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Rapport | Doc. 14574 | 11 juin 2018

Les mariages forcés en Europe

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Béatrice FRESKO-ROLFO, Monaco, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14115, Renvoi 4241 du 14 octobre 2016. 2018 - Troisième partie de session

Résumé

Le mariage forcé est une forme de violence faite aux femmes qui entraîne de graves violations des droits fondamentaux, et notamment des atteintes aux droits à l’intégrité physique, à la santé physique et psychique, à la santé sexuelle et génésique, à l’éducation, à la vie privée, à la liberté et à l’autonomie des femmes et des filles. Les hommes et les garçons victimes de mariages forcés subissent des violations similaires de leurs droits. Ni la culture, ni la coutume, ni la religion, ni la tradition, ni le prétendu «honneur» ne peuvent justifier ces violations.

Le mariage forcé peut toucher des individus résidant dans chacun des États membres du Conseil de l’Europe. Par conséquent, tous les États doivent adopter des politiques intégrées et prendre des mesures visant à prévenir les mariages forcés, à protéger les victimes et à poursuivre les auteurs de ces pratiques préjudiciables.

Les États doivent veiller à ce que les victimes potentielles aient accès à des mécanismes de prévention efficaces et fournir une assistance complète aux victimes. Ils devraient promouvoir l’autonomisation des filles et des femmes et soutenir les organisations de terrain qui œuvrent pour changer les mentalités au sein de leur communauté. Les États doivent mettre en place des mécanismes de droit civil qui permettent d’éviter les mariages forcés; par ailleurs, ils doivent criminaliser le mariage forcé et interdire tout mariage impliquant des personnes âgées de moins de 18 ans. Si les États n’agissent pas dès maintenant, et de manière efficace pour mettre fin au mariage forcé, ils continueront à se rendre complices d’actes qui porteront atteinte à des générations de femmes et de filles.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 5 juin 2018.

(open)
1. Chaque jour à travers le monde, 39 000 filles sont mariées avant d’avoir atteint l’âge de la majorité. Plus d’un tiers d’entre elles sont âgées de moins de 15 ans. Les mariages forcés entre adultes sont également fréquents. Tous les pays d’Europe sont concernés par ces pratiques préjudiciables, qu’il s’agisse de mariages forcés contractés en Europe ou de ressortissants ou résidents européens dont le mariage forcé est contracté ailleurs, ou bien encore de personnes mariées de force avant leur arrivée en Europe. Ces pratiques préjudiciables touchent surtout les femmes et les filles mais aussi des hommes et des garçons.
2. Derrière les chiffres se cachent autant de vies brisées, de potentiel gaspillé, de risques graves pour la santé. Pour les jeunes filles, se marier est souvent synonyme d’abandon de la scolarité, de séparation de leur famille, de passage trop rapide entre la vie d’enfant et la vie d’adulte, d’esclavage domestique, de relations sexuelles imposées et non protégées, de grossesses non voulues et dangereuses pour leur santé. À l’âge adulte, les mariages forcés privent les femmes de la possibilité de décider librement et sans coercition, discrimination ni violation de leurs droits de toute question relevant de leur choix de vie, de leur sexualité et de leur santé sexuelle et reproductive. Enfin, pour les femmes comme pour les filles, mariage forcé rime avec violences, agressions sexuelles et viols à répétition.
3. L’Assemblée a condamné ces pratiques dans sa Résolution 1468 (2005) sur les mariages forcés et mariages d’enfants, dans laquelle elle a défini le mariage forcé comme étant l’union de deux personnes dont l’une au moins n’a pas donné son libre et plein consentement au mariage, et le mariage d’enfants comme étant l’union de deux personnes dont l’une au moins n’a pas 18 ans. Ces définitions demeurent valables aujourd’hui, le mariage d’enfants constituant une forme de mariage forcé.
4. Le mariage forcé n’est pas une simple contrainte matrimoniale mais constitue un ensemble de violences faites aux femmes. Il porte atteinte à tout une série d’autres droits, dont notamment les droits à l’intégrité physique, à la santé physique et psychique, à la santé sexuelle et génésique, à l’éducation, à la vie privée, à la liberté et à l’autonomie.
5. Des normes internationales visant à prévenir et à combattre les mariages forcés existent depuis longtemps. De surcroît, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul») définit les mariages forcés comme une forme de violence et demande aux États Parties de les ériger en infraction pénale. Or, les mesures mises en place jusqu’à présent n’ont pas suffi à enrayer cette pratique préjudiciable au sein de nos États membres.
6. L’Assemblée estime essentiel que les États membres intensifient leurs efforts pour prévenir et lutter contre les mariages forcés et mettre fin aux violences et aux violations des droits qu’ils impliquent. Ces efforts doivent inclure tous les acteurs concernés, qu’il s’agisse des communautés au sein desquels sont pratiqués les mariages forcés, des organisations de terrain, des services sociaux et éducatifs, de la police, de la justice ou des professionnels de la santé. Les campagnes de sensibilisation et de formation doivent impliquer aussi bien les femmes que les hommes des communautés concernées et permettre de dissocier ces pratiques préjudiciables des stéréotypes de genre, de la culture et des traditions, et notamment les notions de prétendu «honneur» qui favorisent leur persistance.
7. À la lumière de ce qui précède, l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe:
7.1. à inclure la lutte contre les mariages forcés dans leurs politiques et stratégies nationales de prévention et de lutte contre la violence à l'égard des femmes et des filles, et à créer une structure spécifique au sein des autorités administratives dédiée à la lutte contre les mariages forcés;
7.2. à mener des campagnes publiques de sensibilisation et d’information contre les mariages forcés et à soutenir les initiatives des organisations non gouvernementales dans ce domaine;
7.3. à développer et à renforcer les structures mises en place pour porter assistance aux victimes et aux personnes à risque d’un mariage forcé, y compris les lignes téléphoniques dédiées aux appels urgents et les hébergements et refuges destinés aux femmes et aux filles ayant dû quitter leur foyer;
7.4. à renforcer l’autonomisation des femmes et des filles en garantissant notamment leur accès à l’éducation et au marché du travail;
7.5. en ce qui concerne le droit interne:
7.5.1. à ériger en infraction pénale le fait de forcer un adulte ou un enfant à contracter un mariage, ainsi que le fait de tromper un adulte ou un enfant afin de l’emmener à l’étranger avec l’intention de le forcer à contracter un mariage, et à prévoir des sanctions efficaces contre les auteurs de ces infractions;
7.5.2. à interdire sans exception les mariages d’enfants et à supprimer les différences entre filles et garçons en ce qui concerne l’âge minimum pour le mariage;
7.5.3. à mettre en place des mécanismes permettant de vérifier avant le mariage l’authenticité du consentement de chaque époux, tenant compte du fait que chaque partie doit être libre de refuser le mariage sans conséquence négative pour elle;
7.5.4. à mettre en place des mesures de droit civil, comme des ordonnances de protection contre les mariages forcés, associées le cas échéant à une interdiction de sortie du territoire, permettant de prévenir les mariages forcés lorsque des cas de personnes à risque sont signalés;
7.5.5. à assurer que les naissances et les mariages soient enregistrés, tout en veillant à ce que les personnes contraintes à une union non enregistrée et les enfants éventuellement issus de cette union bénéficient d’un même niveau de protection que si le mariage avait été enregistré;
7.5.6. à prendre des mesures pour que les mariages forcés puissent être annulables, annulés ou dissous sans faire peser sur la victime une charge financière ou administrative excessive;
7.6. afin de favoriser l’application efficace des dispositions de droit pénal et civil visant à empêcher et à sanctionner les cas de mariage forcé, à améliorer les conditions permettant de signaler les cas de mariage forcé et à garantir la protection des victimes, des donneurs d’alerte et d’autres témoins pendant toute la durée nécessaire pour assurer leur sécurité;
7.7. en ce qui concerne leurs engagements au niveau du droit international:
7.7.1. à signer et/ou à ratifier et à mettre en œuvre sans restriction les instruments pertinents du Conseil de l’Europe et tout particulièrement la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique;
7.7.2. à signer et/ou à ratifier la Convention des Nations Unies sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages, ainsi que l’amendement et le protocole à la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes;
7.8. à reconnaître le mariage forcé comme un motif de protection internationale;
7.9. à assurer la collecte de données ventilées par sexe et par âge, fiables et comparables sur les mariages forcés et à mener des études approfondies sur les causes et la fréquence de ces pratiques et les facteurs de risque;
7.10. en vue de garantir la protection des victimes et des personnes à risque dès le premier signalement de leur situation, à dispenser des formations approfondies aux professionnels travaillant au sein des services sociaux et éducatifs, de la police et de la justice et aux professionnels de la santé;
7.11. à mettre en place des mécanismes efficaces de coordination et de suivi des victimes et des personnes à risque et à promouvoir les échanges de bonnes pratiques, se référant notamment à cet égard au Guide de bonnes et prometteuses pratiques visant à prévenir et à combattre les mutilations génitales féminines et le mariage forcé, préparé par le Comité directeur pour les droits de l'homme.
8. L’Assemblé́e encourage les parlements nationaux à soutenir les actions de prévention des mariages forcés au niveau national et à travers leurs activités de coopération internationale.
9. L’Assemblée salue et soutient les Objectifs de développement durable adoptés par les Nations Unies, qui incluent l’élimination des mariages forcés d’ici à 2030, et encourage tous les États membres du Conseil de l’Europe à contribuer activement à la mise en œuvre de ces objectifs.
10. Enfin, l’Assemblée reconnaît que les mariages forcés sont liés à d’autres pratiques néfastes, en particulier les mutilations génitales féminines, qui ont fait l’objet de sa Résolution 2135 (2016), et les crimes liés au prétendu «honneur», contre lesquels les États membres du Conseil de l’Europe doivent également lutter avec fermeté et détermination.

B. Exposé des motifs, par Mme Béatrice Fresko-Rolfo, rapporteure

(open)

1. Introduction

«Lorsque j’avais 14 ans, une collégienne ordinaire en Angleterre, je suis rentrée de l’école un jour et ma mère m’a demandé de m’asseoir puis m’a présenté une photo de l’homme à qui – j’allais l’apprendre – on m’avait promise en mariage dès l’âge de 8 ans (…) Je me souviens d’avoir regardé la photo, et d’avoir pensé, du haut de mes 14 ans: “Il est plus petit que moi”, puis d’avoir pensé à mes devoirs et à d’autres choses. Ma mère est restée très factuelle, joviale, elle avait fait ça avec chacune de mes sœurs – à propos, aucune d’entre elles n’avait protesté. Aucune n’avait dit non (…) J’ai pu retourner au collège, mais les pressions se sont intensifiées lorsque j’avais 15½ ans (…) J’ai vivement protesté. Alors ma famille m’a retirée de l’école, elle m’a séquestrée à la maison (…) J’ai été enfermée dans une chambre, le cadenas était à l’extérieur (…) et on m’a contrainte à y rester jusqu’à ce que j’accepte le mariage. J’ai fini par dire oui au mariage, dans le seul but de racheter ma liberté (…) Je me suis enfuie de chez nous lorsque j’avais 16 ans, j’étais en dernière année à l’école, l’année la plus importante, pendant les examens. Je me suis enfuie à plus de 250 km de chez nous, je pensais que j’y serais en sécurité (…) Ma mère a été très claire. Elle m’a dit: “Soit tu rentres et tu épouses la personne qu’on te dit, soit, désormais, tu es morte à nos yeux.”»
Jasvinder Sanghera, rescapée d’une tentative de mariage forcé au Royaume-Uni 
			(2) 
			Jasvinder Sanghera,
fondatrice et directrice de l’association Karma Nirvana, «Fighting
forced marriages and honour-based abuse», TEDxGöteborg, vidéo publiée
le 28 novembre 2013, <a href='https://www.youtube.com/watch?v=h_Xh5MXA7yY'>https://www.youtube.com/watch?v=h_Xh5MXA7yY</a>.

1. Chaque jour à travers le monde, 39 000 filles sont mariées avant d’avoir atteint l’âge de la majorité. Plus d’un tiers de ces jeunes filles sont âgées de moins de 15 ans 
			(3) 
			Fonds des Nations Unies
pour la population (UNFPA), <a href='https://www.unfpa.org/sites/default/files/pub-pdf/MarryingTooYoung.pdf'>Marrying
Too Young: End Child Marriage</a>, New York, 2012, p. 6. . Derrière ces chiffres se cachent autant de vies brisées, de potentiel gaspillé, de risques graves pour la santé. Pour les jeunes filles, se marier est souvent synonyme d’abandon de la scolarité, de séparation de leur famille, de passage trop rapide entre la vie d’enfant et la vie d’adulte, d’esclavage domestique, de relations sexuelles imposées et non protégées, de grossesses non voulues et dangereuses pour leur santé 
			(4) 
			UNFPA
(2012), p. 11; Recommandation générale/observation générale conjointe
no 31 du Comité pour l’élimination de
la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et no 18
du Comité des droits de l’enfant (CRC) sur les pratiques préjudiciables,
CEDAW/C/GC/31/CRC/C/GC/18, paragraphe 22. . De tels faits portent atteinte aux droits à l’intégrité physique, à la santé physique et psychique, à la santé sexuelle et génésique, à l’éducation.
2. Peu de données sont disponibles concernant les mariages forcés entre adultes. Des études menées en Allemagne et au Royaume-Uni ont toutefois montré que parmi les femmes et les filles ayant sollicité des conseils dans ces pays quant aux mariages forcés, environ les deux tiers étaient âgés de plus de 18 ans 
			(5) 
			Agence des droits fondamentaux
(FRA) de l’Union européenne, Addressing forced marriage in the EU:
legal provisions and promising practices (Lutter contre le mariage
forcé dans l’UE: dispositions législatives et pratiques encourageantes),
Luxembourg, 2014, p. 12-13. . À l’âge adulte, les mariages forcés entravent le droit à la vie privée, à la liberté et à l’autonomie, privant par ailleurs les femmes de la possibilité de décider librement et sans coercition, discrimination ni violation de toute question relevant de leur sexualité et de leur santé sexuelle et reproductive. Pour les femmes comme pour les filles, mariage forcé rime avec violences, agressions sexuelles et viols à répétition.
3. Ces violations des droits humains sont connues et des normes internationales visant à les prévenir et à les combattre existent depuis longtemps. Or, ces pratiques continuent aujourd’hui et concernent de nombreuses femmes au sein de nos États membres.
4. De tels constats doivent nous interpeller et nous inciter à nous emparer d’urgence de ces problèmes. C’est pourquoi je souhaite, par le biais de mon rapport, mettre en exergue des mesures et pratiques efficaces pour comprendre ce problème, prévenir les mariages forcés dans nos États membres et protéger les victimes. Dans ce contexte, il est aussi particulièrement important de comprendre les facteurs culturels, traditionnels et socio-économiques parfois complexes qui permettent à ces pratiques de perdurer.

2. Droit international

Nations Unies

5. Dès 1948, les Nations Unies déclaraient que les hommes et les femmes ont des droits égaux au regard du mariage et que celui-ci ne peut être conclu qu'avec le libre et plein consentement des futurs époux 
			(6) 
			Déclaration universelle
des droits de l’homme, article 16. . L’exigence du libre et plein consentement, sans lequel aucun mariage ne peut être contracté légalement, a été réaffirmée à de nombreuses reprises dans des traités très largement ratifiés. De plus, selon la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ratifiée par tous les États membres du Conseil de l’Europe), «les fiançailles et les mariages d'enfants n'ont pas d'effets juridiques et toutes les mesures nécessaires, y compris des dispositions législatives, sont prises afin de fixer un âge minimal pour le mariage et de rendre obligatoire l'inscription du mariage sur un registre officiel» 
			(7) 
			Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (1966), article 23; Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
(1966), article 10; Convention sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination à l’égard des femmes (1979), article 16. .
6. D’après la Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages de 1962 (ci-après «Convention sur le consentement au mariage»), les États doivent assurer une entière liberté dans le choix du conjoint, abolir totalement le mariage des enfants et la pratique des fiançailles des jeunes filles avant l’âge nubile, instituer les sanctions voulues et créer un service de l’état civil ou un autre service d’enregistrement de tous les mariages. Selon cette convention, aucun mariage ne peut être contracté légalement sans le libre et plein consentement des deux parties et les États parties doivent prendre les mesures législatives nécessaires pour spécifier un âge minimum pour le mariage. Vingt-trois États membres du Conseil de l’Europe sont aujourd’hui parties à cette convention et deux autres l’ont signée 
			(8) 
			États Parties: Allemagne,
Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Chypre, Danemark, Espagne,
Finlande, France, Hongrie, Islande, «l’ex-République yougoslave
de Macédoine», Monténégro, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Roumanie,
Royaume-Uni, Serbie, République slovaque, Suède, République tchèque;
États signataires: Grèce, Italie. . La dernière ratification, par la France, date de 2010.
7. L’élimination des mariages forcés fait partie des objectifs de développement durable des Nations Unies à l’horizon 2030 
			(9) 
			Objectif 5 («Parvenir
à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles»),
cible 3, disponible sur <a href='http://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/gender-equality'>www.un.org/sustainabledevelopment/fr/gender-equality</a>. .

Conseil de l’Europe

8. En 2002, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation Rec(2002)5 sur la protection des femmes contre la violence. Sont incluses parmi les formes de violence couvertes certaines pratiques traditionnelles préjudiciables aux femmes, telles que les mariages forcés. Cette Recommandation demande aux États membres du Conseil de l’Europe «d’interdire les mariages forcés, conclus sans le consentement des personnes concernées». En 2013, 21 États (contre 11 en 2005) avaient une politique intervenant sur le mariage forcé et/ou précoce 
			(10) 
			Voir Annexe a la recommandation,
paragraphes 1.a et 84; voir également <a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016805915ea'>l’étude
analytique des résultats du 4e cycle de suivi de la mise en œuvre
de la Recommandation Rec(2002)5</a>, publié en 2014. .
9. En 2005, l’Assemblée parlementaire a défini les mariages forcés comme étant l’union de deux personnes dont l’une au moins n’a pas donné son libre et plein consentement au mariage, et a fermement condamné cette pratique. Elle a condamné tout aussi sévèrement le mariage d’enfants, défini comme étant l’union de deux personnes dont l’une au moins n’a pas 18 ans 
			(11) 
			Résolution 1468 (2005) sur les mariages forcés et mariages d’enfants. .
10. En 2011, le Comité des Ministres a adopté la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»). Aujourd’hui, 30 États membres du Conseil de l’Europe y sont Parties et 15 sont signataires; l’Union européenne l’a également signée 
			(12) 
			États
Parties au 1er avril 2018: Albanie, Allemagne,
Andorre, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Chypre, Danemark,
Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Islande, Italie, «l’ex-république
Yougoslave de Macédoine», Malte, Monaco, Monténégro, Norvège, Pays-Bas,
Pologne, Portugal, Roumanie, Saint-Marin, Serbie, Slovénie, Suède, Suisse,
Turquie. États signataires qui n’ont pas ratifié la Convention d’Istanbul
à ce jour: Arménie, Bulgarie, Grèce, Hongrie, Islande, Irlande,
Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, République de Moldova,
Royaume-Uni, République slovaque, République tchèque, Ukraine. Le
13 avril 2018, le parlement croate a ratifié la convention. Toutefois,
au moment où je finalise le présent document, l’instrument de ratification
n’a pas encore été déposé à Strasbourg. Les deux États qui n’ont
ni signé ni ratifié cette convention sont l’Azerbaïdjan et la Fédération
de Russie..
11. La Convention d’Istanbul qualifie le mariage forcé de «violation grave des droits humains des femmes et des filles» et d’«obstacle majeur à la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes». Elle exige des États Parties que ceux-ci érigent en infraction pénale le fait de forcer un adulte ou un enfant à contracter un mariage, ainsi que le fait de tromper un adulte ou un enfant afin de l’emmener à l’étranger avec l’intention de le forcer à contracter un mariage – et cela même si aucun mariage n’est contracté 
			(13) 
			Convention d’Istanbul,
préambule, article 37 et parties pertinentes du rapport explicatif..
12. Concernant les conséquences civiles des mariages forcés, la Convention d’Istanbul exige des Parties que celles-ci prennent les mesures nécessaires pour que les mariages forcés puissent être annulables, annulés ou dissous sans faire peser sur la victime une charge financière ou administrative excessive. Elle oblige aussi les Parties à prendre des mesures pour éviter que le fait de quitter son pays de résidence aux fins d’un mariage forcé, ainsi que le fait de dissoudre un tel mariage, n’affectent le statut de résident de la victime 
			(14) 
			Convention d’Istanbul,
articles 32 et 59..
13. Le 13 septembre 2017, le Comité des Ministres a adopté une déclaration sur la nécessité d'intensifier les efforts visant à prévenir et à combattre les mutilations génitales féminines et le mariage forcé en Europe. Soulignant les conséquences graves, souvent irréparables et irréversibles de ces pratiques, il a invité les États membres à prendre toute une série de mesures visant à mieux les combattre. À cet effet, le Comité directeur pour les droits de l'homme a également préparé un Guide de bonnes et prometteuses pratiques visant à prévenir et à combattre les mutilations génitales féminines et le mariage forcé 
			(15) 
			Déclaration
du Comité des Ministres sur la nécessité d'intensifier les efforts
visant à prévenir et à combattre les mutilations génitales féminines
et le mariage forcé en Europe, adoptée par le Comité des Ministres
le 13 septembre 2017, lors de la 1293e réunion
des Délégués des Ministres, Decl(13/09/2017)..

3. Définitions et portée du présent rapport

«J’allais avoir 18 ans (…) Un soir, ma mère (…) m’annonça qu’au début du mois de juillet, je me marierais avec un homme de bonne famille et de bonne caste (…) Je n’étais pas prête et surtout j’ai toujours voulu me marier à l’homme que j’aime… Je l’ai suppliée de toutes mes forces de revenir sur cette décision (…) Personne n’a pu s’interposer face à ma mère, pas même mon père (…) [L’homme avait] face à lui une jeune femme vierge (…) J’ai perdu tout ce que j’avais de plus cher dans d’atroces souffrances. [Aux côtés de cet homme,] je vivais un enfer et je n’avais personne avec qui partager ma détresse.»
Odélya, mariée de force en France peu après avoir obtenu son baccalauréat 
			(16) 
			Odélya, «Témoignage:
le jour où on m’a mariée de force», 3 mars 2017, <a href='http://femmedinfluence.fr/mariage-force/'>http://femmedinfluence.fr/mariage-force/</a>.

14. Il ressort des sources citées plus haut que ce qui caractérise le mariage forcé, c’est l’absence de consentement d’au moins une des deux parties. Dès lors que l’un au moins des conjoints n’a pas donné son consentement total et libre en connaissance de cause, il s’agit d’un mariage forcé. Les unions dans lesquelles l’une (au moins) des parties n’est pas libre de mettre fin au mariage ou de quitter son conjoint sont aussi des mariages forcés 
			(17) 
			CEDAW/C/GC/31/CRC/C/GC/18,
paragraphe 23. .
15. Par «mariage d’enfants» ou «mariage précoce», l’on désigne un mariage dans lequel l’une (au moins) des parties est mineure. À l’instar de la position prise non seulement par l’Assemblée en 2005 mais aussi par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, je considère les mariages précoces comme une forme de mariage forcé car par définition, l’un des conjoints ou les deux n’ont pas exprimé leur consentement total et libre en connaissance de cause 
			(18) 
			«Un mariage d’enfants
est considéré comme une forme de mariage forcé car l’un des conjoints
ou tous les deux n’ont pas exprimé leur consentement total et libre
en connaissance de cause», CEDAW/C/GC/31/CRC/C/GC/18, paragraphe 20. . Il me semble important de souligner qu’un mineur ne peut en aucun cas donner son libre et plein consentement à des violations aussi flagrantes de ses droits fondamentaux. Un enfant de 16 ou 17 ans demeure un enfant, qui n’a ni les mêmes droits qu’un adulte ni les mêmes capacités à résister à des pressions visant à lui imposer un mariage contre son gré. Par ailleurs, diviser ce phénomène en sous-catégories de mariages d’enfants, mariages précoces et mariages forcés, comme cela est parfois fait, risque d’ouvrir la voie aux exceptions évoquant la culture, la religion ou encore relatives à d’autres pratiques ou traditions 
			(19) 
			Voir
les <a href='https://rm.coe.int/guidelines-hr-in-culturally-diverse-societies/168073dcec'>Lignes
directrices aux États membres sur la protection et la promotion
des droits de l’Homme dans les sociétés culturellement diverses</a>, adoptées le 2 mars 2016 par le Comité des Ministres
lors de sa 1249e réunion, ligne directrice
no 44. .
16. Ainsi, le terme «mariage forcé» doit être entendu dans le cadre du présent rapport comme englobant tant les mariages non consentis entre adultes que les mariages impliquant au moins un mineur. Je n’emploie les termes «mariage d’enfants» ou «mariage précoce» que lorsque cela est nécessaire pour faire la lumière sur certaines particularités spécifiques à ces formes de mariages forcés.
17. Je tiens à souligner ici la distinction entre mariages arrangés – terme par lequel l’on désigne les unions auxquelles les deux époux consentent librement, même s’ils n’en sont pas les initiateurs, et qui sont par conséquent conformes à la loi – et mariages forcés (auxquels au moins un des époux ne consent pas).
18. Enfin, les mariages forcés sont souvent étroitement liés à des notions «d’honneur», voire aux crimes dits «d’honneur», aspect important dont je tiendrai également compte dans ce rapport. Rappelons d’emblée dans ce contexte que la Convention d’Istanbul stipule que ni la culture, ni la coutume, ni la religion, ni la tradition, ni le prétendu «honneur» ne peuvent justifier les violences faites aux femmes (voir notamment ses articles 12 et 42).

4. Qui sont les personnes concernées par les mariages forcés, et dans quelles circonstances?

19. Très peu de données précises et comparables existent concernant les mariages forcés; il s’agirait là d’une grave lacune dans la lutte contre cette pratique préjudiciable 
			(20) 
			Comité directeur pour
les droits de l’homme (CDDH), Guide de bonnes et prometteuses pratiques
visant à prévenir et à combattre les mutilations génitales féminines
et le mariage forcé, 4 août 2017, CM(2017)92-add2, paragraphe 88. . Toutes les sources conviennent cependant que les principales victimes des mariages forcés sont des jeunes filles (parfois très jeunes). J’estime néanmoins important de préciser que les garçons sont aussi touchés par les mariages forcés, ainsi que les personnes LGBT, que leur famille chercherait à «remettre sur le droit chemin» 
			(21) 
			FRA (2014), p. 14 et
16, et informations fournies lors de l’audition du 7 décembre 2017. . De même, les personnes ayant un handicap intellectuel sont très vulnérables aux mariages forcés.
20. Le mariage forcé peut constituer une façon d’échapper à la pauvreté, notamment à la suite de conflits armés; il peut s’agir par ailleurs de mariages d’échange ou de compensation, d’alliances convenues entre familles afin de garantir des droits fonciers ou à des fins d’immigration, du fait de contraindre une victime de viol à se marier à son violeur, de lévirat ou de mariages serviles (dont la finalité est l’exploitation).
21. L’impact d’un mariage forcé est particulièrement grave lorsque l’une des parties est mineure, voire les deux. Toutefois, de nombreux cas concernent des personnes à peine sortie de l’adolescence ou adultes.
22. De nombreux mariages forcés ont une dimension internationale, la personne concernée ou ses parents étant originaires d’un autre pays. Au Royaume-Uni, l’Unité sur les mariages forcés du ministère des Affaires étrangères (FMU) a traité depuis 2005 des cas concernant plus de 90 pays d’Asie, du Moyen Orient, d’Afrique, d’Europe et d’Amérique du Nord. En 2017, les pays étrangers les plus souvent concernés étaient le Pakistan (36,7 % des cas), le Bangladesh (10,8 %), la Somalie (7,6 %), l’Inde (6,9 %), l’Afghanistan (1,6 %), l’Égypte (1,5 %), l’Irak (1,2 %), le Nigéria (1,0 %), la Roumanie (0,9 %) et l’Arabie Saoudite (0,9 %). En France, les pays concernés sont le plus souvent les pays du sous-continent indien, la Turquie et la Fédération de Russie (notamment la Tchétchénie) tandis qu’en Allemagne, il s’agit principalement de la Turquie et de l’ouest des Balkans (Serbie, Kosovo* 
			(22) 
			* Toute
référence au Kosovo, qu’il s’agisse de son territoire, de ses institutions
ou de sa population, dans le présent texte, doit être entendue comme
étant pleinement conforme avec la Résolution 1244 du Conseil de Sécurité des Nations Unies sans préjuger
du statut du Kosovo, Monténégro) 
			(23) 
			Voir Home Office and
Foreign and Commonwealth Office, Forced Marriage Unit Statistics
2017, 16 mars 2018; FRA (2014) et informations fournies lors de
l’audition du 7 décembre 2017. Tous ces chiffres concernent uniquement
les cas dans lesquels une personne concernée a sollicité de l’aide. .
23. Dans son rapport sur «Protéger les femmes réfugiées de la violence fondée sur le genre», notre collègue Gisela Wurm a mis en exergue un autre cas de figure ayant une dimension internationale et se présentant notamment dans le contexte de l’arrivée en Europe de personnes fuyant des pays déchirés par la guerre et les persécutions. Des jeunes filles syriennes ont été mariées par leurs parents dans les camps de réfugiés ou en transit. Parfois des familles décident de marier leur fille à un homme plus âgé afin qu’elle bénéficie d’une protection et/ou qu’elle évite les violences aux mains de plusieurs hommes. Il n’empêche que cette stratégie de défense constitue une violation des droits des femmes et des droits de l’enfant 
			(24) 
			Doc. 14284. .
24. Un nombre important de mariages forcés n’ont en revanche aucune dimension internationale, l’ensemble des éléments se produisant au sein du pays où vit la personne concernée. Cela était le cas dans 10 % des cas traités par l’Unité sur les mariages forcés en 2017. Cette situation concerne souvent des personnes appartenant à des minorités, par exemple les personnes appartenant aux minorités nationales, ethniques ou religieuses habitant dans certaines régions de Géorgie, d’Azerbaïdjan ou de Turquie ou en Tchétchénie, ou les Roms et les Gens du voyage dans plusieurs pays européens. Moins connu, le phénomène des mariages forcés au sein de communautés de personnes appartenant à des minorités chrétiennes dans certaines régions de la Norvège a également été cité lors de nos discussions en commission. Soulignons ici qu’aucune religion ne prescrit les mariages forcés mais que toutes les confessions sont concernées.
25. Il nous a également été signalé que si la majorité des victimes de mariages forcés en France ont moins de 20 ans, les femmes ayant été soumises plus «tardivement» à un mariage forcé, vers l’âge de 24 ou 25 ans, subissent souvent des pressions depuis leur adolescence, voire leur enfance. Ainsi, le mariage forcé est intégré dès le plus jeune âge et il s’avère difficile pour ces femmes de s’y opposer, même à l’âge adulte. Les femmes qui résistent au mariage forcé sont souvent mal vues par leur entourage, culpabilisées de désobéir à leurs parents voire exclues de la famille ou de la communauté. Surmonter ces pressions demande du temps. Ainsi, il est crucial pour les victimes de bénéficier d’un accompagnement soutenu et de longue durée 
			(25) 
			Audition tenue par
la commission le 7 décembre 2017 à Paris avec Mme Christine-Sarah
Jama et Mme Dominique Barthe-Bougenaux
de l’association Voix de Femmes (basée en Seine-Saint-Denis), engagée
depuis de nombreuses années dans la lutte contre les mariages forcés..
26. Il est également essentiel de prendre conscience que le mariage forcé n’est pas une simple contrainte matrimoniale: au contraire, il se pratique souvent dans un contexte de violences intrafamiliales répétées et y résister peut exposer la victime à des violences continues, voire à des crimes dits «d’honneur».

5. Consentement

«Je n’avais pas d’autre choix que de céder. J’étais toute seule face à tellement de monde.»
Sajida, mariée de force à 16 ans au Royaume-Uni 
			(26) 
			Témoignage
de Sajida, documentaire «Forced Marriage Cops», réalisatrice Anna
Hall, 2015.

27. Si la notion de mariage forcé se situe dans l’absence de consentement, des indications sont rarement données quant à la manière de vérifier ce consentement. Or, l’existence ou l’absence de celui-ci ne sont pas toujours faciles à prouver. Le fait que l’une des parties au mariage n’ait jamais exprimé son opposition ne devrait pas être considéré comme suffisant en soi pour établir le consentement. Par ailleurs, au vu des témoignages cités dans mon rapport, il serait certainement utile de se poser la question du consentement ou de la contrainte sous l’angle de la liberté de dire non: chaque partie au mariage est-elle (ou était-elle) libre de refuser celui-ci, sans conséquence négative pour elle?
28. Certains États ont mis en place des procédures visant à faciliter la vérification par l’officier de l’état civil, avant le mariage, du consentement des époux. En Allemagne, les parties à un mariage doivent déclarer devant l’officier de l’état civil qu’ils souhaitent s’épouser. Celui-ci peut exiger de s’entretenir individuellement avec chacun des époux s’il soupçonne l’absence de consentement, et est tenu de refuser de procéder au mariage s’il ressort que l’une des parties agit sous la menace ou la contrainte 
			(27) 
			FRA (2014), p. 20. .
29. Une fois un mariage forcé contracté, il peut s’avérer difficile pour la victime de prouver l’absence de consentement. J’ai toutefois été informée de deux affaires suédoises dans lesquelles les responsables ont pu être condamnés au pénal. Dans les deux cas, les parents de la future épouse avaient contraint leur fille adulte (de 23 ans au moment de son mariage dans un cas et de 19 ans dans le deuxième) à se marier à un homme désigné par eux, lors d’un voyage dans leur pays d’origine 
			(28) 
			«Swedish
Court Jails Dad over Forced Marriage», The
Local, 15 juillet 2016, <a href='http://www.thelocal.se/20160715/swedish-court-jails-dad-over-forced-marriage'>www.thelocal.se/20160715/swedish-court-jails-dad-over-forced-marriage</a>; «Couple sentenced to jail over daughter's forced marriage», The Local, 5 octobre 2017, <a href='http://www.thelocal.se/20160715/swedish-court-jails-dad-over-forced-marriage'>www.thelocal.se/20160715/swedish-court-jails-dad-over-forced-marriage</a>.. Dans la première affaire, l’absence de consentement a pu être démontrée grâce à des témoignages et messages prouvant que la jeune femme souhaitait se marier avec son petit ami en Suède et non avec le mari choisi par sa famille. Une fois emmenée à l’étranger, elle ne pouvait ni quitter son lieu de séjour ni contacter les autorités locales. Par ailleurs, son père devait être au courant de l’opposition de sa fille à son mariage. Le tribunal a conclu que ces éléments démontraient qu’il s’agissait d’un mariage forcé. Le père, qui avait également commis des voies de fait sur le petit ami de sa fille, a été condamné à quatre ans de prison ferme 
			(29) 
			D’après
l’article 4 kap. 4c § BrB (Code pénal suédois), pour que le mariage
forcé soit constitué, il faut démontrer soit que la victime a fait
l’objet d’une menace illégale directe soit que la situation de vulnérabilité
de la victime a été exploitée. La simple manipulation ou coercition
sont considérées comme immorales mais non illégales. Elin Hofberg,
«Sweden: First Sentence for “Forced Marriage” Upheld by Appellate
Court», Global Legal Monitor,
9 novembre 2016, <a href='http://www.loc.gov/law/foreign-news/article/sweden-first-sentence-for-forced-marriage-upheld-by-appellate-court/'>www.loc.gov/law/foreign-news/article/sweden-first-sentence-for-forced-marriage-upheld-by-appellate-court/</a>..

6. Âge minimum pour le mariage

30. En vertu de la Convention sur le consentement au mariage (article 2), les États parties doivent prendre les mesures législatives nécessaires pour spécifier un âge minimum pour le mariage. Cette convention admet toutefois des dérogations à l’âge légal minimum. Elle précise à cet égard que seule une autorité compétente peut décider d’accorder une dispense de cette limite, pour des motifs graves et dans l’intérêt des futurs époux. La seule autorisation des parents est ainsi insuffisante. Le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et le Comité des droits de l’enfant mettent en avant pour leur part que «pour respecter les capacités évolutives de l’enfant et son autonomie dans la prise de décisions affectant sa vie, à titre exceptionnel, le mariage d’un enfant mature de moins de 18 ans et doté de toutes ses capacités peut être autorisé, à condition que l’enfant ait au moins 16 ans et que la décision soit prise par un juge pour des motifs légitimes exceptionnels définis par la loi et sur la base de preuves de la maturité de l’intéressé et non par soumission aux cultures et traditions» 
			(30) 
			CEDAW/C/GC/31/CRC/C/GC/18,
paragraphe 20. .
31. L’Assemblée a pris position au sujet de l’âge minimum pour le mariage dès 2005, en condamnant fermement tous les mariages d’enfants, définis comme étant l’union de deux personnes dont l’une au moins n’a pas 18 ans 
			(31) 
			Résolution 1468 (2005) sur les mariages forcés et mariages d’enfants; voir
aussi le rapport du même titre, Doc. 10590. . Je tiens à rappeler ici les raisons ayant conduit à l’adoption de cette position, fondée sur les conséquences extrêmement graves qui pèsent sur les enfants mariés trop tôt. En effet, pour les garçons comme pour les filles, un mariage précoce a de profondes conséquences psychologiques, physiques, intellectuelles, émotionnelles et pratiques. Il coupe l’accès à l’éducation et à l’épanouissement personnel. Chez les filles, le mariage précoce va souvent de pair avec de multiples grossesses – causes de taux élevés de mortalité maternelle – et des accouchements prématurés. Les filles mariées trop tôt se retrouvent souvent dans une situation d’asservissement domestique et sexuel les exposant, du fait de rapports non protégés, aux maladies transmises sexuellement. Le mariage précoce constitue un obstacle majeur à la réalisation des droits de l’enfant et de l’égalité entre les femmes et les hommes et viole les droits à la liberté personnelle et à la croissance. Il entrave la future autonomie des femmes et réduit leur accès à l’emploi. Le mariage précoce change immédiatement et profondément le cours d’une vie. Pour toutes ces raisons, aucun enfant ne devrait pouvoir se marier avant d’avoir atteint la pleine maturité et d’être en capacité d’agir 
			(32) 
			CEDAW, Recommandation
générale no 21, CEDAW/C/GC/21. . À cet égard, la grossesse ne doit en aucun cas être considéré comme un motif légitime et suffisant pour autoriser un mariage précoce: d’une part, être enceinte ne change pas le fait qu’une mineure est moins en mesure qu’une adulte de résister à un mariage non voulu, et d’autre part, les jeunes filles qui se marient pendant leur grossesse sont plus susceptibles que les jeunes mères non mariées d’avoir rapidement un deuxième enfant – réduisant d’autant plus leurs perspectives scolaires et économiques. Permettre même exceptionnellement le mariage de mineures enceintes peut en outre, paradoxalement, inciter certaines familles souhaitant marier leur fille à faire pression sur elle pour tomber enceinte, afin d’augmenter les chances que leur demande de dérogation soit acceptée 
			(33) 
			Human
Rights Watch, «Florida Hits Child Marriage Bump», 5 février 2018;
Sweden, Stronger protection against forced marriages and child marriages,
SOU 2012:35 (Stärkt skydd mot tvångsäktenskap och barnäktenskap,
SOU 2012:35), p. 44, cité dans FRA (2014), p. 22. .
32. Malheureusement, la situation au sein des États membres du Conseil de l’Europe est encore loin de correspondre aux recommandations formulées par l’Assemblée en 2005. Certains États (par exemple Andorre, Malte et le Royaume-Uni) fixent l’âge minimum pour le mariage à 16 ans; les juridictions andorranes peuvent même autoriser le mariage dès l’âge de 14 ans 
			(34) 
			Informations
fournies par les États concernés dans le cadre de leurs rapports
périodiques relatifs à la Convention sur les droits de l’enfant
et/ou au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Voir aussi la loi qualifiée d’Andorre sur le mariage (1985), article
20; UK Marriage Act 1949, s2. . Si de nombreux autres États fixent l’âge minimum à 18 ans, beaucoup d’entre eux autorisent des exceptions à cette règle 
			(35) 
			Informations fournies
par les États concernés (Albanie, Allemagne, Arménie, Azerbaïdjan,
Croatie, Chypre, Estonie, France, Hongrie, Irlande, Lettonie, «l’ex-République
yougoslave de Macédoine», Norvège, Pays-Bas, Portugal, Roumanie,
Saint-Marin, Suède, République tchèque, Turquie et Ukraine) dans
le cadre de leurs différents rapports périodiques relatifs à la
Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard des
femmes, la Convention sur les droits de l’enfant et/ou le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques; voir aussi
FRA (2014), p. 21. . En Turquie par exemple, l’âge minimum pour le mariage est 18 ans, mais le mariage d’enfants âgés de 16 ans peut être autorisé par un juge dans des cas exceptionnels. De plus, la récente adoption d’une loi autorisant les muftis à célébrer des mariages civils est perçue comme susceptible de créer des conditions plus favorables aux unions précoces. Or, 15 % des femmes en Turquie sont déjà mariées à l’âge de 18 ans 
			(36) 
			Raf Sanchez, «New Turkish
Marriage Law Prompts Fears of Child Weddings», Telegraph, 3 novembre 2017, <a href='http://www.telegraph.co.uk/news/2017/11/03/new-turkish-marriage-law-prompts-fears-child-weddings/'>www.telegraph.co.uk/news/2017/11/03/new-turkish-marriage-law-prompts-fears-child-weddings/</a>; UNICEF Global Databases, Child Marriage, dernière mise
à jour: novembre 2017, <a href='https://data.unicef.org/wp-content/uploads/2015/12/Child-marriage-database_Nov-2017.xlsx'>https://data.unicef.org/wp-content/uploads/2015/12/Child-marriage-database_Nov-2017.xlsx</a>. .
33. Lorsqu’il existe une différence entre filles et garçons en matière d’âge minimum pour le mariage (les filles étant autorisées à se marier plus tôt que les garçons), cela expose les filles à un risque plus élevé d’être mariées de force. En France, lorsque cette différence d’âge a été supprimée en 2005, la nécessité de renforcer la lutte contre les mariages forcés a été citée comme l’un des motifs du changement. Je me félicite qu’au cours des dernières années, plusieurs autres États aient supprimé une telle différence, en relevant l’âge minimum à 18 ans pour les filles 
			(37) 
			Informations fournies
par l’Albanie, l’Arménie, le Luxembourg, Monaco, la Roumanie et
l’Ukraine dans le cadre de leurs rapports périodiques relatifs à
la Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard
des femmes, la Convention sur les droits de l’enfant et/ou le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques; proposition
de loi relative à l’harmonisation de l’âge minimal du mariage pour
l’homme et pour la femme, document no 222,
Sénat, session ordinaire de 2004-2005. .
34. Les mariages dans lesquels l’une au moins des parties n’a pas atteint l’âge minimum ne peuvent pas être contractés devant un officier de l’état civil ni enregistrés à l’état civil puisqu’il s’agit d’unions illégales. Dans la pratique toutefois, cela n’empêche pas les familles de procéder à des cérémonies religieuses ou traditionnelles, voire de considérer tout simplement les intéressés comme des époux. Aucune tentative ne sera faite d’enregistrer ces mariages, puisqu’ils sont punis par la loi 
			(38) 
			Voir
par exemple CEDAW/C/ALB/3 (2008), paragraphe 425; CEDAW/C/AZE/5
(2013), paragraphes 180-181; informations fournies lors de l’audition
tenue le 28 septembre 2015 par les sous-commissions sur l’égalité
de genre et sur les droits des minorités. . Pour les victimes, il est toutefois crucial que leur situation soit reconnue en tant que mariage forcé et qu’elles aient accès aux mêmes mesures de soutien et d’accompagnement que les personnes dont le mariage a été enregistré.
35. Dans ce contexte, la situation des Roms et des Gens du voyage mérite une attention toute particulière car les unions entre garçons et filles âgés d’entre 15 et 17 ans (voire dès 12, 13 ou 14 ans) peuvent être fréquentes au sein de certaines communautés plus traditionnelles et ne sont pas forcément considérées par celles-ci comme précoces. Les mariages précoces peuvent en effet concerner 25 % à 50 % des jeunes dans certaines communautés. Différents facteurs peuvent entrer en jeu: la virginité de la jeune fille au moment du mariage est souvent hautement prisée; le mariage, officialisé ou non, est considéré comme offrant une certaine sécurité aux époux; un mariage entre familles roms est perçu comme favorisant la préservation des traditions; peu d’importance est accordée à l’enregistrement administratif de l’union. Or, l’impact du mariage précoce sur les droits des mineurs est tout aussi dévastateur pour les Roms et les Gens du voyage que pour d’autres enfants: abandon de la scolarité, grossesses précoces, passage trop rapide à des responsabilités d’adulte, diminution des perspectives économiques, risque d’exploitation voire de traite… Par ailleurs, le non enregistrement de l’union a souvent des conséquences néfastes par la suite pour les personnes concernées et leurs enfants au regard de leur statut administratif. Aborder ces sujets peut s’avérer extrêmement difficile lorsque les relations entre ces communautés et les autorités sont tendues ou fondées sur une méfiance réciproque. Il n’en demeure pas moins crucial d’agir pour prévenir ces mariages précoces, en concertation et en coopération étroite avec les communautés concernées 
			(39) 
			CAHROM, Study visit
to the UK Forced Marriage Unit, Final version of the report for
discussion at the 15th CAHROM Plenary Meeting (Athènes, Grèce, 22-25
mai 2018, CAHROM(2017)33, passim; UNDP/Banque mondiale, <a href='http://www.eurasia.undp.org/content/rbec/en/home/library/roma/regional-roma-survey-2017-country-fact-sheets.html'>Regional
Roma Survey 2017 Country Fact Sheets</a>; audition du 28
septembre 2015. .

7. Prévention des mariages forcés et protection des victimes

«Parfois c’était dans le salon qu’il me violait, d’autres fois c’était dans la chambre… C’était comme si j’étais son soulier, qu’il chaussait quand ça l’arrangeait (…) Il m’a fait croire que ma famille l’aimait plus que moi (…) qu’il pouvait faire tout ce qu’il voulait de moi (…) Il m’a assaillie de tant de coups de pied à la tête que je saignais des lèvres et des oreilles… Ils ont fini par me convaincre que je jetterais la honte sur la famille si je le divorçais ou le quittais (…) toute la famille se réunissait (…) Je n’avais d’autre choix que de retourner avec lui.»

Banaz Mahmod, mariée de force à 17 ans: déclaration à la police après avoir finalement quitté son mari, trois mois avant d’être assassinée par sa famille pour être tombée amoureuse d’un autre homme 
			(40) 
			Banaz Mahmod
(6 décembre1985-24 janvier 2006), déclaration à la police le 10 octobre
2005, trois mois avant son assassinat par sa famille, extrait paru
dans le documentaire «Banaz: A Love Story», réalisatrice Deeyah
Khan, 2012.

36. Résister à un mariage forcé implique de s’affranchir des attentes et des pressions familiales, qui peuvent être extrêmement fortes et peser sur la victime depuis de nombreuses années. Par conséquent, accompagner les victimes implique notamment de les écouter, de renforcer leur parole et de les soutenir dans leurs stratégies de résistance et d’autonomie. Il s’agit en outre de prévenir des violences ou leur aggravation et de trouver un hébergement adapté en cas de rupture familiale – ceci nécessitant parfois un éloignement s’il existe un danger de représailles violentes (crime dit «d’honneur»).

L’importance de l’hébergement

37. La mise en place de refuges appropriés, facilement accessibles et en nombre suffisant constitue l’une des obligations découlant de la Convention d’Istanbul. L’hébergement est en effet un levier crucial d’autonomie affective et d’émancipation des jeunes femmes confrontées au mariage forcé. Or, le nombre de structures accueillant les jeunes femmes sans enfant, en proie à des violences sexistes telles que le mariage forcé ou le crime dit «d’honneur» est souvent insuffisant. Par conséquent, les jeunes femmes qui résistent au mariage risquent de se trouver sans domicile, voire parfois soumises à une prostitution de survie. Certaines finissent par céder au mariage forcé, sans pour autant y consentir.
38. Le centre d’hébergement «Au Cœur des Grottes» à Genève, dont nous avons rencontré l’ancienne directrice lors de l’audition tenue le 11 octobre 2017 à Strasbourg par le Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence, fournit un exemple de bonne pratique à suivre. Ce centre insiste sur le fait de rendre autonomes les victimes et de les sortir efficacement et durablement de la dépendance et de la violence. Cette autonomisation passe non seulement par l’hébergement mais souvent aussi par une formation qualifiante. La structure dispose d’une équipe accompagnante pluridisciplinaire et propose un accompagnement psychosocial et un hébergement pour une durée indéterminée. Un étroit partenariat existe avec de nombreuses structures travaillant dans le domaine des violences, y compris la police et les hôpitaux, qui sont souvent des lieux d’entrée dans le centre. Les partenariats avec les centres de formation permettent de proposer aux victimes des formations courtes qualifiantes ou universitaires.

La médiation n’est pas une réponse adéquate

39. Lorsqu’ils ne sont pas suffisamment formés aux enjeux des mariages forcés, les professionnels ont tendance à conseiller une médiation, espérant réconcilier les familles. Or, la médiation est à proscrire parce que cela réexpose la femme à la domination de ses parents, voire aux violences familiales. La Convention d’Istanbul (article 48) est par ailleurs claire à cet égard.

Prévenir les mariages forcés dans le pays de résidence

40. Au Royaume-Uni, des dispositifs importants ont été mis en place dans le but d’empêcher la concrétisation de mariages forcés et constituent une bonne pratique à suivre. La loi de 2007 sur les mariages forcés (protection civile) a instauré des ordonnances de protection contre le mariage forcé (FMPOs) qui peuvent servir à protéger les personnes contraintes au mariage, qu’il soit religieux ou non. Le non-respect d’une FMPO constitue un outrage au tribunal qui est puni de deux ans d’emprisonnement. Pour éviter qu’un autre membre de la famille concernée soit marié de force à la place de la personne protégée par une FMPO, des ordonnances similaires peuvent être délivrées en même temps à l’égard d’autres personnes considérées, au vu des faits de l’espèce, comme étant à risque. La plus jeune bénéficiaire d’une FMPO était âgée de 5 ans; la plus âgée, de 55 ans 
			(41) 
			Nazir
Afzal, ancien procureur général du Royaume-Uni, «<a href='https://www.youtube.com/watch?v=sCHCsp8Skas'>Nazir Afzal
OBE speaks out against forced marriage and honour-based violence</a>», Fuuse, vidéo publiée le 24 janvier 2016.. De plus, le mariage forcé est devenu depuis 2014 une infraction pénale (Anti-Social Behaviour, Crime and Policing Act 2014).
41. Des mesures similaires sont en place en France: une ordonnance de protection peut être délivrée par le juge des enfants sur saisine du parquet, comprenant une ordonnance de placement de l’enfant. Pour les personnes majeures, il s’agit d’obtenir une ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales en vertu de l’article 515-13 du Code civil. Encore faut-il que les victimes sachent que ces mécanismes existent ou qu’elles puissent obtenir une assistance leur permettant d’y avoir accès.

Prévenir les départs à l’étranger

42. La dimension potentiellement internationale des mariages forcés doit être prise en compte dans toute stratégie visant à lutter contre ce phénomène. Ces mariages sont souvent contractés dans le pays d’origine de la personne concernée ou de ses parents, plutôt que dans le pays de résidence de la personne concernée. À titre d’exemple, en France, 92% des mariages forcés sont célébrés à l’étranger 
			(42) 
			CDDH
(2017), paragraphe 71; audition du 7 décembre 2017. . La possibilité prévue par la loi d’associer les ordonnances de placement ou de protection à une interdiction de sortie du territoire constitue ainsi un élément essentiel de la lutte contre les mariages forcés.
43. De même, au Royaume-Uni, les FMPOs peuvent servir à éviter que les personnes à risque d’un mariage forcé soient emmenées à l’étranger. De plus, les manœuvres visant, par la tromperie, à inciter une personne à quitter le pays pour la forcer à se marier ont été criminalisées en 2014.
44. Pour parvenir à empêcher les départs, il est bien sûr indispensable de former les professionnels concernés (personnel éducatif, prévention spécialisée, insertion, magistrats, forces de l’ordre) et les associations en contact avec les jeunes en difficultés, voire déscolarisées, afin de favoriser le repérage des violences précédant le mariage forcé et d’éviter le recours à la médiation.
45. Des guides très utiles ont été élaborés dans ce domaine, comme par exemple les «EU FEM Roadmap» (actuellement disponibles en cinq langues) destinés à aider les professionnels concernés dans certains pays de l’Union européenne à mieux aiguiller les victimes, ainsi qu’en France, les guides MIPROF et ADRIC/VdF 
			(43) 
			Voir <a href='http://femroadmap.eu/index.html'>http://femroadmap.eu/index.html</a>, <a href='http://stop-violences-femmes.gouv.fr/Suis-je-concernee,355.html'>http://stop-violences-femmes.gouv.fr/Suis-je-concernee,355.html</a> et <a href='http://adric.eu/images/guides/Adric_VdF_Guide_Lutter_contre_le_mariage_forc%C3%A9.pdf'>http://adric.eu/images/guides/Adric_VdF_Guide_Lutter_contre_le_mariage_forc%C3%A9.pdf.</a>.

Si le départ n’a pas pu être évité

46. Lorsque le départ n’a pas pu être évité, les consulats jouent un rôle majeur en matière de détection des mariages forcés conclus à l’étranger et de rapatriement des victimes. Toutefois, leurs moyens d’action ne sont pas illimités. C’est pourquoi la prévention du départ revêt une telle importance. Le nombre de filles et de femmes réellement concernées par des mariages forcés à l’étranger est sans doute nettement supérieur au nombre ayant pu solliciter de l’aide auprès d’un consulat. Celles qui n’arrivent pas à joindre un consulat sont très isolées. Parfois, les parents éloignent délibérément leurs filles des consulats pour les empêcher de trouver de l’aide. Les consulats restent également démunis lorsque l’âge de la majorité est plus élevé dans le pays d’origine de la victime: une personne binationale ayant atteint l’âge de la majorité dans son pays de résidence habituel (âgée par exemple de 18 ans et vivant en France) restera sous l’autorité parentale et sera soumise à l’interdiction familiale de revenir dans ce pays si ses parents l’emmènent dans son pays d’origine où l’âge de la majorité est plus élevé (fixé par exemple à 19 ans comme en Algérie ou à 21 ans comme au Mali).
47. En ce qui concerne les mesures adoptées au Royaume-Uni, les ordonnances de protection jouent un rôle crucial lorsque la victime se trouve dans un pays où l’Unité sur les mariages forcés ne peut pas l’aider, lorsqu’elle n’est pas ressortissante britannique, lorsque la liberté de circulation est restreinte ou bien encore lorsqu’il s’agit d’un pays où l’Unité sur les mariages forcés n’a pas de contacts. L’Unité sur les mariages forcés travaille par ailleurs en étroite collaboration avec les Hauts Commissariats et les Ambassades du Royaume-Uni pour garantir le retour en toute sécurité au Royaume-Uni des personnes ayant fui une situation de mariage forcé: son action peut consister à délivrer d’urgence des documents de voyage, à organiser des vols et un transport sûr vers l’aéroport, à fournir un hébergement d’urgence ou simplement à apporter des conseils et un soutien 
			(44) 
			Audition du 23 avril
2015. .

Empêchement au retour

48. L’article 37 de la Convention d’Istanbul enjoint aux États d’incriminer l’usage de manœuvres dolosives, afin d’amener une personne à quitter le territoire de son pays de résidence dans le but de la contraindre à un mariage forcé à l'étranger. Certaines ONG estiment toutefois qu’il faudrait aller plus loin encore, en incriminant également l’empêchement au retour dans le pays de résidence habituelle. En effet, l’empêchement au retour maintient les jeunes femmes dans une situation de grande vulnérabilité (viols, grossesses forcées, mariage forcé). De tels cas – s’ils sont signalés à la justice – nécessitent une excellente coopération judiciaire.

Victimes arrivant pour la première fois en Europe en ayant été mariées de force à l’étranger

49. D’après une étude récente sur le mariage des enfants réalisée par l’Agence suédoise de l’immigration auprès de réfugiés et de demandeurs d'asile, 132 enfants mariés vivaient dans des centres d’accueil en Suède en 2016. En mars 2017, le gouvernement suédois a lancé une enquête visant à déterminer comment renforcer la protection en Suède contre les mariages forcés et les crimes dits «d’honneur». L’un de ses objectifs était d’analyser et de formuler des recommandations sur les moyens permettant de limiter davantage la reconnaissance des mariages précoces contractés à l’étranger. L’âge minimum pour le mariage en Suède est 18 ans; toutefois, les mariages précoces contractés à l’étranger sont reconnus si aucune des parties n’a de lien avec la Suède 
			(45) 
			Voir <a href='http://www.government.se/press-releases/2017/03/stronger-protection-against-child-marriage-forced-marriage-and-honour-crimes/'>www.government.se/press-releases/2017/03/stronger-protection-against-child-marriage-forced-marriage-and-honour-crimes/</a>; <a href='http://www.thelocal.se/20171206/sweden-to-crack-down-on-child-marriages'>www.thelocal.se/20171206/sweden-to-crack-down-on-child-marriages</a>..
50. Fin 2017, l’enquêtrice a présenté ses conclusions à cet égard, préconisant de ne pas reconnaître les mariages dans lesquels l’une des parties est âgée de moins de 18 ans au moment de son arrivée en Suède mais de maintenir en vigueur l’exception selon laquelle les mariages contractés légalement par des mineurs ressortissants de l’Union européenne dans des pays où l’âge minimum pour le mariage est de 16 ans sont reconnus en Suède. Bien que visant à renforcer la protection des enfants, ces propositions ont été critiquées comme insuffisantes par certaines ONG. Or, selon l’enquêtrice, il serait impossible d’adopter des dispositions plus restrictives (par exemple, de ne pas reconnaître les mariages précoces dans lesquels les deux parties ont atteint l’âge de 18 ans ou plus au moment de l’arrivée en Suède) sans enfreindre le droit européen, puisque plusieurs pays de l’Union européenne autorisent le mariage dès l’âge de 16 ans 
			(46) 
			Ibid.. Cet exemple souligne une fois de plus pourquoi il est si important que tous les pays européens relèvent l’âge minimum du mariage à 18 ans pour les filles comme pour les garçons.

L’annulation ou la dissolution d’un mariage forcé

51. Lorsqu’une personne est victime d’un mariage forcé, elle doit pouvoir demander l’annulation ou la dissolution de son mariage sans que cette procédure fasse peser sur elle une charge financière ou administrative excessive. En ce qui concerne les dispositions de la Convention d’Istanbul, une grande souplesse est cependant laissée aux États quant à la mise en œuvre de ce principe 
			(47) 
			Convention d’Istanbul,
article 32 et paragraphes 177-178 du rapport explicatif..
52. Imposer des conditions trop strictes aux demandes d’annulation d’un mariage précoce risque de compromettre gravement les droits des victimes. À Saint-Marin, l’action juridique pour nullité s’éteint dans un délai de six mois après que le mineur ayant contracté mariage est devenu majeur, ce qui ne laisse guère le temps à une jeune femme mariée sous la pression de son entourage de comprendre et de faire valoir ses droits. En Lettonie, un mariage contracté par des époux n’ayant pas atteint l’âge prescrit par la loi n’est pas valide – mais l’annulation du mariage n’est pas prononcée s’il a entraîné une grossesse ou si les époux ont atteint l’âge prescrit au moment du jugement. Dans ce domaine, mon pays fournit un exemple plus positif: à Monaco, la victime dispose d’un délai de cinq ans à compter du mariage ou depuis qu’elle a recouvré sa pleine liberté pour introduire une action en nullité 
			(48) 
			CCPR/C/SMR/2
(2007), paragraphe 177; CEDAW/C/LVA/1-3 (2003), paragraphe 302;
article 148 du Code civil tel que modifié par la loi no 1.382
du 20 juillet 2011..
53. L’annulation ou la dissolution du mariage ne doivent pas avoir pour effet de laisser la fille ou la femme concernée dans une situation vulnérable. En effet, si ce sont les parents d’une jeune fille qui l’ont contrainte à se marier, la «rendre» à leur autorité parentale à la suite de l’annulation de son mariage ne constituera pas une protection efficace pour elle. Si elle a été contrainte à quitter prématurément l’école, elle n’aura probablement pas non plus les moyens de subvenir indépendamment à ses besoins. Par ailleurs, lorsqu’un crime dit «d’honneur» est à craindre, il sera indispensable de mettre la victime à l’abri du danger, en lui fournissant un hébergement sûr et suffisamment éloigné de la source du danger.

Statut de résident

54. Le mariage forcé peut impliquer un non-ressortissant, dont le statut de résident risque d’être mis en cause si le mariage est annulé ou dissous. Le principe posé par la Convention d’Istanbul est toutefois clair (article 59): les Parties doivent prendre des mesures pour éviter que, dans le cadre d’un mariage forcé, le fait de quitter son pays de résidence aux fins de ce mariage, ainsi que le fait de dissoudre un mariage, n’affectent le statut de résident de la victime.

Asile

55. Aujourd’hui, l’asile constitue également un aspect pertinent pour l’Europe en ce qui concerne les mariages forcés. Afin de protéger et de soutenir de manière adéquate les personnes vulnérables face aux mariages forcés, toute stratégie de protection globale devrait, conformément à la Convention d’Istanbul (article 18), inclure le droit à la protection internationale. Trois points principaux sont à prendre en compte dans ce contexte. Premièrement, la reconnaissance et l’interprétation juridiques de la violence sexiste, y compris des mariages forcés, aux fins de la détermination du statut de réfugié; deuxièmement, la mise en œuvre effective de la protection découlant de ce statut; enfin, la mise en place, à l’attention des personnes touchées, de conditions d’accueil en tenant compte des spécificités liées au genre 
			(49) 
			 Voir CDDH (2017),
paragraphes 341-389..

8. Poursuite des auteurs

56. Comme nous l’avons relevé ci-dessus, la Convention d’Istanbul exige que soit érigé en infraction pénale le fait de forcer intentionnellement un adulte ou un enfant à contracter un mariage.
57. Certains États ont créé une infraction pénale spécifique, permettant de poursuivre les auteurs de mariages forcés indépendamment de la commission de toute autre infraction. Parmi ceux-ci, l’on peut citer l’Allemagne, l’Autriche, l’Azerbaïdjan, la Belgique, la Croatie, Chypre, le Danemark, Monaco, le Royaume-Uni et la Suisse 
			(50) 
			Article 274-1 du Code
pénal de Monaco, inséré par l’article 16 de la loi no 1.382
du 20 juillet 2011. Concernant les États membres de l’Union européenne,
voir FRA (2014), p. 18. Concernant l’Azerbaïdjan et la Suisse, voir Comité
pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Cinquièmes
rapports périodiques des États parties attendus en 2013, Azerbaïdjan,
CEDAW/C/AZE/5, paragraphe 6.1.c, et
Observations finales concernant le cinquième rapport périodique
de l’Azerbaïdjan, CEDAW/C/AZE/CO/5, paragraphe 4.b; Quatrième et cinquième rapports
périodiques des États parties attendus en 2014, Suisse, CEDAW/C/CHE/4-5,
paragraphe 68, et Observations finales sur le rapport unique tenant
lieu des quatrième et cinquième rapports périodiques de la Suisse,
CEDAW/C/CHE/CO/4-5, paragraphe 4.a.. Par ailleurs, en Bulgarie, le mariage des moins de 16 ans constitue une infraction pénale 
			(51) 
			Information
fournie par Mme Cerasela Bănică, lors
de l’audition conjointe tenue le 28 septembre 2015 par les sous-commissions
sur l’égalité de genre et sur les droits des minorités. . La pénalisation spécifique constitue un outil puissant de dissuasion et de lutte contre les mariages forcés, et reflète clairement le fait que cette pratique est en soi répréhensible. Pour être efficaces, il est toutefois essentiel que ces dispositions soient appliquées.
58. Au Royaume-Uni, des poursuites peuvent être engagées contre les responsables d’un mariage forcé par le biais de la justice pénale et civile. Dans les cas où une personne n’a pas la capacité de consentir ou a moins de 16 ans, toute conduite visant à amener cette personne à se marier, qu’elle se caractérise ou non par la violence, des menaces ou toute autre forme de coercition, constitue également une infraction. Depuis la pénalisation du mariage forcé en 2014, deux affaires ont abouti à des condamnations pénales 
			(52) 
			Sentences du Merthyr
Crown Court (Pays de Galles), voir «<a href='https://www.theguardian.com/society/2015/jun/10/34-year-old-man-first-person-to-be-convicted-under-forced-marriage-laws'>Businessman
is the first person jailed under forced marriage laws</a>», The Guardian,
11 juin 2015 et du Birmingham Crown Court (Angleterre), voir «<a href='https://www.theguardian.com/uk-news/2018/may/23/birmingham-woman-jailed-duping-daughter-forced-marriage'>Birmingham
woman jailed for duping daughter into forced marriage</a>», The Guardian,
23 mai 2018. . Le service du procureur général mène une politique de médiatisation très active de ces affaires ainsi que des poursuites d’auteurs de crimes dits «d’honneur», afin de renforcer l’effet dissuasif de la loi.
59. Dans d’autres États, aucune infraction pénale spécifique n’est prévue et le mariage forcé ne peut être sanctionné en droit pénal que si une autre infraction est commise (viol, tentative de viol, violences physiques, psychologiques ou sexuelles, mauvais traitements, atteinte à la liberté…) 
			(53) 
			Voir
FRA (2014), p. 18-19. . Or, ces infractions ne sont pas toujours faciles à prouver et partant, n’ont pas le même effet dissuasif; de plus, certains États ne reconnaissent toujours pas le viol conjugal.
60. Il est à souligner par ailleurs que d’après la Convention d’Istanbul (article 32), le terme «forcer» implique un recours à la domination physique et psychologique en employant des moyens de contrainte ou de coercition. Si des menaces physiques et des pressions émotionnelles peuvent remplir ces critères, ceux-ci semblent toutefois clairement exclure du champ pénal des facteurs plus généraux qui peuvent avoir un poids particulier dans certaines communautés, tels que des notions culturelles et/ou genrées de respect ou de honte, ou la crainte de l’ostracisme. Des chercheurs ont en effet estimé que les tribunaux pourraient difficilement considérer ces seuls facteurs comme constitutifs de coercition ou de contrainte au sens du droit pénal 
			(54) 
			Sundari
A. et Gill A. (2009), «Coercion, consent and the forced marriage
debate in the UK», Feminist Legal Studies, vol. 17,
p. 175, cité dans FRA (2014), p. 19. .
61. Or, il n’y a nul doute que de nombreuses jeunes filles et femmes se marient sous la contrainte précisément de facteurs culturels ou des traditions, et sans véritable possibilité de refuser le mariage – c’est-à-dire sans leur consentement. Parfois, elles contractent un mariage de peur d’être victime, dans le cas contraire, d’un crime dit «d’honneur». Elles peuvent avoir des raisons objectives de craindre pour leur sécurité, voire leur vie, sans que personne n’ait proféré de menace spécifique à leur encontre ni exercé une pression particulière sur elles, car elles savent ce qui s’est passé lorsqu’une sœur ou une cousine a tenté de résister à un mariage forcé. Par ailleurs, lorsque des menaces spécifiques sont proférées ou que des pressions sont exercées, cela est généralement fait par les parents et les autres membres de la famille la plus proche de la victime. Celle-ci est souvent très réticente à l’idée d’envoyer ses proches en prison ou a des raisons objectives de craindre des représailles violentes et par conséquent, le nombre de plaintes pénales déposées est bien inférieur au nombre de demandes d’assistance reçues.
62. En d’autres termes, les mesures de droit pénal, tout en étant essentielles à la lutte contre les mariages forcés, ne fournissent pas toutes les réponses juridiques nécessaires pour lutter efficacement contre cette pratique préjudiciable. Même lorsque la législation pénale est complète, des dispositions de droit civil telles que les ordonnances de protection décrites plus haut sont également indispensables.
63. Enfin, dans les cas où la victime souhaite porter plainte mais qu’elle et/ou un témoin craignent des représailles violentes, et tout particulièrement lorsqu’il y a un risque de crime dit «d’honneur», il est indispensable que les personnes à risque bénéficient d’une protection adéquate, et cela pour toute la durée nécessaire pour garantir leur sécurité. Sans cette garantie, ces personnes ne seront pas en mesure de faire confiance à la police ni aux autres autorités concernées et ne pourront pas apporter leur témoignage dans le cadre d’éventuelles poursuites, ce qui compromettra les chances d’obtenir une condamnation.

9. Politiques intégrées et collecte de données

«J’avais 14 ans et ma sœur avait un petit ami. Elle a fini par s’enfuir avec lui un an plus tard. Mes parents ont cru que je m’enfuirais aussi parce que j’avais moi aussi un copain, et ils m’ont emmenée au Bangladesh et m’ont mariée à un homme qui avait deux fois mon âge (…) Dans ma famille il y avait beaucoup de violences domestiques à cette époque, les services sociaux et les médecins étaient au courant. Je m’absentais souvent de l’école mais personne ne se demandait pourquoi (…) J’ai le sentiment que cette accumulation de voyants rouges n’a pas été décelée; alors quand j’ai disparu pendant un an, personne ne s’est dit: “Il y a déjà eu tout ça, pourquoi on n’a rien vu?” (…) si le système scolaire, les médecins, les services sociaux avaient communiqué entre eux, on aurait pu l’empêcher.»
Rubie, née au Royaume-Uni, emmenée au Bangladesh et mariée de force à 16 ans 
			(55) 
			Témoignage de Rubie,
«Rubie’s Story – Forced Marriages and Honour-Based Abuse», université
de Derby, video publiée le 26 juillet 2016, <a href='https://www.youtube.com/watch?v=hObICnCK-Fc'>https://www.youtube.com/watch?v=hObICnCK-Fc</a>.

64. Le manque de données ventilées par sexe et par âge, précises et comparables concernant les mariages forcés entrave la mise en place de politiques efficaces de lutte contre cette pratique préjudiciable, car il n'est pas possible de cibler correctement de telles politiques lorsque l'on ignore la fréquence et les manifestations de cette forme de violence. Compte tenu de la dimension internationale des mariages forcés, j’estime important que les États aient une approche coordonnée dans ce domaine, afin de produire des données comparables au niveau national et international. Des recherches approfondies et des enquêtes basées sur la population sont également indispensables, car l’on sait que des données basées uniquement sur les plaintes ou les demandes d’assistance des victimes ne seront que très partielles. La collecte de données administratives portant sur l’interaction des victimes avec les différents acteurs pertinents (services d’éducation et de santé, services juridiques et répressifs, services d’immigration etc) constitue par ailleurs un moyen important permettant de mieux comprendre la situation sur le terrain et d’améliorer les mesures d’accompagnement existantes. Enfin, les recherches et la collecte de données doivent permettre d’évaluer l’impact des mesures déjà prises et s’effectuer régulièrement et dans la durée afin de comprendre les tendances et de pouvoir y réagir en adaptant les politiques menées 
			(56) 
			Voir la Résolution 2101 (2016) sur la collecte systématique de données relatives à
la violence à l’égard des femmes; Conseil de l’Europe (2016), Assurer
la collecte de données et la recherche sur la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique: article 11 de la Convention
d’Istanbul; CDDH (2017). .
65. Pour être efficaces, les politiques de lutte contre les mariages forcés doivent non seulement permettre de porter assistance aux victimes et de traiter leurs dossiers mais aussi viser à prévenir de nouveaux cas, afin qu’il puisse être mis fin à cette pratique néfaste. Au Royaume-Uni, l’Unité sur les mariages forcés constitue le fer de lance des autorités dans ce domaine et travaille de manière holistique. Elle aide les victimes grâce à une ligne d’assistance téléphonique et à un service de courriels en leur offrant des conseils et un soutien. L’Unité coopère avec la police, les travailleurs sociaux, les enseignants, les agents de protection, les praticiens de la santé et d’autres professionnels au Royaume-Uni afin de protéger les personnes à risque; elle aide, en outre, à trouver des hébergements pour les victimes dans des lieux sûrs au Royaume-Uni, avec le concours d’ONG et d’associations caritatives. En outre, l’Unité sur les mariages forcés mène, chaque année, une centaine d’actions de sensibilisation auprès d’établissements scolaires et d’universités et assure la formation de policiers, de travailleurs sociaux, d’enseignants et d’autres professionnels.
66. Les ONG sont également très actives et engagées dans la lutte contre les mariages forcés et les crimes dits «d’honneur», œuvrant aux côtés des victimes mais aussi travaillant main dans la main avec les autorités pour sensibiliser et former les professionnels qui peuvent être amenés à entrer en contact avec des victimes. Leur rôle est également très important dans la mesure où ces organisations sont souvent issues des communautés les plus touchées par les mariages forcés et comprennent les enjeux culturels spécifiques à chaque communauté. Elles savent en outre comment aborder le sujet des mariages forcés au sein de leur communauté sans froisser les sensibilités culturelles du public visé. Par exemple, au sein de certaines communautés plus traditionnelles de Roms ou de Gens du voyage, parmi lesquelles les mariages contractés dès l’âge de 13 ou 14 ans ne sont pas toujours considérés comme précoces, des arguments liés à la santé et au bien-être peuvent permettre d’aborder la question des mariages forcés en s’affranchissant du bagage culturel qui peut autrement rendre difficile le dialogue à ce sujet. Le soutien par les États membres à ces ONG, qui sont souvent plus crédibles et plus audibles que d’autres acteurs aux yeux des communautés touchées par les mariages forcés, est indispensable.
67. Souvent, les victimes n’osent pas alerter directement la police, de crainte de causer des problèmes à leur famille. Quel que soit l’interlocuteur à qui elles s’adressent (police, professeur ou autre interlocuteur à l’école, association, services sociaux, médecin, (…), il est crucial que celui-ci écoute la victime, la croit et privilégie sa sécurité car les conséquences de la non prise en compte de sa parole peuvent être très graves, voire parfois fatales. Tous ces interlocuteurs doivent par ailleurs être sensibilisés aux signes avant-coureurs d’un mariage forcé. Comme le montrent les témoignages cités dans mon rapport, s’enquérir des raisons d’absences répétées d’une jeune fille de l’école est, par exemple, fondamental dans ce domaine.
68. Pour prévenir les mariages forcés et assurer une protection efficace des victimes, il est crucial de sensibiliser le grand public ainsi que tous les professionnels potentiellement concernés (notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé, des services sociaux, des services judiciaires et répressifs) aux conséquences des mariages forcés, aux signaux permettant de repérer une personne à risque, et aux moyens d’action lorsque l’on entre en contact avec une personne à risque ou déjà victime d’un mariage forcé. En ce qui concerne les professionnels, des formations approfondies en la matière sont indispensables.
69. À cet égard, je souhaite mettre l’accent une dernière fois ici sur les liens entre mariages forcés et prétendu «honneur». Dans les systèmes sociaux où la notion d’«honneur» est censée dicter la conduite à tenir, cette notion concerne l’ensemble d’une famille, dont la conception peut être large. Or, les hommes et les femmes jouent différents rôles à cet égard: les hommes sont chargés de veiller au respect des codes en question, mais c’est à travers le comportement des femmes que l’«honneur» de la famille sera mesuré. Cette situation fait peser un fardeau immense sur les épaules des filles et des femmes, dont le comportement peut être scruté de près par l’ensemble de leur communauté, et expose ces filles et femmes aux violences intrafamiliales dès lors qu’elles sont soupçonnées de porter atteinte à la réputation de leur famille. Cela est notamment le cas lorsqu’elles refusent un mariage forcé ou lorsqu’elles essaient d’y mettre fin. Les politiques de lutte contre les mariages forcés doivent tenir compte de cette réalité, ce sans quoi elles risquent non seulement de perdre leur efficacité mais aussi et surtout de trahir les victimes.

10. Conclusions

«Lorsque j’ai commencé à parler de tout ceci, les gens m’ont dit, “Nazir, pourquoi abordes-tu ce sujet alors qu’il donnera aux racistes un bâton pour faire battre ta communauté?” – Ma réponse est simple. Un quart des crimes violents sont commis au sein du domicile. Une jeune femme dans notre pays a plus à craindre de ce qui se passe chez elle que de ce qui se passe en dehors. [Les notables de nos communautés] devraient concentrer leurs efforts là-dessus. Parce qu’il s’agit d’une question de droits humains.»
Nazir Afzal OBE, ancien procureur général chargé notamment des mariages forcés, Royaume-Uni 
			(57) 
			Nazir Afzal «<a href='https://www.youtube.com/watch?v=sCHCsp8Skas'>Nazir
Afzal OBE speaks out against forced marriage and honour-based violence</a>», Fuuse, vidéo publiée le 24 janvier 2016; «<a href='https://www.youtube.com/watch?v=1uezZW3-ptg'>Forced
marriages and honour killings, Part 2</a>», vidéo publiée le 4 octobre 2014.

70. Le mariage forcé n’est pas une simple contrainte matrimoniale mais constitue un ensemble de violences faites (principalement) aux femmes et aux filles, mais aussi parfois aux hommes et aux garçons. Tous les États membres du Conseil de l’Europe sont concernés par les mariages forcés, dont il existe de multiples cas de figure. Il peut s’agir de mariages forcés contractés en Europe, de ressortissants ou résidents européens dont le mariage forcé est contracté ailleurs, ou bien de personnes mariées de force avant leur arrivée en Europe. Les mariages forcés entraînent de graves violations des droits fondamentaux des victimes, et notamment des atteintes aux droits à l’intégrité physique, à la santé physique et psychique, à la santé sexuelle et génésique, à l’éducation, à la vie privée, à la liberté et à l’autonomie des femmes. De telles violations ne peuvent en aucun cas être justifiées par le respect des coutumes, des traditions ou des croyances culturelles, ni par le prétendu «honneur».
71. Les États doivent adopter des politiques intégrées et prendre toutes les mesures voulues afin de prévenir les mariages forcés, de protéger les victimes et de poursuivre les auteurs de ces pratiques préjudiciables. L’absence d’action des autorités face aux mariages forcés n’est pas acceptable, d’autant plus que chaque cas entraîne tout une série d’autres violations des droits humains. Or, dans de nombreux pays, les mariages forcés ne sont pas érigés en infraction pénale; le phénomène persiste également là où les lois sur l’âge nubile minimum ne sont pas appliquées et où les autorités ne font pas preuve de la volonté nécessaire pour s’attaquer à ces pratiques. Si les questions d’identité culturelle doivent être prises en compte dans la manière d’aborder le sujet des mariages forcés, elles ne doivent pas prendre le pas sur la protection des droits humains. Les gouvernements doivent agir; autrement, ils continueront à se rendre complices d’actes qui portent atteinte à des générations de femmes et de filles, d’hommes et garçons.