1. Je ne peux que féliciter Mme Fresko-Rolfo
de son rapport, qui offre une excellente analyse de l’incidence et
des conséquences des mariages forcés dans les États membres du Conseil
de l’Europe. J’ai lu avec beaucoup d’inquiétude que ces pratiques
préjudiciables touchent avant tout les femmes et les filles, mais qu’elles
concernent également les hommes et les garçons, ainsi que les personnes
lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI)
ou les personnes atteintes de déficience mentale. Ce rapport démontre
à quel point il importe d’avoir conscience des mariages forcés et
de recueillir des données à leur sujet et propose des solutions
pertinentes pour prévenir, déceler et faciliter l’annulation de
ces mariages.
2. Je me félicite en particulier de l’inclusion du mariage des
enfants lorsque l’une des parties ou les deux parties sont âgées
de moins de 18 ans et ne sont par conséquent pas capables de donner
elles-mêmes pleinement, librement et en connaissance de cause leur
consentement
,
au sens de la définition du mariage forcé. Comme l’a indiqué Mme Fresko-Rolfo,
l’Assemblée parlementaire, dans sa
Résolution 1468 (2005) «Mariages forcés et mariages d’enfants», avait précédemment
invité instamment les parlements nationaux du Conseil de l’Europe
à adapter leur législation interne de manière «à fixer ou à relever
l’âge minimal légal du mariage pour les femmes et les hommes à 18
ans». Je considère également qu’un enfant n’a pas la capacité de
prendre des décisions qui concernent son existence; toute idée contraire
serait la porte ouverte à de graves risques de violations récurrentes
des droits de l’homme de ces personnes. L’assimilation du mariage
d’enfants au mariage forcé est selon moi possible.
3. Je me réjouis tout particulièrement de l’appel lancé en faveur
de la reconnaissance du mariage forcé comme motif de protection
internationale, conformément aux normes et principes internationaux
en vigueur
, et
de l’appel à incriminer les actes qui peuvent s’apparenter au mariage
forcé, dont le rapport donne une définition satisfaisante.
4. Je rappelle l’élaboration actuelle du rapport «Compatibilité
de la charia avec la Convention européenne des droits de l’homme:
des États parties à la Convention peuvent-ils être signataires de
la “Déclaration du Caire”?» par la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme, qui «décide d’étudier la compatibilité
de la charia, y compris son application informelle, avec la [Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5)]
ainsi que les implications, pour ses Etats parties, d’une adhésion
à la Déclaration du Caire». La Déclaration du Caire précise en particulier
«qu’il ne saurait y avoir d’autres crimes ou sanctions que ceux
mentionnés dans la charia». Ce point de vue pourrait poser problème
pour l’incrimination du mariage forcé.
5. J’aimerais cependant proposer quelques amendements au projet
de résolution, en vue de renforcer sur le plan du droit certaines
propositions qui concernent les mariages forcés en Europe. Avant
de donner quelques explications précises sur ces amendements, je
profite de l’occasion pour ajouter de brèves observations au sujet
du rapport.
1. Observations
complémentaires sur le rapport
6. J’aimerais évoquer en particulier
l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en 2015 dans
l’affaire
Z.H. et R.H. c. Suisse . La Cour y a estimé
que «l’article 8 (sur la vie familiale) [de la Convention européenne
des droits de l’homme] ne saurait être interprété comme imposant
à un État partie à la Convention une obligation de reconnaître un
mariage, religieux ou autre, contracté par un enfant de quatorze
ans». Elle a fait remarquer à ce propos que «l’article 12 prévoit
expressément la régulation du mariage par le droit interne, et compte
tenu du caractère sensible des choix moraux concernés et de l’importance
à attacher à la protection des enfants et au souci de favoriser
la stabilité familiale, la Cour doit se garder de substituer précipitamment son
propre jugement à celui des autorités nationales, qui sont mieux
placés pour apprécier les besoins de la société et y répondre».
Cela signifie que les États membres jouissent d’une certaine marge
d’appréciation dans ce domaine.
7. J’ai néanmoins lu avec inquiétude dans le rapport de Mme Fresko-Rolfo
qu’en 2013 moins de la moitié des États membres du Conseil de l’Europe
avaient une politique pour empêcher le mariage forcé ou précoce. La
Convention d’Istanbul exige que les États Parties prennent les mesures
législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale
le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, de forcer un adulte
ou un enfant à contracter un mariage. En signant, en ratifiant et/ou
en mettant en œuvre la Convention d’Istanbul, les États membres
s’opposent fermement au mariage forcé (article 37 de la Convention
d’Istanbul).
8. En outre, la Cour a également estimé dans l’affaire
Z.H. et R.H. c. Suisse que
«le fait que les requérants n’aient encore pris aucune mesure pour
demander la reconnaissance de leur mariage religieux en Suisse» offrait
une raison supplémentaire de considérer que les requérants n’étaient
pas mariés. Les garanties de l’enregistrement civil des mariages
et des naissances, que mentionne la résolution examinée, devraient
être appliquées de manière satisfaisante dans les sociétés démocratiques
européennes. Cela est particulièrement vrai lorsque les mariages
religieux ne s’accompagnent pas nécessairement d’un enregistrement
à l’état civil. De fait, la tolérance par les autorités de l’absence
d’enregistrement des mariages religieux peut créer une situation
plus propice à la survenance de mariages forcés, puisque ceux-ci
ne doivent pas être portés à l’attention des autorités.
9. Cette situation soulève également la question des mariages
forcés ou des mariages d’enfants contractés en personne à l’étranger.
Dans l’affaire
Z.H. et R.H. c. Suisse par
exemple
, les requérants avaient été
mariés religieusement lorsqu’ils étaient en Iran. À cet égard, j’aimerais
rappeler en particulier la position adoptée par l’Assemblée dans
sa
Résolution 1468 (2005), où elle demandait instamment aux parlements nationaux
des États membres du Conseil de l'Europe, «le cas échéant, d’adapter
leur législation interne de façon à ne pas reconnaître les mariages
forcés et les mariages d’enfants à l’étranger, sauf, s’agissant
des effets du mariage, si cela est dans l’intérêt supérieur des
victimes, en particulier pour obtenir des droits auxquels elles
ne pourraient prétendre par ailleurs» (paragraphe 14.2.4).
2. Notes explicatives
2.1. Amendement A
(au projet de résolution)
Cet amendement vise à préciser la définition du mariage forcé,
conformément à la CEDAW et au paragraphe 14 du rapport
de Mme Fresko-Rolfo, en ajoutant le mariage
auquel l’une des parties n’est pas libre de mettre un terme ou dans
lequel elle n’est pas libre de quitter son conjoint, y compris en
raison de la contrainte ou de l’intense pression sociale ou familiale
dont elle fait l’objet .
Il importe que chaque partie ait accès à une information adéquate
sur ses droits et ait la capacité de mettre un terme à une situation
abusive ou à une situation contraire à la volonté de l’une des parties.
Si tel n’est pas le cas, il convient d’assimiler la situation à un
mariage forcé, dans lequel l’une des deux parties ou les deux parties
sont prises au piège de leur propre mariage.
2.2. Amendement B
(au projet de résolution)
Cet amendement vise à incriminer le mariage forcé en l’érigeant
en infraction pénale distincte, comme l’ont proposé la Résolution 1468 (2005) de l’Assemblée (paragraphe 14.4) et Mme Fresko-Rolfo
dans son exposé des motifs (paragraphe 57), lorsqu’elle explique
que la création d’une «infraction pénale spécifique [permet] de
poursuivre les auteurs de mariages forcés indépendamment de la commission
de toute autre infraction». Il vise également à insérer les termes
«lorsqu’il est commis intentionnellement» pour qualifier cet acte
en fonction des définitions données à l’article 37 de la Convention
d’Istanbul.
2.3. Amendement C
(au projet de résolution)
Cet amendement vise à veiller à ce que la résolution recommande
l’engagement de poursuites à l’encontre de toute personne qui devrait
être considérée comme pénalement responsable d’un mariage forcé,
conformément à l’article 41 de la Convention d’Istanbul. Toute personne
qui procède à une cérémonie de mariage en sachant qu’elle équivaut
à un mariage forcé pourrait être considérée comme une personne qui
aide à la commission d’une infraction ou qui en est complice.
2.4. Amendement D
(au projet de résolution)
Cet amendement vise à veiller à ce que les mesures de droit
civil, comme les interdictions de sortie du territoire et les ordonnances
de protection, n’imposent pas de restrictions excessives à la liberté
de circulation, à l’autonomie et au droit à la vie familiale des
personnes. Il convient de trouver un juste équilibre entre, d’une part,
la nécessité de protéger l’intégrité physique et la santé psychologique
des personnes et, d’autre part, le fait de veiller à ce que ces
mesures de protection soient garanties par la juridiction compétente
et soient complétées par des limitations adéquates de durée, afin
d’éviter toute ingérence excessive dans les droits des intéressés.