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Rapport | Doc. 14525 | 09 avril 2018

La tuberculose pharmacorésistante en Europe

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Serhii KIRAL, Ukraine, CE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14164, Renvoi 4250 du 25 novembre 2016. 2018 - Deuxième partie de session

Résumé

Ces dernières années, la tuberculose a gagné en importance dans les agendas politiques, compte tenu de la menace grandissante que représente la résistance aux antimicrobiens qui a des conséquences négatives sur le traitement de la maladie. Le phénomène est particulièrement préoccupant dans la Région européenne de l’Organisation mondiale de la santé, qui présente les taux de tuberculose multirésistante les plus élevés au monde. Ce rapport – qui est la contribution de l’Assemblée parlementaire à la réunion de haut niveau de l’Organisation des Nations Unies consacrée à la tuberculose qui sera tenue en septembre 2018 – identifie les facteurs sous-jacents à l’épidémie en Europe, et met l’accent sur un certain nombre de difficultés propres à la Région et sur les bonnes pratiques. Il souligne également les raisons pour lesquelles il y a un manque d’investissements dans la recherche et le développement de nouveaux médicaments, outils de diagnostic et vaccins contre la tuberculose.

Pour répondre à ces problèmes, un certain nombre de solutions clés sont proposées: la détection précoce de la tuberculose ainsi qu’un traitement préventif pour les groupes socialement vulnérables, qui sont confrontés à un risque plus élevé d’exposition et d’infection; des mesures d’encouragement et de récompense de l’innovation; un traitement approprié et des services de prise en charge, notamment un soutien psychosocial pour les patients, en vue de réduire le poids de la maladie et d’améliorer l’observance du traitement. Par ailleurs, tous les chefs d’État des États membres du Conseil de l’Europe sont vivement encouragés à assister à la réunion de haut niveau des Nations Unies.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adoptée à l’unanimité par la commission le 20 mars
2018.

(open)
1. La tuberculose a provoqué 1,7 million de décès dans le monde en 2016, ce qui en fait la maladie infectieuse la plus meurtrière au monde. La Région européenne de l’Organisation mondiale de la santé, où on pensait que la maladie appartenait au passé, présente les taux de tuberculose multirésistante les plus élevés au monde. Il s’agit des souches dont le traitement est particulièrement difficile et coûteux.
2. La tuberculose est une maladie «sociale» qui touche, de manière disproportionnée, les groupes socialement et économiquement défavorisés, comme les sans-abri et les consommateurs de drogues. Elle a souvent un effet dévastateur sur la vie des patients, qui sont confrontés à des mois, voire des années, de traitements souvent lourds aux effets secondaires multiples, nombre d’entre eux finissant par souffrir des conséquences physiques et psychologiques à long terme de la maladie.
3. Les taux élevés de tuberculose multirésistante dans la Région européenne s’expliquent par un certain nombre de facteurs pouvant varier d’un pays à l’autre, notamment des politiques de santé publique dépassées, des infrastructures sanitaires insuffisantes et sous-financées, et un grand nombre de patients non diagnostiqués, qui sont autant de facteurs contribuant à la transmission de la maladie. La stigmatisation liée à la tuberculose et l’isolement social qui en résulte, entraînent souvent la non-observance du traitement, qui est un des principaux facteurs de la pharmacorésistance. Les personnes vivant avec le VIH, les détenus, les réfugiés et les migrants représentent des groupes particulièrement vulnérables dans la Région, avec des risques accrus de morbidité et de mortalité dus à la tuberculose.
4. L’on constate un manque important d’investissements dans la recherche et le développement de nouveaux médicaments, d’outils de diagnostic et de vaccins contre la tuberculose. Le modèle actuel d’innovation pharmaceutique n’incite pas suffisamment à investir dans une maladie comme la tuberculose: c’est un domaine risqué et coûteux, car il implique dans l’idéal d’investir dans de nouveaux traitements combinés plutôt que dans un seul produit, et un domaine qui n’est pas rentable car la charge la plus lourde de la maladie est supportée par les régions les plus pauvres au monde.
5. L’Assemblée parlementaire se félicite que la tuberculose fasse l’objet d’une attention sans précédent lors de la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies qui se tiendra en septembre 2018. Il s’agit d’une occasion historique de combattre cette maladie, encore négligée, que l’on peut prévenir et (le plus souvent) guérir, de sauver des millions de vies, et d’éviter des coûts importants pour l’économie mondiale. Il convient donc de tout mettre en œuvre pour maximiser l’impact de cette prochaine réunion de haut niveau.
6. Compte tenu de ces considérations, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
6.1. à faire en sorte que chaque patient tuberculeux soit diagnostiqué efficacement (y compris par rapport aux différentes souches de la maladie) et ait accès à un traitement et des soins appropriés, ainsi qu’à des services de prise en charge complémentaires, notamment à un soutien psychosocial, en vue de réduire le poids de la maladie sur sa vie et d’améliorer l’observance du traitement;
6.2. à dispenser des services de santé intégrés et centrés sur le patient, notamment:
6.2.1. en garantissant une collaboration efficace entre toutes les parties impliquées dans la riposte à la tuberculose, y compris les organismes publics, les autorités locales et les organisations de la société civile;
6.2.2. en prenant en charge la tuberculose principalement dans des structures ambulatoires et communautaires, avec des mesures appropriées de contrôle des infections;
6.2.3. en impliquant les organisations de la société civile dans le suivi des patients et le soutien au traitement;
6.3. à améliorer les mécanismes de détection précoce de la tuberculose en investissant dans la recherche active des cas de tuberculose parmi les groupes socialement vulnérables, qui sont confrontés à un risque plus élevé d’exposition et d’infection, dont les prisonniers, les personnes vivant avec le VIH, les réfugiés et les migrants, et orienter le traitement préventif vers ces groupes afin d’éviter que la tuberculose latente ne devienne active;
6.4. à investir dans la recherche et le développement de nouveaux médicaments, diagnostics et vaccins contre la tuberculose, y compris par des mesures d’encouragement et de récompense de l’innovation;
6.5. à développer, financer et mettre en œuvre une stratégie nationale spécialement adaptée à la tuberculose;
6.6. à lutter contre la stigmatisation associée à la tuberculose en brisant les mythes et en sensibilisant aux réalités de la maladie;
6.7. à continuer à mettre en avant l’impact de la résistance aux antimicrobiens sur la tuberculose et à soutenir les efforts au niveau international en vue d’éviter sa progression.
7. L’Assemblée encourage vivement tous les chefs d’État des États membres du Conseil de l’Europe à assister à la réunion de haut niveau des Nations Unies sur la lutte contre la tuberculose organisée en 2018.
8. Enfin, soulignant le lien indissociable entre la tuberculose et la pauvreté, l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe à redoubler d’efforts pour réduire les inégalités mondiales et régionales. Elle rappelle, à cet égard, sa Résolution 1975 (2014) «Intensifier les efforts de lutte contre les inégalités au niveau mondial: la contribution de l’Europe au processus des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD)».

B. Exposé des motifs, par M. Serhii Kiral, rapporteur

(open)

1. Introduction

«Lorsque vous êtes atteint d’un cancer, tout le monde a de la peine pour vous. Mais lorsque vous avez la tuberculose, les gens ont peur, ils vous traitent avec mépris.»

Olga Klymenko, ancienne patiente tuberculeuse

1.1. Procédure

1. Le 11 octobre 2016, la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable a déposé une proposition de résolution intitulée «Étude sur la résistance aux antimicrobiens qui se propage en Europe». La proposition a été renvoyée à la commission pour rapport et, en ma qualité d’initiateur, j’ai été désigné comme rapporteur le 26 janvier 2017.
2. La résistance aux antimicrobiens (RAM) désigne le processus par lequel les bactéries évoluent et deviennent résistantes aux médicaments utilisés pour traiter les infections qu’elles provoquent, ce qui rend ces médicaments inefficaces. Dans une note introductive présentée en avril 2017, j’ai souligné que la tuberculose est à l’origine d’un tiers des décès dus à la RAM dans le monde et que l’épidémie de tuberculose pharmacorésistante progresse plus vite en Europe que dans toute autre partie du monde. En septembre 2017, la commission a organisé une audition avec la participation de Mme Olga Klymenko, ancienne patiente tuberculeuse, originaire d’Ukraine, des experts de l’Organisation de coopération et de développement économiques et du Caucus mondial sur la tuberculose 
			(2) 
			Le Caucus mondial sur
la tuberculose est un réseau international regroupant plus de 2 300
parlementaires de 133 pays qui s’emploient, collectivement et individuellement,
à lutter contre l’épidémie de tuberculose.. Cette audition a révélé l’ampleur réelle des souffrances causées par la maladie, et en particulier son impact social, économique et psychologique sur les patients. En décembre 2017, compte tenu du renforcement de l’engagement politique de ces dernières années et dans les années à venir en matière de lutte contre la tuberculose (voir ci-dessous) et de la charge particulièrement lourde de la maladie en Europe en ce qui concerne la tuberculose multirésistante (TB-MR), j’ai proposé que le rapport mette l’accent sur la TB pharmacorésistante, ce que la commission a finalement approuvé.
3. Pour préparer ce rapport, j’ai effectué des visites d’information en Azerbaïdjan et en Norvège, pays dans lesquels j’ai organisé des réunions avec les diverses parties impliquées dans la riposte nationale à la TB, notamment des parlementaires, des représentants du gouvernement et de la société civile et des experts médicaux. Ces visites m’ont permis de comprendre comment ces deux pays, dans lesquels l’incidence de la TB est très différente, s’attaquent au problème et d’identifier certaines bonnes pratiques. Je tiens à remercier toutes les parties impliquées dans les discussions pour leurs précieuses contributions ainsi que les délégations des deux parlements et leurs secrétariats pour l’excellente organisation de mes visites.

1.2. La tuberculose dans les agendas politiques

4. En septembre 2016, les dirigeants internationaux se sont réunis, dans le cadre d’une réunion de haut niveau des Nations Unies, afin d’examiner la réponse à la RAM et ils sont convenus que la communauté internationale devait prendre des mesures urgentes pour prévenir sa progression. Ce phénomène menace, en effet, l’efficacité du traitement de nombreuses infections courantes, dont la TB. Quelques mois plus tard, constatant l’impact de la RAM, en particulier sur le traitement de la TB, l’Assemblée générale des Nations Unies a décidé d’organiser en 2018 une réunion de haut niveau sur la lutte contre la TB 
			(3) 
			Résolution
A/71/L.41 adoptée le 15 décembre 2016. La TB a été également mise
en exergue dans le cadre des travaux consacrés à la RAM par le G7
et le G20 (qui comprennent notamment la l’Allemagne, France, l’Italie
et le Royaume-Uni et, pour le G20, l’Union européenne). Voir la
déclaration des dirigeants du G20: «Formons un monde interconnecté»,
Hambourg, 8 juillet 2017; «United towards Global Health: Common
Strategies for Common Challenges», Communiqué des ministres de la
Santé du G7 à Milan, 5-6 novembre 2017..
5. En novembre 2017, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a organisé une conférence ministérielle mondiale intitulée «Mettre fin à la tuberculose à l’ère du développement durable», lors de laquelle les ministres de la Santé du monde entier se sont réunis pour discuter sur la façon de répondre à l’épidémie. La conférence a abouti à l’engagement collectif de redoubler d’efforts sur quatre fronts: parvenir à la couverture sanitaire universelle en renforçant les systèmes de santé et en améliorant l’accès à une prévention de la TB et à des soins centrés sur le patient; mobiliser un financement suffisant et durable pour combler les lacunes dans la mise en œuvre et la recherche; faire progresser la recherche et le développement de nouveaux outils pour diagnostiquer, traiter et prévenir la TB; et renforcer la responsabilisation par le biais d’un cadre permettant de suivre et d’examiner les progrès accomplis en vue de mettre fin à la TB.
6. La réunion de haut niveau des Nations Unies consacrée à la TB marquera une étape sans précédent pour les gouvernements et toutes les parties engagées dans la lutte contre la TB. Elle offre l’opportunité historique d’appeler à une déclaration politique ferme et ambitieuse, qui donnerait l’impulsion nécessaire à des mesures concrètes pour mettre fin à la TB et ainsi sauver des millions de vies. Le présent rapport est une contribution de l’Assemblée parlementaire à cette première réunion de haut niveau des Nations Unies consacrée à la TB.

2. La tuberculose, maladie infectieuse la plus meurtrière au monde

«La tuberculose est une maladie qui affecte tous les aspects de votre vie, pas seulement votre santé»

Stefan Radut, patient tuberculeux

2.1. Tuberculose: les faits 
			(4) 
			En ce
qui concerne les informations factuelles relatives à la TB, voir
les sites internet de l’OMS et de l’OMS/Europe.

7. La TB est une maladie infectieuse transmise par voie aérienne, causée par la bactérie Mycobacterium Tuberculosis, qui se propage par la toux ou les éternuements et qui touche généralement les poumons même si la bactérie de la TB peut être présente et provoquer la maladie dans n’importe quelle partie du corps. Les symptômes sont notamment une toux persistante, une perte de poids, de la fièvre, des douleurs et de la fatigue, même si d’autres symptômes non-spécifiques peuvent se manifester, particulièrement chez les enfants. En 2016, la TB a provoqué 1,7 million de décès dans le monde, dont 250 000 enfants, ce qui en fait la maladie infectieuse la plus meurtrière au monde.
8. Le traitement de la TB standard (ou sensible au traitement) dure au moins six mois et comprend une association d’antibiotiques (protocole). La tuberculose multirésistante (TB-MR) est une forme de la maladie due à des bactéries ne réagissant ni à l’isoniazide ni à la rifampicine, les deux médicaments antituberculeux de première intention les plus efficaces. On peut néanmoins soigner et guérir la TB-MR avec des médicaments de deuxième intention. Le traitement est toutefois beaucoup plus long (jusqu’à deux ans de traitement), bien plus lourd pour les patients et beaucoup plus coûteux que le traitement de la TB standard. Les patients doivent non seulement avaler 14 000 comprimés en deux ans mais aussi recevoir de douloureuses injections par voie intraveineuse et supporter des effets secondaires pénibles comme des nausées, des troubles digestifs et un affaiblissement, des handicaps permanents tels que la cécité et la surdité et des troubles psychologiques comme la dépression, l’anxiété voire la psychose. La tuberculose ultrarésistante (TB-UR) est une forme plus grave de TB-MR due à des bactéries ne répondant pas aux médicaments de deuxième intention les plus efficaces, laissant souvent les patients sans aucune autre option thérapeutique.
9. On estime qu’environ un quart de la population mondiale a été infectée par la bactérie de la TB. Mais ces personnes ne sont pas malades (tuberculose latente) et ne peuvent pas transmettre la maladie, la bactérie de la TB ne se transmettant que par des personnes atteintes d’une TB active. Seule une petite proportion des personnes atteintes d’une TB latente (environ 10 %) développeront la maladie au cours de leur existence, le risque étant beaucoup plus élevé pour celles qui ont un système immunitaire déficient. C’est ainsi que les personnes vivant avec le VIH 
			(5) 
			Le VIH et la TB forment
une association meurtrière, chacun accélérant l’évolution de l’autre.
Environ 40 % des décès parmi les personnes séropositives ont été
dus à la TB en 2016. et d’autres maladies chroniques qui affectent le système immunitaire, comme le diabète, appartiennent aux groupes ayant un plus grand risque de tomber malade. En outre, même si quiconque peut contracter la maladie, les personnes vivant dans la pauvreté, les sans-abri, les consommateurs de drogues, les prisonniers/détenus, les réfugiés ainsi que les populations mobiles, de manière générale, sont confrontés à des risques d’exposition et d’infection plus élevés que la population générale, principalement en raison de leurs conditions de vie.
10. Un vaccin contre la TB (bacille de Calmette-Guérin – BCG) est disponible mais il n’est que partiellement efficace dans la protection des nourrissons et des enfants en bas âge et ne protège pas correctement les adolescents et les adultes contre la TB pulmonaire. Il existe également des traitements préventifs relativement efficaces pour gérer la TB latente, qui empêchent la maladie de se développer et dont l’efficacité est comprise entre 60 % et 90 %.

2.2. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné?

11. Comment se fait-il qu’une maladie que l’on peut prévenir et soigner demeure la maladie infectieuse la plus meurtrière au monde, bien qu’elle ait été déclarée comme une urgence sanitaire mondiale par l’OMS il y a plus de vingt ans 
			(6) 
			En 1993, l’OMS a déclaré
que la tuberculose constituait une urgence de santé publique de
portée mondiale.? Quelque chose n’a vraiment pas fonctionné.
12. S’il est vrai que la bactérie de la TB peut se cacher dans l’organisme pendant des années, sans être détectée et sans se transformer en TB active, qu’elle peut être confondue avec d’autres maladies affectant les poumons et le système respiratoire, comme la grippe ou un rhume, et que cela entraîne un nombre considérable d’erreurs et de retards de diagnostic, et qu’il s’agit de la seule infection pharmacorésistante grave transmise par voie aérienne – ce qui rend difficile le contrôle de sa propagation –, ces facteurs ne sauraient expliquer l’échec collectif mondial de la lutte contre la tuberculose.
13. En réalité, si la maladie continue à provoquer tant de décès, cela s’explique principalement par l’incapacité des systèmes de santé nationaux à fournir un traitement de qualité pour soigner la TB. L’inadéquation et la mauvaise observance du traitement ont permis à la maladie de muter et de prendre des formes pharmacorésistantes, tandis que des lacunes importantes en matière de détection de la TB 
			(7) 
			En 2016, 49 %
des personnes atteintes de TB n’étaient pas diagnostiquées officiellement,
Rapport sur la lutte contre la tuberculose dans le monde 2017, OMS., des politiques de santé publique dépassées et des infrastructures sanitaires insuffisantes ont favorisé sa transmission. Indissociablement liée à la pauvreté, la TB a continué à se propager de manière disproportionnée dans certaines parties du monde, avec des disparités régionales et mondiales en augmentation. Malgré l’urgence des besoins dans un contexte d’évolution de la maladie vers des formes pharmacorésistantes, l’absence durable d’investissements dans la recherche et le développement de nouveaux médicaments, vaccins et outils de diagnostic n’a fait qu’exacerber le problème. Aujourd’hui, nous sommes encore loin d’atteindre la cible mentionnée au point 3.3 des Objectifs de développement durable, qui consiste à mettre fin à la tuberculose d’ici 2030. Au rythme actuel, cette cible ne sera atteinte que dans 180 ans.

3. Europe: zone où les taux de tuberculose multirésistante sont les plus élevés au monde

14. En Europe, on pensait que la TB appartenait au passé 
			(8) 
			Toutes
les références à «l’Europe» s’entendent comme la Région européenne
de l’OMS, qui comprend les 47 États membres du Conseil de l’Europe
ainsi que le Bélarus, Israël, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le
Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan.. Mais la réalité est bien différente puisque cette région enregistre près de 900 nouveaux cas de tuberculose par jour. Le poids de la TB n’y est cependant pas réparti de manière uniforme, les nouveaux cas étant principalement concentrés dans les pays d’Europe orientale et centrale. L’Europe enregistre également les taux les plus élevés de TB-MR au monde, avec un cinquième des cas déclarés dans le monde en 2015, selon les estimations. En effet, neuf des 30 pays identifiés par l’OMS comme hautement prioritaires sur le plan de la TB-MR, font partie de la Région européenne 
			(9) 
			Il s’agit de l’Azerbaïdjan,
du Bélarus, de la République de Moldavie, du Kazakhstan, du Kirghizstan,
de la Fédération de Russie, du Tadjikistan, de l’Ukraine et de l’Ouzbékistan.. Parmi les nouveaux cas enregistrés, 45% concernent des personnes qui ont entre 25 et 44 ans, ce qui a un impact sur les économies nationales car il s’agit de la tranche d’âge où la population est la plus productive.
15. L’Europe enregistre également les taux de TB-MR les plus élevés chez les personnes qui ont contracté la TB pour la première fois, ce qui signifie que ces personnes contractent des souches pharmacorésistantes de la maladie 
			(10) 
			Environ
19% des nouveaux cas de TB de la Région européenne étaient des cas
de TB-MR en 2016. Voir note de bas de page no 8.. Il s’agit d’une tendance alarmante car le développement de nouveaux outils pour traiter la TB-MR accuse un retard considérable par rapport à sa vitesse de développement et de propagation.

3.1. Facteurs sous-jacents

16. Divers facteurs sont à l’origine des taux élevés de TB-MR en Europe, notamment la persistance d’une pratique dépassée consistant à recourir, de manière excessive, à l’hospitalisation 
			(11) 
			Dans de nombreux pays
de l’Europe de l’est et de l’Asie centrale, l’usage veut que les
patients tuberculeux soient hospitalisés pendant une longue durée.
«Moving To People-Centred Care: Achieving better TB outcomes», TB
Europe Coalition. et l’absence d’approche de soins centrée sur le patient – une approche de soins qui prend en compte non seulement le traitement médicamenteux mais également tout ce dont le patient pourrait avoir besoin pour pouvoir compléter son traitement, à savoir, un soutien social, psychologique et financier. Les patients atteints de TB sont souvent hospitalisés pendant une durée inutilement longue, bien que la plupart d’entre eux cessent d’être contagieux dans les deux semaines qui suivent le début du traitement. De nombreux hôpitaux n’ont pas pris les mesures appropriées de contrôle des infections transmises par voie aérienne, ce qui renforce le risque de contamination croisée entre les patients porteurs de différentes souches de TB (y compris les souches pharmacorésistantes). L’isolement à l’hôpital perturbe les liens sociaux des patients, en particulier avec leurs familles 
			(12) 
			Lors
de son témoignage devant la commission, Mme Klymenko
a expliqué qu’elle avait été séparée de sa fille pendant six mois
et que cela avait eu des conséquences à long terme sur leurs vies., ce qui a un impact négatif sur leur bien-être psychosocial, absolument indispensable à leur rétablissement. L’hospitalisation de longue durée est souvent incompatible avec la vie professionnelle, et se traduit au final par une perte de revenu et des conséquences financières désastreuses.
17. La stigmatisation liée à la maladie et l’isolement social qui en résulte contribuent également aux taux élevés de TB-MR en Europe. Ils nuisent, en effet, gravement à l’efficacité de la détection et du traitement de la TB. Les personnes atteintes de TB sont souvent marginalisées ou rejetées par leur communauté, leur employeur, leur famille ou leurs amis. Sans soutien psychosocial pour compenser les conséquences de cette stigmatisation, les personnes sont potentiellement moins enclines à se faire diagnostiquer, ou bien, une fois le diagnostic établi, interrompent ou arrêtent leur traitement en raison des difficultés sociales et de leur incapacité à y faire face. Ce dernier point est particulièrement problématique car la non-observance du traitement représente l’un des principaux facteurs de pharmacorésistance, la raison étant qu’avec une interruption de la prise des médicaments avant la fin du traitement, la bactérie de la TB n’est pas détruite, ce qui signifie que l’infection persiste ou revient, et que la bactérie a probablement évolué pour devenir résistante au traitement qui était appliqué. Par ailleurs, la TB-MR ne pouvant être détectée que par des tests en laboratoire, qui restent sous-utilisés, en particulier dans la partie orientale de la région, on estime qu’il y a un grand nombre de cas qui ne sont pas signalés, ce qui est susceptible de favoriser la transmission de la TB-MR.

3.2. Difficultés propres à la Région

3.2.1. Accès aux médicaments antituberculeux

18. Dans certains pays d’Europe centrale et orientale, les patients sont confrontés à des difficultés d’accès aux rares médicaments antituberculeux de deuxième intention, nouveaux et prometteurs, qui sont disponibles sur le marché, comme la Bedaquiline® et le Delamanid®, qui semblent être efficaces dans le traitement de la TB pharmacorésistante et pourraient contribuer à réduire l’usage de médicaments toxiques et difficiles à supporter 
			(13) 
			«Introduction of Bedaquiline
for the treatment of multidrug-resistant tuberculosis at country
level implementation plan», OMS, 2015.. Cela s’explique par un certain nombre d’obstacles juridiques et bureaucratiques, ainsi que par des politiques d’achats dépassées, empêchant les États de se procurer ces médicaments, qui ne peuvent donc pas être employés dans le cadre de protocoles 
			(14) 
			«The
Crisis of Anti-TB Medicines in Romania: Alert Report», Romanian
Health Observatory and the Stop TB Partnership Romania, octobre
2017..
19. Certaines difficultés sont également liées au contexte géopolitique. C’est ainsi qu’en Ukraine, seul un petit nombre de patients tuberculeux peuvent actuellement avoir accès aux deux médicaments mentionnés ci-dessus car le distributeur régional autorisé à demander leur enregistrement et leur distribution est une entreprise russe. Les sanctions mises en place depuis l’agression russe interdisent d’acheter à la Russie des biens et des services payés à l’aide des fonds publics, y compris des marchandises étrangères fournies par des entreprises russes. Malgré les efforts des autorités ukrainiennes, qui ont effectué des démarches auprès des laboratoires pharmaceutiques concernés pour leur demander de changer de distributeur, le problème n’a pas été réglé, ce qui entraîne un retard inacceptable pour les patients tuberculeux en Ukraine.

3.2.2. Zones de conflit

20. Une autre difficulté spécifique de la Région européenne a trait à l’augmentation probable de l’incidence et de la propagation de la tuberculose dans les zones de conflit 
			(15) 
			La propagation de l’infection
par la TB pose ainsi un grave problème en Transnistrie. Voir la Résolution 1955 (2013) de l’Assemblée sur le respect des obligations et engagements
de la République de Moldova.. Pour des raisons évidentes, le diagnostic et le traitement des patients atteints de TB est retardé dans ces zones, les infrastructures sanitaires y étant souvent sérieusement fragilisées. Cela peut entraîner l’apparition de la TB-MR et compliquer la prise en charge de la maladie. L’expérience montre que, dans les zones de conflit, la négligence de la TB peut entraîner rapidement une morbidité et une mortalité accrues 
			(16) 
			«Tuberculosis in complex
emergencies», Rudi Coninx, Bulletin de l’OMS, volume 85, numéro
8, août 2007, p. 569-648..

3.2.3. Groupes vulnérables

21. En Europe, en particulier les personnes vivant avec le VIH, les détenus, les réfugiés et les migrants ont plus de risques que la population générale de contracter la tuberculose, de développer la forme active de la maladie et d’en mourir. En ce qui concerne le VIH/SIDA, plus de 160 000 nouveaux cas ont été diagnostiqués en Europe en 2016, chiffre le plus élevé de nouveaux cas sur une année depuis le début du signalement des cas de VIH dans les années 80 
			(17) 
			Confirmant
la tendance observée au cours de la dernière décennie, la majorité
(près de 80 %) des nouveaux cas diagnostiqués concernaient la partie
orientale de la Région, 17 % la partie occidentale et 4 % la partie
centrale. . Dans un contexte d’augmentation sensible du taux de co-infection tuberculose/VIH dans la Région européenne (5,5 % à 9 % entre 2011 et 2015), les efforts pour lutter contre ces deux épidémies sont déterminants, et à ce titre, une meilleure intégration des services dans la prise en charge de la TB et du VIH devrait être étudiée. Compte tenu de la résistance croissante aux médicaments antituberculeux, il existe également un risque accru que les patients tuberculeux qui sont également séropositifs succombent à la maladie.
22. Quant aux migrants, ceux atteints de TB latente ont un risque plus élevé de déclarer la maladie dans le pays de destination en raison d’un certain nombre de facteurs, notamment leur situation juridique et professionnelle, ainsi que des difficultés d’accès aux soins de santé. Dans certains cas, les migrants passent les frontières après avoir été diagnostiqués atteints de TB active dans leur pays d’origine.
23. Il est essentiel que les réfugiés et les migrants atteints de TB active et latente soient diagnostiqués et reçoivent un traitement antituberculeux approprié dans le pays de destination. Il est également fondamental que le pays de destination détecte ces cas de TB suffisamment tôt pour éviter leur propagation dans la population. À cet effet, un document de consensus décrivant un ensemble minimal de contrôles et de soins transfrontières de la TB a été élaboré avec la contribution des responsables nationaux du programme de contrôle de la TB dans la Région européenne de l’OMS et de la Conférence 2011 de Wolfheze 
			(18) 
			Les ateliers de Wolfheze
sont une occasion importante de réunir des décideurs et chercheurs
s’intéressant à la TB en Europe; ils sont organisés tous les deux
ans par la Fondation KNCV pour la tuberculose, en collaboration
avec l’OMS/Europe et le Centre européen de prévention et de contrôle
des maladies.. Cet ensemble de mesures traite des lacunes dans ce domaine et entend améliorer la situation en couvrant plusieurs aspects: l’engagement politique (notamment la mise en œuvre d’un cadre juridique de collaboration transfrontière dans le domaine de la tuberculose), les mécanismes financiers et l’offre appropriée de services de santé (prévention, contrôle des infections, gestion des contacts, diagnostic et traitement, soutien psychosocial).

3.2.4. Financement des soins de santé

24. Les pays d’Europe orientale et d’Asie centrale devenant plus riches, ils ne peuvent plus bénéficier de l’aide au développement et doivent financer entièrement leur système de santé, y compris leur riposte nationale à la TB. Le processus de transition opéré après le financement des soins de santé par des donateurs est cependant complexe et plusieurs pays de la région n’ont pas élaboré, financé et mis en œuvre, de manière appropriée, des stratégies nationales de lutte contre la TB. Conjugué au problème de l’insuffisance des infrastructures de santé, il est très probable qu’après le retrait des donateurs extérieurs, les précieux programmes de prise en charge de la TB cesseront d’exister, perpétuant la chaîne de transmission et réduisant à néant les progrès déjà accomplis 
			(19) 
			«Transitioning from
donor support, HIV and TB programmes in Eastern Europe and Central
Asia: Challenges and Effective solutions», TB Europe Coalition,
25 avril 2016..

3.3. Exemples de bonnes pratiques

3.3.1. Azerbaïdjan

25. La TB est un problème de santé majeur dans de nombreuses prisons au monde, dans lesquelles les taux d’infection peuvent être 10 fois supérieurs à ceux de la population générale. L’Europe ne fait pas exception. Lors de ma visite en Azerbaïdjan, j’ai été amené à rencontrer des représentants du ministère de la Justice et du ministère de la Santé. Ces deux ministères, qui collaborent étroitement, ont mis en place, avec succès, un programme de prise en charge de la TB dans les prisons. Ce programme comprend notamment un dépistage de routine de la TB chez les prisonniers/détenus, la sensibilisation des prisonniers/détenus et du personnel des prisons à la maladie et un hôpital spécialisé dans le traitement de la TB pour soigner les cas confirmés (y compris un laboratoire spécialisé) avec des unités séparées pour les formes courantes et les formes résistantes de la maladie afin d’éviter la transmission de la TB résistante aux personnes avec une TB sensible au traitement.
26. L’un des principaux objectifs du programme consiste à faire en sorte que le traitement de la TB soit mené à son terme. Lorsque le traitement n’est pas achevé au sein du système pénitentiaire (en raison de la libération du prisonnier/détenu), il est poursuivi dans le cadre d’un accord tripartite avec le ministère de la Justice, le ministère de la Santé et une organisation non gouvernementale (ONG) locale. Cette dernière assure différents services, notamment le suivi des patients tuberculeux libérés récemment, afin qu’ils achèvent leur traitement, un soutien psychologique et des prélèvements en vue de tests de TB. L’Azerbaïdjan a obtenu de très bons taux de guérison de la TB grâce à ce programme pour les prisons, qui a été internationalement reconnu, notamment par un prix décerné par l’Association internationale des affaires correctionnelles et pénitentiaires en 2013.

3.3.2. Norvège

27. La Norvège enregistre très peu de cas de TB chaque année (environ 350 à 400 cas), et l’immense majorité des patients tuberculeux sont nés à l’étranger. C’est dans ce contexte que le pays a mis en place un programme efficace et humain de contrôle de la TB, comprenant notamment le dépistage obligatoire de la TB pour les demandeurs d’asile ainsi que pour tous les autres migrants originaires de pays dans lesquels l’incidence de la TB est élevée. Le traitement de la TB est gratuit pour tous les habitants, y compris les migrants, quel que soit leur statut juridique 
			(20) 
			L’adoption de la gratuité
dans le traitement de la TB a fait craindre l’émergence d’un tourisme
sanitaire. Mais ces craintes se sont révélées infondées, le nombre
de patients tuberculeux n’ayant pas augmenté de façon sensible en Norvège
après l’adoption de ce système..
28. La Norvège a adopté une approche intégrée caractérisée par la collaboration efficace de toutes les parties impliquées dans la lutte contre la TB, y compris les autorités locales, les organisations de la société civile et le personnel médical. Cette collaboration entre les différentes parties prenantes facilitée par des «coordinateurs de la TB» est essentielle pour assurer une réponse coordonnée et efficace face à la TB. Les coordinateurs de la TB suivent également les patients tout au long de leur traitement, les soutiennent moralement et organisent et facilitent le rendez-vous visant à établir leur programme de traitement, qui est considéré comme la clé de la réussite pour aboutir à la guérison. En effet, tous les patients tuberculeux ont un programme de traitement personnalisé, définissant où et quand ils doivent rencontrer leur correspondant de santé pour prendre leurs médicaments 
			(21) 
			Lorsque
le patient quitte l’hôpital, il poursuit le traitement sous surveillance
directe (DOT). Cette méthode exige que des agents de santé soient
présents et soutiennent les patients tuberculeux lorsqu’ils prennent
leurs médicaments. . Le programme est établi de manière à convenir le mieux possible au patient afin qu’il puisse arriver au terme du traitement.
29. La Norvège offre un excellent exemple démontrant qu’il est possible de combattre efficacement la TB par le développement et le maintien de programmes de contrôle de la TB efficaces, humains, intégrés et centrés sur le patient, en particulier pour d’autres pays européens à revenu élevé, dans lesquels l’incidence de la TB est faible.

4. Recherche et développement de nouveaux médicaments, outils de diagnostic et vaccins

30. L’on constate un manque important d’investissements dans la recherche et le développement (R&D) de nouveaux médicaments, outils de diagnostic et vaccins contre la TB. Le secteur du développement des médicaments antituberculeux souffre d’un manque durable d’investissements de la part de l’industrie pharmaceutique, à quelques exceptions près, qui ne laisse subsister qu’un portefeuille restreint de produits en développement 
			(22) 
			«Tackling drug-resistant
infections globally: final report and recommendations, The review
on antimicrobial resistance», mai 2016. Selon l’OMS, il existe actuellement
17 médicaments antituberculeux en phase I, II ou III des essais et
12 vaccins candidats en phase d’essais cliniques. .
31. En fait, le système actuel de R&D ne fonctionne pas correctement pour une maladie comme la TB, pour laquelle il n’existe que peu d’incitations commerciales à produire de nouveaux outils puisque ce sont les régions les plus pauvres au monde qui supportent la charge la plus lourde de la maladie. Même dans les pays à revenu faible et intermédiaire, les groupes présentant le risque le plus élevé de contracter la maladie tendent à faire partie des catégories les plus marginalisées et les plus démunies de la société. En outre, les traitements antituberculeux doivent être délivrés sous la forme de traitements combinés, associant généralement au moins trois antibiotiques. L’interaction complexe des médicaments signifie que chaque médicament composant ces protocoles de traitement doit, si possible, être développé en association dès le début des essais cliniques, plutôt qu’au stade du produit fini sous licence. Cela pose des difficultés techniques et commerciales 
			(23) 
			Ibid.. Les fabricants de produits pharmaceutiques se montrent donc réticents à effectuer des dépenses importantes de R&D pour lancer sur le marché de nouveaux médicaments antituberculeux.
32. Bien qu’il s’agisse d’un problème mondial, l’Europe a un rôle spécifique à jouer pour transformer cet échec général du marché à fournir des médicaments, des outils de diagnostic et des vaccins contre la TB afin d’éviter non seulement un nombre élevé de décès mais aussi de faire économiser aux pays des coûts considérables de traitement de la TB-MR et TB-UR. En outre, il convient de garder à l’esprit que les solutions en vue d’accroître la R&D sur la TB peuvent également présenter un intérêt pour le problème plus vaste de la RAM. En effet, le traitement de la TB implique le développement de plusieurs médicaments, qui sont susceptibles d’être utilisés pour traiter d’autres maladies 
			(24) 
			«Tuberculosis – The
cornerstone of the AMR Threat», TB Europe Coalition..
33. Les gouvernements européens devraient investir davantage dans la R&D, en encourageant l’innovation par le financement continu des recherches cliniques précoces, ainsi qu’au travers de mesures d’incitation dites «par l’attrait» qui récompensent les produits parvenant à entrer sur le marché ou franchissant les étapes importantes du processus de développement 
			(25) 
			En
collaboration avec d’autres organisations de santé publique, Médecins
sans frontières a élaboré une proposition appelée «3P» ou «Push,
Pull et Pool» (incitation par l’impulsion, incitation par l’attrait
et mise en commun). Elle combine des paiements intermédiaires, le
financement incitatif de la R&D et la mise en commun de la propriété
intellectuelle pour relever les principaux défis liés au développement
de protocoles de traitement de la TB. Voir la note de bas de page
no 23..
34. Les gouvernements devraient également renforcer les partenariats public-privé existants et en créer de nouveaux pour encourager la R&D. Le programme «New Drugs for Bad Bugs», partenariat public-privé le plus ambitieux au monde en matière de recherche sur la RAM, est une réussite majeure de l’Union européenne dans ce domaine. Ce programme, qui s’inscrit dans le cadre de l’initiative en matière de médicaments innovants lancée en 2012, a contribué à relever de 4 à 11 le nombre de grandes entreprises pharmaceutiques européennes actives dans la recherche sur la RAM au cours des cinq dernières années. En procédant à des appels à propositions de recherche visant en particulier les petites et moyennes entreprises (PME), la Commission européenne a également augmenté le nombre de PME européennes impliquées dans la recherche sur la RAM. Au cours de la dernière décennie, les PME appartenant à l’Alliance BEAM (qui regroupe les entreprises biopharmaceutiques européennes innovant dans la RAM), qui étaient très peu nombreuses, sont maintenant une cinquantaine 
			(26) 
			«Increased
momentum in antimicrobial resistance research», The Lancet, vol. 388, 27 août 2016..
35. Parallèlement aux nouveaux médicaments, outils de diagnostic et vaccins, il est également nécessaire d’investir dans de nouvelles technologies qui permettent de simplifier le traitement de la TB pour les patients afin d’en améliorer l’observance et la réussite. En effet, le suivi incomplet et irrégulier du traitement représente l’un des principaux facteurs de pharmacorésistance. Un exemple encourageant de ce type de technologie a été présenté aux participants à la 48e Conférence mondiale sur la santé respiratoire, organisée à Guadalajara (Mexique) en octobre 2017. Le traitement sous surveillance à distance (WOT) est une solution numérique à ingérer alternative au DOT, qui représente actuellement le système de référence pour garantir l’observance du traitement. Le dispositif WOT consiste, pour les patients, à ingérer un capteur constitué de minéraux présents dans les aliments, qui se dégrade dans l’organisme, libérant, à son tour, un capteur de la taille d’un grain de sable qui transmet des données à un timbre appliqué sur la poitrine du patient. Le timbre enregistre les données (il enregistre la date et l’heure de l’ingestion des médicaments) jusqu’à ce qu’il soit en contact avec un appareil mobile – une tablette ou un téléphone mobile disposant de la fonction Bluetooth. L’appareil mobile chiffre les données et les envoie via l’internet sans fil au prestataire de soins du patient, ce qui facilite la surveillance à distance et allège considérablement la charge du traitement sur le patient 
			(27) 
			«Ingestible
sensor to transform TB treatment adherence methods», voir les dernières
informations sur le site internet de la 48e Conférence
mondiale de l’Union sur la santé respiratoire..

5. La voie à suivre pour l’Europe et le monde

36. L’année 2018 sera déterminante pour convenir d’une riposte à la TB à l’échelle mondiale, les gouvernements qui ont réalisé la menace croissante que représente la TB pour la santé publique mondiale ayant décidé de s’unir afin de démultiplier l’élan politique nécessaire. Alors que la communauté internationale redouble d’efforts pour combattre la menace de la TB, la Région européenne a un rôle crucial à jouer pour prendre en charge sa propre épidémie et démontrer son rôle de chef de file mondial des initiatives prises par la communauté internationale.
37. En ce qui concerne l’épidémie de TB-MR, l’expérience montre qu’une action de santé publique bien conçue permet une amélioration rapide de la situation. En effet, selon The Lancet, à la suite d’une augmentation des cas de TB et de TB-MR à New York dans les années 80, des mesures de santé publique rapides ont permis une baisse radicale de la TB-MR, plus rapide que celle de la TB sensible aux médicaments. «Une riposte aussi efficace à la TB-MR ne peut pas se focaliser sur le traitement de la TB pharmacorésistante mais devrait comprendre des systèmes de surveillance renforcée, des tests de sensibilité aux antituberculeux pour tous les patients atteints de TB, l’administration rapide d’un traitement efficace et une prise en charge centrée sur le patient tout au long du traitement» 
			(28) 
			«Multidrug-resistant
tuberculosis in India: looking back, thinking ahead», The Lancet public health, vol. 2,
janvier 2017..
38. Un diagnostic rapide et précis de la TB, permettant aux patients de recevoir le traitement approprié, représente une première étape essentielle. Les pays doivent donc investir dans le dépistage actif des cas de TB parmi les populations à risque élevé, par exemple chez les individus vivant avec le VIH 
			(29) 
			Cela peut consister
à fournir des tests de dépistage de la TB à tous les patients vivant
avec le VIH.. Le traitement préventif qui empêche les sujets porteurs d’une TB latente de développer la forme active de la maladie doit également viser ces populations clés.
39. Une fois diagnostiqués, il est essentiel de faire en sorte que les patients soient correctement traités et suivis afin de mener leur traitement à leur terme. L’achèvement du traitement est indispensable pour garantir la guérison et empêcher le développement de bactéries résistantes. Comme l’indique clairement l’exemple de l’Azerbaïdjan, l’implication de la société civile dans le suivi des patients, l’observance du traitement et le soutien psychosocial peuvent contribuer à l’amélioration des taux de guérison de la TB. Une riposte efficace à la TB doit donc impliquer la société civile, qui peut sensibiliser à la TB, assurer un soutien au traitement et fournir des conseils aux patients. Pour combattre l’isolement social et la stigmatisation liés à la TB, outre le soutien psychosocial, les pays devraient sensibiliser l’opinion publique à la maladie et faire en sorte de briser les tabous qui entourent cette maladie.
40. Par ailleurs, les pays devraient remplacer des politiques dépassées en matière de prise en charge de la TB par un modèle de soins efficace et centré sur le patient conforme aux lignes directrices internationales de l’OMS. Il conviendrait, à cet effet, de renoncer au modèle centralisé de prise en charge de la TB, qui est axé sur l’hospitalisation, au profit d’un système intégré aux communautés et basé sur les soins de santé primaires. Le traitement de la TB devrait être dispensé principalement au sein de structures ambulatoires et communautaires, être accompagné de mesures appropriées de contrôle de l’infection afin d’éviter les contaminations croisées et d’un soutien à l’observance du traitement 
			(30) 
			Un modèle de soins
contre la tuberculose centré sur le patient: un plan directeur pour
les pays d’Europe orientale et d’Asie centrale, première édition,
OMS/Bureau régional de l’Europe, 2017.. Limiter l’hospitalisation et privilégier le traitement en structures ambulatoires permettra de réduire l’impact social et économique de la maladie sur les patients, sera moins coûteux pour l’État et améliorera les résultats du traitement.
41. Au cours des prochaines années, la fragilité des systèmes de santé nationaux dans certains pays de la région risque de s’aggraver en raison de la diminution globale du financement externe par les donateurs en faveur de la TB. Les gouvernements concernés devraient maintenir une action soutenue de lutte contre la TB, garantir un financement suffisant et durable de la prise en charge de la tuberculose dans leurs programmes budgétaires nationaux et cibler leurs ressources sur des solutions rentables et reposant sur des données probantes afin de ne pas réduire à néant les progrès accomplis dans ce domaine. Les donateurs internationaux devraient être impliqués dans la planification et la mise en œuvre de la transition, en fournissant une assistance politique et technique et des orientations aux gouvernements 
			(31) 
			Voir la note de bas
de page no 20..
42. Pour lutter efficacement contre l’épidémie de TB, la riposte au niveau national doit impliquer toutes les parties prenantes, y compris les patients eux-mêmes (ou les personnes qui ont été touchées par la maladie), les professionnels de santé, les aidants et les prestataires de services (par exemple, les organisations de la société civile), et offrir des possibilités de collaboration avec les décideurs nationaux, tels que les représentants du gouvernement et les membres des parlements nationaux. Cela favoriserait la responsabilisation et l’efficacité de la riposte à la TB, l’implication des personnes qui ont une expérience directe de la maladie permettant d’identifier les domaines dans lesquels un changement est nécessaire, ainsi que les mesures correctrices qui s’imposent.
43. Tous les pays européens doivent développer, financer et mettre en œuvre une stratégie nationale spécialement adaptée à la TB, comme recommandé par l’OMS. The Lancet souligne que le progrès continu dans la diminution de l’incidence de la TB au Royaume-Uni (-30 % entre 2011 et 2015) résulte d’une action conjuguée menée à l’échelon local, national et mondial et de l’évolution des schémas de migration. Une stratégie nationale collaborative de lutte contre la TB a été élaborée en Angleterre, entre 2013 et 2015, par Public Health England et le service de la santé publique (NHS), tout en mettant en place des initiatives locales et nationales de contrôle de la TB, tel que le dépistage actif des cas. Cette stratégie impliquait dix domaines d’action comprenant deux priorités spécifiques: des tests de dépistage de la TB latente et le traitement des nouveaux arrivants au Royaume-Uni ainsi que le dépistage ciblé des cas, accompagné de la prise en charge des groupes vulnérables comme les personnes sans abri, les consommateurs de drogue et d’alcool et les personnes ayant affaire au système de justice pénale 
			(32) 
			«Sustaining tuberculosis
decline in the UK», The Lancet,
vol. 389, 25 mars 2017..
44. Pour concrétiser la vision ambitieuse formulée par l’objectif de développement durable mentionné au point 3.3 et épargner de nombreux décès et des coûts importants aux économies régionale et mondiale, les États européens doivent travailler ensemble, les pays où l’incidence de la TB est faible devant se montrer plus solidaires de ceux dans lesquels elle est plus élevée. Les pays les moins touchés doivent également maintenir leur niveau de conscience et leur engagement à maîtriser la maladie afin de garantir son éradication ultérieure. Nous ne pouvons pas nous permettre de relâcher notre vigilance en matière de contrôle de la TB. Si nous ne poursuivons pas notre action, la réapparition de la TB ne fait aucun doute 
			(33) 
			Ibid..
45. La réunion de haut niveau des Nations Unies sur la TB servira de tribune à ces engagements. Pour la première fois, la TB a été érigée en priorité à l’attention des chefs d’État du monde entier et il conviendra donc de tout mettre en œuvre pour maximiser l’impact de cette réunion. Par conséquent, il faudrait que tous les chefs d’État des États membres du Conseil de l’Europe assistent à la réunion de haut niveau des Nations Unies sur la TB, qui se tiendra à New York en septembre 2018 et soutiennent l’accord en faveur d’un cadre de responsabilité, indépendant et multisectoriel, afin de garantir que l’ensemble des gouvernements et parties prenantes respectent les engagements souscrits.