1. Introduction
1. La Hongrie est un pays enclavé
du centre de l’Europe, frontalier de l’Autriche, de la Croatie,
de la Roumanie, de la Serbie, de la Slovaquie, de la Slovénie et
de l’Ukraine. Elle bénéficie d’une position stratégique au croisement
des principales routes terrestres entre l’Europe et la péninsule
des Balkans, ainsi qu’entre l’Ukraine et le bassin méditerranéen.
2. La Hongrie a joué un rôle majeur dans l’accélération de l’effondrement
du communisme dans les pays d’Europe de l’Est en ouvrant sa frontière
avec l’Autriche en 1989, ce qui a permis à des dizaines de milliers d’Allemands
de l’Est et d’autres citoyens des pays du Pacte de Varsovie de fuir
vers l’Ouest
. Les
premières élections multipartites se sont tenues en 1990.
3. Le 6 novembre 1990, la Hongrie est devenue le 24e État
membre du Conseil de l’Europe et s'est engagée à respecter les obligations
qui incombent à tout État membre au titre de l'article 3 du Statut
du Conseil de l’Europe (STE no 1) concernant
la démocratie pluraliste, la prééminence du droit et les droits
de l'homme. Au 17 août 2017, elle avait ratifié 87 traités du Conseil
de l’Europe et signé 19 autres traités sans les ratifier. Elle a
été le premier pays anciennement communiste à ratifier en 1992 la
Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention»).
4. Ces dernières années, l’évolution de la situation en Hongrie
a suscité des inquiétudes et poussé l’Assemblée à intensifier ses
discussions concernant le respect par le pays des normes du Conseil
de l’Europe et des obligations découlant de son appartenance à l’Organisation.
Entre janvier 2011 et juin 2015, l’Assemblée a discuté de l’éventualité
de contrôler de plus près les engagements de la Hongrie en raison
de son appartenance au Conseil de l’Europe. En 2013, l’Assemblée
a décidé de ne pas ouvrir de procédure de suivi dans le cas de la
Hongrie et en 2015, elle a décidé de mettre un terme à «l’examen
spécial» de ces questions
. Dans sa
Résolution 2162 (2017) sur les évolutions inquiétantes en Hongrie: une nouvelle
loi pour les ONG restreignant les libertés de la société civile
et la possible fermeture de l’Université d’Europe centrale, l’Assemblée
est convenue que les évolutions récentes en Hongrie méritaient une
attention particulière ainsi que la mobilisation de l’expertise
du Conseil de l’Europe afin d’aider les autorités hongroises à faire
respecter les normes internationales et du Conseil de l’Europe correspondantes
dans le domaine de la liberté d’association et d’expression, et
a décidé de continuer de suivre de près l’évolution de la situation
en Hongrie.
5. Le présent rapport périodique a été élaboré en application
de la
Résolution 2018
(2014) sur l’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée
(octobre 2013-septembre 2014) et de la note explicative approuvée par
la commission le 17 mars 2015. Il repose notamment sur les conclusions
les plus récentes des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe,
sur les rapports de l’Assemblée et du Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe et, le cas échéant, sur les rapports établis
par d’autres organisations internationales et de la société civile.
6. Ce rapport ne se conçoit pas comme une étude exhaustive, mais
comme une analyse des évolutions intervenues en Hongrie eu égard
aux normes du Conseil de l’Europe. J’ai décidé de m’attacher aux
points essentiels sur la base des évolutions géopolitiques, politiques
et sociales et des rapports récents réalisés par les mécanismes
de suivi. Plusieurs questions spécifiques en matière de droits de
l’homme sont examinées ici.
7. Je tiens à remercier la délégation hongroise auprès de l'Assemblée
parlementaire et les autorités pour leur coopération et les commentaires
approfondis qu’elles ont fournis. Les évolutions qui ont eu lieu
depuis l'examen préliminaire ont été examinées au sein de la commission
de suivi en septembre 2017 et ont été prises en compte dans le présent
rapport.
2. Contexte
2.1. Contexte
politique
8. La Hongrie est une démocratie
parlementaire pluraliste. Le parlement monocaméral (Assemblée nationale
ou «Orszaggyules») compte 199 députés
et
élit le président (le chef de l’État) tous les cinq ans. Depuis
2012, le chef de l'État est János Áder, qui a été réélu en mars
2017. Après chaque élection, le président propose le candidat au
poste de premier ministre issu du parti majoritaire ou de la coalition
au parlement. Le candidat doit être élu par le parlement à la majorité
simple. Lors des élections législatives de 2014, la coalition de
centre-droit entre le Fidesz et le KDNP (parti populaire démocrate-chrétien)
a conservé sa majorité des deux tiers à l’Assemblée, obtenant 45 %
des voix pour le scrutin proportionnel mais remportant 91 % des circonscriptions
uninominales du pays, qui sont attribuées selon un système majoritaire
à un tour
. En mars 2015, la coalition au pouvoir
a perdu sa majorité des deux tiers à l’assemblée. Viktor Orbán,
dirigeant du Fidesz, qui fut premier ministre entre 1998 et 2002,
est premier ministre depuis 2010.
9. Le revenu par habitant en Hongrie est l’un des plus faibles
de l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE). Cependant, l'économie s'est développée régulièrement depuis
2012
. Le ratio d'endettement est en baisse
depuis 2011. Selon les chiffres de 2015, la dette publique représente
97 % du produit intérieur brut (PIB) tandis que la dette des ménages
est de 50,7 % du revenu disponible. Cependant, l’exposition aux
prêts libellés en devises a été fortement réduite grâce à l’application
d’une nouvelle loi qui oblige les banques à convertir ces prêts
en monnaie nationale
.
10. Alors que la coalition au pouvoir bénéficie toujours d’un
large soutien au sein de l’opinion, plusieurs manifestations de
grande échelle ont eu lieu à Budapest contre les projets du gouvernement
concernant l’Université d’Europe centrale
et
le projet de loi sur les organisations non gouvernementales (ONG),
ce qui est la preuve d’un mécontentement croissant.
11. Les possibilités de participation des représentants des minorités
nationales au processus législatif ont été sensiblement améliorées:
depuis les élections de 2014, les 13 minorités reconnues
sont toutes représentées
à l’Assemblée nationale par des porte-paroles des nationalités élus
qui ont les mêmes pouvoirs que les autres députés, à l’exception
du droit de vote
. En effet, aucune des listes
électorales minoritaires n'a obtenu le nombre de voix nécessaire
pour obtenir un siège
.
2.2. Relations
avec les pays voisins et l’Union européenne
12. La Hongrie est membre du groupe
de Visegrád et est devenue membre à part entière de l’Union européenne
le 1er mai 2004. Elle a occupé pour la
première fois la présidence du Conseil de l’Union européenne entre
janvier et juin 2011, et celle du groupe de Visegrád ainsi que de
l’Initiative centre-européenne entre juillet 2013 et juin 2014.
De juillet 2017 à juin 2018, la Hongrie assure la présidence tournante
du groupe de Visegrad.
13. Même si les autorités ont publiquement exprimé leur engagement
incontestable en faveur de l’Europe
, de nombreux éléments indiquent
que le Gouvernement hongrois met en œuvre une politique nationale souverainiste.
Avec d’autres pays du groupe de Visegrád, la Hongrie a continué
de s’opposer à certaines politiques européennes, comme le système
de quotas de réfugiés
.
14. La Hongrie a une attitude ambivalente à l’égard de son affiliation
à l’Union européenne: d’un côté, elle insiste sur son appartenance
à une communauté de valeurs tandis que de l’autre, elle déclare
être une «démocratie illibérale», bien que le premier ministre considère
que la «démocratie illibérale» est compatible avec l’appartenance
à l’Union européenne. En outre, Viktor Orbán a affirmé, dans un
discours de février 2017, que contrer «le diktat de Bruxelles» faisait
partie des trois principales missions de l’État en 2017
. Les lois récemment
adoptées concernant les universités étrangères et les organisations
de la société civile qui reçoivent des fonds de l’étranger sont
symptomatiques de cette ambiguïté.
15. Le 7 décembre 2017, la Commission européenne a décidé d'intenter
une action contre la Hongrie devant la Cour de justice de l'Union
européenne au motif que la loi hongroise sur l'enseignement supérieur,
modifiée le 4 avril 2017, restreint de manière disproportionnée
le fonctionnement des universités de l'Union et des pays tiers et
doit être mise en conformité avec le droit de l'Union européenne
. Le même
jour, la Commission européenne a formé un recours contre la Hongrie
devant la Cour de justice de l'Union européenne au sujet de sa loi
relative aux ONG bénéficiant de capitaux étrangers. Il s'agit de
la troisième étape de la procédure d'infraction, après la
lettre
de mise en demeure envoyée par la Commission le 14 juillet et l'
avis
motivé émis le 4 octobre 2017
.
La Commission a en outre décidé
de
continuer à poursuivre le dialogue avec les autorités hongroises
sur d'autres préoccupations en suspens, notamment dans le domaine
de l'asile
.
La Commission européenne a par ailleurs estimé que la consultation
nationale «Arrêtons Bruxelles» lancée en avril 2017, contenait des
affirmations et des allégations «factuellement incorrectes ou prêtant
fortement à confusion», mais aucune procédure n'a été ouverte dans
ce domaine
.
16. Le Parlement européen a adopté le 17 mai 2017
une résolution où il estime que la
situation en Hongrie justifie le déclenchement de la procédure qui
pourrait mener à des sanctions contre le pays, au regard de la détérioration
considérable de l’État de droit et de la démocratie. La résolution
demande l’application de l’article 7(1) du Traité sur l’Union européenne.
2.3. Relations
avec l’Assemblée parlementaire
17. En janvier 2011, une proposition
de résolution sur les «Graves revers dans le domaine de la prééminence
du droit et des droits de l’homme en Hongrie» (
Doc. 12490), qui demandait d’ouvrir une procédure de suivi envers
la Hongrie, a été signée par 24 membres de l’Assemblée.
18. L'Assemblée a adopté la
Résolution
1941 (2013) sur la demande d'ouverture d'une procédure de suivi au
titre de la Hongrie en juin 2013. «L’Assemblée note que le nouveau
Parlement hongrois a, pour la première fois dans l’histoire de la
Hongrie libre et démocratique, amendé son ancienne Constitution
– héritée d’un parti unique –, pour en faire une nouvelle Loi fondamentale
moderne, à l’issue d’une procédure démocratique et d’intenses débats
au parlement, et avec des contributions de la société civile hongroise.
(...)». Elle souligne qu’«un cadre constitutionnel devrait se fonder
sur des valeurs largement acceptées dans la société.» L'Assemblée
note que plusieurs dispositions préoccupent une partie de la société
hongroise. Ces dispositions se fondent toutefois sur des valeurs
européennes traditionnelles, sont énoncées dans les Constitutions
de nombreux autres pays européens et ont été adoptées par la majorité
démocratique des deux tiers du Parlement hongrois. Cette situation
porte atteinte à la légitimité démocratique et à l’acceptabilité
sociale du cadre constitutionnel, ce qui est source de préoccupation.»
Selon l’Assemblée, «les analyses de la Constitution et de plusieurs
lois cardinales (c’est-à-dire constitutionnelles) effectuées par
des experts de la Commission de Venise et du Conseil de l’Europe
soulèvent un certain nombre de questions quant à la compatibilité
de certaines dispositions avec les normes et standards européens,
y compris la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme».
Elle a fait part de ses inquiétudes concernant l’érosion de l’équilibre
démocratique entre les différents pouvoirs qui résulte du nouveau
cadre constitutionnel en Hongrie. Cela se manifeste notamment par
la réduction des pouvoirs et des compétences de la Cour constitutionnelle. D’après
les autorités
,
suite à l'avis de la Commission européenne pour la démocratie par
le droit (Commission de Venise), les autorités ont modifié la Loi
fondamentale à cet égard.
19. L’Assemblée rappelle que les révisions incessantes de la Constitution
ne se justifiaient que par de simples
intérêts politiques partisans, soulignant les tentatives de la coalition
au pouvoir d’utiliser sa majorité historique des deux tiers afin
de faire passer des réformes qui sont contraires aux principes démocratiques. L’Assemblée
a regretté l’adoption du quatrième amendement de la Constitution,
qui contient plusieurs dispositions auparavant déclarées inconstitutionnelles
par la Cour constitutionnelle de Hongrie et/ou qui sont contraires
aux principes et normes européens.
20. Tout en soulignant que, pris séparément, chacun des sujets
de préoccupation mentionnés était, en soi, grave du point de vue
de la démocratie, de l’État de droit et du respect des droits de
l’homme, l’Assemblée a souligné que «l’accumulation de réformes
visant à établir un contrôle politique sur la plupart des institutions essentielles
tout en affaiblissant le système d’équilibre des pouvoirs» était
frappante. En conclusion, elle a toutefois décidé «de ne pas ouvrir
de procédure de suivi à l’égard de la Hongrie» mais «de suivre de
près l’évolution de la situation et de dresser le bilan des progrès
accomplis dans la mise en œuvre de la résolution». De plus, l’Assemblée
a appelé les autorités hongroises à poursuivre leur dialogue ouvert
et constructif avec la Commission de Venise, et à prendre un ensemble
de mesures particulières concernant la loi sur la liberté de religion
et le statut des Églises, la loi sur l'élection des députés, la
loi sur la Cour constitutionnelle et la législation applicable aux
médias.
21. En juin 2015, l’Assemblée a adopté la
Résolution 2064 (2015) sur la situation en Hongrie à la suite de l'adoption
de la
Résolution 1941
(2013) de l'Assemblée, qui évalue une série de nouvelles lois
en Hongrie, portant notamment sur le statut des Églises, les élections,
la Cour constitutionnelle, l’appareil judiciaire et les médias,
afin d’évaluer leur conformité aux normes du Conseil de l’Europe.
Elle a notamment salué les progrès réalisés et la coopération en
cours avec le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, et encouragé
les autorités à continuer leur dialogue avec le Conseil de l’Europe
afin de remédier à certaines questions en suspens dans le domaine
de la religion, de la liberté des médias, des organisations racistes
et extrémistes et le vaste champ d’application des lois constitutionnelles,
ainsi que la nécessité d’obtenir la majorité qualifiée pour procéder
à de futures modifications législatives.
3. Démocratie
22. En 2017, Freedom House
a
affirmé: «Il n’y a pas de théâtre des opérations plus important
pour la défense de la démocratie que l’Europe centrale.» La Hongrie
n’est certes pas un cas isolé – les pays d’Europe centrale et orientale
ont connu leur plus fort recul des indices de démocratie depuis
la crise économique de 2008 – mais elle a désormais l’indice de
démocratie le plus faible d’Europe centrale. Selon les autorités hongroises
,
le gouvernement de la Hongrie bénéficie d’une forte légitimité démocratique,
car il été élu avec 52 % du vote populaire en 2010 et 48 % du vote
populaire en 2014.
3.1. Démocratie
locale
23. La ville de Budapest, qui accueille
près d’un cinquième des habitants de la Hongrie, compte 23 arrondissements;
il y a 19 comtés (l’échelon régional dans le système du Conseil
de l'Europe) et 3 100 collectivités locales dans le pays. Un système
original de représentation des minorités ethniques et linguistiques
permet aux 13 minorités nationales présentes en Hongrie de créer
des structures d’autonomie locale et nationale.
24. Le 29 octobre 2013, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
du Conseil de l'Europe a adopté sa Recommandation 341 (2013) sur
la démocratie locale en Hongrie. Il a salué la ratification, en
juin 2010, du Protocole additionnel à la Charte européenne de l'autonomie
locale sur le droit de participer aux affaires des collectivités
locales (STCE no 207), ainsi que la participation
très active dans la constitution d’Eurorégions dans la coopération
transfrontalière. À cet égard, il a déploré que la Hongrie n’ait
pas encore signé le troisième protocole additionnel à la Convention-cadre
européenne sur la coopération transfrontalière (STE no 159).
25. Le Congrès s’est inquiété des récentes réformes qui ont affaibli
le cadre juridique de l’autonomie locale en Hongrie, et notamment
la recentralisation des pouvoirs et des compétences, l’absence de
recours juridique effectif des collectivités locales pour obtenir
la protection de leurs intérêts et la forte dépendance vis-à-vis
des dotations de l’État. Il a recommandé que les autorités hongroises
prennent des mesures pour garantir en droit comme en fait, l'application
du principe de l'autonomie et de l'indépendance financière des collectivités
locales et régionales tel qu'il est énoncé dans la Charte, définissent
clairement les compétences des collectivités territoriales et mettent
en place une procédure de consultation effective
.
3.2. Réforme
constitutionnelle
26. Le processus de réforme constitutionnelle
est longuement décrit dans le
Doc. 13229 et plusieurs observations de ce rapport restent d’actualité.
Comme l’indiquent les rapports susmentionnés de l’Assemblée, l’ambitieuse
réforme constitutionnelle s’est écartée de certaines normes du droit
constitutionnel et de l’État de droit. Depuis ces amendements, l’ordre
constitutionnel intègre les préférences politiques du parti au pouvoir grâce
à «l’ingénierie constitutionnelle», érodant graduellement plusieurs
protections constitutionnelles contre le pouvoir politique
. Les autorités sont
en désaccord avec cette analyse
et
soutiennent que ces dispositions sont basées sur des valeurs européennes
traditionnelles, sont inscrites dans les Constitutions de nombreux autres
pays européens, et ont été adoptées par une majorité démocratique
des deux tiers au Parlement hongrois. Elles soulignent qu'à la suite
des élections de 2010, une coalition a obtenu une majorité de plus
des deux tiers au Parlement hongrois, ce qui représente, selon les
normes européennes communes, une légitimité suffisante pour amender
la Constitution. Les autorités affirment que le Parlement hongrois
a modifié l'ancienne Constitution – héritée du système d’un parti
unique – afin d'adopter une nouvelle loi fondamentale moderne par
le biais d'une procédure démocratique, après des débats intensifs
au parlement et avec des contributions de la société civile hongroise.
La Commission de Venise a toutefois exprimé à plusieurs reprises
sa préoccupation concernant le processus d'élaboration de la Constitution
en Hongrie
.
Elle s’est inquiétée du manque de transparence du processus et de
l’implication insuffisante de la société civile, et a critiqué l'absence de
consultation sincère, notant le défaut de consensus entre les forces
politiques et au sein de la société civile pour assurer la légitimité
de la Constitution
.
3.3. Élections
27. La mission d'observation des
élections du Bureau des institutions démocratiques et des droits
de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE/BIDDH) a conclu
que les élections législatives de
2014 avaient été organisées de manière efficace et avaient donné
un large choix aux électeurs grâce à un processus inclusif d’enregistrement
des candidats, mais que le principal parti au pouvoir avait bénéficié
d’un avantage injustifié du fait de la réglementation restrictive
de la campagne, d’une couverture médiatique partiale et d’activités
de campagne marquées par une confusion entre le parti politique
et l’État.
28. Le cadre juridique de ces élections a été fortement modifié
ces dernières années. D’après l’OSCE/BIDDH, certains changements
étaient positifs, mais différents amendements essentiels ont nui
au processus électoral, en supprimant notamment d’importants freins
et contrepoids. La Commission de Venise et l’OSCE/BIDDH ont reconnu
l’effet positif du redécoupage des circonscriptions électorales,
qui est désormais plus équilibré en termes de nombre d’électeurs
par circonscription conformément aux exigences de la Cour constitutionnelle
de Hongrie. Selon les autorités hongroises
,
les nouvelles limites des circonscriptions électorales étaient nécessaires
en raison de l'évolution de la situation démographique en Hongrie.
Par contre, la Hongrie n’a pas donné suite aux recommandations de
l’Assemblée
et
de l’OSCE/BIDDH sur la nécessité de mettre en place un organe indépendant
et impartial pour la redéfinition des circonscriptions électorales
sur la base de critères légaux clairs
. L’OSCE/BIDDH
et l’Assemblée ont constaté un
manque de transparence, d’indépendance et d’ouverture dans la manière
dont les nouvelles circonscriptions électorales ont été découpées.
Ils ont également entendu de nombreuses allégations de remaniements
abusifs
.
L’OSCE/BIDDH a recommandé l’adoption de dispositions instaurant
un réexamen périodique des découpages des circonscriptions, confié
à une commission indépendante, en veillant à la flexibilité des
réajustements. Mais quand les limites des circonscriptions sont
définies par une loi organique, en contradiction avec les recommandations
de l’Assemblée, il est difficile, voire impossible, d’assurer de
tels réexamens périodiques
. L’Assemblée a préconisé un large consensus
entre tous les partis politiques sur la formule des «compensations»
. Un tel consensus n’a
apparemment pas été trouvé lors des dernières élections
.
3.4. Le
populisme
29. Le Premier ministre Orbán a
déclaré
qu’en Hongrie, la démocratie libérale
ne peut pas garantir un gouvernement capable de servir les intérêts
nationaux, de protéger la propriété publique et d’enrayer l’endettement
du pays. Il a donc mentionné le terme «État illibéral» pour décrire
un État qui respecte les valeurs «du christianisme, de la liberté
et des droits de l’homme» et assurer un équilibre entre les droits
de chacun et les droits et les intérêts de la collectivité et de
la nation, et a proposé d’opter pour un «État travailleur» par opposition,
de son point de vue, à l’État libéral et à l’État providence. Il
estimait que cette conception d’un État non libéral n’était pas
incompatible avec le maintien dans l’Union européenne, mais on pourrait
s’interroger sur la compatibilité d’un tel État illibéral avec les
engagements d’adhésion au Conseil de l’Europe, et la question a
d’ailleurs été posée
.
30. Le Conseil de l’Europe a étudié attentivement le problème
du populisme, notamment en raison de son impact sur la politique,
y compris dans le dernier rapport annuel
du
Secrétaire Général du Conseil de l'Europe qui lui est consacré.
M. Nils Muižnieks, le Commissaire aux droits de l'homme, a également
mis en garde contre la résurgence du populisme sur le continent
européen
dans laquelle il voit une
révolte contre la «politique traditionnelle» des grands partis,
un «rejet massif de la mondialisation et des inégalités, de l’insécurité
et du sentiment d’impuissance qu’elle a engendrés», auxquels s’ajoute
une vision anti-élitiste.
3.5. Liberté
des médias et liberté d’expression
31. Dans son dernier rapport sur
la Hongrie, le Commissaire aux droits de l'homme a salué une série d’amendements
apportés aux lois controversées sur les médias, adoptées en 2010,
afin d’aligner la législation hongroise sur les normes européennes
en la matière. Il a noté que les médias hongrois souffrent d’un
cadre juridique inadapté et de pressions politiques. Il en résulte
de l’autocensure – à cause du risque d’amendes ou de licenciement
– et une absence de journalisme critique
.
32. Les différentes notations relatives à la liberté des médias
en Hongrie ont reculé ces dernières années. En 2017, le pays a été
classé 71e (sur 180) dans le classement
mondial de la liberté de la presse
publié par Reporters sans frontières,
un recul de 52 places en six ans. La notation sur l’indépendance
des médias octroyée par Freedom House
a été abaissée, passant de 3,75 à 4,25 (sur
une échelle de 1, note la plus élevée, à 7, la plus basse) en 2017,
ce qui classe la Hongrie dans la catégorie «partiellement libre»
. Elle avait le statut de «libre»
dans le classement «Freedom of the Net 2016» (liberté sur internet)
.
33. Freedom House et Reporters sans frontières attribuent tous
deux ce recul de la liberté de la presse à la forte intervention
politique sur le marché hongrois des médias, où plusieurs acquisitions
auraient été financées avec l’aide de banques contrôlées par l’État.
Ainsi, en octobre 2016, le quotidien libéral et influent
Népszabadság a cessé d’être publié
peu après sa vente à un homme d’affaires qui serait proche du gouvernement
.
34. En janvier 2016, la Cour européenne des droits de l'homme
a
jugé les pratiques de la Hongrie en matière de surveillance de l’internet
et des télécommunications contraires au droit au respect de la vie
privée et familiale (article 8 de la Convention). Elle a également
constaté le recours de fonctionnaires à des inculpations pour diffamation
à l’encontre de citoyens pour leurs commentaires sur les réseaux
sociaux, ce qui peut avoir un effet dissuasif sur la liberté d'expression.
C’est pourquoi je m’associe à l’appel du Commissaire aux droits
de l'homme pour une dépénalisation de la diffamation en Hongrie,
afin que les opinions critiques ou satiriques puissent s’exprimer.
35. Dans sa
Résolution
2141 (2017) «Attaques contre les journalistes et la liberté des
médias en Europe», l’Assemblée a notamment appelé les autorités
hongroises à reconsidérer l’impôt sur la publicité, qui a créé une taxe
discriminatoire sur la publicité dans les médias en Hongrie; à garantir
que les contrats publicitaires impliquant des pouvoirs publics et
des entreprises d’État soient conclus avec tous les médias de manière équitable
et transparente; et à assurer la transparence de la propriété des
médias, en particulier lorsqu'un média est effectivement détenu
ou contrôlé par un entrepreneur commercial qui a obtenu des marchés
publics.
36. Dans sa
Résolution
2035 (2015) sur la protection de la sécurité des journalistes et
de la liberté des médias en Europe, l’Assemblée a exhorté le Parlement
hongrois à engager de nouvelles réformes de sa législation en vue
d’améliorer l’indépendance des instances de régulation des médias,
de l’agence de presse officielle et des radiodiffuseurs de service
public, d’accroître la transparence et le pluralisme des médias
privés, et de lutter contre les discours racistes à l’égard des
minorités ethniques. L’Assemblée a aussi invité la Hongrie à mettre
en œuvre les recommandations de l’Avis 798/2015
de
la Commission de Venise sur la législation relative aux médias du
pays.
37. L’article IX de la Constitution hongroise garantit le droit
à la liberté d’expression. Son article X(5) stipule que ce droit
ne peut être exercé dans le but de violer la dignité de la nation
hongroise ou de toute communauté nationale, ethnique, raciale ou
religieuse. Ce point inquiète la Commission de Venise
parce que cette disposition pourrait
aussi être utilisée pour réprimer les critiques visant des institutions
et des responsables hongrois, ce qui serait incompatible avec la
condition selon laquelle toute limitation doit être nécessaire dans une
société démocratique. De plus, les médias publics et privés peuvent
uniquement diffuser des publicités politiques à titre gracieux,
ce qui pose problème du point de vue de la restriction de l’accès
à l’information car les médias privés risquent de ne pas accepter
la diffusion gratuite d’une telle publicité
. Cela paraît confirmé par le fait
(mentionné par le Commissaire aux droits de l’homme dans son rapport
de décembre 2014)
que lors des élections législatives
de 2014, aucun média privé de Hongrie n’ait diffusé de publicité
politique ce qui, combiné à la publicité massive du gouvernement,
a compromis l'égalité d'accès de tous les candidats aux médias
.
38. En mai 2017, l'Assemblée nationale hongroise a adopté une
loi portant la taxe nationale sur la publicité de 5,3 % à 7,5%,
ce qui soulève des inquiétudes quant aux éventuelles pressions pouvant
peser sur les médias indépendants restants dans le pays
.
39. La Hongrie a été le premier pays de l’ère postsoviétique à
adopter une loi sur la liberté d’information. Cette loi a doté le
pays de solides institutions de surveillance de la liberté d’information,
sous la direction d’un médiateur parlementaire
.
Selon la société civile, le droit d’accès aux informations gouvernementales
a été fortement restreint suite à un amendement apporté en 2013
à la loi sur la liberté d’information, qui confère aux institutions
de l’État assumant des responsabilités en matière de gestion des
données un droit très étendu, voire excessif, pour rejeter les demandes
d’informations publiques sans fournir de justification valable
.
Selon les autorités
,
si les demandes sont rejetées sans justification appropriée, il
existe une possibilité de révision judiciaire.
40. La Cour européenne des droits de l'homme a estimé qu’il y
avait violation du droit à la liberté d’expression (article 10 de
la Convention) d’une ONG hongroise à laquelle les autorités avaient
refusé de communiquer des informations sur la fonction d’avocat
commis d’office
.
L'affaire est en instance d'exécution devant le Comité des Ministres.
Les autorités ont informé le rapporteur qu'un nouveau Code de procédure pénale
a été adopté à cet égard
.
41. En 2015, de nouveaux amendements à la loi sur la liberté d’information
ont encore restreint l’accès aux informations publiques. Ils permettent
aux institutions de l’État de facturer une avance sur frais aux demandeurs
d’informations, au titre des «frais de traitement des demandes d’information».
Les ONG hongroises signalent que cela entrave leurs activités chaque
fois que leur travail suppose d’accéder à des informations pertinentes
.
42. D’après les autorités
,
il existe en Hongrie des médias d’opposition très virulents qui
font constamment pression sur le gouvernement, le critiquent et
analysent ses pratiques. Ces médias sont diffusés sur internet ainsi
que sous forme imprimée. Ils ont accès à des sources gouvernementales
pour obtenir de l'information et d'importantes possibilités de financement
à des fins commerciales.
43. Il est important que la Hongrie révise ses lois et pratiques
pour promouvoir la transparence et la responsabilité et faciliter
l’accès à l'information.
3.6. Espace
pour la société civile
44. Le Commissaire aux droits de
l’homme a signalé une tendance croissante, dans plusieurs pays d’Europe,
à régresser en matière de liberté d'association, ce qui touche particulièrement
les organisations de défense des droits de l'homme et les défenseurs
de ces droits
. La Hongrie ne fait
pas exception, si l’on en croit les inspections systématiques dont
ont fait l’objet les ONG qui ont bénéficié du Fonds pour les ONG
en 2014, ou les déclarations officielles négatives à l’encontre
des ONG financées par les Open Society Foundations, et l’amendement
à la loi sur l’enseignement supérieur national.
45. La note attribuée par Freedom House à la Hongrie pour sa société
civile a été revue à la baisse en raison d’un «climat politique
de plus en plus hostile et des allégations de surveillance et de
violences physiques commanditées à l’encontre d’ONG de surveillance
et d’autres représentants de la société civile»
.
46. D’après le ministère de la Justice, plus de 81 000 ONG sont
enregistrées en Hongrie
. Comme il est indiqué dans le rapport de
mon collègue, M. Yves Cruchten
, la législation hongroise n'impose
aucune restriction à l'activité législative ou politique des ONG.
La définition de ce qui constitue une «activité politique» est assez
précise et ne pose aucun problème d'interprétation. Les ONG sont
généralement libres de s'engager dans toute forme d'activité politique.
En outre, le cadre juridique et institutionnel garantit que les
ONG peuvent prendre part aux processus de prise de décision dans
le cadre d’un large éventail d'activités de plaidoyer, de campagnes
et de lobbying
. Quelques
faits récents sont toutefois préoccupants. Depuis 2013, des représentants
du gouvernement et certains médias mènent une campagne de communication
à l’encontre d’ONG, et le gouvernement a dressé une liste d’ONG
qui posent problème
.
En 2014, le Commissaire aux droits de l’homme
et des Rapporteurs spéciaux des
Nations Unies
ont
écrit aux autorités hongroises pour les alerter d’une série de problèmes
que rencontrent les ONG en Hongrie, y compris la stigmatisation incessante.
47. En outre, des ONG hongroises, se sont plaintes à mon collègue,
M. Cruchten, pendant sa visite d'information en Hongrie de novembre
2015, de campagnes de diffamation dans les médias, d’attaques verbales
de représentants du gouvernement et d’un financement national sélectif
en faveur des ONG considérées comme proches des autorités.
48. Il est à déplorer que malgré les recommandations répétées
des instances internationales
et nationales
pour
que cesse la stigmatisation des défenseurs des droits de l’homme,
des représentants du gouvernement continuent de qualifier plusieurs
ONG d’agents étrangers dans leurs déclarations dans les médias
.
3.6.1. La
loi sur la transparence des organisations bénéficiant de financements
étrangers
49. La loi controversée sur la
«Transparence des organisations bénéficiant de financements étrangers»
(ci-après «la loi sur les ONG»),
déposé par des parlementaires du Fidesz le 7 avril 2017, a suscité
une attention considérable à l’intérieur du pays et sur la scène
internationale, y compris dans notre Assemblée. D’après cette loi,
les associations et fondations qui bénéficient de financements étrangers
supérieurs à 7,2 millions de forints (environ € 24 000) par an sont
tenues de s’enregistrer auprès du tribunal régional en tant qu’«organisations bénéficiant
d’un soutien de l’étranger» et de se présenter comme telles sur
leur site internet ainsi que dans tous les éventuels produits de
presse et autres publications. Cette loi régit aussi la procédure
d’enregistrement et prévoit des sanctions pour les organisations
qui ne se conforment pas à ces obligations
.
50. Je tiens à répéter la position de l’Assemblée, qui demande
aux États de ne pas imposer de lourdes exigences administratives
aux ONG et d’éviter toute ingérence dans le droit à la liberté d'association;
une telle ingérence est uniquement acceptable si elle est conforme
aux exigences de nécessité et de proportionnalité énoncées à l’article10.2
de la Convention européenne des droits de l’homme, et ne doit pas
engendrer une discrimination abusive
. De même, les sanctions doivent
uniquement être envisagées en dernier recours et en cas de graves
manquements d'une ONG
. Dans un échange de
lettres
,
avec M. László Kövér, Président de l'Assemblée nationale hongroise,
au sujet du projet de loi sur les ONG financées par des fonds étrangers, le
Commissaire aux droits de l’homme a exhorté les membres de l'Assemblée
nationale à rejeter le projet de loi proposé.
51. Les 16 et 17 juin 2017, la Commission de Venise a adopté un
avis concernant le projet de loi sur la transparence des organisations
recevant de l’aide de l’étranger
, dans lequel elle soutient que la
loi, promulguée le 13 juin 2017, n’intègre qu’en partie les principales
recommandations formulées dans son avis préliminaire
. La Commission de Venise se félicite
de la suppression, dans la loi, de la disposition relative à la
sanction automatique consistant en la «dissolution» en cas de non-respect,
par une association, des obligations imposées par la loi, notamment
la non-déclaration de financements étrangers au-delà d’un certain seuil
annuel. Elle reconnaît que le but d’assurer la transparence de la
part des organisations de la société civile afin de prévenir une
quelconque influence politique étrangère inappropriée, le blanchiment
de fonds et le financement du terrorisme est, en principe, légitime.
Cependant, la Commission de Venise souligne que ce but légitime
ne peut être utilisé pour stigmatiser les ONG ou pour restreindre
leurs capacités d’accomplir leurs activités. Cela constituerait
un dépassement des limites du but légitime de transparence. Les
vastes exceptions à l’application de la loi, notamment celle récemment
ajoutée concernant les organisations des minorités nationales, considérées
ensemble avec la rhétorique négative qui continue à conditionner
la matière, soulèvent un soupçon sur le but réel de cette loi. L’obligation
de mentionner les financements étrangers dans tous les produits
de presse d’une ONG, qui, d’après l’avis, est nettement disproportionnée
et pas nécessaire dans une société démocratique, a été maintenue.
La Commission de Venise regrette également qu’aucune consultation
publique n’ait été organisée avant l’adoption définitive de la loi
. C’est pourquoi
elle considère que les amendements adoptés par le parlement ne suffisent
pas à soulager les inquiétudes selon lesquelles la loi donnerait
lieu à une ingérence disproportionnée et pas nécessaire dans la
liberté d’association et d’expression et dans le droit à la vie
privée et serait contraire à l’interdiction de discrimination.
52. Le 13 juillet 2017, la Commission européenne a ouvert une
procédure d’infraction contre la Hongrie au sujet de sa loi relative
aux ONG bénéficiant de capitaux étrangers, au motif qu'elle a manqué
à ses obligations relatives à la libre circulation des capitaux
,
au droit à la liberté d'association et au droit à la protection
de la vie privée et des données à caractère personnel. Après la
lettre
de mise en demeure envoyée par la Commission le 14 juillet 2017 et l'
avis
motivé émis le 4 octobre 2017, la Commission européenne a formé
un recours contre la Hongrie devant la Cour de justice de l'Union
européenne au sujet de sa loi relative aux ONG bénéficiant de capitaux
étrangers le 7 décembre 2017
.
53. Au cours de la même période, le Parlement hongrois a adopté
un amendement à la loi sur l’enseignement supérieur national imposant
des exigences supplémentaires aux établissements d’enseignement
supérieur implantés en Hongrie. Les exigences s'appliquent à tous
les établissements d’enseignement supérieur étrangers, y compris
ceux qui sont établis dans un pays
de l’Espace économique européen (EEE).
En vertu de la nouvelle réglementation, une université étrangère
ne peut s’implanter en Hongrie que
: s’il existe un accord international
entre le gouvernement hongrois et le gouvernement du pays où l'université
a son siège
;
si elle est reconnue par l'État du siège comme un établissement
d'enseignement supérieur et possède un campus dans l'État d'origine,
à condition que son nom ne soit pas trompeur ou confus et soit différent
du nom des autres établissements d'enseignement supérieur. En outre,
la loi modifie les conditions permettant aux universités étrangères
d'offrir des programmes d'enseignement et des diplômes correspondants
(reconnus par l'État étranger) par l'intermédiaire d'une université
hongroise
. Selon les autorités
,
l'objectif de l'amendement était de corriger les insuffisances constatées
lors de l'examen des établissements d'enseignement supérieur et
d'appliquer le même ensemble de normes à ces institutions. Au total,
24 universités étrangères opèrent en Hongrie. Dans son avis sur
la loi, la Commission de Venise a indiqué que, «officiellement,
la Loi s’applique à l’ensemble de ces 24 universités; concrètement
cela signifie que seules 6 universités, ayant leur siège dans un
pays n’appartenant pas à l’EEE, sont concernées par les modifications.
(...) Le libellé de la Loi est neutre et ne fait référence à aucun
établissement d’enseignement supérieur en particulier. (…) Il est
indéniable que l’Université d’Europe centrale (CEU) est directement concernée
par les nouvelles dispositions
». La loi vise donc
principalement la CEU, qui a été fondée par George Soros et qui
est un symbole du libéralisme («société ouverte»). Cette initiative
législative s'est heurtée à une forte résistance
en Hongrie et en dehors
.
54. Le 27 avril 2017, l’Assemblée a organisé un débat d’urgence
sur le thème «Évolutions inquiétantes en Hongrie: projet de loi
sur les ONG restreignant la société civile et possible fermeture
de l'Université d'Europe centrale», et a adopté sa
Résolution 2162 (2017). Dans cette résolution, elle exprime ses préoccupations
à l’égard du projet de loi sur les ONG qui bénéficient de financements
étrangers. Il est certes incontestable que les sources de financement
des ONG doivent rester transparentes, mais l’Assemblée refuse les
allégations selon lesquelles les organisations de la société civile
servent des groupes d’intérêts étrangers plutôt que l’intérêt public,
et risquent de menacer la sécurité nationale et la souveraineté
d’un pays simplement parce qu’elles obtiennent des financements
de l’étranger d’un montant supérieur à un certain plafond annuel. L'Assemblée
a noté que le projet de loi hongrois n'incluait pas le terme controversé
«agent étranger» ou la référence spécifique et donc discriminatoire
aux ONG qui défendent les droits de l'homme, et qu'il prévoyait
un contrôle judiciaire plutôt qu'administratif. L’Assemblée s’est
inquiétée d’un certain nombre de problèmes soulevés par le projet
de loi hongrois des points de vue de la liberté d’association et
d’expression, ainsi que du droit à la vie privée et, en particulier:
l’absence de consultation du public avant sa présentation au Parlement; l’obligation
pour les ONG bénéficiant de financements étrangers de l’indiquer
sur tous leurs documents publiés ou diffusés; l’obligation pour
les ONG de fournir des informations personnelles détaillées sur
les donateurs étrangers, y compris quand il s’agit de personnes
privées; la gravité des sanctions prévues par le projet de loi, qui
peuvent aller jusqu’à la dissolution d’une association pour non-respect
des obligations administratives; le champ d’application du projet
de loi, qui s’applique à certaines associations mais pas à d’autres,
comme les organisations sportives ou religieuses. L’Assemblée déplore
également le discours généralement accusatoire et stigmatisant de
personnalités hongroises qui ont entouré l’élaboration et la discussion
du projet de loi, ce qui permet de s’interroger sur les motivations
réelles du texte proposé.
55. L’Assemblée s’est aussi inquiétée de l’adoption, par le Parlement
hongrois, des amendements à la loi sur l’enseignement supérieur
national; l’université d’Europe centrale fondée en 1991 et implantée
à Budapest estime qu’elle pourrait la contraindre à cesser ses activités.
Elle a appelé le gouvernement à suspendre l’application de la Loi
sur l’enseignement supérieur national ainsi modifiée en attendant
l’avis de la Commission de Venise, et à entamer un dialogue sur
la question avec la société civile, ainsi qu’avec le Conseil de
l'Europe et d’autres organisations intergouvernementales.
56. Le 26 avril 2017, la Commission européenne a décidé d’engager
une procédure visant la Loi modifiant la Loi sur l’enseignement
supérieur de la Hongrie, concluant que cette loi est incompatible
avec les libertés fondamentales du marché intérieur et notamment
la liberté de prestation de services et la liberté d’établissement,
mais aussi le droit à la liberté académique, le droit à l’éducation
et la liberté d’entreprendre, tels qu’ils sont garantis par la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne. Dans sa Résolution
du 17 mai 2017, le Parlement européen a demandé le déclenchement
de l’article 7(1), et a instamment prié le gouvernement hongrois
d’abroger les lois durcissant les règles à l’encontre des organisations
non gouvernementales, et de parvenir à un accord avec les autorités
américaines afin de permettre à l’Université d’Europe centrale de
continuer à fonctionner à Budapest en qualité d’établissement libre.
Le 13 juillet 2017, la Commission européenne a lancé la deuxième
étape de la procédure d’infraction, en envoyant à la Hongrie un avis
motivé au motif que la loi telle que modifiée n’est pas compatible
avec les règles de l’Union européenne. Les autorités y ont répondu
dans le délai d’un mois imparti. Le 4 octobre 2017, la Commission
européenne a envoyé un avis motivé complémentaire à la Hongrie sur
la loi hongroise relative à l'enseignement supérieur, qui appelle
des clarifications supplémentaires. Le 7 décembre 2017, la Commission
européenne a décidé d'intenter une action contre la Hongrie devant
la Cour de justice de l'Union européenne au motif que la loi hongroise
sur l'enseignement supérieur, modifiée le 4 avril 2017, restreint
de manière disproportionnée le fonctionnement des universités de
l'Union et des pays tiers et doit être mise en conformité avec le
droit de l'Union
.
57. En février 2017, Viktor Orbán aurait déclaré que la lutte
contre «l'empire Soros»
constituait une des trois missions
principales de l'État en 2017
. Cet objectif a
notamment été matérialisé par de nouveaux amendements à la loi sur
l’enseignement supérieur national et au projet de loi sur la transparence
des organisations bénéficiant de financements étrangers.
58. Le 10 avril 2017 – et malgré la pression internationale (l'Union
européenne
,
le Département d'État des États-Unis
,
les Nations Unies
) et celles d’organisations
nationales qui ont signé une pétition en faveur de cette université
– le Président hongrois, János Áder, a signé
l'amendement à la
Loi sur l'enseignement supérieur qui pourrait obliger l'université
d'Europe centrale à fermer ses portes ou à quitter la Hongrie. Les autorités
rappellent
que
le délai a été prolongé jusqu'au 1er janvier
2019 pour permettre aux institutions concernées de remplir les conditions
requises par la loi.
59. Dans un avis adopté en octobre 2017
, la Commission de Venise note qu’en
général, les dispositions de la loi hongroise sur l’enseignement
supérieur sont conformes à la pratique européenne ordinaire, mais critique
le fait que beaucoup d’exigences de cette loi sont trop contraignantes,
voire injustifiées si elles s’appliquent à des universités déjà
existantes. La Commission de Venise reconnaît que les États ont
le droit de réglementer les universités étrangères présentes sur
leur territoire, surtout en l’absence de normes ou de modèles européens
unifiés dans ce domaine, et qu’il appartient aux autorités hongroises
d’évaluer le moment et les modalités de mise à jour d’un tel cadre
pour l’adapter à l’évolution de la situation. Cependant, alors que le
nouveau cadre réglementaire mis en place par la loi peut légitimement
être appliqué aux universités étrangères qui ne fonctionnent pas
encore en Hongrie, il n’en va pas de même pour celles qui existent
déjà. La Commission de Venise considère que la loi a été adoptée
de façon expéditive, ce qui n’a pas permis de mener une procédure
législative transparente et inclusive qui aurait offert comme il
convient la possibilité de consulter toutes les parties intéressées,
alors que cela aurait été bénéfique pour la légitimité démocratique
du texte.
60. Le 17 octobre 2017, le Parlement hongrois a prolongé le délai
octroyé aux universités étrangères opérant dans le pays pour satisfaire
aux critères de la loi jusqu'au 1er janvier
2019. Des négociations sont en cours entre le gouvernement hongrois
et les établissements d'enseignement supérieur étrangers. Tout en
se félicitant de la prorogation de la date limite, le rapporteur
demande la mise en œuvre rapide des recommandations de la Commission
de Venise.
4. Droits
de l’homme et libertés fondamentales
4.1. Centres
de détention, prévention de la torture et des autres mauvais traitements
61. D’après les dernières Statistiques
pénales annuelles du Conseil de l’Europe (SPACE), portant sur les populations
carcérales en 2015 et publiées en mars 2017
, la Hongrie est un des pays dont
les établissements pénitentiaires étaient les plus surpeuplés en
2015. Selon le gouvernement
,
plusieurs mesures ont été prises pour s'attaquer au problème de
la surpopulation carcérale, telles que le renforcement des capacités
des établissements pénitentiaires, l'élargissement du champ d'application
de la réinsertion et l'introduction d'une politique de recours préventif
et compensatoire.
62. La surpopulation a également été confirmée par l’arrêt pilote
rendu le 10 mars 2015 (
Varga et Autres
c. Hongrie ),
ainsi que dans le groupe d’affaires
Istvan
Gabor Kovacs c. Hongrie . Elles concernent toutes des traitements
inhumains et/ou dégradants liés aux mauvaises conditions de détention
des requérants (avant et après leur condamnation) dues au surpeuplement
(violations de l’article 3), et à l’absence de recours préventifs
et compensatoires en la matière (violations de l’article 13 lu conjointement
avec l’article 3). Ce groupe d’affaires fait l’objet d’une surveillance
soutenue du Comité des Ministres
, qui a salué les efforts déjà consentis
par les autorités pour remédier aux causes. Le Comité des Ministres
a appelé à l'intensification du recours aux mesures alternatives
non privatives de liberté et à une diminution du recours à la détention provisoire
. Le 23 novembre 2017, dans l'affaire
Domján c. Hongrie , la Cour européenne
des droits de l'homme a pris note d'une nouvelle loi («Loi de 2016»)
entrée en vigueur en Hongrie le 1er janvier
2017 à la suite de l'arrêt pilote de la Cour dans l'affaire
Varga et Autres c. Hongrie, dans
lequel la Cour demandait à la Hongrie de résoudre un problème généralisé
dû à un dysfonctionnement du système pénitentiaire hongrois. La
Cour s’est félicitée que la loi de 2016 prévoie une combinaison
de mesures de nature corrective, préventive et compensatoire qui
garantissent en principe une réparation effective des violations
de la Convention résultant du surpeuplement des prisons et d'autres
conditions de détention inadéquates en Hongrie. Dans son dernier rapport,
le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants (CPT) a appelé les autorités à réduire le
nombre de personnes incarcérées et exprimé son inquiétude quant
à l'absence d'actions efficaces pour lutter contre le surpeuplement
.
63. Dans l’affaire
László Magyar c.
Hongrie la Cour de
Strasbourg a estimé que la condamnation du requérant à perpétuité
sans possibilité de libération conditionnelle violait l’article
3 (interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants) ainsi que, du fait de la durée excessive de procédure pénale,
l’article 6 (droit à un procès équitable). S’agissant de la violation
de l’article 3, la Cour a constaté un problème structurel. La Cour
a donc demandé de réformer le système de réexamen des condamnations
à perpétuité. Le 18 novembre 2014, le Parlement hongrois a voté
une loi instaurant une libération conditionnelle obligatoire des
condamnés à perpétuité ayant purgé 40 ans de leur peine
. La Cour a déjà eu l’occasion d’évaluer
la conformité des dispositions amendées à l’article 3 de la Convention
dans l’affaire
T.P. et A.T. c. Hongrie . La Cour
a estimé que les peines restaient inhumaines et dégradantes parce
que les condamnés à perpétuité n’avaient aucune perspective de libération;
le système ne pouvait donc pas être considéré comme offrant un espoir
de libération ou une possibilité de réexamen, et restait donc contraire
à l’article 3.
64. Signalons toutefois une initiative de la Hongrie qui mérite
d’être saluée, la ratification du Protocole facultatif à la Convention
des Nations Unies contre la torture, et la mise en place d’un Mécanisme
national de prévention qui dépend du Bureau du Commissaire aux droits
fondamentaux et a débuté ses travaux en 2015. Cette institution
a toutefois indiqué que ses activités sont entravées par un financement
inadéquat
.
4.2. Lutte contre l’intolérance, le racisme,
la discrimination et le discours de haine
65. Le 4 novembre 2000, la Hongrie
a signé le Protocole no 12 à la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 177),
mais elle ne l’a pas encore ratifié.
66. Dans son dernier rapport national
, la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI) du Conseil de l’Europe
a félicité la Hongrie pour les progrès accomplis en matière d’égalité
de traitement, y compris la création d’une Autorité pour l’égalité
de traitement
efficace.
Des progrès ont également été relevés dans l’amélioration des lois
de lutte contre la discrimination. Concernant le discours de haine
dans les déclarations politiques, elle a salué le fait que les parlementaires
peuvent désormais être sanctionnés par une amende et/ou l’exclusion
des débats s’ils tiennent des propos portant atteinte à la dignité d’une
communauté nationale, ethnique, raciale ou religieuse.
67. De nombreuses inquiétudes subsistent malgré tout. Même si
le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales («le Comité consultatif») a constaté, dans
son dernier avis
, un climat généralement respectueux
entre la majorité de la population et la plupart des groupes minoritaires, il
a aussi estimé que les attitudes xénophobes et intolérantes persistent
dans la société hongroise, notamment à l’encontre des Roms. Les
Roms font l’objet de discriminations et d’inégalités structurelles
dans tous les domaines de la vie, et notamment le logement, l’emploi,
l’éducation, l’accès à la santé et la participation à la vie sociale
et politique. Dans sa résolution sur la mise en œuvre de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales par la Hongrie de juillet
2017, le Comité des Ministres formule des recommandations pour action
immédiate à cet égard
. Dans
leurs commentaires
,
les autorités affirment que la stratégie nationale d'inclusion sociale
pourrait entraîner une amélioration significative des conditions
de vie des populations roms. Elles font notamment référence aux
programmes consacrés à l'éducation, à la formation, à l'emploi et
au logement financés par l'État et l’Union européenne et visant
à aider les Roms et d'autres groupes vulnérables.
68. Dans l’affaire pilote
Horváth et
Kiss c. Hongrie de 2013
, qui
fait l’objet d’une surveillance soutenue du Comité des Ministres,
la Cour européenne des droits de l'homme a relevé que la législation
hongroise pertinente, telle qu’elle est appliquée dans la pratique,
n’offre pas de garanties adéquates et provoque une surreprésentation
et une ségrégation dans les écoles spéciales des enfants roms, auxquels
on diagnostique systématiquement un handicap mental, ce qui est
constitutif d’une discrimination au motif de l’origine rom des requérants
(violation du droit à l’éducation, article 2 du Protocole no 1,
lu conjointement avec l’article 14 – interdiction de la discrimination).
69. Le Comité consultatif
et le Commissaire aux
droits de l’homme
constatent que
le problème des Roms dans l’éducation aboutit également à la mise
en place d’un système d’écoles réservées aux Roms qui résulte de
la ségrégation dans le logement, ainsi qu’à des écoles (et pas seulement
des classes) spéciales, et que ces dernières années, malgré les
efforts d’intégration, des ghettos ont (r)ouvert. En 2016, la Commission européenne
a engagé une procédure d’infraction
à
l’encontre de la Hongrie pour la discrimination à l’égard des Roms
dans l’éducation
.
70. Les Roms se heurtent également à de graves obstacles dans
l’accès au logement, et ceux qui souffrent d’une pauvreté extrême
vivent dans la rue. Environ 130 000 Roms vivent dans des ghettos
où les infrastructures de base sont souvent inexistantes. Les Roms
sont également victimes de discrimination dans l’accès aux logements
sociaux
. A cet
égard, le Comité consultatif a déclaré que les maires du parti Jobbik et
les conseils municipaux où le parti Jobbik est majoritaire ont mis
en place des services de sécurité municipaux qui ont durci les règles
d’attribution des logements sociaux et surveillent de près toute
personne qui se voit offrir un travail dans le cadre du programme
d’emploi
. Selon les autorités
,
un office du logement social a été créé et dispose de 30 appartements
à louer. En outre, le service caritatif hongrois de l'Ordre de Malte
a commencé ses activités à Miskolc afin d’aider chaque famille à
trouver un logement convenable et de gérer l’office susmentionné.
71. Le Commissaire aux droits de l’homme a écrit aux autorités
le 26 janvier 2016
pour leur faire
part de ses préoccupations, notamment sur les projets d’expulsion
de plusieurs familles de Roms à Miskolc
.
A cet égard, l’ECRI
a
adressé une recommandation de suivi intermédiaire recommandant vivement
au gouvernement central d’intervenir quand des autorités locales
tentent de contraindre des Roms à quitter des logements sociaux
ou les expulsent de leurs logements, voire les soumettent à des
règles directement ou indirectement discriminatoires en matière
de logement. Un suivi intermédiaire de l’ECRI devrait intervenir
au plus tard en juin 2017.
72. Malheureusement, les déclarations haineuses des politiciens
appartenant aux partis traditionnels ne sont souvent pas, voire
pas suffisamment, condamnées publiquement
, conformément à la
Recommandation
n° R(97)20 du Comité des Ministres sur le discours de haine. A cet
égard, le Commissaire aux droits de l'homme
et l’ECRI
ont recommandé que les
dirigeants de tout le spectre politique du pays prennent fermement
publiquement position pour condamner les diverses formes de discours
de haine.
73. Certains reportages de médias sont ouvertement racistes. Ainsi,
les médias conservateurs présentent souvent les Roms comme biologiquement
différents, avec une tendance innée à la délinquance
. Les autorités ont pris des mesures
contre cette tendance et, dans sa
Résolution 2141 (2017) «Attaques contre les journalistes et la liberté des
médias en Europe», l’Assemblée s’est félicitée des progrès réalisés
dans la lutte contre les expressions racistes et xénophobes dans
les médias, et du dialogue constructif établi entre les autorités
hongroises et la Commission européenne à ce sujet.
74. Tout en saluant les progrès accomplis dans la législation
et la pratique en matière de lutte contre les crimes haineux et
le discours de haine en Hongrie, le Commissaire
a
instamment prié les autorités hongroises de remédier aux lacunes
et, notamment, de mieux enquêter sur les éventuelles motivations racistes
de certains crimes. En outre, le Comité consultatif de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales
et
l’ECRI ont recommandé de modifier le Code pénal en ce sens.
4.2.1. Organisations extrémistes
75. L’existence d’organisations
extrémistes, parmi lesquelles des groupes paramilitaires, est inquiétante;
ils commettent des actes d’intimidation à l’encontre des Roms et
ont des liens avec un parti représenté au Parlement, le mouvement
pour une meilleure Hongrie – Jobbik Magyarországért Mozgalom (le
parti Jobbik)
.
Suite aux élections législatives de 2014, le parti Jobbik a obtenu
20,54 % des voix; il détient actuellement 23 et 199 sièges, soit
11,56 % du parlement
, au sein duquel il est
aujourd’hui le troisième parti. Lors des élections locales d’octobre
2014, le parti Jobbik est arrivé en deuxième position dans 18 comtés
sur 19.
76. La Garde Hongroise est une association créée en 2007 par 10
membres du parti Jobbik, dont son chef, M. Vona. Cette Garde est
un groupe paramilitaire connu pour défiler en formation militaire
dans les villages à forte population rom, avec des uniformes et
des drapeaux rappelant l’ancien mouvement nazi de Hongrie (Croix
fléchée), responsable de l’extermination massive de Roms dans le
pays. Cette Garde a été dissoute par décision judiciaire en 2009
.
Dans l’affaire
Vona c. Hongrie,
la Cour européenne des droits de l'homme a confirmé à l’unanimité
que cette décision ne violait pas le droit à la liberté d’association
(article 11 de la Convention)
.
Plusieurs autres groupes extrémistes restent actifs en Hongrie
.
Après la dissolution de la Garde hongroise, la nouvelle Garde hongroise,
une copie conforme du groupe précédent, a presque immédiatement
vu le jour
. Malheureusement, le parquet ne peut
pas demander la dissolution d’associations non enregistrées comme
des personnes morales, ce qui limite ses moyens d’action contre
les groupes organisés de manière informelle pour mener des activités
extrémistes et racistes
.
77. Par ailleurs, des rapports inquiétants font état d’intimidations
à l’encontre de défenseurs des droits de l’homme par des groupes
d’extrême-droite sur Internet comme dans le monde réel. Je m’associe
à l’appel lancé par l’ECRI
pour
que la Hongrie ratifie le Protocole additionnel à la Convention
sur la Cybercriminalité relatif à l’incrimination d’actes de nature
raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (STE
no 189), qui pourrait faciliter la lutte
contre le discours de haine en ligne. Je salue en outre l’Autorité
des médias pour la création d’une ligne d’appel d’urgence pour signaler
le discours de haine sur internet, même si je suis conscient des
difficultés auxquelles se heurte une telle entreprise, et notamment
du temps nécessaire pour obtenir une décision du tribunal ordonnant
de faire supprimer les contenus litigieux, ce qui rend souvent une
telle initiative inefficace
.
78. Fait positif, le nouveau Code pénal entré en vigueur en 2013
permet à la police de mieux empêcher les groupes paramilitaires
de commettre des violences racistes ou de patrouiller dans les secteurs
habités par des Roms. Les autorités ont malgré tout encore du mal
à gérer certains mouvements extrémistes comme la Nouvelle Garde
hongroise.
4.2.2. Migrants, demandeurs d’asile et réfugiés
79. En raison de sa position géographique,
la Hongrie a connu une flambée des demandes d’asile de la part de
réfugiés fuyant la guerre et la persécution
. Le pic de
cette arrivée en masse de demandeurs d’asile, de réfugiés et de
migrants s’est produit en 2015: quelque 400 000 personnes sont entrées
en Hongrie, ce qui a posé au pays des difficultés d’une ampleur
sans précédent.
80. Selon le Bureau hongrois de l’immigration et de la nationalité
(BIN), sur les 176 637 personnes ayant déposé une demande d’asile
au 24 novembre 2015, 37 % étaient des Syriens et 26 % des Afghans.
81. En réponse à la «crise de la migration de masse», le Parlement
hongrois a approuvé, en juillet 2015, une procédure accélérée et
une liste de pays d’origine sûrs et de pays tiers sûrs
,
en dépit des inquiétudes exprimées par la société civile et le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)
. La grande
majorité des demandeurs d’asile est d’abord arrivée en Hongrie via
la Serbie, qui est considérée comme un pays tiers de transit sûr,
et donc un pays vers lequel les demandeurs d’asile peuvent être
renvoyés, ce qui est contraire à la position adoptée par le HCR
et par la Kúria (Cour suprême de
Hongrie)
.
Par conséquent, il s’en est suivi des «refus quasi automatiques»
des
demandes d’asile, celles-ci ayant pour l’essentiel été décidées
sur des motifs d’irrecevabilité et non sur le fond, et sans contrôle
judiciaire approprié
.
Les autorités hongroises
rappellent
que la législation de l'Union européenne donne aux États membres
de l'Union la possibilité de se prononcer sur la liste des pays
tiers sûrs de manière ad hoc et de modifier les dispositions relatives
aux éléments de preuves appliquées dans la procédure d'asile. Dans
son intervention en qualité de tierce partie devant la Cour européenne
des droits de l’homme, en décembre 2015, le Commissaire aux droits
de l’homme
a
estimé que le droit et la pratique de la Hongrie en matière d’asile n’étaient
pas conformes aux engagements européens et internationaux du pays
en matière de droits de l’homme.
82. En septembre 2015, les autorités hongroises ont érigé une
clôture en fer barbelé aux frontières avec la Serbie et la Croatie
et ont créé des zones de transit. La Hongrie affiche un taux de
rejet des demandes d’asile très élevé. Pour la seule année 2016
, il était de 91,54 %
.
Le Commissaire
a fait
part de son inquiétude au sujet des demandes d’asile traitées par
la procédure à la frontière et a demandé que cette procédure soit remplacée
par un système pleinement conforme aux droits de l’homme, compte
tenu tout particulièrement du fait que les demandes sont désormais
peu nombreuses, mais qu’elles ne sont encore presque jamais examinées
sur le fond. De même, le CPT
a
émis des doutes quant à l’existence de garanties appropriées s’agissant
de permettre à un ressortissant étranger de présenter sa demande
d’asile et quant à l’existence d’une évaluation individuelle du
risque de mauvais traitements en cas d’éloignement. Les autorités hongroises
précisent
que chaque demande d'asile est examinée attentivement et individuellement,
au cas par cas.
83. Selon Amnesty International
, «[l]es autorités
hongroises ont érigé en infraction le “franchissement illégal” de
la clôture frontalière, et créé des ‘zones de transit’ pour les
demandeurs d'asile à la frontière
». Amnesty
International a rappelé que la criminalisation et la détention de
réfugiés et de demandeurs d'asile constituent une violation de la
Convention de 1951 relative au statut des réfugiés
. De l'avis de la
Hongrie
, les
demandeurs d'asile ne sont pas détenus puisqu'ils peuvent librement
quitter la Hongrie en direction de la Serbie.
84. Le 7 mars 2017, des modifications ont été apportées à la loi
hongroise relative à l’asile. Le 17 mai 2017, la Commission européenne
a décidé de faire avancer la procédure de recours en manquement
contre la Hongrie concernant sa législation relative à l’asile,
dans le prolongement de la procédure de recours en manquement qu’elle
avait initiée en décembre 2015. La Commission considère que sur
les cinq problèmes relevés en 2015, trois doivent encore être résolus,
en particulier dans le domaine des procédures d’asile. En outre,
la Commission a relevé de nouvelles incompatibilités dans la législation
hongroise en matière d’asile telle que modifiée par les récents
amendements de 2017 qui portent sur les procédures d’asile, les
règles de refoulement et les conditions d’accueil
. Selon la Commission européenne,
la législation hongroise n’autorise pas la soumission de demandes
d’asile à l’extérieur des zones de transit spéciales situées à la frontière,
et restreint l’accès à ces zones; la Hongrie échoue de ce fait à
fournir un accès effectif aux procédures d’asile sur son territoire.
La limitation du délai d’appel constitue une violation du droit
fondamental à un recours effectif. La Commission s’inquiète de ce
que la Hongrie renvoie des migrants (y compris des demandeurs d’asile)
qui traversent illégalement la frontière avec la Serbie, sans respecter
les procédures et les conditions de la législation de l’Union européenne
sur le retour et l’asile. Enfin, la Commission est convaincue que
le confinement de manière systématique et indéfinie des demandeurs
d’asile, y compris des mineurs de plus de 14 ans, dans des centres
fermés de la zone de transit, au mépris des garanties procédurales
exigées, telles que le droit à un recours, donne lieu à des rétentions
systématiques, qui sont contraires à la législation de l’Union européenne
sur les conditions d’accueil et à la Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne. Le 7 décembre 2017, la Commission européenne
a décidé de poursuivre le cours de la procédure d'infraction à l'encontre
de la Hongrie en ce qui concerne sa législation en matière d'asile,
en lui envoyant un avis motivé
. De l'avis des autorités hongroises
,
l'accès aux zones de transit et aux procédures d'asile n’est pas
limité. Elles affirment que la compétence pour fixer les délais
de recours appartient aux autorités nationales et qu'aucune règle
communautaire concrète n'existe à cet égard. Selon elles, les mineurs
de moins de 14 ans sont emmenés dans des établissements spécialisés.
85. Il convient de noter qu’en 2015, le Commissaire
a déjà demandé aux autorités
d’améliorer les conditions de rétention, d’identifier de façon systématique
les besoins spéciaux des personnes vulnérables et de mettre en place
un contrôle judiciaire effectif de la rétention des demandeurs d’asile,
conformément à la Convention européenne des droits de l’homme.
86. Le 10 avril 2017
, le HCR a instamment demandé la
suspension des renvois de demandeurs d’asile vers la Hongrie en
vertu de «Dublin III» jusqu’à ce que les autorités hongroises alignent
leurs pratiques et leurs politiques sur le droit européen et le
droit international. L’Allemagne a dès lors suspendu jusqu’à nouvel
ordre tout renvoi de demandeurs d’asile vers la Hongrie en vertu
de Dublin III
.
87. Le 17 mars 2017, la Cour européenne des droits de l’homme
a jugé, dans l’affaire
Ilias et Ahmed
c. Hongrie ,
qui concernait la rétention en zone frontalière pendant 23 jours
de deux demandeurs d’asile bangladais et, par la suite, leur expulsion
vers la Serbie, qu’il y avait violation de l’article 5, paragraphes
1 et 4 (droit à la liberté et à la sécurité), étant donné que le
confinement dans la zone de transit équivalait à une rétention,
mais sans décision formelle et raisonnée et sans contrôle judiciaire
approprié. La Cour a aussi conclu à une violation de l’article 13
(droit à un recours effectif) au vu de l’absence d’un recours effectif
qui aurait permis aux deux Bangladais de dénoncer leurs conditions
de rétention. Il y avait aussi violation de l’article 3 (interdiction
de traitement inhumain ou dégradant) compte tenu de l’expulsion
des demandeurs vers la Serbie, dans la mesure où ils n’avaient pas
bénéficié de garanties effectives propres à les protéger de l’exposition
à un risque réel de traitement inhumain ou dégradant. Le 18 septembre
2017, le collège de cinq juges de la Grande Chambre a décidé de
renvoyer l'affaire devant la Grande Chambre de la Cour européenne
des droits de l'homme.
88. Le 14 mars 2017, la Cour européenne a pris une mesure provisoire
(article 39) pour
stopper temporairement le transfert vers des zones de transit de
huit enfants réfugiés non accompagnés et d’une Ougandaise enceinte
présentant un risque élevé, et a demandé aux autorités hongroises
d’indiquer si ces zones étaient prêtes à répondre aux besoins spéciaux
des demandeurs d’asile vulnérables. Les autorités hongroises
ont
déclaré que le Bureau de l'immigration et de l'asile de Hongrie
n'a jamais pris l’initiative de transférer les enfants susmentionnés
et la femme enceinte, qui présentait un risque élevé.
89. S’agissant des allégations d’usage de la force
pour refouler des réfugiés
et des migrants à la frontière, Amnesty International
a demandé aux autorités de veiller
à ce que toute allégation d’usage excessif de la force fasse obligatoirement
l’objet d’une enquête indépendante et impartiale dans les plus courts délais.
De plus, l’organisation a demandé aux autorités de s’abstenir de
recourir à l’armée pour faire la police à la frontière, sauf lorsque
cela est strictement nécessaire et proportionné.
90. À la suite de sa visite ad hoc en Hongrie en 2015, le CPT
a
recommandé qu’un message clair soit délivré à tous les policiers
et à tous les gardes armés travaillant dans des centres de rétention
d’immigrants ou de demandeurs d’asile: toute forme de mauvais traitement
sur des personnes privées de liberté est inacceptable et sera puni
en conséquence. Le CPT a effectué une autre visite ad hoc en Hongrie
du 20 au 26 octobre 2017 pour évaluer la situation des ressortissants
étrangers détenus au titre de la législation sur les étrangers.
Le rapport de la visite n'a pas encore été publié.
91. Le Commissaire
a souligné
qu’il fallait revenir sur les récents changements apportés à la
législation applicable aux migrants, aux réfugiés et aux demandeurs
d’asile, et que toutes les forces de police devaient s’abstenir
d’utiliser un discours rendant les migrants responsables des problèmes
sociaux et de l’insécurité, car cela fait obstacle à l’intégration
des migrants. Les déclarations du Premier ministre hongrois concernant
le danger que poserait l’arrivée des migrants musulmans à la culture
hongroise sont à cet égard inquiétantes
.
92. Le 13 juin 2017, la Commission européenne a lancé une procédure
de recours en manquement à l’encontre de la Hongrie, et contre la
Pologne et la République tchèque, pour avoir refusé de relocaliser
les réfugiés dans leur pays dans le cadre du plan de solidarité
de l’Union européenne. Le 26 juillet 2017, la Commission européenne
a adressé un avis motivé à la Hongrie pour non-respect de ses obligations légales
. Le 7 décembre 2017, la Commission
européenne a décidé de former des recours contre la Hongrie (ainsi
que la République tchèque, et la Pologne) devant la Cour de justice
de l'Union européenne pour non-respect des obligations juridiques
en matière de relocalisation
.
4.3. Droits des femmes, traite des êtres
humains, droits des enfants
93. La Hongrie a signé la Convention
du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à
l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul») en 2014, mais elle ne l’a pas encore ratifiée.
Le document «La violence à l’égard des femmes: une enquête à l’échelle
de l’Union européenne» publié en 2014 par l’Agence des droits fondamentaux
montre que dès l’âge de 15 ans,
28 % des femmes en Hongrie ont connu des violences physiques et/ou
sexuelles et 42 % des femmes ont subi un harcèlement sexuel, d’une
façon ou d’une autre.
94. En dépit des améliorations apportées dans le droit pénal,
la disposition légale concernant la «violence relationnelle» ne
couvre pas tous les types de partenariats intimes ni toutes les
formes de violence (harcèlement par exemple). De plus, la définition
légale du viol ne repose pas sur l’absence de consentement, et bon
nombre des infractions concernant la violence domestique et sexuelle
posent encore comme préalable la participation active de la victime
aux procédures pénales. Il existe des lacunes dans la mise en œuvre
des injonctions d’éloignement, et des ONG ont signalé qu’il n’y
avait pas de collecte de données systématique et accessible sur
le nombre d’enquêtes, de poursuites et de condamnations dans les
cas de violence à l’égard des femmes ou concernant les injonctions
d’éloignement prises
.
95. La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la
traite des êtres humains (STCE no 197)
a été ratifiée par la Hongrie en 2013. En mai 2015, le Groupe d’experts
sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) a publié
le premier rapport d’évaluation
sur
la Hongrie. Tout en saluant les efforts accomplis par la Hongrie
dans la lutte contre la traite des êtres humains, le Groupe d’experts
a mis en avant plusieurs défis à relever, notamment la nécessité
de renforcer la détection des victimes possibles de la traite parmi
les demandeurs d’asile et les migrants en situation irrégulière
ainsi que parmi les victimes de l’exploitation par le travail. Le
rapport note en particulier qu’il n’existe pas de cadre spécifique
pour l’identification des enfants victimes et la fourniture d’assistance
à ces enfants, et il pointe des cas répétés d’enfants étrangers
non accompagnés portés disparus de leurs garderies. Le GRETA a donc
recommandé de renforcer l’efficacité des enquêtes et des poursuites
dans les affaires de traite.
96. Je salue la ratification, en 2015, de la Convention du Conseil
de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels (STCE no 201, «Convention
de Lanzarote»). Cela étant, le Comité des droits de l’enfant des
Nations Unies a noté l’absence de mécanismes permettant d’identifier
et de suivre les enfants risquant de devenir des victimes selon
le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant
se rapportant à la vente d’enfants, à la prostitution des enfants
et à la pornographie impliquant des enfants. Ce même Comité déplore
en outre que l’interdiction de l’usage de châtiments corporels contre
des enfants ne soit pas en vigueur dans les familles et les établissements
scolaires. Le Comité a demandé à la Hongrie de réinstituer les tribunaux
pour mineurs en les dotant de juges spécialement formés et de relever l’âge
de la responsabilité pénale à 14 ans, même pour les crimes les plus
graves.
4.4. Langues minoritaires
97. La Hongrie a ratifié la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148)
en 1995. Le Comité d’experts de la Charte a adopté son dernier rapport
d’évaluation
en mars 2016. Dans son rapport, le
comité félicite la Hongrie pour avoir renforcé ses politiques en
matière de langues minoritaires, ce qui a eu pour effet de débloquer
des fonds supplémentaires en faveur de la grande diversité linguistique
du pays. Il mentionne en outre la législation complexe et détaillée
régissant les politiques sur les minorités nationales et l’utilisation
des 14 langues minoritaires
. Le 14 décembre 2016, le Comité
des Ministres a adopté la Recommandation CM/RecChL(2016)5
sur l’application de la Charte européenne
des langues régionales ou minoritaires par la Hongrie. Il a fait
une série de recommandations concernant l’enseignement des langues minoritaires
et l’utilisation de ces langues dans l’administration et les médias.
5. État de droit
98. En 2016, la Cour européenne
des droits de l’homme a traité 1 225 requêtes concernant la Hongrie,
dont 1 125 qu’elle a déclarées irrecevables ou dont elle n’a pas
poursuivi l’examen (requêtes rayées du rôle). Elle a rendu 41 arrêts,
dont 40 concluaient à au moins une violation de la Convention européenne
des droits de l’homme
.
99. La Hongrie est le huitième État dans la liste des États membres
du Conseil de l’Europe présentant le plus grand nombre d’arrêts
de la Cour non exécutés
. Elle compte une série d’affaires
faisant l’objet d’une surveillance soutenue, notamment concernant
des conditions de détention inhumaines et/ou dégradantes dues essentiellement
à un problème structurel de surpopulation
, des
peines perpétuelles sans possibilité de libération conditionnelle
et des durées de procédure excessives, des abus dans la législation
sur la surveillance secrète et le placement systématique d’enfants
roms dans des écoles spéciales pour enfants atteints de handicaps
mentaux
.
5.1. Pouvoirs et contre-pouvoirs
100. La Constitution hongroise définit
un système élaboré de pouvoirs et contre-pouvoirs. Cela étant, la nomination
de personnes à des postes dans des institutions de l’État sur la
base de leur appartenance à un parti politique a, selon certaines
sources, limité l’autonomie et l’indépendance politique de ces institutions
et affaibli leur fonction de contrôle de l’exécutif. Ces inquiétudes
sont renforcées par le fait que les mandats de certaines personnalités
de premier rang comme le Président de la Cour suprême et l’ex-Médiateur parlementaire
à la protection des données et à la liberté de l’information ont
été révoqués avant leur terme, prétendument dans le cadre des réformes
lancées par le gouvernement
.
Dans l'affaire
Baka c. Hongrie , la Cour a jugé que la cessation
prématurée du mandat du Président de la Cour suprême constituait
une violation de l'article 6.1 (droit d'accès à un tribunal) de
la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 10
(liberté d'expression).
5.2. Antiterrorisme et surveillance
101. La Cour européenne des droits
de l’homme a évalué la législation hongroise sur la surveillance antiterroriste
secrète mise en place en 2011 dans le contexte de l’affaire Szabó et Vissy c. Hongrie.
102. La Cour a conclu que la loi sur la police constituait une
violation de l’article 8 (droit au respect de sa vie privée et familiale,
de son domicile et de sa correspondance), car elle permettait à
l’exécutif d’intercepter toute communication pendant une longue
durée sans les garanties appropriées, telles que la production d’éléments de
preuve, notamment de stricte nécessité, la surveillance judiciaire
appropriée et les recours effectifs, a fortiori de niveau judiciaire,
contre des mesures de surveillance illégales.
103. Cette affaire fait l’objet d’une surveillance soutenue du
Comité des Ministres et les autorités hongroises ont présenté un
plan d’action en février 2017. Le gouvernement a reconnu que des
modifications législatives étaient nécessaires, étant donné que
l’arrêt de la Cour a mis en lumière toute une série de problèmes concernant
le cadre juridique régissant les mesures de surveillance secrètes.
Un examen des besoins et des solutions possibles est en cours. Le
gouvernement a annoncé qu’il présenterait un plan d’action actualisé
d’ici à la fin 2017.
104. En juin 2016, le parlement a adopté le «sixième amendement»
à la Loi fondamentale, qui donne une définition large de l’état
d’urgence au motif d’une «situation de menace terroriste». Amnesty
International s’est inquiétée du fait que cette définition ne respecte
pas les normes internationales, dans la mesure où elle permettrait
au gouvernement d’instaurer des pouvoirs très étendus sans contrôle
judiciaire ou parlementaire complet, et aux forces de sécurité d’utiliser
des armes à feu dans une mesure beaucoup plus large que ne l’autorise
le droit international
.
5.3. Lutte contre la corruption
105. Selon l’indice de perception
de la corruption 2016 de Transparency International, la Hongrie
se situe à 48. Cet indice indique le niveau perçu de corruption
du secteur public sur une échelle allant de 0 (très haut niveau
de corruption) à 100 (très haut niveau d’intégrité). Le pays affiche
une légère baisse de son score, qui a atteint 51 en 2015, 54 en
2014 et 2013, et 55 en 2012. Il occupe la 57e place
sur 176 pays. Selon le Département d’État des États-Unis, il y a
eu de nombreux signalements de corruption au cours de l’année 2016
.
106. Transparency International et K-Monitor ont indiqué que le
pays s’oriente vers une «démocratie gérée» et ont signalé le risque
d’ingérence politique dans les institutions indépendantes, les entreprises
et la société civile. Un certain nombre d’exemples montrent la relation
étroite qui existe entre le gouvernement et des groupes industriels
de premier plan en Hongrie: des privilèges sont accordés à certains
acteurs économiques par des moyens légaux, s’agissant notamment
des concessions de bureaux de tabac et des coopératives d’épargne
(une première vague de nationalisations est suivie d’une seconde
vague de concessions ou de reprivatisations en faveur d’un entrepreneur
qui serait proche du gouvernement)
.
107. Le Groupe d’États contre la corruption (GRECO), dans son quatrième
rapport d’évaluation de septembre 2013, a félicité la Hongrie pour
avoir respecté l’ensemble des recommandations concernant l’incrimination
de la corruption, à la suite des modifications juridiques apportées
au Code pénal et de la ratification du Protocole additionnel à la
Convention pénale sur la corruption (STE no 191)
en février 2015. Néanmoins,
le GRECO s’inquiétait de ce que le processus législatif, lorsqu’il
est appliqué dans la pratique, notamment dans le contexte des réformes
législatives de 2010-2012, n’a pas toujours été guidé par une transparence
et une consultation suffisantes. Par conséquent, l’implication de
tiers n’a pas été perçue comme étant suffisamment transparente.
108. Le GRECO a appelé à la mise en place de codes de conduite
pour les députés, qui puissent leur indiquer la marche à suivre
en cas de conflit d’intérêts. De plus, les députés devraient être
obligés de signaler les conflits d’intérêts de façon ad hoc et cette
disposition devrait être renforcée par l’obligation plus stricte
de soumettre des déclarations de patrimoine
.
Ces mesures devraient être accompagnées de dispositions permettant
d’infliger des sanctions en cas de déclaration de patrimoine erronée.
109. En ce qui concerne la transparence du financement des partis
politiques, le GRECO déplore dans son rapport que la situation n’ait
pas progressé ces dernières années
. Pourtant, plusieurs
évolutions positives ont été saluées: le Bureau d’audit de l’État
a reçu de la main-d’œuvre supplémentaire pour suivre les comptes des
campagnes électorales, et des mesures ont été prises pour assurer
un suivi plus solide et plus efficace
. Cela
étant, des ONG ont fait part de leurs inquiétudes sur le fonctionnement
de cet organisme d’État
.
110. Plus récemment, l’OSCE/BIDDH a noté que, si la nouvelle législation
sur le financement des campagnes adoptée en 2013 va dans le bon
sens, certains domaines ne sont toujours pas réglementés, notamment
la participation de tierces parties aux campagnes (ONG participant
activement à une campagne électorale par exemple) et la non-obligation
pour les partis politiques de rembourser les fonds publics qu’ils
ont reçus s’ils n’obtiennent pas un seuil minimum lors du scrutin.
Les recettes et les dépenses des candidats aux élections ne sont
pas communiquées ni divulguées au cours des campagnes et il n’y
a pas de limite aux dons privés, ce qui est contraire aux lignes
directrices de l’OSCE/BIDDH et de la Commission de Venise sur la
réglementation des partis politiques
.
111. Les autorités
soulignent
que tous les dysfonctionnements n’ont pas été corrigés mais que
la Hongrie a pris des mesures sérieuses pour lutter contre la corruption:
depuis 2010, le gouvernement a mis en place un programme de coopération
nationale pour promouvoir et restaurer la confiance du public dans
l'État et ses institutions et en 2011, le Service de protection
nationale est devenu une institution importante dans le Programme
national de lutte contre la corruption. Elles déclarent qu’au cours
des dernières années, de nouvelles mesures ont été prises pour mettre
en œuvre la recommandation du GRECO et le Groupe de travail sur
la corruption de l’OCDE. Un amendement à la législation réglementant
le financement des campagnes a été adopté le 14 novembre 2017, qui
énonce que les partis qui n’obtiennent pas un seuil minimum de 1 % doivent
obligatoirement rembourser les fonds publics.
5.4. Lutte contre le blanchiment des capitaux
112. Dans son rapport de 2016
, le Comité d’experts sur l’évaluation
des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement
du terrorisme (MONEYVAL) a salué l’augmentation du nombre d’enquêtes
et de poursuites pour blanchiment de capitaux en Hongrie. Cela étant,
il a considéré que, même si la Hongrie est consciente des nombreuses
menaces de blanchiment d’argent et de ses vulnérabilités en la matière,
il serait nécessaire d’analyser plus avant ces menaces et ces vulnérabilités
en mettant à jour l’évaluation des risques du pays. De plus, la
Hongrie n’a pas encore adopté de stratégie nationale de lutte contre
le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Les
poursuites engagées pour blanchiment de capitaux ne sont pas proportionnées
aux risques et aux menaces dans le pays, et elles devraient concerner tous
les types de blanchiment, y compris les dispositifs structurés.
Le comité a en outre considéré que, jusqu’à maintenant, la Hongrie
n’a pas donné la preuve d’une application efficace et réussie de
ses règles de saisie/confiscation, et qu’il conviendrait, à cette
fin, d’exploiter davantage le potentiel du Bureau de restitution
des avoirs dans le cadre du soutien aux enquêtes.
113. MONEYVAL a salué la qualité du travail accompli par le service
de renseignement financier hongrois, qui a largement fait la preuve
de son efficacité. Cela étant, d’autres autorités compétentes n’ont
pas utilisé de manière appropriée les renseignements financiers
issus des enquêtes pour blanchiment de capitaux/financement du terrorisme.
Le comité a demandé à la Hongrie de lever les derniers obstacles
juridiques concernant l’incrimination pleine et entière du financement
du terrorisme, y compris s’agissant des combattants terroristes
étrangers. De plus, MONEYVAL a proposé que soient mises en place
des sections de police spécialisées dans la lutte contre le financement
du terrorisme.
5.5. Indépendance et efficacité de la justice/du
système de justice pénale
114. Les obligations liées à l’adhésion
au Conseil de l’Europe exigent, entre autres, le respect des principes démocratiques,
en particulier l’existence de pouvoirs et de contre-pouvoirs et
l’indépendance de la justice au titre de la prééminence du droit
.
L’indépendance suppose que la justice soit à l’abri de toute pression externe,
mais aussi interne.
115. Par suite des modifications importantes apportées au cadre
juridique en 2011, l’administration des tribunaux a été centralisée
et le président de l’Office national de la justice (ONJ) nouvellement
créé a été doté de pouvoirs très importants
, au détriment d’un
organe judiciaire autonome restructuré
. Des homologues internationaux,
notamment la Commission de Venise
, la Rapporteure
spéciale des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats
et
le GRECO
ont
tous dénoncé ces pouvoirs très importants, en particulier l’absence
d’obligation de rendre des comptes, et ils ont souligné la nécessité
de renforcer le rôle de l’organe collectif, le Conseil national
de la justice (CNJ), en tant qu’instance de contrôle. Le président
de l’ONJ, qui est élu par le parlement, ne peut pas être considéré
comme un organe de l’autonomie judiciaire. À la suite de recommandations
internationales, notamment de la Commission de Venise, le statut
du président de l’ONJ a été modifié et ses pouvoirs ont été limités
de façon à ménager un meilleur équilibre entre le président et l’ONJ
.
116. S’agissant des pouvoirs du président de l’Office national
de la justice, un sujet de grande inquiétude pour la Commission
de Venise a été le transfert des affaires d’un tribunal vers un
autre. Cette possibilité a été annulée par le cinquième amendement
à la Loi fondamentale, qui a été adopté le 16 septembre 2013
, dans le
cadre du dialogue avec le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe.
Le cinquième amendement constitutionnel a apporté la reconnaissance,
dans la Constitution, de la fonction de surveillance du CNJ.
117. Depuis 2012, la Hongrie a pris des mesures positives pour
transférer certaines fonctions du président de l’ONJ vers le CNJ,
et ce pour ménager un meilleur équilibre entre ces deux organes
. Cependant, de nouveaux progrès sont encore
nécessaires. Le CNJ a droit de veto sur les décisions prises par
le président de l’ONJ concernant les nominations judiciaires, et
il conserve un rôle clé dans la sélection, la nomination et la cessation
des postes de la fonction judiciaire
.
Dans son rapport de 2015, le GRECO a appelé à réduire au minimum
les risques de décision discrétionnaire prise par le président de
l’ONJ. Le président de l’ONJ a, entre autres, la capacité de transférer
et d’affecter les juges, et il intervient dans la discipline judiciaire.
C’est aussi lui qui recommande au Président hongrois de nommer et
de révoquer les plus hauts responsables des tribunaux, notamment
les présidents et vice-présidents de la Cour d’appel
. Le GRECO a salué le code d’éthique récemment
adopté à l’intention des juges; il a toutefois considéré qu’il pourrait
être plus précis et qu’il devrait s’accompagner d’une formation
continue
.
118. Dans l’affaire
Baka c. Hongrie , qui fait l’objet
d’une surveillance soutenue du Comité des Ministres du Conseil de
l’Europe, la Cour a constaté une violation de l’article 6.1 de la
Convention en raison de l’absence de toute forme de contrôle judiciaire
concernant la cessation prématurée du mandat du président de la
Cour suprême le 1er janvier 2012, c’est-à-dire
trois ans et demi avant la date d’expiration normale. De plus, la
Cour a également conclu à une violation de l’article 10 (liberté
d’expression) étant donné que la cessation du mandat était la conséquence
des opinions et des critiques sur les réformes législatives concernant
la justice exprimés publiquement par le requérant dans l’exercice
de ses fonctions. Reconnaissant, entre autres, l’«effet dissuasif» des
violations dans l’affaire susmentionnée, le Comité des Ministres
a demandé aux autorités hongroises de
fournir des informations avant septembre 2017 sur les mesures pratiques
prises pour supprimer cet effet, sur la mise en place d’un droit
de recours effectif devant une autorité judiciaire pour examiner
toute mesure aboutissant au renvoi ou à la révocation d’un juge,
et sur les mesures prises ou envisagées pour veiller à ce qu’il
n’y ait plus de cessation prématurée de mandats de juges pour des
motifs similaires, garantissant ainsi l’absence de tels abus.
119. Le ministère public hongrois repose sur un ordre hiérarchique
strict, qui permet aux procureurs de rang supérieur de donner des
instructions à un procureur subordonné, d’annuler une décision d’un
procureur subordonné et de réattribuer ou retirer une affaire. Un
tel système doit être assorti de contrôles appropriés de manière
à prévenir les risques d’irrégularités et de corruption. Dans son
rapport, le GRECO invite instamment les autorités à prendre des
mesures supplémentaires pour prévenir les abus et accroître l’indépendance
du ministère public, notamment en supprimant la possibilité de réélire
le procureur général. Il convient de noter que l’élection d’un nouveau
procureur général peut être bloquée par une minorité de voix au
parlement, auquel cas le procureur général sortant reste alors en
fonction après que son mandat est arrivé à échéance. De plus, le
GRECO demande que les procédures disciplinaires contre les procureurs
ordinaires soient rendues plus transparentes et que les décisions
de retirer une affaire à un procureur pour la confier à un autre
soient dictées par des critères légaux et des justifications stricts
.
5.6. Cour constitutionnelle
120. La Cour constitutionnelle continue
de jouer un rôle institutionnel important, notamment en contrôlant
les attributions des différentes branches du pouvoir. Dans ce contexte,
le président a souvent usé du pouvoir qui est le sien de demander
le contrôle de textes de loi par la Cour constitutionnelle. De précédentes
résolutions de l’Assemblée
ont
souligné les insuffisances introduites par les réformes de la Cour
constitutionnelle. Cela concerne notamment les limitations apportées
aux compétences de la Cour sur les questions budgétaires et de fiscalité,
la suppression du système d’actio popularis
,
l’abrogation de la jurisprudence de la Cour antérieure au 1er janvier
2012, et la limitation apportée au contrôle de la constitutionnalité
des amendements fondamentaux ou respectifs d’un point de vue strictement
procédural. Les autorités
notent
que cette règle ne s'applique que lorsque la dette publique totale
dépasse 50% du produit intérieur brut et s'accompagne de garanties
strictes. La Commission de Venise, dans son avis sur le quatrième
amendement à la loi fondamentale de la Hongrie de juin 2013
, exprime néanmoins de sérieuses
préoccupations quant à la limitation de la compétence de la Cour
constitutionnelle pour réviser la législation.
121. Dans sa
Résolution
2064 (2015), l’Assemblée indique que la limitation de la compétence
de la Cour en matière économique est toujours de mise. Je réitère
la recommandation de l’Assemblée, à savoir que cette limitation
doit être levée et qu’il faut veiller à ce que la Cour constitutionnelle
joue son rôle de gardien à part entière de la Constitution au sein
d’un véritable système de pouvoirs et contre-pouvoirs.
122. Jusqu’à présent, les recommandations formulées par l’Assemblée
dans sa
Résolution 1941
(2013) concernant la mise en place d’une obligation légale
disposant que les juges de la Cour constitutionnelle doivent déjà
avoir occupé des fonctions de juge ainsi que l’introduction d’une
période de pause pour les membres du parlement avant qu’ils ne soient
éligibles en tant que juge à la Cour constitutionnelle n’ont pas
été mises en œuvre. En 2015, les autorités hongroises ont indiqué
qu’elles examineraient plus avant cette question et je les invite
à me communiquer les résultats de leur évaluation. Enfin, je souhaite
souligner que le nouveau système de nomination des juges de la Cour
constitutionnelle sur la base de la représentation parlementaire
des groupes politiques – même s’il n’y a plus de majorité qualifiée
d’un seul parti – ne semble pas écarter la possibilité d’une politisation
de la Cour.
6. Conclusions
et de recommandations
123. Si, à de nombreux égards, la
Hongrie honore globalement les obligations lui incombant en qualité
de membre du Conseil de l'Europe, il reste toutefois des motifs
de préoccupation qui ont conduit l’Assemblée à intensifier ses discussions
concernant le respect des normes de l’Organisation. Bien que les
autorités aient réaffirmé à maintes reprises leur attachement indéfectible
à l’Europe et à sa communauté de valeurs, il est inquiétant d’observer
comment le Gouvernement hongrois s’emploie à bâtir une «démocratie
illibérale» et à appliquer une politique nationale de plus en plus
souverainiste. Certaines des réformes menées récemment sont symptomatiques
de cette ambiguïté et l’accumulation de ces réformes fait craindre
des tentatives de soumettre la plupart des institutions clés à un
contrôle politique, tout en affaiblissant le système d’équilibre
des pouvoirs.
124. Le rapporteur salue la modification du cadre juridique applicable
aux élections qui est intervenue ces dernières années; elle a en
effet contribué à assurer une administration assez efficace des
élections de 2014 et à offrir un vaste choix aux électeurs. Le rapporteur
encourage cependant les autorités à mettre en œuvre les recommandations
de l’OSCE/BIDDH qui sont en suspens, notamment celles qui concernent
le rétablissement de l’équilibre des pouvoirs et la séparation entre
parti politique et État.
125. Le rapporteur regrette que la Hongrie ait reculé ces dernières
années dans les classements mesurant la liberté des médias et déplore
la forte intervention politique sur le marché hongrois des médias.
Il appelle à dépénaliser la diffamation et à promouvoir la transparence
et la responsabilité en matière de droit d’accès à l’information.
126. Le rapporteur partage les inquiétudes exprimées par l’Assemblée
dans sa
Résolution 2162
(2017). Il est préoccupé par des faits récents qui témoignent
d’une stigmatisation croissante des ONG, notamment par l’adoption
de la loi sur la transparence des organisations bénéficiant de financements
étrangers, qui entraîne une ingérence dans l’exercice de la liberté
d’expression et d’association qui n’est ni proportionnée ni nécessaire.
Il préconise de modifier la loi pour la rendre conforme aux normes
européennes.
127. De manière analogue, le rapporteur craint que la modification
de la loi sur l’enseignement supérieur n’ait pour effet de contraindre
l’université d’Europe centrale à fermer ses portes ou à quitter
la Hongrie. Il appelle à revoir la législation conformément aux
recommandations de la Commission de Venise.
128. Tout en saluant la combinaison de recours, de nature préventive
et compensatoire, garantissant en principe un recours véritable
en cas de violations de la Convention européenne des droits de l'homme
causées par la surpopulation carcérale ou par d’autres conditions
de détention inappropriées, le rapporteur reste préoccupé par la
surpopulation carcérale, qui demeure un problème majeur. Les autorités
devraient poursuivre leurs efforts visant à intensifier le recours
aux mesures non privatives de liberté et à réduire au minimum le recours
à la détention provisoire.
129. Le rapporteur salue le renforcement de la politique relative
aux langues minoritaires. Tout en se réjouissant de l’amélioration
des lois de lutte contre la discrimination, il observe avec inquiétude
que des attitudes xénophobes et intolérantes persistent dans la
société hongroise, notamment envers les Roms, et que des propos
hostiles aux migrants sont tenus par les forces politiques.
130. Le rapporteur regrette que les déclarations haineuses de responsables
des partis traditionnels ne fassent pas suffisamment l'objet d'une
condamnation publique. S’il constate avec satisfaction que des progrès ont
été réalisés, en droit et en pratique, dans la lutte contre le discours
de haine et les infractions inspirées par la haine, il exhorte cependant
les autorités à combler les lacunes et à mettre en œuvre les recommandations formulées
dans ce domaine par le Commissaire aux droits de l'homme, l’ECRI
et le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales. Le rapporteur appelle aussi la Hongrie
à ratifier le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité,
relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe
commis par le biais de systèmes informatiques.
131. Tout en reconnaissant que, depuis 2015, la crise migratoire
a pour le pays des conséquences d’une ampleur sans précédent, le
rapporteur note avec inquiétude que le droit et la pratique en matière
d’asile sont considérés comme non conformes aux normes européennes
et internationales. L’incrimination de l’«entrée illégale» via la
clôture frontalière et d’infractions connexes intervenant à la frontière
constitue une mesure très contestable, de même que la création de
«zones de transit» pour les demandeurs d'asile à la frontière; le rapporteur
est préoccupé par les conditions de détention des réfugiés et des
demandeurs d'asile. Également préoccupé par les allégations d’usage
de la force à la frontière, il demande aux autorités de veiller
à ce que toute allégation d’usage excessif de la force fasse l’objet
d’une enquête indépendante et impartiale dans les plus brefs délais.
En outre, il exhorte les autorités à établir un système d’asile
pleinement conforme aux droits de l'homme.
132. Le rapporteur salue les mesures prises pour lutter contre
la corruption et encourage les autorités à continuer à mettre en
œuvre les recommandations du GRECO, notamment celles qui concernent
les codes de conduite pour les députés et la transparence du financement
des partis politiques.
133. Dans le domaine judiciaire, le rapporteur prend note des dispositions
positives visant à renforcer le rôle du Conseil national de la justice
en tant qu’instance de contrôle. Il appelle à adopter des mesures
pour réduire le risque de décisions discrétionnaires du président
de l’Office national de la justice et pour renforcer l’indépendance
du ministère public.
134. Compte tenu des considérations ci-dessus, le rapporteur est
préoccupé par l'accumulation de réformes visant à établir un contrôle
politique sur la plupart des institutions essentielles tout en affaiblissant
le système d'équilibre des pouvoirs. Il est également préoccupé
par plusieurs questions de droits de l'homme mentionnées plus haut.
Il se réjouit néanmoins de la volonté des autorités de poursuivre
leur dialogue avec le Conseil de l'Europe pour traiter les questions
en suspens. Il juge important que la commission de suivi suive de
près l’évolution de la situation dans le pays à cet égard.
135. La commission évaluera la mise en œuvre de ces recommandations
à l’occasion de son prochain cycle d’examen périodique des États
membres qui ne font pas l’objet d’une procédure de suivi au sens
strict et qui ne sont pas engagés dans un dialogue postsuivi.