1. Introduction
1. Dans toute l’Europe, les personnes
handicapées rencontrent de multiples obstacles pour accéder et participer
au marché du travail. Les préjugés sur leur niveau de compétences
se traduisent par une attitude négative des employeurs potentiels
qui ne sont pas systématiquement disposés à adapter les lieux de
travail et les descriptions de postes afin de permettre leur embauche.
La peur d’être victime de discrimination au cours de la procédure
de recrutement ou une fois embauché maintient également certaines
personnes en situation de handicap éloignées du marché du travail.
De nombreux lieux de travail ne sont pas accessibles aux personnes
handicapées et le manque de financement est souvent invoqué pour
ne pas entreprendre les travaux nécessaires. Les conditions ne sont
d’une manière générale pas favorables à l’emploi des personnes handicapées.
Il y a bien trop de personnes handicapées au chômage qui ne bénéficient
d’aucun soutien spécifique pour entrer ou retourner sur le marché
du travail. Promouvoir une population active intégrant le handicap
revient à prévenir et lutter contre la discrimination envers les
personnes handicapées. Cela se traduit par la mise en œuvre d’actions
spécifiques pour faire de l’inclusion des personnes handicapées
une réalité.
2. L’article 27 de la Convention des Nations Unies relative aux
droits des personnes handicapées prévoit l’obligation pour les États
Parties de reconnaître le droit des personnes handicapées de travailler
sur un pied d’égalité avec les autres. Ce droit comprend l’obligation
de créer un «environnement favorable et propice à l’emploi, tant
dans le secteur public que privé»
. Des «aménagements
raisonnables», qui désignent «les modifications et ajustements nécessaires
et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés,
en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer
aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base
de l’égalité avec les autres, de tous les droits humains et de toutes
les libertés fondamentales
», devraient être proposés aux personnes
handicapées qui en font la demande.
3. Au cours des vingt dernières années, plusieurs États membres
du Conseil de l’Europe ont adopté des mesures visant à promouvoir
la participation active des personnes handicapées au marché du travail
et à lutter contre les discriminations. Cependant, le taux d’emploi
des personnes handicapées reste plutôt bas et celles-ci occupent
souvent des emplois moins bien rémunérés. Quand elles sont employées,
«[e]lles occupent plus fréquemment que les personnes non handicapées
des postes à temps partiel ou temporaires, et n’ont guère de possibilités
d’évolution de carrière»
.
4. La pleine inclusion des personnes handicapées au sein de la
société commence par leur inclusion dans les écoles ordinaires,
ce qui leur donnera des outils pour une future participation active
au marché du travail. La pleine inclusion des personnes handicapées
nécessite des engagements politiques et économiques afin de devenir
une réalité.
5. La pleine inclusion des personnes handicapées au sein de la
population active nécessite des mesures concernant notamment leur
recrutement, leurs conditions de travail, leur salaire, leurs promotions
éventuelles et les attitudes à leur égard. Elle est bénéfique non
seulement aux personnes employées, mais aussi au lieu de travail
dans son ensemble. Cela envoie un message fort aux clients, aux
collègues ou aux personnes servies: la culture du travail encourage
l’ouverture, la tolérance et le respect, et peut donner de l’espoir
et de la force aux jeunes personnes handicapées qui ne travaillent
pas encore.
2. Objectif et portée du rapport
6. La proposition de résolution
à l’origine du présent rapport souligne qu’il est essentiel de s’éloigner
de l’approche dite de protection sociale des personnes handicapées
selon laquelle celles-ci ne sont pas considérées comme étant capables
de travailler, pour s’orienter vers la promotion d’un marché du
travail intégrant les personnes handicapées. Elle indique que des
programmes de protection sociale bien conçus peuvent améliorer la
productivité et l’employabilité des personnes handicapées et supprimer
les obstacles à l’emploi.
7. Ce rapport vise à faire le point de la situation en vue de
formuler des recommandations sur la manière de promouvoir l’inclusion
des personnes handicapées dans la population active et d’encourager
les parlementaires à jouer un rôle actif au niveau national, afin
de mettre en œuvre la Stratégie du Conseil de l’Europe pour les
personnes handicapées 2017-2023
.
8. En 2015, l’Assemblée parlementaire a déjà encouragé les États
membres à élaborer des politiques favorisant l’emploi des personnes
handicapées
.
Avec ce rapport, je vois une opportunité non seulement de promouvoir
l’emploi des personnes handicapées, mais aussi de lutter contre
les préjugés et de faire prendre conscience des compétences de ces
personnes et de la valeur ajoutée qu’elles peuvent représenter dans
la population active.
9. Je souhaite promouvoir les meilleures pratiques encourageant
une participation active des personnes handicapées au marché du
travail. Comme il n’était pas possible d’analyser en détail la situation
dans chaque État membre du Conseil de l’Europe, j’ai sélectionné
plusieurs pays ayant des approches différentes afin de présenter
des informations sur les «emplois protégés», les incitations pour
les entreprises, les quotas, des entreprises privées proactives
en matière de recrutement des personnes handicapées et la mise en
œuvre de la législation anti-discrimination.
10. J’ai reçu des témoignages de personnes handicapées sur les
difficultés rencontrées lors de la recherche d’un emploi ou lorsqu’elles
sont/ont été employées. Ce rapport a été préparé en respectant la
devise «Rien de ce qui nous concerne ne se fera sans nous» et j’ai
fait en sorte qu’il porte la voix de personnes handicapées qui se
sont senties rejetées et mal accueillies sur le marché du travail.
De plus, ce rapport présente des exemples qui montrent que l’inclusion
des personnes handicapées sur le marché du travail peut être profitable à
tous.
3. Méthodes
de travail
11. Afin de recueillir des informations
sur la situation dans chaque État membre du Conseil de l’Europe,
j’ai envoyé un questionnaire aux institutions nationales des droits
de l’homme (INDH) via le Réseau européen des institutions nationales
des droits de l’homme basé à Bruxelles. Ce questionnaire comprenait
des questions sur le taux d’emploi des personnes handicapées dans
les secteurs privé et public, la législation en vigueur fixant les
obligations des entreprises et des administrations publiques en
matière d’embauche des personnes handicapées et leur mise en œuvre,
l’accès à l’éducation et les sanctions pour traitement discriminatoire
des personnes handicapées sur le marché du travail. J’ai reçu des
réponses des INDH d’Albanie, de Belgique, de Chypre, du Danemark,
de Géorgie, de Lettonie, du Luxembourg, des Pays-Bas, de Pologne,
du Portugal et de la République de Moldova. Je tiens à les remercier
pour leur contribution. J’ai aussi reçu une contribution écrite de
l’organisation non gouvernementale Inclusion Europe.
12. J’ai tenu une réunion bilatérale au cours de la partie de
session de janvier 2018 avec l’ancien Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe, qui avait fait de la protection
des droits des personnes handicapées une priorité de son mandat.
13. La sous-commission sur le handicap et la discrimination multiple
et intersectionnelle a organisé deux auditions dans le cadre de
la préparation du présent rapport. La première, tenue le 24 avril
2018, a porté sur les bonnes pratiques en matière d’inclusion des
personnes handicapées sur le marché du travail, avec la participation
de: Mme Edurne Alvarez De Mon, consultante
principale en ressources humaines, Fondation Once (Espagne); Mme Agnès
Gerber-Haupert, directrice générale d’Action et Compétence (France);
et M. David Kennaugh, chef d’une petite entreprise (France). La
seconde, tenue le 26 juin 2018, concernait la lutte contre la discrimination
en matière d’accès à l’emploi avec la participation: de Mme Kimberly
McIntosh, administratrice à la fondation Runnymede Trust (Royaume-Uni);
M. James Crowe, président de l’Association européenne des prestataires
de services pour personnes en situation de handicap (EASPD, Royaume-Uni); et
Mme Aletta Gräfin von Hardenberg, directrice
de l’Initiative allemande pour une Charte de la diversité (Allemagne)
(par vidéoconférence). Cette seconde audition a contribué non seulement
à l’élaboration du présent rapport, mais aussi au rapport de M. Damien
Thiéry (Belgique, ADLE) sur la «Discrimination dans l’accès à l’emploi»
.
14. J’ai recueilli un complément d’informations sur la situation
au Danemark au cours de ma visite d’information dans ce pays les
10 et 11 septembre 2018. Je tiens à remercier le Parlement danois
pour l’excellente aide qu’il m’a apportée à cette occasion ainsi
que toutes les personnes qui m’ont éclairé sur la situation au Danemark.
J’ai été particulièrement impressionné lors de ma visite, à Taastrup,
par le bâtiment appelé «Maison du handicap», qui héberge plus de
30 organisations d’aide aux personnes handicapées. La Maison du
handicap est considérée comme l’un des bâtiments les plus inclusifs
au monde, car on peut estimer que chaque mètre carré y est accessible.
Ce bâtiment est la preuve que la pleine accessibilité est un objectif atteignable.
Il devrait selon moi servir de modèle à de nouvelles constructions
où l’environnement de travail serait véritablement adapté au handicap.
4. Obstacles
rencontrés par les personnes handicapées sur le marché du travail
4.1. Préjugés
15. Comme nous l’avons déjà mentionné,
l’une des difficultés majeures que rencontrent les personnes handicapées
sur le marché du travail est la stigmatisation dont elles font l’objet
en raison de leur prétendu niveau de compétence. Souvent, une personne
handicapée est considérée comme moins capable qu’une autre de réaliser
les mêmes tâches, sans raison objective. Selon Eric Molinié, secrétaire
général de Daskia (filiale d’Électricité de France), «les préjugés
sont le principal frein à l’intégration des personnes handicapées». Embaucher
une personne handicapée «c’est apprendre à voir la personne dans
toutes ses dimensions. La présence d’un handicapé dans une équipe
oblige à mieux s’organiser. C’est une situation qui crée des solidarités
.»
16. Un projet de recherche est en cours à l’université de Strasbourg
pour mesurer le degré de préjugé dont les personnes handicapées
font l’objet. Par exemple, les participants à l’une des expériences
ont reçu des photographies montrant le même groupe de personnes
assises à une table, mais prises sous des angles différents. Sur
une première photographie, seuls les visages des personnes sont
visibles. Sur une seconde photographie, prise sous un angle plus
large, on peut voir qu’une des personnes assises à la table est
dans un fauteuil roulant. Les participants ont répondu, sans disposer
d’autres informations, que la personne en fauteuil roulant semblait
moins compétente que les autres. Ils ont été surpris d’apprendre
que cette personne avait le plus haut niveau de responsabilités.
17. Les préjugés à l’encontre des personnes handicapées influencent
l’attitude des employeurs potentiels et des futurs collègues, ce
qui a une incidence sur la participation des personnes handicapées
au marché du travail. La façon dont la société considère les personnes
handicapées doit changer. Cela ne sera possible que si davantage
de personnes handicapées occupent des postes à haute responsabilité
au sein de l’administration, des entreprises privées, des médias,
dans le domaine universitaire et dans le monde politique. L’embauche
des personnes handicapées «leur donne une indépendance, et les aide
à se prendre en charge dans leur vie quotidienne, mais sensibilise
également les autres (collègues et/ou clients) à leurs capacités.
» Il convient de sensibiliser le
public au fait que les personnes handicapées représentent une valeur
ajoutée sur le lieu de travail et qu’elles ont beaucoup à apporter.
18. Il existe également des préjugés concernant le type d’emploi
que les personnes handicapées peuvent occuper. Bien que tous les
emplois ne soient pas accessibles, bon nombre de fonctions peuvent
être tenues par des personnes handicapées à condition que des dispositions
soient prises. On pense trop souvent que les personnes handicapées
ne peuvent travailler que dans certains domaines spécifiques. Il
importe de surmonter les préjugés auxquels se heurtent les personnes
handicapées au sujet de leurs capacités.
19. David Kennaugh est un petit entrepreneur vivant en France,
dont la vue a considérablement baissé à l’âge de 16 ans en raison
d’une maladie génétique. Il a fait part de son expérience personnelle
du lieu de travail à la sous-commission sur le handicap et la discrimination
multiple et intersectionnelle le 24 avril 2018: «Il est temps de
dépasser les préjugés. Il a plusieurs années, une personne atteinte
de déficience visuelle était incitée à devenir standardiste ou physiothérapeute.
Aujourd’hui, les nouvelles technologies donnent accès à un grand nombre
de professions. Elles permettent des transferts d’informations rapides
et facilitent l’inclusion des personnes handicapées dans le monde
du travail. Malheureusement, les comportements n’évoluent pas».
La priorité est d’amener les employeurs potentiels et les collègues
à dépasser leurs appréhensions pour accepter des personnes handicapées
sur leur lieu de travail. Cela peut demander un effort et des investissements,
mais dans l’ensemble, l’entreprise ou l’administration peut y trouver
son compte.
4.2. Manque
d’accessibilité et de cultures de travail inclusives
20. La promotion de l’inclusion
des personnes handicapées dans la culture de l’organisation et des méthodes
de travail inclusives constitue un autre défi majeur. En effet,
il appartient aux employeurs de s’adapter aux personnes handicapées,
de proposer des aménagements, et pas uniquement aux personnes handicapées
d’essayer de s’intégrer et de s’assimiler. Il ne peut y avoir pleine
inclusion si l’on attend des personnes handicapées qu’elles réalisent
leur assimilation. Le handicap doit être reconnu et pris en compte afin
de comprendre pleinement ce qui peut être fait pour faciliter le
travail des personnes handicapées. Il faut s’efforcer d’adapter
les lieux de travail aux besoins des personnes handicapées, et non
leur proposer des emplois spécifiques ou protégés.
21. Le manque d’accessibilité des lieux de travail peut également
constituer un obstacle à la participation des personnes handicapées
au marché du travail. Je me réfère ici à l’accessibilité physique
(veiller à ce qu’un fauteuil roulant puisse avoir accès), mais aussi
à l’accessibilité en termes de structures de travail. À titre d’exemple,
l’embauche d’une personne ayant un handicap psychosocial peut ne
pas nécessiter d’aménagements matériels dans un bâtiment, mais une
réflexion sur les structures de travail et une discussion sur les
moyens d’accompagner la personne nouvellement recrutée
.
22. Je l’ai dit plus haut, ma visite de la «Maison du handicap»
à Taastrup m’a fortement impressionné. Tout a été conçu pour être
inclusif. Toutes les indications et tous les panneaux sont en braille,
et les chaises de réunion sont, de par leurs formes, adaptées à
différents types de handicap. Les lumières sont adaptées aux personnes
atteintes de déficience visuelle et il y a une salle de repos, dans
laquelle on peut s’allonger quelques minutes en cas de besoin. La
hauteur des bureaux est ajustable. Une attention particulière a
été accordée au choix des couleurs pour les murs afin de faciliter
l’orientation. Promouvoir l’inclusion sur le marché du travail suppose
de prendre en compte des besoins différents.
4.3. L’inclusion
des personnes handicapées n’est pas une priorité politique
23. Le taux de chômage des personnes
handicapées est en général plus élevé que celui du reste de la population.
Pour elles, sortir du chômage peut être encore plus difficile. De
plus, les programmes d’aide aux personnes handicapées ne sont pas
considérés comme prioritaires, ce qui constitue un autre problème.
En période de restrictions budgétaires, les contrats aidés comptent
souvent parmi les premiers à être supprimés. Le versement des aides
sociales aux personnes en situation de handicap est reporté en période
de crise, ce qui augmente le risque de pauvreté. Je regrette que
trop souvent les personnes handicapées ne soient pas considérées
comme prioritaires par les autorités. Trop souvent aussi, elles
ne sont pas consultées lors de l’élaboration de ces programmes.
4.4. L’éducation
inclusive n’est pas encore une réalité
24. Ainsi que l’a souligné Niels
Muižnieks, ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
l’éducation inclusive est essentielle à l’intégration des personnes
handicapées sur le marché du travail. L’éducation dans les écoles
ordinaires permet aux personnes handicapées d’obtenir un diplôme
et des compétences sociales et de vie, qui sont essentielles pour
leur inclusion dans la population active
.
25. La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes
handicapées souligne que l’accès à l’éducation inclusive, y compris
la formation professionnelle, doit être garanti et adapté à tous.
«Un système solide d’enseignement et de soutien dans les écoles
est nécessaire pour améliorer l’employabilité des personnes handicapées
et les aider à acquérir plus de confiance et des compétences sociales
et de vie
.» L’éducation inclusive est l’outil
le plus puissant pour prévenir et combattre les préjugés envers
les personnes handicapées. Plus les enfants handicapés fréquenteront
les écoles ordinaires, plus leur place dans la société sera reconnue.
26. En outre, il n’existe pas encore de passerelles solides avec
la vie professionnelle. Il est plus difficile pour une personne
handicapée de trouver un premier stage ou un emploi que pour les
autres. Il est essentiel de soutenir les programmes de stages et
les programmes d’accès à l’emploi. Bien que la culture de travail
en Allemagne soit souvent présentée comme inclusive, l’Institut
allemand des droits humains déplore que de nombreuses offres de
formation destinées spécifiquement aux personnes handicapées ne
répondent pas aux exigences du marché du travail
.
4.5. Discrimination
à l’encontre des personnes handicapées
27. La discrimination à l’encontre
des personnes handicapées qui recherchent un emploi ou qui sont
déjà employées est toujours une réalité. Cependant, les États Parties
à la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes
handicapées «ont l’obligation d’interdire la discrimination fondée
sur le handicap et doivent veiller à ce que les personnes handicapées
soient protégées contre la discrimination
». Au
sens de la Convention, «[l]a protection contre la discrimination
couvre toutes les formes d’emploi: sur le marché du travail normal
comme dans les régimes d’emploi protégé ou assisté
». Au sein de l’Union européenne,
la
Directive 2000/78 CE crée un cadre général pour l’égalité de traitement
dans l’emploi et le travail et elle protège les personnes handicapées
contre les discriminations sur le marché du travail.
28. Selon Didier Marcyan, représentant régional de l’AGEFIPH (Association
de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées,
France), les personnes handicapées se heurtent à de très grandes difficultés
lors de la recherche de leur premier emploi et connaissent une «vulnérabilité»
manifeste à toutes les étapes de transition professionnelle. Il
convient de prendre en considération le risque d’interruption des périodes
d’emploi et de prévoir des mesures compensatoires. Il faut accompagner
le premier accès au marché du travail et le retour sur celui-ci.
Une fois qu’une personne handicapée est embauchée, il importe d’assurer un
suivi pour veiller à ce qu’elle conserve un emploi. La vulnérabilité
comprend aussi les délais d’adaptation qui ne coïncident pas toujours
avec un calendrier serré d’efficacité économique. Avant qu’une personne handicapée
ne soit efficace, elle doit apprendre à travailler différemment.
Il convient de trouver un juste équilibre entre un temps raisonnable
d’adaptation et l’attente d’une efficacité immédiate. Une grande souplesse
dans les procédures d’embauche et de licenciement applicables à
tous, y compris les personnes handicapées, peut ne pas offrir l’environnement
de travail sûr et équitable qui est nécessaire aux personnes handicapées.
29. Une attention particulière devrait être accordée à la situation
des femmes handicapées, qui «sont particulièrement défavorisées
sur le marché du travail parce qu’elles font souvent l’objet de
discriminations multiples fondées sur leur sexe et sur leur handicap
». «Les femmes handicapées font face
à des problèmes particuliers, en raison des difficultés qu’elles
rencontrent pour trouver un emploi, des coûts supplémentaires engendrés
par le handicap et du fait qu’elles n’ont pas toujours le contrôle
de leurs propres biens ni de leur argent en raison des lois sur
la capacité juridique, qui font qu’elles sont souvent désavantagées
à double titre dans la vie professionnelle. Dans les rares pays
qui disposent de données sur l’emploi ventilées par handicap, sexe
et type de travail, les femmes sont constamment sous-représentées
dans toutes les catégories d’emploi, et tout particulièrement aux
postes de direction
.»
30. Les personnes ayant un handicap psychosocial qui sont privées
de la capacité juridique ne peuvent signer de contrat de travail
ni avoir accès au salaire qu’elles ont gagné. Les systèmes de tutelle
les empêchent de gérer leur vie professionnelle et peuvent les exposer
davantage à des discriminations. Selon les informations recueillies
par Inclusion Europe, les personnes ayant un handicap psychosocial
sont plus souvent en situation de chômage que les autres personnes
handicapées. Cet état de fait a été confirmé par l’organisation
danoise LEV.
5. Participation
des personnes handicapées au marché du travail
31. Les statistiques sur la participation
des personnes handicapées à la population active ne sont pas recueillies
de façon systématique au niveau national et les personnes handicapées
ne figurent pas toujours dans les chiffres du chômage, ce qui donne
une idée biaisée de la situation. Selon moi, les statistiques nationales
du chômage devraient aussi inclure les personnes handicapées, qui
doivent être traitées comme des citoyens à part entière.
32. J’ai reçu des informations de plusieurs institutions nationales
des droits de l’homme concernant la situation au niveau national,
que je peux reprendre en partie dans ce rapport. Au Danemark, 56 %
des personnes handicapées ont un emploi, avec une variation femmes/hommes
de 53 %/59 %. En Géorgie, le secteur public emploie 55 personnes
handicapées sur un total de 46 000 fonctionnaires. 3 535 personnes handicapées
ont un travail dans le secteur privé.
33. Au Luxembourg, selon les dernières statistiques officielles
en date, il y a plus de 3 900 salariés handicapés ayant entre 17
et 64 ans. Aux Pays-Bas, 13,7 % des personnes handicapées sont au
chômage, tandis que le taux de chômage général est de 5,5 % de la
population. En France, 513 505 personnes handicapées sont au chômage
selon les chiffres officiels. 79 % des sociétés ayant plus de 20
salariés emploient des personnes handicapées. En Belgique, 41 %
des personnes handicapées ont un travail.
34. Au Portugal, le taux d’emploi des personnes handicapées est
de 62,6 % dans la tranche 25-34 ans et de 68,3 % dans la catégorie
des 35-44 ans. 16 170 personnes handicapées travaillent actuellement
dans le secteur public. En 2016, 10 789 salariés handicapés étaient
employés dans le secteur privé. Au Portugal toujours, 24,4 % des
personnes handicapées qui travaillent dans le secteur public sont
employées par le ministère de l’Éducation. En Espagne, seule une
personne handicapée sur cinq travaille. En République de Moldova,
les personnes ayant un handicap représentent moins de 1% des personnes
ayant un emploi. En Pologne, 416 000 personnes handicapées ont un
emploi, soit un taux d’emploi global de 27,7 %. Anka Slonjšak, défenseuse
croate des droits des personnes handicapées, a indiqué qu’en 2017,
17 000 personnes handicapées travaillaient en Croatie (sur les 250 000
en âge de travailler)
.
35. En l’absence de données ventilées comparables sur l’emploi
des personnes handicapées, il est difficile de dire si les personnes
ayant un type de handicap donné souffrent davantage du chômage que
d’autres. Selon Mencap (Royaume-Uni), 6 % des adultes ayant un handicap
de l’apprentissage occupent un emploi rémunéré, tandis que ce chiffre
est de 47 % pour les personnes âgées de 16 à 64 ans ayant un handicap quelconque
. Il est nécessaire d’encourager
la collecte de données dans ce domaine pour se faire une idée réaliste
des besoins spécifiques en fonction du type de handicap.
6. Mesures
visant à améliorer la participation des personnes handicapées au
marché du travail
6.1. Investir
dans l’éducation inclusive et l’innovation
36. La participation des personnes
handicapées peut être améliorée en adoptant un ensemble de mesures concrètes
et variées. Comme je l’ai déjà souligné, il ne peut y avoir d’amélioration
palpable de l’accès des personnes handicapées au marché du travail
tant qu’il n’y aura pas d’investissement important et sur le long terme
dans l’éducation. Au cours de notre audition le 24 avril 2018 à
Strasbourg, David Kennaugh a fait observer que l’éducation la meilleure –
qu’elle soit spécialisée ou inclusive – était celle qui préparait
les élèves à leur emploi futur. Selon lui, les écoles spécialisées
peuvent apprendre comment gérer son handicap avec plus d’efficacité
et comment faire face à l’environnement. Le Centre pour l’emploi
et le développement des personnes sourdes et malentendantes de Castberggård
(Danemark) dispense des formations et une préparation spécifique
au marché du travail à des personnes sourdes. Il accompagne également
des entreprises désireuses d’embaucher des personnes sourdes et
malentendantes en les conseillant, notamment sur les équipements
qui peuvent être nécessaires.
37. Je préconise néanmoins, chaque fois que cela est possible,
des écoles ordinaires inclusives offrant une assistance spécialisée
aux enfants handicapés. En effet, l’exclusion des écoles ordinaires
peut avoir des retombées sur la participation future au marché du
travail.
38. Selon Dominique Lerch, ancien directeur de l’Institut national
supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes
handicapés (France), «[i]l ne peut y avoir d’inclusion dans le monde
du travail s’il n’y a pas d’éducation inclusive
». Je suis heureux de constater que la plupart
des enfants handicapés vont dans des écoles ordinaires notamment
en Espagne, en Islande, en Italie, en Norvège, au Portugal et en
Suède.
39. Le secteur public et les entreprises privées devraient être
incités à faire appel à des apprentis handicapés pour leur permettre
d’acquérir de l’expérience et d’améliorer leurs chances d’obtenir
un emploi sur le marché du travail. Les stages donnent une première
expérience d’adaptation à un environnement de travail, ce qui peut
être déterminant. Il faut également développer la formation professionnelle
et l’apprentissage tout au long de la vie.
40. En investissant dans l’innovation parallèlement à l’éducation
inclusive nous pouvons favoriser l’accès des personnes handicapées
au marché du travail. En France en 2010, l’AGEFIPH a apporté son
soutien à la création d’un simulateur de conduite pour poids lourd
équipé d’une boîte de vitesses automatique. Cette innovation a permis
à plus de 120 personnes ayant un handicap moteur de passer un permis
poids lourd et de trouver un emploi. Étant donné ce succès, l’administration
française a modifié les conditions légales d’obtention du permis
poids lourd, qui auparavant étaient très strictes
.
Cet exemple montre que l’aide à l’évolution technologique peut conduire
à davantage d’inclusion sur le marché du travail.
6.2. Emplois
réservés ou protégés
41. Les emplois réservés ou protégés
sont une mesure positive pour promouvoir l’emploi des personnes handicapées.
Alors que leurs effets peuvent être bénéfiques, l’offre de ce type
d’emplois ne doit pas compromettre les efforts déployés pour parvenir
à un marché du travail plus inclusif, qui est lui-même essentiel pour
une pleine participation à la société.
42. Les systèmes de quotas peuvent être considérés comme une première
mesure pour améliorer le taux d’emploi des personnes handicapées.
En Albanie, les employeurs sont tenus d’embaucher une personne handicapée
pour 25 salariés. Le non-respect de cette règle entraîne l’obligation
de verser une amende mensuelle égale au salaire minimum, qui est
versée au Fonds national pour l’emploi. Ces montants servent alors
à créer des emplois pour les personnes handicapées. À Chypre, 10 %
des postes du secteur public sont réservés aux personnes handicapées.
En France, les entreprises/administrations ayant plus de 20 salariés doivent
embaucher un certain nombre de personnes handicapées à raison de
6 % de leurs effectifs (dans le secteur public, le taux réel est
actuellement de 5,2 %, alors que dans le secteur privé, il est de
3,4 %)
.
Si ce quota n’est pas atteint, l’employeur verse une contribution
financière à l’AGEFIPH, qui œuvre à la promotion de l’intégration
des personnes handicapées sur le marché du travail.
43. Au Luxembourg, les administrations doivent embaucher un certain
nombre de personnes handicapées, à savoir 5 % des effectifs travaillant
à plein temps. Il n’y a pas d’obligations pour les sociétés privées
de moins de 25 salariés. Une société de plus de 25 salariés doit
embaucher une personne handicapée au moins à plein temps. Une société
de plus de 50 salariés doit affecter au moins 2 % de ses postes
à des personnes handicapées. Une société de plus de 300 salariés
est tenue de réserver 4 % au moins de ses postes à des personnes
handicapées. Les employeurs qui ne respectent pas ces quotas doivent
verser une taxe égale à 50 % du salaire social minimum de chacune
des personnes handicapées qu’ils n’emploient pas, ce qui est une forte
incitation à embaucher des personnes en situation de handicap.
44. En République de Moldova, le Code du travail dispense les
personnes handicapées d’une période probatoire quand elles commencent
un nouveau travail. Les entreprises ou administrations ayant plus
de 20 employés devraient embaucher au moins 5% de personnes handicapées.
En Pologne, un employeur ayant 25 salariés ou plus doit avoir au
moins 6 % de personnes handicapées dans son effectif. En cas de
non-respect de cette règle, il doit contribuer au Fonds d’État pour
la réinsertion des personnes handicapées. En Espagne, la loi impose
aux sociétés ayant plus de 50 salariés l’obligation d’embaucher
au moins 2 % de personnes handicapées. Dans le secteur public, une
nouvelle loi datant de mars 2018 contraint les sociétés à respecter
ce quota pour obtenir des contrats publics.
45. James Crowe, Président de l’Association européenne de prestataires
de service pour personnes handicapées (EASPD) estime que les quotas
suscitent la controverse, car il est facile de s’y soustraire par
le versement d’amendes annuelles. Selon lui, les quotas instaurent
une notion de charité pour les personnes handicapées au lieu de
reconnaître leur valeur sur le marché du travail. Il s’inquiète
aussi de voir des personnes handicapées rester dans des cadres protégés
alors qu’elles pourraient travailler sur le marché du travail ouvert
à tous. Il faudrait continuer à encourager les emplois aidés sur
le marché du travail dit «ordinaire» en faisant appel à des coachs
emploi qui se retireraient progressivement.
46. Le fait de réserver des emplois peut se traduire par l'utilisation
d'un critère de priorité pour les personnes handicapées. Le handicap
peut être qualifié de critère prioritaire au cours du processus
de recrutement, si bien qu’à qualification égale, un candidat handicapé
aura la priorité sur un autre.
6.3. D’une
politique de l’emploi fondée sur les incitations à une politique
inclusive
47. Les avantages fiscaux et l’aide
à l’adaptation du lieu de travail sont les incitations les plus
courantes pour favoriser l’embauche de personnes handicapées dans
le secteur privé. Alors que les incitations peuvent être utiles
pendant un certain temps, il faut s'efforcer de passer d’une politique
de l’emploi fondée sur les incitations à une politique inclusive.
À cet égard, les mesures positives prises par les sociétés privées
peuvent avoir des effets importants.
48. Le travail sur ce rapport m’a permis de découvrir certaines
bonnes pratiques, que je souhaiterais promouvoir ici. Au Royaume-Uni,
le programme «Accès au travail» prévoit des financements pour les employeurs
afin qu’ils adaptent les lieux de travail et améliorent l’accessibilité
des lieux de travail pour les personnes handicapées. En 2017, un
prix a été décerné par l’EASPD à Carrefour Espagne, qui emploie 860 personnes
handicapées. Ces dernières sont aidées dans leur travail par d’autres
membres du personnel et travaillent avant tout à regarnir les rayons.
L’entreprise «Discovering Hands» basée en Allemagne, en Colombie
et en Autriche a également reçu un prix de l’EASPD en 2017 parce
qu’elle emploie 31 femmes aveugles et malvoyantes pour offrir un
service innovant de diagnostic médical. Ces femmes utilisent uniquement
leur sens du toucher pour diagnostiquer le cancer à un stade très
précoce
.
49. Au Danemark, les pouvoirs publics sont convaincus de l’importance
de l’inclusion des personnes handicapées sur le marché du travail
dit «ordinaire». Dans chacune des 98 communes, des services spécifiques
s’occupent de l’insertion professionnelle des personnes handicapées
et les aident à trouver un emploi correspondant à leurs compétences.
Ils gèrent également des programmes de subvention destinés à aider
les entreprises qui embauchent des personnes handicapées à adapter
l’environnement de travail ou à embaucher un assistant pour faciliter
l’exécution de tâches courantes. Par exemple, dans la commune de Taastrup,
un employé sourd est accompagné par deux interprètes en langue des
signes. Un assistant pourra aider un employé aveugle à exécuter
certaines tâches qu’il ne peut accomplir seul. Il est possible de
recruter un assistant pour 20 heures de travail maximum par semaine,
mais souvent les assistants ne sont embauchés que pour quelques
heures. S’agissant de l’emploi dans le secteur public, les personnes
handicapées peuvent être prioritaires et avoir la garantie d’être
convoquées à un entretien.
50. Au Danemark aussi, les emplois flexibles sont un autre exemple
de bonne pratique. Il s’agit d’emplois exercés au sein d’une entreprise,
pour lesquels l’employeur verse un salaire correspondant uniquement
au travail effectué par le salarié handicapé. La municipalité verse
à l’entreprise une indemnité compensatoire pour tenir compte du
handicap. Par exemple, si une personne handicapée est recrutée pour
30 heures de travail, mais qu’elle n’effectue que 10 heures de travail
effectif, l’entreprise paye 10 heures et la municipalité verse le reste,
soit 20 heures. Les emplois flexibles sont parfois critiqués en
raison des lourdeurs administratives et du temps nécessaire à la
municipalité pour reconnaître qu’un emploi relève de cette catégorie.
Je souhaite insister sur le fait qu’au Danemark, il n’y a pas de
quotas pour l’emploi des personnes handicapées, mais des mesures fortes
pour les accompagner sur le marché du travail.
51. Permettez-moi aussi de citer le label «Entidade Empregadora
Inclusiva», qui récompense les sociétés ayant adopté des politiques
inclusives concernant les personnes handicapées au Portugal. Onze
sociétés ont été retenues pour la première fois en novembre 2017.
Il peut y avoir aussi des distinctions au sein d’un grand groupe
comme le Trophée des «Disability Initiatives» remis tous les deux
ans chez L’Oréal, qui récompense des filiales pour leurs actions
en faveur de l’inclusion des personnes handicapées
.
52. En France, l’AGEFIPH finance des projets d’intégration professionnelle
et gère des réseaux de professionnels. Elle soutient les personnes
handicapées et les employeurs pour adapter les lieux de travail. En
Espagne, l’association Inserta accompagne les demandeurs d’emploi
handicapés. Elle s’entretient avec eux pour définir leurs attentes
et leurs qualifications et pour déterminer dans quelle mesure ces
dernières coïncident avec les besoins du marché du travail. Elle
propose une formation sur la rédaction de curricula vitae et sur
les lettres de motivation, un coaching et une formation professionnelle.
Les processus d’embauche devraient prendre davantage en considération
les questions de handicap. À cette fin, il est essentiel de former les
professionnels à la question du handicap afin de surmonter les préjugés
.
53. Il est capital d’accompagner les personnes handicapées pour
les aider à développer leur potentiel. La fondation espagnole ONCE
offre des formations aux personnes handicapées qui sont adaptées
aux exigences du marché du travail. Elle propose aussi un programme
spécifique destiné à renforcer l’autonomie des entrepreneurs handicapés;
ce programme s’appuie sur une formation en ligne de 100 heures qui
aborde les domaines suivants: marketing numérique, gestion financière,
plans de viabilité et demandes de subventions
. Le travail en libéral peut offrir
plus de souplesse aux personnes handicapées, et leur donner «un
sentiment d’autonomie, car l’entrepreneuriat peut offrir à un individu
la possibilité de prendre le contrôle de son handicap et de sa participation
au marché du travail, mais aussi d’être socialement et économiquement
actif
».
54. L’adoption de chartes de la diversité par les entreprises
peut avoir des effets positifs, à condition que les signataires
respectent leurs engagements. L’Initiative allemande pour une charte
de la diversité, signée par plus de 3 000 sociétés, couvre six motifs
de discrimination: origine, orientation sexuelle, genre et identité
de genre, religion, âge et handicap
. Elle a été lancée par des sociétés
privées et offre une plate-forme pour partager des bonnes pratiques
visant à promouvoir la diversité sur le lieu de travail. Les signataires
s’engagent à prendre des mesures pour accroître la diversité.
55. Au sujet des incitations, on peut évoquer la question des
prestations sociales pour personnes handicapées. Selon James Crowe,
la suspension de ces prestations une fois qu’une personne a trouvé
un emploi peut nuire à sa motivation de rechercher du travail. Il
peut être difficile d’obtenir des prestations sociales si l’on perd
son emploi
.
6.4. Sanctions
en cas de non-respect et de discrimination
56. Pour déclencher des changements
concrets, il faudrait imposer des sanctions en cas de non-respect des
quotas fixés par la loi pour l’emploi de personnes handicapées.
Ces sanctions sont souvent prévues, mais elles ne sont pas imposées
systématiquement. Je regrette de constater que même s’il y a des
cas où des sanctions prévues sont imposées en cas de non-respect
des quotas, certaines entreprises préfèrent payer une amende, plutôt
que d’embaucher des personnes handicapées. On peut dès lors s’interroger
sur l’efficacité des sanctions financières. Plutôt que d’imposer
par des quotas des lieux de travail accueillant les personnes handicapées,
il faudrait promouvoir une nouvelle vision de la société, où chacun
serait en mesure de trouver sa place.
57. Le principe d’aménagement raisonnable devrait être valorisé.
Dans l’esprit de la Convention des Nations Unies relative aux droits
des personnes handicapées, on peut qualifier de discrimination le
refus de prévoir un aménagement raisonnable du lieu de travail pour
permettre à une personne handicapée de s’acquitter de tâches quotidiennes.
Il conviendrait donc d’imposer des sanctions pour absence d’aménagements raisonnables.
Au Danemark, un salarié qui devient handicapé peut avoir droit à
six à neuf mois de salaire en dédommagement de la perte d’emploi
due à l’absence d’aménagement d’un espace de travail.
6.5. Les
personnes handicapées, une valeur ajoutée sur le lieu de travail
58. Edurne Alvarez De Mon, conseillère
principale en ressources humaines à la Fondation ONCE et son association
Inserta (Espagne), a souligné au cours de l’audition d’avril la
valeur ajoutée qu’apportent les personnes handicapées sur le lieu
de travail. Selon elle, l’ouverture du marché du travail aux personnes handicapées
peut être profitable aux entreprises et les aider à toucher de nouveaux
clients tout en contribuant à améliorer les services aux consommateurs
handicapés. L’OIT estime que sur le plan économique, cela peut améliorer
la productivité en raison du peu d’absentéisme et du faible taux
de rotation du personnel
.
59. En Espagne, Inserta s’est attachée à sensibiliser l’opinion
sur les capacités des personnes handicapées par des campagnes telles
que «Ne jamais renoncer», qui présentait des jeunes handicapés ayant
trouvé du travail, même dans le contexte de la crise économique.
Recruter des personnes handicapées revient à se doter de talents
particuliers. Ainsi que l’a souligné Mme Alvarez
de Mon, il ne faut plus mettre l’accent sur le handicap, mais sur
les capacités des candidats.
60. «Faire l’expérience du handicap, en particulier, signifie
souvent faire preuve de plus de résilience, savoir régler les problèmes,
manifester de l’empathie et développer sa créativité», estime Liz
Sayce, responsable de Disability Rights UK
.
61. Le fait d’avoir un emploi est également bénéfique pour les
personnes handicapées. Selon Anni Soresen de l’organisation danoise
LEV, cela peut améliorer la qualité de vie, grâce à de meilleurs
revenus, avoir un effet positif sur la santé, être un facteur de
motivation et renforcer l’image de soi et la confiance en soi
.
62. S’agissant des capacités des personnes handicapées et de leur
inclusion sur le marché du travail, un changement global des mentalités
est nécessaire. Au cours de ma visite d’information au Danemark,
plusieurs interlocuteurs ont insisté sur la nécessité de faire prendre
conscience aux personnes handicapées de leurs capacités et de communiquer
sur la valeur ajoutée que représente une plus grande diversité sur
le lieu de travail. Des campagnes ont été menées, notamment par
la Fondation Glad, pour faire connaître l’expérience positive vécue
par des équipes qui avaient intégré des personnes handicapées.
7. Conclusions
63. Il y a encore beaucoup d’obstacles
à une pleine inclusion des personnes au sein de la population active. En
dépit des actions menées ces dernières années dans plusieurs États
membres du Conseil de l’Europe, le niveau d’emploi des personnes
handicapées dans les secteurs public et privé reste peu satisfaisant.
Il reste fort à faire, dans le secteur public et le secteur privé,
pour que l’inclusion des personnes handicapées dans le monde du
travail devienne une réalité.
64. Il est essentiel de sensibiliser l’opinion à la valeur ajoutée
que représente la participation des personnes handicapées au marché
de l’emploi pour faire évoluer les mentalités. Dans un monde où
l’on s’attend à des résultats rapides, l’adaptation d’un poste de
travail pour un collègue handicapé est trop souvent considérée comme
une perte de temps et d’efficacité. L’inclusion de personnes handicapées
dans la population active n’est pas qu’une question de volonté politique:
elle dépend aussi de la propension des entreprises privées à accueillir
la diversité en leur sein et à y voir une valeur ajoutée. Il est
grand temps de mettre fin au mythe selon lequel les personnes handicapées
ne peuvent pas travailler aussi efficacement que les autres et de
mettre l’accent sur les capacités plutôt que sur le handicap.
65. Afin d’assurer l’intégration des personnes handicapées dans
la population active, il est nécessaire d’offrir aux employeurs,
aux collègues et aux salariés potentiels une aide spécialisée. L’adaptation
du lieu de travail ne consiste pas seulement en des aménagements
matériels. Les aménagements raisonnables englobent éventuellement
l’adaptation de l’équipement et la modification de la description
de poste, des horaires et de l’organisation du travail, ainsi que
l’adaptation de l’espace de travail
. Les
collègues ont aussi besoin d’une aide pour préparer l’arrivée d’une
personne handicapée et pour adopter une attitude positive. Il faut
comprendre que la mise en place d’un environnement de travail accueillant
pour une personne handicapée demande un changement de culture qui
prend du temps. Je tiens à souligner que les managers et les chefs d’entreprise
ont un rôle clé à jouer dans le changement de culture de l’entreprise.
66. Les personnes handicapées sont vulnérables quand elles tentent
d’accéder au marché du travail. Elles le sont aussi une fois qu’elles
sont employées. Si les emplois protégés ne sont pas une solution
durable, ils peuvent être une occasion d’acquérir de l’expérience
pour entrer ensuite sur le marché du travail. Il est essentiel de
garantir un niveau de revenus suffisant pour assurer la stabilité
financière de ces personnes. L’accompagnement sur le marché du travail
est tout aussi indispensable. Les services ou les fondations de ressources
humaines spécialisés dans le coaching et la mise en œuvre de projets
destinés à renforcer l’employabilité des personnes handicapées ont
prouvé leur efficacité et peuvent servir d’exemples. Des programmes
spécifiques sont également nécessaires pour permettre la réinsertion
des personnes devenues handicapées alors qu’elles avaient déjà un
travail.
67. Les entreprises et les administrations qui accueillent des
personnes handicapées doivent être valorisées et mises en avant.
On pourrait donc envisager de créer des récompenses ou des labels
liés à l’inclusion.
68. L’Assemblée devrait préconiser la mise en œuvre des principes
de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes
handicapées et demander la mise en place d’un environnement de travail inclusif,
accessible et sûr pour les personnes handicapées afin de leur permettre
de travailler dans des conditions équitables et de bénéficier de
l’égalité des chances. Pour améliorer les conditions de vie et l’accès au
travail des personnes handicapées, il conviendrait de demander instamment
aux pouvoirs publics de prendre des mesures concrètes pour que l’ensemble
des bâtiments publics et des moyens de transport soient accessibles
aux personnes handicapées.
69. Pour ce qui est de la participation des personnes handicapées
à la population active, les technologies d’assistance peuvent changer
la donne. Il est essentiel de soutenir la recherche pour que soient
conçues de nouvelles technologies d’assistance afin de progresser
vers une pleine inclusion.
70. Je suis aussi convaincu que l’Assemblée devrait inviter les
États membres du Conseil de l’Europe à ventiler les données recueillies
sur l’emploi des personnes handicapées par sexe, par âge et par
type de handicap, de façon à adapter les mesures aux différentes
situations.
71. La participation des personnes handicapées à la population
active est une condition de leur pleine inclusion dans la société.
Cependant, il n’y a pas de mesure simple ou unique pour améliorer
leur taux d’emploi. Des actions à plusieurs niveaux sont nécessaires
pour encourager la participation des personnes handicapées – aux
types de handicap divers – au marché du travail, pour assurer l’égalité
d’accès et de traitement et pour changer l’attitude des employeurs.
Les plans d’inclusion globaux donnant la priorité à l’éducation
inclusive et à l’accès à l’emploi, dans l’esprit de la Convention
des Nations relatives aux droits des personnes handicapées, sont
un pas dans la bonne direction. Ils doivent cependant être assortis
de financements suffisants pour avoir un impact réel.