protection des lanceurs d’alerte; en particulier:
7.3.1.1. de reconnaître un «droit de donner l’alerte» dans tous les cas où la divulgation de l’information est faite de bonne foi et répond clairement à l’intérêt du public, par exemple lorsqu’il s’agit de violations des droits fondamentaux ou du droit pénal, y compris de corruption active ou passive, ou de faits qui révèlent une mise en danger de la sécurité, de la santé ou de l’environnement;
7.3.1.2. de configurer l’exercice du «droit de donner l’alerte» comme une condition objective d’exclusion de la responsabilité pénale; d’interdire et de sanctionner les mesures de rétorsion ou les pressions abusives sur les lanceurs d’alerte;
7.3.1.3. d’introduire un mécanisme de signalement au niveau national (n’excluant pas la possibilité de dénonciation directe de tout fait illicite aux autorités judiciaires) pour permettre aux donneurs d’alerte de saisir, sans crainte d’un quelconque préjudice, une autorité indépendante ayant les pouvoirs d’enquête et d’intervention nécessaires pour donner suite à l’alerte, tout en garantissant selon les besoins la confidentialité ou l’anonymat des lanceurs d’alerte;
7.3.1.4. à cet égard, d’étudier comme solution alternative à la création d’agences spécialisées en priorité deux pistes d’action, l’une n’excluant pas l’autre: premièrement, la saisine de commissions parlementaires d’enquête, en mettant en place au niveau des parlements nationaux des procédures spécifiques à cet égard; et, deuxièmement, la saisine du médiateur national, lorsque cet organe existe, en lui conférant explicitement par la loi cette compétence, si ce n’est pas déjà le cas;
7.4. en ce qui concerne la collaboration entre les parlements nationaux et les journalistes d’investigation et la valorisation de leur travail:
7.4.1. de promouvoir l’image du journalisme d’investigation et la reconnaissance sociale de sa fonction dans le cadre d’une société démocratique; de mieux associer les médias d’investigation à la réflexion sur les réformes législatives les concernant et aux travaux des commissions parlementaires d’enquête; et de porter cette collaboration et ses résultats à l’attention du grand public.