1. Introduction
1. Le rapport préparé par notre
collègue M. Liam Byrne, rapporteur de la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme, constitue une contribution bienvenue au
travail mené de longue date par l’Assemblée parlementaire, qui vise
à définir des approches communes dans la lutte contre le terrorisme,
sur la base des normes du Conseil de l’Europe.
2. Il convient de rappeler que, dans la
Résolution 2091 (2016) sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak, l’Assemblée
a appelé «à exploiter activement l’ensemble des moyens de communication,
dont internet et les médias sociaux, et à tirer parti de l’expertise
des meilleurs spécialistes en relations publiques pour diffuser
des informations sur les crimes odieux perpétrés par Daech et des
contre-discours destinés à dénoncer les propos extrémistes et à
dissiper les illusions sur la véritable situation dans les territoires
contrôlés par Daech et le sort de ses recrues, en particulier en
se servant des témoignages de combattants qui sont revenus dans
leur pays d’origine et ont fait l’expérience sur le terrain de la
vraie nature de Daech» (paragraphe 21.7).
3. Ainsi, le rapport de M. Byrne vise à définir, sur la base
de recherches bien documentées, des propositions destinées à répondre
à la nécessité de développer des contre-discours face au terrorisme.
En tant que rapporteur pour avis, je souhaite fournir quelques éléments
supplémentaires et ouvrir des pistes de réflexion qui permettront
de mieux délimiter le phénomène étudié. Je souhaite également proposer
quelques amendements au projet de résolution et au projet de recommandation
dans le but de renforcer le message du rapport, à harmoniser les
formulations utilisées avec les documents préalables de l’Assemblée,
et à assurer la pleine participation de l’Assemblée aux travaux
à venir sur ce sujet.
4. Je suis conscient que, bien que le titre du rapport de M. Byrne
ne précise pas directement le type de terrorisme dont il y est question,
il se concentre sur le terrorisme inspiré par Daech et Al-Qaïda,
qui sont directement mentionnés au paragraphe 3 de l’exposé des
motifs, et ne traite pas du terrorisme inspiré par d’autres idéologies.
5. Alors que la réalité sur le terrain est plus complexe et qu’il
existe de nombreux groupes terroristes en plus de ceux mentionnés
ci-dessus, je partage l’avis que ces deux organisations terroristes
ont développé des systèmes de propagande sophistiqués fondés sur
l’exploitation abusive de croyances religieuses, et ont réussi à
enrôler des milliers de personnes dans leurs activités criminelles,
y compris des personnes venant d’Europe ou agissant sur le sol européen.
2. Qu’entend-on
par contre-discours?
6. Selon une étude publiée en
2015 par l’Institut danois pour les études internationales (Danish
Institute for International Studies, DIIS), l’utilisation des contre-discours
est souvent conseillée pour répondre à de nombreux types de propagande
provenant de groupes tels que Daech et Al-Qaïda. Le but de l’utilisation
des contre-discours est d’empêcher le terrorisme de se développer
plus rapidement.
2.1. Définition
7. Il n’existe pas de définition
communément acceptée de ce qu’est un contre-discours. Il s’agit
d’un concept vaste et mal défini qui est utilisé de nombreuses manières
différentes. Différents travaux ont été menés pour en identifier
les principales catégories, mais les véritables contre-discours
sont sensiblement différents. M. Tobias Gemmerli, chercheur au DIIS
,
distingue trois grandes catégories de contre-discours actuellement
encouragés, à savoir:
- les contre-discours
directs qui se confrontent à l’idéologie et au mode de vie promu
par l’extrémisme;
- les alternatives positives qui soutiennent, entre autres,
les voix modérées;
- l’amélioration des compétences numériques et de la capacité
des personnes vulnérables à exercer une réflexion critique.
8. De même, la chercheuse Kate Ferguson
affirme que les contre-discours sont
diffusés dans un certain contexte stratégique, politique ou militaire
et qu’ils sont essentiellement réactionnels. Leur utilisation pourrait donc
constituer, dans la pratique, une reconnaissance des termes établis
par les opposants déclarés. De ce fait, les contre-discours risquent
de renforcer, dans la pratique, les discours mêmes qu’ils tentent
d’étouffer.
2.2. Quels éléments
poussent des personnes à se tourner vers l’extrémisme?
9. On considère généralement que
les personnes qui deviennent extrémistes présentent deux caractéristiques
principales:
- la pauvreté: de
laquelle il semble n’exister aucune échappatoire; celle-ci favorise
le ressentiment à l’encontre des personnes qui possèdent davantage
de richesses. S’il s’agit de choisir entre le martyre ou la mendicité,
le martyre l’emporte clairement;
- l’ignorance: les pauvres n’ont pas l’opportunité d’avoir
une éducation convenable et sont donc susceptibles d’être facilement
manipulés. Les manipulateurs instrumentalisent les préjugés et les superstitions.
Lorsque les personnes vulnérables tombent sous l’emprise des extrémistes, l’endoctrinement
est aisé.
10. Toutefois, la réalité est sensiblement différente. De nombreuses
personnes qui veulent devenir martyres et mourir pour une cause
proviennent de la classe moyenne; ils ont reçu une éducation convenable
(parfois même de niveau universitaire) et ont été bien élevés («bien
nourris et bien éduqués»).
11. De nombreux chercheurs estiment que les motivations réelles
qui mènent des personnes à l’extrémisme peuvent être résumées de
la manière suivante:
- la quête
de sens et d’ordre, en particulier dans des pays où règnent le chaos
et la corruption. Les extrémistes promettent des solutions simples
à chaque problème («voici de quelle manière les choses vont changer
si tu suis ces règles et SEULEMENT ces règles»);
- le désir de changement: l’ancien ordre doit être renversé
et cela ne peut se produire qu’au moyen de l’action violente. Les
extrémistes font entendre leur voix en promettant de créer une nouvelle
forme de gouvernement et en développant un fort sentiment de victimisation
(«nous ne sommes pas responsables de l’état pitoyable dans lequel
se trouve notre pays, d’autres personnes nous ont rabaissés à ce
niveau»).
3. Le rôle des victimes,
des anciens terroristes et des anciens détenus
12. Les victimes du terrorisme
sont en mesure de porter des contre-discours efficaces car elles
peuvent incarner ceux que des individus perçoivent, dans leur conception
violente, comme étant des «ennemis». Les discours des victimes peuvent
renforcer le rejet des méthodes dangereuses que les extrémistes
violents utilisent pour mener à bien leurs objectifs. De plus, il
arrive souvent que des communautés vulnérables à la radicalisation
et au recrutement soient aussi affectées, directement ou indirectement,
par l’extrémisme violent; ainsi, les victimes peuvent porter un
discours ayant un impact émotionnel puissant.
13. D’un autre côté, les paroles d’anciens terroristes repentis
et d’ex-détenus ont un certain poids du fait du respect que les
recrues potentielles peuvent leur porter. En tant qu’anciens terroristes,
ils ont expérimenté sur le terrain la réalité de l’extrémisme violent
et ils peuvent parler de leur désillusion et des conséquences inhérentes
au fait de rejoindre une organisation extrémiste violente ou de
commettre un acte terroriste. Les anciens terroristes ont également
un rôle irremplaçable à jouer dans la compréhension du cycle de radicalisation
et des discours diffusés.
4. Le rôle de groupes
spécifiques de la société
4.1. Les femmes
14. Selon un rapport
sur les femmes et la radicalisation
terroriste, rédigé par des tables rondes d’experts du Bureau des
institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH), les femmes
peuvent être des interlocutrices idéales dans la lutte contre le
terrorisme. Elles peuvent agir contre l’extrémisme violent à de
nombreux titres, dans le cadre d’initiatives adaptées aux spécificités
de chaque contexte.
15. Au sein de leur famille, mais également dans l’ensemble de
la société, les femmes doivent être en mesure de répondre aux questions
de leurs enfants en ce qui concerne leur identité religieuse, culturelle
et politique. Cette capacité est essentielle étant donné que la
plupart des processus de radicalisation terroriste ont lieu entre
l’âge de 12 ans et l’âge de 20 ans, lorsque les personnalités et
les valeurs se construisent. Dans ce contexte, l’incapacité de discuter
ouvertement et de traiter de questions fondamentales peut créer
un vide qui risque d’être rempli par des discours extrémistes violents.
4.2. Les jeunes
16. Un autre rapport de l’OSCE/BIDDH
sur l’engagement des jeunes dans la lutte contre la radicalisation terroriste
défend l’idée qu’il convient de
fournir aux jeunes les connaissances et les compétences nécessaires pour
comprendre et rejeter l’extrémisme violent. Ils ont besoin de comprendre
que l’extrémisme sous toutes ses formes et le terrorisme ne sont
pas des solutions pour répondre aux injustices et aux conflits auxquels
ils sont personnellement confrontés ou auxquels ils s’identifient.
L’éducation, formelle et informelle, peut s’avérer importante pour
lutter contre ces dérives parmi les jeunes.
17. Les terroristes et les extrémistes d’aujourd’hui sont les
jeunes d’hier qui aspiraient à être acceptés, à définir leur identité
et à avoir des opportunités. Si nous créons une dynamique par le
biais d’initiatives éducatives capables de fournir aux jeunes des
espaces où ils se sentent en sécurité pour partager leurs préoccupations,
nous créerons un cercle vertueux qui, à terme, renforcera les jeunes.
4.3. Les vecteurs
du message
18. Il est particulièrement important
de protéger et de préserver la sécurité des personnes qui portent
des contre-discours et des discours alternatifs. Un engagement direct
dans une bataille d’idées peut mettre des personnes ou des groupes
en danger de devenir des cibles, tant physiquement que psychologiquement.
Les personnalités de la société civile qui s’expriment ouvertement,
les anciens extrémistes, les victimes ou même les dirigeants religieux
peuvent devenir la cible de futures attaques.
5. La réhabilitation
psychologique des auteurs d’actes terroristes
19. La réhabilitation psychologique
des auteurs d’actes terroristes requiert la mise en place d’actions favorisant
le rétablissement de leurs qualités humaines, de leur rôle dans
la société, de la confiance qu’ils ont dans leurs compétences personnelles
et de leur capacité à se réinsérer dans la société. Cette réhabilitation est
centrée sur la construction de la personnalité et sur le bien-être
des auteurs d’actes violents afin qu’ils acquièrent un état d’esprit
plus pacifique et des attitudes plus favorables envers la société.
Il convient que les États investissent davantage dans la réhabilitation
psychologique de ces personnes, afin de parvenir à une véritable
réinsertion et d’éviter que les auteurs d’actes violents reviennent
à leur état d’esprit antérieur.
6. Possibles défis
et insuffisances
20. Certains spécialistes estiment
que les campagnes de contre-discours généralistes ne sont pas efficaces,
car la propagande des groupes tels que Daech ou Al-Qaïda n’attire
que quelques individus; or, le fait de s’adresser à l’ensemble de
la population dans le but d’atteindre ce petit nombre disperse les
efforts et comporte le risque d’avoir des effets secondaires indésirables,
voire d’être contre-productif. De plus, cette approche risque de
diaboliser un groupe entier de personnes ou une communauté à cause
des extrémistes; il convient donc de toujours faire preuve de prudence
dans ce domaine.
21. En outre, si l’on ne sait pas bien pourquoi et comment les
discours et la propagande de groupes tels que Daech et Al-Qaïda
attirent un public, il est difficile de construire des contre-discours
attractifs, même lorsque le public concerné a pu être identifié.
En conséquence, les contre-discours antagoniques qui s’opposent directement
à un discours en le dénonçant, en le corrigeant ou en le ridiculisant,
comportent le risque d’être automatiquement rejetés.
22. Les messages contre l’extrémisme violent doivent toujours
être formulés avec précaution afin d’éviter d’attaquer une religion
et une idéologie que de nombreux musulmans partagent, d’où la nécessité
de bien comprendre les principes islamiques. Par conséquent, les
personnes qui formulent des contre-discours doivent observer une
approche nuancée, en consultation avec les spécialistes, lorsqu’ils
réfutent des discours extrémistes, afin d’éviter de s’attirer l’hostilité
de pans entiers de la population musulmane.
7. Réponse concertée
23. Les États et les organisations
internationales doivent reconnaître qu’il n’existe pas de réponse
unique au terrorisme. En effet, de nombreuses voies mènent des personnes
à agir violemment en se référant à une idéologie, et il existe de
nombreuses raisons différentes pour lesquelles des groupes ou des
individus sont attirés par la propagande extrémiste et par les discours
ainsi diffusés.
24. Une table ronde organisée par le Centre de recherche Hedayah
sur la lutte contre l’extrémisme violent (Hedayah Countering Violent
Extremism, CVE) et par le Centre international de lutte contre le
terrorisme (International Centre for Counter-Terrorism, ICCT)
a abouti à la conclusion qu’internet
est trop souvent le support privilégié des contre-discours. Il a
certes été reconnu qu’internet, notamment par le biais des médias sociaux,
est un outil efficace, mais il convient de trouver les voies d’accès
à la communauté les plus adéquates pour rendre le message facilement
accessible au public cible dans des lieux non seulement virtuels
mais aussi physiques, afin que ce message ait les effets escomptés.
Certains extrémistes violents utilisent également des éléments culturels
et des symboles, notamment des rassemblements publics, des groupes
musicaux et des figurines pour diffuser leur message.
25. Il convient d’identifier au cas par cas les griefs auxquels
les personnes ou les groupes attirés par les discours et la propagande
extrémistes tentent de répondre par le biais de l’idéologie en question.
Il peut s’agir de griefs relatifs à la politique nationale ou internationale,
individuels ou personnels, réels ou perçus.
26. Enfin, il est également important de soutenir les ressources
générales de l’ensemble de la population, par le développement des
compétences et par l’intégration. Il convient aussi de favoriser
la diversité, l’ouverture et les libertés pour éviter les sentiments
de marginalisation et la division de la société.
8. Amendements proposés
27. Comme je l’ai indiqué plus
haut, je souhaite proposer quelques amendements au projet de résolution
et au projet de recommandation préparés par la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme, sur la base de l’excellent
rapport de M. Byrne. Le but de mes amendements est de renforcer
le message, d’harmoniser les formulations utilisées avec les documents
préalables de l’Assemblée, et d’assurer la pleine participation
de l’Assemblée aux futurs travaux sur l’élaboration des contre-discours
face au terrorisme. Je n’en mentionnerai ici que quelques-uns, qui
revêtent à mon sens une importance particulière.
28. Je propose notamment d’inclure la mention des terroristes
agissant de manière isolée, qui représentent un nouveau phénomène
préoccupant, provenant directement de la radicalisation. Le Conseil
de l’Europe travaille actuellement sur ce sujet et prépare une Recommandation
du Comité des Ministres qui y est relative. Le projet de recommandation
y fait référence au paragraphe 1, et je crois qu’il convient de
le mentionner également dans le projet de résolution.
29. Afin de déterminer les vecteurs crédibles du message, c’est-à-dire
les personnes capables de participer à la diffusion des contre-discours,
il est important de mentionner spécifiquement les femmes, les victimes
du terrorisme, les anciens terroristes repentis et les anciens détenus,
comme cela a été expliqué ci-dessus.
30. En outre, je souhaite souligner le rôle de l'éducation dans
la formation de citoyens actifs dotés d’un sens des responsabilités.
En conséquence, je propose un amendement qui répète le libellé utilisé
dans la
Résolution 2091
(2016) de l'Assemblée.
31. Je pense également que l’Assemblée doit poursuivre son travail
relatif à l’élaboration du «consensus par recoupement des points
communs», qui permettrait d’unir les différentes communautés sur
la base de valeurs communes. De plus, il est important que l’Assemblée
contribue à ce travail, qui pourrait être engagé au niveau des experts,
comme cela est suggéré dans le projet de recommandation.
9. Conclusion
32. Je partage pleinement l’opinion
du rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de
l’homme au sujet de l’importance de la communication dans la lutte
contre le terrorisme et la nécessité d’élaborer des contre-discours
adaptés face à la propagande terroriste. Le Conseil de l’Europe
devrait jouer, par le biais de ses mécanismes appropriés, un rôle
plus important pour recueillir l’expérience et les bonnes pratiques
des États membres dans ce domaine, en confirmant ainsi son rôle
indispensable dans la lutte contre le terrorisme.