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Avis de commission | Doc. 14592 | 27 juin 2018

Les mariages forcés en Europe

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteure : Mme Azadeh ROJHAN GUSTAFSSON, Suède, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14115, Renvoi 4241 du 14 octobre 2016. Commission chargée du rapport: Commission sur l'égalité et la non-discrimination. Voir Doc. 14574. Avis approuvé par la commission le 26 juin 2018. 2018 - Troisième partie de session

A. Conclusions de la commission

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1. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme félicite la rapporteure de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, Mme Béatrice Fresko-Rolfo (Monaco, ADLE), de son rapport complet, qui prolonge et amplifie la Résolution 1468 (2005) «Mariages forcés et mariages d’enfants», en incorporant les évolutions récentes sur ces questions.
2. La commission souscrit en particulier à l’appel réitéré à la signature et/ou à la ratification, et en particulier à la mise en œuvre effective, de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»), qui comporte des dispositions essentielles pour prévenir les mariages forcés et protéger les victimes.
3. La commission propose certains amendements qui visent à renforcer encore le projet de résolution à la lumière des normes internationales consacrées par la Convention d’Istanbul et la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW).

B. Amendements proposés

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Amendement A (au projet de résolution)

À la fin du paragraphe 3, ajouter la phrase suivante:

«Un mariage auquel l’une des parties au moins n’est pas libre de mettre un terme ou dans lequel elle n’est pas libre de quitter son conjoint est également un mariage forcé.»

Amendement B (au projet de résolution)

Paragraphe 7.5.1, après les mots «à ériger en infraction pénale», insérer les mots suivants:

«spécifique, lorsqu’il est commis intentionnellement,»

Amendement C (au projet de résolution)

Paragraphe 7.5.1, après les mots «les auteurs de ces infractions», ajouter les mots suivants:

«et les personnes qui les aident, en sont les complices ou tentent de les commettre»

Amendement D (au projet de résolution)

Paragraphe 7.5.4, après les mots «mesures de droit civil», ajouter les mots suivants:

«assorties des garanties et restrictions adéquates»

C. Exposé des motifs, par Mme Rojhan Gustafsson, rapporteure pour avis

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1. Je ne peux que féliciter Mme Fresko-Rolfo de son rapport, qui offre une excellente analyse de l’incidence et des conséquences des mariages forcés dans les États membres du Conseil de l’Europe. J’ai lu avec beaucoup d’inquiétude que ces pratiques préjudiciables touchent avant tout les femmes et les filles, mais qu’elles concernent également les hommes et les garçons, ainsi que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) ou les personnes atteintes de déficience mentale. Ce rapport démontre à quel point il importe d’avoir conscience des mariages forcés et de recueillir des données à leur sujet et propose des solutions pertinentes pour prévenir, déceler et faciliter l’annulation de ces mariages.
2. Je me félicite en particulier de l’inclusion du mariage des enfants lorsque l’une des parties ou les deux parties sont âgées de moins de 18 ans et ne sont par conséquent pas capables de donner elles-mêmes pleinement, librement et en connaissance de cause leur consentement 
			(1) 
			Recommandation
générale/Observation générale conjointe no 31
du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des
femmes et no 18 du Comité des droits
de l’enfant sur les pratiques préjudiciables, 4 novembre 2014, CEDAW/C/GC/31CRC/C/GC/18,
paragraphe 20; CEDAW/C/GC/32; Comité directeur pour les droits de
l'homme (CDDH), Guide des bonnes et prometteuses pratiques visant
à prévenir et à combattre les mutilations génitales féminines et
le mariage forcé, 4 août 2017, CM(2017)92-add2, paragraphe 460., au sens de la définition du mariage forcé. Comme l’a indiqué Mme Fresko-Rolfo, l’Assemblée parlementaire, dans sa Résolution 1468 (2005) «Mariages forcés et mariages d’enfants», avait précédemment invité instamment les parlements nationaux du Conseil de l’Europe à adapter leur législation interne de manière «à fixer ou à relever l’âge minimal légal du mariage pour les femmes et les hommes à 18 ans». Je considère également qu’un enfant n’a pas la capacité de prendre des décisions qui concernent son existence; toute idée contraire serait la porte ouverte à de graves risques de violations récurrentes des droits de l’homme de ces personnes. L’assimilation du mariage d’enfants au mariage forcé est selon moi possible.
3. Je me réjouis tout particulièrement de l’appel lancé en faveur de la reconnaissance du mariage forcé comme motif de protection internationale, conformément aux normes et principes internationaux en vigueur 
			(2) 
			Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), Principes directeurs
sur la protection internationale no 1:
La persécution liée au genre dans le cadre de l'article 1A (2) de
la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut
des réfugiés, 7 mai 2002, HCR/GIP/02/01; Comité pour l’élimination
de la discrimination à l’égard des femmes, Recommandation générale
no 32 sur les femmes et les situations
de réfugiés, d’asile, de nationalité et d’apatridie, 14 novembre
2014, CEDAW/C/GC/32; CDDH, Guide des bonnes et prometteuses pratiques
visant à prévenir et à combattre les mutilations génitales féminines
et le mariage forcé, 4 août 2017, CM(2017)92-add2., et de l’appel à incriminer les actes qui peuvent s’apparenter au mariage forcé, dont le rapport donne une définition satisfaisante.
4. Je rappelle l’élaboration actuelle du rapport «Compatibilité de la charia avec la Convention européenne des droits de l’homme: des États parties à la Convention peuvent-ils être signataires de la “Déclaration du Caire”?» par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, qui «décide d’étudier la compatibilité de la charia, y compris son application informelle, avec la [Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5)] ainsi que les implications, pour ses Etats parties, d’une adhésion à la Déclaration du Caire». La Déclaration du Caire précise en particulier «qu’il ne saurait y avoir d’autres crimes ou sanctions que ceux mentionnés dans la charia». Ce point de vue pourrait poser problème pour l’incrimination du mariage forcé.
5. J’aimerais cependant proposer quelques amendements au projet de résolution, en vue de renforcer sur le plan du droit certaines propositions qui concernent les mariages forcés en Europe. Avant de donner quelques explications précises sur ces amendements, je profite de l’occasion pour ajouter de brèves observations au sujet du rapport.

1. Observations complémentaires sur le rapport

6. J’aimerais évoquer en particulier l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en 2015 dans l’affaire Z.H. et R.H. c. Suisse 
			(3) 
			Requête no 60119/12,
arrêt du 8 décembre 2015. . La Cour y a estimé que «l’article 8 (sur la vie familiale) [de la Convention européenne des droits de l’homme] ne saurait être interprété comme imposant à un État partie à la Convention une obligation de reconnaître un mariage, religieux ou autre, contracté par un enfant de quatorze ans». Elle a fait remarquer à ce propos que «l’article 12 prévoit expressément la régulation du mariage par le droit interne, et compte tenu du caractère sensible des choix moraux concernés et de l’importance à attacher à la protection des enfants et au souci de favoriser la stabilité familiale, la Cour doit se garder de substituer précipitamment son propre jugement à celui des autorités nationales, qui sont mieux placés pour apprécier les besoins de la société et y répondre». Cela signifie que les États membres jouissent d’une certaine marge d’appréciation dans ce domaine.
7. J’ai néanmoins lu avec inquiétude dans le rapport de Mme Fresko-Rolfo qu’en 2013 moins de la moitié des États membres du Conseil de l’Europe avaient une politique pour empêcher le mariage forcé ou précoce. La Convention d’Istanbul exige que les États Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, de forcer un adulte ou un enfant à contracter un mariage. En signant, en ratifiant et/ou en mettant en œuvre la Convention d’Istanbul, les États membres s’opposent fermement au mariage forcé (article 37 de la Convention d’Istanbul).
8. En outre, la Cour a également estimé dans l’affaire Z.H. et R.H. c. Suisse 
			(4) 
			Ibid. que «le fait que les requérants n’aient encore pris aucune mesure pour demander la reconnaissance de leur mariage religieux en Suisse» offrait une raison supplémentaire de considérer que les requérants n’étaient pas mariés. Les garanties de l’enregistrement civil des mariages et des naissances, que mentionne la résolution examinée, devraient être appliquées de manière satisfaisante dans les sociétés démocratiques européennes. Cela est particulièrement vrai lorsque les mariages religieux ne s’accompagnent pas nécessairement d’un enregistrement à l’état civil. De fait, la tolérance par les autorités de l’absence d’enregistrement des mariages religieux peut créer une situation plus propice à la survenance de mariages forcés, puisque ceux-ci ne doivent pas être portés à l’attention des autorités.
9. Cette situation soulève également la question des mariages forcés ou des mariages d’enfants contractés en personne à l’étranger. Dans l’affaire Z.H. et R.H. c. Suisse 
			(5) 
			Ibid. par exemple, les requérants avaient été mariés religieusement lorsqu’ils étaient en Iran. À cet égard, j’aimerais rappeler en particulier la position adoptée par l’Assemblée dans sa Résolution 1468 (2005), où elle demandait instamment aux parlements nationaux des États membres du Conseil de l'Europe, «le cas échéant, d’adapter leur législation interne de façon à ne pas reconnaître les mariages forcés et les mariages d’enfants à l’étranger, sauf, s’agissant des effets du mariage, si cela est dans l’intérêt supérieur des victimes, en particulier pour obtenir des droits auxquels elles ne pourraient prétendre par ailleurs» (paragraphe 14.2.4).

2. Notes explicatives

2.1. Amendement A (au projet de résolution)

Cet amendement vise à préciser la définition du mariage forcé, conformément à la CEDAW 
			(6) 
			CEDAW/C/GC/31CRC/C/GC/18,
paragraphe 23. et au paragraphe 14 du rapport de Mme Fresko-Rolfo, en ajoutant le mariage auquel l’une des parties n’est pas libre de mettre un terme ou dans lequel elle n’est pas libre de quitter son conjoint, y compris en raison de la contrainte ou de l’intense pression sociale ou familiale dont elle fait l’objet 
			(7) 
			CM(2017)92-add2,
paragraphe 459; CEDAW/C/GC/31CRC/C/GC/18, paragraphe 23.. Il importe que chaque partie ait accès à une information adéquate sur ses droits et ait la capacité de mettre un terme à une situation abusive ou à une situation contraire à la volonté de l’une des parties. Si tel n’est pas le cas, il convient d’assimiler la situation à un mariage forcé, dans lequel l’une des deux parties ou les deux parties sont prises au piège de leur propre mariage.

2.2. Amendement B (au projet de résolution)

Cet amendement vise à incriminer le mariage forcé en l’érigeant en infraction pénale distincte, comme l’ont proposé la Résolution 1468 (2005) de l’Assemblée (paragraphe 14.4) et Mme Fresko-Rolfo dans son exposé des motifs (paragraphe 57), lorsqu’elle explique que la création d’une «infraction pénale spécifique [permet] de poursuivre les auteurs de mariages forcés indépendamment de la commission de toute autre infraction». Il vise également à insérer les termes «lorsqu’il est commis intentionnellement» pour qualifier cet acte en fonction des définitions données à l’article 37 de la Convention d’Istanbul.

2.3. Amendement C (au projet de résolution)

Cet amendement vise à veiller à ce que la résolution recommande l’engagement de poursuites à l’encontre de toute personne qui devrait être considérée comme pénalement responsable d’un mariage forcé, conformément à l’article 41 de la Convention d’Istanbul. Toute personne qui procède à une cérémonie de mariage en sachant qu’elle équivaut à un mariage forcé pourrait être considérée comme une personne qui aide à la commission d’une infraction ou qui en est complice.

2.4. Amendement D (au projet de résolution)

Cet amendement vise à veiller à ce que les mesures de droit civil, comme les interdictions de sortie du territoire et les ordonnances de protection, n’imposent pas de restrictions excessives à la liberté de circulation, à l’autonomie et au droit à la vie familiale des personnes. Il convient de trouver un juste équilibre entre, d’une part, la nécessité de protéger l’intégrité physique et la santé psychologique des personnes et, d’autre part, le fait de veiller à ce que ces mesures de protection soient garanties par la juridiction compétente et soient complétées par des limitations adéquates de durée, afin d’éviter toute ingérence excessive dans les droits des intéressés.