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Résolution 2241 (2018)

La sûreté et la sécurité nucléaires en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 10 octobre 2018 (34e séance) (voir Doc. 14622, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteure: Mme Emine Nur Günay). Texte adopté par l’Assemblée le 10 octobre 2018 (34e séance).

1. De nombreux États d’Europe produisent de l’énergie nucléaire: avec 184 réacteurs en service en 2018, 17 pays européens hébergent 41 % de la «flotte» nucléaire mondiale. En outre, 15 réacteurs sont en construction, dont la première centrale nucléaire flottante. Ce choix énergétique divise l’opinion publique depuis des décennies, du fait du secret qui entoure l’exploitation des installations nucléaires et du risque de conséquences dramatiques en cas d’accident.
2. Les inquiétudes liées à la sûreté nucléaire se profilent depuis l’accident survenu à Tchernobyl en 1986 et se sont intensifiées encore avec l’accident de Fukushima en 2011. En outre, en raison des récentes attaques terroristes qui ont frappé la France et la Belgique, la sécurité des infrastructures nucléaires fait l’objet d’une attention accrue étant donné que presque toutes les centrales actuellement en service ont été conçues et construites à une époque où les problèmes de sécurité étaient d’une nature différente. Un accident nucléaire, qu’il soit dû à un acte de malveillance ou à une défaillance du système, peut avoir des conséquences très étendues et sérieuses; c’est pourquoi la population européenne doit avoir l’assurance que les autorités chargées de la sûreté et de la sécurité nucléaires la protègent efficacement.
3. L’Assemblée parlementaire salue les efforts déployés par les États membres et les organisations internationales compétentes pour renforcer en permanence les normes de référence en matière de sûreté et de sécurité nucléaires par le biais de cadres techniques, réglementaires et juridiques. Elle estime qu’une meilleure harmonisation des normes en vue d’améliorer les niveaux globaux de sûreté et de sécurité nucléaires en Europe est nécessaire, et que tous les États devraient y prendre part, y compris les pays s’attachant à sortir progressivement du nucléaire et ceux qui construisent de nouvelles centrales.
4. L’Assemblée note que bon nombre de centrales nucléaires européennes vieillissent rapidement: en 2018, 82 des 184 réacteurs étaient en service depuis au moins trente-cinq ans et environ un réacteur sur six avait plus de quarante ans. Même lorsque les installations sont correctement entretenues, l’état général de ces réacteurs se dégrade progressivement, ce qui augmente la probabilité d’incidents graves et d’accidents. L’Assemblée considère que des contrôles indépendants et des examens périodiques de sûreté sont indispensables pour préserver la confiance de la population dans la sûreté nucléaire, et estime qu’il faudrait augmenter la fréquence des examens de sûreté pour les réacteurs de plus de quarante ans.
5. L’Assemblée est préoccupée par le fait qu’il n’y ait pas eu de véritable consultation publique avant la construction de la majeure partie des installations qui constituent la «flotte» nucléaire européenne. Elle fait également remarquer que les générations actuelles sont les plus exposées aux risques opérationnels en matière de sûreté et de sécurité, et qu’elles doivent, en outre, supporter le coût du démantèlement, du traitement des déchets nucléaires et de leur stockage à long terme. L’Assemblée est convaincue que, d’un point de vue politique, l’enjeu principal est d’informer suffisamment le public sans compromettre la sécurité et de parvenir à un consensus démocratique sur les orientations stratégiques et le niveau de sûreté et de sécurité nucléaires désiré. Les pays européens devraient travailler ensemble en vue d’améliorer la transparence et la communication concernant le défi du nucléaire.
6. Dans la mesure où de nombreuses centrales nucléaires en Europe se situent à proximité de grandes villes et de zones densément peuplées, y compris au-delà des frontières nationales, l’Assemblée estime que ces installations stratégiques devraient faire l’objet d’une protection indiscutable, d’un niveau «raisonnablement atteignable» de la part des États européens, qui serait assurée, le cas échéant, en coopération étroite avec les pays voisins concernés, notamment pour les centrales anciennes et dégradées. Elle est d’avis qu’il faudrait renforcer les capacités de préparation aux situations d’urgence et améliorer les plans d’urgence dans toute l’Europe, en particulier dans les contextes transfrontaliers. Ces capacités et ces plans devraient être fondés non seulement sur des considérations techniques minimales, mais aussi prendre en compte les impératifs socio-économiques, des scénarios météorologiques réalistes, les spécificités locales et les enseignements tirés des grands accidents nucléaires récents (tels que Tchernobyl et Fukushima).
7. En ce qui concerne la construction de nouvelles centrales nucléaires en Europe, l’Assemblée invite instamment les États concernés à intégrer pleinement des exigences de sûreté et de sécurité élevées en ce qui concerne la conception, les principes opérationnels, les mesures réglementaires, les dispositifs de protection externes et les plans de préparation aux situations d’urgence. S’agissant de la centrale d’Ostrovets (Bélarus), actuellement en construction à tout juste 45 kilomètres de Vilnius, la capitale de l’État voisin (Lituanie), l’Assemblée rappelle sa Résolution 2172 (2017) sur la situation au Bélarus, dans laquelle elle déplore le manque de respect des normes internationales de sécurité nucléaire et les incidents importants survenus sur le site de construction. À la lumière des derniers développements, notamment du test de résistance réalisé au niveau national (évaluation poussée des risques et de la sûreté) et de la mission connexe d’examen par les pairs, l’Assemblée exhorte les autorités de régulation du domaine nucléaire du Bélarus à ne pas délivrer de permis d’exploitation pour la centrale d’Ostrovets avant que:
7.1. les recommandations formulées par les pairs du Groupe des régulateurs européens dans le domaine de la sûreté nucléaire (European Nuclear Safety Regulators Group-ENSREG), dans leur rapport sur le test de résistance de la centrale du Bélarus (adopté par l’ENSREG le 2 juillet 2018), ne soient pleinement appliquées;
7.2. la résistance sismique de la centrale nucléaire et, en particulier, les fonctions systémiques de sécurité et la piscine d’entreposage des combustibles usés ne soient renforcées;
7.3. la protection des réacteurs d’Ostrovets contre le crash d’un avion commercial ne soit améliorée (comme cela a été fait pour un réacteur de même conception en Finlande);
7.4. les dispositifs de notification des incidents à l’égard de la population locale et de celle des pays voisins ne soient améliorés, et que des accords de gestion des situations d’urgence ne soient signés avec les pays frontaliers, en particulier la Lituanie, en s’inspirant notamment du protocole de Melk relatif à la centrale nucléaire de Temelín, située à la frontière entre l’Autriche et la République tchèque;
7.5. l’évaluation du site d’Ostrovets ne soit menée à terme conformément aux exigences internationales, parmi lesquelles la Convention sur la sûreté nucléaire, la Convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière («Convention d’Espoo») de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU) et la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement («Convention d’Aarhus»), et que le site de la centrale nucléaire n’ait été évalué de façon complète par le biais d’une mission d’évaluation du site par le Service d’examen du site et de la conception basée sur les événements externes (Site and External Events Design Rewiew Service-SEED) de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
8. En ce qui concerne le projet proposé par la Turquie et la Fédération de la Russie pour la construction de la centrale nucléaire d’Akkuyu dans la province de Mersin (Turquie), située à seulement 85 kilomètres de la frontière chypriote et très proche d’autres pays voisins, l’Assemblée, se référant à la Résolution du Parlement européen du 6 juillet 2017 (2016/2308(INI)), exprime sa grande préoccupation quant à la construction de cette centrale nucléaire dans une région de Turquie à forte sismicité. Par conséquent, elle demande au Gouvernement turc d’adhérer à la Convention d’Espoo et de répondre à toutes les préoccupations exprimées, y compris par ses propres citoyens lui demandant de se concerter avec les pays voisins conformément à la Convention internationale sur la sûreté nucléaire.
9. L’Assemblée recommande que les autorités compétentes de tous les États membres du Conseil de l’Europe qui ont des installations nucléaires sur leur territoire:
9.1. augmentent la fréquence et la transparence des examens périodiques de sûreté des installations nucléaires, en particulier pour les réacteurs de plus de quarante ans;
9.2. renforcent l’indépendance et les capacités des organismes de régulation nationaux;
9.3. réévaluent, et renforcent si nécessaire, la protection physique des réacteurs et des piscines d’entreposage des combustibles nucléaires usés;
9.4. enquêtent sur les cas de survol des infrastructures nucléaires par des drones et prennent des mesures pour éviter de nouveaux survols;
9.5. étendent le périmètre de sécurité et renforcent les protections pour empêcher tout accès non autorisé aux installations nucléaires;
9.6. fournissent des informations adaptées à la population locale et fassent preuve de transparence à son égard, y compris dans les zones frontalières, concernant les garanties de sûreté et de sécurité nucléaires nécessaires, les plans de gestion des urgences radiologiques et toute nouvelle mesure prise dans ces domaines;
9.7. envisagent le démantèlement anticipé des centrales nucléaires potentiellement plus vulnérables pour lesquelles le montant des investissements nécessaires pour améliorer le niveau de sûreté et de sécurité serait déraisonnable du point de vue de l’analyse des risques;
9.8. améliorent et envisagent d’unifier le système de responsabilité en matière nucléaire vers une plus grande cohérence des normes juridiques internationales applicables, et renforcent les garanties financières concernant l’indemnisation transfrontière des dommages en cas d’accident nucléaire.
10. L’Assemblée invite également la Commission européenne à étendre le périmètre de sécurité, actuellement fixé à cinq kilomètres autour des centrales nucléaires, au sein duquel l’évacuation, la mise à l’abri ou la prophylaxie par l’iode peuvent être nécessaires en cas d’accident nucléaire, afin de mieux prendre en compte les enseignements tirés de l’accident de Fukushima et les attentes de la population en matière de protection radiologique.
11. Enfin, l’Assemblée appelle l’Agence internationale de l’énergie atomique à faire preuve de plus d’ouverture à l’égard des représentants des parlements nationaux et des assemblées régionales, afin de développer des contacts mutuels et de leur fournir les informations indispensables concernant les divers aspects du secteur de l’énergie nucléaire relevant de sa compétence.