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Résolution 2191 (2017)

Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - . Discussion par l’Assemblée le 12 octobre 2017 (35e séance) (voir Doc. 14404, rapport de la commission sur l'égalité et la non-discrimination, rapporteur: M. Piet De Bruyn). Texte adopté par l’Assemblée le 12 octobre 2017 (35e séance). Voir également la Recommandation 2116 (2017).

1. Les personnes intersexes naissent avec des caractéristiques sexuelles biologiques qui ne correspondent pas aux normes sociétales ou aux définitions médicales de ce qui fait qu’une personne est de sexe masculin ou féminin. Parfois, ces caractéristiques sont détectées à la naissance; dans d’autres cas, elles ne deviennent apparentes que plus tard au cours de la vie, notamment au moment de la puberté. Bien que leurs situations soient diverses et variées, la majorité des personnes intersexes sont en bonne santé physique. Seules quelques-unes sont atteintes d’affections médicales mettant en danger leur santé. Or, la situation des personnes intersexes est traitée depuis longtemps sous un angle essentiellement médical. La thèse dominante dans le milieu médical est qu’il est possible et souhaitable que le corps des enfants intersexes soit, le plus tôt possible, rendu conforme à un paradigme soit masculin soit féminin, souvent au moyen d’une intervention chirurgicale et/ou hormonale, et que les enfants doivent ensuite être élevés selon le sexe qui a ainsi été assigné à leur corps.
2. L’Assemblée parlementaire considère que cette approche entraîne des atteintes graves à l’intégrité physique, touchant dans bien des cas de très jeunes enfants ou des nourrissons qui ne sont pas en mesure de donner leur consentement et dont on ne connaît pas l’identité de genre. Et cela, alors qu’il n’existe pas de preuves de l’efficacité à long terme de tels traitements, que la santé des personnes concernées n’est pas directement menacée et que les traitements n’ont pas de réelle visée thérapeutique, étant destinés à éviter ou à atténuer des problèmes – perçus tels − d’ordre plutôt social que médical. Bien souvent, ils nécessitent des traitements hormonaux à vie et engendrent des complications médicales, aggravées par la honte et le secret.
3. Une pression pèse souvent sur les parents pour qu’ils prennent des décisions urgentes au nom de leur enfant, entraînant des changements qui bouleverseront sa vie future, sans qu’ils comprennent véritablement les conséquences à long terme des décisions qui auront été prises concernant le corps de cet enfant durant sa prime ou petite enfance.
4. Bien que l’on assiste à une prise de conscience croissante de ces questions, des efforts concertés restent nécessaires pour sensibiliser le grand public à la situation et aux droits des personnes intersexes, afin qu’elles soient pleinement acceptées au sein de la société, sans stigmatisation ni discrimination.
5. L’Assemblée souligne l’importance de veiller à assurer que la loi ne crée ni ne perpétue des obstacles à l’égalité pour les personnes intersexes. Pour cela, il faut notamment faire en sorte que les personnes intersexes qui ne s’identifient pas en tant que personne de sexe masculin ou féminin bénéficient de la reconnaissance juridique de leur identité de genre, et que, dans les cas où leur genre n’a pas été correctement enregistré à la naissance, la procédure de rectification du genre soit simple et fondée uniquement sur le principe de l’autodétermination, comme le prévoit la Résolution 2048 (2015) de l’Assemblée sur la discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe. Des modifications de la législation antidiscrimination pourraient également être nécessaires pour couvrir efficacement la situation des personnes intersexes.
6. L’Assemblée considère que cette situation est susceptible de soulever des questions importantes au vu de plusieurs dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), et notamment de ses articles 3 et 8.
7. Compte tenu de ce qui précède et ayant à l’esprit les dispositions de la Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine: Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine (STE no 164, «Convention d’Oviedo») et les recommandations pertinentes contenues dans sa Résolution 1952 (2013) sur le droit des enfants à l’intégrité physique, ainsi que celles du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et de plusieurs organes de suivi des traités des Nations Unies, l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe:
7.1. pour protéger efficacement le droit des enfants à l’intégrité physique et à l’autonomie corporelle, et donner aux personnes intersexes les moyens d’exercer et de faire valoir ces droits:
7.1.1. à interdire les actes chirurgicaux de «normalisation sexuelle» sans nécessité médicale ainsi que les stérilisations et autres traitements pratiqués sur les enfants intersexes sans leur consentement éclairé;
7.1.2. à garantir que, hormis dans les cas où la vie de l’enfant est directement en jeu, tout traitement visant à modifier les caractéristiques sexuelles de l’enfant, notamment ses gonades ou ses organes génitaux externes ou internes, est reporté jusqu’au moment où cet enfant est en mesure de participer à la décision, en vertu du droit à l’autodétermination et du principe du consentement libre et éclairé;
7.1.3. à assurer à toutes les personnes intersexes des soins de santé dispensés par une équipe multidisciplinaire spécialisée, composée de professionnels de santé, mais aussi d’autres professionnels compétents tels que des psychologues, des travailleurs sociaux et des éthiciens, selon une approche globale centrée sur le patient et suivant des lignes directrices élaborées ensemble par les organisations de personnes intersexes et les professionnels concernés;
7.1.4. à garantir que les personnes intersexes ont un accès effectif aux soins de santé tout au long de leur vie;
7.1.5. à garantir que les personnes intersexes ont pleinement accès à leur dossier médical;
7.1.6. à assurer une formation complète et actualisée sur ces questions à l’ensemble des professionnels du secteur médico-psychologique et autres professionnels concernés, en expliquant notamment de manière claire que les corps intersexes sont le résultat de variations naturelles du développement sexuel et qu’ils n’ont pas en tant que tels à être modifiés;
7.2. en vue d’aider les personnes intersexes, leurs parents et leur entourage à faire face aux problèmes posés notamment par les attitudes sociales à l’égard des variations des caractéristiques sexuelles:
7.2.1. à veiller à ce qu’il existe des mécanismes de soutien psychosocial adaptés pour les personnes intersexes et leur famille, tout au long de leur vie;
7.2.2. à soutenir les organisations de la société civile qui œuvrent pour briser le silence sur la situation des personnes intersexes et pour créer un environnement dans lequel les personnes intersexes peuvent parler ouvertement et sans risque de ce qu’elles vivent;
7.3. en ce qui concerne l’état civil et la reconnaissance juridique du genre:
7.3.1. à garantir que les lois et les pratiques relatives à l’enregistrement des naissances, en particulier à l’enregistrement du sexe des nouveau-nés, respectent dûment le droit à la vie privée en laissant une latitude suffisante pour prendre en compte la situation des enfants intersexes sans contraindre les parents ni les professionnels de santé à révéler inutilement le statut intersexe d’un enfant;
7.3.2. à simplifier les procédures de reconnaissance juridique du genre conformément aux recommandations adoptées par l’Assemblée dans sa Résolution 2048 (2015) et à veiller en particulier à ce que ces procédures soient rapides, transparentes et accessibles à tous sur la base du droit à l’autodétermination;
7.3.3. lorsque les pouvoirs publics recourent à des classifications en matière de genre, à veiller à ce qu’il existe un ensemble d’options pour tous, y compris pour les personnes intersexes qui ne s’identifient ni comme homme ni comme femme;
7.3.4. à envisager de rendre facultatif pour tous l’enregistrement du sexe sur les certificats de naissance et autres documents d’identité;
7.3.5. à veiller, conformément au droit au respect de la vie privée, à ce que les personnes intersexes ne soient pas privées de la possibilité de conclure un partenariat civil ou un mariage, ou de rester dans une telle relation après la reconnaissance juridique de leur genre;
7.4. afin de combattre la discrimination à l’égard des personnes intersexes, à veiller à ce que les lois antidiscrimination s’appliquent effectivement aux personnes intersexes et les protègent, en faisant en sorte d’interdire expressément la discrimination fondée sur les caractéristiques sexuelles dans tous les textes pertinents et/ou en sensibilisant les avocats, la police, les procureurs, les juges et tous les autres professionnels compétents, ainsi que les personnes intersexes sur la possibilité de réagir aux actes de discrimination à leur égard en invoquant une discrimination fondée sur le sexe ou encore «sur tout autre motif» (non précisé) lorsque la liste des motifs interdits dans les dispositions nationales antidiscrimination applicables n’est pas exhaustive;
7.5. à recueillir davantage de données et à mener de plus amples études sur la situation et les droits des personnes intersexes, notamment sur l’impact à long terme des actes chirurgicaux de «normalisation sexuelle», des stérilisations et des autres traitements pratiqués sur les personnes intersexes sans leur consentement libre et éclairé, et à cet égard:
7.5.1. à réaliser une enquête sur les effets dommageables des traitements invasifs et/ou irréversibles de «normalisation sexuelle» déjà pratiqués sur des individus sans leur consentement, et à envisager d’indemniser, éventuellement par le biais d’un fonds spécifique, les personnes qui souffrent des conséquences des traitements dont elles ont fait l’objet;
7.5.2. afin d’avoir une vision complète des pratiques actuelles, à tenir un registre de toutes les interventions pratiquées sur les caractéristiques sexuelles d’enfants;
7.6. à mener des campagnes pour sensibiliser les professionnels concernés et le grand public à la situation et aux droits des personnes intersexes.
8. Enfin, l’Assemblée invite les parlements nationaux à œuvrer activement, avec la participation des personnes intersexes et de leurs organisations représentatives, pour sensibiliser l’opinion publique sur la situation des personnes intersexes dans leur pays et pour traduire dans les faits les recommandations ci-dessus.