1. Introduction
1.1. Contexte
général
1. La République d’Irlande, qui
était auparavant l’État libre d’Irlande établi en 1922 comme un
dominion du Commonwealth des nations britanniques suite à la guerre
d'indépendance irlandaise, s’est séparée du Royaume-Uni pour devenir
un État pleinement indépendant en 1949. L’Irlande compte une population
de 4,7 millions d’habitants (recensement de 2016) et sa superficie
est de 70 000 km². 84 % de la population est catholique
. L’influence
de l’église catholique, bien qu’en déclin, reste importante dans
la société.
2. L’Irlande est un membre fondateur du Conseil de l’Europe (depuis
le 5 mai 1949). Elle est devenue membre de l’Union européenne en
1973 et de la zone euro en 1999. Elle ne fait pas partie de l’espace Schengen.
3. L’Irlande a connu une période d’expansion économique rapide
(la «période du tigre celtique») de 1995 à 2008, fondée sur l’économie
de la connaissance, les services et les entreprises de haute technologie.
Elle a cependant dû faire face à une crise financière sans précédent
en 2008 et à une récession économique en 2009, marquée par une forte
baisse d’activités dans le secteur de la construction, un effondrement
du système bancaire, et une baisse de 3 % du produit intérieur brut
(PIB) en 2008 et de 7,1 % en 2009. De ce fait, le chômage a fortement
augmenté, passant de 4,5 % en 2007 à près de 12 % en 2009 et le
déficit budgétaire s’est creusé, atteignant environ 31 % du PIB
.
4. En novembre 2010, l’Irlande a donc été amenée à conclure un
accord pour un programme de sauvetage avec l’Union européenne et
le Fonds monétaire international (FMI)
et a
bénéficié de prêts assortis de conditions strictes visant à équilibrer
le budget. Un Plan national de relance (2011-2014) a été mis en
place dans le but de réduire le déficit à moins de 3 % du PIB d’ici
2014, principalement en réduisant les dépenses publiques. Thomas
Hammarberg, qui était alors Commissaire aux droits de l’homme du
Conseil de l’Europe, avait alors exprimé son inquiétude concernant
les mesures budgétaires en cours et à venir et affirmé qu’elles pourraient
«avoir de graves conséquences sur la société irlandaise, en particulier
sur les groupes vulnérables»
.
5. L'Irlande s’est rétablie au niveau macroéconomique. En 2013,
elle est devenue le premier pays de la zone euro à sortir d’un programme
international de sauvetage mis en œuvre suite à la crise économique
de 2008. Depuis 2014, l'Irlande est l'économie qui connaît la plus
forte croissance de la zone euro. Elle se classe parmi les pays
les plus riches de la planète en termes de PIB par habitant et,
en 2016, elle a été classée au huitième rang des pays les plus développés
dans le monde selon l’indice du développement humain des Nations
Unies
.
6. Cependant, la crise financière et les mesures d'austérité
ont encore un effet perceptible sur les individus et la société.
Le rapport établi en mars 2017 par Nils Muižnieks, le Commissaire
aux droits de l'homme, montre de manière frappante comment la crise
financière s’est répercutée sur les groupes les plus vulnérables (notamment
les femmes, les Gens du voyage, les enfants
,
les migrants, etc.). Cette question sera développée ultérieurement
dans le rapport.
7. La crise financière a également eu des répercussions sur la
structure des institutions et services publics. En 2014-2015, également
pour des raisons économiques, la Commission irlandaise des droits
de l’homme et l’Autorité chargée de l’égalité ont été fusionnées
au sein d’une nouvelle Commission irlandaise des droits de l’homme
et de l’égalité, renforcée. Par ailleurs, le Tribunal de l’égalité,
la Commission des relations de travail, les commissaires de conciliation,
l’Agence nationale chargée des droits en matière d’emploi et le
tribunal d’appel pour les conflits du travail ont fusionné au sein
d’une nouvelle structure: la Commission sur les relations sur le
lieu de travail (Workplace Relations Commission).
1.2. Impact
du «Brexit»
8. Autre sujet de préoccupation,
la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (le «Brexit»), qui
a commencé en mars 2017 suite au référendum britannique du 11 mai
2016. Une telle décision pourrait avoir des incidences politiques,
sociales et économiques sur l'Irlande, qui entretient des échanges
étroits avec le Royaume-Uni avec lequel elle partage une frontière
terrestre. Il faut noter qu’en Irlande du Nord, le vote en faveur
du maintien dans l’Union est arrivé au troisième rang dans le pays
(55,7%)
.
9. L’intégration économique avec l’Irlande du Nord s’est considérablement
renforcée depuis l’accord du Vendredi Saint
. Elle a notamment été facilitée
par des institutions communes, par exemple le Conseil ministériel
Nord-Sud (qui réunit des ministres irlandais et des ministres de
l’Exécutif d’Irlande du Nord) et le Conseil britannico-irlandais
(composé de ministres britanniques et irlandais et de leurs homologues
d’Écosse, du pays de Galles, d’Irlande du Nord, de l’île de Man
et des îles Anglo-Normandes). La «zone de voyage commune» établie
par l'accord du Vendredi saint pourrait être touchée par le Brexit
(on comptait 7 600 travailleurs frontaliers venus d'Irlande du Nord
et 12 100 de la République d'Irlande en 2015)
.
10. Du point de vue irlandais, un «Brexit dur» pourrait entraîner
une baisse de 30% des exportations vers le Royaume-Uni, ajouter
20 milliards d'euros à la dette nationale au cours de la prochaine
décennie et entraîner 40 000 pertes d'emplois. La forte chute de
la livre depuis l’annonce du Brexit, ainsi que l'impact potentiel
des tarifs sur le commerce et de la durée prolongée du franchissement
des frontières après le Brexit, pourraient nuire aux entreprises
irlandaises qui exportent vers le Royaume-Uni
.
11. Reste à savoir quels seront les effets du Brexit non seulement
sur les finances et les services publics irlandais mais aussi sur
la protection des droits de l'homme, même si l'accord du Vendredi
Saint a prévu un renforcement de la coopération transfrontalière
dans ce domaine. Les parties à cet accord se sont en effet engagées
à assurer une équivalence en matière de droits de l’homme dans les
deux pays. Dans ces conditions, l’impact du Brexit demeure ambigu
.
1.3. Bref
aperçu des relations entre l'Irlande et le Conseil de l'Europe
12. L'Irlande a ratifié 122 conventions
du Conseil de l'Europe depuis son adhésion et a signé 18 conventions supplémentaires,
notamment la Convention du Conseil de l'Europe contre la traite
des organes humains (STCE no 216) et
la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à
l'égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210)
en 2015. Nous encourageons vivement les autorités irlandaises à envisager
de ratifier ces deux conventions. Il existe actuellement 15 requêtes
(sur un total de 79 750) en instance devant une formation judiciaire
de la Cour européenne des droits de l'homme (au 1er octobre
2017). Deux résolutions ont été adoptées par le Comité des Ministres
en 2013, cinq en 2014 et aucune depuis 2015.
13. Le présent rapport d’examen périodique a été établi conformément
à la
Résolution 2018
(2014) sur l’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée
(octobre 2013-septembre 2014) et à l'exposé des motifs approuvé
par la commission de suivi le 17 mars 2015. Il examinera les défis
que l'Irlande doit relever dans le domaine de la démocratie, des
droits de l'homme et de la primauté du droit, sur la base des conclusions
les plus récentes des mécanismes de suivi des principales conventions
du Conseil de l'Europe, des conclusions de l'Assemblée parlementaire
et du Commissaire aux droits de l'homme et, le cas échéant, des
rapports préparés par d'autres instances internationales et des
représentants de la société civile et d’organisations non gouvernementales
(ONG).
14. Ce rapport n’a pas vocation à être une recherche exhaustive
sur le pays, mais une analyse des développements récents du pays
au regard des standards du Conseil de l’Europe. Il se focalise plus spécifiquement
sur des questions majeures que j’ai identifiées, sur la base des
développements géopolitiques, politiques et sociaux ainsi que sur
les rapports des mécanismes de suivi. Dans ce contexte, j'ai décidé
de concentrer ce rapport sur les développements les plus récents
concernant la démocratie, la lutte contre la corruption et la situation
des droits humains des femmes, des Gens du voyage (Travellers) irlandais,
des Roms et des demandeurs d'asile. J’aimerais remercier les autorités
et les membres de la délégation irlandaise à l’Assemblée parlementaire,
qui m’ont fourni en septembre 2017 des observations approfondies
sur mon avant-projet de rapport
. Au vu de certains de ces commentaires,
j’aimerais souligner que la définition et l’interprétation des droits
de l’homme (STE no 5) retenues dans le
présent rapport reposent sur la Convention européenne des droits
de l’homme et son interprétation par la Cour européenne des droits
de l’homme (c’est-à-dire sa jurisprudence), ainsi que sur les normes
définies par le Conseil de l’Europe dans divers instruments juridiques,
nonobstant la marge d’appréciation dont peuvent jouir les États
sur certaines questions sociétales.
2. Démocratie
2.1. Les
institutions démocratiques
15. L'Irlande est une démocratie
parlementaire. Le Parlement – appelé Oireachtas – comprend deux Chambres:
la Chambre des Représentants (Dáil Éireann), qui compte 158 membres
(appelés
Teachtaí Dála (TD)), élus pour un mandat de cinq ans dans le cadre
d’une représentation proportionnelle avec un seul vote transférable
, et le Sénat (Seanad Éireann), qui
compte 60 membres, dont 11 sont nommés par le chef du gouvernement
(Taoiseach). Les autres membres sont élus parmi les groupes professionnels
et les universités nationales. Le Seanad peut élaborer ou réviser
une loi, mais la Dáil peut rejeter ses amendements et une proposition
de loi.
16. Le chef du gouvernement est le Taoiseach. Le Tánaiste est
le vice-premier ministre. Le Taoiseach et les ministres forment
collectivement le gouvernement en vertu de la Constitution irlandaise,
et ils détiennent le pouvoir exécutif.
17. Le Président de l'Irlande (Uachtarán na hÉireann) est le chef
de l'État; son rôle est en grande partie honorifique. Il est élu
directement par le peuple pour un mandat de sept ans renouvelable
une fois. Michael D. Higgins a été élu président le 29 octobre 2011.
Il nomme officiellement le Taoiseach (chef du gouvernement) et les
autres ministres désignés par le parlement (sans pouvoir refuser
des nominations) et accepte leur démission.
18. Les deux principaux partis irlandais – Fianna Fáil et Fine
Gael – sont assez proches sur le plan idéologique mais ils sont
les successeurs des partis qui se sont opposés durant la guerre
civile de 1922 à 1923. Les autres partis importants sont le Parti
travailliste, le Sinn Féin et le Parti Vert. Fianna Fáil a dominé
le paysage politique après l’indépendance de l'Irlande. Il a dirigé
le pays 61 ans sur 79 avant d’être battu en 2011 en raison de scandales
de corruption et de mauvaise gestion de la crise économique de 2008.
La coalition Fine Gael-Parti travailliste dirigée par Enda Kenny
détenait alors les deux tiers des sièges
.
19. La campagne électorale parlementaire de 2016 s'est concentrée
sur le processus de relance économique amorcé après la crise de
2008. Les élections ont débouché sur un parlement sans majorité.
La coalition sortante a enregistré une forte baisse du nombre de
ses sièges tandis que le parti d’opposition, le Fianna Faíl, dirigé
par M. Micheál Martin, a plus que doublé le nombre des siens (44
sièges), devant le Sinn Fein (23 sièges) et les Indépendants (19
sièges). Le reste des sièges a été attribué à l' «Alliance anti-austérité –
le peuple avant le profit» (6 sièges), au parti «Independents 4
change» (4 sièges), au Parti social-démocrate (3 sièges) et au Parti
vert (2 sièges). Le 29 avril 2016, après 63 jours de négociation,
Fine Gael et Fianna Fáil ont conclu un accord formant un gouvernement
minoritaire dirigé par Fine Gael. Le 6 mai 2016, la Chambre des
représentants a réélu Enda Kenny Premier ministre. Le 14 juin 2017,
Leo Varadkar a été élu Taoiseach; il remplace Enda Kenny à cette
fonction, après avoir remporté la présidence du Fine Gael.
20. L'administration locale se compose de 114 collectivités locales
qui disposent d’un large éventail de compétences, notamment en matière
de logement, de transport, de distribution d’eau, de gestion de
déchets, d'éducation, de santé et d’assistance sociale
. En 2013, le Congrès des pouvoirs
locaux et régionaux du Conseil de l'Europe a noté que l’Irlande
s’engageait à passer d'un système quasiment centralisé à un certain niveau
de décentralisation grâce à un programme d'action ambitieux adopté
en octobre 2012. La protection constitutionnelle de l'autonomie
locale est plutôt faible. Les administrations locales ne semblent
pas gérer une part importante des affaires publiques, le contrôle
administratif de leurs activités par le niveau central reste élevé
et les concertations avec les collectivités locales et leurs associations
ne sont pas systématiques ou suffisamment réglementées. Les collectivités
locales ont par ailleurs des pouvoirs très limités pour lever des impôts
ou fixer des tarifs dans les limites de la loi. Le Congrès a encouragé
les autorités irlandaises à mettre en œuvre le programme d'action
le plus rapidement possible en vue de confier davantage de pouvoirs
et d'autonomie financière aux collectivités locales et d'améliorer
la procédure de péréquation financière. Les autorités ont également
été encouragées à poursuivre les efforts de développement régional
existants, à élaborer des procédures et mécanismes de concertation
avec les collectivités territoriales sur les questions qui les concernent
directement et à signer et ratifier le Protocole additionnel à la
Charte européenne de l'autonomie locale sur le droit de participer
aux affaires des collectivités locales (STCE no 207)
.
21. Aux élections locales de mai 2014, le Sinn Féin a gagné 159
des 949 sièges en jeu, soit un gain de 105 sièges depuis 2009. Cette
progression l’a placé à la troisième place derrière Fianna Fáil
et Fine Gael, qui sont restés les principaux partis au niveau local,
tandis que le Parti travailliste s’est classé à la quatrième place après
avoir subi de lourdes pertes
.
2.2. Les
réformes constitutionnelles engagées en 2012
22. En 2012, une Convention constitutionnelle
a été créée pour examiner les propositions d’amendement à la Constitution
d'Irlande, qui ont été soumises aux deux chambres du Parlement et
adoptées. La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance
(ECRI) et le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales ont encouragé le gouvernement à veiller
à ce que la Convention constitutionnelle tienne compte de la diversité
de la société irlandaise
et prévoit la participation des
migrants et de la communauté des Gens du voyage
.
23. La Convention était composée de 100 membres: un président,
29 parlementaires choisis en fonction de la représentation des partis;
quatre représentants des partis politiques de l'Irlande du Nord;
et 66 citoyens choisis au hasard en Irlande. La Convention a élaboré
ses conclusions et recommandations en mars 2014, et formulé 38 recommandations
.
24. Le travail de la Convention a porté notamment sur huit domaines:
la réduction du mandat présidentiel à cinq ans et son alignement
sur les élections locales et européennes; la réduction de l'âge
du vote à 17 ans; la révision du système électoral de l’Assemblée
(Dáil); l’octroi aux citoyens résidents en dehors de l'État du droit de
vote aux élections présidentielles dans les ambassades d'Irlande
ou ailleurs; la prise en compte des mariages entre personnes de
même sexe; la modification de la clause sur le rôle des femmes au
foyer et l’accroissement de la participation des femmes à la vie
publique et à la vie politique; la suppression de l'infraction de
blasphème de la Constitution.
25. Le gouvernement a convenu en 2015 de donner suite à quatre
des 38 recommandations formulées par la Convention constitutionnelle
et d’organiser des référendums dans certains cas:
- en mai 2015, les électeurs participant
au référendum ont approuvé l'extension des droits matrimoniaux aux
couples de même sexe. La Constitution a été dûment amendée en août;
- la proposition de réduire l'âge minimum des candidats
à la présidentielle de 35 à 21 ans a été rejetée par référendum
avec 73% de voix contre et 27% de voix pour;
- en octobre 2014, le gouvernement a annoncé son intention
de tenir un référendum sur la suppression de l'infraction de blasphème
de la Constitution et l’abrogation de la loi de 2009 sur la diffamation,
qui a érigé le blasphème en infraction pouvant être sanctionnée
par de lourdes amendes . Ce référendum a cependant été reporté
et n’a pas été prévu avant les élections de mai 2016.
26. Le 26 septembre 2017, le gouvernement a convenu d’un calendrier
indicatif pour un certain nombre de référendums sur la modification
de la Constitution et la réforme des collectivités locales, qui
découlent des travaux de l’Assemblée des citoyens, de la Convention
sur la Constitution et du Programme pour un gouvernement de partenariat:
un référendum sur le huitième amendement (article 40.3.3) (en mai
ou juin 2018, voir plus loin), des référendums sur le blasphème
(article 40.6.1) et «la vie des femmes au foyer» (article 41.2.1)
en octobre 2018, un plébiscite sur l’élection au suffrage direct
des maires (en octobre 2018) et des référendums sur le divorce,
l’extension de la franchise aux élections présidentielles aux citoyens
irlandais résidant hors du territoire et l’abaissement de l’âge
de la majorité électorale à 16 ans en juin 2019
.
2.3. La
promotion de la participation des femmes à la vie publique
27. À la suite de l'adoption de
l'amendement à la loi électorale (financement politique) en 2012,
les partis doivent faire en sorte qu’au moins 30 % de leurs candidats
aux élections soient des femmes et au moins 30 % des hommes. Les
partis qui ne respecteront pas les quotas seront sanctionnés par
une réduction de la moitié de leur financement public. Ce ratio
passera à 40 % à partir de 2023 (soit sept ans après les élections générales
de 2016)
. Tous les partis sauf «Direct Democracy
Ireland» ont rempli cette condition lors des élections de 2016,
ce qui a entraîné une augmentation de 15 % du nombre de femmes élues
à l’Assemblée [Dáil] (soit 22 % des 158 membres du parlement).
28. L’égalité entre les sexes a pu également être améliorée grâce
à la mise en place du «Public Sector Duty» par la loi de 2014 de
la Commission irlandaise des droits de l'homme et de l'égalité,
qui impose à tous les organismes publics d’éliminer la discrimination,
de favoriser l'égalité des chances et de traitement et de protéger
les droits de l'homme dans l'exercice de leurs fonctions. Un Programme
pour un gouvernement de partenariat 2016 a par ailleurs été mis
en place; il comporte l’engagement de revoir et corriger le budget
et les processus politiques à l’aune de l’égalité entre les sexes.
Il convient de se féliciter de cet engagement, qui reste toutefois
à réaliser
.
29. Cependant, les mesures d'austérité ont entraîné des coupes
dans les budgets publics, la réduction du budget et du domaine de
compétences de certaines structures consacrées aux droits des femmes
ainsi que la réduction du financement des ONG œuvrant en faveur
des droits des femmes
. Cela
a conduit certaines ONG à mettre un terme à leurs activités, tandis
que d'autres ont été contraintes de réduire leurs effectifs, les services
fournis ou les activités de sensibilisation. La Commission de protection
sociale a présenté des propositions pour remédier au taux de privation
anormalement élevé chez les parents isolés, qui sont en majorité
des mères de familles monoparentales
. Les mesures d’austérité
ont également touché de manière disproportionnée les retraites des
femmes
.
3. État
de droit: lutte contre la corruption
30. L'Irlande est descendue d’une
place au classement de l'Indice de perception de la corruption de Transparency
International pour 2016. Les résultats montrent que, depuis 2015,
l’Irlande est passée de la 18e à la 19e place
sur 176 pays, avec un score de 73
.
31. En 2009, le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) a
déclaré que, dans l'ensemble, les règles de justice pénale en Irlande
étaient conformes aux exigences de la Convention pénale sur la corruption
(STE no 173) du Conseil de l'Europe qui
a déjà été ratifiée par l'Irlande dès 2003. Le GRECO a également
reconnu qu’un certain nombre d'institutions avaient été créées depuis
pour lutter contre la corruption et que la législation avait été
renforcée, telle que la loi relative à la liberté d'information
en 1997 et les lois sur l’éthique en 1995-2001, ou la loi Oireachtas
(enquêtes, privilèges et procédures) en 2013, qui ont établi un
cadre réglementaire pour les enquêtes parlementaires sur des questions
fondamentales d'importance publique.
32. Ces mesures ont fait suite à la divulgation d’une importante
affaire de corruption présumée dans les années 1990 mettant en cause
des représentants politiques (des conseillers au Conseil du comté
de Dublin) et le secteur des entreprises. Le tribunal (le «tribunal
Mahon) a estimé en mars 2012, après une enquête publique de 15 ans
, que «la corruption était
devenue un aspect courant du rôle public [des représentants politiques]»,
que la corruption touchait la vie politique irlandaise à tous les
niveaux, que ceux qui avaient le pouvoir d’y mettre fin étaient
souvent mis en cause, et que la corruption était à l’époque «un
secret de Polichinelle» et «un moyen reconnu de faire des affaires»
.
33. En 2014, le GRECO a publié son quatrième rapport d'évaluation
sur la prévention de la corruption des parlementaires, des juges
et des procureurs. Il a notamment évalué la conformité de la législation
irlandaise avec les normes GRECO à la lumière de la mise en œuvre
des recommandations formulées par le «tribunal Mahon»
.
34. En ce qui concerne les parlementaires, le GRECO a recommandé
aux autorités de mettre en place un cadre éthique global pour les
membres du parlement et son personnel et d’améliorer le régime de
déclaration des biens existant, notamment en établissant des mécanismes
appropriés pour enquêter sur les plaintes et punir les fautes commises.
En outre, il a recommandé que la portée de la loi de 2013 sur les
chambres du Parlement (enquêtes, privilèges et procédures) soit
clarifiée pour assurer la pleine mise en œuvre de la protection
et des encouragements à l’égard des donneurs d’alerte contenus dans
la loi de 2014 sur les divulgations protégées.
35. Comme l’indique le dernier rapport de conformité du GRECO,
un nouveau cadre normatif applicable au secteur public pourrait
être mis en place avec l’adoption prévue du projet de loi relative
aux normes du secteur public, élaboré en 2015. S’il était adopté,
ce projet de loi prévoirait un cadre juridique uniforme et récapitulatif applicable
aux parlementaires, qui les mettrait sur un pied d’égalité avec
les autres agents publics. Cette législation définirait également
un régime déclaratif unique à l’échelon local et national, dont
les obligations seraient étendues à l’ensemble des parlementaires
et aux personnes avec lesquelles ils entretiennent des liens
. Elle mettrait également en place
un commissaire unique aux normes du secteur public
.
36. Le GRECO a également publié des recommandations concernant
la prévention de la corruption des juges et des procureurs, visant
en particulier à créer rapidement un conseil de la magistrature
officiel indépendant. Il a recommandé un réexamen approfondi de
l'actuel système de sélection, de recrutement, de promotion et de
mutation des juges afin d’en améliorer la transparence et d’éviter
toute ingérence indue des pouvoirs exécutifs/politique. En outre,
il a recommandé la création officielle d’un code de conduite pour
les juges, à renforcer la politique de traitement des plaintes déposées
contre le ministère public et à renforcer le cadre éthique pour
les procureurs.
37. En 2016, le GRECO a élaboré un rapport de conformité, qui
a été publié en juin 2017
. Le GRECO s’y inquiétait de constater
qu’aucune des cinq recommandations liées à la magistrature n’avait
été mise en œuvre. Il a conclu que «le degré de conformité [de l’Irlande]
avec les recommandations, très faible dans l’ensemble, [était] «globalement
insatisfaisant»». L’Irlande a donc été priée de remettre une nouvelle
fois un rapport au GRECO sur la mise en œuvre des recommandations
d’ici au mois de mars 2018.
38. J’ai appris que le gouvernement avait entre-temps rendu public,
le 1er juin 2017, le projet de loi relative au
Conseil supérieur de la magistrature, tandis qu’un projet de loi
relative à la Commission des nominations judiciaires est actuellement
examiné en commission parlementaire. D’après les autorités, l’adoption
du projet de loi relative au Conseil supérieur de la magistrature
devrait permettre la mise en œuvre de certaines recommandations
essentielles adressées par le rapport 2014 du GRECO, c’est-à-dire
la mise en place d’un conseil officiel de la magistrature indépendant,
l’établissement d’un code de déontologie des juges et l’institutionnalisation
de la formation des juges, à l’entrée en service et continue, dotée
de ressources suffisantes. Le projet de loi devrait être adopté
avant la fin 2017
.
39. Je crois comprendre qu'un projet de loi anticorruption proposé
pour la première fois en 2012 – le projet de loi sur la justice
pénale (infractions de corruption) – attend toujours d’être promulgué.
Ce projet de loi abrogera et remplacera les sept textes qui composent
la législation actuelle de la lutte contre la corruption, en rendant
cette législation plus claire et plus accessible. Entre autres dispositions,
il créera une nouvelle infraction de corruption par une entreprise,
de nouvelles présomptions de cadeaux remis à des fins de corruption,
de dons remis à des fins de corruption et d’enrichissement par corruption
si des fonctionnaires affichent un niveau de vie supérieur à celui
de leurs biens et intérêts déclarés. Il prévoira des peines plus lourdes
pour les responsables politiques reconnus coupables de corruption,
y compris leur révocation dans certains cas. Ce projet de loi a
été publié le 2 novembre 2017.
40. J'ai également noté que, conformément à la loi de réglementation
du lobbying, adoptée en mars 2015, le gouvernement a élaboré un
code de transparence imposant l’enregistrement des groupes et personnes
qui conseillent les fonctionnaires sur les politiques. La loi de
2014 relative à la liberté d’information donne au public la possibilité
d’accéder, dans une large mesure, aux informations officielles mais
il existe encore des exemptions partielles en ce qui concerne la
police et d'autres organismes
.
41. Je salue les progrès réalisés par les autorités irlandaises
pour mettre en œuvre les recommandations du GRECO. Dans le même
temps, je voudrais rendre hommage au rôle important joué par les
ONG dans la lutte contre la corruption en Irlande: Transparency
International, par exemple, a mis en place une ligne d'assistance
téléphonique gratuite pour les donneurs d’alerte, les témoins et
les victimes de fraude, de corruption et d'autres délits. L'organisation
a également publié en 2016 un rapport intitulé «Speak Up» élaboré à
partir de données anonymes recueillies auprès de plus de 500 personnes
qui avaient appelé la ligne d'assistance pour des informations,
des orientations ou des services de soutien depuis 2011
. Dans ce contexte, je note que Transparency
International préconise la création d'un organisme national de lutte
contre la corruption ou d'un groupe de travail interinstitutions
sur la corruption et la criminalité économique, afin de prévenir
la corruption et la criminalité économique à long terme
.
4. Droits
de l'homme
42. Le bilan de l’Irlande en matière
de droits de l’homme est globalement satisfaisant. La coopération
avec le Conseil de l’Europe s’est poursuivie ces dernières années.
En 2010, l’Irlande a ratifié la Convention du Conseil de l'Europe
sur la lutte contre la traite des êtres humains. En 2013, le Comité
des Parties a invité les autorités irlandaises à, notamment, renforcer
leur action contre la traite aux fins d'exploitation sexuelle et
par le travail
, à accorder une attention accrue
aux enfants et aux travailleurs migrants sans papiers et à revoir
la politique d’hébergement des victimes de la traite dans des centres
d’hébergement
.
À la suite du récent rapport du GRETA
, le Comité des Parties s’est félicité
des avancées réalisées dans le cadre juridique et institutionnel,
de l’adoption d’un plan d’action complet pour prévenir et réprimer
la traite des êtres humains et des mesures prises pour améliorer
la formation des professionnels et les campagnes de sensibilisation
de l’opinion publique. Il a toutefois appelé les autorités à améliorer
notamment la protection et l’assistance de
toutes les
victimes de la traite, y compris le délai de rétablissement et de
réflexion prévu par la Convention, ainsi qu’à prévoir des possibilités
d’indemnisation aisément accessibles. De nouvelles modifications
de la législation devraient empêcher que les victimes de la traite
ne soient sanctionnées pour leur participation à des activités illicites
(dans la mesure où elles y ont été contraintes) et prévoir que les
trafiquants fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites effectives
et soient condamnés à des peines proportionnées et dissuasives
.
43. Concernant la situation dans les prisons
,
le rapport de 2015 du Comité européen pour la prévention de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) notait
des améliorations dans le système pénitentiaire mais s’est dit préoccupé
par la violence entre détenus ou l’absence persistante d’installations
sanitaires dans les cellules de certaines prisons. Le CPT a également
recommandé l’amélioration des services de soins dans les commissariats
pour prévenir ces mauvais traitements, a demandé le lancement d’enquêtes
indépendantes en cas d’allégation de recours excessif à la force
au moment de l’arrestation d’une personne et a encouragé la mise
en place d’un centre spécifique pour les migrant/es placées en rétention
administrative. Il est regrettable que le gouvernement ait reporté
la ratification du Protocole facultatif à la Convention des Nations
Unies contre la torture et autres peines ou traitements inhumains
ou dégradants (OP-CAT) et qu’il n’y ait pas mécanisme de prévention
à l’échelon national.
44. Certaines questions spécifiques concernant les droits de l’homme,
identifiées par les mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe,
méritent toutefois une attention plus ciblée. Je voudrais ainsi
dédier les chapitres suivants de ce rapport à la protection des
droits des femmes, des enfants, des Travellers irlandais et des
Roms, ainsi qu’à la situation des demandeurs d’asile, et aux développements
récents dans la police.
4.1. Les
droits des femmes
4.1.1. La
protection constitutionnelle de l’égalité entre les femmes et les
hommes
45. Alors que des progrès ont été
réalisés dans ce domaine, la question de l’égalité entre les femmes
et les hommes reste problématique en Irlande. La base constitutionnelle
de l'égalité entre les sexes reste très discutable: si la Constitution
(1937) interdit la discrimination fondée sur le sexe et le genre
dans l'emploi et dans d'autres domaines de la vie, elle contient
une disposition générale qui permet à l'État de «respecter pleinement les
différences de capacité, physique et morale, et de fonction sociale»
entre les hommes et les femmes (article 40.1 de la Constitution).
De plus, les stéréotypes de genre sont renforcés par les dispositions constitutionnelles.
Par exemple, selon la constitution, l’État reconnaît que, «par sa
vie au foyer, la femme apporte à l'État un soutien sans lequel le
bien commun ne peut être atteint». L'État, par conséquent, «s'efforce de
veiller à ce que les mères ne soient pas obligées par les nécessités
économiques de travailler en négligeant les devoirs de leurs foyers»
(article 41.2).
46. La Convention constitutionnelle de 2012 a proposé un amendement
constitutionnel à «la disposition sur le rôle des femmes au foyer
et encourageant une plus grande participation des femmes à la vie
publique». De nombreuses organisations ont demandé que l’article
41.2 soit remplacé par une disposition neutre du point de vue du
genre, qui reconnaisse la contribution des tâches ménagères et familiales
à la société irlandaise
.
Les autorités ont annoncé qu’un référendum sur les questions devrait
avoir lieu en octobre 2018
.
Compte tenu des obligations de l’Irlande à l’égard du Conseil de
l’Europe, le retrait de cette disposition, qui consacre les stéréotypes
de genre dans la Constitution, serait extrêmement bienvenu.
4.1.2. Droits
sexuels et droits relatifs à la reproduction: la question de l'avortement
47. L’avortement est strictement
limité en Irlande. Il a été érigé en infraction en 1861. Cette disposition
a été renforcée en 1983 avec l’adoption, par référendum, du Huitième
amendement qui a donné au «droit à la vie de l'enfant à naître»
un statut égal au «droit à la vie de la mère»» en vertu de la Constitution.
Cette question reste une source de contentieux et de division. Alors
que différentes initiatives sur le terrain cherchent à obtenir la
révision du cadre juridique, d’autres considèrent que la Constitution
«fait valoir les droits des enfants à naître comme de véritables
droits de l’homme» et que «le Gouvernement irlandais a l’obligation
de défendre et de promouvoir cette position, considérée comme une
véritable interprétation des droits de l’homme dans ce domaine,
et d’exhorter les autres acteurs étatiques et non gouvernementaux
à adopter un point de vue similaire»
. Rappelons
cependant la plus récente position adoptée sur cette question par
les organisations internationales dont l’Irlande est membre.
48. Suite à l’arrêt de 2010 de la Cour européenne des droits de
l'homme dans l’affaire
A, B et C c. Irlande , les autorités
irlandaises ont adopté la loi de 2013 sur la protection de la vie
pendant la grossesse, visant à fournir un cadre juridique clair
relatif au droit constitutionnel à l’interruption de la grossesse
lorsque la vie d'une femme enceinte est soumise à un «risque réel
et important» qui ne peut être évité qu'en mettant fin à la grossesse.
49. L'avortement n'est donc autorisé sur le plan constitutionnel
que lorsque la vie d'une femme ou d'une jeune fille est soumise
à «un risque réel et important» dans des circonstances et des exigences
spécifiques (deux médecins doivent juger «de bonne foi» que la vie
d’une femme enceinte court un risque réel et important découlant
d'une maladie physique, ou un seul médecin en cas d'urgence, voire
trois médecins en cas de risque de suicide). Une peine de 14 ans
de prison est infligée dans tous les autres cas de figure aux femmes,
aux prestataires de soins de santé et à quiconque apporte son aide
quelle que soit la situation (y compris le viol, l'inceste et les
anomalies fœtales létales), sauf s'il existe un «risque réel et
important» pour la vie de la femme enceinte (notamment le suicide).
50. De plus, le «plaidoyer» en faveur de l'avortement et sa promotion
sont érigés en infraction par la loi de 1995 sur la diffusion d’informations
relatives à l'avortement
. Pour le Comité des droits
de l'homme des Nations Unies, cela a «un effet paralysant sur les
prestataires, qui éprouvent des difficultés à distinguer entre le
fait ‘d’apporter leur soutien’ à une femme qui a décidé d’interrompre
sa grossesse et celui de ‘préconiser’ ou d’“encourager” l’avortement»
.
De plus, dans son dernier rapport, le Commissaire aux droits de
l’homme a noté que les défenseurs des droits des femmes qui s’occupent
des problèmes liés à l'avortement en Irlande ont fait l’objet de
campagnes de diffamation et ont été stigmatisés.
51. En fait, l’accès très restrictif à l’avortement en Irlande
ne décourage pas les femmes de recourir à cette pratique: soit ces
femmes se rendent à l’étranger pour celles qui peuvent se le permettre
et sont en possession des documents nécessaires, soit elles ont
recours à des avortements clandestins. Dans son rapport de 2017, la
Commission des droits de l’homme indique que 26 interruptions de
grossesse ont été effectuées en 2015 dans le cadre de la loi sur
la protection de la vie pendant la grossesse
.
Selon Amnesty International, en moyenne, chaque jour de 10 à 12
femmes et jeunes filles par jour (soit entre 3 500 et 4 380 par
an) se rendent à l’étranger (au Royaume-Uni, aux Pays-Bas) pour
avoir accès à un avortement. Dans ce contexte, il faut rappeler
que l’Assemblée parlementaire a appelé à la dépénalisation de l’avortement
et à un «accès à l’avortement sans risque et légal»
.
52. En 1992, les électeurs ont approuvé par référendum le Treizième
amendement de la Constitution, qui dépénalise les voyages à l’étranger
pour effectuer des avortements et la collecte d’informations sur
les services d’avortement à l’étranger. Toujours en 1992, et de
nouveau en 2002, les électeurs ont rejeté les amendements qui auraient
supprimé la menace de suicide comme motif de légalisation de l’avortement
.
53. Les conséquences de cette loi qui limite l’avortement en Irlande
ont soulevé des critiques de plus en plus virulentes de la part
des organismes internationaux de défense des droits de l’homme,
y compris le Comité des droits de l’homme des Nations Unies
, le Comité des droits économiques,
sociaux et culturels des Nations Unies et le Comité des Nations
Unies contre la torture
.
54. Dans son rapport de mars 2017
,
le Commissaire aux droits de l’homme a demandé instamment aux autorités
irlandaises de progresser vers l’instauration d’un régime juridique
régissant l’interruption de grossesse. Il a recommandé la dépénalisation
de l’avortement dans des limites raisonnables de gestation. «Au minimum,
l’avortement pratiqué pour préserver la santé physique et mentale
des femmes, ou en cas d’anomalie fœtale létale, de viol ou d’inceste,
doit être rendu légal»
.
55. Outre les initiatives prises par le secteur des ONG ou des
partis politiques
en vue de
réviser la législation, le gouvernement a créé une «assemblée de
citoyens» (Citizens' Assembly) sous la présidence de la juge de
la Cour suprême, Mme Mary Laffoy. Cette
assemblée, qui comprend 99 citoyens choisis au hasard, été chargée
par le Parlement d’examiner l’éventail complet des questions médicales,
juridiques et éthiques qui entourent l’avortement. Elle a recueilli
13 500 observations auprès du public et un échantillon aléatoire
de 300 d'entre elles a été publié sur le site web
. L’assemblée des citoyens a tout
d’abord examiné le huitième amendement de la Constitution (article
40.3.3) et a tenu une série de réunions en octobre 2016 et avril
2017, en réunissant des éléments factuels en rapport avec la question,
en auditionnant des experts dans le domaine médical, juridique et
déontologique, ainsi qu’en entendant le point de vue des partisans
de la révision.
56. Les résultats du vote de l’assemblée montrent que la majorité
des membres a recommandé le remplacement du huitième amendement
par une disposition qui autorise expressément l’Oireachtas à légiférer sur
l’interruption de grossesse, les droits de l’enfant à naître et
les droits des femmes, en concluant que la question de l’avortement
devrait être supprimée de la Constitution et traitée par la législation
. L’assemblée a également formulé
des recommandations sur la teneur de cette législation; elle a tout
particulièrement recommandé d’établir un certain nombre de motifs
légaux d’interruption de grossesse en Irlande et les délais de grossesse
qu’il convient d’appliquer. L’assemblée des citoyens a également
formulé des recommandations particulières sur les conditions que
la législation devrait autoriser, notamment
l’accès à l’interruption de grossesse
sans restriction jusqu’à 12 semaines, l’accès pour motifs socio-économiques
jusqu’à 22 semaines et l’accès sans restriction en cas de risque
grave pour la vie ou la santé physique ou psychologique de la femme
enceinte concernée
.
57. L’assemblée des citoyens a remis la version définitive de
son rapport sur le huitième amendement de la Constitution aux chambres
de l’Oireachtas le 29 juin 2017, pour examen par une commission
conjointe spéciale établie par le Dáil et le Seanad à cette fin,
qui devait remettre ses conclusions et recommandations aux deux
chambres de l’Oireachtas dans un délai de trois mois à compter de
sa première réunion publique
. Le 26 septembre 2017, les autorités
ont annoncé la tenue d’un référendum sur le huitième amendement
en mai ou juin 2018.
4.1.3. La
lutte contre la violence à l'égard des femmes, notamment dans des
institutions
58. L’Irlande a signé la Convention
du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique en novembre 2015
mais elle ne l’a pas ratifiée. Cela est regrettable compte-tenu
du fait que la violence domestique est un problème grave en Irlande.
Depuis 1996, 209 femmes sont décédées de mort violente en Irlande,
et 63 % d'entre elles ont été tuées dans leur foyer. Les contraintes
budgétaires ont réduit les services de première ligne malgré une
demande accrue. Le faible taux de poursuites engagées contre les
auteurs de violences domestiques – et de sanctions à leur égard,
posent également problème.
59. On note à ce sujet que certaines affaires très médiatisées,
qui ont révélé les abus commis dans le passé contre des femmes dans
des institutions gérées ou financées par l’État, n’ont pas donné
lieu à des réparations ou des indemnisations suffisantes:
60. L'une des affaires les plus célèbres concerne les «blanchisseries
Magdalene», une entreprise gérée par des congrégations religieuses
et financée et contrôlée par l'État entre les années 1930 et 1996
. Jusqu'en 1996,
«plus de 10 000 femmes et filles étaient détenues ou résidaient
dans des blanchisseries Magdalene (...). Ces femmes auraient subi
une série de violations des droits de l'homme, notamment la privation
arbitraire de liberté, des traitements inhumains et dégradants et
le travail forcé»
. Un rapport (connu sous le nom de Rapport
McAleese) a été publié en 2013 par un «Comité interministériel pour
établir les faits s’agissant de la participation de l'État aux «blanchisseries
Magdalene» et a été pleinement accepté par le Gouvernement irlandais
comme un «rapport complet et objectif sur le plan factuel du fonctionnement
des Blanchisseries Madgalen»
. Le Chef de gouvernement (An Taoiseach),
Enda Kenny, a également adressé des excuses publiques aux survivantes
des Blanchisseries Madgalen en 2013.
61. J’ai reçu des informations détaillées sur les conclusions
de la commission McAleese. Les autorités soutenaient que cette commission
«n’avait aucun mandat pour enquêter ou statuer au sujet des allégations
de torture ou de toute autre infraction pénale au cours de son enquête»
et «n’a réuni aucun élément factuel qui démontre le bien-fondé des
allégations d’actes systématiques de torture ou de mauvais traitements pénalement
répréhensibles dans ces établissements». Les autorités ont également
conclu que «bien que des incidents isolés qui correspondent à des
actes pénalement répréhensibles [ne puissent] être écartés, le Gouvernement
irlandais, au vu des faits établis par la commission McAleese et
en l’absence d’éléments de preuve crédibles d’actes systématiques
de torture ou de violences pénalement répréhensibles, ne propose
pas d’ouvrir une nouvelle enquête sur les blanchisseries Magdalene.
Il est convaincu que les mécanismes d’enquête et, le cas échéant,
d’engagement de poursuites à l’encontre des auteurs d’infractions
pénales en vigueur en Irlande permettent de traiter les plaintes
individuelles déposées au sujet d’actes pénalement répréhensibles».
Il mentionne par ailleurs le dispositif qui sera mis en place à
titre gracieux, le versement forfaitaire (d’environ 25,5 millions
d’euros) effectué au profit de 677 femmes et les autres aides octroyées, notamment
les versements effectués sous forme de pension complémentaire et
les soins médicaux renforcés, l’assistance médicale accordée aux
femmes résidant à l’étranger et les subventions allouées au Réseau irlandais
d’aide aux femmes encore en vie (Irish Women Survivors Support Network
(IWSSN)) au Royaume-Uni (où vivent près de 20 % des requérantes)
.
62. J’observe toutefois que cette appréciation est contestée par
un membre de la délégation, qui souligne que «la violence institutionnelle
et la collusion de l’État ont été courantes dans l’Irlande d’autrefois»
et que l’État devait faire face à cette réalité. Je partage l’avis
de Mme Higgins, qui juge «essentielles
l’existence d’un niveau d’exigence élevé en matière d’enquête, de
reconnaissance des faits et de réparation, ainsi que la présence
de mécanismes de prévention satisfaisants». Les régimes de réparation
en vigueur aujourd’hui et autrefois présentent des caractéristiques
que les parlementaires et la société civile ont estimé préoccupantes, notamment
le fait de soumettre l’octroi d’une indemnisation et, avant cela,
l’obtention d’une aide, à la signature d’une renonciation
; une reconnaissance insuffisante
des faits et une prise en compte insuffisante des témoignages directs
; le manque de transparence et parfois
l’hostilité à l’égard des personnes demandant réparation qui se
sont manifestés à l’occasion du compte rendu des violences ou de
la critique du processus
; la portée limitée de l’enquête
. Le fait que le ministère de la
Justice ait conclu que, l’enquête n’ayant révélé aucun élément de
preuve attestant de l’existence d’actes systématiques de torture
ou de violences pénalement répréhensibles, il existait un motif
suffisant pour ne pas enquêter sur de nouvelles allégations, soulève
un certain nombre de questions et appelle l’ouverture d’investigations
approfondies et distinctes sur cette enquête. Je recommande aux
autorités irlandaises d’envisager de procéder à ces investigations.
63. Cette appréciation corrobore les conclusions selon lesquelles
les victimes des «blanchisseries Magdalene» n’ont bénéficié d’aucun
recours ou réparation satisfaisants, comme l’ont souligné plusieurs instances
internationales, telles que, notamment, le Comité des droits économiques,
sociaux et culturels des Nations Unies
et le Comité anti-Torture
des Nations Unies
, ainsi que le Commissaire aux droits
de l'homme, pour qui le manque d’exhaustivité et d’indépendance
de l’enquête menée sur ces institutions et le dispositif de versement
d’indemnités à titre gracieux n’a pas correspondu «aux critères
voulus en matière de vérité, de justice et de réparation»
.
Les femmes qui se trouvaient dans ces établissements ont accès au Dispositif
de justice réparatrice à titre gracieux Magdalene (voir ci-dessus),
financé par l’État, qui reste ouvert aux nouvelles demandes
.
64. Une autre affaire se rapporte aux conditions abusives qui
régnaient dans les «foyers mères-bébés» entre 1922 et 1998. Il s’agissait
d’institutions gérées par des congrégations religieuses, financées
par l’État, et destinées aux femmes enceintes hors mariage, qui
étaient très stigmatisées à l’époque. Le Commissaire aux droits
de l'homme a fait écho aux anciennes allégations d’abus commis contre
des femmes et des enfants dans ces foyers, notamment et entre autres, les
taux élevés de mortalité infantile, les pratiques d'adoption illégales, ou
le refus de dispenser des soins à certaines femmes
. En février 2015, une
commission d'enquête
a
été créée par le gouvernement. Cette commission devait publier son
rapport final dans un délai de trois ans. Le mandat et le rythme
de l’enquête ont été critiqués. Une initiative intitulée «Clann»
(Mères célibataires d’Irlande et leurs enfants: rassembler les données)
a l'intention de contribuer au rétablissement de la vérité sur ce
qui est arrivé aux mères célibataires et à leurs enfants au vingtième
siècle en Irlande
. Deux rapports intérimaires établis
par la commission en juillet 2016 et septembre 2016 ont été publiés
par le gouvernement et devraient être complétés d’ici au mois de
février 2018
. Un membre de la délégation s’est
cependant dit préoccupé par une proposition faite récemment par
un ministre au sujet des foyers mères-bébés: il ne sera pas possible
de mettre en œuvre une recommandation visant à rouvrir le dispositif
de réparation de 2002 pour indemniser les victimes encore en vie
des violences sur mineurs commises dans les foyers mères-bébés,
à cause des répercussions financières de cette mesure. Cette parlementaire
juge la position du gouvernement inacceptable, voire préoccupante,
au vu des rapports et des éléments de preuve qui voient le jour
au sujet de nouvelles violences, comme les adoptions forcées et
le refus de permettre aux victimes d’une adoption forcée d’accéder
à leur dossier, et des procès pour vaccination non volontaire des
pensionnaires des foyers mères-bébés
.
65. De mon point de vue, ces affaires soulignent que, malgré les
efforts louables déployés par les autorités de l'État pour engager
des procédures d'indemnisation, il reste beaucoup à faire pour remédier
effectivement aux souffrances des victimes
. Les autorités devraient pleinement
reconnaître la dimension sexospécifique regrettable de la violence
à laquelle ces femmes ont été soumises.
66. Dans ce contexte, je ne peux que me féliciter du projet de
loi sur la violence domestique en février 2017 qui devrait ouvrir
la voie à la ratification de la Convention dite d'Istanbul sur la
prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et
la violence domestique (signée en novembre 2015). La Stratégie nationale sur
la violence domestique, sexuelle et fondée sur le genre 2016-2021
comporte 18 mesures nécessaires à la mise en œuvre de la Convention
.
Des dispositions devraient également être prises pour atténuer les
effets disproportionnés des mesures d’austérité sur les femmes et
les organisations féminines. L'augmentation des fonds alloués à
l'Agence pour l'enfance et la famille (Tusla), qui est chargée de
fournir des services d’aide et de protection aux victimes de violence
domestique, sexuelle et sexiste
est une étape positive à cet égard.
67. Mais la teneur du projet de loi relative à la violence domestique
a fait l’objet de critiques, car il ne comporte aucune définition
de la violence domestique et ne désigne pas expressément les comportements coercitifs
et dominants comme un élément constitutif de la violence domestique.
En outre, il n’érige pas en infraction pénale distincte la violence
domestique ou les comportements coercitifs et dominants. Les associations
de défense, comme SAFE Ireland, craignent que ce projet de loi prive
de nombreuses victimes de la protection juridique dont elles ont
besoin. Au moment de la rédaction du présent rapport, le projet
de loi était toujours examiné par le parlement. J’espère que les
parlementaires s’inspireront de la Convention d’Istanbul pour adopter
ce texte, de manière à ce qu’il soit conforme à la Convention.
4.2. La
lutte contre la violence sexuelle à l’égard des enfants, en particulier
dans les institutions
68. L'Irlande a été confrontée
dans le passé à un certain nombre de cas de violences sur mineurs
dans des institutions et a mis en place tout un éventail de mesures
pour enquêter sur l’étendue de ces violences dans les établissements
où les enfants enlevés à leurs parents par l’État se trouvaient
par conséquent placés hors de leur protection. Les autorités irlandaises
ont pris un certain nombre d’initiatives pour lutter contre les violences
commises à l’encontre des enfants dans les institutions.
- La Commission d’enquête sur
les violences faites aux mineurs (CICA) a été créée en 2000 pour enquêter
sur la période de 1936 à 1999. Elle a enquêté sur les abus commis
à l’encontre des mineurs tels que définis dans la Loi de 2000 sur
la Commission d’enquête sur les violences faites aux mineurs (amendée
en 2005). Les travaux de la CICA
ne se limitaient pas aux abus sexuels ni aux établissements dirigés
par l’Église catholique, mais les plaintes ont principalement concerné
la période pendant laquelle l’institutionnalisation à grande échelle
était la norme, y compris dans des institutions dirigées par l’Église
catholique et soumises au contrôle ou à la réglementation de l’État.
La CICA a publié en 2009 la version finale du «Rapport Ryan», qui
indiquait que «la violence physique et psychologique, ainsi que
la négligence, étaient des caractéristiques de ces institutions»
et que «des abus sexuels avaient été commis dans un grand nombre
d'entre eux, notamment des institutions pour garçons». La Commission
de réparation relative aux établissements de pensionnaires a été
créée en 2002 pour octroyer une indemnisation juste
et raisonnable aux personnes victimes de violences dans leur enfance, lorsqu’elles
étaient pensionnaires d’écoles d’apprentissage, de maisons de correction
et d’autres établissements soumis à la réglementation ou à l’inspection
de l’État. Le délai de dépôt des demandes d’indemnisation, fixé
initialement au 15 décembre 2005, a été prolongé jusqu’au 16 septembre
2011. En 2014, la commission avait recueilli un total de 16 626
demandes et octroyé 15 545 réparations .
Les autorités ont rappelé que «seule l’identité des personnes qui
avaient déjà été condamnées par un tribunal pouvait être mentionnée
dans le rapport Ryan» .
- Pour améliorer la protection de l’enfance, outre la Direction
de la santé et par la suite la Direction des services de santé (HSE),
compétentes en la matière, l’Agence pour l’enfance et la famille
(Tusla) a été créée en 2014 pour examiner et traiter les dossiers
d’enfant ayant besoin d’une protection. La loi «Children first»
(Les enfants d’abord) a été adoptée en 2015 (elle sera mise en œuvre
après 2017).
69. L’arrêt rendu en 2014 dans l’affaire
O'Keeffe
c. Irlande est lui aussi emblématique.
La Cour européenne des droits de l'homme y a conclu que l'État irlandais
n'avait pas respecté son obligation (consacrée à l’article 3 – interdiction
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants)
de protéger la requérante contre les abus sexuels qu’elle avait
subis lorsqu’elle fréquentait un établissement scolaire national
et n’avait pas mis à sa disposition un recours effectif (article
13). L’État irlandais avait confié la gestion de l'enseignement
primaire à des acteurs non étatiques sans mettre en place des mécanismes
de contrôle effectif contre les risques de tels abus.
70. En dépit de plusieurs mesures générales (notamment la loi
«Children first») prises pas l’Irlande pour éviter la répétition
des abus sexuels dans les écoles, le Commissaire aux droits de l’homme
avait fait remarquer que seul un nombre limité de plaignants (sept)
avaient été jusqu’ici indemnisés par l’Agence d’indemnisation de
l’État (SCA) en charge de l’indemnisation des plaintes déposées
au sujet de violences commises autrefois
. Selon la Commission
irlandaise des droits de l’homme et de l’égalité (IHREC), cette situation
résulte d’une interprétation trop étroite de l’arrêt de la Cour,
«qui donne à l’État irlandais la possibilité de limiter le versement
d’indemnités aux affaires dans lesquelles les autorités scolaires
se sont abstenues de prendre des mesures pour réagir à une plainte
préalable pour abus»
. Les autorités ont toutefois affirmé que la
portée de l’arrêt
O’Keeffe c. Irlande ne
s’étendait pas à tous les cas de violences, quelles que soient les circonstances,
et n’engageait pas la «responsabilité objective» de l’État pour
tous les cas de violences
. Le Comité des Ministres, pour sa
part, a demandé instamment aux autorités irlandaises, en juin 2016,
de veiller à ce que l’Agence nationale chargée du traitement des
plaintes «continue d’adopter une approche globale et flexible concernant
ces plaintes et achève ses travaux dans les plus brefs délais»
.
71. La surveillance de l’exécution de l’arrêt imposait à l’Irlande
de présenter des plans d’action semestriels au Conseil de l’Europe.
Le dernier plan d’action, publié en 2017
, comporte un large éventail de mesures entreprises
par les autorités, depuis la publication de lignes directrices jusqu’aux
dispositions légales prévoyant une enquête approfondie sur les personnes
en contact professionnel avec les enfants et les adultes vulnérables
ou l’adoption de toute une série de dispositions légales visant
à protéger les mineurs contre les violences. La surveillance de
l’exécution par l’Irlande de l’arrêt O’Keeffe est passée en juin
2016 de la procédure soutenue à la procédure standard.
72. Il convient de se féliciter des initiatives prises mais il
convient de les mettre pleinement en œuvre afin que toutes les victimes
d’abus dans des institutions soient reconnues et indemnisées. L’État
doit continuer à prendre des mesures résolues pour empêcher que
de tels abus se reproduisent et mette en place des mécanismes qui
garantiront que les auteurs et ceux qui tolèrent ou dissimulent
ces abus soient traduits en justice. À cet égard, la ratification
de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants
contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE no 201,
«Convention de Lanzarote»), que l’Irlande a signée en 2007, serait
une étape importante vers le renforcement des mécanismes et de leur
contrôle par le Conseil de l’Europe.
4.3. Lutte
contre la discrimination
4.3.1. Les
Travellers irlandais et les Roms
73. L’Irlande ne reconnaît pas
de droit l’existence des minorités. Elle a néanmoins ratifié en
1999 la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
(STE no 157) et affiche depuis une attitude constructive
à l’égard de la Convention.
74. Le Conseil de l’Europe a attiré l’attention sur un groupe
nomade autochtone, les Travellers irlandais, qui seraient quelque
40 000 (environ 0,6 % de la population). Les rapports de l’ECRI
et du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales ont présenté en détail la discrimination
subie par cette communauté sur le marché du travail (75 % sont au
chômage)
, dans le domaine
du logement («un nombre disproportionné de Travellers vivent dans
de mauvaises conditions»
), de l’éducation (69 % des Travellers ont
arrêté leur scolarité après l’école primaire et seulement 1 % sont
diplômés de l’enseignement supérieur, d’après le Commissaire
) ou l’accès aux soins de santé. Tout comme
les Roms, les Travellers sont également victimes de racisme et de
stéréotypes négatifs persistants dans certains médias électroniques
et dans la presse écrite, en dépit du renforcement de l’autoréglementation
des médias et de la législation
visant
à encourager un traitement équilibré et objectif des questions relatives
aux Travellers. Par ailleurs, les Travellers sont touchés de manière
disproportionnée par les restrictions budgétaires appliquées dans
le cadre des mesures d’austérité qui ont suivi la crise économique
de 2008.
75. En 2012, le Comité consultatif de la Convention-cadre pour
la protection des minorités nationales a souligné que bien que ne
reconnaissant par les Travellers comme une minorité, l’Irlande avait
adopté «un vaste ensemble de dispositions administratives et législatives
ainsi que des mécanismes institutionnels solides pour reconnaître
leur statut spécifique dans la société»
.
Il a ajouté toutefois que des mesures supplémentaires devaient être
prises pour assurer la pleine participation des Travellers aux organes décisionnels
(et non uniquement aux organes consultatifs) et améliorer leur accès
à l’emploi, au logement et aux services de santé. Le 1er mars 2017,
dans sa déclaration devant le Dáil Éireann (chambre basse), le premier
Ministre a formellement reconnu les Travellers comme un groupe ethnique.
Cette évolution historique et symbolique répondant aux demandes
de la communauté des Travellers et aux attentes du Conseil de l’Europe
a été saluée par les organisations
irlandaises des droits de l’homme et par le Commissaire aux droits
de l’homme
.
76. Selon les estimations, il y aurait actuellement près de 5 000 Roms
en Irlande
, venant principalement d’Europe
centrale et d’Europe de l’Est. Dans son récent rapport sur l’Irlande,
le Commissaire a rappelé que «les Roms, comme dans bon nombre d’autres
pays, sont défavorisés et victimes de discrimination dans tous les
domaines de la vie, ainsi que de racisme, d’exclusion et de pauvreté».
Les Roms vivent souvent dans de mauvaises conditions et ont une
probabilité plus élevée d’être sans abri et d’occuper des emplois
peu qualifiés et peu rémunérés ou d’être au chômage en raison de
divers facteurs tels que le racisme, la discrimination et le manque
de formation et d’éducation formelle.
77. Le Commissaire a recommandé à l’Irlande de revoir son infrastructure
actuelle en matière d’égalité pour faire en sorte que les Travellers
et les Roms aient pleinement accès à des recours juridiques effectifs
en cas de discrimination. Il a encouragé vivement les autorités
à réinvestir dans cette communauté et souligné l’urgence de remédier
à l’offre insuffisante d’habitations spécifiques, à l’état déplorable
de nombreuses aires destinées aux Travellers et au manque de garanties
contre les expulsions forcées. Le Comité européen des Droits sociaux
s’est également dit préoccupé par cette dernière question et a recommandé
de la traiter dans le
respect de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme selon laquelle les expulsions forcées doivent être pratiquées
conformément à la loi, poursuivre un but légitime et être nécessaires
dans une société démocratique, répondant ainsi à un «besoin social
impérieux»
.
4.3.2. Discrimination
religieuse dans l’accès aux écoles et programmes scolaires
78. Selon le Commissaire aux droits
de l’homme, 96 % des écoles primaires publiques et 58 % des établissements
d’enseignement secondaire publics sont placées sous le patronage
de confessions religieuses (90 % de l’Église catholique, 5,5 % de
l’Église d’Irlande), une situation unique en Europe dans laquelle
la grande majorité des écoles financées par l’État sont des établissements
religieux privés (établissements confessionnels) et qui pose un
certain nombre de questions concernant le respect de l’interdiction
de la discrimination fondée sur des motifs religieux et plus généralement,
à la nécessité d’assurer un enseignement à tous les élèves indépendamment
de leur religion ou croyances
. Des questions inhérentes incluent, entre autres,
le fait que la religion de l’enfant (ou son absence) constitue un
critère d’admission; le choix limité offert aux parents et aux enfants
(le seul établissement autonome étant souvent un établissement confessionnel); l’admission
préférentielle d’élèves catholiques (source de discrimination à
l’encontre des enfants des Travellers, des enfants de migrants et
des enfants ayant des parents handicapés, ou dans les zones à forte population) et
le fait que la religion imprègne l’ensemble du programme et de la
vie scolaire. Cette situation pourrait aboutir à un système qui
encourage la ségrégation à l’école
.
79. Le Commissaire a demandé instamment aux autorités irlandaises
d’évoluer rapidement vers des écoles plus ouvertes à la diversité,
notamment par la suppression de la dérogation autorisant des établissements financés
par l’État à faire de la religion de l’enfant un critère d’admission.
Il a recommandé de prévoir des possibilités de dispense des cours
d’instruction religieuse facilement accessibles et d’améliorer la
qualité et l’objectivité du cours d’éducation religieuse couvrant
différentes religions et croyances. Il prônait également le retrait
de la règle parentale de manière à construire un système scolaire
et donc une société plus inclusive. Le Commissaire a salué comme
autant de premières mesures positives les initiatives prises depuis
2008 pour ouvrir à Dublin de nouvelles écoles primaires placées
sous la tutelle directe de l’État (les «Community National Schools
(CNS)»), qui comptent aujourd’hui 11 établissements à Dublin et
dans d’autres régions, ainsi que la création d’un réseau de 115
écoles primaires multiconfessionnelles sur l’ensemble du territoire
. Les autorités
qualifient les CNS de «nouveau modèle d’école primaire placée sous
la tutelle de l’État, mis à l’essai pour répondre à la demande croissante
des parents qui souhaitent choisir ce type d’écoles primaires» conçues «comme
des écoles multiconfessionnelles, qui permettent d’éduquer les élèves
aux croyances à l’école»
.
80. L’éducation religieuse reste obligatoire à l’école primaire
(la teneur du programme d’éducation religieuse est définie par l’organisme
de gestion de l’établissement). Une consultation lancée par le Conseil
national des programmes et de l’évaluation (NCCA) a montré que l’éducation
aux croyances religieuses et à l’éthique est considérée comme une
part importante de l’éducation de l’enfant; la fourniture intégrée
de l’éducation aux croyances religieuses et à l’éthique devrait
être conçue comme une composante du nouveau programme scolaire de
l’enseignement primaire actuellement en cours d’élaboration
.
81. J’ai également appris que le projet de loi relative à l’enseignement
(admission aux établissements scolaires) publié le 6 juillet 2016
était actuellement examiné par le parlement. Ce projet de loi prévoit d’importantes
modifications qui visent à rendre la politique d’inscription plus
juste et plus transparente, afin de créer un mode de fonctionnement
plus adapté aux parents, plus équitable et plus cohérent de la politique d’admission
aux établissements scolaires pour tous les établissements de l’enseignement
primaire et secondaire.
82. Le ministre de l’Éducation et de la Formation professionnelle
a également organisé une consultation publique sur le rôle de la
religion dans les admissions aux établissements scolaires de janvier
à mars 2017, ainsi qu’une tribune publique sur la question en mai
2017. Le ministre a déclaré qu’il était injuste que les établissements
religieux financés par l’État donnent la préférence à des enfants
de leur propre confession qui habitent parfois assez loin de l’établissement,
au détriment d’enfants d’autres confessions ou sans confession qui
habitent à proximité du même établissement. Il a également estimé
qu’il était injuste que les parents se sentent obligés de baptiser
leur enfant pour que celui-ci soit admis dans l’établissement scolaire
local, alors qu’ils ne l’auraient peut-être pas fait sans cette
contrainte. Une réforme du système d’admission scolaire, dans un
premier temps pour l’enseignement primaire, devrait donc avoir lieu
au sujet du rôle joué par la religion dans ce processus
.
Je crois savoir que le ministre a tout spécialement fait part de
son intention de lever l’obstacle du baptême, tout en constatant
que cette question restait encore une source éventuelle de controverse
.
4.3.3. Situation
des personnes LGBT
83. Le droit irlandais interdit
la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle (bien que certains
préjugés sociaux contre les personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuelles
et transgenre) persistent en Irlande). En décembre 2015, le Parlement
a adopté une législation visant à supprimer une dérogation qui autorisait
les établissements d’enseignement et les établissements de santé
gérés par des entités religieuses à pratiquer une discrimination
à l’emploi fondée sur des motifs religieux, par exemple en raison
de l’orientation sexuelle d’une personne
. La Stratégie nationale pour la jeunesse
et la Stratégie pour la jeunesse LGBTI+ qui fait partie du programme
du gouvernement de 2016 accordent une attention particulière aux
jeunes personnes LGBT. L’élection de Leo Varadkar, fils homosexuel
d’un immigré indien, devenu Premier ministre en juin 2017, est également
considérée comme une avancée positive en faveur de l’égalité
.
84. La loi sur le mariage, autorisant le mariage entre personnes
de même sexe, a été signée le 29 octobre 2015 à la suite du référendum
de mai 2015. Une fois en vigueur, la loi portant modification de
la loi relative à l’adoption de 2017 étendra les droits d’adoption
aux couples de même sexe et aux couples vivant en concubinage.
85. D’autres avancées ont été notées sur le plan des droits des
personnes LGBT quand, en juillet 2015, le parlement a adopté la
loi de reconnaissance du genre
, législation sans précédent autorisant
la pleine reconnaissance par l’État du genre souhaité par une personne
à toutes fins utiles, du droit au mariage ou du droit de conclure
un partenariat civil au droit à un nouveau certificat de naissance.
L’Irlande est devenue le cinquième pays du monde à autoriser une
reconnaissance juridique du genre fondée sur l’identité
. Cette loi a également permis aux
personnes transgenre d’être reconnues juridiquement sans intervention
médicale ni action de l’État, et pour les personnes transgenre mariées,
sans divorce. La législation, entrée en vigueur en septembre 2016,
est largement conforme aux normes en matière de droits de l’homme
selon les ONG
.
86. Cette avancée est à saluer. Cependant, les mécanismes de lutte
contre la discrimination pourraient être encore renforcés. De ce
point de vue, j’espère que l’Irlande ratifiera bientôt le Protocole no 12
à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 177)
sur l’interdiction générale de la discrimination, signé en 2000.
4.4. Demandeurs
d’asile
87. Il y avait 4 116 demandeurs
d’asile en Irlande en novembre 2016, dont 2 244 nouvelles demandes présentées
en 2016, principalement de Syrie (11 %), d’Albanie (10 %), du Pakistan
(10 %), du Zimbabwe (9 %) et du Nigéria (8 %)
. En septembre 2015, le gouvernement
a annoncé qu’il accepterait jusqu’à 4 000 personnes souhaitant bénéficier
d’une protection internationale, dont les réfugiés attribués à l’Irlande dans
le cadre du mécanisme de réinstallation de l’Union européenne et
520 réfugiés qui étaient en cours de réinstallation en Irlande directement
depuis le Moyen Orient dans le cadre du programme de réinstallation
.
88. D’après les informations communiquées par les autorités, je
crois comprendre que celles-ci ont intensifié les mesures prises
en ce sens, en doublant le chiffre des réfugiés qu’elles s’étaient
engagées à accueillir dans le cadre du programme de réinstallation
(soit 1 040 réfugiés au lieu des 520 initialement prévus), en cherchant à
accueillir, d’ici à la fin 2017, plus de 2 100 des 4 000 migrants
promis et en examinant la mise en place d’autres mécanismes, comme
le lancement d’un nouveau programme de réinstallation des réfugiés,
pour pouvoir accueillir dès que possible le reste de ces 4 000 personnes
.
89. Le Conseil de l’Europe s’est dit préoccupé par la longueur
excessive des procédures d’asile
qui affecte
les droits humains des demandeurs d’asile. Les demandeurs d’asile
sont contraints de vivre durant des périodes excessives dans des
centres d’hébergement temporaires (dit de «prise en charge directe»)
inadaptés pour de longs séjours. Les adultes ne sont pas autorisés
à travailler et les allocations versées aux demandeurs d’asile sont
considérées comme insuffisantes pour répondre à leurs besoins élémentaires
. 4 465 demandeurs d’asile résidaient
dans les centres de prise en charge directe en 2016 (1 055 depuis
plus de trois ans)
. Le nombre de personnes résidant
dans les centres d’accueil depuis plus de cinq ans a progressivement
diminué (de 1 670 en septembre 2014 à 628 en septembre 2016)
. Selon Amnesty International, les
conditions de vie précaires dans les centres de prise en charge
directe et la longueur du séjour (51 mois environ) des demandeurs
d’asile restent des sujets de préoccupation. Un groupe de travail
a été créé en juillet 2016 pour examiner si et comment il était
possible de mettre en œuvre les recommandations concernant les éventuelles
améliorations à apporter à la prise en charge directe
. Pour ce qui est
des conditions d’hébergement, les autorités ont également souligné
que «les personnes bénéficiant d’une protection sont logées par
l’État. Aucune famille ne partage son logement avec une autre famille
et l’immense majorité des personnes seules partage le leur avec
deux autres personnes au maximum»
.
Un Groupe de travail sur l’amélioration de la procédure de protection,
notamment les prestations et l’aide directes aux demandeurs d’asile,
a été mis en place par le gouvernement et a publié 173 recommandations
en juin 2015. Au 17 juillet 2017, 76 % de ses recommandations avaient
été mises en œuvre, tandis que 36 autres recommandations avaient
été partiellement mises en œuvre ou étaient en cours de mise en
œuvre
.
90. La loi de 2015 sur la protection internationale, instaurant
une procédure unique d’examen des demandes de reconnaissance du
statut de réfugié et des demandes d’autres formes de protection
a été adoptée le 30 décembre 2015. Le Commissaire aux droits de
l’homme a salué cette loi visant à accélérer la procédure en remplaçant
par une procédure unique la procédure en deux étapes qui était en
vigueur et qui consistait à examiner dans un premier temps si le
demandeur pouvait prétendre au statut de réfugié avant d’évaluer,
en cas de réponse négative seulement, s’il remplissait les conditions
requises pour bénéficier d’une protection subsidiaire. Le Commissaire
a ajouté toutefois qu’il était trop tôt pour dire si cette mesure
allait améliorer la situation dans la pratique
.
Cette loi est supposée simplifier et accélérer les procédures d’asile, mais
l’on craint qu’elle vise davantage à faciliter les expulsions qu’à
assurer l’identification et le traitement adéquats des dossiers
de demande d’asile
.
91. La loi relative à la protection internationale de 2015 a resserré
la définition de la famille aux fins de regroupement familial à
un conjoint ou un enfant de moins de 18 ans, à l’exclusion de toutes
les autres personnes à charge. Cette définition diffère de celle
qui est retenue dans d’autres domaines du droit irlandais; elle
aurait créé un profond sentiment de détresse parmi les personnes
qui ont obtenu le statut de réfugié mais n’ont pu demander le regroupement
familial. L’opposition aurait proposé de modifier cette définition
de la famille. La procédure unique mise en place pour le traitement
des demandes d’octroi du statut de réfugié a été vivement critiquée,
car elle impose un délai très court pour le dépôt des demandes,
que les réfugiés ne parviennent pas à respecter compte tenu de l’aide
juridique limitée mise à leur disposition
.
92. Comme dans tous mes rapports périodiques, je souhaite porter
une attention particulière à la situation des droits humains des
enfants migrants. Il y en aurait entre 2 000 et 5 000, sur une population
globale de migrants sans papiers estimée entre 20 000 et 26 000 personnes
).
Le Rapporteur spécial pour la protection de l’enfance nommé par
le gouvernement a souligné dans ce contexte les effets négatifs
graves du système de prise en charge directe sur les résidents et
en particulier les enfants. Le Médiateur pour l’enfance a considéré
que ce système devait être supprimé. Dans l’intervalle, il conviendrait
d’améliorer les conditions de vie dans les centres concernés
. En février 2016, le gouvernement s’est
engagé à donner aux résidents de ces centres le droit de saisir
le Médiateur et le Médiateur pour l’enfance. De plus, dans son rapport, le Commissaire
a également souligné l’absence de voie de droit pour assurer un
statut juridique aux enfants sans papiers, notamment ceux nés en
Irlande, ce qui les rend particulièrement vulnérables à l’exploitation
et à la traite.
4.5. Évolutions récentes au sein de la
police
93. J’ai été informé d’un certain
nombre de problèmes se posant actuellement dans le fonctionnement
des services de police irlandais connus sous le nom de An Garda
Síochána (Garde), frappés par plusieurs scandales ces dernières
années. La Commission Fennelly, qui a publié deux rapports d’étape
en 2015, a enquêté sur des allégations de 2014 selon lesquelles
certains commissariats de la Garde auraient intercepté illégalement
des conversations téléphoniques. La Garde a également été accusée
d’avoir annulé des retraits de point de permis de conduire, et notamment
ceux des policiers. Le Commissaire de la Garde Martin Callinan a
démissionné en 2014 suite à ces scandales. En mars 2015, la loi
sur la Garda Síochána (amendé) a été adoptée pour renforcer l’indépendance
et l’efficacité de la Commission du médiateur de la Garda Síochána
.
94. Les forces de police ont à nouveau été au cœur d’une controverse
en 2016 après qu’il a été révélé que près d’un million de tests
d’alcoolémie enregistrés par la Garde entre fin 2011 et 2016 n’avaient
en fait jamais été réalisés; de plus, la Garde a également reconnu
récemment que 147 000 automobilistes avaient été convoqués à tort
au tribunal pour des infractions au code de la route dont ils avaient
déjà réglé les amendes à tarif fixe. Ces affaires ont conduit le
gouvernement à envisager une réforme du mécanisme de contrôle de
la police en étendant par exemple les pouvoirs de l’autorité de
police et de la Commission de médiation de la Garda Síochána (GSOC)
ou en faisant réaliser une évaluation indépendante de la An Garda
Síochána
.
95. En avril 2017, le gouvernement a présenté un projet de bilan
complet des activités de la police en Irlande portant sur les structures,
la direction, la gestion, la composition, le recrutement et la formation
du personnel, la culture et la déontologie. Une commission devrait
être établie à cette fin.
5. Conclusions
96. L’Irlande continue à subir
les conséquences de la crise financière de 2008 et des mesures d’austérité qui
ont suivi; elles sont toujours perceptibles par les citoyens et
la société dans son ensemble et ont eu un effet préjudiciable sur
l’exercice des droits de l’homme et des droits sociaux. La sortie
du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit), qui a débuté en mars
2007, pourrait également avoir d’importantes répercussions politiques,
sociales et économiques sur l’Irlande, qui entretient des relations
étroites avec le Royaume-Uni. Dans ce contexte difficile et incertain,
la commission de suivi apprécie à leur juste valeur les mesures
prises par l’Irlande pour accueillir les réfugiés et les demandeurs
d’asile.
97. Avec la mise en place de la Convention constitutionnelle en
2012, l’Irlande a entrepris de réformer sa Constitution grâce à
un processus de participation innovant, qui réunit le parlement,
la société civile et les citoyens irlandais. Les travaux de cette
Convention, ainsi que ceux de l’assemblée des citoyens et du Programme
pour un gouvernement de partenariat, ont abouti à la préparation
d’un certain nombre de référendums sur la modification de la Constitution
et la réforme des collectivités locales par le parlement, qui auront
lieu en 2018-2019. La commission de suivi se félicite de ce processus
de participation inclusive, qui favorise la participation des citoyens
à la vie publique.
98. La commission de suivi observe avec intérêt que l’un de ces
référendums a amélioré le cadre juridique des personnes LGBT et
a abouti à l’adoption en 2015 de la loi relative au mariage (qui
prévoit le mariage des couples de même sexe) et de la loi relative
à la reconnaissance des genres (qui autorise les personnes transgenres
à obtenir une reconnaissance juridique sans intervention médicale
ou étatique). L’adoption en 2017 de la loi portant modification
de la loi relative à l’adoption devrait également étendre les droits
d’adoption aux couples de même sexe et aux couples qui vivent en
concubinage.
99. La commission de suivi souligne que l’Irlande a assuré le
bon fonctionnement de ses institutions démocratiques et de ses mécanismes
de protection des droits de l’homme, qui, dans l’ensemble, sont conformes
aux normes du Conseil de l’Europe. L’Irlande respecte de manière
générale ses obligations d’État membre du Conseil de l’Europe. À
la lumière des constatations des mécanismes de suivi des principales conventions
du Conseil de l’Europe, il importe cependant que les autorités remédient
à un certain nombre de problèmes. La commission souhaite par conséquent
adresser les recommandations suivantes aux autorités irlandaises:
100. La commission de suivi se félicite des avancées réalisées
au cours des dix dernières années dans la reconnaissance de la responsabilité
des violences commises dans les institutions à l’encontre des mineurs
et des femmes, notamment dans les «blanchisseries Magdalene» (qui
ont été en activité de 1930 à 1986) et dans les «foyers mères-bébés»
(de 1922 à 1998). Les initiatives prises pour faire face à d’anciennes
violations des droits de l’homme ont pris la forme d’excuses officielles
adressées en 2013 par le Taoiseach Enda Kenny aux victimes encore
en vie des «blanchisseries Magdalene» et de la mise en place de
commissions d’enquête et mécanismes de réparation divers. La commission
de suivi s’attend à ce que les autorités irlandaises tiennent compte
des recommandations adressées par le Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe et le Comité des Nations Unies contre la
torture, qui préconisent de veiller à la réalisation d’enquêtes approfondies
et à l’accès de toutes les victimes aux mécanismes de réparation.
101. S’agissant de la question des violences sur mineurs, la commission
de suivi encourage vivement les autorités à poursuivre l’exécution
de l’arrêt O’Keeffe c. Irlande et
invite instamment les autorités à mettre pleinement en œuvre la
législation adoptée jusqu’ici, notamment la loi «Children first»
(Les enfants d’abord) de 2015, et à ratifier la Convention du Conseil
de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation
et les abus sexuels, que l’Irlande a signée en 2007, conformément
aux recommandations du Commissaire aux droits de l’homme.
102. Dans le domaine de l’égalité de genre, la commission de suivi
se félicite des mesures positives entreprises pour favoriser l’approche
intégrée de l'égalité entre les femmes et les hommes et une meilleure participation
des femmes à la vie politique et encourage l’Irlande à réaliser
ses projets dans le domaine de l’intégration d'une perspective de
genre dans le processus budgétaire. Elle reste cependant préoccupée
par la persistance des stéréotypes de genre et des violences à l’égard
des femmes, qui entravent l’égalité entre hommes et femmes. Elle
appelle par conséquent les autorités irlandaises à prendre résolument
position pour promouvoir, en droit et en fait, l’égalité entre hommes
et femmes et:
- modifier l’article
41.2.1 («la vie des femmes au foyer») de la Constitution et abroger
à l’occasion du référendum prévu en 2018 cette disposition qui consacre
les stéréotypes de genre, afin de consolider le fondement constitutionnel
de l’égalité de genre et de l’égalité des chances pour les femmes
et les hommes dans la société;
- lutter contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique, ratifier la Convention du Conseil de l'Europe sur la
prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et
la violence domestique et, dans l’intervalle, veiller à ce que le
projet de loi relative à la violence domestique en préparation soit conforme
aux dispositions de la Convention.
103. La question de l’avortement reste déterminante dans la société
irlandaise. Parallèlement, cette question sociétale est susceptible
d’évoluer avec le temps grâce à la modification de la législation.
La commission se félicite par conséquent de la vaste consultation
publique et des travaux réalisés par l’assemblée des citoyens, en
vue de la révision du huitième amendement de la Constitution, adopté
en 1983, qui soumet l’avortement à des conditions extrêmement restrictives,
ce qui pousse les femmes irlandaises à avorter à l’étranger. La commission
de suivi espère que le référendum sur le huitième amendement (qui
doit avoir lieu en 2018) rendra l’interruption de grossesse, assortie
de délais de grossesse, légale en Irlande, renforcera les droits
des femmes à la santé reproductive et facilitera leur accès à l’avortement
légal en toute sécurité, conformément à la
Résolution 1607 (2008) de l’Assemblée.
104. S’agissant de la lutte contre la discrimination religieuse
dans l’accès aux établissements scolaires et les programmes scolaires,
la commission de suivi observe avec satisfaction, de concert avec
le Commissaire aux droits de l’homme, les initiatives prises par
les autorités pour progresser en direction de l’instauration d’établissements
scolaires plus inclusifs. La commission appelle le Parlement à adopter
le projet de loi relative à l’enseignement (admission aux établissements
scolaires) en préparation, qui vise à rendre la politique d’inscription
plus juste et plus transparente dans tous les établissements de
l’enseignement primaire et secondaire. Elle prend également note
de la consultation publique lancée par le gouvernement en 2017 sur
le rôle joué par la religion dans les admissions aux établissements
scolaires, qui pourrait permettre de lever l’obstacle du baptême.
Elle espère que ce processus continuera à ouvrir la voie à une éducation
inclusive de tous les élèves, indépendamment de leur religion ou
croyance, et à la mise en place d’une société plus inclusive.
105. La commission de suivi encourage les autorités irlandaises
à tenir compte des recommandations formulées par le GRETA pour améliorer
la lutte contre toutes les formes de traite des êtres humains et
à renforcer la législation et les mesures qui visent à identifier
et protéger les victimes de la traite. À cet égard, elle encourage
également vivement l’Irlande à ratifier la Convention du Conseil
de l’Europe contre le trafic d’organes humains.
106. Pour ce qui est de la lutte contre la corruption, la commission
de suivi se félicite des initiatives prises pour établir un nouveau
cadre normatif du secteur public. Elle encourage le Parlement à
adopter le projet de loi relative aux normes du secteur public,
élaboré en 2015, qui pourrait prévoir un cadre juridique uniforme
et commun applicable aussi bien aux agents publics qu’aux parlementaires
et un régime déclaratif dont les obligations seraient étendues à
l’ensemble des parlementaires, ainsi qu’à leurs proches et aux personnes
avec lesquelles ils entretiennent des liens. La commission attend
des avancées dans la mise en place d’une formation régulière des
parlementaires aux questions d’éthique et de comportement à adopter
dans les situations de conflit d’intérêts et à la prévention de
la corruption, conformément à la recommandation du GRECO. Par ailleurs,
la commission invite instamment les autorités à publier, adopter
et mettre en œuvre le projet de loi sur la justice pénale (infractions
de corruption), qui renforcera le cadre juridique de la lutte contre la
corruption.
107. Elle se félicite également des mesures prises pour renforcer
le cadre juridique de la lutte contre la corruption dans la magistrature,
qui doivent cependant être intensifiées: la commission de suivi
compte sur l’adoption rapide du projet de loi relative au Conseil
supérieur de la magistrature, conformément aux recommandations formulées
par le GRECO en faveur de la mise en place d’un conseil officiel
de la magistrature indépendant, l’établissement d’un code de déontologie
des juges et l’institutionnalisation de la formation des juges,
à l’entrée en service et continue, dotée de ressources suffisantes.
108. S’agissant des droits des minorités, la commission de suivi
se félicite de la récente reconnaissance par le Gouvernement irlandais
de la qualité de groupe ethnique aux Travellers – un groupe nomade
traditionnel originaire du pays. Cette reconnaissance pourrait permettre
aux Travellers de surmonter les difficultés auxquelles ils se heurtent
dans leur vie quotidienne en raison de l’exclusion sociale et de
la discrimination dont ils sont victimes. La commission encourage
également les autorités à poursuivre la lutte contre la discrimination
à l’égard des Roms et appelle celles-ci à ratifier le Protocole
no 12 à la Convention européenne des
droits de l’homme relatif à l’interdiction générale de la discrimination,
signé en 2000.