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Résolution 2228 (2018)
Conséquences pour les droits de l'homme de la «dimension extérieure» de la politique d’asile et de migration de l’Union européenne: loin des yeux, loin des droits?
1. L’Assemblée parlementaire a suivi
de près les politiques de l’Union européenne prévoyant la mise en œuvre
du contrôle des migrations et de l’asile, et la gestion de ses frontières
extérieures depuis le début de la crise actuelle en 2011.
2. La position de l’Assemblée sur l’externalisation des procédures
d’asile s’est adaptée à l’évolution de la situation. La Résolution 2147 (2017) sur
la nécessité de réformer les politiques migratoires européennes invitait
les États membres et les institutions de l’Union européenne à «étudier
les moyens de mieux repérer les personnes ayant besoin d’une protection
internationale et à organiser le traitement externe des demandes d’asile
dans le cadre de procédures sûres établies hors d’Europe dans des
pays tiers sûrs, pour autant que les droits fondamentaux des demandeurs
d’asile soient garantis». Dans sa Résolution 2000 (2014) sur l’arrivée massive
de flux migratoires mixtes sur les côtes italiennes, l’Assemblée
avait apporté son soutien à la création de camps pour traiter les
demandes d’asile en Afrique du Nord. Dans sa Résolution 2109 (2016) sur la situation des
réfugiés et des migrants dans le cadre de l’accord UE-Turquie du
18 mars 2016, elle exprimait la préoccupation suivante: «L’accord
UE-Turquie soulève plusieurs questions importantes en matière de
droits de l’homme, tant sur le fond que sur le plan de sa mise en
œuvre immédiate et ultérieure».
3. Le fait de déléguer des procédures de migration aux pays extérieurs
aux frontières de l’Union européenne répond aux objectifs déclarés
suivants: alléger la pression migratoire sur les États membres aux frontières
de l’Union européenne, facilitant ainsi la réinstallation des migrants
dans toute l’Europe et un afflux plus régulier; réduire la nécessité
pour les migrants d’entreprendre des voyages terrestres et maritimes potentiellement
mortels; et promouvoir la coopération avec les pays voisins de l’Europe
en matière de gestion des migrations. Dans la récente Résolution 2215 (2018) «La
situation en Libye: perspectives et rôle du Conseil de l'Europe»,
l’Assemblée note que les opérations aéronavales de l’Union européenne,
Triton et Sophia, ont entraîné une réduction de près de 32 % des
arrivées sur les côtes italiennes entre novembre 2016 et novembre 2017,
qu’elles ont sauvé plus de 200 000 vies depuis 2014 et que l’Union
européenne finance en grande partie les activités du Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés et de l’Organisation internationale
pour les migrations afin d’aider les réfugiés et les migrants.
4. Toutefois, le transfert de responsabilités par l’enrôlement
de pays tiers pour renforcer les contrôles aux frontières de l’Union
européenne entraîne de graves risques pour les droits de l’homme;
il augmente le risque pour les migrants d’être «bloqués» dans des
pays de transit par le biais de la réadmission, ainsi que le recours accru
à des mesures punitives et restrictives telles que le refoulement,
la détention arbitraire et les mauvais traitements. C’est également
un moyen pour de nombreux États membres de l’Union européenne de
prendre leurs distances par rapport à la question politiquement
controversée de l’assistance et de l’intégration des réfugiés. Maintenir
les migrants à une plus grande distance peut aussi, en fait, constituer
un moyen d’éviter les situations de refoulement en Europe. Dans
la Résolution 2215 (2018) susmentionnée,
l’Assemblée invitait les États membres du Conseil de l’Europe à
se conformer aux obligations qui leur incombent en vertu de l’article 3 de
la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5),
qui leur impose de s’abstenir de renvoyer des migrants vers des
pays où ils sont exposés au risque de torture et de peines ou traitements
inhumains ou dégradants, et à ne pas coopérer avec des pays tiers
en matière de contrôle des migrations si cela risque de provoquer
des violations de l’article 3.
5. Même si l’on peut qualifier de succès les politiques d’externalisation
de l’Union européenne contribuant à réduire le nombre de migrants
entrant en Europe, il est devenu évident que l’implication de pays
tiers dans la gestion des migrations a bafoué les droits des demandeurs
d’asile à de nombreuses reprises. Les États membres devraient faire
davantage d’efforts pour assurer la défense et le maintien de ces
droits, en particulier lorsque cette dégradation est une conséquence
directe des mesures décidées en Europe. La responsabilité de l’Europe,
tant morale que juridique, est engagée.
6. L’Assemblée considère que les migrants qui ont fait, ou feront,
l’objet d’une procédure d’asile organisée par l’Union européenne
en dehors de ses frontières peuvent être confrontés à un «vide juridique»
en ce qui concerne la garantie des droits fondamentaux découlant
à la fois de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au
statut des réfugiés et de la Convention européenne des droits de
l'homme. Cela s’explique par le fait que les pays concernés ne disposent
pas toujours de normes équivalentes en matière de droits de l’homme ni
d’instances juridiques pour les faire respecter, alors que les demandeurs
d’asile rencontrent des difficultés à tenir l’Union européenne ou
des États individuels responsables de violations éventuelles des
droits de l’homme.
7. Cette difficulté à faire respecter les droits de l’homme est
d’autant plus grave que les personnes concernées sont davantage
exposées à la violation de ces droits. En effet, dans les cas les
plus graves, il est prouvé que les migrants sont soumis au refoulement,
à des actes de torture et à des traitements inhumains et dégradants,
voire à l’esclavage, comme on l’a vu en Libye; pour le reste, ils
sont constamment victimes de discrimination, de détention arbitraire
et d’un manque de protection sociale et de possibilités économiques.
8. Des politiques d’externalisation ont été instaurées sans tenir
dûment compte de la nécessité de veiller à ce que leur mise en œuvre
ne porte pas atteinte aux droits de l’homme. En outre, on observe
une tendance croissante à subordonner l’aide au développement à
la prise en charge des procédures migratoires. Pour les pays qui,
par définition, n’ont pas la capacité suffisante de répondre aux
besoins de leur propre population, cela revient à créer davantage
de tensions et de difficultés.
9. L’Assemblée parlementaire exhorte donc les États membres:
9.1. à travailler ensemble pour faire
en sorte que la priorité de plus en plus accordée aux politiques de
dissuasion n’entrave pas l’obligation première des États européens
de respecter et de défendre universellement les droits de l’homme,
et qu’elle n’entraîne pas une réduction des ressources consacrées
à la coopération au développement, qui vise la réduction de la pauvreté
à long terme;
9.2. à s’abstenir d’externaliser le contrôle des migrations
vers des pays où la législation, les politiques et la pratique ne
sont pas conformes aux normes de la Convention européenne des droits
de l’homme et de la Convention des Nations Unies relatives au statut
des réfugiés, et où les organes gouvernementaux ne peuvent pas protéger
efficacement ces droits. Dans cette optique, les États devraient
mener des études d’impact sur les droits de l’homme aux niveaux
national et régional avant d’entamer ce type de coopération;
9.3. à introduire des conditions dans tous les accords et arrangements
relatifs à la gestion de l’asile prévoyant la protection des droits
de l’homme des migrants et des demandeurs d’asile, notamment:
9.3.1. des normes pour les demandeurs d’asile et les réfugiés
équivalant à celles de la Convention relative au statut des réfugiés
et de son protocole de 1967;
9.3.2. le respect des normes de la Convention européenne des
droits de l’homme, notamment l’obligation de non-refoulement et
un examen individuel et approfondi des demandes d’asile, le droit
à un recours effectif, le droit à la liberté de circulation (dont
le droit de quitter un pays), le droit à la dignité humaine et à
la non-discrimination, et le droit à l’information et à une assistance juridique;
9.3.3. des conditions d’accueil sûres et respectueuses des conditions
d’hygiène, ainsi que des procédures de demande d’asile efficaces
et satisfaisantes, évitant la détention arbitraire et autorisant
le regroupement familial;
9.3.4. l’assurance que la coopération extérieure en matière de
contrôle des flux migratoires et des retours soit subordonnée à
un système de suivi indépendant qui garantisse le respect du droit
international relatif aux droits de l’homme, mais aussi la suspension
de la coopération en cas de violations répétées des droits de l'homme;
9.4. à souscrire à la modification du Règlement de Dublin du
Parlement européen et du Conseil, sur le fondement de la Résolution 2072 (2015) «Après
Dublin: le besoin urgent d’un véritable système européen d’asile»
et conformément aux propositions de la Commission des libertés civiles,
de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen
approuvées en novembre 2017, abandonnant le critère du pays de première
entrée et répartissant les demandeurs d’asile entre l’ensemble des
États membres, selon un système de quota permanent, conformément
à l’article 80 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
10. Conformément à sa Résolution
2109 (2016) et à sa Résolution 2224 (2018) sur la situation
humanitaire des réfugiés dans les pays voisins de la Syrie, l'Assemblée
félicite les efforts du Gouvernement turc pour accueillir 3,6 millions
de réfugiés syriens (en juin 2018) et un grand nombre de réfugiés
et de demandeurs d’asile d’autres nationalités, et lui demande:
10.1. tout en reconnaissant ses efforts,
de veiller à ce que l’accord UE-Turquie soit mis en œuvre dans le
plein respect des droits de l’homme de tous les migrants, y compris
des migrants en situation irrégulière et des réfugiés;
10.2. tout en reconnaissant ses efforts, de garantir que les
demandeurs d’asile ont accès à des procédures de demande d’asile
opérantes dans le respect du principe de non-refoulement, ainsi
qu’à des conditions de réception adéquates;
10.3. afin que les réfugiés syriens soient en mesure de construire
un avenir durable, de faire en sorte qu’ils bénéficient du droit
au regroupement familial ainsi que de tous les droits prévus dans
la Convention relative au statut des réfugiés, y compris un accès
effectif à l’éducation, et en particulier la possibilité de gagner
leur vie par un accès effectif au marché du travail, sans perdre
le bénéfice des mesures de protection ou la possibilité de réinstallation;
10.4. de permettre aux réfugiés syriens fuyant leur pays d’entrer
en Turquie et de s’assurer à cette fin que des activités de contrôle
des frontières ne les empêchent pas d’exercer leur droit à la protection;
10.5. tout en reconnaissant ses efforts, de permettre aux migrants,
aux demandeurs d’asile et aux réfugiés de bénéficier à tout moment
d’un droit de recours contre les décisions de déportation, assorti d’un
effet suspensif et de révision complète et ex
nunc, et d’assurer que ces droits fondamentaux ne sont
pas affectés par les décisions prises dans le cadre de l’état d’urgence;
10.6. de donner des informations complètes aux demandeurs d’asile
sur leurs possibilités d’asile et de protection, et de leur fournir
un accès direct à une aide juridique à tous les stades des procédures
d’asile, y compris un recours contre les décisions, ainsi qu’un
soutien psychologique.
11. L’Assemblée demande au Gouvernement italien:
11.1. de subordonner toute coopération
aussi bien présente que future avec la garde côtière libyenne au
respect des droits fondamentaux des réfugiés et des migrants, notamment
en s’abstenant de les exposer à des situations où ils risquent de
subir de mauvais traitements graves, conformément à sa Résolution 2174 (2017) relative
aux répercussions sur les droits de l’homme de la réponse européenne aux
migrations de transit en Méditerranée;
11.2. conformément à sa Résolution
2215 (2018), de différer la création d’un nouveau centre
de coordination du sauvetage maritime en Libye jusqu’à ce que les
mesures de renforcement des capacités aient permis d’améliorer les
structures de gouvernance, de veiller à ce que la garde côtière
libyenne soit correctement formée au respect du droit international
des droits de l’homme, et de poursuivre et d’améliorer la coopération
avec les organisations non gouvernementales (ONG) qui mènent des opérations
de recherche et de sauvetage en Méditerranée en conformité avec
les dispositions et accords internationaux conclus par chaque pays;
11.3. d’enquêter de manière approfondie sur les allégations
d’experts et d’ONG internationales, telles qu’Amnesty International,
concernant le renvoi vers la Libye de migrants interceptés en mer
dans la zone italienne de recherche et de sauvetage, ainsi que la
collusion entre les gardes-côtes libyens et les passeurs en Méditerranée.
12. L’Assemblée demande par ailleurs aux États membres et aux
institutions de l’Union européenne, en plus de mettre en place les
garanties accompagnant l’externalisation du contrôle des migrations
décrites ci-dessus:
12.1. de faire
progresser la ratification de la Convention européenne des droits
de l’homme par l’Union européenne pour supprimer le vide juridique,
afin de permettre les recours contre les politiques extérieures
de l’Union européenne;
12.2. de renforcer le partage des responsabilités, en premier
lieu en honorant leur engagement de réinstaller 50 000 réfugiés
(dont 4 252 seulement avaient été transférés en mai 2018), en accordant
une préférence aux plus vulnérables;
12.3. dans le contexte de l’accord UE-Turquie, d’améliorer la
flexibilité de la mise en œuvre des programmes de l’Union européenne
afin de fournir des réponses plus rapides et appropriées, et de remplir
les obligations de l’Union européenne contractées dans le cadre
de l’accord;
12.4. de sensiblement améliorer, étendre et prolonger le soutien
apporté aux pays et aux communautés d’accueil, surtout ceux et celles
qui sont concernés par des déplacements massifs de réfugiés, afin
d’offrir une protection, une assistance et des solutions durables
aux réfugiés. Ce soutien ne devrait pas être subordonné à une coopération
au retour ou au contrôle des frontières. L’Union européenne devrait
soutenir pleinement le projet de pacte mondial sur les réfugiés;
12.5. de faire en sorte que l’Union européenne réalise des études
d’impact approfondies sur les droits de l’homme, notamment en ce
qui concerne le principe de non-refoulement, à la fois avant la
mise en œuvre des accords pouvant avoir des répercussions sur ces
droits, et après leur mise en œuvre. Ces études devraient évaluer
notamment les effets sur les droits de l’homme, que ceux-ci soient
directs ou indirects, intentionnels ou non;
12.6. de reconnaître la responsabilité et de renforcer l’obligation
de rendre des comptes pour des violations des droits de l’homme
commises dans des pays tiers si ces violations résultent d’accords formels
ou informels portant sur le contrôle des flux migratoires, conclus
entre l’Union européenne ou ses États membres et ces pays, et de
veiller à ce que les migrants concernés par cette coopération disposent
de voies de recours légal effectives vis-à-vis des institutions
et des États membres de l’Union européenne;
12.7. de ne pas subordonner le financement des programmes de
coopération en faveur des pays en développement à leur acceptation
d’un contrôle délégué des migrations, cette tâche devant relever
de la responsabilité des États membres de l’Union européenne;
12.8. d’exercer un contrôle plus strict sur la manière dont
les fonds destinés au contrôle des migrations sont dépensés et de
veiller à ce qu’une grande partie des dépenses soit consacrée au
bien-être et aux droits de l’homme des migrants au cours de toutes
les procédures;
12.9. d’introduire plus de transparence dans les rapports sur
la façon dont les financements de l’Union européenne sont dépensés,
et de créer davantage de mécanismes d’évaluation et d’obligations
de rendre des comptes pour les investissements faits dans le contexte
de la dimension externe des politiques de migration de l’Union européenne;
12.10. de veiller à ce que tous les accords de coopération sur
la migration conclus avec des pays tiers, qu’ils soient formels
ou non formels, y compris les accords de nature politique, soient
traités conformément aux principes et aux valeurs contenus dans
les traités internationaux et dans la Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne;
12.11. dans le contexte de l’accord UE-Turquie, de s’assurer
que les demandeurs d’asile en Turquie ont un réel accès à des procédures
de demande d’asile opérantes, que les réfugiés jouissent de manière effective
de tous les droits prévus dans la Convention relative au statut
des réfugiés, y compris l’accès au marché du travail, et que les
réfugiés syriens peuvent quitter leur pays si nécessaire;
12.12. de mener des études régulières et approfondies pour évaluer
l’impact sur les droits de l’homme de l’accord UE-Turquie, en conformité
avec la décision de janvier 2017 de la médiatrice européenne relative
aux plaintes nos 506-509-674-784-927-1381/2016/MHZ
contre la Commission européenne concernant une évaluation des conséquences
pour les droits de l’homme dans le contexte de l’accord EU-Turquie,
«puisque raisonnablement et nécessairement la mise en œuvre de l’accord
a des conséquences (a) sur les droits de l’homme des migrants (directes
ou indirectes) et (b) sur la capacité de l’Union européenne et des
États membres concernés de s’acquitter de leurs obligations en matière de
droits de l’homme». Afin d’assumer sa responsabilité, l’Union européenne
devrait garantir la possibilité de réparation juridique pour les
personnes dont les droits ont été bafoués par cet accord;
12.13. de garantir que les normes relatives au principe du pays
tiers sûr dans le règlement sur les procédures d’asile à venir sont
en conformité avec le droit international sur les droits de l’homme,
en demandant que les pays tiers remplissent toutes les obligations
émanant de la Convention européenne des droits de l’homme et de
la Convention relative au statut des réfugiés, dans la législation
et dans la pratique, et qu’il y ait un lien significatif entre les
réfugiés et le pays tiers concerné.