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Rapport | Doc. 14401 | 20 septembre 2017

Les activités de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2016-2017

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Alfred HEER, Suisse, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4177 du 25 janvier 2016. 2017 - Quatrième partie de session

Résumé

Le rapport traite des perspectives macroéconomiques pour 2017-2018, telles qu’elles ont été analysées par l’OCDE. Celles-ci se traduisent par une poursuite de la reprise économique, qui reste lente, molle et fragile, le moindre choc négatif pouvant conduire à une nouvelle récession profonde. D’où l’importance, pour les décideurs publics, d’utiliser leurs marges de manœuvres budgétaires tout en procédant à des réformes structurelles pour sortir de cette croissance molle.

Le rapport examine également les progrès accomplis dans le domaine fiscal, à travers la mise en place des échanges de renseignements, qui permettent d’ores et déjà, grâce à une transparence accrue, de lutter contre la fraude fiscale internationale, et à travers le projet BEPS qui vise à prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices des entreprises multinationales. La redéfinition du système international fiscal semble en bonne voie et constitue, pour l’heure, un exemple de multilatéralisme réussi.

La question du lien entre inégalités et croissance, ainsi que l’emploi des jeunes au sein de l’OCDE sont abordés, avant que ne soit présenté un suivi des activités des groupes parlementaires de l’OCDE. Concernant les inégalités, le rapport invite l’OCDE à poursuivre ses travaux sur le lien entre les inégalités de patrimoine et la croissance.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 6 septembre 2017.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, élargie aux délégations des parlements nationaux des Etats membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) non membres du Conseil de l’Europe et à une délégation du Parlement européen, prend acte du diagnostic convergent de l’OCDE et du Fonds monétaire international sur le contexte économique actuel et prévisionnel pour 2018. Elle note que le redressement de la croissance mondiale se poursuit, mais à un rythme lent, légèrement plus rapide dans la zone OCDE que dans la zone euro. Elle reconnaît que ce redressement reste fragile et qu’un choc négatif pourrait provoquer une nouvelle récession.
2. L’Assemblée élargie partage l’analyse de l’OCDE pour lutter contre cette croissance «molle» et considère que la demande doit désormais être stimulée, moins par le biais de la politique monétaire, que par celui de la politique budgétaire. Elle appelle les États membres de l’OCDE à saisir rapidement l’occasion que représente le niveau exceptionnellement bas des taux d’intérêt pour relancer l’investissement public, sous quatre conditions:
2.1. que cette relance s’effectue de manière concertée et qu’elle soit coordonnée entre les différents échelons administratifs et politiques au sein des États;
2.2. qu’elle intervienne dans des secteurs bénéficiant directement à la croissance, comme ceux recommandés par l’OCDE dans son rapport Objectif croissance 2017;
2.3. qu’elle soit neutre sur le plan budgétaire et ne creuse donc pas les déficits publics;
2.4. qu’elle s’accompagne des réformes structurelles préconisées par l’Objectif croissance 2017, en particulier sur les différents marchés du travail.
3. L’Assemblée élargie réaffirme que le multilatéralisme, lorsqu’il est réellement inclusif et qu’il permet la création d’un espace où les États interviennent sur un pied d’égalité, est la seule voie permettant d’obtenir des résultats tangibles dans la lutte contre la fraude et l’évitement fiscal au niveau international, notamment grâce à une plus grande transparence fiscale, contre l’érosion des bases d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) et contre les pratiques fiscales abusives.
4. À ces égards, l’Assemblée élargie félicite l’OCDE et le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales (Forum mondial) pour les résultats obtenus dans le domaine de l’échange de renseignements à la demande (EOIR) à l’issue du premier cycle d’examen par les pairs. Elle appelle:
4.1. les États membres de l’OCDE et du Conseil de l’Europe jugés comme «partiellement conformes» par leurs pairs, à adopter les mesures correctrices nécessaires;
4.2. les États membres du Conseil de l’Europe qui n’ont pas encore fait l’objet d’un examen complet à s’y soumettre à l’occasion du second cycle d’examen (2016 à 2020);
4.3. les États membres du Conseil de l’Europe qui ne participent pas à l’EOIR (à savoir la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Serbie) à le rejoindre.
5. L’Assemblée élargie se félicite de l’utilisation de l’EOIR comme modèle pour l’échange automatique de renseignements (AEOI) sur les comptes financiers et l’emploi de ce dernier dans certaines actions du projet BEPS. Elle note avec satisfaction que la norme commune de déclaration qui définit l’étendue et les modalités de fonctionnement de l’AEOI couvre un champ suffisamment vaste de données pour lutter efficacement contre la fraude et l’évitement fiscal au niveau international. Elle incite les 101 membres du Forum mondial qui se sont engagés à l’activer avant la fin 2018 à se donner les moyens techniques et humains nécessaires au traitement des renseignements que leurs administrations fiscales vont recueillir. À cet égard, elle salue l’initiative du Forum sur l’administration fiscale de l’OCDE qui mutualise les moyens financiers des membres du Forum mondial en vue d’établir un Système commun de transmission destiné à faciliter la mise en place de l’AEOI. Elle recommande aux États membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait d’adhérer à la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (STE no 127), établie conjointement par l’OCDE et le Conseil de l’Europe, qui constitue la base juridique recommandée pour la mise en place de l’AEOI.
6. Concernant le projet BEPS, l’Assemblée élargie réaffirme son attachement à ce que les entreprises multinationales (EMN) déclarent leurs bénéfices là où les activités économiques sont réalisées et où la valeur est créée. Le souci d’éviter la double imposition des EMN ne doit pas se traduire par une non-imposition qui entraîne, selon l’OCDE, un manque à gagner de 100 à 240 milliards de dollars, chaque année, pour les États.
7. L’Assemblée élargie salue la rapidité avec laquelle l’OCDE a pu mettre en œuvre les 15 actions du BEPS que celle-ci recommandait, parmi lesquelles quatre standards minimums qui ont déjà commencé à faire l’objet d’un examen par les pairs. Elle encourage les États membres de l’OCDE et du Conseil de l’Europe à signer et ratifier le plus rapidement possible la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, ainsi que l’Accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l’échange des déclarations pays par pays afin de permettre l’échange automatique de ces déclarations dès 2018.
8. S’inspirant des travaux du groupe parlementaire en matière fiscale de l’OCDE, l’Assemblée élargie invite l’OCDE à mener, au sein du projet BEPS, une réflexion approfondie sur les moyens de renforcer la lutte contre les pratiques fiscales agressives qui se traduisent in fine par de l’évasion fiscale préjudiciable aux États. L’exercice de la souveraineté fiscale ne doit pas conduire à adopter de telles pratiques, condamnables dans leur principe même.
9. L’Assemblée élargie note avec satisfaction que tant le Forum mondial que le Cadre inclusif du BEPS comptent plus d’une douzaine de pays en développement et que le Forum mondial a su adapter son assistance technique à ces derniers dans le cadre de l’EOIR. Elle propose d’assurer la publicité des évaluations du Forum mondial et du Cadre inclusif par un suivi de celles-ci figurant dans le rapport biennal portant sur les activités de l’OCDE.
10. Par ailleurs, l’Assemblée élargie invite l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à mener une réflexion approfondie sur la possibilité et l’opportunité de renforcer l’effectivité des recommandations de l’OCDE, par exemple en amendant la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (STE no 127) afin de permettre à un organisme international de coordination fiscale d’imposer des sanctions.
11. L’Assemblée élargie prend acte du lien existant entre la hausse continue des inégalités de revenus et de patrimoine depuis 30 ans et la baisse de la croissance potentielle. Elle partage l’analyse de l’OCDE selon laquelle la réduction des opportunités offertes aux ménages modestes du fait de l’accroissement des inégalités les empêche d’investir de manière optimale dans leur capital humain. Elle invite ses membres:
11.1. à ne pas se focaliser exclusivement sur la croissance en délaissant la distribution de celle-ci;
11.2. à prendre des mesures destinées à améliorer le capital humain qui ne concernent pas seulement les 10 % des ménages aux revenus les plus faibles, mais s’adressent aux 40 % des ménages dans cette situation;
11.3. à se concentrer sur les mesures en matière d’éducation et de compétences qui favorisent la mobilité sociale au sein des sociétés, notamment: l’accueil des jeunes enfants, l’aide aux parents d’enfant d’âge scolaire, la réduction des inégalités au niveau des résultats scolaires, la modernisation des compétences pour éviter leur obsolescence ou l’amélioration de l’offre de compétences par rapport à la demande des entreprises au sortir du système éducatif, ainsi que le préconise l’OCDE.
12. L’Assemblée élargie invite l’OCDE à poursuivre ses travaux sur le lien entre les inégalités de patrimoine et la croissance, ainsi que sur l’existence de seuils ou d’indicateurs relatifs aux inégalités qui renseigneraient les États sur le degré de «soutenabilité» de ces inégalités au regard de la croissance.
13. L’Assemblée élargie estime qu’en matière d’emploi des jeunes, l’investissement dans l’éducation et les compétences d’aujourd’hui créera les emplois de demain, la croissance d’après-demain. Elle invite ses membres à lutter contre la hausse du nombre de jeunes déscolarisés, sans emploi et ne suivant aucune formation (NEET) qui sont économiquement vulnérables, conformément à l’objectif du Groupe des 20 (G20) de réduire à 15 % la part des jeunes les plus exposés au risque d’exclusion définitive du marché du travail d’ici 2025.

B. Exposé des motifs, par M. Alfred Heer, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Depuis 2011, la commission des questions politiques et de la démocratie rend compte des activités de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à travers un rapport examiné et débattu en séance publique lors de la session d’automne. À cette occasion, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est élargie aux délégations des parlements nationaux des États membres de l’OCDE non membres du Conseil de l’Europe et à une délégation du Parlement européen. Le Secrétaire général de l’OCDE y participe également.
2. En 2014, la commission des questions politiques et de la démocratie a quelque peu modifié sa pratique en décidant de maintenir le principe d’un débat élargi annuel fondé, une année sur deux, tantôt sur un rapport du Secrétaire général de l’OCDE, tantôt sur un rapport qu’elle établit elle-même. En outre, cette dernière a convenu que la sous-commission sur les relations avec l’OCDE et la BERD tiendrait annuellement une réunion au siège de l’OCDE afin de procéder à un échange de vues avec les dirigeants de l’Organisation. Le Secrétaire général de l’OCDE ayant donné son accord, tel est, depuis trois ans, le cadre de nos travaux.
3. Pour mémoire, la commission des questions politiques et de la démocratie a présenté deux rapports sous l’ancienne procédure, ceux de M. Jean-Marie Bockel (France, PPE/DC) en octobre 2012 et de M. Dirk Van der Maelen (Belgique, SOC) en octobre 2013, puis, un premier rapport, selon la nouvelle procédure, celui de M. Tuur Elzinga (Pays-Bas, GUE) en octobre 2015. En octobre 2014, le Secrétaire général de l’OCDE, M. Angel Gurría, a présenté le sien et participé au débat annuel, ce qu’a de nouveau fait la Secrétaire générale adjointe de l’OCDE, Mme Mari Kiviniemi, lors de la quatrième partie de session de 2016.
4. Après avoir participé aux 5èmes Journées Parlementaires de l’OCDE les 8 et 9 février 2017, à Paris, où de nombreuses craintes sur l’avenir du multilatéralisme, notamment en matière commerciale, ont été exprimées, ma conviction, au regard du contexte économique actuel, est la suivante: la faiblesse et la fragilité de la reprise économique invitent les décideurs politiques que nous sommes à nous prononcer clairement en faveur d’une économie ouverte, où la concurrence est la moins distordue possible et donc la plus juste, et où la croissance est réellement inclusive et profite au plus grand nombre.
5. J’ai donc concentré mon propos sur une brève présentation du panorama macro-économique dans les pays de l’OCDE en mettant en avant les risques actuels et les choix qui peuvent être faits pour les réduire, puis j’ai voulu donner une série d’exemples de multilatéralisme réussi dans un domaine éthiquement et économiquement déterminant, celui de la transparence fiscale, avant de m’attaquer à la question des inégalités, dont l’OCDE nous démontre qu’elles doivent être prises en compte, notamment parce qu’elles pèsent sur la croissance. Enfin, j’ai souhaité prolonger la thématique des inégalités par une brève présentation de la situation de l’emploi des jeunes dans la zone OCDE. Par ailleurs, il m’a paru important que les membres de notre Assemblée élargie soient tenus informés des activités parlementaires menées par l’OCDE et j’ai donc dressé un compte rendu des échanges qui se sont tenus lors de la dernière réunion du Groupe parlementaire en matière fiscale, qui suit la mise en œuvre du projet sur l’érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices, dit projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), ainsi que ceux du Groupe dédié à l’Intégrité et la transparence dans la vie politique qui a tenu sa première réunion en février 2017.

2. Les perspectives macroéconomiques pour 2017-2018

6. Au mois de juin 2017, elles se caractérisent par une légère amélioration de la situation économique, dans un contexte où la croissance molle perdure. Pour sortir de cette dernière, l’OCDE appelle les décideurs publics à faire des choix politiques clairs, couplant relance de l’investissement public et réformes structurelles et ce, de manière concertée.

2.1. Des perspectives de croissance inchangées mais non exemptes de risques

7. En juin 2017, les prévisions de croissance économique de l’OCDE 
			(2) 
			OCDE, Perspectives
économiques, Volume 2017, no 1, p. 20. s’élevaient, pour 2017, à 3,5 % pour l’économie mondiale, à 2,1 % pour la zone OCDE, à 1,8 % pour la zone euro et à 4,6 % pour les pays non membres de l’OCDE. Une légère augmentation était prévue en 2018: 3,6 % pour l’économie mondiale, 2,1 % pour la zone OCDE, 1,8 % pour la zone euro et 4,8 % pour les pays non membres de l’OCDE.
8. Il est à noter que les prévisions du Fonds monétaire international (FMI) pour 2017 et 2018 vont dans le même sens et s’établissent aux mêmes niveaux 
			(3) 
			FMI,
Perspectives de l’économie mondiale, avril 2017.. Le constat est donc le même: la croissance mondiale continue son redressement (elle était de 3 % en 2016), mais le fait lentement et à un niveau relativement faible. Ainsi, en 2018, elle devrait rester inférieure à 4 %, c’est-à-dire à la moyenne de la croissance économique des 20 années qui ont précédé la crise de 2007-2008. Par ailleurs, la faible amélioration de la conjoncture tient beaucoup aux politiques de relance attendues aux États-Unis et menées en Chine.
9. Second constat que partagent ces deux institutions mondiales: non seulement cette croissance est globalement faible, mais en plus elle reste fragile et est sujette à des risques réels. Ces derniers, déjà identifiés par l’OCDE en décembre 2016, sont confirmés par le rapport d’étape: «Des phénomènes de déconnexion, de volatilité ou des vulnérabilités financières, ainsi que l’incertitude sur les politiques pourraient faire dérailler le modeste rétablissement prévu de la croissance 
			(4) 
			OECD
Economic Outlook, Interim Report March 2017, p. 4
10. À ce titre, l’OCDE juge sérieux le risque de déconnexion entre d’une part, les anticipations positives, des marchés financiers qui se traduisent par la valorisation des actifs à un niveau élevé, et, d’autre part, la modestie des prévisions de croissance de l’économie réelle, caractérisées par une augmentation faible de la consommation, de l’investissement et le ralentissement de la hausse de la productivité et des salaires.
11. Par ailleurs, la volatilité des marchés financiers pourrait s’accroître du fait du retournement du cycle des taux d’intérêt qui s’est opéré au milieu de l’année 2016. La hausse des taux d’intérêt à long terme est à même d’induire une forte correction de la valeur des actifs financiers, dont le niveau est aujourd’hui la conséquence d’une longue période de taux d’intérêt historiquement bas. Tel pourrait être particulièrement le cas sur le marché obligataire.
12. Concernant les vulnérabilités financières, l’OCDE les fait découler de la surutilisation de la politique monétaire qui a conduit à des taux d’intérêt très bas, corrélativement à la hausse de l’endettement de certains pays, à la forte appréciation du prix des actifs financiers et à la recherche de rendements élevés. Elle note que des pays comme l’Australie, le Canada, la Suède et le Royaume-Uni ont récemment connu une augmentation rapide des prix de l’immobilier, ce qui peut être un signe avant-coureur d’un retournement de conjoncture.
13. Pour les pays émergents, les vulnérabilités financières, quoique variant selon les économies, ont trait au développement rapide du crédit pour le secteur privé et au niveau historiquement élevé de l’endettement dans certains pays, comme la Chine, qui les expose à une hausse des taux d’intérêt, bien que la dynamique du crédit ait ralenti en 2016.
14. Enfin, «l’incertitude des politiques» tiendrait, selon l’OCDE, à des facteurs électoraux (de nombreux pays ont connu ou vont connaître des élections en 2017, comme la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni), sociologiques (la confiance dans les gouvernements nationaux s’étant affaiblie), sociaux (la croissance des inégalités de revenus contribuerait à une montée de la défiance à l’égard des gouvernements) et commerciaux (le libre-échange étant moins soutenu par une partie de la population des pays développés). À titre d’exemple, si l’on regarde l’indicateur de «confiance dans les gouvernements nationaux» de l’OCDE 
			(5) 
			Ibid.,
p. 9, l’on note qu’il s’est amélioré depuis 2007 en Allemagne, au Japon ou au Royaume-Uni, mais qu’il a baissé, légèrement pour les pays de l’OCDE, et notablement pour certains pays comme les États-Unis, le Mexique ou l’Espagne.

2.2. Une croissance qui reste molle

15. Cette croissance molle touche particulièrement les économies avancées, en premier lieu, donc, celles des pays membres de l’OCDE.
16. Elle se caractérise par une atonie de la consommation et de l’investissement sur une période à la limite du moyen et du long terme (sept ans) depuis la crise financière. Or, cette atonie est en décalage avec le rythme des reprises qu’a connues l’économie mondiale à la suite des trois grandes récessions (1973, 1980 et 1990). Ainsi, selon l’OCDE, la croissance moyenne de la consommation observée après ces trois dernières crises sur une période de dix ans devrait être presque deux fois supérieure à la hausse de la croissance estimée entre 2008 et 2018. Pour l’investissement, ce rapport pourrait être de un à trois, ce qui signifie qu’en 2018, la hausse de l’investissement ne représenterait que 33 % de la hausse observée en moyenne pendant dix ans après les trois grandes crises. Autrement dit, le rétablissement des facteurs de la croissance dans les économies de l’OCDE s’opère à un rythme nettement inférieur à ce qu’elles ont connu jusqu’à présent.
17. De cette atonie, découle, selon l’OCDE, un phénomène «d’hystérésis» que résume bien Mme Catherine L. Mann, chef économiste de l’OCDE:
«Les entreprises sont peu incitées à investir, du fait de l’insuffisance de la demande, dans leur pays et au niveau mondial, mais également de la persistance des incertitudes et du ralentissement des réformes structurelles (…) L’insuffisance de l’investissement érode le stock de capital et freine la diffusion de l’innovation. La mauvaise adéquation des compétences et la tolérance des banques ont pour effet de piéger la main-d’œuvre et le capital dans des entreprises faiblement productives. La morosité des perspectives commerciales ralentit les transferts de technologies. Ces forces pernicieuses ralentissent la croissance de la productivité, pesant ainsi sur la production potentielle, l’investissement et les échanges. Le potentiel de croissance par habitant des économies de l’OCDE a été divisé par deux: alors qu’il atteignait quasiment 2 % en rythme annuel il y a 20 ans, il est cette année [2016] inférieur à 1 % par an, et le recul observé dans les économies de marché émergentes est tout aussi spectaculaire. La triste réalité est qu’il faudra ainsi 70 ans au lieu de 35 pour voir doubler les niveaux de vie.» 
			(6) 
			OCDE, Perspectives
économiques, Volume 2016, no 1, p. 9.
18. En d’autres termes, une croissance faible pendant un laps de temps important (7-8 ans) a un effet à la baisse sur la croissance potentielle.

2.3. La croisée des chemins pour les décideurs publics

19. «Décideurs publics: agissez maintenant pour sortir du piège de la croissance molle et honorer nos promesses». Tel est le titre de l’éditorial rédigé par Mme Mann, qui ouvre le volume 1 des Perspectives économiques de 2016. L’invite est claire et formulée de manière impérative. Les propositions d’action de l’OCDE pour les économies avancées le sont tout autant.
20. La première constatation est que, pour l’immense majorité de la zone OCDE, la consolidation de la reprise ne passera pas par un surcroît d’assouplissement de la politique monétaire. Celle-ci a en effet été très accommodante depuis 2008, ce dont témoignent les taux d’intérêt réel en 2016, qu’ils soient à court terme (négatifs pour le Japon et la zone euro et proches de 0 aux États-Unis) ou à long terme (négatifs pour le Japon et la zone euro et proches de 1,5 % aux États-Unis). Cet outil qui a, jusqu’à présent, été privilégié pour favoriser la reprise, a, depuis longtemps, atteint son niveau d’efficience.
21. Une première préconisation intéressante de l’OCDE porte sur l’utilisation de la politique budgétaire pour favoriser la croissance. Elle considère que «malgré la hausse des ratios d’endettement depuis la crise (…), la conjoncture actuelle de taux d’intérêt exceptionnellement bas accroît de fait la marge de manœuvre budgétaire de nombreux pays, et permet aux pouvoirs publics d’emprunter à long terme pour un coût très réduit. Presque tous les pays sont en mesure de procéder à un redéploiement des dépenses et de la fiscalité vers des éléments plus favorables à la croissance» 
			(7) 
			Ibid., p. 49..
22. Pour 2017, l’OCDE a ainsi recommandé à une dizaine de pays de mener une politique budgétaire plus expansionniste, parmi lesquels, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Suisse ou l’Australie. Elle insiste évidemment pour que cette relance soit concertée et donne des exemples de secteurs où l’investissement public serait bénéfique à la croissance: énergies propres, éducation, compétences, télécommunications… Elle cite une de ses analyses, selon laquelle une augmentation durable de l’investissement public de 0,5 % de produit intérieur brut (PIB) dans chaque économie, neutre sur le plan budgétaire, avec une hypothèse de taux d’intérêt fixes, aurait un effet sur la croissance de 0,3-0,4 % la première année dans les grandes économies avancées. À long terme, cet effet pourrait être, selon les modèles économétriques, de 0,5 % à 2 %.
23. Cette préconisation appelle trois commentaires. Tout d’abord, force est de constater qu’elle n’a, pour l’heure, pas encore été suivie d’effet dans de grandes économies comme l’Allemagne, la France ou le Royaume-Uni pour des raisons différentes. Ensuite, se pose la question de savoir si cette préconisation n’entre pas en conflit avec la doxa budgétaire de la zone euro. Enfin, si cette politique de relance doit être mise en œuvre, elle ne doit pas tarder parce que les taux d’intérêt remontent depuis la moitié de l’année 2016 et vont, par conséquent, rendre cette relance plus onéreuse pour les finances publiques, à terme.
24. Parallèlement, l’OCDE appelle à poursuivre les réformes structurelles destinées à favoriser, sur le long terme, l’emploi et la productivité, tout en améliorant le caractère «inclusif» de la croissance, c’est à dire le fait qu’elle profite au plus grand nombre. À cet égard, l’Organisation note un net ralentissement en 2015-2016, par rapport aux années précédentes. S’appuyant sur les recommandations de l’étude annuelle Objectif croissance 2017, dont le cadre vise à aider les pays de l’OCDE à prioriser leurs réformes structurelles, le Secrétaire général de l’OCDE avait, lors des 5èmes Journées parlementaires organisées à Paris en février 2017, pointé quatre domaines où les réalisations pouvaient encore progresser: la promotion des infrastructures, l’accroissement de l’efficience de la dépense publique, l’amélioration de la législation sur la protection de l’emploi et l’augmentation de l’efficience.
25. À noter qu’en matière de politique de l’emploi, l’OCDE indique que «les réformes qui exercent d’emblée une pression à la baisse sur les salaires dans l’ensemble de l’économie sont moins susceptibles d’offrir des avantages à court terme dans un contexte d’atonie de la demande» 
			(8) 
			Ibid., p. 53.. Pour autant, dès que la reprise sera plus solide, une politique de l’offre axée sur une plus grande libéralisation du marché du travail pourra favoriser la création d’emplois et, à travers la hausse des salaires, permettre une augmentation des recettes issues de l’impôt, le surplus ainsi obtenu étant affecté à des dépenses d’investissement.
26. En conclusion de cette première partie, l’avertissement de Mme Catherine L. Mann me paraît assez pertinent et les décideurs publics doivent l’avoir à l’esprit: «Dans la situation actuelle, au moindre choc négatif, le monde pourrait replonger dans une nouvelle récession profonde 
			(9) 
			Ibid.,
p. 11.

3. L’action de l’OCDE dans le domaine fiscal: des exemples de multilatéralisme réussis

27. Lux Leaks, Panama Papers, Bahamas Leaks, affaire Apple en Irlande et, plus récemment, Malta Files, ces différents scandales montrent les failles du système fiscal international. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, comme l’Assemblée élargie, se sont penchées sur ces dernières, qu’il s’agisse du rapport de notre collègue M. Stefan Schennach sur les enseignements à tirer de l’affaire des «Panama Papers» 
			(10) 
			Rapport de M. Stefan
Schennach au nom de la commission des questions sociales, de la
santé et du développement durable sur «Les enseignements à tirer
de l’affaire des Panama Papers pour assurer la justice sociale et
fiscale», Doc. 14141 et Addendum. ou de celui de M. Dirk Van der Maelen, relatif aux activités de l’OCDE en 2012-2013 qui s’est concentré sur la fraude et l’érosion fiscale, ainsi que sur la lutte contre les paradis fiscaux 
			(11) 
			Rapport
de M. Dirk Van der Maelen au nom de la commission des questions
politiques et de la démocratie sur «Les activités de l’Organisation
de coopération et e développement économiques (OCDE) en 2012-2013», Doc. 13301..
28. Comme ces deux rapporteurs l’ont noté, les institutions internationales, et en particulier l’OCDE, ne sont pas restées inactives. Depuis 2010, beaucoup a été fait, tant en matière de transparence fiscale que de lutte contre ce que l’on pourrait appeler l’optimisation fiscale abusive des entreprises multinationales (EMN). Sur ces deux sujets, 2016 et 2017 ont été marquées par des avancées notables dans les projets menés par l’Organisation, qu’il s’agisse des échanges de renseignements entre États ou du projet BEPS.
29. Il m’a paru important de les présenter, car ils constituent, pour moi, une étape décisive, aussi importante par exemple que l’abandon du secret bancaire, dans la mise en place d’un système fiscal intégré, inclusif et équitable.

3.1. La mise en place des échanges de renseignements, un pas décisif vers la transparence fiscale

3.1.1. Le dispositif

30. Il s’insère dans le cadre du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales (Forum mondial), créé en 2000 par l’OCDE et restructuré en 2009. Le Forum mondial compte 142 membres qui participent à ses travaux sur un pied d’égalité et 15 organisations internationales qui ont le statut d’observateurs. De par ses dimensions, il regroupe ainsi tous les centres financiers d’importance. Son rôle est double: contrôler la mise en œuvre des standards internationaux en matière de transparence fiscale et offrir une assistance technique à ses membres. Son secrétariat est assuré par le Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.
31. Les standards élaborés sont au nombre de deux. Ils ont pour objet, dans le respect d’un certain nombre de principes, parmi lesquels celui de la confidentialité des données communiquées, de mettre un terme à l’asymétrie d’information entre les contribuables d’une part et les administrations fiscales d’autre part, asymétrie qui profite aux premiers et favorise l’évasion et la fraude fiscale.
32. Le premier à avoir été développé est celui de l’échange de renseignements à la demande, EOIR, pour Exchange Of Information on Request. Sa mise en œuvre – à la fois sa mise en place et son utilisation – est contrôlée par une procédure dite «d’examen des pairs» (peer review), menée par le Groupe du même nom, composé de 30 membres du Forum mondial. Celui-ci présente un rapport pour chaque membre du Forum mondial à ce dernier qui l’adopte. Les examens des pairs s’effectuent, jusqu’à ce jour, en deux phases. La première est consacrée à une évaluation du cadre juridique et réglementaire pour la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales. En d’autres termes, les pairs s’assurent que la «juridiction», c’est-à-dire le membre du Forum, a effectué le travail de mise à jour de sa législation, conformément aux recommandations de l’OCDE. La seconde phase porte sur la mise en œuvre pratique de la norme. De 2010 à 2016, 253 rapports d’examen par les pairs ont ainsi été adoptés par le Forum.
33. L’une des faiblesses de l’EOIR est de permettre à l’administration fiscale à laquelle un renseignement est demandé de ne pas aller au-delà de la seule fourniture de celui-ci, ce qui peut laisser dans l’ombre des informations importantes pour l’administration fiscale à l’origine de la demande. Tel ne sera plus le cas avec la mise en place du second standard, l’échange de renseignements automatique ou AEOI pour Automatic Exchange Of Information.
34. L’AEOI repose sur la Norme Commune de Déclaration (NCD), développée en réponse à la demande des dirigeants du Groupe des 20 (G20) et approuvée par le Conseil de l’OCDE en juillet 2014. Cette norme «invite les juridictions à obtenir des informations de leurs institutions fiscales et à échanger automatiquement ces informations chaque année avec les autres juridictions. Elle définit les informations de comptes financiers à échanger, les institutions financières qui sont en demeure de les déclarer, les différents types de comptes et les contribuables concernés, ainsi que les procédures communes de diligence raisonnable qui doivent être suivies par les institutions financières 
			(12) 
			OCDE, Norme d’échange
automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en
matière fiscale, Seconde Édition, 2017, p. 3.».
35. Les informations financières communiquées sont censées couvrir un champ suffisamment large pour éviter que les contribuables ne dissimulent leurs actifs dans des institutions ou n’investissent dans des produits a priori non couverts par l’échange. Ainsi, la NCD englobe-t-elle des revenus d’investissement comme les intérêts ou les dividendes. De même, le champ des titulaires de compte soumis à l’obligation déclarative ne se limite pas aux personnes physiques, mais vise aussi les entités ou constructions juridiques qui peuvent permettre à un contribuable de retrancher une part de ses actifs de son revenu. D’où la possibilité pour les administrations fiscales de «regarder au travers des sociétés-écrans, des fiducies et structures analogues, y compris les entités imposables» 
			(13) 
			Ibid.,
p. 12.. Enfin, le régime déclaratif ne s’impose pas seulement aux banques, mais à plusieurs institutions financières tels les courtiers, certains organismes de placement collectif et certaines sociétés de placement.
36. La base juridique recommandée pour mettre rapidement en place cet échange de renseignements automatique est la Convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (STE no 127), établie conjointement par l’OCDE et le Conseil de l’Europe, qui compte, à ce jour, 112 juridictions, et présente notamment l’avantage d’encadrer ce type d’échanges au regard des droits fondamentaux du contribuable 
			(14) 
			Tous les États membres
de l’OCDE ont ratifié cette convention, à l’exception des États-Unis
qui ont ratifié la Convention de 1991, mais non, pour l’heure, le
Protocole de 2010. Tel n’est pas le cas des États du Conseil de
l’Europe suivants: Arménie, Bosnie-Herzégovine, «l'ex-République
yougoslave de Macédoine», Monténégro, Serbie et Turquie..
37. Le déploiement de l’AEOI sera contrôlé selon cinq phases: un contrôle de la mise en œuvre, qui porte sur l’adoption par chaque juridiction intéressée, d’un cadre adapté à l’AEOI (mise à jour de la législation, conventions internationales comprises, mise en place des systèmes de technologie d’information et adaptation de la structure administrative); un contrôle du respect de la confidentialité et de la sécurité des données, préalable à l’utilisation de l’AEOI par deux juridictions, effectué par un panel d’experts; un processus d’analyse des vides législatifs; la mise en place d’un réseau de partenaires, chaque juridiction devant échanger des renseignements avec toutes les autres juridictions qui respectent les obligations de confidentialité et de sauvegarde des données; enfin, une vérification du respect des exigences techniques liées à l’échange automatique. À cet effet, le Forum sur l’administration fiscale de l’OCDE a créé un Système commun de transmission à même de faciliter les échanges entre administrations fiscales.
38. La phase de mise en œuvre fera l’objet d’un examen par les pairs au sein du Forum mondial, comme pour l’EOIR, une fois le mandat et la méthodologie adoptés.
39. En juillet 2017, 101 juridictions se sont engagées à débuter l’échange automatique de renseignements, 49 dès septembre 2017 et 52 en 2018.

3.1.2. Une première évaluation: des résultats encourageants et deux interrogations

40. Dans son rapport de 2013, M. Dirk Van der Maelen soulignait la différence cruciale entre l’EOIR et l’AEOI. Prenant l’exemple des services fiscaux français, il constatait qu’en activant l’ensemble des conventions multi et bilatérales signées par la France et assimilables à l’EOIR, ceux-ci recevaient chaque année des informations sur une cinquantaine de comptes bancaires étrangers détenus par des résidents français, alors que l’évaluation de ces comptes oscillait entre 100 000 et 300 000. Et de conclure: «Il reste simplement 99,98 % du travail à faire 
			(15) 
			Rapport de M. Dirk
Van der Maelen, op. cit, p.
21.
41. J’ai tendance à partager son avis, car, lorsque l’on regarde l’augmentation des demandes d’échanges de renseignements EOIR entre 2011 et 2016, l’on s’aperçoit qu’elle reste limitée (28 % pour 21 pays disposant de chiffres comparatifs 
			(16) 
			OCDE, Forum mondial
sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales,
Transparence fiscale 2016, rapport de progrès, p. 16.). Mais je ne minore pas pour autant son intérêt.
42. En effet, le bilan que l’on peut dresser de l’EOIR, dont le premier cycle d’examen par les pairs s’est achevé en 2016, comporte de réelles avancées. Sur 116 juridictions évaluées, 112 ont été jugées «conformes» ou «conformes pour l’essentiel», 7 «partiellement conformes» 
			(17) 
			Tous
les membres de l’OCDE ont été jugés «conformes» ou «largement conformes»,
à l’exception de la Turquie, jugée «partiellement conforme». Des
47 membres du Conseil de l’Europe, un a été jugé «partiellement
conforme» (Turquie), deux n’ont fait l’objet que de la première
phase d’examen par les pairs (Croatie et Ukraine) et quatre n’étaient pas
membres du Forum Mondial et ne participaient donc pas à l’EOIR (Bosnie-Herzégovine,
Monténégro, République de Moldova et Serbie). La République de Moldova
a rejoint le Forum mondial en octobre 2016 et fera l’objet d’un
examen par les pairs dans le cadre de l’EOIR à partir de 2018. et une «non conforme». Parmi les 112 précitées, on trouve des juridictions autrefois peu soucieuses de transparence comme Andorre, Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, le Costa Rica, les îles Caïman, La Dominique, la République dominicaine, le Guatemala, Guernesey, l’île de Man, le Liban, le Liechtenstein, le Luxembourg, les États fédérés de Micronésie, la République de Nauru, le Panama, les Samoa, les Émirats arabes unis et le Vanuatu. À l’issue de la procédure additionnelle d’examen par les pairs, dite «procédure fast-track», qui s’est achevée en juin 2017, la seule juridiction jugée «non conforme» est Trinidad-et-Tobago.
43. En outre, le rapport de progrès sur la Transparence fiscale 2016 de l’OCDE note que l’examen par les pairs de la mise en œuvre de l’EOIR a induit une disparition progressive du secret bancaire pur et conduit 33 juridictions soit à supprimer, soit à immobiliser les actions au porteur, qui permettent à leur propriétaire de ne pas voir leur identité communiquée à la société dont ils sont actionnaires.
44. Surtout, l’EOIR aura été le premier modèle pratique d’échanges de renseignement, à taille mondiale, et au fonctionnement effectif. Ce sont ses principes (adoption d’une norme commune, examen par les pairs, adoption des termes de référence et de méthodologie) qui ont guidé la mise en place de l’AEOI et de l’échange de renseignements dans le cadre de l’action 5 et de l’action 13 du BEPS (voir ci-après). À cet égard, l’augmentation du nombre de relations EOIR entre les membres du Forum mondial, c’est-à-dire les accords entre administrations fiscales sur l’EOIR, que leur base juridique soit bilatérale ou multilatérale, d’environ 2 500 en 2009 à plus de 7 000 en 2016, est de bon augure, car elle signifie que ces administrations se familiarisent de plus en plus avec la pratique de l’échange de renseignements. Le traitement des données recueillies dans le cadre de l’AEOI devrait en bénéficier.
45. C’est bien avec ce dernier que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale va prendre une autre dimension, compte tenu de la masse d’informations à laquelle les administrations fiscales vont désormais avoir accès. L’OCDE estime que l’AEOI, avant même sa mise en œuvre, a déjà eu un effet dissuasif: les programmes de déclaration volontaire et autres mesures analogues encourageant les contribuables à déclarer des revenus et des avoirs qu’ils dissimulaient auparavant au fisc auraient permis aux administrations fiscales de recouvrer près de 85 milliards d’euros 
			(18) 
			OECD Secretary-General
report to G20 Leaders, Hambourg, Allemagne, juillet 2017, p. 8..
46. Comme pour l’EOIR, nombre d’anciens ou actuels paradis fiscaux se sont engagés à débuter l’échange automatique en 2017 ou 2018, tels les îles Caïman, Guernesey, Jersey, le Liechtenstein, le Luxembourg, Panama…, ce qui devrait rendre la fraude fiscale plus difficile, à condition que les engagements pris soient effectifs et que la procédure d’examen par les pairs ait de réels effets sur les juridictions récalcitrantes.
47. L’effectivité des recommandations de l’OCDE constitue en effet une interrogation à laquelle j’essaie de répondre ci-dessous (voir section 3.3).
48. L’autre interrogation porte sur la capacité des administrations fiscales à gérer et traiter la masse d’informations qu’elles vont recevoir, en particulier dans les pays en développement.
49. Pour clore ce premier bilan, je souhaiterais saluer les efforts faits en direction de ces derniers qui constituent plus de la moitié des membres du Forum mondial. L’OCDE a su adapter son assistance technique à leurs besoins, en passant de la formation à la mise au point de programmes à long terme et elle a contribué au développement de programmes régionaux, comme l’Initiative africaine, née de la collaboration avec le Forum africain sur l’administration, au sein de laquelle huit pays pionniers se sont engagés à faire respecter certaines échéances précises pour assurer l’application pratique et effective de l’échange de renseignements. Elle soutient également, en partenariat avec le Programme des Nations Unies pour le Développement, les administrations fiscales des pays en développement qui sont en première ligne dans la lutte contre l’évitement fiscal à travers son initiative Inspecteurs du fisc sans frontières (TIWB pour Tax Inspectors Without Borders), en envoyant des experts fiscaux travailler directement avec les agents du fisc locaux et en leur fournissant une aide ciblée et en temps-réel «d’apprentissage par la pratique» afin qu’ils se dotent d’une capacité de contrôle.

3.2. Le projet BEPS: une redéfinition majeure des règles fiscales internationales

50. Autant l’EOIR et l’AEOI concernaient les personnes physiques, autant le projet BEPS vise les entreprises multinationales (EMN). Il part d’un constat simple: «Les décalages et les discordances dans les règles fiscales internationales en vigueur peuvent favoriser la “disparition” de bénéfices pour des raisons fiscales ou le transfert de bénéfices vers des lieux où il sont peu ou pas imposés bien que les entreprises concernées n’y exercent aucune activité, ou quasiment aucune 
			(19) 
			OCDE, Projet OCDE/G20
sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices,
rapports finaux 2015, Note d’information, p. 1.

3.2.1. Fondements et éléments de la redéfinition

51. D’où proviennent ces décalages et discordances? Prosaïquement, de ce que les principes qui ont régi le système fiscal international avaient pour objet de favoriser les échanges et les investissements à une époque où les économies nationales n’étaient pas aussi intégrées qu’aujourd’hui. Comme l’indiquait le rapport de M. Van der Maelen et celui, fondateur, de l’OCDE sur le BEPS 
			(20) 
			OCDE,
Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert
de bénéfices, 2013., le système fiscal international qui prévalait jusqu’à présent reposait sur des réflexions développées dans les années 1920 par la Chambre de commerce internationale et la Ligue des Nations, principes mis en œuvre dans les Modèles de Convention fiscale de l’OCDE et des Nations Unies, dont s’inspirent encore la plupart des conventions fiscales. L’idée principale était que le commerce transnational devait être favorisé et que, pour ce faire, il fallait porter une attention particulière au risque de double imposition des entreprises réalisant ces échanges hors de leurs frontières.
52. Ce cadre fonctionnait dans une économie où la globalisation des échanges était limitée et où la révolution digitale ne permettait pas la vente dématérialisée d’un bien en deux clics. Dans cette nouvelle économie, autant les EMN peuvent avoir une vision globale des différents régimes fiscaux nationaux et agir en conséquence, c’est-à-dire optimiser leurs investissements et leurs déclarations fiscales, autant les administrations fiscales nationales disposent rarement de la globalité des informations leur permettant d’imposer les bénéfices des EMN selon leurs activités réelles. Promouvant le commerce, les principes des années 20 ont fini par entériner les asymétries d’information au détriment des États. Comme l’écrivait très justement M. Van der Maelen citant le rapport de 58 organisations non gouvernementales (ONG) intitulé «No More Shiffty Business», cette asymétrie structurelle provient de ce que le système fiscal international ne traite pas les entreprises transnationales selon la réalité économique de leurs activités mais comme des entreprises distinctes dans chaque pays, indépendantes les unes des autres.
53. Le résultat est que, selon l’OCDE 
			(21) 
			OCDE, Projet BEPS –
Exposé des actions 2015, p. 5., le préjudice total représenté par les pratiques de BEPS serait compris entre 4 et 10 % des recettes totales de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, soit entre 100 et 240 milliards de dollars, chaque année à l’échelle mondiale. Ce préjudice serait proportionnellement accru pour les pays en développement dont les budgets dépendent en général plus de ce type de recettes que pour les pays développés. L’OCDE note également que les filiales des EMN situées dans des juridictions à fiscalité faible déclarent un taux de bénéfices (par rapport à leurs actifs) presque deux fois supérieur à celui de leur groupe.
54. Au-delà du «manque à gagner» pour les États, qui constitue une atteinte à leur souveraineté, l’ampleur de ces pratiques emporte des conséquences économiques et sociologiques. Elles portent en effet atteinte au principe d’équité fiscale entre les EMN et les entreprises qui ne le sont pas et acquittent leurs impôts dans un cadre national. Ce faisant, non seulement elles introduisent des distorsions de concurrence entre entreprises mais elles contribuent en outre à miner la confiance des acteurs dans la capacité des États à faire respecter leurs propres règles.
55. Afin d’y remédier, l’OCDE, après avoir présenté les différentes pratiques BEPS en 2013, a proposé 15 actions qui redéfinissent l’architecture du système fiscal international. Elles ont été adoptées par le G20 lors de sa réunion à Antalya en novembre 2015. Elles visent à faire en sorte que les EMN déclarent leurs bénéfices là où les activités économiques sont réalisées et où la valeur est créée.
56. La première réforme de fond concerne la fixation de quatre standards minimums, qui viennent pallier les conséquences négatives de l’absence d’actions d’un ou plusieurs États pour les autres.
57. Le premier standard subordonne l’existence d’une activité substantielle à l’application d’un régime préférentiel (action 5). Ainsi, par exemple, seul le contribuable qui a lui-même engagé des dépenses de recherches et développement ayant généré des revenus liés à la propriété intellectuelle pourrait bénéficier d’un régime préférentiel en matière de propriété intellectuelle. En la matière un cadre d’échange automatique entre administrations fiscales est prévu.
58. Le deuxième standard vise à empêcher l’utilisation abusive des conventions fiscales en réclamant l’octroi d’un avantage prévu par ces conventions alors qu’il est inapproprié (action 6). Il s’attaque par exemple au chalandage fiscal, pratique qui consiste pour un non résident d’un État contractant à obtenir un ou des avantages fiscaux prévus par une convention à laquelle cet État est partie.
59. Le troisième standard (action 13) met en place, pour les EMN dont le chiffre d’affaires annuel consolidé est égal ou supérieur à 750 millions d’euros, une norme unique dite «déclaration pays par pays» («country by country reporting»). Elle oblige les EMN à fournir une série d’informations aux administrations fiscales permettant de mieux apprécier les prix de transfert qu’elles ont mis en place, c’est-à-dire les prix auxquels elles transfèrent des biens corporels, des actifs incorporels, ou rendent des services à des entreprises associées (leurs filiales).
60. Le dernier standard (action 14) consiste en la mise en œuvre d’un règlement des différends liés aux conventions fiscales, afin de limiter les risques de double imposition.
61. Ces quatre standards font l’objet d’une procédure d’examen et de suivi inspirée de celle pratiquée par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements et effectuée, selon la formule de l’OCDE, «sur un pied d’égalité», par les pairs, au sein du Cadre inclusif qui regroupe, en juillet 2017, plus de 100 États et juridictions.
62. Le deuxième élément de la réforme est la révision, parfois en profondeur, de règles fiscales internationales. Tel est par exemple le cas des actions 8 à 10 (aligner les prix de transfert calculés sur la création de la valeur) qui visent à modifier les Principes applicables en matière de prix de transfert afin de «limiter les incitations des EMN à transférer des revenus vers des structures ad hoc (appelées cash boxes) qui sont des sociétés écrans présentant des effectifs limités voire nuls, qui exercent des activités économiques limitées voire inexistantes, et qui cherchent à obtenir des avantages dans les juridictions à fiscalité faible ou nulle» 
			(22) 
			OCDE, Projet BEPS –
Exposé des actions 2015, p. 9..
63. On pourrait également citer la redéfinition de l’établissement stable (action 7), qui est généralement un critère utilisé pour prévoir une imposition et que certaines EMN contournent, par exemple en ayant recours à des «accords de commissionnaires», soit des accords par lesquels «une personne vend des produits dans un État sous son propre nom, mais pour le compte d’une entreprise étrangère qui est la propriétaire de ces produits. Ce type d’accord permet à une entreprise étrangère de vendre ses produits dans un État sans techniquement y posséder un établissement stable auquel ces ventes peuvent être attribués à des fins fiscales et, dès lors, sans que soient imposables dans cet État les bénéfices tirés de ces ventes» 
			(23) 
			OCDE, Empêcher les
mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement
stable, Action 7 – Rapport final 2015, p. 9.. Plusieurs autres révisions sont prévues et, chose notable, elles prennent en compte les risques de pratiques BEPS que l’économie numérique peut représenter, par exemple en facilitant la collecte de la taxe sur la valeur ajoutée à partir du pays où se situe le client.
64. Enfin, élément fondamental pour rendre effective cette nouvelle architecture, la procédure recommandée (action 15) afin de mettre à jour les 3 500 conventions bilatérales dans le domaine fiscal est celle de l’adhésion à une convention multilatérale, qui évite la renégociation de l’ensemble de celles-ci. Appelée Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (Instrument multilatéral BEPS), elle a été établie par un groupe ad hoc de plus de 100 pays et juridictions, ouverte à la signature en 2016. Il compte à ce jour plus de 70 signataires. En outre, sept autres juridictions se sont engagées à signer l’Instrument multilatéral du BEPS d’ici la fin 2017.

3.2.2. Première évaluation du BEPS

65. Selon le rapport du Secrétaire Général de l’OCDE au G20 des chefs d’État et de gouvernement de juillet dernier, «2017 est l’année de la mise en œuvre des mesures prévues par le projet BEPS du G20/OCDE 
			(24) 
			OECD Secretary-General
report to G20 Leaders, Hambourg, Allemagne, juillet 2017, p. 5..
66. Cette mise en œuvre est bien en cours. Ainsi, par exemple, pour les quatre standards minimum qui vont faire l’objet d’une procédure d’examen par les pairs, le mandat et la méthodologie qui vont permettre leur mise en œuvre ont été publiés en février 2017. En outre, la déclaration pays par pays devrait faire l’objet, dès 2018, d’un échange automatique de renseignements entre les juridictions qui auront adhéré à l’Accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays.
67. Il est donc d’ores et déjà possible de dresser un premier bilan, tant sur la méthode que sur le fond.
68. Premier constat: la rapidité du processus. L’OCDE a été capable en seulement deux ans (2013-2015) de proposer 15 actions détaillées qui refondent le système fiscal international et de négocier en une année l’Instrument multilatéral BEPS (2015-2016).
69. Cette rapidité est d’autant plus remarquable que l’ensemble du processus a été négocié dans le respect de la souveraineté des États, à une échelle économiquement et fiscalement pertinente, et qu’il peut réellement être vu comme inclusif. 100 juridictions ont participé à la négociation de la convention BEPS, 102 participent au Cadre inclusif du BEPS, parmi lesquels plusieurs pays en développement, des paradis fiscaux, des organisations internationales et régionales, et 64 à l’Accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays. Le caractère inclusif est partie intégrante du fonctionnement de l’examen par les pairs, puisque celui-ci fonctionne selon la règle du consensus.
70. Cet exercice de multilatéralisme n’empêche pas mais produit de la standardisation. L’exemple le plus flagrant est celui de la déclaration pays par pays (action 13): les informations que les EMN doivent fournir sont précises, complètes et uniformisées 
			(25) 
			Pour une vision détaillée
de ces informations, voir OCDE, Documentation des prix de transfert
et déclaration pays par pays, Action13 – Rapport final 2015, Annexe
III au Chapitre V, p. 33 et s. et transmises selon une norme commune de déclaration. C’est cette standardisation qui, d’une part, permettra leur échange automatique et leur utilisation par les autorités fiscales de manière simple, et d’autre part, simplifiera le travail de déclaration des EMN.
71. Sur le fond, si l’on regarde les préconisations de notre Assemblée élargie formulées dans ses Résolutions 1951 (2013) (paragraphes 16 à 17) et Résolution 2074 (2015) (paragraphes 23 à 24), force est de constater que la majorité d’entre elles ont été suivies d’effet. La seule réserve concerne peut-être le souhait de notre collègue Van der Maelen de voir mettre en place un système de taxation uniforme des EMN, qui transparaissait au paragraphe 17.2 de la Résolution 1951 (2013). Autant la déclaration pays par pays se rapproche bien de l’obligation visée par ce paragraphe de «produire un rapport financier mondial complet», autant le désir de notre collègue de voir advenir «un accord multilatéral relatif à un système de taxation uniforme des sociétés transnationales» paraît aussi irréalisable aujourd’hui que dans les années 1920, où la question s’était posée et avait été tranchée par la négative, faute de consensus politique. Il serait pourtant souhaitable.
72. Certes, l’on peut s’interroger sur l’absence de mécanisme coercitif concernant la mise en œuvre des mesures qui ne relèvent pas des quatre standards minimums, mais prennent la forme d’engagements recommandés par l’OCDE ou souhaiter une procédure plus contraignante que celle de l’examen de pairs. Cela étant, je pense que le succès du BEPS repose avant tout sur le fait que l’immense majorité des États ont un intérêt financier commun et conséquent à mettre en place les nouvelles règles du jeu fiscal et que ceux qui se satisfont de leur statut de passager clandestin ne disposent pas forcément du poids politique pour maintenir leur position.
73. Le nombre de «paradis fiscaux» ayant rejoint le Cadre inclusif me conforte en ce sens. De même que la décision de la Commission européenne condamnant l’Irlande, le 30 août 2016, à exiger le remboursement de 13 milliards d’euros à Apple, le régime fiscal octroyé par les autorités irlandaises à cette dernière étant analysé comme une aide d’État illégale. Pour mémoire, je rappellerai, que selon l’enquête menée par la Commission européenne, «le traitement fiscal accordé par l'Irlande a permis à Apple d'éviter l'impôt sur pratiquement l'intégralité des bénéfices générés par les ventes de produits Apple sur l'ensemble du marché unique de l’Union européenne. Cela est dû à la décision d'Apple d'enregistrer toutes ses ventes en Irlande plutôt que dans les pays où les produits étaient vendus» et, par ailleurs, que «seul un faible pourcentage des bénéfices d'Apple Sales International étaient imposés en Irlande, le reste n'étant imposé nulle part» 
			(26) 
			Communiqué de presse
de la Commission européenne du 30 août 2016, <a href='http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-2923_fr.htm'>http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-2923_fr.htm</a>.. Apple ayant fait appel de la décision de la Commission, la prudence est de rigueur. Il n’empêche que ce type de comportement fiscal agressif ne respecte ni l’esprit, ni la lettre du projet BEPS.
74. Pour conclure, je dirais que le projet BEPS est un bon exemple de multilatéralisme au service de la souveraineté des États, initié par l’OCDE avec le G20 et mis en œuvre par plus de la moitié des États des Nations Unies.

3.3. Propositions pour améliorer l’effectivité des recommandations de l’OCDE en matière fiscale

75. L’une des clés de la réussite est bien là: dans quelle mesure les recommandations faites par les pairs seront-elles prises en compte? À l’heure actuelle, non seulement l’examen par les pairs n’empêche pas la prise de mesures qui constituent des retours en arrière, mais en outre, il n’a pas pour objet de sanctionner de manière dissuasive les juridictions non coopératives. Si une juridiction ne souhaite pas donner suite aux recommandations du Forum mondial, que risque-t-elle? Au-delà d’un possible durcissement des conditions d’accès à l’investissement lorsque celui-ci dépend de structures, comme l’International Finance Corporation (IFC) ou la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et de ce que l’on appelle risque «de réputation», la sanction est simplement de ne pas bénéficier des informations fiscales des autres juridictions. Si elle estime que la fraude fiscale lui coûte cher, certes, elle y réfléchira à deux fois avant de refuser d’appliquer les recommandations. Mais, si cette fraude ne lui coûte rien ou si les recommandations portent sur un élément essentiel de son «attractivité fiscale», la sanction de l’absence d’échange de renseignements sera de peu de poids pour l’inciter à mettre œuvre les recommandations du Forum mondial.
76. C’est la raison pour laquelle, je pense que l’un des axes de réflexion à venir porte sur les moyens de faire respecter ces dernières par des mécanismes plus contraignants qu’ils ne le sont aujourd’hui.
77. À la demande du G20 lui-même, l’OCDE a avancé cinq types d’actions allant dans ce sens 
			(27) 
			OECD
Secretary-General report to G20 Finance Ministers, Ankara, Turquie,
septembre 2015, Annex 1., qui, s’ils visent seulement l’EOIR, pourraient être étendus à l’AEOI ou au BEPS. Ceux qui suggèrent d’accroître la publicité des évaluations du Forum mondial afin d’amplifier leur effet en matière de réputation me paraissent de bon sens. L’Assemblée élargie pourrait aller plus loin, par exemple en rendant compte des évaluations du Forum mondial et du Cadre inclusif dans un rapport parlementaire, un peu à l’instar de ce que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe fait en matière d’exécution des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.
78. Une autre proposition recueille mon plein accord: la prise en compte, par les organisations internationales et les agences de développement, telles la Banque de développement du Conseil de l’Europe, la BERD, la Banque européenne d’investissement ou l’IFC des évaluations du Forum mondial ou du Cadre inclusif pour déterminer leur politique d’investissement.
79. Les autres mesures préconisées par l’OCDE sont également utiles, mais elles témoignent toutes de l’attachement de l’Organisation à ses procédures actuelles et de sa réticence à promouvoir des mécanismes plus conflictuels. Je pense à l’inverse que si l’on veut éviter que les États ne recourent à des représailles bilatérales, qui seraient la négation des pratiques multilatérales promues par l’OCDE, comme par exemple le fait de conditionner la mise en œuvre de certaines recommandations au respect du principe de réciprocité, il faut aller plus loin. En matière d’échange automatique de renseignements, c’est d’ailleurs ce qui s’est produit à l’égard des États-Unis. Ceux-ci sont membres du Forum mondial et ont ratifié la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle, mais non le Protocole additionnel de 2010. Pour autant, ils ont décidé de ne pas l’utiliser dans le domaine des données bancaires, préférant appliquer leur propre système d’échange de renseignement, appelé FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), qui oblige les banques étrangères à fournir des informations au Département du Trésor américain, sans qu’il y ait un retour équivalent d’informations de la part des banques américaines en direction des États dont les banques ont transmis lesdits renseignements. Répondant à ce passager clandestin américain, la plupart des places financières ont rayé les États-Unis de la liste de leurs juridictions partenaires!
80. Une solution consisterait à créer un mécanisme plus juridictionnel permettant l’imposition de sanctions, comme l’a proposé l’Assemblée dans sa Résolution 2130 (2016) sur les Panama Papers en encourageant l’OCDE «à réexaminer avec le Conseil de l’Europe, leur Convention conjointe concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (STE no 127), dans le but de faciliter la création d’un organisme international de coordination fiscale sous les auspices de l’OCDE, qui serait en mesure d’imposer des sanctions» (para 5.11). La pratique des panels d’experts suivie devant l’Organisation Mondiale du Commerce pourrait aussi être une source d’inspiration.
81. L’OCDE a, à juste titre, fait remarquer que la Convention conjointe prévoit déjà un «organe de coordination», qui peut, sous l’égide de l’OCDE, recommander «toute mesure susceptible de contribuer à la réalisation des objectifs généraux de la Convention» (article 24.3 de la convention). La question de savoir si cet organe, qui est composé de représentants des autorités compétentes des Parties à la Convention, pourrait être cet organisme à même d’imposer des sanctions ou s’il convient d’en créer un autre reste ouverte, mais la juridictionnalisation de la procédure me paraît essentielle. Juridictionnaliser des sanctions, qui sinon, seraient appliquées de manière bilatérale, c’est aussi civiliser les relations internationales. Cela me paraît autant raisonnable que de parier sur le dialogue.

4. Comment les inégalités pèsent sur la croissance économique

82. Depuis la crise de 2007-08, la question des inégalités occupe une place de choix sur l’agenda politique des pays développés. Elle rejoint aujourd’hui une préoccupation largement partagée: celle de l’inclusivité du développement économique. La croissance doit profiter non à un petit nombre mais au plus grand nombre. Cette prise de conscience est désormais bien ancrée dans la communauté internationale: la réduction des inégalités constitue l’objectif no 10 des Objectifs de développement durable fixés par les Nations Unies en 2015; en outre, l’Assemblée de l’Union Interparlementaire, qui regroupe les parlementaires de 132 pays, a appelé, lors de sa réunion de Dhaka en avril 2017, à «corriger les inégalités pour assurer à tous dignité et bien-être»; enfin, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a débattu en avril 2017 du rapport de notre collègue, M. Andrej Hunko (Allemagne, GUE), «La lutte contre les inégalités de revenus: un moyen de favoriser la cohésion sociale et le développement économique».
83. Pour sa part, l’OCDE a souligné dès 2008 
			(28) 
			OCDE (2008), Croissance
et inégalités – Distribution des revenus et pauvreté dans les pays
de l’OCDE, Éditions OCDE, Paris. les effets potentiellement néfastes de l’accroissement des inégalités de revenus et documenté ce dernier de manière continue depuis lors. En novembre 2016, elle a publié un point sur les inégalités, dont le titre en résume le contenu: «Les inégalités restent élevées dans un contexte de reprise modérée». En mai 2017, le Secrétaire général de l'OCDE a également présenté le rapport intitulé «Une approche budgétaire pour une croissance inclusive» aux ministres des finances du G7 et aux gouverneurs des banques centrales.
84. Les effets négatifs des inégalités en matière de cohésion sociale et de contestation des fondements démocratiques ont été largement traités par M. Hunko. Je me concentrerai donc sur ce qui fait, à mon sens, l’intérêt des travaux de l’OCDE, c’est-à-dire leur perspective économique: au-delà de la question de la justice sociale, les inégalités sont-elles un moteur de la croissance ou un frein? Et si elles sont un frein, quelles décisions les pouvoirs publics doivent-ils prendre?

4.1. La hausse des inégalités de revenus et de patrimoine: une tendance lourde

85. Dans son étude «Tous concernés, pourquoi moins d’inégalité profite à tous» (2015), l’OCDE a constaté que les inégalités de revenus n’ont cessé de se creuser depuis les années 80, mais selon deux processus différents.
86. Dans un premier temps, des années 1980 à la Grande Récession (2007), les revenus réels disponibles des ménages ont augmenté dans tous les pays de l’OCDE, qu’il s’agisse des revenus des 10 % les plus riches ou de celui des 10 % les plus pauvres, à l’exception du Japon. Dans les trois-quarts des pays, cependant, l’augmentation a été plus forte pour les 10 % les plus riches que pour les 10 % les plus pauvres, ce qui explique que, alors que toute la population s’est enrichie en termes absolus, les inégalités ont cru.
87. Avec la crise, les inégalités de revenu ont été amplifiées par la détérioration des revenus des ménages modestes. Comme l’indique le point sur les inégalités de novembre 2016, «en 2013/2014, les revenus du bas de la distribution sont encore en-dessous de leurs niveaux d’avant-crise alors que les revenus du haut et du milieu de la distribution avaient regagné l’essentiel du terrain perdu pendant la crise.» Or, «les revenus du bas de la distribution» représentent 40 % de la population et non 10 %. Cela signifie qu’en termes réels, les revenus de 40 % des ménages ont baissé.
88. Le résultat est qu’à quelques exceptions près, comme la Turquie, la Hongrie ou le Chili, qui ont vu leurs inégalités de revenus se réduire entre 2010 et 2016 grâce à l’amélioration des revenus du travail des ménages modestes, les pays de l’OCDE sont nettement plus inégalitaires aujourd’hui qu’ils ne l’étaient dans les années 80. Que l’on se réfère à l’indice Gini, habituellement utilisé pour mesurer les inégalités entre pays ou dans un pays, ou au ratio entre les revenus des 10 % les plus riches et ceux des 10 % les plus pauvres, la réalité reste la même: l’indice Gini de la zone OCDE était de 0,29 en 1980, il est de 0,315 en 2015; en 1980, les 10 % les plus riches avaient un revenu sept fois supérieur aux 10 % les plus pauvres; en 2015, leur revenu est presque dix fois supérieur à celui des 10 % des plus pauvres.
89. Moins généralisable parce que s’appuyant sur des données concernant un nombre réduit de pays, mais tout aussi intéressante est la conclusion de l’étude «Tous concernés» sur les inégalités de patrimoine des ménages, c’est-à-dire celles relatives aux actifs financiers (comme les actions) et non financiers (en général propriété foncière, c’est-à-dire logement). Les inégalités y sont beaucoup plus fortes qu’en matière de revenus, puisque les 10 % des ménages les plus riches possèdent plus de la moitié du patrimoine total, les 50 % suivants possèdent la quasi-totalité de la seconde moitié et les 40 % les moins riches, seulement 3 %. Comme pour les revenus, la crise financière semble avoir renforcé les inégalités de patrimoine tant au sommet de la distribution qu’à son extrémité inférieure.

4.2. La hausse des inégalités: un frein à la croissance, probable conséquence d’une moindre mobilité sociale

90. La théorie économique voit depuis longtemps l’existence d’inégalités comme pouvant soit entraver la croissance, soit au contraire lui être favorable. Du côté des théories «anti-croissance», on peut citer celle de «l’accumulation du capital humain»: l’imperfection sur les marchés financiers conduirait les individus à faire des choix d’investissement en fonction de leurs revenus ou de leur patrimoine et non en fonction des rendements qu’ils devraient pouvoir obtenir du fait de leur investissement. Ainsi, un ménage modeste pourrait décider d’interrompre les études de son enfant parce qu’il n’a pas les moyens de s’acquitter des frais de scolarité, alors que s’il les acquittait, «le retour sur investissement» de la poursuite des études serait important. Ce faisant, le ménage n’augmente pas le capital humain de son enfant.
91. A l’inverse, est souvent citée comme une théorie «pro-croissance», celle de «l’incitation». Les inégalités inciteraient «à travailler davantage, à investir et à prendre des risques afin de tirer parti de taux de rentabilité élevés (...) Par exemple, si les personnes très instruites sont nettement plus productives, le fort écart observé entre les taux de rentabilité peut inciter un plus grand nombre de personnes à faire des études» 
			(29) 
			OCDE
(2015), Tous concernés, pourquoi moins d’inégalité profite à tous,
Éditions OCDE, Paris, p. 68..
92. L’étude conduite par l’OCDE en 2015, et dont M. Hunko cite à juste titre une des conclusions, tend à prouver qu’il semble bien exister un lien négatif entre la hausse des inégalités de revenu et la croissance: ainsi, le creusement des inégalités entre 1985 et 2005 de deux points de Gini (0,02) dans 19 pays de l’OCDE aurait eu pour effet de réduire de 4,7 points de pourcentage la croissance cumulée sur la période 1990-2010.
93. En outre, ce lien est pertinent à la base de la distribution, mais non à son sommet. En d’autres termes, une baisse des inégalités concernant les 40 % de la population aux revenus faibles ou modestes aurait un impact positif sur la croissance, mais nul si elle visait les autres 60 % des ménages.
94. Utilisant ses nombreuses données dans le domaine de l’éducation, l’OCDE montre que plus les inégalités de revenu croissent et moins les individus dont les parents ont un faible niveau d’instruction 
			(30) 
			Entendu comme le fait
qu’aucun des deux parents n’a suivi le deuxième cycle de l’enseignement
secondaire. parviennent à augmenter leur capital humain. Pour ce faire, l’étude se fonde sur le fait que le niveau d’instruction moyen des individus – qui est une mesure du capital humain – dépend largement du niveau d’instruction des parents. Elle constate en premier lieu que plus l’indice Gini augmente, plus la probabilité pour que les enfants dont les parents ont un niveau d’instruction faible accèdent à l’enseignement supérieur est faible 
			(31) 
			«Une augmentation des
inégalités d’environ 6 points Gini (soit l’équivalent de l’écart
entre les revenus aux États-Unis et au Canada en 2010) aurait pour
effet d’abaisser d’environ 4 points de pourcentage la probabilité
qu’ont les individus dont les parents ont un niveau d’instruction
faible de suivre un enseignement tertiaire», OCDE (2015), Tous concernés, pourquoi
moins d’inégalité profite à tous, op.
cit., p. 83.. Tel n’est pas le cas pour les enfants dont les parents ont un niveau d’instruction moyen ou élevé.
95. Ce lien négatif entre hausse des inégalités et quantité de capital humain pour les individus dont les parents ont un niveau d’instruction faible se retrouve également au niveau qualitatif, en matière de compétences. Ainsi, plus l’indice Gini augmente et plus les scores en numératie 
			(32) 
			La
numératie correspond à la capacité d'une personne de comprendre
et d'utiliser des données mathématiques à l'école, au travail et
dans la vie de tous les jours; par exemple, pour utiliser de la
monnaie et établir des budgets, pour utiliser des mesures en cuisine
ou pour lire une carte. ou en littératie 
			(33) 
			La littératie et l’aptitude
à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante,
à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre
des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités. de ces individus baissent. Il en va de même sur le marché du travail où les individus dont les parents ont un niveau d’instruction faible voient leur probabilité d’être au chômage au cours de leur vie active nettement augmenter lorsque l’indice Gini croît.
96. Ces résultats tendent à prouver que l’augmentation des inégalités, parce qu’elle réduit la propension des ménages les moins riches à accumuler du capital humain pèse sur la croissance. Autrement dit, si ces ménages, qui représentent 40 % de la population, avaient la possibilité d’arbitrer différemment en faveur de l’amélioration de leur capital humain, ils contribueraient plus fortement à la croissance du PIB.

4.3. Comment desserrer le frein de la croissance?

97. L’intérêt de cette étude est triple. Tout d’abord, elle met l’accent sur le fait que des mesures correctrices ne doivent pas seulement porter sur les seuls 10 % les moins riches, mais sur les 40 % les moins fortunés. Ensuite, elle offre un argument purement économique en faveur de la réduction des inégalités. Enfin, et c’est là pour moi une réelle satisfaction, rejoignant une perspective plutôt libérale, elle déplace le débat de la justice sociale vers celui de la mobilité sociale; l’important est moins, dans les pays développés, d’avoir une partie de la population aux revenus faibles, que de s’assurer que celle-ci ne le reste pas. En d’autres termes, on en revient à un principe ancien: une société économiquement saine est celle où la mobilité des individus est réelle et non celle où l’on n’échappe pas à sa classe socio-économique de naissance qui détermine votre capital humain et, par voie de conséquence, votre niveau de revenu. L’égalité des chances est donc un excellent antidote économique autant que politique puisqu’elle est, je me permets de le rappeler, à l’opposé d’un système égalitariste.
98. Deux autres enseignements importants sont à tirer de cette étude. D’une part, comme l’indique l’OCDE, les politiques publiques ne doivent pas se focaliser exclusivement sur la croissance en pensant que les fruits de celle-ci vont automatiquement profiter à tous les segments de la société, car ce faisant, si les inégalités augmentaient, elles pourraient compromettre la croissance à long terme. D’autre part, les mécanismes de redistribution par le biais des prestations sociales et de l’impôt, qui sont importants dans la zone OCDE puisqu’ils réduisent en moyenne les inégalités de revenu au sein de la population d’âge actif de 26 % 
			(34) 
			30 %
en France et en Allemagne, 19 % aux États-Unis et 4 %-5 % au Chili
et au Mexique, selon Tous concernés, op. cit., doivent être maintenus dans la mesure où ils sont neutres pour la croissance.
99. À cet égard et afin de tirer les conséquences des résultats de son étude sur l’accumulation du capital, l’OCDE préconise une série de mesures axées sur les compétences et l’éducation et qui concernent tant la formation initiale que la formation continue. Elles se concentrent sur l’éducation et l’accueil des jeunes enfants, l’aide aux parents d’enfants d’âge scolaire, la réduction des inégalités au niveau des résultats scolaires, la modernisation des compétences pour éviter leur obsolescence et la compréhension de la demande de compétences afin d’assurer l’alignement sur l’offre.
100. En conclusion, je pense qu’il serait utile aux décideurs politiques que nous sommes que l’OCDE poursuive ses travaux dans deux directions, en examinant de manière plus approfondie le lien entre les inégalités de patrimoine et la croissance et en précisant le niveau d’alerte à partir duquel un pays peut craindre que les inégalités de revenu nuisent à cette dernière. Nous savons en effet qu’il n’existe pas un seuil pertinent pour tous les pays, les sociétés américaine (indice Gini en 2014: 0,394), turque (0,393) ou chilienne (0,465) s’accommodent par exemple d’inégalités beaucoup plus fortes que celles de pays comme la Slovénie (0,255), la Norvège (0,252) ou l’Islande (0,244). Mais peut-être existe-t-il différents seuils pertinents par groupe de pays partageant certaines caractéristiques communes?

5. L’emploi des jeunes au sein de l’OCDE: l’investissement dans l’éducation et les compétences d’aujourd’hui créera les emplois de demain, la croissance d’après-demain

101. L’emploi des jeunes au sein de l’OCDE, définis, selon les études, ayant 15-24 ans ou 15-29 ans, prolonge la réflexion menée sur les inégalités à bien des égards.

5.1. La situation contrastée des jeunes

102. Les perspectives de l’emploi publiées en 2016 
			(35) 
			À
moins d’une indication contraire, les données citées sont celles
des perspectives de l’emploi de l’OCDE 2016. rappellent deux réalités: d’une part, le chômage des jeunes est très conjoncturel par rapport à d’autres catégories d’actifs, ce qui pourrait laisser penser que la reprise économique se chargera de les faire sortir du chômage, d’autre part, les jeunes qui présentent une réelle vulnérabilité économique sont de plus en plus nombreux.
103. Les jeunes ont ainsi été touchés par la Grande récession de manière disproportionnée: leur taux de chômage dans la zone OCDE est passé de 12,1 % en 2007 à 17,3 % durant la crise, soit une hausse deux fois supérieure à celle enregistrée pour les salariés plus âgés. A contrario, leur taux de chômage a reculé plus rapidement que le taux de chômage global et s’établissait à 13,4 % fin 2015. Pour autant, il demeure, à cette date, supérieur à celui observé avant la crise dans 26 des pays de l’OCDE.
104. Le marché du travail des jeunes a été très dynamique après la crise dans les pays où le marché global de l’emploi s’est le plus rétabli. Ainsi, le taux de chômage des jeunes reste supérieur de 10 points à ce qu’il était avant la crise en Espagne, en Grèce, en Irlande et en Italie et inférieur à son niveau d’avant crise en Allemagne et en Israël, pays où le chômage global est également plus faible qu’en 2007.
105. Parallèlement, le nombre de jeunes déscolarisés, sans emploi et ne suivant aucune formation (NEET pour Not in employment, education or training) parmi les personnes âgées de 15 à 29 ans s’élevait à 14,6 % en 2015, contre 13,5 % en 2007. Cela représente 40 millions de jeunes dans la zone OCDE, parmi lesquels 27 millions ne recherchent pas activement un emploi 
			(36) 
			Communiqué
des ministres de l’Emploi et du travail de l’OCDE, Paris, 15 janvier
2016.. Depuis 2007, le nombre de NEET a crû dans 24 pays de l’Organisation, en particulier en Espagne, en Grèce, en Irlande, en Italie et en Slovénie.
106. Or cette catégorie, qui reste hétérogène, présente néanmoins une vulnérabilité économique de court terme du fait de sa situation familiale: dans les pays de l’Union européenne, un NEET sur quatre vit dans un ménage où personne n’a d’emploi, alors que ce rapport est de 1 pour 10 pour les autres jeunes. En outre, la probabilité de vivre dans un ménage sans emploi est de 44 % pour un NEET peu qualifié qui n’a pas achevé le second cycle d’études secondaires, ce qui expose ce dernier à un risque accru de pauvreté.
107. La crainte est évidemment que ces NEET peu qualifiés aient de grandes difficultés à retrouver un emploi, y compris lorsque le taux de chômage des jeunes sera redevenu celui qu’il était avant la crise.

5.2. Favoriser l’emploi des jeunes

108. Lors du Sommet d’Antalya de novembre 2015, les dirigeants du G20 se sont donné pour objectif de réduire à 15 % la part des jeunes les plus exposés au risque d’exclusion définitive du marché du travail d’ici 2025. L’annexe III de la déclaration adoptée à l’issue du Sommet se réfère explicitement aux NEET et fixe neuf principes 
			(37) 
			Améliorer l’éducation
et les compétences des jeunes: 1) garantir des compétences de base
à tous; 2) garantir un parcours scolaire qui ne s’interrompe pas
avant son terme; 3) fournir un plus grand choix tout au long du
parcours éducatif; 4) favoriser l’accès à l’enseignement supérieur:
5) rapprocher l’école du monde du travail; améliorer l’emploi des jeunes;
6) renforcer les opportunités d’emploi; 7) s’attaquer au chômage;
8) éviter les périodes prolongées sans emploi; 9) améliorer la qualité
de l’emploi. devant guider les politiques en faveur d’une amélioration de l’emploi des jeunes pour lesquels le G20 demande à l’OCDE et à l’Organisation internationale du travail d’assurer un suivi.
109. Ces neuf principes ont ceci d’intéressant qu’ils recoupent largement les neuf piliers du Plan d’action de l’OCDE pour les jeunes adopté en 2013 tout en priorisant différemment les actions à entreprendre: les effets de la crise se résorbant, l’effort doit moins porter sur la lutte à court terme contre le chômage des jeunes, même s’il faut la poursuivre activement, que sur l’amélioration de leurs perspectives professionnelles à long terme, ce qui passe par des politiques renforçant l’éducation et les compétences des jeunes.
110. Celles-ci apparaissent d’autant plus nécessaires dans la zone OCDE que cette dernière estime qu’en 2025, 23 de ses membres atteindront l’objectif du G20 et 11 n’y parviendront pas, si les tendances en matière de réduction de chômage actuellement observées se poursuivent.
111. Améliorer les perspectives d’emploi à long terme des NEET revient bien évidemment à lutter contre les inégalités en attendant, au-delà de l’objectif de justice sociale, des effets bénéfiques pour la croissance économique. Pour les NEET, encore plus que pour la catégorie des jeunes dans son ensemble, la théorie de l’accumulation du capital humain joue à plein. Il s’agit d’augmenter les opportunités d’investissement – en fait, tout simplement de choix économiques rationnels – d’une catégorie de personnes économiquement vulnérables.
112. Dans son étude «Tous concernés», l’OCDE propose une série de mesures en ce sens. Par exemple, elle suggère que l’investissement dans le capital humain débute dès la petite enfance en notant que les résultats de son enquête PISA, qui mesure notamment les niveaux d’éducation, montrent que la participation à une éducation de qualité (telle que mesurée par le ratio enfants/personnel, la durée du programme et les dépenses par enfant) est associée à de meilleurs résultats en compréhension de l’écrit à l’âge de 15 ans, en particulier pour les enfants issus de familles désavantagées sur le plan socio-économique.
113. Elle plaide également pour éviter les sorties prématurées du système éducatif et cite l’exemple de la Nouvelle-Zélande où les établissements scolaires envoient régulièrement des rapports au Département de l’éducation sur tous les jeunes qui quittent le système scolaire avec ou sans diplôme, le Département adressant ceux qui ont besoin d’une formation complémentaire ou d’un soutien personnalisé à des prestataires de services spécialisés.
114. Elle met aussi en avant l’importance de réduire les inégalités au niveau des résultats scolaires: ainsi, des pays comme le Canada, la Finlande, le Japon et la Corée auraient tous des systèmes pédagogiques attachés à ce que les élèves désavantagés bénéficient des mêmes chances que les élèves favorisés d’obtenir de bons résultats scolaires, ce qui se traduit par de bons résultats en compréhension de l’écrit (enquête PISA 2012) pour l’ensemble des élèves et meilleurs que ceux anticipés pour les élèves désavantagés.
115. D’autres exemples sont donnés. Ils vont tous dans le même sens: l’éducation et les compétences sont la clé pour accroître la mobilité sociale des individus et bâtir une société plus riche et plus juste, car plus inclusive. Investir dans notre jeunesse, surtout quand elle est en difficulté, c’est préparer, selon la formule de M. Helmut Schmidt, leurs emplois de demain et la croissance d’après-demain.

6. Suivi des groupes parlementaires de l’OCDE

116. L’OCDE a à cœur d’associer les parlementaires sur certaines de ses thématiques. Il importe donc d’en donner un aperçu. En 2016 et 2017, deux groupes se sont réunis, celui en matière fiscale et celui sur l’intégrité et la transparence.

6.1. Le Groupe parlementaire en matière fiscale

117. Selon le compte rendu de sa cinquième réunion qui s’est tenue le 2 mai 2016, une partie des échanges a porté sur les enjeux et les avancées du projet BEPS, largement décrits dans ce rapport avec des données mises à jour.
118. Pour autant, trois thèmes qui ont été abordés méritent d’être retenus. Tout d’abord, si tous les participants ont unanimement salué les progrès du BEPS, certains parlementaires ont manifesté leur souhait d’aller plus loin. Ainsi, le Président de la commission spéciale sur les rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leur effet (TAXE) du Parlement européen, M. Alain Lamassoure, a plaidé pour une liste commune OCDE–Union européenne des paradis fiscaux, proposition qui n’a pas rencontré l’assentiment du Secrétaire général de l’Organisation, M. Angel Gurría, qui semble privilégier un dialogue ouvert et l’examen par les pairs pour convaincre les pays non conformes de le devenir. Par ailleurs, certains parlementaires ont appelé de leurs vœux un projet BEPS 2 qui augmenterait la transparence dans le domaine fiscal et, surtout, qui lutterait contre l’évasion fiscale agressive. Je pense qu’effectivement, à terme, il faudra s’attaquer frontalement aux politiques fiscales agressives et pas seulement aux paradis fiscaux ou aux lacunes du système fiscal international.
119. Le deuxième thème intéressant a trait au rôle des parlements nationaux dans l’amélioration de ce système. Mme Michèle André, présidente de la commission des Finances du Sénat français a ainsi indiqué que ce dernier n’avait pas hésité à rejeter en 2011 une convention fiscale avec le Panama qui n’offrait pas de garde-fous suffisants. De même, Mme Meg Hiller, Présidente de la commission des comptes publics de la Chambre des Communes du Royaume-Uni, a relaté les enquêtes lancées par sa commission en 2012, 2013 et 2015 au cours desquelles elle s’est aperçue que les EMN se soustrayaient à l’impôt au Royaume-Uni. Elle a également mentionné les vives critiques suscitées par l’accord de £130 millions conclu entre Google et le Service des impôts et des douanes britannique (HMRC), certains parlementaires estimant que ce montant ne correspondait pas à la taille de ses activités dans le pays.
120. Enfin, des échanges intéressants ont porté sur l’action de l’Union européenne, la Commission lançant son paquet sur la lutte contre l’évasion fiscale, essayant de faire en sorte que la mise en œuvre du projet BEPS soit harmonisée dans les États membres et se préparant à proposer des actions supplémentaires, comme la réactivation de l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). À noter également que la proposition de création d’une commission d’enquête sur les Panama Papers au sein du Parlement européen évoquée lors cette réunion a bien été suivie d’effet: la commission d'enquête chargée d'examiner les allégations d'infraction et de mauvaise administration dans l'application du droit de l'Union en matière de blanchiment de capitaux, d'évasion fiscale et de fraude fiscale, dite commission PANA, a commencé ses travaux à partir de juillet 2016 et les poursuit à ce jour.

6.2. Le Groupe sur l’intégrité et la transparence

121. On peut retenir trois choses de la première réunion de ce groupe (février 2017) centré sur les moyens d’assurer l’intégrité et la transparence dans la vie politique.
122. La première est que le fossé entre les électeurs et leurs représentants est grand: comme l’a indiqué Mme Stav Shaffir, membre de la Knesset, 40 % seulement des citoyens font confiance à leur gouvernement et la situation se détériore dans plusieurs pays de l’OCDE.
123. La deuxième est que l’OCDE s’intéresse à la question, parce qu’elle estime qu’intégrité et transparence dans la vie publique font partie intégrante de la bonne gouvernance, qui a des répercussions directes sur la création de richesses. À cet égard, l’OCDE a adopté en janvier 2017 une recommandation sur l’Intégrité publique qu’elle souhaiterait voir devenir une référence et qui présente la particularité d’adopter une approche transversale en créant un cadre commun aux responsables publics, aux entreprises, à la société civile et aux individus pour bâtir un «système d’intégrité» cohérent. Son représentant a insisté sur le fait que la responsabilité est la clé de ce système et que les parlementaires sont en première ligne pour le faire respecter. Il a indiqué, à titre d’exemple, que récemment encore, la grande majorité des pays de l’OCDE ne disposaient pas de cadre légal pour les groupes d’intérêt.
124. Enfin, l’OCDE est prête à aider les pays qui le souhaitent dans la mise en œuvre de cette recommandation, y compris par la création d’un examen par les pairs. Elle a d’ailleurs été sollicitée par des pays membres, tels le Mexique ou la République slovaque, de même que par des pays non membres, comme l’Argentine, la Colombie ou le Pérou, pour conduire un examen d’intégrité, qui a débouché sur plusieurs propositions concrètes.

7. Conclusion

125. Ce rapport a été rédigé dans un contexte international en apparence peu favorable à une mondialisation ouverte, au multilatéralisme et au libre-échange. 2016 et 2017 ont en effet été les années du Brexit avec la volonté du Royaume-Uni de quitter le marché unique européen, de la remise en cause du Partenariat Trans-Pacifique entre les États-Unis et l’Asie, de la sortie américaine de l’Accord de Paris sur le climat, du refus du gouvernement américain de condamner le protectionnisme dans la déclaration du G20 Finances réuni à Baden-Baden en mars 2017, des divergences de vues assumées au sein du G7 en mai 2017 entre le Président Trump et ses partenaires sur les questions du commerce international et de l’environnement.
126. Pour autant, ce rapport le prouve, le multilatéralisme est une nécessité si nous souhaitons une mondialisation plus juste. Sans multilatéralisme, point de lutte efficace contre la fraude fiscale, contre l’érosion des bases d’imposition, contre les pratiques de concurrence fiscale agressive. Non seulement, le multilatéralisme est nécessaire, mais il fonctionne, comme en attestent les retours des exilés fiscaux avant la mise en place de l’AEOI. Et, en l’espèce, il est bien mis au service d’une mondialisation pour tous et non pour quelques-uns.