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Rapport d'information | Doc. 14390 | 04 septembre 2017

Pour une approche démocratique des questions d’autodétermination et de sécession

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Alain DESTEXHE, Belgique, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13895, Renvoi 4154 du 2 octobre 2015. Rapport d’information approuvé par la commission le 27 juin 2017. 2017 - Troisième partie de session

Résumé

La question de l’autodétermination, ou de la sécession, est autant juridique que politique. Certains débats en cours en Europe témoignent de l’ampleur possible des controverses et des désaccords autour de cette question. Mais d’autres exemples européens montrent également que ces questions peuvent être abordées de manière plus apaisée.

En vertu de la nature complexe, mais aussi fortement politisée, des questions juridiques en présence, ainsi que de la grande diversité des situations concrètes pertinentes, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme a estimé qu’il lui aurait été impossible de se positionner en arbitre et de définir des lignes directrices génériques applicables à tous les cas potentiels. La commission a donc décidé de présenter un rapport d’information ayant pour objet de rappeler les principes applicables du droit international public et ne prenant parti ni en faveur ni contre les aspirations indépendantistes ou non des différentes parties en présence. Des exemples représentatifs (sans prétention d’exhaustivité) illustrent le rapport.

Dans ce rapport, la commission souligne la nécessité de régler ces questions dans le cadre d’un dialogue pacifique, démocratique et respectueux de l’État de droit et des droits de l’homme (dont les droits des minorités nationales) entre la région concernée et le gouvernement de l’Etat dont elle fait partie.

1. Introduction

1.1. Procédure

1. Le 2 octobre 2015, l'Assemblée parlementaire a transmis la proposition de résolution «Pour une approche démocratique des questions de gouvernance dans les États européens plurinationaux» à la commission des questions juridiques et des droits de l'homme pour rapport 
			(1) 
			Il
est intéressant de rappeler qu’une proposition de résolution traitant
de questions connexes intitulée «La situation des nations sans État
en Europe» (Doc. 13846) avait été classée sans suite par le Bureau de l’Assemblée. . Lors de sa réunion du 8 décembre 2015, la commission m'a nommé rapporteur. Suite à l’examen d’une note introductive, base du présent texte, et à l’issue de plusieurs échanges de vues, la commission a accepté ma proposition de préparer un rapport d’information sur ce sujet.

1.2. Enjeux

2. La proposition de résolution à la base de ce rapport indique que «[d]es mouvements en faveur de l’autodétermination sont actifs dans toute la région du Conseil de l’Europe; ils fondent leur légitimité sur le large soutien de la population de leur territoire et sur leurs propres normes démocratiques internes, dont le rejet de la violence». La proposition de résolution se réfère au droit à l’autodétermination, ainsi qu’aux droits des minorités, et appelle l’Assemblée parlementaire à «examiner la question de l’autodétermination de régions européennes». Elle se réfère à différents cas, notamment au Royaume-Uni (Ecosse), mais aussi au Danemark (îles Féroé et Groenland). Le sujet de ce rapport soulève des questions délicates relatives aux débats indépendantistes en cours dans certains États membres du Conseil de l’Europe. Alors que certains exemples, comme le cas de l’Écosse, démontrent que ces questions peuvent être abordées de manière relativement apaisée, d’autres, comme c’est le cas de la Catalogne, font l’objet de controverses et de désaccords majeurs. N’oublions pas que la question de l’indépendance, ou de la sécession, est autant juridique que politique.

3. Plusieurs éléments sont en jeu dans ces débats, non seulement des questions historiques, culturelles, identitaires et linguistiques mais aussi des questions territoriales, financières et budgétaires non négligeables.

4. Le présent rapport d’information n’a évidemment pas la prétention d’apporter une solution ni une issue aux discussions en cours dans différents États membres du Conseil de l’Europe, mais rappelle quelques principes du droit international public et insiste sur la nécessité de régler ces questions dans le cadre d’un dialogue pacifique, démocratique et respectueux de l’État de droit et des droits de l’homme (dont les droits des minorités nationales) entre la région concernée et le gouvernement de l’État dont elle fait partie.

2. Droit à l’autodétermination et sécession en droit international

5. Aux fins de ce rapport, il est important de rappeler les différentes façons de créer un nouvel État:

  • dans le cadre du processus de la décolonisation, la création d’un nouvel État indépendant mais déjà limité territorialement (où un État colonisé se séparait de l’État métropolitain);
  • la dissolution d’un État existant, ce qui consiste en l’éclatement d’un État en deux ou plusieurs nouveaux États, dont aucun ne peut prétendre être le successeur légal de celui dont ils sont issus, sinon par accord entre les États successeurs (par exemple, l’éclatement de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) ou de la Yougoslavie);
  • la sécession (c’est-à-dire l’amputation d’un territoire d’un État; par exemple, la création du Monténégro ou du Soudan du Sud);
  • la fusion (par exemple, la création du Yémen) 
			(2) 
			Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, L.G.D.J.,
Paris 1999, p. 512-524..

6. L’article 1.2 de la Charte des Nations Unies de 1945 précise que l’un des buts des Nations Unies consiste à «développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes». L'article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 dispose que «[t]ous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel». Ce droit à l’autodétermination est accordé par le droit international aux «peuples», sans qu’il apporte de précisions formelles quant à la définition de «peuples» 
			(3) 
			Renvoi relatif à la
sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217, 1998 CanLII 793 (CSC), 20
août 1998, paragraphes 123 et 124.. Compte tenu de la situation particulière des peuples soumis à la domination coloniale ou à d’autres formes de domination ou d’occupation étrangères, la Déclaration de Vienne de 1993 (entre autres) réaffirme le droit à l’autodétermination 
			(4) 
			<a href='http://www.ohchr.org/Documents/Events/OHCHR20/VDPA_booklet_fr.pdf'>www.ohchr.org/Documents/Events/OHCHR20/VDPA_booklet_fr.pdf.</a>.

7. Néanmoins, en dehors du processus de la décolonisation, le droit international public ne consacre pas le droit des peuples de faire sécession, car cette dernière se heurte au principe fondamental de l’intégrité territoriale des États 
			(5) 
			Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op. cit., p. 520-521.. Notre collègue Marina Schuster (Allemagne, ADLE) avait déjà examiné la question du droit à la sécession dans le cadre de la préparation de son rapport sur «La souveraineté nationale et le statut d’État dans le droit international contemporain: nécessité d’une clarification» 
			(6) 
			Doc. 12689, 12 juillet 2011.. Elle a clairement exposé la réponse classique selon laquelle, en raison de la prévalence de l’intégrité territoriale des États, il n’existe pas en principe de droit (unilatéral) de sécession. A l’exception près des déclarations unilatérales d’indépendance dans le cadre du processus de décolonisation, qui ont été jugées légitimes.

8. En effet, le droit international consacre le principe de l'intégrité territoriale et de l'intangibilité des frontières et toute sécession peut être considérée comme une perturbation des relations internationales. Cette approche a été confirmée notamment dans la Résolution 1514 (XV) 
			(7) 
			Adoptée
le 14 décembre 1960. de l'Assemblée générale des Nations Unies qui dispose que «toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l'unité nationale et l'intégrité territoriale d'un pays est incompatible avec les buts et les principes des Nations Unies». La Résolution 2625 (XXV) précise que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne peut être interprété «comme autorisant ou encourageant une action, quelle qu'elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement l'intégrité territoriale ou l'unité politique de tout État souverain et indépendant» 
			(8) 
			<a href='http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/2625(XXV)&TYPE=&referer=/french/&Lang=F'>Résolution
2625 (XXV) relative aux principes du droit international touchant
aux relations amicales et à la coopération entre les États conformément
à la Charte des Nations unies</a>, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies
le 24 octobre 1970. La Déclaration de Vienne de 1993 précise que
ce droit «ne devra pas être interprété comme autorisant ou encourageant
toute mesure de nature à démembrer ou compromettre, en totalité
ou en partie, l’intégrité territoriale ou l’unité politique d’États
souverains et indépendants respectueux du principe de l’égalité
de droits et de l’autodétermination des peuples et, partant, dotés
d’un gouvernement représentant la totalité de la population appartenant au
territoire, sans distinction aucune»..

9. En outre, l’article 27 du Pacte des droits civils et politiques, qui se réfère explicitement aux droits des minorités nationales, ne mentionne pas leur droit à l’autodétermination 
			(9) 
			Cet article stipule
que: «Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses
ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent
être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres
de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer
leur propre religion, ou d'employer leur propre langue.». Dans le cadre du Conseil de l’Europe, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157) de 1994, le premier instrument multilatéral européen juridiquement contraignant consacré à la protection des minorités nationales en général, a pour objet de protéger l'existence des minorités nationales «sur le territoire respectif» des Parties. Dans le préambule de cette convention, on lit aussi que «l'épanouissement d'une Europe tolérante et prospère ne dépend pas seulement de la coopération entre États mais se fonde aussi sur une coopération transfrontalière entre collectivités locales et régionales respectueuse de la constitution et de l'intégrité territoriale de chaque État». L’article 15 de la Convention-cadre stipule que «[l]es Parties s'engagent à créer les conditions nécessaires à la participation effective des personnes appartenant à des minorités nationales à la vie culturelle, sociale et économique, ainsi qu'aux affaires publiques, en particulier celles les concernant».

10. Un droit de sécession unilatérale pourrait être envisagé en dehors du contexte colonial dans le cas d’un peuple victime d’atteintes à son existence ou en cas de violation massive de ses droits fondamentaux 
			(10) 
			<a href='https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/1643/index.do'>Renvoi
relatif à la sécession du Québec</a>, op. cit., paragraphe
135.. La Cour suprême du Canada résume la situation en ces termes: «Le droit à l’autodétermination en droit international donne tout au plus ouverture au droit à l’autodétermination externe dans le cas des anciennes colonies; dans le cas des peuples opprimés, comme les peuples soumis à une occupation militaire étrangère; ou encore dans le cas où un groupe défini se voit refuser un accès réel au gouvernement pour assurer son développement politique, économique, social et culturel. 
			(11) 
			Ibid., paragraphe 138.»

11. Dans ce contexte, l’Avis consultatif du 22 juillet 2010 de la Cour internationale de justice (ci-après la CIJ) sur la conformité avec le droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo* 
			(12) 
			* Toute
référence au Kosovo dans le présent document, qu’il s’agisse de
son territoire, de ses institutions ou de sa population, doit être
entendue dans le plein respect de la Résolution 1244 du Conseil
de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, sans préjuger du
statut du Kosovo. est pertinent 
			(13) 
			22 juillet 2010, <a href='http://www.icj-cij.org/docket/files/141/15988.pdf'>Conformité
au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance
relative au Kosovo, avis consultatif</a>, C.I.J. Recueil 2010,
p. 403. .

12. La CIJ conclut que la déclaration d’indépendance du Kosovo en date du 17 février 2008 ne constitue pas une violation du droit international général. Elle fonde cet avis sur le fait que le droit international ne contient pas de règles interdisant les déclarations d’indépendance. La Serbie ne partage pas cet avis. Au contraire elle a argumenté dans un exposé écrit soumis à la CIJ que la déclaration unilatérale d’indépendance «viole le principe de l’intégrité territoriale des États, l’un des principes fondamentaux du droit international, ainsi que le régime juridique international établi par la Résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité. La [déclaration unilatérale d’indépendance] peut donc être considérée à la fois comme une tentative de faire sécession de manière illicite d’avec la Serbie, l’État originel, et comme une tentative de mettre fin à l’administration des Nations Unies au Kosovo établie par le Conseil de sécurité en application du Chapitre VII de la Charte» 
			(14) 
			<a href='http://www.icj-cij.org/docket/files/141/15687.pdf'>www.icj-cij.org/docket/files/141/15687.pdf.</a>.

13. La position de la CIJ ne fait pas l’unanimité, et la CIJ note elle-même dans son avis que plusieurs participants à la procédure ont soutenu qu’une interdiction des déclarations unilatérales d’indépendance était implicitement contenue dans le principe de l’intégrité territoriale 
			(15) 
			Communiqué de presse
de la CIJ no 2010/25, 22 juillet 2010.. C’est notamment le cas de la Serbie, qui défend la thèse selon laquelle le principe d’intégrité territoriale, élément essentiel de l’ordre international, s’étend au-delà des États et lie les entités non étatiques en cas de tentatives non consensuelles de violation de l’intégrité territoriale d’États indépendants 
			(16) 
			<a href='http://www.icj-cij.org/docket/files/141/15687.pdf'>www.icj-cij.org/docket/files/141/15687.pdf</a>. La Cour estime pour sa part que «la portée du principe de l’intégrité territoriale est (…) limitée à la sphère des relations interétatiques».

14. En pratique, le Conseil de sécurité des Nations Unies a condamné des déclarations d’indépendance dans des cas pour lesquels la CIJ relève que «l’illicéité de ces déclarations découlait non de leur caractère unilatéral, mais du fait que celles-ci allaient ou seraient allées de pair avec un recours illicite à la force ou avec d’autres violations graves de normes du droit international général» 
			(17) 
			Concernant
par exemple la Rhodésie du Sud (Résolutions 216 (1965) et 217 (1965)),
le nord de Chypre (résolution 541 (1983)) et la Republika Srpska
(résolution 787 (1992))..

15. Dans cet avis, la CIJ ne répond pas à la question du droit de se séparer d’un État. Elle estime que les questions relatives à la portée du droit à l’autodétermination ou l’existence d’un droit de «sécession-remède» sortent du cadre de celle qui lui a été posée 
			(18) 
			Dans son avis, la Cour
précise qu’elle «n’est pas tenue, par la question qui lui est posée,
de prendre parti sur le point de savoir si le droit international
conférait au Kosovo un droit positif de déclarer unilatéralement
son indépendance, ni, a fortiori, sur le point de savoir si le droit
international confère en général à des entités situées à l’intérieur
d’un État existant le droit de s’en séparer unilatéralement»..

16. Dans son rapport susmentionné (paragraphe 7), Mme Schuster a rappelé que «le droit à l’autodétermination ne peut pas autoriser toute minorité régionale à faire sécession par rapport à un État existant» 
			(19) 
			Doc. 12689, paragraphe 26. et que «[l]'autodétermination de groupes minoritaires doit plutôt s’inscrire dans une participation au gouvernement d'État, et sous forme de délégation de pouvoir dans un processus d’autonomie régionale – autonomie qui doit recouvrir les secteurs de l’éducation et de la culture, entre autres, mais qui ne doit pas conduire à l’indépendance» 
			(20) 
			Ibid.. Les États ont l’obligation de ne pas reconnaître l’entité sécessionniste qui s’est créée en violation du droit international 
			(21) 
			Ibid.,
paragraphe 32.. Dans sa Résolution 1832 (2011) «La souveraineté nationale et le statut d’État dans le droit international contemporain: nécessité d’une clarification», l’Assemblée «considère que, même si le droit international venait à reconnaître un droit à l’autodétermination aux minorités nationales ou ethniques ou même, dans certains cas, aux majorités nationales, un tel droit n’équivaudrait pas automatiquement à un droit de sécession. Le droit à l’autodétermination doit être appliqué avant tout par le biais de la protection des droits des minorités, telle qu’elle est prévue dans la Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales (STE no 157), dans la Résolution 1334 (2003) de l’Assemblée, «Expériences positives des régions autonomes comme source d’inspiration dans la résolution de conflits en Europe», et dans d’autres instruments pertinents du droit international».

17. Une interprétation large du droit à l’auto-détermination représenterait un risque de fragmentation, ou de «balkanisation», qu’on ne saurait sous-estimer. Cependant, certains événements qui ont lieu au cours des dernières années, et notamment la création, suite à un processus pacifique, de nouveaux États comme le Monténégro en 2006 ou la séparation des Républiques tchèque et slovaque en 1993, peuvent inciter une réflexion sur une sécession pacifique et menée en plein respect des principes démocratiques, de l’État de droit et des droits de l’homme.

3. Exemples de débats en cours en Europe

18. Au sein des États membres du Conseil de l’Europe on observe plusieurs mouvements identitaires, voire indépendantistes, et il existe des zones de «conflits gelés». Les régions concernées aspirent à plus d’autonomie et, pour certaines, à l’indépendance. Leurs revendications identitaires ne se satisfont pas d’une autonomie culturelle, économique voire de politique régionale qu’elles considèrent insuffisante.

19. J’ai choisi d’illustrer ce rapport par quelques exemples représentatifs, sans prétention d’exhaustivité. Ces exemples se réfèrent à des mouvements indépendantistes, qui agissent de manière pacifique et dans le cadre des mécanismes démocratiques; je m’abstiendrai de revenir sur la problématique des «conflits gelés». J’évoquerai donc les cas de la Catalogne et de l’Écosse, au sud et au nord de l’Europe, et il me serait impossible de faire l’impasse sur mon propre pays, la Belgique, et sur les revendications indépendantistes de la Flandre. En aucun cas je n’entends prendre parti dans ces discussions, mais tenterai de présenter la situation actuelle de la manière la plus objective possible. Ces exemples sont pertinents notamment parce qu’on y observe des mouvements indépendantistes importants et parce que ces régions disposent de structures et d’institutions politiques organisées et ont déjà de larges compétences autonomes. Par ailleurs, le fait que ces exemples soient issus d’États membres de l’Union européenne, une organisation internationale sui generis beaucoup plus intégrée que le Conseil de l’Europe, leur donne un intérêt supplémentaire.

20. Les exemples qui suivent sont basés sur des informations généralement admises.

  • La Catalogne

21. Depuis le début des années 2000, le mouvement nationaliste catalan est de plus en plus dynamique. Le nouveau statut d’autonomie, dont la Catalogne a été dotée en 2006, la définit en tant que «nationalité». Après approbation par le Parlement catalan, par le Congrès des Députés et par le Sénat espagnols, ce statut d’autonomie est approuvé le 18 juin 2006 par la population de Catalogne par référendum à plus de 73 %. Selon le Statut d’autonomie la communauté autonome de Catalogne est constituée d’organes politiques propres appelés Généralité (Generalitat): le Parlement; la Présidence de la Généralité; le Gouvernement.

22. Le Statut d’autonomie fut par la suite contesté devant le Tribunal constitutionnel espagnol qui, quatre ans plus tard dans un arrêt rendu le 28 juin 2010, annule 14 articles du Statut d’autonomie et en modifie 27 autres. Tout en lui reconnaissant une valeur historique et culturelle, le Tribunal constitutionnel a considéré que l’inscription du concept de «nation catalane» dans le Statut d'autonomie était anticonstitutionnelle. Il a également jugé anticonstitutionnels la préférence accordée à la langue catalane dans l’administration et les médias publics, tout en acceptant son caractère obligatoire dans l'enseignement, ainsi que d’autres articles concernant notamment certaines compétences financières.

23. A la suite de cette décision, le 10 juillet 2010 une grande marche de protestation a réuni à Barcelone plus d’un million de personnes, les représentants institutionnels et la majorité des partis politiques catalans. Des manifestations massives similaires ont eu lieu les années suivantes, chaque 11 septembre (Fête nationale de la Catalogne) pour revendiquer le droit de décision et l’indépendance.

24. Le 23 janvier 2013, le Parlement de la Catalogne a approuvé la «Déclaration de souveraineté et du droit de décision du peuple de Catalogne». Cette Déclaration a été considérée anticonstitutionnelle par le Tribunal constitutionnel espagnol le 25 mars 2014 en ce qui concerne l’attribution de la qualité de souverain au peuple catalan.

25. Le 9 novembre 2014, un vote de consultation portant sur l’indépendance de la Catalogne a montré que 80 % des plus de 2 millions de votants ont voté oui à l’indépendance. Ce résultat reste purement indicatif puisque le Tribunal constitutionnel, dans sa décision du 25 mars 2014, avait jugé anticonstitutionnelle la tenue d’un référendum. Par ailleurs, le camp des opposants à l’indépendance avait appelé à l’abstention.

26. Le 27 septembre 2015, les élections législatives au Parlement de la Catalogne ont eu pour la première fois comme résultat une majorité absolue indépendantiste 
			(22) 
			Les listes «Ensemble
pour le oui» et «Candidature d'unité populaire». (72 sièges sur 135). Le Parlement et le Gouvernement catalans qui en sont issus se sont engagés à mettre en œuvre une feuille de route devant conduire la Catalogne vers l’indépendance.

27. Le 9 novembre 2015, le Parlement de la Catalogne a adopté une résolution proclamant le début du processus de création d’un État catalan indépendant en forme de république 
			(23) 
			<a href='http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/11/09/le-parlement-catalan-vote-en-faveur-de-la-rupture-avec-l-espagne_4805833_3214.html'>En
Catalogne, le Parlement vote en faveur de la rupture avec l’Espagne</a>, Le Monde, 9 novembre
2015. . Cette résolution a été invalidée le 2 décembre 2015 par le Tribunal constitutionnel espagnol 
			(24) 
			<a href='http://www.justice-en-ligne.be/article804.html'>www.justice-en-ligne.be/article804.html.</a>. La résolution du Parlement de Catalogne avait anticipé cette décision et précisé que «le Parlement et le processus de déconnexion démocratique ne dépendront pas des décisions des institutions de l’État espagnol, en particulier du Tribunal constitutionnel» 
			(25) 
			<a href='http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/11/09/le-parlement-catalan-vote-en-faveur-de-la-rupture-avec-l-espagne_4805833_3214.html'>En
Catalogne, le Parlement vote en faveur de la rupture avec l’Espagne</a>, Le Monde, 9 novembre
2015. .

28. Le Tribunal constitutionnel base ses décisions sur l’article 1.2 de la Constitution espagnole qui établit que la souveraineté nationale appartient au peuple espagnol, et sur l’article 2 qui proclame l’indivisibilité de la nation espagnole. Il est toutefois intéressant de relever que, dans sa décision de 2014, le Tribunal constitutionnel a souligné que la Constitution espagnole pouvait être réformée selon les procédures en vigueur et a souligné l’importance du dialogue.

29. Le 6 octobre 2016, le Parlement de la Catalogne a approuvé une feuille de route qui prévoit la tenue d’un référendum d’indépendance en 2017. Le 14 décembre 2016, saisi par le Gouvernement espagnol, le Tribunal constitutionnel a suspendu la feuille de route et a annoncé qu’il se prononcerait sur le fond dans un délai de cinq mois 
			(26) 
			<a href='http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/catalogne-la-presidente-du-parlement-devant-la-justice-625367.html'>Catalogne:
La présidente du parlement devant la justice</a>, La Tribune, 16
décembre 2016. . Le Président de la Généralité de Catalogne a annoncé que le référendum aurait lieu le 1er octobre 2017. Madrid conteste la tenue d’un tel référendum.

30. Il est intéressant de noter qu’un échange de lettres a eu lieu entre le Président de la Généralité de Catalogne et le Président de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise). Le Président de la Commission de Venise, en réponse à un courrier reçu du Président de la Généralité de Catalogne, a rappelé la position constante de la Commission de Venise selon laquelle tout référendum doit être tenu dans le plein respect de la Constitution et de la législation en vigueur.

  • L’Écosse

31. Le cas de l’Écosse se distingue par la réponse apportée dans les années 1990 par le Gouvernement britannique à l’affirmation nationaliste écossaise, à savoir la dévolution du pouvoir. L’Écosse jouit d’une grande autonomie depuis le Scotland Act de 1998, dans les limites du respect de la souveraineté du Royaume-Uni. Ainsi, l’Écosse est dotée de son propre gouvernement et le parlement écossais a été réinstauré et vote des lois concernant les affaires internes à l’Écosse.

32. Par ailleurs, en 2012, le Gouvernement écossais et le Gouvernement du Royaume-Uni se sont entendus dans l’Accord d’Édimbourg pour fixer le cadre juridique d’un possible référendum sur l’indépendance de l’Écosse. Selon les termes de cet accord, le référendum devait avoir une base juridique claire; être légiféré par le Parlement écossais; être mené de manière à susciter la confiance des parlements, du gouvernement et des personnes; offrir un test juste et une expression décisive de l’opinion des gens en Ecosse et un résultat que tout le monde respecterait 
			(27) 
			<a href='http://www.independent.co.uk/news/uk/politics/text-of-the-edinburgh-agreement-8212225.html'>Text
of the «Edinburgh Agreement».</a>. Conformément aux termes de l’accord, un référendum s’est tenu le 18 septembre 2014. Il s’est soldé par la victoire du non à l’indépendance à 55,3 % des suffrages exprimés. A la suite de ce référendum, la dévolution des pouvoirs en faveur de l’Écosse (notamment en matière fiscale, mais aussi en matière constitutionnelle) s’est poursuivie avec l’adoption du Scotland Act 2016 
			(28) 
			<a href='http://www.legislation.gov.uk/ukpga/2016/11/contents/enacted'>Scotland
Act 2016</a>, 24 mars 2016..

33. L’aspect remarquable ici réside dans l’existence d’un dialogue démocratique apaisé et d’un accord a priori entre les institutions régionales et l’État central sur les modalités du référendum.

34. Suite à la victoire du «oui» au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne au référendum britannique sur le «Brexit» le 23 juin 2016, le Gouvernement écossais a annoncé la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Écosse. En effet, contrairement à l’Angleterre, l’Écosse a largement voté pour le maintien du pays dans l’Union européenne (à 62%). L’accord du Gouvernement britannique sera peut-être nécessaire à la tenue d’un nouveau référendum, à moins que l’Accord d’Édimbourg de 2012 ne s’applique mutatis mutandis. Remarquons cependant que la suggestion du Parti national écossais (SNP) d’inclure dans le Scotland Act 2016 la possibilité pour le Parlement écossais de décider quand tenir un autre référendum sur l’indépendance n’avait pas été retenue par la Parlement britannique 
			(29) 
			<a href='http://www.independent.co.uk/news/uk/politics/scotland-bill-four-things-you-need-to-know-about-the-new-devolution-powers-a6729096.html'>Scotland
Bill: Four things you need to know about the new devolution powers</a>, The Independent, 10
novembre 2015.. En octobre 2016, le gouvernement écossais a publié un projet de loi sur un second référendum d’indépendance 
			(30) 
			<a href='https://www.theguardian.com/politics/2016/oct/20/second-scottish-independence-referendum-bill-published'>Scottish
independence: draft bill published on second referendum</a>, The Guardian,
20 novembre 2016.. En mars 2017, le Parlement écossais a pris position en décidant par un vote de demander formellement au Royaume Uni les compétences pour organiser un nouveau référendum d’indépendance au printemps 2019, c’est-à-dire au moment où le Royaume-Uni sortira de l’Union européenne 
			(31) 
			<a href='https://www.theguardian.com/politics/2017/mar/28/scottish-parliament-votes-for-second-independence-referendum-nicola-sturgeon'>Scottish
parliament votes for second independence referendum</a>, The Guardian,
28 mars 2017..

35. Il ne fait aucun doute que l’évolution en Ecosse suite au «Brexit» est observée avec attention en Europe. La question de savoir à quelles conditions, et à quelle vitesse, une Ecosse indépendante réintégrerait l’Union européenne est aussi hautement pertinente.

  • La Flandre

36. J’en viens à mon troisième exemple, les aspirations émancipatrices que l’on observe en Flandre et parfois aussi en Wallonie. Historiquement, ce mouvement a commencé par des revendications de protection des droits linguistiques. En 1970, à l’occasion d’une première révision de la Constitution belge (la première réforme de l’État), sont créées des communautés culturelles: la Communauté culturelle flamande, la Communauté culturelle française et la Communauté culturelle allemande. Les tensions entre les communautés francophone et flamande ont amené l’État belge à continuer de se réformer et à se restructurer à plusieurs reprises (1980, deuxième réforme de l’État; 1988/1989, troisième réforme de l’État). Longtemps État unitaire, la Belgique est, depuis la révision constitutionnelle de 1993 (quatrième réforme de l’État), un État fédéral composé de trois Communautés et de trois Régions. Les réformes de l’État se poursuivent et avec elles le transfert de compétences de l’autorité fédérale aux régions et aux communautés (2001, cinquième réforme de l’État).

37. En 2010 le parti séparatiste flamand N-VA arrive en tête des élections législatives anticipées en Flandre. A ce moment, ce parti a revendiqué une réforme des institutions en vue de donner une autonomie accrue à la Flandre dans le domaine économique et social. A l’issue d’une période record sans gouvernement fédéral un accord de réforme constitutionnelle approfondissant encore la décentralisation est trouvé (2012/2014, sixième réforme de l’État). Suite aux élections de 2014, la N-VA entre au gouvernement fédéral. Cependant, il a été décidé de mettre de côté la question communautaire sous cette législature (jusqu’en 2019) même si les tensions communautaires apparaissent néanmoins à travers une série de dossiers.

38. Le fédéralisme belge est très avancé dans le sens où le niveau de pouvoir fédéral n'a pas de préséance par rapport aux entités fédérées. Par ailleurs, les entités fédérées ont de nombreuses compétences exclusives, qui ne peuvent donc pas être détenues par l’État fédéral. La Communauté flamande et la Région flamande ont leur gouvernement et leur parlement. Leurs compétences exclusives sont nombreuses et incluent la gestion des relations internationales dans les domaines concernés.

4. Qu’est-ce qui est en jeu dans ce débat?

39. En continuant de me référer aux exemples mentionnés plus haut, je souhaiterais mettre en évidence certaines questions qui font débat autour de la question de l’indépendance.

40. Avant tout, ce sont des questions historiques, culturelles et linguistiques qui sont à la base des revendications indépendantistes. Les territoires ou régions concernés entendent défendre et protéger leur identité, leur langue et leurs spécificités culturelles. Ce sont des intérêts évidemment légitimes, mais ils doivent être défendus dans le respect des droits et libertés des minorités au sein de ces mêmes territoires (bien souvent des personnes issues de la majorité de l’État central).

41. La question financière est sans aucun doute un élément très important dans ces discussions. La Catalogne est une région riche, représentant près de 20 % de la richesse du pays 
			(32) 
			<a href='http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/09/28/20002-20150928ARTFIG00166-catalogne-l-independance-est-elle-viable-economiquement.php'>Catalogne:
l'indépendance est-elle viable économiquement?</a>, Le Figaro, 28
septembre 2015., et un contributeur majeur à l’économie espagnole. La Catalogne dénonce régulièrement une contribution excessive au remboursement de la dette espagnole et une répartition inégale des dotations de l’État.

42. La Flandre, avec 60 % de la population belge et également près de 60 % du produit intérieur brut (PIB) du pays 
			(33) 
			<a href='http://www.iweps.be/pib-en-volume'>www.iweps.be/pib-en-volume.</a>, est une région beaucoup plus prospère économiquement que la Wallonie. Ici aussi, la question d’une contribution budgétaire disproportionnée de la Flandre en faveur de la Wallonie est au cœur des débats sur l’indépendance 
			(34) 
			Pour plus de détails,
lire «State Reform induced “schizony” in Belgian public finance»,
Rick Daems, mai 2015..

43. Cet aspect est moins important en ce qui concerne l’Écosse, qui n’est pas une région économiquement plus prospère que le reste du pays. Néanmoins, la question des ressources pétrolières écossaises fait partie des débats.

44. Le climat et le ton adopté dans les débats dans les différents cas susmentionnés ont une importance fondamentale.

45. En Espagne, l’absence de dialogue constructif a pour effet d’exacerber les velléités indépendantistes. Il y a encore seulement quelques années, une plus grande autonomie de la Catalogne (y compris fiscale) aurait pu contenter la plupart des Catalans. Le refus de dialogue et la fin de non-recevoir de Madrid à ces demandes ont cristallisé les désaccords et radicalisé les positions en faveur de l’indépendance.

46. Par contre, le Royaume-Uni et l’Écosse s’étaient entendus à travers un dialogue politique apaisé sur les modalités d’un référendum en Ecosse sur l’indépendance. La question a été posée, et la population a choisi de rester au sein du Royaume-Uni. Cette position n’est cependant pas immuable et la question se pose de manière accrue suite au vote sur le «Brexit».

47. Il convient de souligner que dans les cas étudiés les revendications indépendantistes s’expriment toutes de manière pacifique.

48. Il faut garder à l’esprit qu’aussi légitimes que des revendications d’indépendance ou de sécession d’une majorité de la population sur un territoire donné puissent être, les intérêts et droits des minorités au sein de la majorité indépendantiste doivent aussi être pris en compte et respectés. Toute tentative d’imposer l’indépendance sans négociation risquerait de ne pas être conforme à l’État de droit, aux principes démocratiques et aux droits de l’homme, voire de violer les droits des minorités.

49. Enfin, la question se pose de savoir quels seraient les coûts et/ou bénéfices tirés d’une sécession. Cette question me semble légitime et mérite d’être posée. Or, il est difficile de trouver des estimations à ce sujet. Il est important de disposer de chiffres exacts. La récente campagne du «Brexit» a démontré l’influence des arguments d’ordre budgétaire, qu’ils soient fondés ou non, sur la prise de position des citoyens. Il me semble donc indispensable de disposer de chiffres basés sur des données sérieuses et incontestables pour empêcher l’usage abusif de l’argument économique et budgétaire, dans un sens comme dans l’autre.

5. Exemples de processus d’indépendance pacifiques en dehors du contexte colonial

50. Les exemples de processus d’indépendance pacifiques ayant abouti à la création d’un ou plusieurs nouveaux États en dehors du contexte de la décolonisation sont peu nombreux, mais ils existent, y compris en Europe. Il serait intéressant d’identifier certains critères ayant favorisé des processus d’indépendance pacifiques et négociés dans le respect des principes du dialogue démocratique et sans atteintes aux droits de l’homme.

  • Le «divorce de velours» de la Tchécoslovaquie

51. L’un des exemples de solution négociée ayant abouti à une création pacifique de nouveaux États (suite à la dissolution d’un État déjà existant) est le cas du «divorce de velours» de la Tchécoslovaquie. Au moment du démantèlement du rideau de fer, le Conseil national slovaque proclame sa déclaration de souveraineté le 17 juillet 1993 et adopte le 1er septembre une Constitution. La dissolution de la République fédérative tchèque et slovaque est entérinée le 25 novembre 1993 par l’Assemblée fédérale. Le 16 décembre 1993, le Conseil national tchèque approuve à son tour la Constitution de la République tchèque. Six mois auront suffi pour formaliser l’indépendance des deux États.

52. Le cas de la Tchécoslovaquie peut s’expliquer par une accumulation d’éléments favorables ayant rendu la scission plus facile. On peut notamment identifier les éléments suivants: un état récent et peu centralisé, une justice scindée (hormis la Cour suprême), une dette publique faible (10 % du PIB), l’absence de parti politique fort opérant sur l’ensemble du territoire – le parti communiste était alors largement discrédité et impopulaire – et l’absence de tension sur la définition des nouvelles frontières. Par ailleurs, les Tchèques ont pu accepter la revendication indépendantiste des Slovaques, moins nombreux et moins riches que les Tchèques, d’autant plus aisément qu’ils n’ont pas souffert économiquement du démantèlement de l’État tchécoslovaque 
			(35) 
			État
de la question – Quelques éléments sur les scissions contemporaines
d’États, Philippe Hubert et Thomas Carlier, septembre 2010, IEV.. Par ailleurs, l’objectif commun aux deux nouvelles entités étatiques de maintenir des relations entre elles à travers de nombreux accords bilatéraux et d’intégrer rapidement les instances internationales a participé de manière significative à une solution pacifique et négociée.

53. Il est intéressant de noter qu’aucun des deux nouveaux États n’a revendiqué, ni n’a été considéré par la communauté internationale, comme le successeur de l’ancienne Tchécoslovaquie. L’accord politique entre les deux partis a résulté en une dissolution concertée. Autre aspect intéressant à noter, aucun référendum n’a été organisé pour consulter la population.

  • La Serbie-et-Monténégro

54. Le Monténégro, dernier État à avoir adhéré au Conseil de l’Europe, a également été constitué après avoir pacifiquement fait sécession de la Serbie 
			(36) 
			Il
convient de préciser que cette sécession s’est passée dans le contexte
particulier suivant l’éclatement de la Yougoslavie dans les années
1990.. Le 21 mai 2006, le Monténégro organisa un référendum sur l’indépendance (avec 55,5 % des votes exprimés en faveur 
			(37) 
			Conséquences
du référendum au Monténégro, Rapport de la commission des questions
politiques, Doc. 10980 (rapporteur: Lord Russell-Johnston, Royaume-Uni, ADLE). ). Le 3 juin 2006, le Parlement monténégrin adopta une déclaration d’indépendance. Elle fut suivie d’une déclaration du Parlement serbe le 5 juin 2006 déclarant l’État serbe comme successeur de l’ancien État commun de Serbie-et-Monténégro et reconnaissant l’indépendance de la Serbie et, par voie de conséquence, celle du Monténégro.

55. Il était en effet prévu à l’article 60 de la Constitution de Serbie-et-Monténégro de 2003 que les deux républiques constitutives avaient le droit de demander leur pleine indépendance trois ans après l’adoption de la nouvelle Constitution 
			(38) 
			<a href='http://mjp.univ-perp.fr/constit/yu2003.htm'>http://mjp.univ-perp.fr/constit/yu2003.htm.</a> 
			(38) 
			«Retrait
de la Communauté étatique de Serbie-et-Monténégro 
			(38) 
			Article
60 
			(38) 
			À l'expiration d'une période de trois ans, les
États membres ont le droit d'engager la procédure de changement
de leur statut étatique, c'est-à-dire la procédure de leur retrait
de la Communauté étatique de Serbie-et-Monténégro. 
			(38) 
			La
décision de se retirer de la Communauté étatique de Serbie-et-Monténégro
est prise après un référendum. 
			(38) 
			L'État membre promulgue
la loi sur le référendum, en tenant compte des standards démocratiques internationalement
reconnus. 
			(38) 
			Dans le cas du retrait de l'État du Monténégro
de la Communauté étatique de Serbie-et-Monténégro, les documents internationaux
relatifs à la République Fédérale de Yougoslavie, en particulier
la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies, se
rapporteraient et seraient intégralement applicables à l'État de
Serbie en tant que successeur. 
			(38) 
			L'État membre qui
use de son droit de se retirer n'hérite pas du droit à la personnalité
internationale et juridique, et toutes les questions litigieuses
seront réglées séparément entre l'État-successeur et l'État devenu
indépendant. 
			(38) 
			Au cas où les deux États membres se
prononcent lors de la procédure de référendum sur le changement
de leur statut d'État, à savoir pour leur indépendance, toutes les
questions litigieuses seront réglées au cours de la procédure de succession,
comme dans le cas de l'ancienne République socialiste fédérative
de Yougoslavie.». Cet article réglait par anticipation de nombreuses questions pratiques relatives à l’indépendance et à la succession. De toute évidence, ces dispositions ont permis une séparation pacifique.

56. Aux termes de l’article 5 de la loi spéciale sur le référendum relatif au statut d’État, une condition a été ajoutée, à savoir la nécessité de recueillir 55 % des suffrages exprimés au référendum en faveur de l’indépendance pour que celle-ci soit reconnue.

57. Il est important de souligner que le cas du Monténégro reste exceptionnel dans la mesure où dans une écrasante majorité des pays, la Constitution n’autorise pas la sécession 
			(39) 
			«<a href='http://www.droitconstitutionnel.org/congresNancy/comN2/dubuyTD2.pdf'>La
théorie de la sécession remède (remedial secession): avatar contemporain
du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes? </a>» Dubuy Mélanie, Maître de conférences – Université Nancy
2, paru dans Les Cahiers de l’Association Française
des Auditeurs de l’Académie Internationale de Droit Constitutionnel,
no 22, 2012..

  • Le Québec

58. Il me semble également intéressant d’évoquer l’exemple du Québec aux fins de ce rapport. La question de l’indépendance du Québec par rapport au Canada n’est pas nouvelle et deux référendums ont déjà été organisés à ce sujet (en 1980 et 1995, avec pour ce dernier un résultat très serré avec 49,42 % en faveur de l’indépendance, contre 50,58 % 
			(40) 
			<a href='http://www.electionsquebec.qc.ca/documents/pdf/dge_6350.3_v.f.pdf'>www.electionsquebec.qc.ca/documents/pdf/dge_6350.3_v.f.pdf</a>, p. 56.). Depuis, certains aspects juridiques pertinents ont été clarifiés.

59. En premier lieu, des clarifications ont été apportées par le Renvoi relatif à la sécession du Québec du 20 août 1998 
			(41) 
			Renvoi relatif à la
sécession du Québec, op. cit. de la Cour suprême du Canada suite à la demande d’avis du gouvernement 
			(42) 
			Les trois questions
suivantes sont posées à la Cour suprême: 
			(42) 
			«1. L’Assemblée
nationale, la législature, ou le gouvernement du Québec peut-il,
en vertu de la Constitution du Canada, procéder unilatéralement
à la sécession du Québec du Canada?» 
			(42) 
			«2. L’Assemblée
nationale, la législature, ou le gouvernement du Québec possède-t-il,
en vertu du droit international, le droit de procéder unilatéralement
à la sécession du Québec du Canada? À cet égard, en vertu du droit
international, existe-t-il un droit à l’autodétermination qui procurerait
à l’Assemblée nationale, la législature, ou le gouvernement du Québec
le droit de procéder unilatéralement à la sécession du Québec du
Canada?» 
			(42) 
			«3. Lequel du droit interne ou du droit international
aurait préséance au Canada dans l’éventualité d’un conflit entre eux
quant au droit de l’Assemblée nationale, de la législature ou du
gouvernement du Québec de procéder unilatéralement à la sécession
du Québec du Canada?». Dans son avis, la Cour suprême met en avant l’obligation pour le Canada de négocier avec une province exprimant par référendum la volonté de se séparer. La Cour suprême pose deux conditions: une question de référendum claire et un résultat clair.

60. Dans ce renvoi, la Cour suprême indique que le droit à l’autodétermination ne peut constituer le fondement d’un droit de sécession unilatérale du Québec. Elle précise par ailleurs que «la sécession d’une province ne peut être réalisée unilatéralement “en vertu de la Constitution”, c’est-à-dire sans négociations, fondées sur des principes, avec les autres participants à la Confédération, dans la cadre constitutionnel existant».

61. L’autre précision importante apportée par la Cour suprême réside dans le fait que même un résultat référendaire clair ne saurait autoriser le Québec à invoquer un droit à l’autodétermination pour imposer la sécession aux autres parties de la fédération. Ainsi, la Cour suprême stipule que «[l]e vote démocratique, quelle que soit l’ampleur de la majorité, n’aurait en soit aucun effet juridique et ne pourrait écarter les principes du fédéralisme et de la primauté du droit, les droits de la personne et des minorités, non plus que le fonctionnement de la démocratie dans les autres provinces ou dans l’ensemble du Canada».

62. «Les droits démocratiques fondés sur la Constitution ne peuvent être dissociés des obligations constitutionnelles.» Néanmoins, la Cour suprême souligne que l’ordre constitutionnel canadien ne permettrait pas aux autres provinces et au gouvernement fédéral d’ignorer l’expression claire par une majorité claire des Québécois de ne plus vouloir faire partie du Canada. Un processus de négociation, sans conclusion prédéterminée, devrait donc s’engager. La Cour suprême insiste sur le fait que les négociations devraient traiter particulièrement des droits des minorités.

63. Ensuite, la Loi sur la clarté 
			(43) 
			Loi donnant effet à
l’exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans
son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec, L.C. 2000, ch.
26, Sanctionnée 2000-06-29., adoptée en 2000, a précisé les modalités en cas de sécession de l'une des provinces canadiennes. En conformité avec l’avis de la Cour suprême, cette loi pose une question référendaire claire et une majorité claire comme conditions sine qua non à la sécession.

64. Reste à savoir comment définir une majorité «claire». La Cour suprême s’est bien gardée de le faire, indiquant qu’il «reviendra aux acteurs politiques de déterminer en quoi consiste “une majorité claire en réponse à une question claire”, suivant les circonstances dans lesquelles un futur référendum pourrait être tenu».

6. Conclusions

65. Les questions soulevées dans ce rapport sont complexes et controversées, et touchent aux principes du droit international public, difficilement conciliables, que sont le droit des peuples à l’autodétermination et le principe de l’intégrité territoriale des États.

66. Les exemples mentionnés peuvent être des sources d’inspiration et nourrissent certainement les débats indépendantistes en cours dans certains États européens. Si l’on peut identifier certains critères ayant favorisé une solution pacifique et négociée, il reste néanmoins important de souligner que les processus suivis ne sont jamais entièrement transposables à d’autres États tant les situations sont uniques et complexes.

67. Il est évident que les questions relatives à l’auto-détermination et à l’indépendance sont hautement politisées. Il semblerait que chaque État décide de la reconnaissance ou non de toute indépendance nouvellement déclarée en fonction des éventuelles revendications indépendantistes, voire simplement autonomistes, au sein de ses propres frontières. Nombreux sont les États qui s’opposeraient à la réouverture de la boîte de Pandore quant à la définition des frontières étatiques contemporaines. En effet, chaque indépendance nouvellement proclamée, chaque État nouvellement créé et reconnu, sont autant de précédents qui pourraient entraîner d’autres revendications indépendantistes vers une éventuelle concrétisation.

68. En vertu de la nature complexe, mais aussi fortement politisée, des questions juridiques en présence, ainsi que de la grande diversité des situations concrètes pertinentes, il semblerait impossible pour la commission de se positionner en arbitre et de définir des lignes directrices génériques applicables à tous les cas potentiels. C’est la raison pour laquelle la commission a décidé de présenter uniquement un rapport d’information qui rappelle notamment des principes pertinents du droit international public, sans procéder à l’élaboration de recommandations de portée générale. On ne saurait suffisamment insister sur la nécessité de régler les débats touchant aux questions d’indépendance et de sécession dans le cadre d’un dialogue pacifique, démocratique et respectueux de l’État de droit et des droits de l’homme.