«Tu es important parce que tu es toi, et tu
es important jusqu’à la fin de ta vie. Nous ferons tout notre possible non
seulement pour t’aider à mourir paisiblement, mais aussi à vivre
jusqu’à ta mort»
Dame Cicely Saunders, fondatrice du mouvement des soins palliatifs
1. Introduction
Prologue
Au cœur de l’offre de soins palliatifs
réside le concept de dignité. La dignité est inhérente à toute personne humaine
et nos droits humains découlent de cette dignité. Les soins palliatifs
sont une expression du fait que la dignité doit être respectée tout
au long de la vie d’une personne, jusqu’à sa mort naturelle. La
prestation de soins palliatifs à tous ceux qui souffrent de maladie
chronique, débilitante et en phase terminale est un moyen par lequel
notre société peut justifier notre dignité humaine inhérente en
valorisant la vie de chaque être humain individuel. Les valeurs
d’espoir et de solidarité nous conduisent à prendre soin les uns
des autres, particulièrement de ceux que nous chérissons, même face
à la souffrance et à la maladie. «Et même si nous savons que nous
ne pouvons pas toujours garantir la guérison», a récemment déclaré
le pape François, «nous pouvons et devons toujours prendre soin
de la personne, sans abréger nous-mêmes sa vie, mais aussi sans nous
acharner inutilement contre sa mort. C’est cette ligne que suit
la médecine palliative (…) qui combat tout ce qui rend la mort plus
angoissante et difficile, à savoir la douleur et la solitude. »
1.1. Procédure
1. Le 21 avril 2016, 24 membres
de l’Assemblée parlementaire, dont moi-même, ont présenté une proposition
de résolution sur «L’offre de soins aux personnes âgées et de soins
palliatifs en Europe». Se référant à la Recommandation Rec(2003)24
du Comité des Ministres sur l’organisation des soins palliatifs, cette
proposition demandait qu’une étude soit menée sur l’offre de soins
palliatifs en Europe, notamment en termes d’accès à ces soins et
de ressources qui leur sont consacrées. Cette proposition a été
renvoyée à la commission des questions sociales, de la santé et
du développement durable et j’ai été désigné rapporteur le 10 octobre
2016. Simultanément, la commission a décidé de changer le titre
du rapport en supprimant la référence aux «personnes âgées», les
questions relatives à la santé des personnes âgées faisant l’objet
d’un rapport distinct
.
2. Le 24 janvier 2018, la commission a tenu une audition en présence
de M. Philip Larkin, Professeur de soins infirmiers cliniques (soins
palliatifs), University College Dublin et Our Lady’s Hospice and
Care Services; de Mme Tiina Saarto, Professeur
de médecine palliative et Médecin chef au Centre de soins palliatifs
de l’Hôpital universitaire d’Helsinki; et de M. Henri de Rohan-Chabot,
Délégué général de la Fondation France Répit
.
Les experts ont souligné que les soins palliatifs étaient un droit
humain. Ils ont noté qu’il était essentiel d’intégrer les soins
palliatifs aux systèmes de santé et d’assurer une bonne coordination
des différents prestataires de soins palliatifs, afin de garantir
un accès à des soins palliatifs de qualité à tous, tout au long
de la vie. Les experts ont aussi souligné que les aidants informels
jouent un rôle crucial dans la prestation de soins palliatifs et
qu’il est important de leur apporter un soutien adéquat.
3. Les 13 et 14 mars 2018, j’ai mené une visite d’information
à Madrid et à Barcelone (Espagne). À Madrid, j’ai rencontré, entre
autres, des représentants du ministère de la Santé, des membres
de la commission pour la santé du Congrès des députés et des représentants
de l’Association espagnole contre le cancer (AECC)
, de la Société espagnole des soins
palliatifs (SECPAL)
et de l’Ordre
des médecins d’Espagne
. J’ai également visité
le centre hospitalier Laguna, un hôpital privé spécialisé dans les
soins palliatifs où j’ai pu discuter avec des patients et des membres
de leur famille. Cette visite riche d’enseignements a conforté ma
conviction que, même si la mort approche, les patients et leurs
familles peuvent vivre ce moment de façon paisible et positive, à
condition de se voir offrir un soutien médical, psychosocial et
spirituel adéquat et respectueux de leur dignité et de leurs besoins.
À Barcelone, mes réunions étaient organisées par le Centre de collaboration
de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les programmes
publics de soins palliatifs où j’ai pu recueillir une foule d’informations
sur l’offre de soins palliatifs en Catalogne de la part de professionnels
travaillant dans ce secteur. Je tiens à remercier tous mes interlocuteurs
pour leurs précieuses contributions, ainsi que la délégation du
Parlement espagnol et son Secrétariat pour leur aide dans l’organisation
de ma visite.
1.2. Définition
et champ d’application
4. Selon l’OMS, qui en donne la
définition la plus largement employée, «les soins palliatifs sont
une approche pour améliorer la qualité de vie des patients et de
leur famille, confrontés aux problèmes liés à une maladie potentiellement
mortelle, par la prévention et le soulagement de la souffrance,
identifiée précocement et évaluée avec précision, ainsi que le traitement
de la douleur et des autres problèmes, qu’ils soient d’ordre physique,
psychologique et spirituel»
. L’OMS a également rédigé des directives
pour essayer d’encourager une approche scientifique normalisée du
diagnostic et du traitement des douleurs aiguës et chroniques, afin de
faciliter le travail des décideurs politiques et des professionnels
de santé
.
5. D’après la définition de l’OMS, les soins palliatifs visent
à améliorer la qualité de vie des patients et de leurs familles,
ainsi qu’à préserver leur sentiment de dignité, en privilégiant
l’atténuation de la souffrance sous toutes ses formes. Les soins
palliatifs ciblent non seulement la gestion efficace des symptômes
physiques, mais aussi les problèmes d’ordre affectif, psychologique,
spirituel, social et économique associés à la maladie du patient,
l’aidant ainsi à «vivre aussi bien que possible et aussi longtemps
que possible»
. Par conséquent, il s’agit d’une
approche globale qui répond «aux besoins de toute la personne, pas
seulement de son état médical»
.
6. Le point de départ de ce rapport est la définition (ci-dessus)
des soins palliatifs pour adultes
donnée par
l’OMS, qui «affirme la vie et considère la mort comme un processus
normal, et qui ne vise ni à hâter ni à retarder la mort»
.
En ce qui concerne les soins palliatifs destinés aux enfants, bien
qu’étroitement liés à ceux destinés aux adultes, ils constituent
une spécialisation à part entière et sont à envisager séparément.
C’est pourquoi dans le présent rapport, les soins palliatifs destinés
aux enfants sont mentionnés dans leur contexte, mais sans que soient
examinées toutes les questions s’y rattachant. Pour ce qui est de
l’euthanasie et du suicide médicalement assisté, ces pratiques ne
font pas partie des soins palliatifs
et ne sont,
par conséquent, pas traitées dans ce rapport. De même, les structures
permettant une prise de décision appropriée eu égard aux traitements
en fin de vie, en associant patients, familles, professionnels de
santé et autres aidants, est examiné ailleurs et ne sera pas traité
en détail ici
.
7. La question de la sédation palliative mérite d’être mentionnée.
«La sédation est la recherche, par des moyens médicamenteux appropriés,
d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte
de conscience. Son but est de diminuer ou de faire disparaître la
perception d’une situation vécue comme insupportable par le patient
(par exemple, douleur réfractaire ou souffrance inapaisable), alors
que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation ont
pu lui être proposés et/ou mis en œuvre sans permettre d’obtenir
le soulagement escompté. La sédation n’a donc pas pour finalité
d’abréger la vie»
,
mais elle peut avoir cet effet. Puisque l’objectif premier de la
sédation palliative est de soulager la souffrance, ce traitement ne
doit pas être refusé à un patient uniquement par crainte de hâter
la mort. Néanmoins, la sédation palliative ne doit pas être utilisée
pour masquer une euthanasie.
8. Le rôle passé et présent des hospices – dirigés par des organisations
caritatives, bénévoles et/ou religieuses – dans la prestation de
soins palliatifs mérite d’être cité. Dans bon nombre d’États membres,
en effet, les services de soins palliatifs reposent largement sur
ce secteur qui, souvent, fait figure de leader et de pionnier dans
l’élaboration des politiques et des services, sans compter que ces
organisations contribuent amplement au financement des soins palliatifs
dans les États membres grâce à leurs efforts de levées de fonds.
9. Il faudrait reconnaître les travaux de l’Association européenne
de soins palliatifs (
European Association for
Palliative Care, EAPC). Son Atlas des soins palliatifs
en Europe offre une analyse précieuse, identifie les services de
soins palliatifs dans les États membres et, à ce titre, devrait
guider les efforts déployés pour améliorer ces services
.
2. Évolution des soins palliatifs
10. À l’origine, les soins palliatifs
étaient axés sur les besoins d’une population spécifique (les patients cancéreux)
et pour une période spécifique (la fin de la vie). Toutefois, les
dirigeants politiques et ceux du domaine de la santé, ont peu à
peu compris que cet objectif était trop restrictif et que beaucoup
d’autres personnes pourraient bénéficier de ce type de soins
,
ceci bien avant la période de mort imminente. Dans sa
Résolution 1649 (2009) «Soins palliatifs: un modèle pour des politiques sanitaire
et sociale novatrices», l’Assemblée souligne que les soins palliatifs
devraient être accessibles non seulement aux malades en fin de vie,
mais aussi aux patients atteints de maladies graves ou chroniques
ainsi qu’à toutes les personnes qui nécessitent des soins individuels
importants, auxquels cette démarche pourrait bénéficier.
11. À l’heure actuelle, il est largement admis que les soins palliatifs
devraient être offerts à différents types de patients, indépendamment
de leur âge, souffrant de maladies diverses potentiellement mortelles
ou réduisant l’espérance de vie et combinées qui s’accompagnent
de symptômes éprouvants. Parmi ces pathologies, citons les maladies
cardio-vasculaires, le diabète, le VIH/Sida
, les maladies du motoneurone, la
sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, la démence, les maladies
cardiaques et rénales, les maladies du foie et la tuberculose pharmacorésistante.
De son côté, l’OMS dit clairement que les soins palliatifs sont pertinents
dès le stade précoce de la maladie (c’est-à-dire pas seulement en
fin de vie), conjointement à d’autres thérapies visant à prolonger
la vie, telles que la chimiothérapie ou la radiothérapie.
12. L’OMS estime à 40 millions le nombre de personnes qui ont
besoin de soins palliatifs chaque année, la majorité d’entre elles
souffrant de pathologies chroniques telles que maladies cardiovasculaires
(38,5 %), cancer (34 %), maladies respiratoires chroniques (10,3 %),
sida (5,7 %) et diabète (4,6 %). Toutefois, comme mentionné plus
haut, beaucoup d’autres maladies peuvent nécessiter des soins palliatifs
et le nombre de personnes qui auront besoin de ce type de soins
va augmenter de manière considérable dans les prochaines décennies
en raison du vieillissement de la population, population qui va
vivre et mourir dans des conditions plus difficiles
.
2.1. Offre
de soins palliatifs pour les maladies mortelles autres que le cancer
13. En dépit de ces estimations,
les services de soins palliatifs s’adressent encore largement aux
patients atteints de cancer, et essentiellement en fin de vie. En
conséquence, beaucoup de personnes souffrant d’autres maladies potentiellement
mortelles ou réduisant l’espérance de vie ne bénéficient pas des
soins palliatifs ou n’en reçoivent qu’en phase terminale de la maladie.
Il est indispensable de ne plus voir les soins palliatifs comme
réservés en priorité aux patients atteints de cancer en phase terminale
et de prodiguer désormais ces soins aux patients souffrant de maladies
potentiellement mortelles ou réduisant l’espérance de vie. En outre,
les besoins en soins palliatifs sont à identifier le plus tôt possible,
dans le cadre des soins primaires, afin de répondre à ces besoins
en temps utile, voire si nécessaire parallèlement à des traitements ciblant
la pathologie sous-jacente. Ce concept consistant à cibler la maladie
et à appliquer des approches palliatives simultanément reste à établir,
en particulier dans d’autres secteurs que les soins anticancéreux
. Une
administration limitée ou retardée des soins palliatifs non seulement
accroît la souffrance des patients et des familles, mais entraîne
aussi des coûts supérieurs pour le système de santé du fait d’hospitalisations inutiles
et d’un recours superflu à des services et des traitements d’urgence
onéreux.
14. En Espagne, la plupart des patients bénéficiant des services
de soins palliatifs ont un diagnostic de cancer. Cependant, dans
le cadre du programme NECPAL (
Necesidades
Paliativas [les besoins de soins palliatifs])
,
les chercheurs en soins palliatifs ont développé un outil permettant
d’identifier les patients non-cancéreux nécessitant ce type de soins.
Ce programme, basé sur l’expérience britannique du
Gold Standards Framework, consiste
à identifier à un stade précoce les patients chroniques nécessitant
des soins palliatifs dans des services conventionnels.
2.2. Intégration
des soins palliatifs aux systèmes de santé – en particulier soins
de proximité et à domicile
15. Selon l’OMS, pour être viables
et accessibles, les soins palliatifs doivent être intégrés à tous
les services et contextes du système de santé – en particulier s’agissant
des soins de proximité (communautaires) et à domicile –, et s’accompagner
d’un soutien adéquat aux prestataires de soins (voir le point 5.2).
En fait, puisqu’il est à la fois inenvisageable et indésirable qu’un
nombre de plus en plus croissant de malades chroniques ou mourants
soient traités essentiellement dans un cadre hospitalier, les pays
devraient privilégier l’offre de soins palliatifs via des services
de proximité et à domicile, souvent d’un coût moindre et permettant
de toucher les personnes ayant difficilement accès aux infrastructures
médicales
. N’oublions pas
que la plupart des patients souhaitent avoir le choix d’un traitement
leur permettant de rester chez eux aussi longtemps que possible,
là où d’ailleurs ils préféreraient mourir. Ainsi les arguments – économiques,
juridiques, moraux et sociaux – pour inciter à investir davantage
dans des services de proximité et à domicile ne manquent pas.
16. La Catalogne illustre bien comment l’intégration des soins
palliatifs au système de santé peut générer des économies. Dès 2012,
237 services cliniques de soins palliatifs avaient été déployés
en Catalogne, dont 72 équipes d’accompagnement de soins à domicile,
49 équipes d’accompagnement hospitalier, 60 unités de 742 lits réservés
aux soins palliatifs, 50 services de consultations externes et six
équipes d’accompagnement psychosocial. De € 69 300 000, les coûts
annuels étaient passés à € 52 568 000 (soit une économie nette de € 16 732 000 pour
le système national de santé)
.
3. Soins
palliatifs: un droit humain
17. Dès 1976, l’Assemblée parlementaire
a reconnu la nécessité de prendre toutes les mesures «pour que tous
les malades, hospitalisés ou soignés à domicile, soient soulagés
de leurs souffrances (…)»
.
Dans sa
Recommandation
1418 (1999) sur la protection des droits de l’homme et de la dignité
des malades incurables et des mourants, l’Assemblée n’a pas hésité
à encourager les États membres à reconnaître le droit aux soins palliatifs
comme un «droit individuel reconnu par la loi». De même, en 2014,
les Nations Unies ont reconnu que l’accès aux soins palliatifs était
une obligation juridique pour les gouvernements et les services
de santé, lorsque la première résolution de l’OMS consacrée aux
soins palliatifs a appelé les gouvernements à assurer l’accès aux
soins palliatifs dans le cadre des systèmes de santé nationaux
.
18. Néanmoins, les partisans des soins palliatifs estiment que
ce type de soins ne constitue pas simplement un droit individuel
reconnu par la loi mais également un droit humain. En 2012, l’Association
européenne pour les soins palliatifs, l’International Association
for Hospice and Palliative Care, l’Alliance mondiale pour les soins palliatifs,
Human Rights Watch et l’Union internationale contre le cancer ont
lancé la Charte de Prague «Les soins palliatifs: un droit humain»,
laquelle invite instamment les gouvernements du monde entier à cibler
leurs efforts sur le développement et l’amélioration des soins palliatifs,
entre autres en élargissant l’accès des patients aux médicaments
contre la douleur.
19. Les arguments juridiques pour justifier la reconnaissance
des soins palliatifs en tant que droit humain ne manquent pas. De
fait, dans son commentaire général no 14
de 2000, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels
des Nations Unies, l’organe indépendant chargé de contrôler la conformité
avec le Pacte international relatif aux droits sociaux et économiques,
déclare que le droit au meilleur état de santé susceptible d’être
atteint est un droit global qui s’étend «aux soins de santé prophylactiques,
thérapeutiques et palliatifs», reconnaissant ainsi les soins palliatifs
comme une composante du droit humain à la santé. Le comité appelle
aussi à «accorder aux personnes souffrant de maladies chroniques
et aux malades en phase terminale l’attention et les soins voulus,
en leur épargnant des souffrances inutiles et en leur permettant
de mourir dans la dignité»
.
20. En outre, au niveau international, il est de plus en plus
reconnu que le déni de soins palliatifs et, en particulier, de soulagement
de la douleur, peut constituer une violation des droits de l’homme.
Dans son rapport de 2009 sur les soins de santé, le Rapporteur spécial
des Nations Unies sur la torture, Manfred Nowak, déclarait: «Le
déni d’accès de facto aux antalgiques ou analgésiques, s’il se traduit
par des douleurs et des souffrances sévères, constitue une peine
ou un traitement inhumain ou dégradant.» En 2013, son successeur, Juan
Méndez, soulignait que si les États refusent l’accès à un traitement
contre la douleur, «ils ne portent pas seulement atteinte au droit
à la santé mais peuvent également enfreindre une obligation positive
découlant de l’interdiction de la torture et des mauvais traitements»
.
Enfin, dans leur législation nationale relative à l’offre de soins
palliatifs, certains pays considèrent les soins palliatifs comme
un droit humain (voir le paragraphe 25). Si l’on veut faire progresser
l’offre de soins palliatifs en Europe, il serait important de renforcer
parmi les États membres du Conseil de l’Europe la reconnaissance
de l’accès aux soins palliatifs en tant que droit humain.
4. Leadership
politique du Conseil de l’Europe en matière de soins palliatifs
21. Le 12 novembre 2003, le Comité
des Ministres a adopté la Recommandation Rec(2003)24 sur l’organisation
des soins palliatifs. Cette recommandation définit les soins palliatifs
comme «partie intégrante du système de santé et constitu[ant] un
élément inaliénable du droit des citoyens à des soins». Elle considère donc
qu’il incombe «au gouvernement de garantir que des soins palliatifs
soient accessibles à toutes les personnes qui en ont besoin».
22. La Recommandation invite instamment les pays à adopter des
politiques et des mesures législatives ou autres pour mettre en
place au niveau national un plan d’action complet en matière de
soins palliatifs. Elle définit les aspects suivants comme étant
essentiels dans l’offre des soins palliatifs: soulagement des symptômes,
soutien psychologique, spirituel et émotionnel, soutien à la famille
et soutien lors du deuil. En conséquence, l’accès aux soins palliatifs,
y compris aux médicaments contre la douleur, doit être garanti en fonction
du besoin et ne doit pas se heurter à des obstacles financiers indus.
Il conviendrait d’aider les aidants informels et d’éviter que leur
situation sociale ne se dégrade (perte d’emploi, par exemple) du
fait de leur activité soignante. Il devrait également y avoir suffisamment
d’établissements de répit afin de soutenir les aidants. Par ailleurs,
la Recommandation souligne l’importance de la reconnaissance académique
des soins palliatifs, laquelle devrait figurer au programme de toutes
les formations initiales des médecins comme du personnel infirmier.
23. La Recommandation constitue un engagement politique fort des
États membres du Conseil de l’Europe à mettre en place des services
de soins palliatifs d’une qualité la plus élevée possible. Suite
à l’adoption de cet instrument, le Parlement européen a, en 2008,
commandité une étude afin d’établir un diagnostic clair sur la situation
dans l’Union européenne en général, et dans chacun des États membres
en particulier, quant à la définition, à l’organisation, à l’offre
et au financement des soins palliatifs, d’analyser quelques exemples
choisis de bonnes pratiques et, enfin, de pouvoir présenter un éventail
de politiques visant à améliorer la situation actuelle.
24. L’étude concluait que des avancées considérables avaient été
faites dans le domaine des soins palliatifs au cours des cinq à
dix dernières années dans toute l’Europe (ainsi, en 2008, chaque
pays membre de l’Union européenne disposait de services de soins
palliatifs) et notait que de nombreuses initiatives nationales en cours
avaient pour but d’améliorer davantage la qualité et la répartition
équitable de ces services dans les États membres de l’Union européenne.
Néanmoins, elle relevait également pour ces services des disparités flagrantes
en termes de disponibilité, de qualité et d’accès, non seulement
entre les pays mais aussi à l’intérieur d’un même pays – entre régions,
entre zones rurales et urbaines ainsi qu’entre groupes sociaux. L’étude
cite la recommandation du Comité des Ministres comme un exemple
illustrant la façon dont le leadership européen peut favoriser la
progression nationale des soins palliatifs
.
25. Selon une étude plus récente sur les politiques en matière
de soins palliatifs dans 53 pays européens de la région européenne
de l’OMS (dont 43 États membres du Conseil de l’Europe), 18 pays
(tous membres du Conseil de l’Europe) disposaient d’un plan ou d’une
stratégie nationale en matière de soins palliatifs. Treize autres
pays se préparaient à en publier un. De plus, 29 pays – dont 26 États
membres du Conseil de l’Europe – avaient une loi concernant l’offre
de soins palliatifs
. Les premiers pays à se doter d’une
législation sur les soins palliatifs ont été la Hongrie (1997),
la France (1999), la Belgique et l’Espagne (2002)
,
ces trois derniers faisant référence aux soins palliatifs en tant
que droit humain.
26. L’étude souligne que la recommandation du Comité des Ministres
a marqué un tournant en faveur d’une politique de soins palliatifs
en Europe, qui a coïncidé avec un relatif gain d’importance de cette
discipline à travers le continent. Bien qu’il soit difficile d’attribuer
des avancées quantifiables dans un domaine donné à un seul et unique
groupe de recommandations, l’étude note que la Recommandation Rec(2003)24
a servi de support aux politiques nationales en matière de soins
palliatifs à un stade relativement précoce des développements européens
dans ce domaine et que le Conseil de l’Europe a peut-être eu une
influence tangible quant à l’évolution de la situation
.
5. Les
lacunes de l’offre de soins palliatifs
27. Bien que les soins palliatifs
soient reconnus dans le monde entier comme l’un des éléments déterminants
pour améliorer la qualité de vie des patients arrivant en fin de
vie ou présentant des infirmités invalidantes, la nécessité de ces
soins et du soulagement de la douleur est demeurée largement ignorée
dans nombre de pays. Un rapport récent de la commission du Lancet
met cette négligence au compte de plusieurs obstacles, comme par
exemple: la tendance de la médecine à privilégier la guérison des
patients et le prolongement de la vie aux dépens des soins et d’une
attention à la qualité de vie à l’approche de la mort
; l’opiophobie,
c’est-à-dire les idées préconçues et les informations erronées sur
l’usage médical approprié des opioïdes (notamment la croyance qu’il
s’agit de substances dangereuses à utiliser aussi peu que possible)
; la tendance à interdire l’usage
non-médical de substances placées sous contrôle international; les
limites qui pèsent sur la défense des patients en raison du stress
et de la difficulté à gérer une maladie grave; et, enfin, le manque
d’intérêt généralisé pour les maladies non-transmissibles, qui représentent
une grande partie des besoins de soins palliatifs
.
28. Ces considérations sont également valables pour certains pays
européens et les possibilités d’accès aux soins palliatifs variant
considérablement sur le continent. De fait, dans son récent carnet
des droits de l’homme concernant les soins prodigués aux personnes
âgées, l’ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe a souligné que l’accès aux soins palliatifs et au soulagement
de la douleur reste problématique en Europe. Il a relevé que de
nombreux pays européens accusent des carences dans le domaine des
soins palliatifs, comme l’absence de politiques en la matière et
de formation des soignants aux traitements contre la douleur, ainsi
que des problèmes de réglementation et de disponibilité des opioïdes
.
5.1. Contrôle
des symptômes: accès au soulagement de la douleur
29. La douleur est l’un des symptômes
les plus courants et éprouvants dont souffrent les patients ayant
une maladie potentiellement mortelle ou réduisant l’espérance de
vie. Elle affecte considérablement la qualité de vie et peut avoir
des conséquences physiques, psychologiques et sociales. Elle peut
entraîner une perte de la mobilité et de la force, perturber le
système immunitaire et affecter la capacité à manger, à se concentrer,
à dormir et à interagir avec autrui. On a constaté que les personnes
souffrant de douleur chronique ont quatre fois plus de risques d’être
atteintes de dépression ou d’anxiété que celles qui ne ressentent
pas de douleur. Sans compter que la douleur chronique peut avoir
un effet négatif sur le cours de la maladie
. Aussi la maîtrise de
la douleur est-elle une composante essentielle des soins palliatifs.
30. Les analgésiques opioïdes jouent un rôle crucial dans le traitement
de la douleur et d’autres symptômes physiques fréquents et handicapants,
tel que l’essoufflement. L’OMS les définit comme des médicaments essentiels.
Ils sont efficaces, bon marché et faciles à administrer. Cependant,
dans les États membres du Conseil de l’Europe, l’accès aux médicaments,
notamment aux opioïdes et à d’autres antalgiques, demeure un obstacle
majeur à la satisfaction des besoins essentiels des patients en
matière de soins palliatifs. Dans l’Union européenne, environ 1,3 million
de personnes meurent du cancer chaque année, très souvent dans de terribles
souffrances, ceci malgré l’existence de médicaments efficaces contre
la douleur
.
Il convient de noter qu’il s’agit probablement d’une estimation
à minima car ce chiffre ne tient pas compte des patients atteints d’autres
maladies chroniques exigeant des soins palliatifs, ni des données
agrégées des États non-membres de l’Union européenne.
31. Human Rights Watch signale qu’environ 8 000 personnes meurent
de cancer en Arménie tous les ans, beaucoup passant leurs derniers
jours dans d’atroces douleurs. Souvent dans ces cas, lorsqu’il n’y
a plus d’espoir de guérison et que le traitement se révèle inefficace,
les patients sont renvoyés chez eux. En Arménie, moins de 3 % des
personnes ayant besoin de morphine en reçoivent, du fait d’obstacles
bureaucratiques empêchant la prescription et la distribution de
cette substance (et d’autres puissants opioïdes)
. De même en Ukraine, tous les
ans, des dizaines de milliers de patients atteints de cancer à un
stade avancé endurent de graves douleurs faute d’avoir accès à des
médicaments antidouleur
.
D’après une récente déclaration du Commissaire aux droits de l’homme,
l’Arménie et l’Ukraine ont fait des progrès dans ce domaine. L’Arménie
a adopté une stratégie nationale pour introduire des services de
soins palliatifs, notamment pour soulager la douleur et améliorer
la qualité de vie des personnes atteintes de maladies potentiellement
mortelles. Elle a également enregistré deux formes orales de morphine
liquide, ce qui ouvre la voie à leur utilisation dans le système
de santé publique.
32. Le projet sur l’accès aux médicaments opioïdes en Europe
(ATOME, Access To Opioid Medication in Europe) a
fait des recherches pour savoir pourquoi les médicaments opioïdes
destinés à soulager les douleurs modérées à graves et à traiter
la dépendance aux opioïdes n’étaient pas employés à bon escient
dans 12 pays européens
et
a élaboré des solutions sur mesure pour améliorer l’accès aux opioïdes
dans ces pays. Le rapport a identifié d’importants obstacles liés
à la législation (avec, par exemple, des réglementations trop strictes
ne réservant la possibilité de prescrire des opioïdes qu’aux médecins
exerçant certaines spécialités ou titulaires d’une licence spéciale),
aux politiques nationales, aux connaissances et aux attitudes sociétales
et, enfin, à des aspects économiques tel que le prix.
33. Les principales recommandations visant à surmonter ces obstacles
étaient les suivantes: inclure le traitement par opioïdes (connaissances,
aptitudes et attitudes) dans l’enseignement universitaire des 1er,
2e et 3e cycles
pour les professionnels de la santé concernés (en priorité, les
médecins, le personnel infirmier et les pharmaciens), sensibiliser
les professionnels de santé au traitement par opioïdes (par exemple,
via la formation médicale continue, des articles sur l’usage rationnel
et bénéfique des opioïdes dans des revues médicales nationales courantes)
et, enfin, sensibiliser le grand public par le biais des médias,
de campagnes d’information et/ou de brochures destinées aux patients
et à leurs familles
.
5.2. Soutien
aux familles et autres aidants informels
34. Le soutien apporté aux aidants
informels afin d’améliorer leur qualité de vie et leur bien-être,
mais aussi afin de veiller à ce qu’ils soient en mesure de prendre
soin de leurs proches, est un aspect fondamental de l’offre de soins
palliatifs. Les aidants ont besoin de soutien pour organiser les
soins, faire face à la charge émotionnelle causée par la maladie
de leurs proches et dispenser les soins. De plus, après le décès
du patient, ils ont besoin d’un accompagnement dans le deuil
.
35. À l’heure actuelle, on estime à plus de 100 millions dans
l’Union européenne le nombre d’aidants qui prennent soin d’une personne
souffrant d’une maladie chronique, d’un handicap ou d’un autre problème
de santé de longue durée
. Ces aidants informels – conjoints,
partenaires, parents et/ou amis – jouent un rôle crucial et irremplaçable
dans la prestation de soins palliatifs. Dans le contexte du vieillissement
de la population et étant donné la préférence générale exprimée
pour des soins à domicile, le rôle de ces aidants est appelé à s’amplifier
dans les années à venir.
36. Lors de l’audition d’experts organisée en janvier 2018, M. de
Rohan-Chabot a souligné que les services de soins palliatifs à domicile
étaient souvent orientés vers le patient sans réelle prise en compte
des besoins des aidants informels qui, du fait de leur implication
auprès des patients, voient leur vie fortement perturbée à tous
les niveaux (professionnel, social et familial). Ce manque d’attention
aux besoins des aidants procède d’une crainte irréaliste que ce
soutien entraîne une hausse exponentielle des dépenses de santé.
5.2.1. Bonnes
pratiques
37. Il existe de multiples moyens
de soutenir les aidants informels, ainsi qu’en témoignent les nombreux exemples
relevés dans les États membres du Conseil de l’Europe. Ainsi au
Luxembourg, les proches qui dispensent des soins sont protégés contre
les pertes financières résultant d’une réduction de leur temps de travail
par un système d’assurance spécial. La Suède, la France et l’Autriche
prévoient un congé réglementaire sans solde pour les aidants qui
font partie de la famille. En Suède, ils perçoivent aussi une aide
financière. En Irlande, des allocations sont versées, à différents
niveaux et sous condition de ressources, aux aidants qui remplissent
les conditions.
38. Les mesures qui visent à offrir un répit aux aidants informels
sont également importantes. En France, un projet pilote dénommé
«Métropole aidante» proposant divers services aux patients soignés
à domicile et à leurs soignants est actuellement mené à Lyon. Le
projet, financé par les autorités nationales et régionales, comprend
une «maison de répit» où patients et familles peuvent faire un séjour
temporaire (30 jours par an) et bénéficier de services médicaux
et autres, comme un soutien psychosocial et la possibilité de pratiquer
des activités de loisir et de bien-être (pour les aidants informels).
Au sein de la maison de répit, une équipe mobile (médecins, personnel
infirmier, psychologues et travailleurs sociaux) aide les familles
avant, durant et après leur séjour, y compris en assurant un accompagnement
lors du deuil. Le projet comprend aussi des services d’information,
d’orientation et de soutien individualisé, ainsi que des formations
et des ateliers pour les aidants.
39. D’autres mesures peuvent être prises au niveau des États membres
pour aider les familles et les aidants: ainsi, une approche commune
entre professionnels de santé et familles concernant les soins apportés au
patient pourrait être encouragée; des choix clairs pourraient être
proposés aux familles pour leur permettre de participer aux soins
à un niveau qui leur convient; concernant le traitement du patient,
les professionnels de santé pourraient établir des modalités claires
de prise de décision et en informer les aidants; des informations
claires et nettes pourraient être données sur le pronostic du patient
(selon ses souhaits), particulièrement en fin de vie, afin que les
aidants puissent se préparer et faire face; l’incidence que la mort
du patient peut avoir sur les aidants et les familles pourrait être
anticipée et un accompagnement pourrait être proposé après le décès
du patient.
5.2.2. Dimension
de genre des soins informels
40. Dans l’Union européenne, la
majorité des 100 millions d’aidants non professionnels sont des
femmes – en général, les épouses, filles ou belles-filles d’âge
moyen (entre 45 et 75 ans). Cette disparité de la participation
des hommes et des femmes à l’aide informelle explique certains aspects
structurels du travail des femmes: par exemple, concentration dans
certains secteurs, écart femmes-hommes en matière d’emploi et de salaire,
importance des emplois à temps partiel chez les femmes.Ce
problème doit être traité, pas seulement par une aide financière
aux aidants informels, mais aussi par un aménagement du lieu de
travail permettant aux femmes et aux hommes qui le souhaitent d’apporter,
quelle que soit leur situation, une aide informelle. Avec l’augmentation
des besoins en soins, concilier travail et aide aux soins va devenir
de plus en plus difficile et le système actuel va devenir insoutenable
.
41. Les décisions concernant les soins informels sont à prendre
par les personnes et les familles elles-mêmes, en fonction de leur
situation personnelle ou familiale, de leurs aptitudes, capacités,
etc. Les législations et réglementations du travail qui prévoient
des congés pour convenance personnelle et des aménagements du temps
de travail – auxquels les femmes, pour des raisons évidentes, recourent
souvent de manière disproportionnée – doivent s’accompagner de mesures
culturelles, financières et professionnelles visant à supprimer
tout autre obstacle empêchant les femmes et les hommes de s’engager
dans les soins informels (par exemple, en facilitant, dans ces circonstances,
les congés payés aussi bien pour les hommes que pour les femmes)
.
5.3. Manque
de formation
42. Selon l’OMS, le manque de formation
et de sensibilisation aux soins palliatifs parmi les professionnels de
santé constitue un sérieux obstacle à l’amélioration de ce type
de soins. Comme indiqué plus haut, les préjugés et la désinformation
sur le bon usage médical des opioïdes est un problème majeur, y
compris parmi les professionnels de santé. De plus, de nombreux
médecins ne peuvent se résoudre à mentionner le terme «soins palliatifs»
par crainte de possibles connotations négatives (voir ci-dessous),
ce qui les conduit à différer toute proposition d’administrer ce
type de soins et à poursuivre beaucoup trop longtemps des traitements médicaux
pourtant devenus inefficaces
. Par ailleurs, en évoquant les soins
palliatifs, les médecins ont l’impression d’échouer ou de laisser
tomber les patients et de les abandonner
.
Beaucoup ne comprennent toujours pas qu’il est possible d’administrer
des soins palliatifs parallèlement à des traitements curatifs.
43. Par conséquent, la formation des professionnels de santé devrait
inclure l’acquisition de compétences en gestion de la douleur et
en vue de maîtriser les autres symptômes. Ces professionnels devraient
aussi apprendre à tenir compte des besoins sociaux, affectifs et
spirituels, à soutenir les familles avant et après le décès du patient
et, enfin, à travailler en équipe. Le personnel infirmier chargé
des soins palliatifs doit acquérir des compétences dans la détection
précoce des signes et des symptômes, posséder d’excellentes aptitudes de
communication et, avant tout, être capable de faire face à la réalité
de la prise en charge de patients mourants et de leurs familles
en détresse
.
44. Il semblerait que la reconnaissance précoce de la médecine
palliative en tant que spécialité médicale ait favorisé le développement
des soins palliatifs au Royaume-Uni. Aujourd’hui, mis à part en
Irlande et au Royaume-Uni, il n’existe pas de reconnaissance de
la médecine palliative en tant que spécialité médicale en Europe.
Un enseignement obligatoire des soins palliatifs dès le premier
cycle universitaire, dans le cadre d’une approche harmonisée de
la santé publique en Europe, constituerait l’une des mesures les
plus efficaces pour améliorer les soins de fin de vie
.
45. Les idées fausses répandues dans le public, peu sensibilisé
à cette question, sont un autre obstacle à l’accès aux soins palliatifs.
Les soins palliatifs ayant été, à l’origine, développés à l’intention
des patients arrivés en phase terminale d’une maladie, pour beaucoup
d’Européens, la prescription de ce type de soins est perçue comme
l’annonce d’une mort imminente. Beaucoup ignorent les prestations
que recouvre le terme «soins palliatifs» ou ne comprennent tout
simplement pas ce que signifie ce terme. C’est aussi l’une des principales conclusions
résultant de l’enquête que j’ai adressée à mes contacts (voir section
suivante).
5.4. Soutien
psychologique, spirituel et émotionnel
46. Un niveau optimal de soins
palliatifs comprend non seulement des interventions médicales et thérapeutiques
adéquates, mais aussi un soutien psychologique, spirituel et affectif.
Au sein de l’équipe de soins palliatifs, psychologue, travailleur
social, guide, prêtre ou conseiller spirituel, tous jouent un rôle
critique qui, bien au-delà de la seule gestion des symptômes et
syndromes psychologiques des patients, s’étend à des domaines comprenant
des questions existentielles, un soutien aux familles et aux aidants,
un accompagnement du deuil. L’Académie pontificale pour la vie a
récemment insisté sur la nécessité de prodiguer ces soins spirituels
au niveau local et national
et, de fait, cette préoccupation
anime différentes fois, croyances et confessions
. Il n’empêche que l’offre de ce
type de soutien reste rare. D’ailleurs, en tant que rapporteur,
j’ai adressé un questionnaire à mes contacts, les invitant à me
faire part de leurs expériences des soins palliatifs. Beaucoup de
participants basés en Irlande et au Royaume-Uni ont dit regretter
l’absence de soutien psychologique et spirituel, de même qu’un autre
fait fréquent: souvent, les familles doivent elles-mêmes prendre
l’initiative de demander ce type de soutien au lieu de se le voir
offrir spontanément. Reste que l’offre de soins palliatifs est de
très haut niveau dans chacun de ces deux pays
.
47. En Espagne, ce type de soutien est proposé aux patients dans
le cadre de différents dispositifs, notamment dans celui d’une collaboration
public-privé entre la fondation La Caixa et le ministère de la Santé, qui
financent et mettent en œuvre un programme de prise en charge globale
des patients atteints de maladies chroniques de stade avancé et
de leurs familles. Ce programme vise à répondre aux besoins émotionnels, sociaux
et spirituels des patients atteints de maladie avancée et de leurs
familles, et il est complémentaire aux services de soins palliatifs
déjà en place. Des équipes de professionnels effectuent des interventions psychosociales
et spirituelles auprès des personnes en fin de vie ainsi que de
leurs familles. Le programme est appliqué dans 17 communautés autonomes
d’Espagne avec des équipes qui travaillent aussi bien à l’hôpital
qu’à domicile. En outre, il prévoit pour les équipes, une formation,
une assistance et un suivi leur permettant de mener leurs tâches
à bien. Les équipes sont pluridisciplinaires (psychologues, médecins, infirmiers,
travailleurs sociaux, agents pastoraux et bénévoles). En Espagne,
il existe également un certain nombre d’organisations non gouvernementales
(notamment l’Association espagnole contre le cancer) qui apportent
un soutien psychosocial aux patients et à leurs familles, et qui
les aident à gérer leur quotidien.
6. Soins
palliatifs pour les enfants
48. Bien que la définition des
soins palliatifs pour les enfants donnée par l’OMS
soit similaire à celle
des soins pour les adultes, ces soins présentent des différences
très nettes. En particulier, il est rare que les enfants nécessitant
des soins palliatifs souffrent d’un état cancéreux; dans la plupart
des cas, ce sont des enfants nés avec des maladies potentiellement
mortelles ou réduisant l’espérance de vie fréquemment associées
à des handicaps chroniques et complexes. Beaucoup de ces maladies
réduisant l’espérance de vie sont extrêmement rares et spécifiques
à l’enfance et le temps d’administration des soins palliatifs peut
être beaucoup plus long que chez les adultes.
49. Il existe de grandes disparités dans le développement des
services de soins palliatifs pour les enfants dans et entre les
47 États membres du Conseil de l’Europe. Plusieurs pays, dont l’Irlande,
l’Italie et le Royaume-Uni, ont entrepris des évaluations nationales
des besoins afin d’identifier quels sont les besoins de ces enfants
souffrant d’une maladie réduisant l’espérance de vie et de leurs
familles
. En général, les enfants nécessitant
des soins palliatifs sont soignés à la maison par leurs familles,
avec l’aide de services sociaux locaux. Les parents se chargent
souvent eux-mêmes des soins primaires, ce qui affecte leur capacité
à s’occuper de leurs autres enfants et à contribuer à la bonne marche
financière et pratique de la maison. Encore davantage qu’en cas
de soins palliatifs aux adultes, les soins de répit ont été identifiés
comme un élément essentiel pour permettre aux parents de soigner
leur enfant malade à domicile
.
50. En tant que spécialité, les soins palliatifs pour enfants
trouvent plutôt leur origine dans la pédiatrie que dans les soins
palliatifs proprement dits, ce qui est conforme aux dispositions
de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant,
suivant laquelle les soins aux enfants sont mieux dispensés par
les personnes spécialement formées et expérimentées dans ce domaine
.
Malheureusement, cette évolution des soins palliatifs à partir de
la pédiatrie n’a pas lieu dans certains pays où ressources et services
font défaut.
51. Pour développer des soins palliatifs destinés aux enfants,
les professionnels de santé doivent impérativement bénéficier à
tous les niveaux d’un enseignement et d’une formation spécifiques.
L’Association européenne des soins palliatifs
a élaboré un programme de base à
l’intention des professionnels de santé, mais les cours spécifiquement
consacrés aux soins palliatifs pour enfants demeurent peu répandus.
Par ailleurs, il est crucial que la voix des enfants soit entendue
lorsque des soins de santé et des soins palliatifs sont dispensés.
Les soins palliatifs pour enfants sont reconnus en tant que spécialité
médicale à part entière au Royaume-Uni: c’est là une démarche que
d’autres États membres devraient envisager.
7. Conclusions
52. L’offre de soins palliatifs
est davantage qu’un ensemble de services. Elle est une manifestation
du respect de la dignité de l’homme et de ses droits. Traditionnellement,
les systèmes de santé privilégient la prévention, le diagnostic
et la guérison; cette orientation doit changer pour faire place
à un système plus global prévoyant des services de soins palliatifs
qui améliorent la qualité de vie des patients ayant une maladie potentiellement
mortelle ou réduisant l’espérance de vie, leur permettant de vivre
dans de bonnes conditions jusqu’à la mort.
53. Les pays ne peuvent pas atteindre l’Objectif 3, Cible 3.8
des Objectifs de développement durable, à savoir «faire en sorte
que chacun bénéficie d’une assurance-santé, comprenant une protection
contre les risques financiers et donnant accès à des services de
santé essentiels de qualité et à des médicaments et vaccins essentiels
sûrs, efficaces, de qualité et d’un coût abordable» sans y inclure
les soins palliatifs et le soulagement de la douleur. Afin d’offrir
des soins palliatifs selon des normes optimales, les États membres devraient
adopter une législation qui reconnaisse et définisse les soins palliatifs
comme partie intégrante des systèmes nationaux et régionaux de santé,
les intégrer directement aux stratégies/programmes de santé publique
et, enfin, les rendre accessibles à tous les patients qui en ont
besoin. Les services de soins palliatifs sont encore axés sur le
cancer en phase terminale; il faut, de toute urgence, les étendre
à tous les patients susceptibles d’en bénéficier, quelle que soit
l’affection chronique dont ils sont atteints. Adapter les services
de soins palliatifs aux patients non cancéreux atteints de pathologies
chroniques avancées, voilà une tâche difficile mais cruciale pour
les systèmes de santé; certes, elle exigera des investissements
considérables en termes d’infrastructure et de personnel, mais elle
a le potentiel de réduire les coûts au fil du temps, tout en répondant
aux besoins des patients concernés et de leurs familles et soignants.
54. Les États membres doivent surmonter les obstacles d’ordre
juridique, réglementaire, éducatif et comportemental qui restreignent
la disponibilité des médicaments antidouleur dans un contexte de
soins palliatifs, et fournir un soutien adéquat aux aidants informels.
Étant donné qu’une offre de soins palliatifs globale exige l’intervention
d’équipes pluridisciplinaires de professionnels, la formation (du
1er au 3e cycle universitaire)
devrait devenir une priorité. Les États membres devraient revoir
les programmes d’enseignement pour s’assurer que les professionnels
de santé tels que les médecins et le personnel infirmier bénéficient
d’une formation suffisante en matière de soins palliatifs et de
gestion de la douleur. En ce qui concerne les prestations de soins
palliatifs, ils devraient également envisager de collaborer avec
des bénévoles et le secteur privé. Enfin, les États membres devraient
toujours tenir compte du rôle capital de la recherche dans le développement
et l’amélioration des services de soins palliatifs.