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Rapport | Doc. 14570 | 07 juin 2018

Nouvelles restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l'Europe

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Yves CRUCHTEN, Luxembourg, SOC

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4205 du 22 avril 2016. 2018 - Troisième partie de session

Résumé

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme fait le bilan des développements entre 2016 et 2018 et s’inquiète de nouvelles restrictions législatives imposées aux activités des ONG ainsi que d’un climat de plus en hostile envers ces dernières. En Azerbaïdjan et en Fédération de Russie, les conditions de travail des ONG continuent à se détériorer suite à l’application des lois restreignant leur financement étranger. En Hongrie, une nouvelle législation sur la transparence des organisations recevant de l’aide de l’étranger est entrée en vigueur et le gouvernement a proposé le paquet législatif «Stop Soros», qui vise à restreindre les activités des ONG aidant les migrants. En Roumanie et en Ukraine, des projets de lois visant à imposer aux ONG de nouvelles obligations de déclaration financière sont en cours d’examen au parlement.

La commission se dit particulièrement préoccupée par la situation en Turquie, où, suite à l’introduction de l’état d’urgence, près de 1 600 associations et fondations ont été fermées.

Les États membres du Conseil de l’Europe sont appelés à respecter pleinement le droit à la liberté d’association et à consulter la société civile sur les projets de lois pertinents. Le Conseil d’Europe devrait établir un mécanisme pour recevoir des alertes sur les restrictions imposées aux ONG et davantage coopérer avec ces dernières.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 22 mai 2018.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle sa Résolution 2096 (2016) et sa Recommandation 2086 (2016) «Comment prévenir la restriction inappropriée des activités des ONG en Europe?», ses précédentes Résolutions 1660 (2009), 1891 (2012) et 2095 (2016) et sa Recommandation 2095 (2016) sur la situation des défenseurs des droits de l'homme dans les États membres du Conseil de l’Europe, ainsi que sa Résolution 2060 (2015), sa Recommandation 2073 (2015), sa Résolution 1729 (2010) et sa Recommandation 1916 (2010) sur la protection des «donneurs d’alerte».
2. L’Assemblée souligne une nouvelle fois l’importance des organisations non gouvernementales (ONG) pour le développement et la réalisation de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme, en particulier à travers la sensibilisation du public et la participation à la vie publique, en veillant à la transparence et à la nécessité pour les autorités publiques de rendre compte de leur contribution à la vie culturelle et au bien-être social des sociétés démocratiques. Elle rend hommage à l’ensemble des ONG, dont l’action a renforcé les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit dans les États membres du Conseil de l’Europe.
3. L’Assemblée rappelle qu’en adhérant à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), les États membres du Conseil de l'Europe sont convenus de garantir, sans discrimination, le respect des libertés de réunion, d’association et d’expression, qui sont inextricablement liées l’une à l’autre et sont essentielles au bon fonctionnement de la société civile. Toute restriction des droits susmentionnés doit être «prévue par la loi», «nécessaire dans une société démocratique» et proportionnée au but légitime poursuivi.
4. L'Assemblée observe avec préoccupation que l’espace dévolu à la société civile s’est rétréci ces dernières années dans plusieurs États membres du Conseil de l'Europe, surtout pour les ONG qui œuvrent dans le domaine des droits de l’homme. Cette situation s’explique essentiellement par la législation et la réglementation restrictives en matière d’enregistrement ou de financement, par le harcèlement administratif, par les campagnes de dénigrement visant certains groupes et par les menaces et intimidations contre des dirigeants d’ONG et des militants.
5. L’Assemblée rappelle sa Résolution 2184 (2017) sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbaïdjan et sa Résolution 2185 (2017) «Présidence azerbaïdjanaise du Conseil de l'Europe: quelles sont les suites à donner en matière de respect des droits de l’homme?». Elle déplore l’absence d’environnement propice aux activités des ONG et condamne les représailles dont sont victimes les militants de la société civile en Azerbaïdjan. Elle appelle ce pays à modifier sa législation relative aux ONG conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et aux recommandations de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) (Avis nos 636/2011 et 787/2014).
6. Rappelant sa Résolution 2162 (2017) «Évolutions inquiétantes en Hongrie: projet de loi sur les ONG restreignant la société civile et possible fermeture de l’Université d’Europe centrale», l’Assemblée exprime sa préoccupation quant à l’entrée en vigueur de la loi sur la transparence des organisations recevant de l’aide de l’étranger et exhorte la Hongrie à abroger les dispositions de ce texte qui ne sont pas conformes aux recommandations de la Commission de Venise (Avis no 889/2017). Elle s’alarme également du paquet législatif «Stop Soros» proposé, qui aurait pour effet de restreindre les libertés des ONG défendant les droits des migrants et des réfugiés et de leurs membres, et appelle la Hongrie à ne pas l’adopter.
7. L’Assemblée demeure également préoccupée par la mise en œuvre de la «loi relative aux agents étrangers» et de la «loi relative aux organisations indésirables», qui a provoqué la fermeture de dizaines d’ONG nationales qui recevaient des fonds étrangers ainsi que des principales ONG internationales et étrangères qui travaillaient dans la Fédération de Russie. Elle demande une nouvelle fois à la Fédération de Russie de modifier sa législation relative aux ONG, conformément aux Avis nos 716/2013 et 717/2013 de la Commission de Venise.
8. Rappelant ses Résolutions 2156 (2017) sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie et 2209 (2018) «État d’urgence: questions de proportionnalité relatives à la dérogation prévue à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme», l’Assemblée est particulièrement inquiète du grand nombre d’associations et de fondations (près de 1 600) fermées sur la base de mesures adoptées dans le cadre de l’état d’urgence. Elle exhorte la Turquie à lever l’état d’urgence dès que possible, à veiller à ce que les ONG fermées disposent d’un recours effectif contre la décision de fermeture définitive et à réexaminer la proportionnalité et la nécessité des mesures limitant les libertés d’association, de réunion et d’expression, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et aux recommandations de la Commission de Venise (Avis no 865/2016).
9. L’Assemblée appelle la Roumanie et l’Ukraine à rejeter les projets de loi récemment proposés qui imposent aux ONG de nouvelles obligations de déclaration financière, sauf s’ils sont modifiés dans le sens des recommandations de la Commission de Venise et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH) (voir respectivement les Avis nos 914/2017 et 912/2018), et à les soumettre à une large consultation publique. Elle appelle en outre l’Ukraine à supprimer au plus vite l’obligation de déclaration en ligne faite aux militants anticorruption prévue dans la loi no 1975-VIII du 23 mars 2017.
10. L’Assemblée appelle tous les États membres:
10.1. à mettre pleinement en œuvre la Recommandation CM/Rec(2007)14 du Comité des Ministres sur le statut juridique des organisations non gouvernementales en Europe;
10.2. à revoir et abroger ou modifier les lois qui entravent le travail libre et indépendant des ONG et à veiller à ce que ces lois soient conformes aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme en ce qui concerne les droits aux libertés d’association, de réunion et d’expression, en faisant appel à l’expertise du Conseil de l'Europe et en particulier de la Commission de Venise et de la Conférence des organisations internationales non gouvernementales;
10.3. à s’abstenir d’adopter de nouvelles lois qui se traduiraient par des restrictions inutiles et disproportionnées et par une charge financière imposées aux activités des ONG;
10.4. à faire en sorte que les ONG puissent solliciter, recevoir et utiliser des financements transparents et d’autres ressources, d’origine nationale ou étrangère, sans subir de discrimination ni rencontrer d’obstacles injustifiés;
10.5. à veiller à ce que les ONG participent véritablement aux processus de consultation portant sur les nouvelles lois qui les concernent et sur d’autres questions particulièrement importantes pour la société, comme la protection des droits de l’homme;
10.6. à garantir un environnement propice à la société civile, notamment en s’abstenant de tout harcèlement (judiciaire, administratif ou fiscal), de propos publics négatifs, de campagnes de dénigrement contre les ONG et d’actes d’intimidation contre les militants de la société civile.
11. L’Assemblée, consciente du rétrécissement de l’espace dévolu à la société civile dans de nombreux États membres du Conseil de l'Europe, décide de rester saisie de cette question.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 22 mai 2018.

(open)
1. Se référant à sa Résolution …. (2018) sur les nouvelles restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l'Europe, l’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres:
1.1. d’appeler une nouvelle fois les États membres du Conseil de l'Europe à mettre en œuvre sa Recommandation CM/Rec(2007)14 sur le statut juridique des organisations non gouvernementales en Europe et de continuer à dresser le bilan des progrès accomplis à cet effet;
1.2. de poursuivre ses débats thématiques sur «le rôle et le fonctionnement des ONG au Conseil de l'Europe» et ses échanges avec la Conférence des organisations internationales non gouvernementales (OING) de manière régulière;
1.3. de consolider son interaction avec les représentants de la société civile en développant le cadre de dialogue, notamment par la tenue de réunions régulières ouvertes au public;
1.4. de continuer à promouvoir les normes européennes et internationales concernant l’instauration et la préservation d’un environnement sûr et propice à la société civile et à échanger les bonnes pratiques dans ce domaine;
1.5. à cet égard, de continuer à renforcer les synergies, au sein du Conseil de l'Europe, entre tous les acteurs concernés, en particulier le Secrétaire Général, le Commissaire aux droits de l’homme, la Conférence des OING et l’Assemblée;
1.6. de créer un mécanisme permettant de recevoir des alertes sur de nouvelles restrictions éventuelles du droit à la liberté d’association dans les États membres du Conseil de l'Europe, d’analyser ces informations et d’y réagir.

C. Exposé des motifs, par M. Yves Cruchten, rapporteur

(open)

1. Introduction

1.1. Procédure

1. Dans sa Résolution 2096 (2016) «Comment prévenir la restriction inappropriée des activités des ONG en Europe?», adoptée le 28 janvier 2016, l’Assemblée, «consciente de la situation précaire de la société civile sur le territoire du Conseil de l'Europe», a décidé «de rester saisie de la question et de continuer de lui donner la priorité, étant donné l’urgence de surveiller le respect de la liberté d'association, de réunion et d’expression» (paragraphe 8). À la suite de la décision prise par le Bureau de l’Assemblée le 22 avril 2016, cette question a été renvoyée à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme. Lors de sa réunion du 21 juin 2016, la commission a nommé Mme Aleksandra Djurović (Serbie, PPE/DC) rapporteure. Après le départ de celle-ci de l’Assemblée, la commission m’a nommé rapporteur lors de sa réunion du 13 novembre 2017. À sa réunion du 12 décembre 2017, elle m’a autorisé à effectuer une visite d'information en Turquie. Le 23 janvier 2018, elle a organisé une audition à laquelle ont participé M. Nils Muižnieks, précédent Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe, Mme Anna Rurka, présidente de la Conférence des organisations internationales non gouvernementales (OING) du Conseil de l'Europe, et M. Konstantin Baranov, membre du conseil du Mouvement international de jeunes pour les droits de l'homme (Russie). Cette audition s’inscrivait également dans le cadre des travaux sur le rapport «Assurer la protection des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l'Europe» (rapporteur: M. Egidijus Vareikis, Lituanie, PPE/DC). Les 5 et 6 avril 2018, j’ai effectué une visite d’information à Ankara (Turquie).

1.2. Questions en jeu

2. La question de la restriction inappropriée des activités des organisations non gouvernementales (ONG) dans les États membres du Conseil de l'Europe a déjà fait l’objet d’un rapport, dont j’étais l’auteur 
			(3) 
			Doc. 13940 du 8 janvier 2016.. L’Assemblée s’est appuyée sur ce rapport pour adopter les Résolution 2096 (2016) et Recommandation 2086 (2016).
3. Comme le rappelle la Résolution 2096 (2016), les ONG sont une composante essentielle d’une société civile ouverte et démocratique et contribuent de manière fondamentale à la défense des droits de l’homme et au renforcement de la démocratie et de l’État de droit. En adhérant à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»), les États membres du Conseil de l’Europe sont convenus de garantir le respect de la liberté de réunion et d’association (article 11 de la Convention) et de la liberté d’expression (article 10), qui sont inextricablement liées l’une à l’autre et sont essentielles au bon fonctionnement de la société civile. Ces libertés sont également consacrées par les articles 19 et 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il ne s’agit pas de droits absolus, car la Convention prévoit un certain nombre de critères précis qui autorisent leur restriction (au paragraphe 2 des articles 10 et 11). Ces restrictions doivent être prévues par la loi, être «nécessaires dans une société démocratique», ce qui présuppose l’existence d’un «besoin social impérieux», et respecter le principe de proportionnalité 
			(4) 
			Voir par exemple Cour
européenne des droits de l'homme, Chassagnou
et autres c. France, Requêtes nos 25088/94 et
autres, arrêt du 29 avril 1999 (Grande Chambre), paragraphe 104
et suivants.. Elles doivent aussi poursuivre au moins l’un des buts légitimes indiqués dans la Convention, par exemple la sécurité nationale, la sûreté publique, la défense de l'ordre et la prévention du crime et la protection de la santé ou de la morale. Les droits énoncés à l’article 11 peuvent être restreints aussi au nom de «la protection des droits et libertés d’autrui», et ceux garantis à l’article 10 dans l’intérêt de l’intégrité territoriale ou de «la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire». La Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») a souligné à maintes reprises que, aux côtés de la presse, les ONG exercent un rôle de «chien de garde» dans une société démocratique 
			(5) 
			Vides
Aizsardzības Klubs c. Lettonie, Requête no 57829/00,
arrêt du 27 mai 2004, paragraphe 42, et Radio
Twist, A.S. c. Slovaquie, Requête no 62202/00,
arrêt du 19 décembre 2006, paragraphes 48-50.. Lorsqu’elle a examiné un grand nombre de requêtes concernant la dissolution ou le refus d’enregistrement d’ONG et de partis politiques visant à renverser l’ordre constitutionnel et institutionnel de leur État, la Cour a souligné qu’une organisation «peut mener campagne en faveur d'un changement de la législation ou des structures légales ou constitutionnelles de l'État à deux conditions: 1) les moyens utilisés à cet effet doivent être à tous points de vue légaux et démocratiques; 2) le changement proposé doit lui-même être compatible avec les principes démocratiques fondamentaux. (…) Le simple fait qu’une organisation appelle à ce changement ne saurait justifier automatiquement des ingérences dans les libertés d’association et de réunion de ses membres» 
			(6) 
			Jetchev c. Bulgarie, Requête no 57045/00,
arrêt du 21 juin 2007, paragraphes 47-48; Organisation
macédonienne unie Ilinden-PIRIN et autres c. Bulgarie, Requête
no 59489/00, arrêt du 20 octobre 2005,
paragraphes 59 et 61, ou Yazar et autres
c. Turquie, Requêtes nos 22723/93,
22724/93 et 22725/93, arrêt du 9 avril 2002, paragraphe 49..
4. Le Conseil de l'Europe soutient pleinement l’existence d’une société civile dynamique et coopère avec les ONG sur une base structurelle et permanente par le biais de l’une de ses institutions – la Conférence des organisations internationales non gouvernementales, qui a été progressivement mise en place par le Comité des Ministres depuis les années 1970 
			(7) 
			Voir,
en particulier, la <a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680507c59'>Résolution
(72) 35</a> du Comité des Ministres sur les relations entre le Conseil
de l'Europe et les organisations internationales non gouvernementales,
règlement de statut consultatif; la <a href='https://rm.coe.int/09000016804de86c'>Résolution (93)
38</a> sur les relations entre le Conseil de l'Europe et les
organisations internationales non gouvernementales et la <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectID=09000016805de6fb'>Résolution Res(2003)8</a> sur le statut participatif des organisations internationales
non gouvernementales auprès du Conseil de l’Europe. et qui regroupe plus de 400 ONG ayant un statut participatif. Dans sa Recommandation CM/Rec(2007)14 sur le statut juridique des organisations non gouvernementales en Europe, le Comité des Ministres a reconnu le rôle joué par ces organisations et a donné aux législateurs nationaux des lignes directrices claires pour qu’ils édictent une législation relative aux ONG dont la teneur soit satisfaisante. Cette recommandation définit les ONG comme des «entités ou organisations autonomes volontaires créées pour réaliser les objectifs essentiellement non lucratifs de leurs fondateurs ou adhérents», qui ne sont pas des partis politiques (principe I.1). Elle comporte également des lignes directrices relatives à leurs objectifs, création et adhésion, personnalité juridique, gestion, collecte de fonds, biens et aide publique, obligation de rendre compte et participation à la prise de décisions. Selon son principe 50, les ONG «devraient être libres de solliciter et de recevoir des contributions (…) non seulement des autorités publiques de leur propre État, mais aussi de donateurs institutionnels ou individuels…». Elles devraient pouvoir participer «au dialogue et à la consultation sur les objectifs et décisions de politique publique» et être consultées au cours de la rédaction des lois et règlements ayant des incidences sur leurs statuts (principes 76 et 77). L’évolution de l’environnement dans lequel travaillent les ONG, liée au développement des médias et de la société de l’information, a été reconnue par le Comité des Ministres dans la Recommandation CM/Rec(2016)5 du 13 avril 2016 sur la liberté d’internet. Le 27 septembre 2017, le Comité des Ministres a adopté des Lignes directrices relatives à la participation civile aux décisions politiques. D’autres orientations sur cette question figurent dans les Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH) du 17 décembre 2014.
5. Dans sa Résolution 2096 (2016), l’Assemblée s’inquiétait de la détérioration de la situation de la société civile dans certains États membres du Conseil de l’Europe ces dernières années, en particulier en Azerbaïdjan et dans la Fédération de Russie. Elle faisait remarquer que cet état de fait était dû notamment à l’adoption d’une législation et d’une réglementation restrictives, qui équivalent à créer diverses entraves à l’enregistrement, au fonctionnement et au financement de nombreuses ONG, ainsi qu’à leur stigmatisation. Elle exprimait des préoccupations similaires dans sa Résolution 2095 (2016) «Renforcer la protection et le rôle des défenseurs des droits de l'homme dans les États membres du Conseil de l'Europe», adoptée le même jour 
			(8) 
			Voir
le rapport de notre ancienne collègue de la commission, Mme Mailis
Reps (Estonie, ADLE), Doc. 13943.. En outre, mon rapport de 2015 soulignait les tendances négatives qui se dessinaient en Turquie et en Hongrie. Dans son rapport de 2017 «Situation de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit. Populisme – Le système de contre-pouvoirs est-il suffisamment puissant en Europe?», le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, M. Thorbjørn Jagland, conclut que dans certains États membres «des obstacles juridiques et réglementaires à la création, à l’activité et au financement des ONG les empêchent effectivement de fonctionner». Il s’agit notamment des «procédures d’enregistrement longues et complexes, exigences administratives excessives, obstacles en matière d’accès aux ressources financières, notamment étrangères». Selon le Secrétaire Général, «au cours des dernières années, quelques pays ont connu une dégradation progressive de l’environnement dans lequel les ONG opèrent, avec une stigmatisation de ces organisations, des campagnes de dénigrement et des actes de harcèlement judiciaire, administratif ou fiscal» 
			(9) 
			Rapport du Secrétaire
Général, p. 8 et 71-75.. En avril 2017, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe, M. Nils Muižnieks, a observé «une nette tendance à la régression en matière de liberté d’association dans plusieurs pays européens, qui affecte notamment les organisations et les défenseurs des droits de l’homme» 
			(10) 
			Commissaire
aux droits de l'homme, Carnet des droits de l'homme du 4 avril 2017, <a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/the-shrinking-space-for-human-rights-organisations?desktop=true'>La
marge de liberté des organisations de défense des droits de l’homme
s’amenuise</a>.. Dans sa déclaration du 6 février 2018 célébrant le 10e anniversaire de la Déclaration du Comité des Ministres sur l’action du Conseil de l’Europe pour améliorer la protection des défenseurs des droits de l’homme et promouvoir leurs activités, il a souligné que «les gouvernements européens sont de plus en plus nombreux à réduire la marge de liberté de structures indépendantes comme les organisations de la société civile et les organisations de défense des droits de l'homme». Par ailleurs, le Conseil consultatif pour la jeunesse (CCJ) du Conseil de l'Europe m’a informé des difficultés croissantes rencontrées par les organisations de jeunesse dans leur travail, notamment pour bénéficier d’une aide financière. D’après l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), les ONG actives dans le domaine des droits de l’homme estiment qu’il est plus difficile de contribuer à la protection, à la promotion et à la réalisation des droits de l’homme sur le territoire de l’Union européenne. La FRA a mené des recherches ciblées sur la période 2011-2017 et recensé plusieurs problèmes qui affectent les activités de la société civile: des changements juridiques qui ont un effet négatif ou une mauvaise mise en œuvre de la législation; des obstacles pour accéder aux ressources financières et assurer leur pérennité; des difficultés pour avoir accès aux décideurs et contribuer à l’élaboration des lois et des politiques; des agressions et des actes de harcèlement contre les défenseurs des droits de l’homme, y compris des propos négatifs visant à délégitimer et stigmatiser les ONG 
			(11) 
			FRA, <a href='http://fra.europa.eu/en/publication/2018/challenges-facing-civil-society-orgs-human-rights-eu'>Challenges
facing civil society organisations working on human rights in the
EU</a>, rapport, janvier 2018, p. 7-13.. La FRA note également un manque de données fiables et comparables sur les attaques contre les organisations de la société civile dans l’Union européenne, ainsi qu’un manque d’informations concernant les dispositifs de financement existants et les dépenses allouées aux organisations qui travaillent dans le domaine des droits de l’homme. Les organes des Nations Unies ont exprimé des préoccupations similaires sur le rétrécissement de l’espace dévolu à la société civile dans le monde 
			(12) 
			Voir
en particulier le rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies
aux droits de l’homme, A/HRC/32/20, 11 avril 2016..
6. Dans ce contexte, j’ai l’intention de faire le bilan des évolutions survenues récemment dans les pays examinés dans mon rapport précédent, c’est-à-dire la Fédération de Russie, l’Azerbaïdjan, la Turquie et la Hongrie (énumérés selon l’ordre d’examen retenu dans ledit rapport). Je prendrai néanmoins aussi en compte les évolutions (essentiellement législatives) survenues dans d’autres États membres du Conseil de l'Europe entre 2016 et 2018. Le choix de ces pays s’est fait sur la base des informations et des documents de l’Assemblée, d’autres organes et institutions du Conseil de l'Europe, d’autres organisations internationales et d’ONG de premier plan œuvrant pour la protection des droits de l’homme et des défenseurs des droits de l’homme.

2. Évolution récente de la situation de la société civile dans certains États membres

2.1. Fédération de Russie

7. Dans sa Résolution 2096 (2016), l’Assemblée s’inquiétait de la «loi relative aux agents étrangers», qui modifie la législation russe applicable aux organisations à but non lucratif en obligeant les ONG bénéficiaires d’un financement étranger à s’enregistrer en qualité d’«agents étrangers» (un terme qui, dans l’Union soviétique, était considéré comme synonyme de «traître» ou d’«espion»). Cette loi avait été critiquée par la Commission de Venise 
			(13) 
			Commission
de Venise, Avis nos 716-717/2014, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2014)025-f'>CDL-AD(2014)025</a> du 27 juin 2014.. L’Assemblée s’inquiétait également de l’adoption, en mai 2015, de la «loi relative aux organisations indésirables» autorisant les pouvoirs publics à interdire certaines ONG internationales.
8. Depuis l’adoption de la Résolution 2096 (2016), la mise en œuvre de ces textes de loi a donné lieu à un certain nombre de faits nouveaux. En mai 2016, la «loi relative aux agents étrangers» a été modifiée: la définition des «activités politiques» retenue pour déterminer les «ONG qui exercent la fonction d’agents étrangers» a été étendue. Le registre des «agents étrangers» comporte actuellement 79 organisations (dont quatre organisations inscrites volontairement), dont les activités concernent principalement les droits de l’homme, l’environnement, les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI), la santé et les questions sociales 
			(14) 
			D’après
Human Rights Watch à la date du 6 mars 2018, <a href='https://www.hrw.org/russia-government-against-rights-groups-battle-chronicle'>https://www.hrw.org/russia-government-against-rights-groups-battle-chronicle</a>.. Au total, le ministre de la Justice aurait ajouté à cette liste 158 ONG; plus de 40 y ont été ajoutées durant la seule année 2016 (dont le Centre analytique Levada, basé à Moscou et menant des recherches sociologiques et des sondages, ainsi que Mémorial, association internationale sur l’histoire, l’éducation, les droits de l'homme et les œuvres caritatives, bien connue pour ses recherches et sa documentation concernant les persécutions sous le régime soviétique). Néanmoins, le ministre aurait enlevé de cette liste plus de 20 ONG, ayant constaté qu’elles avaient cessé de recevoir des fonds étrangers. Plus de 30 ONG ont préféré arrêter leurs activités plutôt qu’être officiellement désignées comme «agents étrangers». D’autres ont été dissoutes suite à des décisions de la justice, comme l’organisation Agora, de Kazan, qui œuvrait pour la protection des droits de l’homme (notamment dans l’affaire du groupe punk Pussy Riot). Le 22 mars 2017, la Cour européenne des droits de l’homme a communiqué au gouvernement russe 49 requêtes introduites par 61 ONG au sujet de l’application de la «loi relative aux agents étrangers». En juillet 2017, le Commissaire aux droits de l’homme a présenté ses observations dans cette affaire 
			(15) 
			Cour européenne des
droits de l'homme, ECODEFENCE et autres
c. Russie et 48 autres requêtes, Requête no 9988/13.
Voir aussi <a href='http://rapsinews.com/judicial_news/20170329/278117725.html'>Article
No. 319005</a>, RAPSI/Russia, 29 mars 2017, et Commissaire aux droits
de l'homme, <a href='https://www.coe.int/en/web/commissioner/-/the-russian-federation-s-law-on-foreign-agents-contravenes-human-rights'>Intervention
en tierce partie. La loi de la Fédération de Russie relative aux
agents étrangers est contraire aux droits de l’homme</a>, 13 juillet 2017.; il a souligné encore une fois que, selon lui, cette loi était incompatible avec les normes internationales des droits de l’homme et que son application avait eu des «effets dissuasifs» sur l’action de la société civile russe. Récemment, le Centre Levada a aussi déposé une requête devant la Cour.
9. Pour ce qui est de la «loi relative aux organisations indésirables», la Commission de Venise a rendu un avis le 10 juin 2016, dans lequel elle a conclu que cette loi portait atteinte à plusieurs droits garantis par la Convention, dont ceux consacrés aux articles 10 et 11. Elle s’est en particulier montrée critique à l’égard du flou des définitions (et notamment de la définition des ONG), ainsi que des interdictions générales et des sanctions prévues par la loi 
			(16) 
			Commission de Venise,
Avis no 814/2015 du 13 juin 2016, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2016)020-f'>CDL-AD(2016)020</a>, paragraphe 62.. À ce jour, 14 ONG sont inscrites au registre des «organisations indésirables» 
			(17) 
			Au 16 avril 2018, <a href='http://minjust.ru/ru/activity/nko/unwanted'>http://minjust.ru/ru/activity/nko/unwanted</a>.. Il convient également de noter que certains militants et certaines ONG ont intenté des actions en justice sur la base du Code des infractions administratives pour avoir «été impliqués» dans des actions menées par des «organisations indésirables». Ainsi, en novembre 2017, la Fondation d’Andrei Rylkov (œuvrant pour une politique de drogues responsable) s’est vu imposer, par le tribunal de première instance, une amende de 50 000 roubles (environ € 720), car un des sites de l’organisation qui date de 2011 contenait un lien vers une publication d’Open Society Foundations, considéré actuellement comme une «organisation indésirable». De même, en septembre 2017, le groupe de réflexion SOVA, qui travaille sur des questions liées à la liberté de religion, au nationalisme et aux extrémismes, et son directeur Alexander Verkhovsky ont été informés par le procureur qu’ils avaient violé la législation en vigueur, au motif que le site de leur organisation contenait des liens vers d’anciens donateurs qui étaient des «organisations indésirables», dont National Endowment for Democracy et Open Society Foundations 
			(18) 
			Human Rights Watch,
T. Lokshina, <a href='https://www.hrw.org/news/2017/11/15/hyperlink-absurdity'>A
Hyperlink to Absurdity</a>, 15 novembre 2017, et <a href='https://www.hrw.org/news/2017/09/08/russia-independent-think-tank-faces-charges'>Russia:
Independent Think Tank Faces Charges</a>, 8 septembre 2017.. Par ailleurs, en novembre 2017 est entrée en vigueur une nouvelle loi qui permet au ministre de la Justice d’enregistrer en tant qu’«agents étrangers» des médias recevant directement ou indirectement des fonds de l’étranger.
10. Le Parlement russe ayant décidé de ne pas envoyer de représentants à l’Assemblée pour cette session, il est regrettable que la commission et moi-même, en ma qualité de rapporteur, n’ayons pu entendre le point de vue de ces derniers ni obtenir davantage d’informations sur la situation actuelle de la société civile en Fédération de Russie.

2.2. Azerbaïdjan

11. Dans sa Résolution 2096 (2016), l’Assemblée a condamné une fois de plus la dégradation des conditions de travail des ONG et des militants des droits de l’homme azerbaïdjanais, à la suite de la modification de la législation relative aux ONG, qui impose des restrictions excessives à leurs activités. Elle a appelé l’Azerbaïdjan à modifier sa législation relative aux ONG conformément aux recommandations de la Commission de Venise (Avis nos 636/2011 
			(19) 
			Commission de Venise,
Avis no 636/2011 du 6 décembre 2011, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2011)035-f'>CDL-AD(2011)035</a>. Il concerne la législation qui impose aux ONG internationales
de conclure un accord particulier avec le ministère de la Justice
avant leur enregistrement et l'ouverture de bureaux. et 787/2014 
			(20) 
			Commission
de Venise, Avis no 787/2014 du 15 décembre
2014, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2014)043-f'>CDL-AD(2014)043</a>. Il concerne la loi relative à l'obligation de déclaration
des subventions.). La question de la réforme de la législation relative aux ONG et de la situation de la société civile en Azerbaïdjan a été suivie par la suite par les corapporteurs de la commission de suivi sur l’Azerbaïdjan et par l’ancien président de notre commission, M. Alain Destexhe (Belgique), qui a élaboré le rapport «Présidence azerbaïdjanaise du Conseil de l’Europe: quelles sont les suites à donner en matière de respect des droits de l’homme?» 
			(21) 
			Commission de suivi,
«Le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbaïdjan», Doc. 14403 du 25 septembre 2017 (corapporteurs: M. Stefan Schennach,
Autriche, SOC, et M. Cezar Florin Preda, Roumanie, PPE/DC); pour
le rapport de M. Destexhe, voir Doc. 14397 du 18 septembre 2017.. Ainsi, afin d’éviter toute redondance, je me limiterai à rappeler brièvement les faits et problèmes les plus pertinents.
12. Depuis janvier 2016, d’autres modifications ont été apportées à la législation azerbaïdjanaise relative aux ONG. Le 28 décembre 2015, le ministère de la Justice a adopté un nouveau «règlement relatif à l’examen des activités des ONG, antennes ou bureaux de représentation d’ONG étrangères». Ce texte, entré en vigueur en février 2016, confère au ministre des pouvoirs étendus d’enquête «ordinaire» ou «extraordinaire» sur les ONG. De plus, le président de la République a pris le 21 octobre 2016 un décret qui facilite le versement aux ONG de subventions provenant de donateurs étrangers et met en place un «guichet unique» pour l’application de cette procédure à compter du 1er janvier 2017 
			(22) 
			Human Rights Watch,
Harassed, Imprisoned, Exiled. Azerbaijan’s Continuing Crackdown
on Government Critics, Lawyers and Civil Society, octobre 2016,
et note d’information sur une visite d’information à Bakou (12-14 janvier
2017) par les corapporteurs de la commission de suivi, MM. Schennach
et Preda – AS/Mon (2017) 06 déclassifié, 19 février 2017, voir la
partie II.. Ce décret vise à simplifier la procédure d’obtention d’un avis sur l’opportunité budgétaire et économique d’une subvention et à assurer la mise en œuvre de la subvention à la demande du donateur étranger et de l’ONG bénéficiaire. Cependant, les ONG recevant des fonds étrangers et leurs donateurs sont toujours soumis à l’obligation d’obtenir des autorisations de la part des autorités. Selon certaines, les procédures demeurent fastidieuses, et leur résultat arbitraire.
13. En octobre 2016, après avoir attribué une moins bonne note à l’Azerbaïdjan, l’Inititiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), un regroupement de gouvernements, d’entreprises et de groupes non gouvernementaux qui promeuvent une meilleure gouvernance des pays détenteurs d’importantes ressources, ce qui suppose que leurs gouvernements créent «un environnement propice à la société civile», a donné quatre mois à l’Azerbaïdjan pour supprimer les obstacles juridiques et bureaucratiques aux activités de la société civile. Le Gouvernement azerbaïdjanais a réagi en quittant l’ITIE 
			(23) 
			Human Rights Watch,
Giorgi Gogia, <a href='https://www.hrw.org/news/2017/03/10/azerbaijan-suspended-over-rights-crackdown'>Azerbaijan
Suspended Over Rights Crackdown</a>, 10 mars 2017, et ITIE, <a href='https://eiti.org/fr/news/lazerbaidjan-quitte-litie'>L'Azerbaïdjan
quitte l'ITIE</a>..
14. Dans son arrêt Rasul Jafarov c. Azerbaïdjan, qui concernait l’arrestation et la détention d’un éminent militant de la défense des droits de l’homme et président du Club des droits de l’homme en 2014 pour défaut de déclaration des subventions perçues, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à plusieurs violations de la Convention (articles 5.1, 5.4, 18, combiné à l’article 5, et 34). Elle a observé notamment que le cadre législatif relatif au fonctionnement des ONG avait contraint certaines d’entre elles à exercer leurs activités en marge de la législation et était devenu «de plus en plus dur et restrictif» en raison de la mise en place de procédures supplémentaires d’enregistrement et de déclaration et de lourdes peines 
			(24) 
			Requête no 69981/14,
arrêt du 17 mars 2016, paragraphes 120 et 159..
15. Le 11 octobre 2017, l’Assemblée, dans ses Résolutions 2184 (2017) et 2185 (2017), a rappelé que le cadre législatif pour les activités des ONG n’était pas conforme aux normes européennes et a exprimé son inquiétude face aux poursuites judiciaires lancées contre des dirigeants d’ONG et le maintien de certains d’entre eux en détention. Elle a invité les autorités à mettre un terme aux représailles des militants, à créer un environnement propice aux activités des ONG et à abroger toute loi restreignant la liberté d’association.

2.3. Turquie

16. La situation de la société civile en Turquie ne suscitait pas de graves inquiétudes au moment où mon rapport précédent a été finalisé (sauf pour l’application de la législation antiterroriste contre certaines organisations de défense des droits de l’homme et leurs militants), mais les circonstances ont considérablement changé depuis le coup d’État avorté du 15 juillet 2016. Le 20 juillet 2016, le gouvernement a proclamé l’état d’urgence, qui a déjà été prorogé à sept reprises, et qui lui confère des pouvoirs extraordinaires. Le 21 juillet 2016, la Turquie a annoncé qu’elle dérogerait à certaines obligations de la Convention européenne des droits de l’homme, conformément à l’article 15. Cette question est examinée dans la Résolution 2209 (2018) «État d’urgence: questions de proportionnalité relatives à la dérogation prévue à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme», basée sur le rapport de notre collègue de la commission M. Raphaël Comte (Suisse, ADLE) 
			(25) 
			Doc. 14506 du 27 février 2018.; dans cette résolution, l’Assemblée réitérait ses préoccupations au sujet notamment de la situation des défenseurs des droits de l’homme, de la société civile et des médias. Rappelons que dans sa Résolution 2156 (2017) du 25 avril 2017, l’Assemblée a voté la mise en place d’une procédure de suivi du fonctionnement des institutions démocratiques turques, cette décision étant motivée par ses inquiétudes liées aux mesures d’urgence et à leurs effets.
17. De nombreuses mesures prises dans le cadre du régime d’état d’urgence sur la base des décrets-lois, dont les révocations massives dans l’appareil judiciaire, le parquet, les universités (notamment plus de 500 «universitaires pour la paix», qui critiquaient les opérations militaires dans le Sud-Est), la police, les forces de sécurité, l’armée et d’autres institutions publiques, ainsi que la fermeture de chaînes de télévision, de journaux et d’autres médias, suscitent bien des préoccupations quant à leur compatibilité avec les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit; elles sont examinées dans la Résolution 2209 (2018) et restent suivies avec attention par la commission de suivi et ses corapporteurs sur la Turquie. Dans son rapport sur l’impact de l’état d’urgence sur les droits de l’homme en Turquie, comprenant une mise à jour sur le Sud-Est (janvier-décembre 2017), publié le 20 mars 2018, le Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations Unies (HCDH) conclut que «le prolongement de l’état d’urgence se traduit par une érosion continue de l’État de droit et une détérioration de la situation des droits de l’homme» dans le pays et note que «la détérioration de la situation nationale des droits de l’homme et le rétrécissement de l’espace politique et citoyen exigent que la Turquie prenne immédiatement des mesures pour se conformer à ses obligations découlant du droit international relatif aux droits de l’homme» 
			(26) 
			Paragraphes 116 et
121 (traduction non officielle).. La situation de la société civile est inquiétante 
			(27) 
			Dans sa résolution
du 8 février 2018 sur la situation actuelle des droits de l'homme
en Turquie (2018/2527(RSP)), le Parlement européen se dit «très
préoccupé par la répression massive exercée à l’encontre des organisations
de la société civile en Turquie (…)», paragraphe 9.. Lors de ma visite d’information à Ankara, j’ai débattu de cette question avec des membres de la Grande Assemblée, avec le médiateur adjoint chargé des droits de l’homme, avec de hauts responsables du ministère de la Justice et du ministère de l'Intérieur, avec le directeur général des fondations et avec un grand nombre de représentants d’ONG et des syndicats de fonctionnaires.
18. Le decrét-loi no 667 du 22 juillet 2016 ordonne la liquidation des organisations «affiliées à la FETŐ/PDY 
			(28) 
			Dans les documents
officiels turcs, le réseau «güleniste» est désigné sous le terme
FETÖ/PDY (acronyme d’«organisation terroriste de Fethullah/structures
d’État parallèle»). ou ayant un lien ou un contact avec elle», dont des associations et des fondations, et stipule que les avoirs (liquidités, biens meubles, biens immobiliers, dossiers commerciaux, etc.) des entités concernées sont transférés à l’État sans la moindre compensation. Sur la base de l’article 2 de ce décret, 1 125 associations et 104 fondations qui étaient soupçonnées de liens avec la FETŐ/PDY et figuraient dans l’annexe au décret ont été immédiatement dissoutes, et leurs avoirs confisqués. D’autres associations et fondations ont été dissoutes au terme de la procédure administrative simplifiée prévue dans cette disposition (qui accorde des pouvoirs en ce sens aux ministères compétents) 
			(29) 
			Conférence des OING,
Conseil d’experts sur le droit en matière d'ONG, Conf/Exp(2017)2,
Opinion on the impact of the state of emergency on freedom of association
in Turkey, 30 novembre 2017, paragraphes 38-40.. Dans sa Résolution 2209 (2018), l’Assemblée considère que les répercussions globales des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sur ces organismes ont été excessives, en raison de leur portée, du caractère indifférencié du degré de culpabilité allégué et de leurs effets permanents. Les personnes physiques et morales concernées par ces mesures peuvent introduire des recours auprès d’une commission spéciale chargée, entre autres, de se prononcer sur les recours relatifs à des mesures prises directement par les décrets-lois édictés dans le cadre de l’état d’urgence. La Commission d’enquête sur les mesures de l'état d'urgence a commencé à recevoir des recours le 17 juillet 2017 et ses décisions peuvent être soumises au contrôle juridictionnel. Au 28 février 2018, elle avait reçu 107 076 demandes et en avait rejeté 1 126. Dans 100 cas seulement, elle a donné satisfaction aux requérants. Dans sa Résolution 2209 (2018), l’Assemblée critique le retard pris pour offrir des recours effectifs en temps utile, qui a prolongé excessivement les répercussions des mesures d’urgence sur des personnes pouvant avoir été affectées à tort, et demande que la Commission d’enquête accélère l’examen des recours en suspens. Malheureusement, au cours de ma visite à Ankara, je n’ai pas eu la possibilité de rencontrer les membres de la Commission, car notre réunion a été annulée sans préavis.
19. Selon un récent rapport de la Plate-forme conjointe des droits de l’homme en Turquie (IHOP) 
			(30) 
			IHOP,
21 juillet 2016-20 mars 2018. State of Emergency in Turkey. Updated
Situation Report, 25 mars 2018., à la date du 20 mars 2018, le nombre d’associations fermées s’élevait à 1 419. Les décisions de fermeture ont été annulées pour 188 associations ayant déposé des recours administratifs (sur un total de 1 607 associations fermées sur la base des décrets d’urgence nos 667, 677, 679, 689 et 695); durant ma visite à Ankara, les autorités ont confirmé les chiffres de fermetures et d’annulations de fermeture. Toujours selon le rapport de l’IHOP, à la date du 28 février 2018, les décisions de fermeture avaient été annulées pour 23 des 168 fondations fermées sur la base des décrets d’urgence nos 667, 689 et 695; par conséquent, le nombre total de fondations fermées s’élevait à 145. D’après les autorités, les associations et fondations fermées œuvraient dans différents secteurs, notamment les questions sociales, le tourisme, la culture, les médias ou l’éducation, et leurs activités ne se limitaient pas à une zone géographique précise (alors que les ONG ont été davantage fermées dans des grandes villes comme Ankara et Istanbul); elles avaient été créées et/ou infiltrées par des organisations terroristes et ont été fermées sur la base d’informations reçues des services de renseignement et de gouverneurs locaux. La plupart d’entre elles n’ont pas saisi la Commission d’enquête (seules quelques 150 l'ont fait sur plus de 1 400 associations fermées). Aucune n’a porté plainte auprès du médiateur. En cas d’annulation de la décision de fermeture, les avoirs de l’association ou de la fondation étaient restitués. Au total, la Turquie compte aujourd’hui près de 113 000 associations et plus de 5 000 fondations.
20. Selon la Commission de Venise, le fait de liquider des associations et des fondations soupçonnées de lien ou de contact avec la FETŐ/PDY sur le fondement du décret d’urgence no 667 constitue une grave ingérence dans l’exercice de plusieurs droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme, en l’occurrence le droit à la liberté d’association (article 11 de la Convention) et le droit au respect de ses biens (article 1 du Protocole no 1 à la Convention (STE no 9)). La Commission de Venise regrette également que les associations aient été dissoutes au lieu d’être provisoirement suspendues 
			(31) 
			Avis no 865/2016, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2016)037-f'>CDL-AD(2016)037</a>, «Turquie. Avis sur les décrets-lois d'urgence nos 667
à 676 adoptés à la suite du coup d'État avorté du 15 juillet 2016».
Voir en particulier les paragraphes 178-180.. Lesdites mesures ont été aussi fermement critiquées par le Commissaire aux droits de l’homme, la Conférence des OING 
			(32) 
			CommDH(2016)35, “Memorandum
on the human rights implications of the measures taken under state
of emergency in Turkey”, 7 octobre 2016, et Résolution CONF/PLE(2017)RES1,
«Protéger les libertés d’association et d’expression en Turquie
dans le contexte de l’état d’urgence», adoptée le 27 janvier 2017. et l’Assemblée elle-même. Cette dernière, dans sa Résolution 2156 (2017), a appelé les autorités turques à «s’abstenir de prendre des mesures radicales, notamment à l’encontre (…) des ONG, sur la base de vagues critères de “lien” allégué avec une organisation terroriste sans preuve et en l’absence de décision judiciaire» (paragraphe 27.4).
21. De surcroît, des cas de harcèlement judiciaire ou d’arrestation arbitraire 
			(33) 
			Voir
en particulier FIDH, <a href='https://www.fidh.org/en/issues/human-rights-defenders/turkey-ongoing-judicial-harassment-of-ms-sebnem-korur-fincanci-mr'>Turkey:
Ongoing judicial harassment of Ms Şebnem Korur Fincancı, Mr. Erol
Önderoğlu and Mr Ahmet Nesin</a>, appel urgent du 24 mars 2017, et <a href='https://www.fidh.org/en/issues/human-rights-defenders/turkey-provisional-release-of-raci-bilici-vice-president-of-the-human'>Provisional
release of Raci Bilici, Vice-President of the Human Rights Association
(IHD) and Chairperson of IHD Diyarbakır</a>, appel urgent du 24 mars 2017. de certains défenseurs des droits de l’homme et journalistes ont été signalés à plusieurs reprises. Des poursuites judiciaires ont été lancées contre les dirigeants de la section turque d’Amnesty International. Le 6 juin 2017, son président, Taner Kiliç, a été arrêté par la police et inculpé pour «appartenance au groupe Fethullah Gülen»; il aurait téléchargé ByLock, une application de messagerie utilisée par les «gülenistes». Le 31 janvier 2018, un tribunal d’Istanbul a ordonné sa libération conditionnelle. Le procureur a fait appel et la décision a été infirmée par une autre juridiction. M. Kiliç reste par conséquent en détention provisoire malgré plusieurs interventions d’organismes internationaux 
			(34) 
			Amnesty
International, <a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/06/chair-of-amnesty-international-turkey-swept-up-in-post-coup-purge/'>Le
président d'Amnesty International Turquie victime de la purge consécutive
au coup d'État manqué</a>, Nouvelles, 6 juin 2017, et <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6850&lang=1&cat=3'>communiqué
de presse</a> des corapporteurs de la commission de suivi du 27 octobre 2017. et risque une longue peine d’emprisonnement. Le 5 juillet 2017, c’est la directrice d’Amnesty International Turquie, Idil Eser, qui a été arrêtée avec sept autres défenseurs des droits de l’homme turcs et deux formateurs (un Suédois et un Allemand) lors d’un séminaire sur l’île de Büyükada, au motif qu’ils auraient commis une infraction au nom d’une «organisation terroriste» sans en être membre. Tous les dix ont été libérés sous caution le 25 octobre 2017. Des cas de harcèlement de membres d’autres ONG ont également été signalés. Le 30 janvier 2018, la police a perquisitionné les domiciles et lieux de travail et arrêté 11 membres du Conseil central de l’Association médicale turque (TTB) sur la base de dispositions antiterroristes. Ces faits ont eu lieu quelques jours après que la TTB eut critiqué publiquement l’opération «Rameau d’olivier» de l’armée turque à Afrin, dans le nord de la Syrie. Bien que les membres de la TTB aient été libérés après sept jours, ils sont toujours visés par une enquête pénale. De plus, fin janvier 2018, plusieurs membres de l’Association des droits de l’homme, dont les directeurs avaient déjà fait l’objet d’une enquête ouverte sur la base de la législation antiterroriste, ont été arrêtés et détenus en réaction à leurs propos sur les réseaux sociaux critiquant l’opération d’Afrin 
			(35) 
			Voir OMCT, <a href='http://www.omct.org/human-rights-defenders/urgent-interventions/turkey/2017/07/d24454/'>Turkey:
Ten human rights defenders indicted on trumped-up terrorism charges;
six remain in pre-trial detention</a>, 18 juillet 2017, le <a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6838&lang=1&cat=3'>communiqué
de presse</a> des corapporteurs de la commission de suivi du 13 octobre
2017 et le rapport de l’IHOP, note 31 ci-dessus, p. 10 et 19.. Comme je l’ai appris pendant ma visite à Ankara, les associations LGBTI – comme Kaos GL et Pinklife – ont subi une restriction de leurs activités à la suite de la décision du gouverneur local d’Ankara de leur interdire d’organiser des événements publics. À Istanbul, elles se sont vu interdire d’organiser la marche annuelle des fiertés gay et trans. De manière générale, presque tous mes interlocuteurs représentant des ONG se sont plaints du rétrécissement de l’espace dévolu à la société civile, qui est dû au grand nombre de fermetures d’ONG (à leurs yeux, il s’agit surtout de celles qui œuvrent principalement pour la protection des droits des enfants ou des femmes ou qui travaillent sur les questions humanitaires dans le Sud-Est ainsi que des groupes d’avocats spécialisés dans les droits de l’homme), aux longs audits concernant certaines d’entre elles et aux enquêtes ouvertes sur leurs membres. Ils ont souligné que de nombreux militants avaient été placés en détention (dans la plupart des cas pour avoir participé à des manifestations pacifiques et pour leurs commentaires critiques sur les réseaux sociaux) et qu’ils faisaient désormais l’objet d’une interdiction de voyager. Selon eux, il n’existe aucune voie de recours effective contre les mesures adoptées dans le cadre de l’état d’urgence. Ceux qui ont été révoqués au titre de ces mesures évoquent une «mort civile», car ils ne peuvent trouver un travail ni dans le pays ni à l’étranger (du fait de l’interdiction de voyager), sont privés d’autres droits fondamentaux et leur liberté d’expression est entravée.

2.4. Hongrie

22. Bien que l’Assemblée ne se soit pas montrée critique à l’égard de la situation de la société civile en Hongrie dans sa Résolution 2096 (2016), mon rapport de 2015 faisait état d’un certain nombre de problèmes, comme l’existence d’une «défiance générale et mutuelle entre les ONG et les autorités», les campagnes de diffamation organisées dans les médias et les perquisitions et poursuites judiciaires dont sont victimes les ONG gérant le programme «Fonds pour les ONG», financé par l’Espace économique européen, et certaines ONG qui reçoivent des subventions de ce programme 
			(36) 
			Voir mon précédent
rapport, note 4 ci-dessus, paragraphes 58-63. Pour les suites données
à ces investigations, voir <a href='http://www.helsinki.hu/wp-content/uploads/Norway_Grants_Gov_attacks_communication_brief_ENG.pdf'>www.helsinki.hu/wp-content/uploads/Norway_Grants_Gov_attacks_communication_brief_ENG.pdf</a>.. Depuis, même si la plupart des procédures intentées contre ces ONG ont été annulées ou achevées début 2016, certains responsables politiques hongrois, y compris le Premier ministre, Viktor Orbán, ont fait d’autres déclarations critiques dans les médias au sujet des ONG défendant les droits de l’homme. Open Society Foundations, fondée par le financier milliardaire George Soros, est la cible d’une campagne particulièrement féroce dont l’un des volets est une campagne d’affichage virulente financée par le parti de Viktor Orbán, le Fidesz 
			(37) 
			<a href='http://www.helsinki.hu/wp-content/uploads/Timeline_of_gov_attacks_against_HU_NGOs_short_17112017.pdf'>www.helsinki.hu/wp-content/uploads/Timeline_of_gov_attacks_against_HU_NGOs_short_17112017.pdf</a> et <a href='https://www.politico.eu/article/hungary-fidesz-to-distribute-book-targeting-george-soros/'>https://www.politico.eu/article/hungary-fidesz-to-distribute-book-targeting-george-soros/</a>.. D’après le rapport du rapporteur spécial des Nations Unies, M. Michel Forst, les organisations hongroises de défense des droits de l’homme sont contraintes d’exercer leurs activités dans un environnement de plus en plus polarisé et politisé, tandis que l’État cherche à discréditer leur action en engageant à leur encontre des poursuites pénales fabriquées de toutes pièces 
			(38) 
			Voir sa <a href='http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=17037&LangID=E'>déclaration</a> du 16 février 2016.. En outre, le 13 juin 2017, le parlement a adopté une loi – la «loi sur la transparence des organisations recevant de l’aide de l’étranger» – qui oblige les ONG bénéficiant de fonds de l’étranger (associations et fondations) à en déclarer le montant exact si cette aide dépasse 7,2 millions de forints (soit près de € 24 000) et à s’enregistrer en tant qu’ «organisation recevant de l’aide de l’étranger» sous peine d’amende pouvant atteindre environ € 3 000, de dissolution ou de radiation. Cette loi est entrée en vigueur le 27 juin 2017, malgré les critiques émises par plusieurs instances du Conseil de l’Europe, dont la Commission de Venise, le Commissaire aux droits de l'homme, la Conférence des OING et l’Assemblée elle-même 
			(39) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdf=CDL-AD(2017)015-f'>CDL-AD(2017)015</a><a href='https://rm.coe.int/168070bfbb'></a>, Commission de Venise, Avis No. 889/2017 concernant
le projet de loi sur la transparence des organisations recevant
de l’aide de l’étranger, 20 juin 2017; Commissaire aux droits de
l'homme, lettre du 3 mai 2017 à l’Assemblée nationale hongroise;
Conférence des OING, publiée par son Conseil d’experts le 24 avril
2017; Résolution 2162
(2017) de Assemblée «Évolutions inquiétantes en Hongrie: projet
de loi sur les ONG restreignant la société civile et possible fermeture
de l’Université d’Europe centrale». Voir aussi le rapport sur ce
sujet rédigé par la commission des questions politiques et de la
démocratie (rapporteur: M. Mogens Jensen, Danemark, SOC), Doc. 14298 du 25 avril 2017. . De plus, le 13 juillet 2017, la Commission européenne a ouvert une procédure d’infraction, estimant que cette loi est contraire au droit de l’Union européenne. Le 7 décembre 2017, elle a renvoyé l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne. Vingt-trois ONG (dont Amnesty International) 
			(40) 
			Amnesty International, <a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/06/hungary-amnesty-international-will-not-comply-with-repressive-new-ngo-law/'>Hongrie.
Amnesty International refuse de se conformer à la nouvelle loi répressive
sur les ONG</a>, 28 juin 2017. ont déposé une requête devant la Cour constitutionnelle hongroise et plus de 200 refusent de se conformer à cette loi. En décembre 2018, 14 ONG ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant le droit au respect de la vie privée et familiale, à la liberté d’expression et à la liberté d’association et l’interdiction de la discrimination.
23. Le 13 février 2018, avant les élections législatives du 8 avril 2018, le gouvernement a déposé une série de trois projets de loi, dite paquet législatif «Stop Soros» (T/19774, T/19775 et T/19776), qu’il justifie en affirmant que l’immigration massive représente un grave risque sécuritaire pour le pays. Ce paquet vise à limiter les activités des ONG qui travaillent sur les questions d’asile et de migration. S’il est adopté, les ONG qui reçoivent des fonds de l’étranger et qui passent pour «promouvoir une immigration massive» ou «soutenir l’immigration clandestine» auront l’obligation, entre autres, de s’enregistrer auprès d’un tribunal pour reconnaître l’illégalité de cette activité et de rendre cette information publique (sur leur site internet et dans toute publication). Leur activité devra être approuvée par le ministre chargé de l’immigration et des réfugiés, qui pourra leur refuser son autorisation en cas de «risque pour la sécurité nationale». Tous les revenus étrangers alloués à ces organisations seront soumis à une taxe de 25 % et devront être virés sur un compte bancaire distinct, qui sera contrôlé par le parquet et la Banque centrale. Le non-respect des règles pourrait être sanctionné par une amende de 200% des revenus étrangers ou par la dissolution de l’organisation. Les ONG seraient également tenues de divulguer aux autorités les données à caractère personnel de tout tiers auquel elles font des versements (salariés, entreprises ou partenaires). Par ailleurs, la nouvelle loi permettrait aux autorités d’exclure du pays les étrangers qui travaillent sur les questions de migrations et de réfugiés et d’interdire aux militants hongrois de s’approcher des zones frontalières. Ce paquet législatif suscite plusieurs préoccupations quant à sa compatibilité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme, en particulier le droit à la liberté d’expression et d’association, le droit à la liberté de mouvement et l’interdiction de la discrimination. Des critiques ont été exprimées à cet égard par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe, la présidente de la Conférence des OING et un grand nombre d’ONG internationales 
			(41) 
			Nations Unies, Comité
des droits de l’homme, Observations finales sur le sixième rapport
périodique de la Hongrie, CCPR/C/HUN/CO/6, 5 avril 2018, paragraphes 55-56;
HCR, <a href='http://www.unhcr.org/news/press/2018/2/5a86dcff4/hungary-unhcr-dismayed-further-border-restrictions-draft-law-targeting.html?query=Hungary:%20UNHCR%20dismayed'>Hungary:
UNHCR dismayed over further border restrictions and draft law targeting
NGOs working with asylum-seekers and refugees</a>, communiqué de presse du 16 février 2018; Commissaire
aux droits de l'homme, <a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/view/-/asset_publisher/ugj3i6qSEkhZ/content/commissioner-concerned-about-proposed-additional-restrictions-to-the-work-of-ngos-in-hungary?'>Le
Commissaire est préoccupé par les nouvelles restrictions au travail
des ONG proposées en Hongrie</a>, déclaration du 15 février 2018; Conférence des OING, <a href='https://www.coe.int/fr/web/ingo/-/hungary-conference-of-ingos-concerned-about-stop-soros-package-'>Hongrie:
la Conférence des OING inquiète au sujet du projet de lois «Stop
Soros»</a>, déclaration du 14 février 2018; <a href='https://www.hrw.org/fr/news/2018/02/19/nous-sommes-solidaires-de-la-societe-civile-en-hongrie'>«Nous
sommes solidaires de la société civile en Hongrie»</a>, lettre conjointe du 19 février 2018 signée par plus
de 250 ONG.. Lors de sa réunion du 14 mars 2018 à Paris, la commission a décidé de saisir la Commission de Venise d’un avis sur la compatibilité du paquet gouvernemental «Stop Soros» avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme. La Commission de Venise prévoit d’adopter son avis pendant sa session plénière de juin 2018.

2.5. Autres États membres du Conseil de l'Europe

24. Ces deux dernières années, la situation de la société civile dans d’autres États membres a suscité des inquiétudes, surtout quant à certaines modifications récentes de la législation, à l’interprétation de celle-ci ou à des tentatives de réviser la loi pour renforcer le contrôle étatique sur le financement des ONG. En novembre 2017, Amnesty International Irlande a reçu l’ordre de rembourser une subvention de 137 000 euros versée par Open Society Foundations l’année précédente. L’instance de régulation du Gouvernement irlandais, la Standards in Public Office Commission (SIPOC), est revenue sur sa précédente position et a considéré que l’organisation avait violé le Code électoral de 1997 en acceptant une subvention d’un donateur international «à des fins politiques», c’est-à-dire une campagne visant à réviser les lois sur l’avortement. En République de Moldova, en juin 2017, le ministre de la Justice a élaboré des amendements au projet de loi sur les organisations non commerciales afin d’imposer plusieurs obligations nouvelles aux ONG obtenant un financement de l’étranger et engagées dans des «activités politiques». Vu que la plupart des ONG moldaves reçoivent des subventions de l’étranger, cette proposition a été vivement critiquée par le monde associatif. Il semblerait qu’elle ait été abandonnée en septembre 2017. En Pologne, le 15 septembre 2017, le parlement a voté une loi visant à créer un organisme officiel – l’Institut national de la liberté (NFI) – Centre de développement de la société civile – dont l’une des tâches consistera à distribuer des fonds publics aux ONG. Cet organisme sera rattaché aux services du Premier ministre et chapeauté par un autre nouvel organe, le Comité pour les affaires d’utilité publique, composé de hauts responsables de plusieurs ministères. Selon l’OSCE/BIDDH, cette loi aurait dû prévoir davantage de garanties contre les ingérences potentielles du gouvernement dans les travaux du NFI et pourrait se traduire par une centralisation de la distribution des fonds publics aux organisations de la société civile. De plus, le gouvernement souhaitait initialement que le NFI distribue des fonds provenant de l’Espace économique européen, mais le Gouvernement norvégien y était opposé et une solution de compromis semble avoir été trouvée en octobre 2017 
			(42) 
			Amnesty International, <a href='https://www.amnesty.org/en/latest/news/2017/12/ireland-human-rights-organizations-under-threat-from-draconian-law-as-amnesty-could-face-criminal-charges/'>Ireland:
Human rights organisations under threat from draconian law as Amnesty
could face criminal charges</a>, communiqué de presse du 8 décembre 2017, et <a href='https://www.amnesty.org/download/Documents/EUR5969202017FRENCH.pdf'>Moldavie.
Des modifications de dernière minute du projet de loi sur les ONG
risquent d’étouffer la société civile</a>, 11 août 2017;
OSCE/BIDDH, Opinion on the Draft Act of Poland on the National Freedom
Institute – Centre for the Development of Civil Society, NGO-POL/303/2017[AIC], 22 août
2017, paragraphes 12, 22 et 25; <a href='https://euobserver.com/nordic/137726'>https://euobserver.com/nordic/137726</a> et <a href='https://euobserver.com/nordic/139490.'>https://euobserver.com/nordic/139490.</a>.
25. En Roumanie, une proposition de loi visant à modifier l’ordonnance no 26/2000 sur les associations et les fondations (L140/2017 du 21 mars 2017) a été déposée par deux membres du parlement en mars 2017. Elle a été adoptée tacitement par le Sénat le 21 novembre 2017 et se trouve maintenant devant la Chambre des députés. Elle est axée surtout sur les associations, les fondations et les fédérations reconnues d’utilité publique et instaure des obligations de déclaration financière supplémentaires à tous ces organismes. En vertu du projet, toute association, fondation ou fédération serait obligée de déclarer ses revenus et ses dépenses deux fois par an, sous peine de voir ses activités suspendues pendant 30 jours; en cas de non-respect persistant, elle s’exposerait à une procédure de dissolution immédiate. Le Gouvernement roumain a émis des critiques (il a rendu un avis négatif sur la proposition de loi), tout comme 70 ONG roumaines, qui ont adressé une lettre ouverte aux dirigeants du Parti social-démocrate (au pouvoir) en novembre 2017. Le 11 décembre 2017, le Conseil d’experts de la Conférence des OING du Conseil de l'Europe a rendu un avis critique sur la proposition de loi no 140/2017 
			(43) 
			Conférence des OING,
Conseil d’experts sur le droit en matière d'ONG, CONF/EXP(2017)3,
11 décembre 2017.. Par ailleurs, à la suite de la demande de la commission en décembre 2017, la Commission de Venise, conjointement avec l’OSCE/BIDDH, a rendu un avis lors de sa session plénière de mars 2018. Elle a conclu que les obligations de déclaration financière proposées et les sanctions prévues en cas de non-respect étaient de toute évidence superflues et disproportionnées au regard de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et devraient être supprimées. Elles représentent en outre des dangers pour les droits en matière de respect de la vie privée des donateurs. L’avis critique la liste exhaustive et figée d’activités rendant les associations/fondations éligibles au statut d’organisation d’utilité publique et qui exclut la démocratie, les droits de l’homme, l’État de droit et la lutte contre la corruption. Il conclut également que l’interdiction imposée aux associations/fondations reconnues d’utilité publique de se livrer à des activités politiques est trop large et que la proposition de loi devrait faire l’objet d’une vaste consultation publique 
			(44) 
			Avis
no 914/2017, CDL-AD(2018)004, adopté
par la Commission de Venise lors de sa 114e session
plénière (Venise, 16-17 mars 2018)..
26. En Ukraine, l’adoption, le 23 mars 2017, de la loi no 1975-VIII modifiant la loi sur la prévention de la corruption a suscité un tollé, car ce texte oblige les militants anticorruption à soumettre des déclarations électroniques sur leur patrimoine au même titre que les agents de l’État ou les fonctionnaires, même s’ils ne reçoivent pas de financement public. Ces dispositions ont été critiquées en particulier par le Commissaire aux droits de l’homme 
			(45) 
			<a href='https://www.coe.int/en/web/kyiv/-/commissioner-calls-on-ukrainian-authorities-to-revise-the-anti-corruption-legislation-that-might-negatively-affect-ngos-and-journalists'>Commissioner
calls on Ukrainian authorities to revise the anti-corruption legislation
that might negatively affect NGOs and journalists</a>, lettre du 2 mai 2017 aux autorités ukrainiennes.. Elles sont entrées en vigueur le 1er avril 2018. Par ailleurs, en juillet 2017, l’administration présidentielle a soumis au parlement deux projets de loi (nos 6674 et 6675) visant à modifier certaines lois ainsi que le Code des impôts en vue d’assurer la transparence du financement d’organisations de la société civile. Ces projets de loi imposent de lourdes obligations en matière de rapports sur leur patrimoine à toutes les «associations publiques» (dont le nombre dépasse 77 000) et à certains de leurs salariés. D’après les autorités, ces mesures sont nécessaires pour améliorer la publicité des informations concernant le financement des associations publiques. En mars 2018, la Commission de Venise et l’OSCE/BIDDH ont adopté un avis, dans lequel ils estiment que le nouveau système de divulgation de l’information financière serait contraire aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, à savoir la liberté d’association, le droit au respect de la vie privée et l’interdiction de la discrimination 
			(46) 
			CDL-AD(2018)006, avis
conjoint (no 912/2018) adopté lors de
la 114e session plénière de la Commission
de Venise (Venise, 16-17 mars 2018), voir en particulier la partie III,
paragraphes 43-49.. Ils notent entre autres que les associations seraient tenues de présenter plus de rapports que les entreprises, les organisations caritatives, les fondations ou les organisations professionnelles. Les nouvelles obligations de déclaration concerneraient spécifiquement les donateurs internationaux et ne respecteraient pas leur souhait de conserver l’anonymat. Les sanctions prévues en cas de non-respect des nouvelles obligations – perte du statut d’organisation à but non lucratif, assortie de pénalités fiscales et d’amendes – sont trop lourdes. En conséquence, la Commission de Venise et l’OSCE/BIDDH ont appelé les autorités ukrainiennes à revoir les nouvelles exigences des deux projets de loi ou, à tout le moins, à les réduire considérablement pour assurer leur légitimité et leur proportionnalité, et à «mener des consultations effectives ouvertes» avec la société civile et le grand public. Ils ont également exhorté les autorités à supprimer d’urgence l’obligation de déclaration en ligne pour les militants anticorruption. Les autorités ont annoncé qu’elles abrogeraient ces dispositions.
27. En outre, les bureaux de certaines ONG ukrainiennes ont été perquisitionnés en octobre 2017, au motif que ces organisations étaient impliquées dans les activités d’«agents du Kremlin». Le 11 octobre, notamment, les bureaux de l’organisation caritative «Patients d’Ukraine» ont été perquisitionnés et des documents confisqués, alors qu’aucun détournement de fonds n’a jamais été mis en évidence au cours d’un audit. Ses dirigeants étaient soupçonnés de financer les «républiques populaires» autoproclamées de Donetsk et de Lougansk.
28. D’autres cas problématiques ont été signalés par le Conseil d’experts sur le droit en matière d’ONG de la Conférence des OING en Grèce (en raison de retards dans l’enregistrement d’associations de groupes revendiquant le statut de groupe minoritaire), en République de Moldova (retards ou non-enregistrement de certaines associations, notamment religieuses) et au Royaume-Uni (du fait de diverses mesures entraînant une disparition de l’espace accordé à la société civile, comme les mesures antiterroristes affectant les activités de certaines organisations caritatives). D’après le Commissaire aux droits de l’homme qui était en fonction à cette date, certaines ONG étaient la cible de déclarations officielles négatives en Bulgarie, en Hongrie, dans «l'ex-République yougoslave de Macédoine», en Pologne, en Roumanie, en Serbie et en République slovaque 
			(47) 
			Conseil d’experts sur
le droit en matière d’ONG, Non-governmental organisations: Review
of Developments in Standards, Mechanisms and Case Law 2015-2017
(préparé par M. Jeremy McBride), CONF/EXP(2017)4, décembre 2017.
En ce qui concerne le Royaume-Uni, voir le rapport du rapporteur
spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et la
liberté d’association, A/HRC/35/28/Add.1, 8 juin 2017, ainsi que
la note 13 plus haut.. Le rapport susmentionné de la FRA donne d’autres exemples concernant les États membres de l’Union européenne.

3. Suites données par le Conseil de l’Europe à la Recommandation 2086 (2016) de l’Assemblée

29. Dans sa réponse du 23 novembre 2016 à la Recommandation 2086 (2016) de l’Assemblée, le Comité des Ministres a accueilli de manière positive la plupart des propositions de l’Assemblée concernant la réaction aux nouvelles menaces qui pèsent sur le fonctionnement des sociétés civiles indépendantes. Il a néanmoins regretté que seuls quelques États membres aient pris part à l’étude initiée en 2010 par le Comité européen de coopération juridique (CDCJ) sur la mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2007)14 du Comité des Ministres. Le CDCJ compte cependant entreprendre une nouvelle étude sur la mise en œuvre de cette recommandation. Par ailleurs, en 2014 et 2015, le Comité des Ministres a consacré des débats thématiques à la liberté de réunion et d’association. À la suite du débat de 2014, le Groupe de rapporteurs sur la démocratie (GR-DEM) a examiné la proposition faite par l’Assemblée de renforcer l’interaction avec les ONG et a conclu qu’il était possible d’y parvenir en respectant les dispositions en vigueur, notamment en intensifiant la coopération avec la Conférence des OING. Le 6 juillet 2016, le Comité des Ministres a adopté une nouvelle résolution – CM/Res(2016)3 – sur le statut participatif des organisations internationales non gouvernementales auprès du Conseil de l’Europe, qui définit plus clairement les critères d’obtention de ce statut et les moyens de renforcer la coopération avec l’Organisation. La Conférence des OING a récemment proposé un projet visant à apporter en amont une réponse systématique, transparente, fondée sur des recherches plus fouillées, aux situations potentiellement problématiques. S’il est mis en œuvre, ce projet instaurera un mécanisme spécial permettant aux ONG de communiquer rapidement des informations à la Conférence des OING, notamment sur les pratiques étatiques et la législation et sur les préoccupations concernant la liberté d’association. Le Conseil d’experts analysera ensuite ces informations et publiera son évaluation.
30. Le Comité des Ministres examine également la proposition présentée dans le rapport 2016 du Secrétaire Général, «Situation de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit. Un impératif pour la sécurité de l’Europe», qui vise à réaliser une étude sur les normes applicables au financement étranger des ONG dans les États membres et, sur la base des conclusions de cette étude, à envisager la nécessité d’élaborer de nouvelles lignes directrices du Comité des Ministres 
			(48) 
			Rapport du Secrétaire
Général, p. 68.. En outre, le Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH) du Conseil de l’Europe a établi un rapport intitulé «Analyse de l’impact des législations, politiques et pratiques nationales actuelles sur les activités des organisations de la société civile, des défenseurs des droits de l’homme et des institutions nationales des droits de l’homme» 
			(49) 
			Ibid.
Voir aussi CDDH-INST(2017)R87. .

4. Conclusion

31. L’espace dévolu à la société civile dans la zone géographique du Conseil de l'Europe s’est réduit ces deux dernières années. C’est le cas non seulement pour les quatre États membres du Conseil de l'Europe analysés dans mon rapport précédent (Azerbaïdjan, Fédération de Russie, Hongrie et Turquie) mais aussi pour d’autres États. En Azerbaïdjan et en Russie, les nouvelles dispositions législatives et réglementaires adoptées entre 2009 et 2016 sont aujourd’hui en vigueur, malgré les critiques de la Commission de Venise et d’autres organes d’experts internationaux, et leur application a abouti à la cessation d’activité de nombreuses ONG. En Hongrie, la loi sur la transparence des organisations recevant de l’aide de l’étranger adoptée en juin 2017 est également entrée en vigueur, bien qu’elle ait été critiquée par la Commission de Venise et malgré les recours déposés aux niveaux national et européen. Le paquet législatif «Stop Soros», qui doit bientôt être examiné par la Commission de Venise, suscite lui aussi des préoccupations. En Turquie, près de 1 600 associations et fondations ont été fermées sur la base de décrets adoptés dans le cadre de l’état d’urgence ou de mesures administratives fondées sur ces derniers. Il n’est pas encore démontré que ces associations et fondations disposent d’une voie de recours effective contre ces décisions. Le nombre d’ONG fermées, la procédure appliquée pour les fermer et l’atmosphère générale qui prévaut depuis le coup d’État avorté sont inquiétants. Les autorités turques invoquent l’argument de la sécurité nationale, et notamment la lutte contre le terrorisme, mais, de mon point de vue, ces arguments sont souvent utilisés contre toute personne critique du gouvernement. Je trouve que l’utilisation excessive de ces arguments est contre-productive non seulement pour le bon fonctionnement d’une société démocratique mais aussi pour la lutte contre le terrorisme. En outre, quelques autres États membres – comme la Roumanie et l’Ukraine – tentent d’adopter des mesures législatives qui imposent de lourdes obligations de déclaration financière aux associations. En Pologne, la création du NFI distribuant des fonds publics aux ONG a été critiquée car elle centralise et politise ce processus. Dans de nombreux pays, les ONG se heurtent à des difficultés pour s’enregistrer et obtenir des fonds en faveur de leurs activités. Leurs dirigeants font l’objet d’un harcèlement judiciaire ou administratif ou sont victimes de graves violations des droits de l’homme, tels que des mauvais traitements ou des arrestations arbitraires; je ne doute pas que cette question sera examinée en détail par le rapporteur de la commission chargé du rapport «Assurer la protection des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l'Europe» 
			(50) 
			Doc. 14567 (rapporteur: M. Egidijus Vareikis, Lituanie, PPE/DC)..
32. Dans ce contexte, je tiens à rappeler les recommandations du Haut-Commissaire aux droits de l’homme, qui a souligné en 2016 qu’il fallait cinq éléments clefs afin «de créer et de maintenir un environnement sûr et favorable pour la société civile (…): un cadre juridique solide, conforme aux normes internationales, et un système national de protection des droits de l’homme robuste sauvegardant les libertés publiques et garantissant un accès effectif à la justice; un climat politique favorable à l’action de la société civile; un accès à l’information; des possibilités ouvertes à la société civile de participer aux processus décisionnels; et un appui à long terme et des ressources pour la société civile» 
			(51) 
			Recommandations pratiques
pour la création et le maintien d’un environnement sûr et favorable
à la société civile, en se fondant sur les bonnes pratiques et les
enseignements tirés. Rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies
aux droits de l’homme, A/HRC/32/20, 11 avril 2016, paragraphe 83. . Ces recommandations sont soutenues par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies dans sa Résolution du 1er juillet 2016 «Champ d’action de la société civile» 
			(52) 
			Ibid. Voir
aussi A/HRC/RES/32/31, 1er juillet 2016.. Je suis absolument convaincu que l’Assemblée devrait elle aussi leur apporter son soutien et appeler les États membres du Conseil de l'Europe à adopter les mesures nécessaires à leur mise en œuvre.
33. En ce qui concerne le cadre juridique régissant les activités des ONG, les exemples mentionnés dans le présent rapport montrent qu’il existe une tendance croissante à proposer et même à adopter des lois qui ne respectent pas les normes internationales relatives aux droits de l’homme. Certaines de ces lois sont discriminatoires, car elles visent à limiter le financement étranger des ONG, ce qui peut avoir un effet extrêmement préjudiciable sur leur action globale. S’agissant de l’accès à l’information et de la participation aux processus décisionnels, les ONG n’ont pas toujours été consultées sur le texte de loi proposé qui concernait leur statut. Enfin, pour ce qui est du climat politique favorable à l’action de la société civile, les campagnes de dénigrement dans les médias et l’utilisation d’une terminologie qui délégitime les acteurs de la société civile («agents étrangers» ou «organisations indésirables» en Russie, «terroristes» ou «gülenistes» en Turquie, discours et affiches «anti-Soros» en Hongrie) accentuent la mauvaise image de la société civile dans l’opinion publique et dissuadent la société civile d’exercer ses libertés fondamentales. La disponibilité de financements est un enjeu crucial dans ce contexte. Soyons honnêtes: sans accès à des fonds, aucun travail sérieux n’est possible pour les ONG. Les exemples cités plus haut montrent que plusieurs États membres du Conseil de l'Europe ont proposé et/ou promulgué des lois qui limitent les activités et le financement de la société civile. Cela dénote une tendance inquiétante, qui devrait être suivie attentivement par les organes compétents de l’Organisation, et soulève la question de savoir si – et dans quelle mesure – les ONG devraient (aussi) recevoir des fonds publics pour rester «indépendantes», c’est-à-dire pour pouvoir exercer pleinement leurs droits et libertés découlant des articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. En tout état de cause, les donateurs privés ne doivent pas être victimes d’actes d’intimidation ni découragés par d’autres moyens.
34. Pour conclure, la situation des ONG dans les États membres du Conseil de l’Europe exige un surcroît d’attention de l’Assemblée. Les propositions que je fais dans les projets de résolution et de recommandation vont dans ce sens.