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Résolution 2200 (2018)

La bonne gouvernance du football

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 24 janvier 2018 (5e séance) (voir Doc. 14452, rapport de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, rapporteure: Mme Anne Brasseur). Texte adopté par l’Assemblée le 24 janvier 2018 (5e séance).

1. Trop peu d’argent nuit au football, trop d’argent tue le football. Il faut éviter que le football ne s’autodétruise. Le football, c’est bien plus que de marquer des buts et remporter des victoires et des titres. L’Assemblée parlementaire est d’avis que la gouvernance du sport, et celle du football en particulier, doit se fonder sur les valeurs de la démocratie, des droits de l’homme et de la primauté du droit, ainsi que sur les valeurs du vivre ensemble, telles que la tolérance, le respect, le fair-play et la solidarité. Afin que le football – et le sport en général – puisse être vecteur de ces valeurs et contribuer à leur sauvegarde et à leur diffusion, il faut que tous les acteurs, à savoir les dirigeants, les joueurs, les agents, les sponsors et les partenaires commerciaux entre autres, ainsi que les représentants des pouvoirs publics, soient au-dessus de tout soupçon et qu’ils aient un comportement irréprochable.
2. Cependant, la réalité est bien différente. Dopage, paris illicites et manipulation des résultats sportifs, violences et propos racistes, harcèlement sexuel et discrimination de genre, connections douteuses du sport avec les hautes sphères politiques, corruption, malversations financières, cas d’évasion fiscale et autres scandales continuent à faire la une dans les médias. Souvent des considérations d’ordre géopolitique influencent des prises de décision. Le football ne peut pas être une zone de non-droit; il faut lutter contre ces fléaux et les éradiquer. Cela demande plus d’efforts et de détermination de la part de tous les partenaires. Il faut assurer une réelle indépendance des organes de contrôle chargés de détecter et de sanctionner les violations de l’éthique sportive, car cette indépendance est indispensable à la bonne gouvernance du sport.
3. Le football n’appartient à personne; il appartient à tout le monde. Les autorités publiques doivent prendre leurs responsabilités pour mettre un terme à la démesure financière dans laquelle le football s’égare. Il faut en finir avec la tendance à cacher, à ignorer, à minimiser, à bagatelliser les dérives. Non seulement les excès auxquels nous assistons sont socialement inacceptables, mais ils engendrent aussi des déséquilibres tellement prononcés que les fondements du football en sont sapés. Toutes les parties concernées doivent coopérer pour parvenir à un changement de culture. L’Assemblée est déterminée à collaborer avec tous les acteurs afin de prôner ce changement et d’éviter que le football ne s’autodétruise.
4. Face à la puissance des organisations sportives et en présence d’enjeux économiques colossaux, les pouvoirs publics vacillent. D’un côté, ils hésitent à intervenir sous prétexte de l’autonomie sportive, alors que ce principe ne saurait justifier que le sport soit une zone de non-droit; d’un autre côté, ils oublient ce principe lorsque leurs représentants siègent dans les instances dirigeantes sportives. En outre, ils sont prêts à déroger au droit commun et à accepter des conditions imposées par les organisateurs afin de pouvoir accueillir de grandes manifestations sportives. Il est donc impératif de s’interroger sur les interactions et interférences entre la politique, les affaires et le sport.
5. L’Assemblée constate des avancées en ce qui concerne, entre autres, les systèmes de gouvernance de la Fédération internationale de football association (FIFA) et de l’Union des associations européennes de football (UEFA), leur engagement dans la lutte contre les discriminations et dans la promotion de la tolérance et du respect, leurs politiques sur l’égalité des genres et leurs actions de responsabilité sociale. Néanmoins, elle constate aussi que nombre de problèmes persistent. Il faut assurer la mise en œuvre effective des réformes et les compléter, y compris en œuvrant pour un changement en profondeur de la culture de gouvernance à tous les niveaux, afin que celle-ci soit solidement fondée sur le respect des droits de l’homme et la primauté du droit, la démocratie interne et la participation, la transparence et la responsabilité, l’adhésion sans réserve aux valeurs éthiques les plus élevées, la solidarité et le souci du bien commun.
6. L’Assemblée salue les progrès que la FIFA et l’UEFA ont accomplis dans l’intégration des droits de l’homme dans leur système de gouvernance, y compris l’inclusion de critères concernant la protection des droits de l’homme dans les processus de sélection des pays hôtes des grands événements sportifs et dans les procédures d’appel d’offres pour la sélection des partenaires commerciaux. L’Assemblée est satisfaite des suites données à sa Résolution 2053 (2015) sur la réforme de la gouvernance du football.
7. La responsabilité de sauvegarder efficacement les droits de l’homme incombe au premier chef aux autorités publiques; néanmoins, toutes les organisations sportives ont un rôle à jouer à cet égard et doivent influencer positivement l’attitude des pays hôtes des événements sportifs. L’Assemblée se réjouit des initiatives concrètes prises par la FIFA pour le suivi et l’amélioration des conditions de travail sur les chantiers des Coupes du monde 2018 en Russie et 2022 au Qatar. Cependant, la situation des travailleurs immigrés au Qatar reste très préoccupante, même si des progrès ont été enregistrés sur les chantiers de la Coupe du monde 2022. Des problèmes concernant les droits des travailleurs se posent également en Russie. L’Assemblée est confiante que la FIFA continuera à œuvrer afin que les améliorations obtenues dans ces deux pays soient consolidées et qu’elles puissent bénéficier à tous les travailleurs et pas seulement à ceux employés sur les chantiers relatifs au football.
8. L’Assemblée est d’avis que tous les partenaires doivent œuvrer ensemble pour la promotion des droits de l’homme dans le sport et par le sport, et elle prône dès lors une collaboration plus étroite entre les organisations sportives et les organisations internationales actives dans le domaine des droits de l’homme, aux niveaux mondial et régional. Elle se félicite de la création au sein de la FIFA d’un Conseil consultatif des droits de l’homme et espère qu’une collaboration avec le Conseil de l’Europe et avec l’Assemblée elle-même pourra s’établir en ce qui concerne la protection des mineurs, la lutte contre le racisme et la discrimination, et la promotion de l’égalité des genres. De même, l’Assemblée salue les négociations en cours entre l’UEFA et le Conseil de l’Europe pour la conclusion d’un protocole d’accord, et elle est prête à collaborer aux actions qui seront mises en œuvre pour renforcer la protection des droits de l’homme et pour promouvoir la bonne gouvernance et l’éthique sportive en Europe.
9. Pour avancer dans ces domaines, l’Assemblée compte sur la collaboration non seulement de la FIFA et de l’UEFA, mais aussi d’autres partenaires importants comme l’Association des ligues européennes du football professionnel (European Professional Football Leagues-EPFL), l’Association européenne des clubs (European Club Association-ECA) et la Fédération internationale des footballeurs professionnels (FIFPro). L’Assemblée remercie ces cinq organisations pour leurs contributions à ses travaux.
10. En ce qui concerne l’exigence d’assurer au sein des organisations sportives l’indépendance des organes décisionnels du pouvoir politique, mais aussi une réelle indépendance des organes de contrôle interne vis-à-vis des organes décisionnels, l’Assemblée recommande à la FIFA, à l’UEFA, au Comité international olympique (CIO) et aux organisations sportives internationales:
10.1. de prévoir dans leurs statuts une règle interdisant à toute personne membre d’un gouvernement, ou ayant une charge au sein de structures gouvernementales, de siéger au sein de leurs organes décisionnels;
10.2. de revoir leurs réglementations relatives aux organes de contrôle qui veillent au respect des normes éthiques et de bonne gouvernance, afin d’assurer une indépendance effective – formelle et substantielle – des membres de ces organes, en particulier de leurs présidents. À cet égard, il faudrait prévoir des procédures ouvertes, transparentes et objectives de sélection des candidats à ces fonctions et limiter le rôle des organes de direction dans les procédures de nomination et de révocation; il faudrait également prévoir, outre une durée limitée des mandats, le principe d’un renouvellement partiel, afin qu’au moins un tiers des membres restent en fonction à chaque renouvellement, pour assurer la continuité des travaux de ces organes;
10.3. de faire diligence afin de sanctionner les responsables de malversations ou d’influence indue, et de veiller à mettre en place des mécanismes efficaces pour lutter contre la corruption.
11. En ce qui concerne la protection des droits de l’homme et en particulier la protection des mineurs, et la promotion de l’égalité des genres et du développement humain de tous les joueurs de football, l’Assemblée recommande:
11.1. à la FIFA:
11.1.1. d’inciter les autorités qataries à assurer que les normes de bien-être des travailleurs applicables aux travailleurs employés sur les chantiers de la Coupe du monde 2022 s’appliquent à tous les travailleurs;
11.1.2. de concevoir les programmes de soutien – en particulier le programme Forward – de manière à promouvoir le développement humain des joueurs, en liant l’attribution des fonds distribués au titre de ces programmes à l’obligation de donner aux jeunes footballeurs une éducation et une formation professionnelle;
11.2. à la FIFA et à l’UEFA, chacune dans le cadre de ses compétences:
11.2.1. d’instaurer des contrôles efficaces du respect des obligations que les pays candidats à l’organisation des grandes compétitions de football et les associations nationales de football assument;
11.2.2. d’insister auprès des gouvernements des pays hôtes sur la nécessité de sauvegarder les droits civils et politiques fondamentaux, en particulier la liberté d’expression – y compris la liberté des médias – et la liberté de réunion pacifique, et cela non seulement en relation avec leurs compétitions, mais aussi au-delà;
11.2.3. d’assurer que tous les cas de manquements graves aux droits de l’homme, y compris les droits des travailleurs, par des sociétés privées impliquées dans l’organisation de leurs compétitions, à commencer par celles qui construisent les stades et les infrastructures, sont rendus publics et que des sanctions effectives sont appliquées lorsque les mesures de suivi recommandées par les organes de contrôle ne sont pas mises en œuvre; les gouvernements des pays hôtes doivent assumer cette responsabilité;
11.2.4. d’assurer le respect des normes établies en matière de transferts pour prévenir un «commerce d’enfants» et de réfléchir, en collaboration avec le Groupe d'experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), sur des mécanismes et des mesures nécessaires pour mettre un terme à la chaîne de «transferts forcés» de joueurs mineurs, qui relève de la traite des êtres humains;
11.2.5. de lancer un processus de réflexion concernant la protection des joueurs mineurs et la promotion de leur éducation, ainsi que la promotion de l’égalité des genres dans et par le football, en tenant compte des propositions spécifiques formulées dans le rapport sur «La bonne gouvernance du football» (Doc. 14452) et de la Recommandation CM/Rec(2012)10 du Comité des Ministres aux États membres sur la protection des enfants et des jeunes sportifs contre des problèmes liés aux migrations;
11.2.6. de promouvoir l’adoption par leurs associations membres de règles statutaires afin d’assurer, dans leurs comités exécutifs et leurs commissions permanentes, une représentation féminine au moins proportionnelle au nombre de licenciées, avec un nombre minimal de places réservées aux femmes dans tous les cas;
11.2.7. d’accroître les ressources affectées aux programmes d’éducation et le soutien financier aux projets éducatifs lancés par les associations nationales;
11.2.8. de renforcer le soutien financier aux programmes de formation visant à promouvoir le leadership des femmes au niveau national et à augmenter le nombre d’entraîneurs et d’arbitres féminins;
11.2.9. d’utiliser un pourcentage plus élevé de leurs ressources pour promouvoir le football féminin, notamment dans les pays dont les associations sont moins riches, en étudiant des formes de collaboration avec les associations nationales;
11.2.10. de lancer une campagne d’information pour combattre le harcèlement sexuel et la discrimination de genre.
12. L’Assemblée demande à la FIFA de faire diligence et de faire toute la lumière sur les dernières procédures d'attribution de la Coupe du monde, en particulier sur la procédure concernant la Coupe du monde 2022 au Qatar, qui semble être entachée de graves irrégularités.
13. L’Assemblée appelle la FIFA et l’UEFA à ne pas perdre de vue ses recommandations précédentes, auxquelles il n’y a pas encore eu de suites satisfaisantes. En particulier, la FIFA et, plus généralement, toutes les grandes organisations sportives devraient envisager la séparation des pouvoirs réglementaires et des activités commerciales, avec l’établissement d’une société filiale responsable de la gestion des activités commerciales.
14. En ce qui concerne la promotion de la bonne gouvernance et des valeurs sportives, la protection des droits des joueurs professionnels et une réflexion sur les excès financiers dans le monde du football, l’Assemblée estime qu’il est indispensable que tous les partenaires travaillent ensemble sur ces questions. Elle invite la FIFA et l’UEFA à établir un groupe de travail conjoint pour discuter du fair-play financier, des limitations des sommes pour les transferts, du plafond salarial des joueurs, de la propriété des joueurs et des transferts, du statut des agents et des intermédiaires et d’autres questions, en y associant les autres parties prenantes.
15. L’Assemblée appelle la Commission européenne et l’Accord partiel élargi sur le sport (APES) à participer à ce groupe de travail une fois établi et confirme sa disponibilité à contribuer à une réflexion commune.
16. L'Assemblée demande à la FIFA, à l’UEFA et aux organismes représentatifs des ligues, des clubs et des joueurs aux niveaux national et international de prendre en considération l’expertise du Groupe d'États contre la corruption (GRECO) afin d’améliorer, là où il y a lieu, leurs procédures de contrôle interne ainsi que pour renforcer le contrôle d’opérations de transferts douteuses.
17. L’Assemblée appelle les instances de l’Union européenne, en concertation avec le CIO, la FIFA, l’UEFA et le Conseil de l’Europe, à examiner la faisabilité et à promouvoir la mise en place d’un observatoire indépendant chargé d’évaluer la gouvernance des organismes de football, en mettant l’accent, entre autres, sur l’éthique et l’intégrité des élections. Cela ne conférerait pas à cet observatoire le pouvoir de gouverner le sport, mais de veiller à ce que les principes de bonne gouvernance soient effectivement appliqués et partagés.
18. L’Assemblée demande aux autorités publiques de se concerter avec les organismes sportifs internationaux, plus particulièrement avec la FIFA et l’UEFA, afin de veiller à ce que le droit commun soit appliqué en ce qui concerne les questions financières et fiscales.