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Résolution 2218 (2018)
Lutter contre le crime organisé en facilitant la confiscation des avoirs illicites
1. L’Assemblée parlementaire constate
avec une profonde préoccupation que, selon les estimations de la Banque
mondiale et de l’Union européenne, les organisations criminelles
réalisent chaque année des centaines de milliards d’euros de gains
illicites. Les avoirs illicites accumulés par les criminels au fil
du temps leur permettent de corrompre et de faire pression sur les
responsables politiques, les agents des forces de l’ordre et les
témoins, ainsi que de truquer des marchés entiers, en faussant,
voire en éliminant la concurrence. Cette puissance va jusqu’à menacer
la stabilité des démocraties les plus solides et le contrat social
passé entre les citoyens et l’État, sur lequel repose l’ensemble
des sociétés libres.
2. La confiscation des avoirs illicites présente de multiples
avantages: elle rend les activités criminelles financièrement moins
rémunératrices, sape le pouvoir conféré aux criminels par leur fortune,
les prive des moyens nécessaires au financement de leurs prochains
actes criminels et génère des ressources qui permettent d’indemniser
les victimes et de reconstruire les communautés auxquelles la criminalité
cause un préjudice.
3. L’Assemblée observe que la confiscation des avoirs d’origine
criminelle est souvent entravée par la charge déraisonnablement
excessive de la preuve qui pèse sur les autorités nationales compétentes
et par l’inefficacité de la coopération entre les autorités des
différents pays à des fins de recherche, de gel et de confiscation
des avoirs d’origine criminelle au-delà des frontières.
4. Elle note par ailleurs que l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas
et le Royaume-Uni ont adopté une législation particulière pour faciliter
la confiscation des avoirs illicites, en particulier en allégeant
la charge de la preuve de l’origine criminelle d’un enrichissement
sans cause qui pèse sur les autorités, grâce au recours à des présomptions
de fait, voire, à certaines conditions, au renversement de fait
de la charge de la preuve.
5. Ces mesures (qualifiées également de confiscation sans condamnation
préalable, confiscation civile, confiscation civile des avoirs obtenus
de manière illicite ou confiscation d’un enrichissement sans cause)
ont passé avec succès le contrôle des plus hautes juridictions des
pays concernés et de la Cour européenne des droits de l’homme. Ces
juridictions ont conclu que ces mesures étaient compatibles avec
les droits de l’homme, notamment avec la présomption d’innocence
et le droit de jouissance paisible de ses biens reconnu à toute personne.
6. Sous réserve de l’existence de garanties suffisantes, en particulier
du contrôle juridictionnel complet de toute mesure confiscatoire
par des juridictions indépendantes et impartiales, l’Assemblée souscrit
pleinement aux mesures de confiscation sans condamnation préalable
ou à des mesures similaires, qui représentent pour les États le
moyen le plus réaliste de s’attaquer à la gigantesque puissance
financière de la criminalité organisée, dont la croissance est inexorable,
en vue de défendre la démocratie et l’État de droit.
7. L’efficacité de la coopération internationale à des fins de
recherche, de gel et de confiscation des avoirs d’origine criminelle
dépend de l’existence d’un cadre juridique adéquat, garantissant
une harmonisation suffisante de la procédure tout en permettant
des approches nationales différentes, sans discrimination.
8. Parmi les instruments internationaux pertinents figurent la
Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale de
1959 (STE no 30) et ses deux protocoles
additionnels (STE nos 99 et 182), la
Convention de 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie
et à la confiscation des produits du crime (STE no 141),
la Convention de 2005 du Conseil de l’Europe relative au blanchiment,
au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime
et au financement du terrorisme (STCE no 198)
et plusieurs instruments des Nations Unies (dont la Convention de
1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes,
la Convention de 2000 contre la criminalité transnationale organisée
et la Convention de 2003 contre la corruption). Ces conventions
ne sont cependant pas toutes ratifiées par l’ensemble des États
membres du Conseil de l’Europe et des autres États qui jouissent
d’un statut spécial auprès du Conseil de l’Europe ou de son Assemblée
parlementaire. Cette situation crée un vide juridique qui permet
à la criminalité organisée de continuer à échapper à la confiscation
de ses avoirs illicites.
9. L’Assemblée invite par conséquent tous les États membres du
Conseil de l’Europe et les autres États qui jouissent d’un statut
spécial auprès du Conseil de l’Europe:
9.1. à prévoir dans leur droit interne la confiscation sans
condamnation préalable, ainsi que la possibilité de procéder à une
confiscation d’une valeur équivalente et à l’imposition des gains
illicites, tout en établissant des garanties adéquates, et à adopter
les bonnes pratiques dont la mise à l’essai a été satisfaisante,
notamment:
9.1.1. en autorisant le contrôle judiciaire complet,
par un tribunal indépendant et impartial, dans un délai raisonnable,
de toute décision de gel ou de confiscation d’avoirs illicites;
9.1.2. en octroyant une réparation aux personnes dont les avoirs
ont été gelés ou confisqués à tort;
9.1.3. en prévoyant une aide juridictionnelle pour le contrôle
judiciaire et la procédure de réparation au profit des personnes
qui n’ont pas les moyens de payer un représentant en justice;
9.1.4. en constituant une instance spécialisée en charge du gel
et de la confiscation des avoirs illicites, composée d’un personnel
professionnel et pluridisciplinaire ayant accès aux informations pertinentes
détenues par les services répressifs (en particulier la police et
les douanes), les services fiscaux et les services sociaux;
9.1.5. en veillant à ce que cette instance spécialisée gère les
avoirs gelés de manière à en conserver la valeur jusqu’à leur confiscation
définitive, et disposer des avoirs confisqués pour que la société
dans son ensemble en retire le plus grand bénéfice et pour éviter
toute incitation inappropriée;
9.1.6. en autorisant cette instance spécialisée à recourir à
des techniques spéciales d’enquête, comme l’accès aux informations
financières détenues par d’autres organismes publics, les opérations
d’infiltration et le suivi en temps réel des comptes bancaires;
9.1.7. en informant régulièrement le grand public à la fois des
opérations réussies et des problèmes rencontrés;
9.2. à promouvoir la coopération internationale dans ce domaine,
en agissant rapidement et en coopérant les uns avec les autres dans
toute la mesure du possible à des fins d’enquête et de procédure visant
la confiscation des instruments et des produits du crime, en particulier:
9.2.1. en signant et en ratifiant tous les instruments juridiques
internationaux facilitant la recherche, le gel et la confiscation
des avoirs illicites (paragraphe 8);
9.2.2. en appliquant ces instruments dans un esprit de coopération
non bureaucratique, en mettant tout particulièrement l’accent sur
les échanges spontanés d’informations, sans insister sur la réciprocité
et sans exclure ou désavantager les États qui disposent déjà d’un
régime de confiscation sans condamnation préalable;
9.2.3. en promouvant les réseaux internationaux de professionnels
compétents, comme le CARIN (Camden Assets Recovery Interagency Network-Réseau
Camden regroupant les autorités compétentes en matière de recouvrement
des avoirs) et la plate-forme ARO (Asset Recovery Offices- bureaux
de recouvrement des avoirs) et les autres forums pertinents;
9.2.4. en constituant et en utilisant plus souvent des équipes
communes d’enquête, comme celles qui ont été mises en place avec
l’aide d’Eurojust et d’Europol, et en promouvant la participation
plus fréquente des États non membres de l’Union européenne à ces
équipes;
9.2.5. en mettant les techniques spéciales d’enquête à disposition
dans les enquêtes transfrontières;
9.2.6. en définissant clairement les dispositions applicables
au partage des avoirs confisqués avec succès entre les pays concernés.