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Rapport | Doc. 14557 | 09 mai 2018

Les détenus handicapés en Europe

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteur : M. Manuel TORNARE, Suisse, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14107, Renvoi 4238 du 14 octobre 2016. 2018 - Commission permanente de juin

Résumé

Lorsque leur handicap physique, sensoriel, intellectuel ou psychosocial n’est pas reconnu ou pas suffisamment pris en compte, les détenus handicapés font face à des conditions de détention indignes. Trop souvent, les États violent les droits fondamentaux de ces détenus en négligeant de prendre en compte leurs besoins.

Les quatre principes fondamentaux que sont l’égalité, la non-discrimination, l’accessibilité et l’aménagement raisonnable doivent toujours être respectés en ce qui concerne les détenus handicapés. Les États doivent par ailleurs leur garantir un accès équitable à la justice et veiller à ne pas incarcérer des personnes dont la condition est incompatible avec la détention mais leur appliquer une peine alternative.

Afin de mieux protéger les droits des détenus handicapés, les États devraient tout mettre en œuvre pour détecter les éventuels handicaps chez toute personne entrant en contact avec le système judiciaire pénal et prendre rapidement en charge les besoins des détenus handicapés. Ils doivent par ailleurs leur garantir l’accès aux soins et la continuité de ceux-ci. Les établissements pénitentiaires devraient être aménagés pour en garantir l’accessibilité à tous les détenus, et les informations devraient leur être fournies dans un format accessible. Une offre suffisante d’activités devrait par ailleurs leur être proposée. Pour prévenir les violations de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants, il est également indispensable de former aux différentes formes de handicap le personnel pénitentiaire mais aussi le personnel du système judiciaire pénal.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 26 avril
2018.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire est très préoccupée par la situation des détenus handicapés, qu’il s’agisse de détenus ayant un handicap physique, sensoriel, intellectuel ou psychosocial. La prise en compte insuffisante de leurs besoins spécifiques ainsi que le manque d’accessibilité et d’aménagements raisonnables exposent les détenus handicapés à des violations de leurs droits fondamentaux et à des conditions de détention dégradantes et discriminatoires, ce qui constitue une double peine.
2. Selon le type et la gravité de leur handicap, les détenus handicapés se heurtent à l’inadaptation des cellules, ce qui crée pour eux des conditions de vie indignes, et à l’inaccessibilité des parties communes des prisons, empêchant ces détenus de se déplacer en dehors de leur cellule sans assistance. Les difficultés de communication peuvent par ailleurs avoir des conséquences graves en ce qui concerne l’accès des détenus handicapés à des informations dans des formats accessibles et à des activités adaptées à leur handicap.
3. En l’absence de mesures leur permettant de comprendre leurs droits, la peine qui leur est imposée, le fonctionnement et les règles de l’établissement où ils sont détenus et les mécanismes de plainte, les détenus ayant un handicap intellectuel ou un trouble de l’apprentissage risquent de ne pas pouvoir comprendre leur environnement, d’être perçus comme ayant un comportement perturbateur et d’être exposés à des sanctions injustifiées.
4. En raison de conditions de détention inadaptées, de l’absence ou de l’insuffisance de l’accès à des soins appropriés et du manque de personnel formé, les détenus ayant un handicap psychosocial n’ont souvent pas accès à un traitement adapté à leurs besoins spécifiques, ce qui aggrave leur état de santé et ne permet aucunement une future réinsertion. Certaines personnes ayant commis des actes réprimés par le droit pénal mais qui ont été déclarées non responsables pénalement de ces actes en raison de leur handicap psychosocial se voient privées de liberté pendant des années sans accès à des soins appropriés et sans les garanties nécessaires liées au placement.
5. L’Assemblée relève que ces éléments exacerbent par ailleurs la vulnérabilité et l’isolement des détenus handicapés et les privent d’une insertion sociale au sein de la prison. De plus, ces problèmes sont aggravés par des facteurs qui affectent négativement l’ensemble des détenus mais qui ont un impact disproportionné sur les détenus handicapés, tels que la surpopulation carcérale; la tendance à incarcérer les auteurs d’infractions plutôt qu’à appliquer des peines alternatives; le manque de personnel médical prêt à travailler en milieu carcéral, ce qui se traduit parfois par une application excessive de mesures d’immobilisation ou par une surmédication; les transferts répétés et l’absence de continuité des soins; ainsi que le manque de personnel suffisamment formé à l’assistance aux détenus handicapés. Enfin, l’Assemblée regrette que l’absence de données chiffrées et à jour relatives au nombre de détenus présentant un handicap et aux types de handicap en question empêche la mise en place de moyens adéquats pour remédier aux problèmes rencontrés.
6. L’Assemblée rappelle qu’il appartient à l’État de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les conditions de détention dans ses prisons ne violent pas les droits fondamentaux des personnes incarcérées et que la dignité de celles-ci soit respectée. Tout en regrettant l’absence de cadre juridique spécifique relatif à la situation des détenus handicapés au niveau européen, elle attire l’attention des États sur les obligations découlant notamment de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, sur les règles pertinentes contenues dans la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres sur les Règles pénitentiaires européennes et dans l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), ainsi que sur les préconisations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT).
7. Au vu de ce qui précède et afin de veiller à respecter la dignité humaine de chaque détenu handicapé, l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe:
7.1. en ce qui concerne le cadre juridique applicable aux détenus handicapés et sa mise en œuvre:
7.1.1. à signer et à ratifier la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées si ce n’est déjà fait et à mettre en œuvre ses dispositions;
7.1.2. à adopter dans leur droit interne des dispositions spécifiques régissant la situation des détenus handicapés, afin de garantir à leur égard le respect des principes fondamentaux que sont l’égalité de traitement, la non-discrimination, l’aménagement raisonnable et l’accessibilité;
7.2. en vue d’identifier les mesures et les moyens nécessaires pour remédier aux problèmes rencontrés par les détenus handicapés, à recueillir des données statistiques, y compris des données ventilées par âge, par sexe et par d’autres critères pertinents, permettant d’avoir une vision précise du nombre et de la situation des détenus handicapés dans toute leur diversité;
7.3. à tenir compte, dans toute politique relative à la situation des détenus handicapés, des besoins particuliers des détenus handicapés qui risquent de faire l’objet de discriminations multiples ou intersectionnelles, et notamment ceux des femmes, des personnes âgées, des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) et des personnes appartenant à une minorité ethnique;
7.4. afin de garantir l’accès équitable à la justice, à mettre en place des mesures permettant d’identifier toutes les situations de handicap dès l’entrée en contact d’une personne avec le système judiciaire pénal, et à fournir dans les meilleurs délais l’aide ou les soins dont celle-ci a besoin;
7.5. afin d’éviter l’incarcération de personnes dont la condition est incompatible avec la détention, à prévoir et à développer davantage l’application de peines aménagées ou alternatives;
7.6. lorsqu’une personne handicapée est placée en détention, à veiller à ce que le choix de l’établissement soit fondé notamment sur la capacité de celui-ci à répondre aux besoins de la personne en termes d’accessibilité et d’aménagement raisonnable;
7.7. à réduire au minimum absolu les éventuels délais s’écoulant entre l’arrivée d’une personne handicapée dans un établissement pénitentiaire et sa prise en charge adaptée, en identifiant dès l’incarcération ses besoins en termes d’accessibilité et d’aménagement raisonnable, et à veiller à ce que ces besoins fassent l’objet d’un suivi tout au long de la détention;
7.8. en vue de garantir que les obligations d’accessibilité et d’aménagement raisonnable sont respectées pour toutes les formes de handicap:
7.8.1. à prévoir un nombre de cellules suffisant pour personnes à mobilité réduite et à aménager les établissements pénitentiaires en conformité avec les préconisations du CPT spécifiques à ces personnes, en matière d’espace vital et d’aménagement des cellules;
7.8.2. à aménager les établissements pénitentiaires de façon à ce que les détenus handicapés, notamment les détenus ayant un handicap physique et les détenus malvoyants, aient accès sur un pied d’égalité avec leurs codétenus à l’intégralité des espaces auxquels ils doivent pouvoir se rendre – sanitaires, espaces ouverts, espaces servant aux activités et aux formations proposées aux détenus, services médicaux, locaux réservés aux visites, etc;
7.8.3. à assurer, le cas échéant, les services d’un interprète en langue des signes dans les établissements pénitentiaires lorsque d’autres formes de soutien à la communication ne sont pas suffisantes;
7.8.4. à garantir l’accès à l’information pour les personnes ayant un handicap intellectuel, et pour ce faire, à élaborer ou à soutenir l’élaboration de versions faciles à lire des informations relatives au régime pénitentiaire et aux droits des détenus, préparées conformément aux standards élaborés par les organisations non gouvernementales représentatives des personnes ayant un handicap intellectuel;
7.8.5. à fournir une offre suffisante d’activités adaptées aux besoins des détenus handicapés;
7.9. concernant l’accès aux soins:
7.9.1. à garantir l’accès rapide à des soins adaptés par un personnel qualifié, notamment médical, en nombre suffisant et comprenant l’ensemble des spécialisations nécessaires; ce personnel doit également être formé aux spécificités du monde carcéral;
7.9.2. à garantir la continuité des soins, y compris en cas de transfert vers un autre établissement ou lors de situations exceptionnelles, comme la conduite de mouvements sociaux par le personnel pénitentiaire affectant le fonctionnement normal des services pénitentiaires;
7.10. à former le personnel judiciaire et pénitentiaire au handicap et à intégrer la sensibilité au handicap et aux discriminations multiples et intersectionelles dans les critères de recrutement.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 26 avril 2018.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution... (2018) sur les détenus handicapés en Europe, dans laquelle elle invite les États membres à prendre un certain nombre de mesures afin d’éviter l’incarcération de personnes dont la condition est incompatible avec la détention et de garantir à l’égard des détenus handicapés le respect des principes fondamentaux que sont l’égalité de traitement, la non-discrimination, l’aménagement raisonnable et l’accessibilité.
2. L’Assemblée rappelle les obligations découlant notamment de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, les règles pertinentes contenues dans la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres sur les Règles pénitentiaires européennes et l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), ainsi que les préconisations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT).
3. L’Assemblée regrette toutefois le manque d’attention spécifique porté par les États membres et les instruments internationaux à la situation des détenus handicapés. Les conditions de détention des personnes handicapées ont pu être, dans bien des cas, considérées comme dégradantes et discriminatoires. Elle souligne qu’aucune situation où privation de liberté correspond à privation de dignité ne peut être tolérée.
4. L’Assemblée invite par conséquent le Comité des Ministres:
4.1. à porter la Résolution … (2018) à l’attention des gouvernements des États membres;
4.2. à encourager les États membres à collecter et à mettre en commun des données statistiques sur l’ensemble des situations de handicap se présentant en milieu pénitentiaire;
4.3. à engager sans tarder les mesures envisagées dans sa réponse à la Recommandation 2082 (2015) de l’Assemblée sur le sort des détenus gravement malades en Europe;
4.4. à procéder à une étude exhaustive de la législation et de la pratique des États membres en matière de prise en charge du handicap au sein du système pénal judiciaire et pénitentiaire, en vue de recenser les meilleures pratiques et d’adopter des lignes directrices en la matière.

C. Exposé des motifs, par M. Manuel Tornare, rapporteur

(open)

1. Introduction

«Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons», Fédor Dostoïevski

1. La protection des droits des personnes placées en détention fait depuis longtemps l’objet de l’attention du Conseil de l’Europe. En effet, du fait de leur enfermement, les personnes détenues sont exposées au risque de mauvais traitements voire de torture. Parmi elles, certains groupes dont notamment les personnes handicapées apparaissent particulièrement vulnérables. Des personnes en détention provisoire ou condamnées peuvent non seulement avoir un handicap préalable à leur placement en détention mais également développer un handicap en prison en raison d’un accident ou d’une maladie. Par ailleurs, de nombreuses personnes ayant un handicap psychosocial se trouvent en prison.
2. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») fournit de nombreuses illustrations des violations des droits des personnes incarcérées que les États Parties à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) doivent respecter. La Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126) instaure également un mécanisme de suivi destiné à surveiller le traitement des personnes privées de liberté dans les États membres du Conseil de l’Europe. L’Assemblée parlementaire a quant à elle, à maintes reprises, marqué son engagement contre la torture et les traitements inhumains et dégradants.
3. Or, malgré les textes et mécanismes existants, la situation des détenus handicapés fait rarement l’objet d’une attention spécifique alors même qu’elle soulève des questions fondamentales relatives à la dignité humaine. Le présent rapport a ainsi pour objectif de remédier à cet état de fait et de poursuivre les travaux engagés par l’Assemblée parlementaire dans sa Résolution 2082 (2015) sur le sort des détenus gravement malades en Europe, en formulant des propositions visant à améliorer la situation des détenus handicapés et à renforcer les mécanismes de protection contre la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Mon rapport se concentre tout particulièrement, comme son titre l’indique, sur les prisons et l’environnement carcéral. Toutefois, j’examine également la situation des personnes handicapées se trouvant dans d’autres lieux de privation de liberté, notamment les lieux d’internement de personnes ayant un handicap psychosocial étant suspectées d’avoir ou ayant commis une infraction pénale.
4. Dans le cadre de l’élaboration de ce rapport, j’ai participé le 25 août 2017 à Genève à la discussion générale sur l’égalité et la non-discrimination organisée par le Comité des Nations Unies des droits des personnes handicapées. J’ai également effectué le 8 décembre 2017 une visite d’information en France, au cours de laquelle j’ai notamment visité la prison de Fleury-Mérogis, ainsi qu’une visite d’information en Belgique les 10 et 11 janvier 2018 incluant la visite du centre de psychiatrie légale de Gand et de la prison de Marche-en-Famenne. Je tiens à remercier les autorités françaises et belges pour toute l’assistance qu’elles m’ont apportée et qui a rendu ces visites particulièrement instructives et utiles. Je tiens également à remercier les orateurs qui ont accepté de participer à l’audition tenue le 7 décembre 2017 à Paris par la commission sur l'égalité et la non-discrimination, ainsi que le représentant de l’Ombudsman danois que j’ai rencontré à Copenhague le 2 mars 2018, qui ont donné de leur temps et mis à disposition leur expérience pour éclairer nos travaux.

2. Standards internationaux et principes applicables aux personnes handicapées en prison

2.1. Nations Unies

5. La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées – le premier traité global relatif aux droits des personnes handicapées – est aujourd’hui l’instrument de référence dans le domaine du handicap, comptant 176 États Parties au 1er avril 2018, dont 46 États membres du Conseil de l’Europe 
			(3) 
			Parmi
les États membres du Conseil de l’Europe, seul le Liechtenstein
n’a pas ratifié cette convention.. D’après le Comité des droits des personnes handicapées (CRPD), les États Parties doivent veiller à ce que les détenus handicapés puissent vivre de manière indépendante et participer pleinement à tous les aspects de la vie quotidienne en détention, y compris avoir accès, sur un pied d’égalité avec les autres, à l’ensemble des espaces et des services. Par ailleurs, le manque d’accessibilité et d’aménagements raisonnables place les personnes handicapées dans des conditions de détention qui ne répondent pas aux standards minimaux, sont incompatibles avec l’article 17 de la Convention des Nations Unies (protection de l’intégrité de la personne) et sont susceptibles de constituer une violation de l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants 
			(4) 
			Nations Unies, Comité
des droits des personnes handicapées, Lignes directrices relatives
à l’article 14 de la Convention des Nations Unies sur les droits
des personnes handicapées, septembre 2015; voir aussi Communication no 8/2012
(X c. Argentine), Constatations adoptées le 11 avril 2014, CRPD/C/11/D/8/2012,
paragraphe 8.5..
6. Lors de notre rencontre à Genève le 22 mai 2017, le Secrétaire du CRPD, M. Jorge Araya, a souligné que les conditions de détention des personnes handicapées devraient impérativement respecter les quatre principes fondamentaux que sont l’égalité de traitement, la non-discrimination, l’aménagement raisonnable et l’accessibilité. En effet, le non-respect de ces quatre principes peut entraîner de graves violations des droits humains des détenus handicapés.
7. L’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (dites Règles Nelson Mandela), révisées en décembre 2015 par l’Assemblée générale des Nations Unies 
			(5) 
			Résolution
A/RES/70/175 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies
le 17 décembre 2015., rappellent les principes fondamentaux applicables à toute personne placée en milieu pénitentiaire: leur dignité doit être respectée; aucun détenu ne doit être soumis à la torture ni à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; le principe de non-discrimination doit être appliqué; et l’administration pénitentiaire doit prendre en compte les besoins de chaque détenu, en particulier ceux des catégories les plus vulnérables en milieu carcéral. Toutefois, et malgré les recommandations du CRPD 
			(6) 
			CRPD, Observations
on the Standard Minimum Rules for the Treatment of Prisoners, 20
novembre 2013. Voir les règles 5 (relative au handicap physique), 55
(handicap sensoriel),109 et 110 (handicap mental)., ces règles contiennent très peu de références explicites aux détenus handicapés.

2.2. Conseil de l’Europe

8. De nombreux instruments juridiques du Conseil de l’Europe concernent l’interdiction de la torture, des traitements inhumains et dégradants, les conditions de détention et les droits des personnes handicapées. Toutefois, ces thématiques ne sont traitées ensemble que de manière marginale.
9. Les Règles pénitentiaires européennes de 2006 ne mentionnent que la situation des détenus ayant un handicap psychosocial et sous l’angle exclusif du droit à la santé 
			(7) 
			Recommandation Rec(2006)2
du Comité des Ministres du 11 janvier 2006 sur les Règles pénitentiaires européennes.. Il n’y est pas non plus indiqué que les besoins des détenus doivent être pris en compte en application des principes fondamentaux de non-discrimination, d’accessibilité et d’aménagement raisonnable. En cela, ces Règles ne sont que le reflet du droit pénal des États membres.
10. Les constats et recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme font état de conditions de détention déplorables des personnes handicapées dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe et soulignent la nécessité de définir des lignes directrices précises sur les mesures que les États doivent mettre en œuvre pour protéger la dignité et les droits fondamentaux des détenus handicapés.
11. L’une des priorités de la stratégie du Conseil de l’Europe sur le handicap (2017-2023) est le droit de ne pas être soumis à l’exploitation, à la violence et aux abus. De même, les droits des personnes handicapées, y compris lorsqu’elles sont privées de liberté, font désormais partie des thèmes abordés par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe lors de ses visites dans les pays.

3. Types de handicap couverts par ce rapport et problèmes spécifiques rencontrés en prison

12. L’absence de données fiables relatives au nombre de détenus handicapés doit être soulignée d’emblée. Toutefois, la multiplicité des situations de handicap se retrouve inévitablement en prison. Lorsque l’on parle de détenus handicapés, l’on pense le plus souvent aux personnes ayant un handicap physique. Pourtant des personnes ayant un handicap sensoriel (surdité, cécité) ou un handicap intellectuel se retrouvent aussi en prison. De même, une part importante des personnes incarcérées présentent un handicap psychosocial, tel que la schizophrénie, les troubles bipolaires, les troubles dépressifs graves, etc.
13. A chaque type de handicap devraient correspondre des mesures adaptées aux besoins particuliers. Or cela est loin d’être toujours le cas malgré les recommandations adressées aux États membres et les condamnations répétées de la Cour européenne des droits de l’homme.

3.1. Handicap physique

14. Les personnes ayant un handicap physique ou se déplaçant en fauteuil roulant sont souvent confrontées à l’inadaptation des prisons et des cellules, à l’inadaptation et au défaut d’accès aux soins et au défaut d’assistance et de soutien.
15. Le manque d’accessibilité est l’un des principaux problèmes auxquels les personnes handicapées sont confrontées lorsqu’elles se retrouvent en milieu carcéral. Or l’accessibilité est un principe fondamental pour l’exercice des droits des personnes handicapées. Il implique que des aménagements doivent être mis en place afin que le handicap n’aggrave pas les conditions d’incarcération 
			(8) 
			CRPD, Observations
finales concernant le rapport initial de la République tchèque adoptées
le 10 avril 2015, CRPD/C/CZE/CO/1, paragraphe 28.. Comme cela a été souligné à plusieurs reprises par le CRPD, le refus d’un aménagement raisonnable pourrait équivaloir à de la discrimination et, dans certaines situations comme la détention, à un traitement inhumain ou dégradant.
16. Les exemples de locaux et d’équipements inadaptés – cellules ou sanitaires inadaptés ou insuffisamment équipés, difficultés pour se déplacer à l’intérieur de la prison – sont malheureusement très nombreux.
17. En France, il a été observé que les détenus handicapés constituaient en 2006 environ 6 % de la population carcérale (soit plus de 5 000 personnes) alors que moins de 0,5 % des cellules des nouvelles prisons faisaient l’objet d’aménagements pour accueillir des personnes handicapées 
			(9) 
			Comité Consultatif
National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé (France),
Avis no 94, La santé et la médecine en
prison, 26 octobre 2006, p. 16.. A défaut de places disponibles, les personnes à mobilité réduite sont souvent affectées dans des cellules ordinaires. De tels problèmes ont été signalés par exemple en France, en Italie, dans l’«ex-République yougoslave de Macédoine» et en Turquie 
			(10) 
			France, Visite 2010,
CPT/Inf (2012)13, paragraphe 102, et Rapport d’activité de 2012
du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, p. 239;
Italie, Visite 2012, CPT/Inf(2013)32, paragraphe 74; «l’ex-République
yougoslave de Macédoine», Visite 2014, CPT/Inf(2016)8, paragraphe
80; Turquie, Visite 2009, CPT/Inf(2011)13, paragraphe 119. . L’absence de lits médicalisés et la défaillance du système d’appel posent de sérieux problèmes pour des détenus alités ou paralysés 
			(11) 
			Italie, Visite 2012,
CPT/Inf(2013)32, paragraphe 74; Ita	lie, Visite 2008, CPT/Inf(2010)12,
paragraphe 89.. Une cellule trop petite pour permettre à un détenu en fauteuil roulant de se déplacer, dont les interrupteurs lui sont inaccessibles et les toilettes très difficiles à atteindre, sans avoir un accès quotidien aux douches, crée pour lui des conditions de vie indignes 
			(12) 
			France, Rapport d’activité
de 2012 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté,
p. 239.. Dans ce contexte, je tiens à attirer l’attention des États membres sur les préconisations du le CPT dans son récent rapport sur la Belgique, précisant qu’une cellule pour personne à mobilité réduite ne devrait pas avoir une surface au sol inférieure à 14-15 m² (offrant ainsi 10 m² d’espace vital à la personne concernée, ainsi qu’une annexe sanitaire agrandie et adaptée) 
			(13) 
			Belgique,
Visite 2017, CPT/Inf(2018)8, paragraphe 38. Cette préconisation
a été formulée dans le contexte des nouveaux établissements pénitentiaires
et à terme l’ensemble des établissements pénitentiaires.. Par ailleurs, il est important que les établissements pénitentiaires s’équipent d’un nombre suffisant de fauteuils roulants spécialement équipés pour les toilettes et la douche 
			(14) 
			Albanie, Visite 2014,
CPT/Inf(2016)6, paragraphe 85. Voir également Bosnie-Herzégovine,
Visite 2015, CPT/Inf(2016)17, paragraphes 55-56: douches mal conçues
ou trop étroites..
18. Au-delà des cellules, le manque d’accessibilité des établissements pénitentiaires implique que les détenus handicapés ne peuvent pas participer aux activités quotidiennes ou avoir accès aux services (bibliothèque, réfectoire, toilettes, espace de promenade extérieur, gymnase, magasin, salle de visites/parloir, salle de téléphone, salle de culte) sur un pied d’égalité avec les autres détenus, et restent confinés dans leurs cellules. Les détenus concernés se trouvent ainsi non seulement privés d’activités mais également contraints à un isolement de fait qui peut également avoir des répercussions négatives sur leur état de santé mentale. Ce type de situation a pu être observé par exemple en République slovaque et en France 
			(15) 
			République slovaque,
Visite 2013, CPT/Inf(2014)29, paragraphe 56; Vincent
c. France, Requête no 6253/03,
arrêt du 24 octobre 2006. .

3.1.1. Défaut d’accès aux soins, défaut d’assistance et de soutien

19. Le droit à la santé est un droit fondamental pour toute personne. Or les détenus handicapés sont particulièrement vulnérables à l’inadaptation voire au manque de soins. Plusieurs difficultés peuvent être mentionnées:
  • l’inadaptation, l'insuffisance voire l’absence de soins;
  • l’accès tardif aux soins;
  • l’interruption des traitements;
  • les défaillances dans la surveillance de la prise des traitements.
Bien qu’examinées ici en lien avec le handicap physique, il est à souligner que ces difficultés peuvent toucher l’ensemble des détenus handicapés.
20. La Cour européenne des droits de l’homme a établi à maintes reprises que le fait de détenir des personnes souffrant d’un handicap physique grave dans des conditions incompatibles avec leur état de santé ou de laisser aux codétenus le soin de s’occuper de ces personnes équivaut à un traitement dégradant 
			(16) 
			Price
c. Royaume-Uni, Requête no 33394/96,
arrêt du 10 juillet 2001, paragraphe 30; Engel
c. Hongrie, Requête no 46857/06,
arrêt du 20 mai 2010, paragraphes 27-30; Vincent
c. France, op. cit.,
paragraphes 94-103; D.G. c. Pologne, Requête
no 45705/07, arrêt du 12 février 2013.. Elle a souligné que l’obligation de l’État d’assurer des conditions adéquates de détention comprend celle de répondre aux besoins spéciaux des détenus ayant un handicap physique et que l’État ne peut pas s’exonérer de cette obligation en en transférant la responsabilité aux détenus. Parfois, des conditions de détention inadaptées présentent en outre un risque déraisonnable de dégradation importante de la santé du détenu ou risquent de lui infliger des souffrances psychologiques et physiques qui diminuent sa dignité et constituent un traitement inhumain 
			(17) 
			Grimailovs c. Lettonie, Requête
no 6087/03, arrêt du 25 juin 2013; Arutyunyan c. Russie, Requête no 48977/09,
arrêt du 10 janvier 2012, paragraphe 81..
21. Pour les personnes ayant un handicap physique, le respect de leur dignité et de leur intimité peut se poser avec une acuité particulière. Cela est particulièrement le cas lorsqu’elles sont dépendantes de l’aide, et par conséquent du bon vouloir, de leurs codétenus pour accéder aux structures sanitaires, comme le CPT l’a signalé dans le cas des piantoni (les détenus qui aident les détenus handicapés) en Italie. Une formation et un encadrement adéquats sont indispensables dans ces cas 
			(18) 
			Italie, Visite 2012,
CPT/Inf(2013)32,paragraphe 75.. Le cas échéant, des intervenants assistent les détenus concernés dans les actes de la vie quotidienne 
			(19) 
			France,
Visite 2010, CPT/Inf(2012)13, paragraphe 102.. De même, les fouilles intégrales au retour des parloirs peuvent poser des problèmes spécifiques aux personnes à mobilité réduite si elles ne sont pas à-même de se déshabiller seules. Lors de ma visite en Belgique, les Médiateurs fédéraux m’ont signalé qu’ils étaient en train de mener une étude importante sur les fouilles et que les besoin des détenus handicapés devaient impérativement être pris en compte dans ce contexte.

3.2. Handicap sensoriel

22. Les principaux problèmes rencontrés par les personnes ayant un handicap sensoriel sont la communication et l’accès aux soins.
23. Pour un malvoyant, risquent de s’ajouter aux violences dont sont victimes les détenus handicapés de la part des autres détenus l’isolement, l’absence d’assistance et un accès très limité aux activités culturelles ou à des livres dans des formats accessibles 
			(20) 
			Observatoire international
des prisons, section française, «Malvoyant en prison: l’isolement
et les cris», article du 28 juin 2016: <a href='https://oip.org/temoignage/malvoyant-en-prison-lisolement-et-les-cris/'>https://oip.org/temoignage/malvoyant-en-prison-lisolement-et-les-cris/.</a>. En Belgique, il m’a été signalé lors de ma visite que seule une des 35 prisons du pays dispose d’un marquage au sol pour les malvoyants. L’accès aux soins est par ailleurs crucial. Au Monténégro, le CPT a constaté que deux détenus avec une vision réduite étaient devenus complètement aveugles sans avoir pu consulter un seul spécialiste de la vue 
			(21) 
			Monténégro,
Visite 2013, CPT/Inf(2014)16, paragraphe 118..
24. Concernant les sourds ou malentendants, les traducteurs en langue des signes sont absents des prisons en Allemagne, alors qu’ils sont présents dans les tribunaux 
			(22) 
			Aktion Mensch, Inklusion im Gefängnis?, article
du 11 mars 2012: <a href='http://www.aktion-mensch.de/blog/beitraege/inklusion-im-gefaengnis.html'>www.aktion-mensch.de/blog/beitraege/inklusion-im-gefaengnis.html.</a>. En France également, les services gratuits d’un interprète sont assurés pendant toute la phase de la procédure pénale, mais une fois placé en détention c’est au détenu de payer un interprète pour pouvoir communiquer avec le service médical, le service d’insertion et de probation, son avocat, etc. L’accès à l’interprétation en langue des signes dépend alors des ressources financières du détenu. Cela est d’autant plus problématique que certains sourds sont analphabètes et ne peuvent par conséquent pas recourir à l’écrit pour communiquer. Au Royaume-Uni, un rapport de 2016 a identifié environ 400 détenus sourds ou malentendants, chiffre certainement sous-évalué en l’absence de statistiques officielles. Ces détenus ne peuvent communiquer ou recevoir des informations sur un pied d’égalité avec leurs codétenus du fait du nombre insuffisant de fonctionnaires pénitentiaires formés à la langue des signes, de l’absence de documents d’information dans un format accessible pour les sourds ou encore de l’absence d’équipements tels que des vidéophones qui leur permettraient de communiquer avec l’extérieur et notamment avec leur famille. Il en découle pour les détenus sourds ou malentendants un isolement et un manque d’interactions sociales et de stimulation intellectuelle 
			(23) 
			British Deaf Association,
Throw away the key? How Britain’s prisons don’t rehabilitate Deaf
people, 2016, p. 6-8.. De plus, l’absence de soutien à la communication a pour effet de priver ces détenus d’accès à des cours de formation ou aux services de santé.
25. La détention aggrave l’isolement et la vulnérabilité de ces détenus et l’inadaptation des conditions de détention à ce type de handicap ou la prise trop tardive des mesures requises pour tenir compte de la situation particulière d’un détenu ayant un grave handicap sensoriel peuvent aboutir à une violation de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants, voire du droit de toute personne à être informée dans une langue qu’elle comprend des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. Par ailleurs, conformément au concept de l’aménagement raisonnable et aux dispositions de la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, les autorités doivent prendre des «mesures raisonnables» pour tenir compte de l’état d’un détenu gravement handicapé 
			(24) 
			Z.H.
c. Hongrie, Requête no 28973/11,
arrêt du novembre 2012..
26. Les difficultés de communication peuvent avoir des conséquences graves lorsque les personnes ayant un handicap sensoriel se retrouvent confrontées au système pénal. Cela pose d’importantes questions sur leur accès effectif à la justice et leur droit à ne pas être discriminé sur la base du handicap.
27. En France, le Défenseur des droits a considéré que «la détention provisoire ne doit être envisagée, pour toute personne handicapée mise en examen, qu’à titre exceptionnel en raison de sa vulnérabilité particulière» et que «en tout état de cause, les mesures alternatives à la détention provisoire doivent être mises en place, pour ce qui les concerne, chaque fois que les conditions de détention ne permettent pas de répondre aux exigences fixées par le droit international et la loi pénitentiaire s’agissant d’un égal accès aux droits et au respect de la dignité» 
			(25) 
			Décision
du Défenseur des droits (France) relative aux conditions de détention
des personnes handicapées, no MLD/2013-24,
11 avril 2013, affaire concernant les conditions de détention d’une
personne sourde.. Le Défenseur des droits avait également observé que l’obligation générale d’accessibilité introduite par une loi de 2005 pour tous les établissements publics avait fait l’objet d’un texte d’application uniquement en ce qui concerne les personnes à mobilité réduite. Faute de cadre réglementaire approprié, les établissements pénitentiaires se trouvaient dans l’impossibilité de répondre aux exigences d’accessibilité pour les autres types de handicap, y compris les handicaps sensoriels.

3.3. Handicap intellectuel et troubles de l’apprentissage

28. Dès 2010, la Cour européenne des droits de l’homme avait reconnu que les personnes ayant un handicap intellectuel sont un «groupe particulièrement vulnérable de la société 
			(26) 
			Kiss
c. Hongrie, Requête no 38832/06,
arrêt du 20 mai 2010, paragraphe 42.» et souffrent d’exclusion sociale du fait des discriminations et des préjugés à leur égard.
29. D’après des associations de défense des droits des personnes ayant un handicap intellectuel, comme par exemple le Mental Disability Advocacy Centre (MDAC), ces personnes sont surreprésentées en prison. L’association britannique Prison Reform Trust notait en 2008 que 20 % à 30 % des délinquants présentaient des handicaps ou troubles de l’apprentissage qui interféraient avec leur capacité à faire face au système de justice pénal 
			(27) 
			Prison Reform Trust,
No One Knows programme, Prisoners’ voices – Experiences of the criminal
justice system by prisoners with learning disabilities, 2008, p.
3.. Toutefois, des chiffres précis ne peuvent être avancés faute de données statistiques officielles.
30. La détection rapide du handicap intellectuel est cruciale. À cet égard, je trouve particulièrement intéressants les efforts mis en place dans le Centre de psychiatrie légale de Gand (Belgique), pour évaluer dès leur arrivée non seulement le handicap psychosocial des internés mais aussi leur éventuel handicap intellectuel, afin de garantir aux internés des soins adaptés à leurs besoins. Cela semble toutefois être une exception. En Espagne, 60 % à 70 % des personnes ayant un handicap intellectuel qui entrent en prison n’auraient pas fait l’objet d’une reconnaissance préalable de leur handicap 
			(28) 
			Plena Inclusión, Manual
de procedimiento para la atención de la Policía Local a las personas
con discapacidad intelectual, p. 16.. Cela signifie que ce handicap n’a pas été détecté tout au long de la procédure policière et judiciaire et que la personne n’a pas reçu l’assistance nécessaire pour garantir qu’elle comprenait le déroulement de cette procédure engagée à son encontre. La question se pose de savoir si ces personnes ont pu bénéficier d’un accès équitable à la justice.
31. L’incarcération de personnes ayant un handicap intellectuel ou des troubles de l’apprentissage exige également de se poser la question de leur compréhension de la peine qui leur est imposée, des règles de fonctionnement en prison, de leur accès aux mécanismes de plainte et à l’information sur leurs droits. Pour ce type de handicap, il est crucial que les informations leur soient fournies dans un format que les personnes sont en mesure de comprendre. Or, la terminologie utilisée et les règles en place dans les prisons sont souvent complexes pour des personnes ayant un handicap intellectuel ou des troubles de l’apprentissage. Elles éprouveront des difficultés à remplir un formulaire ou à respecter les règles de la prison avec pour conséquence que leur comportement sera perçu comme perturbateur et fera l’objet de sanctions 
			(29) 
			Prisoners’
voices, op. cit., p. 65-66.. Ces problèmes nous ont été rappelés avec force par Mme Jenny Talbot, directrice du programme Care not Custody du Prison Reform Trust, lors de notre audition tenue le 7 décembre 2017 à Paris.
32. Les personnes ayant un handicap intellectuel ou des troubles de l’apprentissage sont par ailleurs fréquemment victimes de harcèlement de la part de leurs codétenus. Elles cherchent ainsi à cacher leur handicap par peur du ridicule et pour ne pas montrer de signes de faiblesse qui pourraient les exposer à des violences et des abus 
			(30) 
			Ibid..

3.4. Handicap psychosocial

33. La part des personnes ayant un handicap psychosocial (par exemple schizophrénie, troubles bipolaires, troubles graves de la personnalité) est très élevée en prison, souvent bien plus élevée que parmi la population générale 
			(31) 
			The Bradley Report,
Lord Bradley’s review of people with mental health problems or learning
disabilities in the criminal justice system, Executive summary,
avril 2009, paragraphe 40.. En France, près d’un quart des détenus seraient atteints de troubles psychotiques 
			(32) 
			Étude de 2004, citée
par Human Rights Watch, Double peine – Conditions de détention inappropriées
pour les personnes présentant des troubles psychiatriques dans les
prisons en France, 5 avril 2016..
34. La présence d’un nombre important de personnes ayant un handicap psychosocial exige de la part des autorités pénitentiaires et judiciaires une prise en charge adaptée. Dans son dernier rapport de visite en Suisse, le CPT avait ainsi relevé que les autorités compétentes doivent «veiller à ce que les détenus atteints de graves problèmes de santé mentale soient pris en charge et traités dans un environnement (hôpital psychiatrique, unité de psychiatrie légale d’un établissement pénitentiaire ou établissement spécialisé dans l’exécution des mesures), correctement équipé et doté d’un personnel qualifié suffisant pour leur apporter l’assistance nécessaire» 
			(33) 
			Suisse, Visite 2015,
CPT/Inf(2016)18, paragraphe 112.. Or de nombreuses prisons n’ont pas d’unité hospitalière ou spécialisée. Les détenus ayant des troubles psychosociaux se retrouvent ainsi soumis à un régime pénitentiaire ordinaire qui n’est pas adapté à leurs besoins spécifiques.
35. La Cour européenne des droits de l’homme a statué que les États ont l’obligation de dispenser aux détenus ayant des problèmes de santé, y compris à ceux qui souffrent de troubles mentaux, les soins médicaux appropriés 
			(34) 
			Murray c. Pays-Bas, Requête no 10511/10,
arrêt du 26 avril 2016, paragraphes 105-106..
36. L’insuffisance voire l’absence de personnel qualifié a été pointée par le CPT à plusieurs reprises dans ses rapports. En Turquie et en Arménie, le CPT a constaté que certaines prisons ne reçoivent pas la visite d’un psychiatre ou très rarement, laissant les détenus sans le suivi psychiatrique dont ils ont besoin 
			(35) 
			Turquie, Visite 2013
(juin), CPT/Inf(2015)6, paragraphe 95; Arménie, Visite 2010, CPT/Inf(2011)24,
paragraphe 109..
37. Le risque de suicide des détenus ayant un handicap psychosocial est élevé et il peut être aggravé par des soins et des conditions de détention inadaptés, mais également par des mesures d’isolement ou des sanctions disciplinaires incompatibles ou trop sévères compte tenu de l’état de santé du détenu. Le suicide d’un détenu placé en cellule disciplinaire en France a été condamné au motif que ce placement était incompatible avec le niveau de traitement exigé à l’égard d’une personne ayant des troubles mentaux 
			(36) 
			Ketreb
c. France, Requête no 38447/09,
arrêt du 19 juillet 2012, paragraphe 115.. En Espagne, les détenus présentant des troubles mentaux sont automatiquement placés à l’isolement. Le CPT considère cette pratique comme une forme de traitement dégradant 
			(37) 
			Informations
fournies par le professeur Timothy Harding, expert du CPT et ancien
directeur de l’Institut universitaire de médecine légale de l’Université
de Genève, lors de l’audition tenue le 7 décembre 2017 à Paris..
38. Les personnes ayant un handicap psychosocial sont ainsi particulièrement vulnérables en prison, au point que l’on peut se demander dans quelle mesure celle-ci est le lieu approprié pour ces personnes. Des conditions de détention inadaptées, l’absence ou l’insuffisance de soins appropriés et de personnel formé, la surpopulation carcérale font peser de graves risques pour l’état de santé de ces personnes et ne permettent aucunement une future réinsertion. Même si la présence de médecins ou d’unités psychiatriques dans les prisons peut donner l’impression que les détenus ayant un handicap psychosocial vont être correctement pris en charge, cela n’est souvent pas le cas, faute de moyens 
			(38) 
			Interview d’Adeline
Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, France
Inter, 17 août 2017..
39. Néanmoins, transférer les personnes ayant un handicap psychosocial vers une structure hospitalière pose également d’importantes questions. Le traitement involontaire des personnes handicapées est fortement condamné par le CRPD et il convient dès lors que le détenu consente à son transfert vers une unité de soins. De plus, le fait qu’une personne présentant un handicap psychosocial soit «détournée» du système pénal vers une structure psychiatrique entraîne de nombreuses violations de ses droits. Cela signifie que cette personne n’aura pas accès à un procès équitable puisque, déclarée «irresponsable» ou «inapte», elle ne pourra pas se défendre des faits qui lui sont reprochés, en violation de son droit à la présomption d’innocence. Ainsi, une personne sera privée de liberté sur la base de faits allégués mais pour lesquels elle n’aura pas été condamnée par un tribunal à l’issue d’une procédure contradictoire. Enfin, il a été constaté que les personnes placées en hôpital psychiatrique ne bénéficient pas des mêmes garanties juridiques qu’un détenu ordinaire et que ce placement peut parfois durer beaucoup plus longtemps que ne l’aurait été une peine purgée en prison, ce que le CRPD a condamné sans réserve 
			(39) 
			CRPD, Communication
no 7/2012 (Marlon James Noble c. Australie),
Constatations adoptées le 2 septembre 2016, CRPD/C/16/D/7/2012..
40. La situation des internés en Belgique est très parlante à cet égard. Il s’agit de personnes ayant commis des actes réprimés par le droit pénal, mais qui ont été déclarés non responsables de ces actes (en raison notamment d’un handicap psychosocial). Elles sont internées pour une durée indéterminée, leur libération dépendant de l’évaluation du risque de récidive. Recevoir des soins adéquats est pour elles crucial. Or, du fait du manque de place dans des structures adaptées, les internés sont souvent orientés vers des prisons et y restent parfois longtemps, mêlés occasionnellement aux détenus de droit commun. Dans ces cas leur état risque de s’aggraver plutôt que de s’améliorer et ils ont ainsi très peu de chances d’être libérés. Certains internés se voient privés de liberté pendant des années, alors que les faits qu’ils avaient commis étaient peu graves et que la peine qu’ils auraient eu à purger en tant que détenus aurait été courte. Grâce à une modification récente de la loi, il ne sera heureusement plus possible d’interner quelqu’un pour une infraction commise sur des biens mais uniquement pour des crimes ou délits commis sur des personnes. Par ailleurs, le Centre de psychiatrie légale de Gand propose aux internés un véritable parcours de soins visant à la fois à réduire les risques de récidive et à préparer les internés à se réinsérer dans une société dont certains vivent coupés depuis avant la mise en circulation de l’euro.
41. Des cas ont également été signalés au Danemark dans lesquels une personne ayant un handicap psychosocial se voit privée de liberté pendant une durée disproportionnée eu égard aux faits commis. De nombreuses condamnations concerneraient des patients psychiatriques qui auraient résisté à un traitement involontaire ou à une mesure d’immobilisation ou qui auraient connu un épisode psychotique survenu au moment d’un changement de médicaments mal géré. Dans les cas où la sentence impose à la personne condamnée de suivre un traitement et laisse ouverte la possibilité de son internement ultérieur, la privation de liberté peut être décidée plus tard par un seul médecin et en l’absence de tout mécanisme de plainte 
			(40) 
			CRPD, Joint Submission:
38 Danish Civil Society on Denmark (for LOIs), Report to the UN
Committee on the Rights of Persons with Disabilities, 2014; échange
de vues avec le bureau de l’Ombudsman danois, Copenhague, 2 mars
2018.. Le CPT a par ailleurs critiqué l’utilisation excessive à l’égard de personnes ayant un handicap psychosocial de mesures d’immobilisation, et a souligné que ces mesures ne doivent pas se substituer à un traitement adéquat ni être employées afin de combler un manque de personnel 
			(41) 
			Danemark, Visite 2012,
CPT/Inf(2013)3, paragraphe 47..
42. La situation des détenus ayant un handicap psychosocial est très complexe et mériterait à elle seule un rapport séparé. Il s’agit toutefois d’un sujet sur lequel l’opinion publique réagit souvent de manière négative et qui est de ce fait rarement jugé prioritaire par les pouvoirs publics. Dans ce contexte, je tiens à saluer les efforts en cours en Belgique depuis plusieurs années pour remédier aux problèmes relevés ci-dessus, par le biais à la fois de la construction de structures adaptées aux besoins des internés et de modifications législatives visant à introduire des mesures plus appropriées.

4. Problèmes spécifiques rencontrés en prison par certains groupes de personnes handicapées

43. Certains groupes de personnes handicapées sont particulièrement vulnérables en prison. Il s’agit notamment des femmes et des personnes âgées handicapées.

4.1. Femmes handicapées

44. L’article 6 de la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées souligne que les femmes handicapées sont exposées à de multiples discriminations et que les États doivent prendre «les mesures voulues pour leur permettre de jouir pleinement et dans des conditions d’égalité de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales». Les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles dites de Bangkok) soulignent par ailleurs l’importance d’identifier les besoins en termes de santé mentale, de garantir l’accès à des soins ou encore de placer des détenues ayant des troubles mentaux dans des quartiers à l’environnement non restrictif 
			(42) 
			Adoptées en 2010 par
l’Assemblée Générale des Nations Unies; voir notamment les règles
6, 12, 13, 35 et 41. .
45. De même, dans sa Résolution 1663 (2009) sur les femmes en prison, l’Assemblée avait appelé les États, d’une part, «à veiller à ce que les femmes détenues qui sont handicapées ou qui souffrent de maladies chroniques bénéficient de l’aide et de l’assistance indispensables (comme des interprètes en langue des signes, des documents en braille, des soins médicaux, etc.) dont elles peuvent avoir besoin en raison de leur handicap lors de la période préalable au procès et au moment du procès et de la condamnation; et à veiller à ce qu’elles ne soient pas séparées des autres détenus lors des activités sociales et éducatives organisées en prison en mettant à leur disposition des programmes et des services appropriés» et, d’autre part, «à garantir que davantage de recherches sont menées sur la nature et la fréquence des troubles mentaux qui touchent les femmes détenues, et que des moyens de traitement sont proposés dans chaque prison pour femmes» 
			(43) 
			Résolution 1663 (2009) sur les femmes en prison, paragraphes 8.8 et 10.7..
46. L’Assemblée avait noté avec inquiétude que les femmes emprisonnées présentent souvent des troubles mentaux et ce dans des proportions plus élevées que les hommes emprisonnés et que l’ensemble de la population 
			(44) 
			Doc. 11619, Les femmes en prison, paragraphe 37. Voir aussi la
fiche thématique du CPT, Les femmes en prison, janvier 2018, CPT/Inf(2018)5.. Des études récentes tendent à montrer que cette situation perdure. Au Royaume-Uni, 65 % de femmes en prison souffrent de dépression (contre 37 % d’hommes) et près d’un tiers des femmes détenues ont un antécédent psychiatrique au moment de leur entrée en prison. Les femmes en prison présentent également un risque élevé de suicide et d’automutilation, dû à un passé de victime d’abus sexuels, de détresse causée par la séparation avec leurs enfants ou encore de maladie mentale. En 2014, alors qu’elles ne représentaient que 5 % de la population carcérale en Angleterre et au Pays de Galles, 26 % des suicides et actes d’automutilation avaient été commis par des femmes 
			(45) 
			Prison
Reform Trust briefing, Why focus on reducing women’s imprisonment?,
juillet 2015, p. 6.. Le risque de suicide et d’automutilation doit ainsi être précisément évalué par les autorités pénitentiaires lorsqu’elles déterminent le régime de détention qui sera appliqué à ces femmes.
47. En France, les conditions de détention sont particulièrement dures pour les femmes ayant un handicap psychosocial. Les femmes, minoritaires en prison, sont davantage limitées dans leurs mouvements que les hommes et ont moins accès aux soins réservés aux pathologies mentales. Elles ne bénéficient pas non plus d’un accès égal aux produits et aux activités proposés. Des femmes détenues dans une prison avec des quartiers séparés pour les hommes et les femmes se trouvent obligées d’être accompagnées dans tous leurs mouvements, à la différence des hommes détenus dans le même établissement. Cela crée un sentiment d'isolement ainsi que l’impression d’être traitées plus sévèrement en raison de leur sexe. Par ailleurs, un seul des 26 services médico-psychologiques régionaux dans les prisons françaises dispensant des soins de santé mentale et proposant des lits pour la nuit, offre des lits pour les femmes 
			(46) 
			Human Rights Watch, op. cit..
48. En Suisse, les femmes représentent moins de 5 % de la population carcérale. Comme dans les autres pays, de nombreuses femmes détenues présentent des troubles psychosociaux. Pourtant, en 2015, il n’existait pas d’unité de soins réservée aux femmes 
			(47) 
			Suisse, Département
fédéral de justice et police DFJP, Bulletin info 2/2015, Coup de
projecteur: les femmes en détention, p. 12.. Un manque général de places pour les femmes doit également être signalé. En Suisse romande et en Suisse alémanique, il n’existe qu’un seul établissement pour femmes, réservé aux longues peines. Dans les autres prisons, les femmes sont placées dans des sections séparées des hommes. Toutefois, la surpopulation carcérale affecte particulièrement les femmes. Ainsi, dans le canton de Fribourg, aucune prison n’accueille de femmes 
			(48) 
			RTS Info, Les prisons
de Suisse romande manquent de place pour les femmes, 26 mars 2017.. Les femmes doivent ainsi purger leur peine dans un autre canton, ce qui contribue à les éloigner de leur famille. Par ailleurs, comme les femmes détenues sont minoritaires, leurs besoins spécifiques sont difficilement pris en compte et les dépenses d’aménagement qui seraient nécessaires à leur prise en charge ne sont pas estimées prioritaires.
49. Une attention plus systématique devrait être portée à la situation des femmes en détention et en particulier à celles qui ont un handicap psychosocial. Cela vaut aussi bien pour les décideurs politiques que pour les organismes de défense des droits de l’homme. La situation de ces femmes est largement ignorée, comme en témoigne la difficulté à recueillir des informations précises et récentes.

4.2. Personnes âgées handicapées

50. Les personnes âgées constituent un autre groupe vulnérable dans les prisons et les handicaps qu’elles peuvent développer avec les années (surdité, cécité, mobilité réduite, etc.) accroissent encore leur vulnérabilité. Dans la Résolution 2082 (2015) sur le sort des détenus gravement malades en Europe, l’Assemblée avait constaté une tendance au vieillissement de la population carcérale et souligné la nécessité de prendre en compte les besoins en équipements gériatriques qui en découle 
			(49) 
			Résolution 2082 (2015) sur le sort des détenus gravement malades en Europe,
paragraphes 7-8.. A titre d’exemple, le maintien en prison d’un octogénaire paraplégique et invalide au point qu’il ne pouvait pas accomplir la plupart des actes élémentaires de la vie quotidienne sans l’assistance d’autrui a été jugé incompatible avec l’interdiction des traitements dégradants énoncée à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(50) 
			Farbtuhs
c. Lettonie, Requête no 4672/02,
arrêt du 2 décembre 2004, paragraphe 61..
51. Au Royaume-Uni, le nombre de détenus de plus de 60 ans a triplé en 15 ans et le nombre d’octogénaires a doublé en deux ans; la personne incarcérée la plus âgée a aujourd’hui 101 ans 
			(51) 
			The
Guardian, «Buried alive»: the old men stuck in Britain’s
prisons, 20 juin 2017. . Pourtant aucun programme dédié aux besoins de ces détenus n’existe au Royaume-Uni dont les autorités préfèrent adopter une approche au cas par cas. Le vieillissement de la population carcérale est notamment dû au fait que des sanctions plus sévères sont prononcées pour certaines infractions, mais est également le résultat de l’introduction en 2005 des peines d’emprisonnement aux fins de protection publique (IPP) qui permettent de maintenir en prison des personnes jusqu’à ce qu’elles prouvent au service de probation qu’elles ne commettront plus d’infractions 
			(52) 
			Ibid.. Ce mécanisme – abandonné en 2012 en raison des effets négatifs sur la santé mentale des personnes concernées – continue de s’appliquer à environ 4 000 détenus 
			(53) 
			House
of Commons Library, Briefing Paper, no 06086,
9 décembre 2016, Sentences of Imprisonment for Public Protection..
52. Une attention accrue devrait être apportée à cette catégorie de détenus et à leurs besoins spécifiques. Leur présence dans les prisons pose des défis indéniables aux autorités pénitentiaires qui doivent adapter non seulement leurs structures à cette population mais également leur approche globale pour ce qui est de l’accès aux soins, de l’assistance ou encore des activités proposées.

5. Autres facteurs ayant un impact spécifique sur la situation des détenus handicapés

53. Il ressort clairement de l’analyse qui précède que l’absence d’accessibilité et d’aménagement raisonnable des besoins spécifiques des détenus handicapés peuvent constituer des traitements inhumains ou dégradants et avoir des conséquences graves sur la vie de ces détenus, les isolant et les privant d’une insertion sociale au sein de la prison. Un mauvais accès aux soins provoque une détérioration de l’état de santé et peut mener au suicide. D’autres éléments sont également susceptibles d’aggraver la situation des détenus handicapés: l’absence de données concernant ces personnes, la surpopulation carcérale, le mauvais état des prisons, le dysfonctionnement du système pénitentiaire, le manque de personnel et les transferts incessants.

5.1. Identification des détenus en situation de handicap

54. Comme nous l’avons vu plus haut, si cela n’a pas déjà été fait, l’identification des personnes en situation de handicap doit se faire dès l’entrée en détention. Une attention toute particulière doit également être portée à la détection de handicaps moins visibles tels que les handicaps intellectuels ou psychosociaux, ainsi que des handicaps qui se déclarent pendant la période de détention.

5.2. Surpopulation carcérale et tendance au «tout incarcérer»

55. La surpopulation carcérale 
			(54) 
			Pour des chiffres et
une analyse à jour concernant la surpopulation en milieu pénitentiaire
dans l’ensemble des pays membres du Conseil de l’Europe, voir Conseil
de l’Europe, Annual Penal Statistics, SPACE I – Prison populations,
Survey 2016, Final report, PC-CP(2017)10, Strasbourg, 20 mars 2018
(disponible en anglais seulement. Un résumé en français est disponible
à <a href='http://wp.unil.ch/space/files/2018/03/SPACE-I-2016-Executive-Summary_FR_180315.pdf'>http://wp.unil.ch/space/files/2018/03/SPACE-I-2016-Executive-Summary_FR_180315.pdf</a>). a des conséquences sur les conditions de détention de l’ensemble des personnes incarcérées mais elle affecte tout particulièrement celles en situation de handicap ou de dépendance. Cet état de fait est aggravé lorsqu’il existe une tendance au «tout incarcérer».
56. La réponse à la surpopulation carcérale et à des conditions de détention dégradées est souvent la construction de nouvelles places de prison. Or, plus on crée de places de prison, plus on incarcère. L’illustration est encore une fois fournie par la France où le nombre de places en prison a presque doublé entre 1990 et 2017 sans pour autant réduire drastiquement le taux de surpopulation carcérale (118 % en moyenne) et ce alors même que l’on constate une tendance à la baisse du taux global de la criminalité.

5.3. Inadaptation et défaut d’accès aux soins

57. S’agissant de l’insuffisance des soins, le fait pour un État de ne pas prendre les mesures nécessaires en raison de l’état de santé d’un détenu peut constituer un traitement dégradant. La jurisprudence de la Cour contient de nombreux exemples d’insuffisance des soins qui concernent tout particulièrement les détenus ayant un handicap psychosocial (voir chapitre 3.4) mais aussi ceux ayant un handicap physique 
			(55) 
			Concernant le handicap
physique, voir Vladimir Vasilyev c. Russie,
Requête no 28370/05, arrêt du 10 janvier
2012. .
58. La responsabilité des autorités pénitentiaires ne se limite pas à la prescription de médicaments: elles doivent aussi s’assurer de leur bonne prise. Par ailleurs, dans le cas notamment des détenus ayant un handicap psychosocial, les soins doivent également comprendre d’autres formes de thérapies (psychothérapie, etc). Une défaillance des autorités pénitentiaires en la matière peut mener à une violation du droit à la vie (suicide d’un détenu) 
			(56) 
			Jasińska
c. Pologne, Requête no 28326/05,
arrêt du 1er juin 2010..
59. L’accès tardif aux soins – les détenus devant parfois attendre des années avant de recevoir un traitement adapté – implique que ces personnes n’ont pas accès à un traitement adapté, en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(57) 
			Serifis
c. Grèce, Requête no 27695/03,
arrêt du 2 novembre 2006; arrêt Vincent
c. France, op. cit.. Ce retard peut être le signe d’un dysfonctionnement de la coordination entre les services judiciaires et pénitentiaires. Il résulte souvent d’un manque d’identification des besoins des détenus handicapés préalable à leur entrée en prison.

5.4. Manque de médecins et d’autre personnel soignant prêts à travailler en milieu carcéral

60. Le manque de personnel médical dans les établissements pénitentiaires et/ou sa formation insuffisante sont un problème récurrent, identifié à maintes reprises par le CPT ou par le Commissaire aux droits de l’homme 
			(58) 
			Arménie, Visite 2010,
CPT/Inf(2011)24, paragraphe 109: absence de psychiatre au sein de
certaines prisons et visites de psychiatres extérieurs très rare;
absence de formation du personnel vis-à-vis de détenus handicapés psychosociaux;
Turquie, Visite 2013 (juin), CPT/Inf(2015)6, paragraphe 95: certaines
prisons ne reçoivent pas la visite d’un psychiatre; CommDH(2016)1,
Rapport par Nils Muižnieks suite à sa visite en Belgique du 14 au
18 septembre 2015, paragraphe 122: dans l’annexe psychiatrique de
la prison de Forest à Bruxelles, en raison d’un taux de surpeuplement
de 200 % et d’une réduction de personnel de 10 %, le personnel spécialisé
existant ne peut consacrer que 15 minutes par semaine à chaque patient
et aucun membre du personnel médical n’est présent la nuit.. La difficulté de recruter des médecins en prison a été soulignée lors de mes visites en France et en Belgique, en particulier s’agissant de certaines spécialités telles que la kinésithérapie, l’ophtalmologie ou l’imagerie (en France) ou la psychiatrie (en Belgique). La médecine en prison apparaît en effet peu attractive puisque mal payée et réalisée dans des conditions particulièrement stressantes. Ceci a bien entendu des conséquences sur la prise en charge des personnes détenues handicapées.
61. Le manque de personnel aboutit dans certains pays à ce que l’assistance aux détenus handicapés soit dispensée par les codétenus. Or, comme nous l’avons relevé plus haut, dans le contexte particulier de l’univers carcéral, cela présente des risques d’abus si les aidants ne sont pas encadrés et surveillés.
62. De plus, il a été observé que le manque de personnel adéquat peut amener à une application excessive de mesures d’immobilisation 
			(59) 
			CPT/Inf(2013)3, paragraphe
47. ou à une surmédication des détenus handicapés 
			(60) 
			CommDH(2016)1, Rapport
par Nils Muižnieks suite à sa visite en Belgique du 14 au 18 septembre
2015, op. cit.. Pour le dire simplement, il s’agit d’abrutir les détenus de médicaments pour que le calme règne et que le personnel présent puisse faire face.

5.5. Transferts répétés et absence de continuité des soins

63. Les transferts incessants constituent un obstacle à un traitement approprié pour les détenus handicapés. De tels transferts peuvent empêcher le suivi médical ou psychologique nécessaire et entraîner une dégradation de l’état de santé du détenu, en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(61) 
			Bamouhammad c. Belgique, Requête
no 47687/13, arrêt du 17 novembre 2015.
Dans cette affaire, la Cour a également condamné le maintien en
détention du requérant..
64. L’administration pénitentiaire française m’a indiqué que, dans la pratique, la détention ne permet pas un suivi médical ou médico-social des personnes handicapées ou malades équivalent à celui dispensé en milieu libre, et cela malgré l’approche consistant à faire entrer la médecine en prison. En Belgique, où des problèmes d’interruption de soins ont pu être constatés lors de transferts d’une structure à une autre, la numérisation des dossiers médicaux des détenus ou internés est considérée comme une piste utile pour remédier à ce problème.
65. En Belgique, les grèves à répétition du personnel pénitentiaire et l’incapacité des autorités à y faire face suscitent depuis de nombreuses années les mises en garde du CPT en raison de leurs effets inacceptables sur les conditions de détention, en particulier sur les détenus les plus vulnérables tels que ceux ayant des troubles psychosociaux. Le CPT a récemment exhorté les autorités belges à prendre les mesures nécessaires pour assurer en toutes circonstances la sécurité de l’ensemble des personnes détenues, y compris celles faisant l’objet d’une mesure d’internement, mais également la continuité des soins dispensés aux personnes internées en attente de placement en structure adaptée et à toute autre personne souffrant de troubles psychiatriques en détention 
			(62) 
			CPT/Inf(2017)18,
Déclaration publique relative à la Belgique, 13 juillet 2017, paragraphes
11-12..

5.6. Application de peines aménagées ou alternatives

66. Lors de ma visite en France, il m’a été dit à plusieurs reprises que l’existence de structures de soins dans les prisons tend à encourager les magistrats à placer en détention des personnes malades ou handicapées au motif qu’elles pourront y accéder aux soins dont elles ont besoin. Or, cela a surtout pour effet de légitimer l’incarcération de personnes qui ne devraient pas y être en raison de leur handicap ou de leur état de santé.
67. Il existe dans de nombreux pays un dispositif qui permet de suspendre une peine pour raisons médicales. Pourtant, ces dispositifs sont peu mis en œuvre alors qu’ils pourraient être une réponse adaptée pour des personnes reconnues responsables pénalement mais dont l’état de santé est incompatible avec une incarcération. En France, il m’a été indiqué lors de ma visite que les critères d’octroi d’une suspension de peine sont interprétés de manière trop restrictive. Il faut en effet, soit que le pronostic vital de la personne soit engagé, soit que l’état de la personne soit durablement incompatible avec le maintien en détention. Un guide méthodologique à destination des magistrats a été élaboré récemment pour leur permettre de faire un usage plus fréquent des procédures d’aménagement de peine pour raisons médicales.
68. Il m’a également été dit en France que les magistrats sont parfois réticents à libérer des personnes en situation de handicap ou malades au motif qu’en milieu ouvert ces personnes ne pourraient pas accéder aux mêmes soins et structures qu’en milieu fermé. Les suspensions de peine sont ainsi parfois retardées en raison des recherches de structures d’hébergement. Ces préoccupations posent la question de la sortie de prison et de la continuité des soins. Toutefois, la prison ne devrait pas être considérée comme un lieu de prise en charge des personnes pour lesquelles les places manquent dans les structures adaptées, tels que les hôpitaux psychiatriques ou les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

5.7. Offre d’activités pour les détenus handicapés

69. L’offre d’activités pour les personnes handicapées privées de liberté est souvent très limitée voire inexistante, la priorité étant donnée à d’autres groupes de détenus plus nombreux tels que les jeunes adultes. A cet égard je souhaiterais signaler deux bonnes pratiques. En Belgique, le centre de psychiatrie légale de Gand (qui n’est pas considéré comme une prison mais se veut un centre de soins) propose des ateliers de couture, de menuiserie et de métallurgie permettant aux internés de développer des compétences utiles. Certains internés ayant travaillé dans les cuisines du centre pourraient par ailleurs être embauchés par l’entreprise de restauration après leur libération. En France, une convention a été signée avec le ministère du Sport et plusieurs fédérations sportives pour développer des activités à destination des détenus âgés ou en situation de dépendance. Par ailleurs, un ESAT (établissement et service d’aide par le travail) a ouvert en 2014 au centre de détention de Val-de-Reuil et permet à 10 personnes ayant un handicap, et notamment un handicap intellectuel, d’accéder à des activités de travail. Toutefois, ces activités ont dans la pratique plus un objectif occupationnel que de réinsertion sociale.

5.8. Isolement

70. Il ressort de ce qui précède que les détenus handicapés sont particulièrement exposés à l’isolement en prison. La difficulté voire l’impossibilité de se rendre seul aux activités ou formations proposées et le harcèlement et les violences commises par d’autres détenus à l’encontre de détenus handicapés sont autant de facteurs qui empêchent leur participation à la vie carcérale. Pour les détenus ayant un handicap psychosocial, l’isolement inhérent à l’incarcération peut aggraver leur santé mentale. Par ailleurs, lorsqu’un détenu présentant un handicap intellectuel ou psychosocial n’obéit pas à une instruction cela peut entraîner l’imposition d’une sanction disciplinaire – en général sous la forme d’un placement temporaire en isolement, ce qui aggrave encore son état de santé mental.

6. Conclusions

71. Le fait que les personnes handicapées constituent un groupe minoritaire au sein des prisons tend à ce que leur situation ne soit pas jugée prioritaire. Or, la prise en charge des personnes ayant un handicap constitue un défi important pour les administrations pénitentiaires et l’examen de leur situation montre de graves dysfonctionnements dans de nombreux pays européens, y compris des problèmes structurels. Il apparaît toutefois que les administrations pénitentiaires disposent rarement de données chiffrées, à jour, relatives au nombre de détenus présentant un handicap et aux types de handicap en question. Cela rend difficile la mise en place de moyens adéquats pour remédier aux problèmes rencontrés.
72. Les besoins des personnes condamnées et en détention provisoire en termes d’accessibilité et d’aménagement raisonnable devraient être déterminés dès l’incarcération et faire l’objet d’un suivi tout au long de leur détention. Il est en effet inadmissible que des personnes soient privées de soins ou d’assistance pendant des semaines voire des mois ou des années comme l’a trop souvent constaté la Cour européenne des droits de l’homme. Il appartient à l’État de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les conditions de détention dans leurs prisons ne violent pas les droits fondamentaux des personnes incarcérées, conformément aux obligations découlant de différents instruments internationaux tels que la Convention européenne des droits de l’homme ou la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées.
73. Des conditions de détention inadaptées à l’état de santé ou au handicap d’une personne constituent une double peine, équivalant parfois à un traitement inhumain ou dégradant. L’on sait par ailleurs que la détention aggrave l’état de santé, surtout mentale, des personnes détenues. Le risque de suicide et les estimations du nombre de personnes détenues ayant un trouble psychique en sont les tristes illustrations. De plus, la prison est un lieu où règne souvent une grande violence et les personnes vulnérables sont particulièrement exposées au risque de violence et d’abus.
74. Je suis convaincu que les personnes ayant un handicap grave ne devraient pas être détenues dans les mêmes conditions que les autres prisonniers. Sans remettre en cause le fait que ces personnes sont placées en détention sur décision d’un tribunal et pour des faits qu’elles ont commis, il convient néanmoins de s’interroger sur l’opportunité d’une incarcération lorsque des conditions de détention humaines et dignes ne peuvent pas être garanties. En effet, rien ne peut justifier des conditions de détention dégradantes et discriminatoires. Si les établissements pénitentiaires ne sont pas en mesure d’offrir aux personnes handicapées des conditions de détention adaptées à leur situation, elles devraient alors bénéficier d’aménagement ou de suspension de peine. Une sensibilisation obligatoire et régulière des magistrats au milieu pénitentiaire et au handicap devrait être proposée. Les alternatives à l’emprisonnement, tels que l’assignation à résidence ou les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, devraient être encouragées en particulier pour les personnes dont l’état de santé n’est pas compatible avec une incarcération. J’estime par ailleurs que la question de l’accès équitable à la justice des personnes handicapées mériterait de faire l’objet d’un examen plus approfondi par l’Assemblée.
75. Les prisons sont un immense chantier et je suis bien conscient que la détention de personnes handicapées n’est qu’un aspect d’une multitude de problèmes auxquels les autorités publiques sont confrontées (surpopulation carcérale, violence, manque de moyens, difficulté de recruter du personnel tant pénitentiaire que médical, etc.). Toutefois, l’état des prisons relève d’un choix de société et les solutions possibles doivent être envisagées dans toute leur complexité et leur globalité. Il importe également de faire preuve de volonté et de courage politique, l’amélioration des conditions de détention étant rarement perçue comme une priorité par l’opinion publique.
76. Beaucoup d’efforts restent à faire pour atteindre cet objectif dans l’ensemble de nos États membres. Il est de notre devoir de nous attaquer à ces problèmes. Nous ne pouvons nous permettre de laisser perdurer des situations où, pour les personnes handicapées, privation de liberté correspond à privation de dignité.