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Rapport | Doc. 14780 | 17 décembre 2018

Les médias de service public dans le contexte de la désinformation et de la propagande

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Petri HONKONEN, Finlande, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14312, Renvoi 4303 du 30 juin 2017. 2019 - Première partie de session

Résumé

Dans le nouvel environnement médiatique, où la diffusion de la désinformation, de la propagande et du discours de haine augmente de manière exponentielle, les médias de service public, en tant que sources indépendantes d’informations fiables et de commentaires impartiaux, sont bien placés pour combattre le phénomène du désordre informationnel. Les États membres devraient garantir leur indépendance éditoriale, ainsi qu’un financement suffisant et stable, afin d’assurer un journalisme de qualité qui mérite la confiance du public.

Les médias de service public devraient s’engager résolument dans la lutte contre la désinformation et la propagande, en élaborant des programmes éducatifs pour le grand public et en encourageant l’esprit critique à l’égard des informations et des sources. Ils devraient établir des liens avec les plateformes des médias sociaux, les médias traditionnels, les responsables politiques et d’autres acteurs dans le cadre d’une action commune contre le désordre informationnel.

Les États membres devraient soutenir la recherche sur le désordre informationnel pour mieux comprendre son impact sur le public, ainsi que les collaborations multipartites visant à mettre au point de nouveaux outils de vérification des faits pour les contenus générés par les utilisateurs et de vérification des faits à l'aide de l'intelligence artificielle.

Quant aux intermédiaires d’internet, ils devraient coopérer avec les médias européens d’information, publics et privés, pour améliorer la visibilité d’actualités fiables et dignes de confiance et en faciliter l’accès des utilisateurs, ainsi qu’avec la société civile et les organisations spécialisées dans la vérification des contenus, afin de garantir l’exactitude de toutes les informations sur les plateformes.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 7 décembre
2018.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire estime que les médias de service public ont une mission indispensable à remplir dans nos sociétés démocratiques. Ils devraient être une tribune pour un débat public pluraliste et un moyen de promouvoir une plus large participation démocratique des individus, ainsi qu’un facteur de cohésion sociale et d’intégration de toutes les personnes, groupes et communautés.
2. L’indépendance éditoriale et institutionnelle, ainsi qu’un financement suffisant et stable, constituent les conditions indispensables pour que les médias de service public puissent effectivement remplir leur mission. En retour, les médias de service public devraient fournir un journalisme de haute qualité en mettant l’accent sur les questions d’intérêt public et en présentant au grand public des informations fiables et une diversité d’opinions. Cela est d’autant plus important dans le nouvel environnement médiatique, où la diffusion de la désinformation, de la propagande et du discours de haine augmente de manière exponentielle, en particulier par le biais des médias sociaux.
3. Si le discours de haine peut exiger des poursuites judiciaires, la désinformation et la propagande, et plus largement le désordre informationnel, créés par des faits décontextualisés, des sauts de logique et des contre-vérités répétitives, peuvent être plus facilement combattus à l’aide d’informations fiables. Or, les médias commerciaux ne font pas toujours ce travail, en particulier lorsqu’ils appartiennent à des entrepreneurs ayant des liens ou ambitions politiques. Les médias de service public, en tant que sources indépendantes d’informations fiables et de commentaires impartiaux, sont par définition bien placés pour combattre le phénomène du désordre informationnel.
4. Pleinement consciente de la menace que représentent la désinformation, la propagande et d’autres formes de désordre informationnel pour les sociétés démocratiques, l’Assemblée associe sa voix à celles des instances internationales comme les Nations Unies et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui ont reconnu la nécessité de disposer d’écosystèmes médiatiques solides et diversifiés et ont approuvé le rôle des médias de service public dans la lutte contre la désinformation et la propagande.
5. L’Assemblée est consciente que les médias de service public doivent aujourd’hui relever plusieurs défis. Dans de nombreux États membres, on constate l’émergence d’une tendance caractérisée par des menaces pesant sur l’indépendance des médias de service public ou de leurs organes de régulation. La préférence de nombreux gouvernements pour un financement généré par le contribuable leur confère une plus grande influence budgétaire, qui peut aboutir à un plus grand contrôle étatique des contenus. De plus, en raison des pressions commerciales exercées par les marchés médiatiques, les médias de service public subissent parfois les critiques de concurrents commerciaux les accusant de créer une distorsion du marché des actualités numériques. De même, les médias de service public sont fondamentalement des institutions nationales, ce qui signifie qu’un modèle unique ne peut pas servir à lutter contre le désordre informationnel national ou international dans tous les contextes. Tous ces défis risquent d’affaiblir la capacité des médias de service public à combattre la désinformation et la propagande.
6. L’Assemblée estime que dans l’environnement médiatique actuel, il est nécessaire de disposer de médias de service public solides pour combattre le désordre informationnel. En conséquence, l’Assemblée recommande aux États membres:
6.1. de garantir l’indépendance éditoriale, ainsi qu’un financement suffisant et stable, pour les médias de service public, afin de s’assurer qu’ils soient capables de produire des nouvelles et informations fiables et précises et de garantir un journalisme de qualité qui mérite la confiance du public;
6.2. assurer que leurs cadres juridiques nationaux permettent aux médias de service public d’utiliser l’internet et de diffuser en ligne;
6.3. de garantir un financement approprié des médias de service public afin qu’ils puissent allouer des ressources suffisantes à l’innovation en termes de contenus, de formes et de technologie en vue de promouvoir leur rôle comme acteur principal de la lutte contre la désinformation et la propagande, et comme acteur crucial pour protéger les écosystèmes des médias et de la communication en Europe;
6.4. d’éviter le terme de «fausses nouvelles» («fake news»), qui a été excessivement politisé et fréquemment utilisé pour attribuer une étiquette négative aux journalistes et organes de presse indépendants émettant des critiques; d’utiliser au lieu de cela – comme recommandé par le Conseil de l’Europe – la notion de «désordre informationnel» pour décrire le contenu, l’objectif et l’étendue de la diffusion d’informations trompeuses;
6.5. de soutenir la recherche sur le désordre informationnel pour mieux comprendre son impact sur le public et d’essayer de trouver des solutions adéquates pour en neutraliser les effets négatifs;
6.6. d’ouvrir un dialogue multipartite sur les obligations de service public des médias sociaux pour en tirer des bénéfices d’intérêt public pour la société, ainsi que de mener des débats sur la question du modèle économique des organisations des médias d’information qui continuent de défendre un journalisme de qualité mais sont sous pression économique car leurs revenus publicitaires sont soumis à un plafond par les plateformes de médias sociaux;
6.7. de soutenir les collaborations multipartites visant à mettre au point de nouveaux outils de vérification des faits pour les contenus générés par les utilisateurs et de vérification des faits à l'aide de l'intelligence artificielle;
6.8. d’assurer un véritable suivi des recommandations du Groupe d’experts de haut niveau de la Commission européenne, à savoir de créer un réseau de centres de recherche visant à étudier la désinformation afin d’assurer un suivi de l’ampleur, des techniques et outils, de la nature précise et de l’impact potentiel de la désinformation dans la société, d’identifier et de cartographier les sources et mécanismes de la désinformation qui contribuent à son amplification numérique, de fournir un espace sûr pour accéder aux données des plateformes et les analyser et de mieux comprendre le fonctionnement des algorithmes;
7. L’Assemblée invite les organisations des médias de service public:
7.1. à pleinement mettre en œuvre les lignes directrices et principes éditoriaux proposés par l’Union européenne de radio-télévision pour garantir la qualité et la crédibilité du journalisme, et à agir comme centres nationaux d’informations fiables servant de modèles, en dialoguant avec le public dans toute sa diversité;
7.2. à envisager le fait de lutter contre la désinformation et la propagande comme étant une de leurs missions prioritaires et, à cet égard, à chercher à renforcer leur rôle en établissant des liens avec les plateformes des médias sociaux, les médias traditionnels, les responsables politiques et d’autres acteurs dans le cadre d’une action commune contre le désordre informationnel, et à participer à des partenariats en faveur d’initiatives de vérification des faits à la fois aux niveaux local, régional et mondial;
7.3. à cultiver l’aspect critique, à développer des programmes d’actualité et d’éducation à l’information du grand public sur l’importance de l’esprit critique à l’égard des sources, de la vérification des faits et des «bulles de filtrage», en expliquant les dommages causés par la désinformation, la propagande et les «actualités alternatives»;
7.4. à attirer les publics grâce à la qualité et à l’innovation, en utilisant des contenus en ligne informatifs et créatifs et des plateformes de médias sociaux ayant une plus vaste audience afin de toucher les jeunes et d’autres publics difficiles à atteindre;
7.5. à développer, tout en réagissant rapidement aux nouvelles, des sujets de manière lente, délibérative et analytique qui soient vérifiés, replacés dans leur contexte et rapportés de manière impartiale.
8. L’Assemblée invite les intermédiaires d’internet:
8.1. à participer activement aux projets de vérification des faits comme First Draft et International Fact-Checking Network et à développer des outils spécifiques permettant aux utilisateurs et aux journalistes de déceler la désinformation et de promouvoir un engagement positif à l’aide de technologies de l’information en mutation rapide;
8.2. à coopérer avec les médias d’information européens publics et privés pour améliorer la visibilité d’actualités exactes et fiables et faciliter l’accès des utilisateurs à ceux-ci, ainsi qu’avec la société civile et les organisations spécialisées dans la vérification des contenus afin de garantir l’exactitude de toutes les informations sur les plateformes.
9. L’Assemblée invite l’Union européenne de radio-télévision à continuer de promouvoir ses lignes directrices et principes éditoriaux et, dans ce contexte:
9.1. à proposer à ses membres des stratégies avancées concernant les diverses manières de lutter contre le désordre informationnel et d’aider les publics à développer des capacités critiques et analytiques dans leur consommation de nouvelles;
9.2. à développer davantage les initiatives de vérification des faits novatrices et collaboratives et les systèmes de vérification des contenus générés par les utilisateurs entre ses membres, en recherchant des synergies avec d’autres partenaires d’informations de qualité;
9.3. à organiser des ateliers et formations systématiques pour ses membres sur les techniques de vérification et à encourager l’échange de bonnes pratiques dans le domaine de la lutte contre la désinformation et la propagande;
9.4. à contribuer et à participer activement à des études ciblées portant sur le désordre informationnel.

B. Exposé des motifs, par M. Petri Honkonen, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La désinformation par les médias n’a rien d’une nouveauté. La nouveauté aujourd’hui, c’est que de vieilles formes de désinformation et de propagande, décisions éditoriales y comprises, se combinent à présent à des facteurs d’influence humains et à des faiseurs d’opinion, au partage viral en ligne et à la création de contenus automatisés de désinformation 
			(2) 
			<a href='http://aej-belgium.eu/fake-news-undermines-democratic-freedoms-aejs-road-map-right-responses/'>http://aej-belgium.eu/fake-news-undermines-democratic-freedoms-aejs-road-map-right-responses/</a> (en anglais).. La question de la désinformation, de la propagande et d’autres phénomènes connexes se pose en défi aux Européens. Selon l’Eurobaromètre de mars 2018, près de 40 % des Européens se trouvent confrontés à de fausses nouvelles tous les jours ou presque. Plus de 80 % des personnes interrogées considèrent les fausses nouvelles comme un problème dans leur pays et pour la démocratie en général, estimant que c’est aux journalistes, aux autorités nationales, de même qu’à la presse et aux responsables de la radio-télévision, qu’il incombe de mettre fin à la diffusion des fausses nouvelles 
			(3) 
			<a href='http://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/index.cfm/survey/getsurveydetail/general/doChangeLocale/locale/fr/curEvent/survey.getsurveydetail/instruments/flash/surveyky/2183/'>http://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/index.cfm/survey/getsurveydetail/general/doChangeLocale/locale/fr/curEvent/survey.getsurveydetail/instruments/flash/surveyky/2183/</a>..
2. Il semble que plusieurs grandes tendances imbriquées entre elles contribuent à ce défi. En tant que sociétés mais aussi qu’individus, nous avons assisté à un bouleversement dans notre relation au savoir: désormais, les notions courantes d’objectivité et de «vérité» n’ont plus priorité dans les débats publics. À cela s’ajoute un changement culturel marqué par une défiance vis-à-vis des élites et des institutions, soient-elles politiques, journalistiques ou scientifiques. Plus généralement, apparaissent en permanence des cas de profond mécontentement à l’égard des acteurs, des systèmes et des structures politiques en place. L’environnement économique des paysages médiatiques et de communication est le siège d’une concurrence féroce. La technologie a favorisé une fragmentation du public des médias et a créé des habitudes d’information basées sur des algorithmes, une micro-segmentation et le partage de contenus viraux parmi des utilisateurs de même sensibilité et des groupes fermés 
			(4) 
			McNair B. (2018), Fake News: Falsehood, Fabrication and Fantasy
in Journalism, London et New York: Routledge.. Ensemble, tous ces développements se sont traduits par le «désordre informationnel», notamment par une désinformation latente, mais aussi par une tendance croissante à la «capture de l’information et des médias» (où la liberté de la presse se voit insidieusement restreinte par des acteurs politiques et commerciaux) 
			(5) 
			Par exemple Schiffrin
A. (2017), Introduction to Special Issue on media capture.Journalism, <a href='https://doi.org/10.1177/1464884917725167'>https://doi.org/10.1177/1464884917725167</a>..
3. La Déclaration conjointe sur la liberté d’expression et les «fausses nouvelles», la désinformation et la propagande de mars 2017, adoptée par des Rapporteurs spéciaux de plusieurs instances intergouvernementales 
			(6) 
			Le Rapporteur spécial
des Nations Unies pour la liberté d’opinion et d’expression, le
Représentant de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE) pour la liberté des médias, le Rapporteur spécial
de l’Organisation des États américains pour la liberté d’expression
et le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression et l’accès
à l’information de la Commission africaine des droits de l’homme
et des peuples (CADHP); avec l’assistance des organisations non
gouvernementales ARTICLE 19 et du Centre pour le droit et la démocratie
(CLD), <a href='https://www.osce.org/fom/302796?download=true'>www.osce.org/fom/302796?download=true</a>., le rapport sur “Information Disorder: Toward an interdisciplinary framework for research and policy making” («Chaos informationnel: vers un cadre interdisciplinaire pour la recherche et l’élaboration de politiques») commandité par le Conseil de l’Europe et le rapport du Groupe d’experts de haut niveau de la Commission européenne (HLEG) sur les fausses informations et la désinformation en ligne reconnaissent tous la nécessité d’écosystèmes médiatiques robustes et variés et, à cet égard et reconnaissent le rôle des médias de service public. Dans la Déclaration conjointe, il est noté que des médias de service public indépendants et dotés de ressources suffisantes, qui fonctionnent dans le cadre d’un mandat public clair pour un journalisme de qualité, sont essentiels pour la liberté d’expression. Selon le rapport commandité par le Conseil de l’Europe, le soutien des organismes médiatiques de service public et de la presse locale, de même que le soutien d’initiatives de journalisme de qualité aux niveaux local, régional et national, doit être une priorité 
			(7) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/freedom-expression/news/-/asset_publisher/thFVuWFiT2Lk/content/tackling-disinformation-in-the-global-media-environment-new-council-of-europe-report?_101_INSTANCE_thFVuWFiT2Lk_viewMode=view/&desktop=false'>www.coe.int/fr/web/freedom-expression/news/-/asset_publisher/thFVuWFiT2Lk/content/tackling-disinformation-in-the-global-media-environment-new-council-of-europe-report?_101_INSTANCE_thFVuWFiT2Lk_viewMode=view/&desktop=false</a>.. Quant au rapport de la Commission européenne, il part du principe que les objectifs généraux de l’Union européenne consistent à accroître la résilience à long terme des citoyens, des communautés, des organisations de presse, des États membres et de l’Union européenne en général; ainsi qu’à toujours relever les multiples défis de la désinformation par des mesures d’actualité et adéquates. À ces fins, il convient, entre autres, de soutenir les médias de services publics manifestement indépendants qui peuvent contribuer à produire des informations de qualité, à contrer la désinformation et à accroître la maîtrise des médias et de l’information (chapitre 3).
4. Le principal objectif de ce rapport est de mettre en lumière quelques activités essentielles et quelques «bonnes pratiques» inédites rencontrées dans des organismes de médias de service public: comment s’y prennent-ils pour offrir des contenus de qualité et pour contrer les différentes formes de désinformation en informant et en éduquant le public? Dans un premier temps, le rapport tente de définir la désinformation et les contextes institutionnels du service public (chapitre 2). Ensuite, il fait ressortir une variété d’exemples sur les manières dont les médias de service public peuvent agir comme antidote à la désinformation (chapitre 3).
5. Mon analyse de ces questions se fonde essentiellement sur le rapport d’expert élaboré par Mme Minna Aslama Horowitz 
			(8) 
			Professeure
adjointe en communication internationale, Finlande., que je remercie chaleureusement pour son excellent travail. Je m’appuie également sur divers instruments normatifs du Conseil de l’Europe 
			(9) 
			Voir par exemple la
Recommandation CM/Rec(2012)1 du Comité des Ministres sur la gouvernance
des médias de service public, sa Recommandation CM/Rec(2007)3 sur
la mission des médias de service public dans la société de l'information,
ainsi que la Résolution
2179 (2017) de l’Assemblée parlementaire relative à l’influence
politique sur les médias et les journalistes indépendants et la Recommandation 1878 (2009) de l’Assemblée parlementaire sur le financement de la
radiodiffusion de service public., et j’ai pris en compte la contribution d’autres experts 
			(10) 
			Mme Helen
Boaden, Membre du Comité consultatif, Centre Shorenstein sur les
médias, la politique et les politiques publiques, Université de
Harvard, États-Unis, ancienne directrice de BBC Radio et de BBC
News, Londres, et M. Giacomo Mazzone, Responsable des relations
institutionnelles et avec les membres, Union européenne de radio-télévision
(UER), Genève. et de plusieurs membres de la commission, ainsi que ma visite d’information à la BBC, à Londres, le 25 octobre 2018.

2. Désordre informationnel et médias de service public

2.1. Définitions: de «fausses nouvelles» au désordre informationnel

6. Il y a consensus 
			(11) 
			Voir par exemple le
rapport du Conseil de l’Europe intitulé «Information Disorder» («Chaos
informationnel»); le rapport du HLEG de l’Union européenne; plusieurs <a href='http://eprints.lse.ac.uk/73015/1/LSE MPP Policy Brief 20 - Fake news_final.pdf'>notes
d’orientation </a>et commentaires, tels que cités dans: Derakhshan H. et
Wardle C., Information Disorder: Definitions. Dans: <a href='https://firstdraftnews.org/wp-content/uploads/2018/03/The-Disinformation-Ecosystem-20180207-v2.pdf?x72166'>https://firstdraftnews.org/wp-content/uploads/2018/03/The-Disinformation-Ecosystem-20180207-v2.pdf?x72166</a>; aussi <a href='http://aej-belgium.eu/fake-news-undermines-democratic-freedoms-aejs-road-map-right-responses/'>http://aej-belgium.eu/fake-news-undermines-democratic-freedoms-aejs-road-map-right-responses/</a>. sur le fait que le terme «fausses nouvelles» ne doit pas être utilisé. En effet, les défis à relever dans le paysage médiatique actuel sont nombreux; or, l’expression «fausses nouvelles» ne reflète pas comme il convient cette complexité. En outre, le mot «nouvelles» doit avoir une connotation factuelle. Enfin, le terme «fausses nouvelles» s’est vu beaucoup trop politisé pour être utile dans un travail analytique et d’intérêt stratégique.
7. Le présent rapport utilise la terminologie du rapport ci-dessus mentionné du Conseil de l’Europe sur le désordre informationnel. L’expression «désordre informationnel» renvoie à la série complexe des facteurs contribuant à construire des contenus faux et à leur impact. Ce désordre est créé à partir de faits décontextualisés, de sauts de logique et de contre-vérités répétitives. Son impact provient du fait qu’il touche de nombreux sites différents et, apparemment, à partir de nombreuses sources différentes, y compris des organes d’information traditionnels. Cela donne au grand public l’illusion d’une fluidité qui rend l’incroyable crédible. Selon le rapport susmentionné, le désordre informationnel recouvre trois grandes catégories: la désinformation, fausse et créée délibérément pour nuire à une personne, à un groupe social, à une organisation ou à un pays (dis-information); la fausse information créée sans l'intention de causer un préjudice (mis-information); et l’information basée sur la réalité, utilisée pour infliger un préjudice à une personne, à une organisation ou à un pays (mal-information). L’un des effets premiers du désordre informationnel est l’érosion de la confiance dans les médias. Le grand public est souvent perdu entre des informations exactes et la désinformation et cela peut sérieusement porter atteinte à la notion de vérité et saper la confiance dans la société démocratique tout entière.

2.2. Définitions et pratiques des radiodiffuseurs/médias de service public: principes normatifs et multiples variations

8. Dans le contexte européen, la radiodiffusion de service public (RSP) et sa version multiplateforme numérique, les médias de service public (MSP), sont des institutions centrales dans nombre de sociétés. Les caractéristiques normatives attribuées à la RSP et aux MSP par les principales parties prenantes paraissent plutôt uniformes: l’Union européenne de radio-télévision (UER), la Public Media Alliance (PMA) (l’organisation mondiale de défense des médias publics), de même que le Conseil de l’Europe et l’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), font référence aux principales caractéristiques suivantes:
  • par radiodiffusion de service public et par médias de service public, l’on entend la radiodiffusion et les services connexes déployés, financés et contrôlés par le public et pour le public. Ils sont souvent établis par la loi et sont impartiaux et indépendants et fonctionnent dans l’intérêt de la société en général;
  • ils ne sont ni commerciaux ni propriété de l’État, mais sont libres de toute ingérence politique et de toute pression de la part de forces commerciales;
  • leur production est conçue pour informer, éduquer et divertir tous les publics;
  • ils sont universels en termes de contenu et d’accès;
  • ils sont garants d’une exactitude et de normes journalistiques élevées, et aussi d’une excellence de la radiodiffusion;
  • ils rehaussent la citoyenneté sociale, politique et culturelle, ils promeuvent la diversité ainsi que la cohésion sociale et, enfin, ils servent une démocratie éclairée (le Conseil de l’Europe a noté que ces principes s’appliquent quels que soient les changements à introduire pour répondre aux exigences du XXIe siècle);
  • en outre, l’UER mentionne l’innovation parmi ses valeurs MSP fondamentales, notamment la créativité en termes de formats et de technologies, ainsi que l’interaction avec le public 
			(12) 
			<a href='https://www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-Empowering-Society_FR.pdf'>www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-Empowering-Society_FR.pdf</a>..
9. En réalité, les organismes RSP/MSP en Europe sont assez variés en termes d’arrangements institutionnels, de portée et de budgets 
			(13) 
			Par exemple, <a href='https://en.ejo.ch/media-economics/europes-public-service-media-no-common-strategy'>https://en.ejo.ch/media-economics/europes-public-service-media-no-common-strategy</a> (en anglais).. Les RSP/MSP sont des projets nationaux. Voici ce que révèle une étude récente menée dans neuf pays: en Suisse, en Allemagne et au Royaume-Uni, les MSP dominent le marché de l’audiovisuel. En revanche, l’Ukraine, la Roumanie, le Portugal et l’Italie connaissent une forte concurrence où, à elles deux, la télévision publique et la radio publique représentent moins de 20 % de leurs marchés respectifs 
			(14) 
			<a href='https://en.ejo.ch/media-economics/accountable-and-or-responsible-public-service-media-in-europe'>https://en.ejo.ch/media-economics/accountable-and-or-responsible-public-service-media-in-europe</a> (en anglais)..
10. En Europe, les configurations institutionnelles sont très variables, depuis une BBC multi-chaînes, multiplateforme, multi-projets mondialement présente – souvent considérée comme le modèle de référence pour la radiodiffusion de service public – jusqu’à des organismes indépendants multiples, définis par l’histoire politico-religieuse – qui composent le système de radiodiffusion publique aux Pays-Bas – et jusqu’à des radiodiffuseurs publics assez récemment établis dans la région des Balkans, et qui revêtent encore parfois des caractéristiques de leurs prédécesseurs, les médias d’État 
			(15) 
			Voir, par exemple,
les récentes analyses détaillées sur la situation des Balkans réalisées
par l’Analitika Center for Social Research, <a href='http://www.analitika.ba/publications'>www.analitika.ba/publications</a> (en anglais).. Ainsi, en Bulgarie, Croatie, Roumanie et la République slovaque, les structures de régulation et de gouvernance n’ont pas radicalement libéré les opérateurs de service public du contrôle gouvernemental et politique 
			(16) 
			Psychogiopoulou E.,
Anagnostou D., Craufurd Smith R. et Stolte Y. (2017), Mediadem,
The Freedom and Independence of Public Service Media in Europe:
International Standards and Their Domestic Implementation, International Journal of Communication,
11, 20, <a href='http://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/5965/2017'>http://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/5965/2017</a> (en anglais).. Étant donné leur préférence croissante pour un financement généré par le contribuable, les gouvernements jouissent d’une plus grande influence budgétaire, ce qui, dans certains cas, peut se traduire et s’est traduit par un plus grand contrôle étatique des contenus ou par des possibilités moindres de s’opposer à des menaces telles que désinformation et propagande 
			(17) 
			Voir, par exemple, <a href='https://www.project-syndicate.org/commentary/public-media-loss-of-journalistic-integrity-by-marius-dragomir-2018-03'>www.project-syndicate.org/commentary/public-media-loss-of-journalistic-integrity-by-marius-dragomir-2018-03</a> (en anglais) et <a href='https://www.reuters.com/article/us-denmark-media/denmark-to-scrap-mandatory-public-service-broadcasting-fee-idUSKCN1HC1TR'>www.reuters.com/article/us-denmark-media/denmark-to-scrap-mandatory-public-service-broadcasting-fee-idUSKCN1HC1TR</a> (en anglais).. Au vu de certains faits, il semble que les MSP de droit puissent aussi servir à propager des contenus frôlant la désinformation 
			(18) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2018/apr/13/hungary-journalists-state-tv-network-migrants-viktor-orban-government'>www.theguardian.com/world/2018/apr/13/hungary-journalists-state-tv-network-migrants-viktor-orban-government</a>..
11. Autre défi: la relation entre la radiodiffusion de service public et les médias de service public multiplateformes. Le Conseil de l’Europe a adopté sur les MSP une vision large, tant pour leur programmation que pour leurs plateformes. Il a conclu que les RSP doivent être en mesure de diversifier leurs services via, par exemple, des services à la demande et basés sur l’internet, et il a appelé les MSP à répondre aux attentes du public qui, étant donné les progrès du numérique, veut désormais bénéficier d’un meilleur choix et d’un meilleur contrôle. Cette vision large sur les MSP, l’Union européenne l’a pareillement adoptée 
			(19) 
			Psychogiopoulou
E., Anagnostou D., Craufurd Smith R. et Stolte Y. (2017), op. cit.. Reste que, dès les débuts de la numérisation, plusieurs pays européens ont réagi de différentes manières 
			(20) 
			Aslama M. et Syvertsen
T. (2007), Public Service Broadcasting and New Technologies: Marginalization
or Re-monopolization?, in E. de Bens (dir.), Media
Between Culture and Commerce, Bristol: Intellect Books.: un examen global des radiodiffuseurs (ceux administrés par l’État et ceux de service public) fait apparaître une variété d’orientations de par le monde 
			(21) 
			Tambini
D., Public Service Media, Five Theses on Public Media and Digitization:
From a 56-Country Study, International
Journal of Communication, 9.25, 20, <a href='http://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/5965/2017'>http://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/2795/1370</a> (en anglais).. Encore aujourd’hui, en raison des pressions commerciales au sein des marchés des médias, même dans des pays où les MSP sont bien établis (Danemark, Finlande et Suède, par exemple), les MSP subissent les critiques de concurrents commerciaux les accusant de créer une distorsion du marché, tout particulièrement sur le marché des nouvelles numériques 
			(22) 
			<a href='https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/Digital News Report 2017 web_0.pdf'>https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/Digital%20News%20Report%202017%20web_0.pdf</a> (en anglais); <a href='http://mediapowermonitor.com/content/danish-public-media-loved-people-hated-politicians-0'>http://mediapowermonitor.com/content/danish-public-media-loved-people-hated-politicians-0</a> (en anglais).. En résumé, les directives institutionnelles européennes sont larges et les réalisations européennes des MSP sont variées, en termes de portée et de ressources mais aussi de pressions politiques/commerciales et d’étendue des contenus et services numériques. En particulier, les problèmes causés par des intérêts politiques semblent se multiplier.

3. Comment les médias de service public s’y prennent pour contrer la désinformation: exemples

12. Les défis que pose le désordre informationnel ont été commentés et traités par des organes de presse et, en particulier, par des radiodiffuseurs publics. Depuis les conséquences du vote sur le Brexit au Royaume-Uni, les élections présidentielles de 2016 aux États-Unis et les allégations d’ingérences et de mauvais usage des données, les rédactions n’ont eu cesse de rendre compte de ces phénomènes, mais aussi des affaires européennes et des réponses gouvernementales. Pour lutter contre la désinformation, les organismes médiatiques de service public ne se sont pas contentés de rapporter l’actualité. Selon l’étude 2017 réalisée auprès de 21 membres de l’UER, tous les participants ont estimé que s’attaquer aux «fausses nouvelles» était hautement ou moyennement prioritaire; plus de la moitié d’entre eux planifiaient des activités, et la moitié participait à une initiative mondiale ou locale de vérification des faits ou envisageait d’y participer. Plus de la moitié des organismes considéraient que l’UER pourrait lancer une initiative de ce type 
			(23) 
			ARD, BBC, BR, CT, Channel
4, DR, DW, France Télévisions, HRT, MTVA, NOS, NRK, ORF, RAI, RTP,
RTS, SRF, TF1, VRT, YLE, ZDF et ERNO.. Ci-après figurent des exemples de projets de vérification des faits et d’autres activités visant à lutter contre la désinformation, depuis les contenus de qualité jusqu’à la sensibilisation des jeunes publics via une multiplicité de moyens et plateformes.

3.1. Fournir des pratiques de communication innovantes et de qualité

3.1.1. Programmation engageante et de qualité

13. L’Union européenne de radio-télévision a relevé le défi du numérique avec le projet Vision 2020, créé en 2014 
			(24) 
			<a href='https://www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-Empowering-Society_FR.pdf'>www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-Empowering-Society_FR.pdf</a>.. Ce projet s’attache aux changements apportés par la technologie numérique dans divers secteurs de l’audiovisuel. À partir de cette représentation et de nouvelles recherches sur les enjeux de la numérisation et du journalisme 
			(25) 
			<a href='https://www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-Perfect-Storm_EN.pdf'>www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-Perfect-Storm_EN.pdf</a> (en anglais)., l’UER a défini le «journalisme de qualité» comme l’une de ses priorités stratégiques. Via son Département Médias, l’UER a lancé une initiative visant à positionner les MSP en tant que source de nouvelles la plus sûre, mais aussi pour proposer ces informations sous diverses formes à tous les publics 
			(26) 
			<a href='https://www.ebu.ch/digital-media/fake-news'>www.ebu.ch/digital-media/fake-news</a> (en anglais)..
14. Proposer des nouvelles de qualité est une stratégie commune à de nombreux organismes MSP, mais nécessite une compréhension approfondie et concrète de la «qualité». Une récente conférence multipartite sur les médias de service public en Slovénie organisée par le radiodiffuseur national a fait ressortir le réel intérêt des MSP dans les petits pays. Les MSP ont été décrits comme étant l’une des rares institutions médiatiques stables à devoir lutter contre la manipulation et à fournir aux citoyens des informations crédibles. En Finlande, la nouvelle (2018) académie de journalisme de la radiodiffusion de service public (Yle) privilégie un journalisme de qualité et sa capacité potentielle à contrer le désordre informationnel de l’Yle. À l’heure actuelle, parmi ses principales activités et avec l’aide des différentes unités de l’Yle, l’académie applique un processus stratégique majeur consistant à définir des principes qualité: les caractéristiques du journalisme de l’Yle ainsi que des critères de qualité spécifiques à différentes unités.
15. De même, l’intégrité éditoriale est-elle essentielle dans le cadre d’une radiodiffusion publique tournée vers les jeunes: à la radio-télévision croate, le débat politique «Nedeljom u 2» est extrêmement populaire car il sait se préserver de toute pression politique. D’autres formes de contenu peuvent favoriser qualité et engagement. En Serbie, la radio-télévision a lancé dès 2009 sa chaîne numérique expérimentale «RTS Digital» (aujourd’hui devenue «RTS 3») consacrée à la culture et aux arts. Bien que peu populaire, la chaîne était importante pour le développement interne de RTS: elle offrait l’antenne à ces sujets absents. En octobre 2017, durant la semaine du public, l’émission suisse «Hallo SRF!» a lancé une expérience intéressante de participation du public: 50 citoyens ordinaires étaient invités à prendre part à la production des programmes 
			(27) 
			<a href='http://www.srf.ch/medien/chronik/?v=chronik&c=2017&l=123&pID=97984'>www.srf.ch/medien/chronik/?v=chronik&c=2017&l=123&pID=97984</a> (en allemand)..
16. Conformément aux lignes directrices rédactionnelles de la BBC, BBC News s’engage à atteindre les normes les plus élevées d’exactitude et d’impartialité et à être rigoureuse dans l’établissement de la vérité des faits. Pleinement engagée pour lutter contre la désinformation, la BBC étend actuellement ses projets à l’échelle mondiale, notamment sur des marchés bruyants et chaotiques comme l’Inde et l’Afrique. L’ambition de la compagnie est de faire régner la confiance dans les nouvelles et les actualités diffusées par un radiodiffuseur de service public dans des pays où les médias ne sont pas fiables.
17. Au cœur de toutes les nouvelles de qualité, il y a une tension constante entre, d’une part, la façon de penser rapide et instinctive des journalistes, qui aboutit à la diffusion des sujets rapidement sur les ondes et, d’autre part, une réflexion lente, délibérative et analytique, qui garantit que les informations sont vérifiées, contextualisées et impartiales. C’est pourquoi les journalistes de la BBC parlent aujourd’hui de l’importance de la «lenteur des nouvelles», des nouvelles qui ont plus de profondeur – qui comportent des données, des enquêtes, des analyses et une expertise –, ce qui fournit un contexte et un sens aux nouvelles. Ils respectent des normes éditoriales élevées en vérifiant constamment leurs sources et se rendent compte qu’à une époque où toute erreur est considérée comme la preuve d’une intention d’induire en erreur, les journalistes professionnels doivent redoubler d’efforts pour fournir au public des informations précises et fiables.
18. Quant aux «nouvelles rapides», aux instantanés et aux contenus générés par l’utilisateur plus généralement, diffusés via les médias sociaux, il ne fait aucun doute que cette façon de diffuser des informations a révolutionné la manière dont le grand public fait l’expérience des grands événements médiatiques. Les compagnies comme la BBC ont largement recours à ces matériels dans la mesure où les informations peuvent être vérifiées. Mais les journalistes sont conscients que ces instantanés ne font que capturer une partie de la réalité, alors qu’ils ont pour ambition de couvrir toute la réalité, en révélant les causes tout comme les effets et en aidant le public à découvrir non seulement les faits, mais aussi les raisons et l’importance de tout cela.

3.1.2. Balisage en ligne, applis et autres solutions technologiques

19. Le balisage pour la présence en ligne et mobile est un autre élément essentiel de l’innovation. Pourtant évidente, cette solution ne va pas sans poser certains problèmes. Selon une récente étude (2018) auprès de Yle (Finlande), France Télévisions et Radio France (France), ARD et ZDF (Allemagne), RAI (Italie), Polskie Radio (Pologne) et BBC (Royaume-Uni), les organismes MSP connaissent quelques tensions entre leurs priorités stratégiques, leur mission et leurs impératifs organisationnels et ceux des sociétés plateformes commerciales. Mais ils considèrent aussi les médias sociaux comme un moyen important d’accroître leur portée, surtout auprès des jeunes et autres publics difficiles à toucher 
			(28) 
			<a href='https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/2018-03/sehl_et_al_1803_FINAL_0.pdf'>https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/2018-03/sehl_et_al_1803_FINAL_0.pdf</a> (en anglais)..
20. En général, inclure les services de médias mobiles et sociaux aux nouvelles favorise l’engagement. Ainsi, en Allemagne, «Tagesschau», le principal programme d’actualités diffusé sur la chaîne ARD, possède sa propre application 
			(29) 
			<a href='https://www.tagesschau.de/app/)'>www.tagesschau.de/app/</a> (en allemand)., celle-ci permettant de résumer les nouvelles en 100 secondes 
			(30) 
			<a href='http://www.tagesschau.de/100sekunden/index.html'>www.tagesschau.de/100sekunden/index.html</a> (en allemand).. Le programme utilise Instagram pour une communication vidéo de haute qualité sur des reportages d’actualités 
			(31) 
			<a href='https://www.instagram.com/tagesschau/'>www.instagram.com/tagesschau/</a> (en allemand).. Toujours sur la chaîne ARD, “#kurzerklärt” (#explication brève) est une série vidéo diffusée sur le site web du journal télévisé (Tagesschau) pour donner des explications brèves et claires sur des sujets d’actualité complexes 
			(32) 
			<a href='http://www.tagesschau.de/multimedia/kurzerklaert/index.html'>www.tagesschau.de/multimedia/kurzerklaert/index.html</a> (en allemand).. Un autre exemple est l’application HRTi en Croatie pour toute la production de la chaîne HRT. Au Kosovo, la chaîne RTK a développé une page web populaire (rtklive.com), d’une conception moderne, et de nombreux Albanais vivant en dehors du Kosovo en font leur première source d’information.
21. D’autres solutions technologiques sont utilisées pour renforcer la participation et la qualité. NXG, le projet de prochaine génération mené par la radio suédoise (SR), est une télécommande intelligente qui transporte l’audio sur des réseaux standard au seul moyen d’un smartphone ou d’une tablette 
			(33) 
			<a href='http://sverigesradio.se/sida/artikel.aspx?programid=4042&artikel=6648515'>http://sverigesradio.se/sida/artikel.aspx?programid=4042&artikel=6648515</a> (en anglais).. Avec ce puissant protocole de contrôle à distance et avec une connexion réseau suffisante, NXG permet de diffuser une émission de radio de n’importe où. La solution de production à distance NXG a remporté le prix EBU Technology & Innovation 2017.

3.2. Encourager une réflexion critique sur le désordre informationnel

22. Dans le contexte de la désinformation et de la propagande, de nombreux MSP ne se contentent pas seulement de vérifier la réalité des faits et de dénoncer les histoires fausses, mais ils montrent également comment des faits peuvent être manipulés et comment les statistiques peuvent être utilisées à mauvais escient pour créer des perspectives erronées et trompeuses. Il existe une multitude d’exemples d’organismes MSP qui éduquent les utilisateurs sur les dimensions et la portée du désordre informationnel. Par exemple, la RTVE espagnole a diffusé le documentaire «Guerra a la Mentira» 
			(34) 
			<a href='http://www.rtve.es/television/en-portada/guerra-mentira/'>www.rtve.es/television/en-portada/guerra-mentira/</a> (en espagnol) et <a href='http://lab.rtve.es/webdocs/guerra-mentira/en/'>http://lab.rtve.es/webdocs/guerra-mentira/en/</a> (en anglais). illustrant l’utilisation de la technologie pour lutter contre la propagande de guerre et pour mettre fin à l’impunité des criminels de guerre. Le «RTVE Lab» propose une version interactive du documentaire 
			(35) 
			<a href='http://lab.rtve.es/webdocs/guerra-mentira/es/'>http://lab.rtve.es/webdocs/guerra-mentira/es/</a> (en espagnol).. Dans l’organisme finlandais de radiodiffusion Yle, un jeune reporter a créé une série à financement collectif sur des activités de «trolling» en ligne russes menées en Finlande 
			(36) 
			<a href='http://kioski.yle.fi/omat/my-year-as-a-pro-russia-troll-magnet'>http://kioski.yle.fi/omat/my-year-as-a-pro-russia-troll-magnet</a> (en anglais).. En Allemagne, «Deutsche Welle» consacre une page web spéciale et fort détaillée à la question des «fausses nouvelles» 
			(37) 
			<a href='http://www.dw.com/de/themen/fake-news-krise-der-fakten-krieg-der-meinungen/s-36840487)'>www.dw.com/de/themen/fake-news-krise-der-fakten-krieg-der-meinungen/s-36840487</a>..
23. Des initiatives spécifiques de vérification des faits permettent à la fois de contrôler les informations et de favoriser une prise de conscience. Le service «Reality Check» est le principal service de vérification des faits de la BBC, qui fonctionne aussi bien à la télévision, à la radio, sur le site internet et via les médias sociaux. Ce service vise à contrer les fausses nouvelles et conteste les déclarations faites par des personnalités et institutions publiques qui peuvent être fausses ou trompeuses, et il présente à leur place des faits vérifiables, fournissant également le contexte réel, ce qui change souvent tout le sens d’une histoire. Une équipe de journalistes se consacre spécifiquement à expliquer les faits au-delà des nouvelles et à réfuter les gros titres trompeurs. La BBC a également l’intention de mettre en place, en s'appuyant sur le personnel de tous les secteurs, un réseau d’experts, c’est-à-dire une cellule de renseignement au sein de son «World Service», ainsi que d’investir davantage dans le journalisme de données.
24. La société de radio et de télévision danoise diffuse chaque semaine des vidéos de vérification des faits sur la politique 
			(38) 
			<a href='https://www.dr.dk/tv/se/detektor-tv/detektor-10/detektor-2018-04-26'>www.dr.dk/tv/se/detektor-tv/detektor-10/detektor-2018-04-26</a>.. Quant aux unités allemandes de radiodiffusion de service public, elles hébergent de nombreuses initiatives. Ainsi, la chaîne BR possède une équipe appelée «BR Verifikation». «#ZDFcheck17» est une initiative de vérification des faits destinée à contrer les fausses nouvelles qui circulent sur les médias sociaux 
			(39) 
			<a href='https://presseportal.zdf.de/pressemitteilung/mitteilung/zdf-startet-crossmedialen-zdfcheck17-zur-bundestagswahl/)'>https://presseportal.zdf.de/pressemitteilung/mitteilung/zdf-startet-crossmedialen-zdfcheck17-zur-bundestagswahl/</a>.. «Faktenfinder», site de vérification des faits hébergé par ARD, fournit des contenus spécialisés sur diverses formes de désinformation, expliquant comment y faire face et proposant des tutoriels sur la manière de les reconnaître: le projet vise à lutter contre la défiance grandissante à l’égard des médias 
			(40) 
			<a href='http://faktenfinder.tagesschau.de/index.html)'>http://faktenfinder.tagesschau.de/index.html</a>..

3.3. Développer une communication en ligne ciblée avec les jeunes

3.3.1. Comprendre le journalisme

25. Culture médiatique et éducation aux médias pour les jeunes sont un souci constant de nombreux radiodiffuseurs de service public. Certains, tels RTBF en Belgique, appliquent une politique spéciale en matière de culture médiatique; objectif de leur stratégie officielle, en vigueur depuis 2014: aider le public à accéder à n’importe quel type de plateforme, à l’utiliser et à pouvoir analyser et trier toutes sortes d’informations quelle qu’en soit la provenance – presse, radio, télévision, films, internet et médias sociaux. La stratégie a donné naissance aux projets «RTBF Inside» et «RTBF Lab». «RTBF Inside» propose au public des parcours thématiques qui mettent en lumière les étapes de la fabrication des contenus radio, TV et web, ainsi que les métiers de l’audiovisuel 
			(41) 
			<a href='https://www.rtbf.be/auvio/emissions/detail_rtbf-inside?id=2291'>www.rtbf.be/auvio/emissions/detail_rtbf-inside?id=2291</a>.. Quant aux ateliers interactifs «RTBF Lab», ils proposent des activités expérimentales autour de la production de nouvelles (radio, TV et web) 
			(42) 
			<a href='https://www.rtbf.be/entreprise/article_rtbf-lab?id=8231120'>www.rtbf.be/entreprise/article_rtbf-lab?id=8231120</a>..
26. Pour aider à comprendre le désordre informationnel actuel, certains organismes MSP ont développé différentes boîtes à outils. Ainsi, «France TV Éducation» offre une série de vidéos sur le phénomène 
			(43) 
			<a href='https://education.francetv.fr/tag/fake-news'>https://education.francetv.fr/tag/fake-news</a>. tandis qu’en Suisse, «SRF My School» a publié un module éducatif consacré au «fausses nouvelles» 
			(44) 
			<a href='https://www.srf.ch/sendungen/myschool/fake-news-2'>www.srf.ch/sendungen/myschool/fake-news-2</a> (en allemand).. D’autres organismes privilégient la nature même du journalisme de qualité, la recherche des faits et la confiance, abordant l’éducation aux médias et à l’information selon une approche globale.
27. En Finlande, le projet «Uutisluokka» (catégorie Nouvelles) de l’Yle permet à des étudiants de fabriquer leur propre journal d’actualités aux côtés de journalistes professionnels. Les tuteurs, tous journalistes de la Yle, aident les étudiants à trouver des idées de récits d’actualités et à produire leur propre journal d’actualités et enseignent les principes du bon journalisme. Le projet organise également dans les écoles des ateliers vidéo sur les nouvelles 
			(45) 
			<a href='https://yle.fi/uutiset/osasto/uutisluokka/'>https://yle.fi/uutiset/osasto/uutisluokka/</a>..
28. Des journalistes de la BBC ont dispensé auprès de mille écoles un service de tutorat sous différentes formes – en face à face, en ligne ou dans le cadre d’événements collectifs. Toutes les écoles bénéficient d’un accès gratuit à des supports en ligne – activités de classe, tutoriels vidéo et «BBC iReporter» 
			(46) 
			Ce jeu fait partie
du programme national plus vaste «BBC Young Reporter», qui est un
partenariat entre BBC News, BBC Academy, BBC Sport et BBC Children.
Le projet offre chaque année à 60 000 jeunes la possibilité de faire
des recherches et de produire leurs propres rapports avec l'aide
de tuteurs faisant partie du personnel de la BBC. Au cours de la
journée annuelle «BBC Young Reporter News Day», la BBC fait la promotion
de leurs histoires sur des plateformes et sur le site <a href='http://www.bbc.co.uk/schoolreport'>www.bbc.co.uk/schoolreport</a>.. Ce jeu interactif permet aux joueurs de se mettre dans la peau d’un journaliste de la BBC au cœur d’une rédaction. BBC iReporter fait vivre au joueur une expérience en immersion dans une rédaction, où il doit faire face aux pressions et à la rapidité nécessaires pour couvrir une actualité de dernière minute, tout en maintenant une précision, un impact et une vitesse impeccables et en naviguant à travers les différents pièges tendus par des éléments potentiels de désinformation. Le jeu permet aux élèves d’explorer et de discuter de l’importance de la vérification des sources, des sources auxquelles on peut faire confiance ou non, d’identifier les fausses histoires en développant leur sens critique et leurs compétences en matière d’éducation aux médias, et en comprenant les avantages et les pièges de l’utilisation des médias sociaux pour rassembler des informations. 
			(47) 
			<a href='http://www.bbc.co.uk/academy/en/articles/art20180305143328629'>www.bbc.co.uk/academy/en/articles/art20180305143328629</a>.

3.3.2. Questions d’actualité qui intéressent le public cible via une présence multiplateforme

29. Il semble qu’une présence en ligne, notamment sur les médias sociaux mobiles, soit la solution idéale pour toucher les publics jeunes – réel enjeu pour de nombreux organismes MSP 
			(48) 
			Par
exemple, van Dijk J. et Poell T., (2015), Making Public Television
Social? Public Service Broadcasting and the Challenges of Social
Media, Television & New Media, <a href='https://doi.org/10.1177/1464884917725167'>https://doi.org/10.1177/1527476414527136</a>.. Par exemple, «Yle Kioski», plateforme de contenus pour les jeunes du radiodiffuseur public finlandais, offre des contenus sur son site web, mais aussi sur différents médias sociaux (Instagram, Snapchat et Twitter) et en streaming via «Areena», la plateforme de l’Yle.
30. En Allemagne, des radiodiffuseurs publics proposent aux jeunes un éventail de contenus particulièrement vaste. Côté actualité politique et à l’occasion des élections allemandes, «Deutschlandfunk Nova» a créé en 2017 une série d’interviews non conventionnelles, «Ich würde nie», à l’intention des jeunes électeurs, abordant des sujets politiques intéressant de près ce groupe d’âge 
			(49) 
			<a href='https://www.deutschlandfunknova.de/serien/ich-wuerde-nie-1)'>www.deutschlandfunknova.de/serien/ich-wuerde-nie-1</a>.. La station de radio «DASDING», dirigée par le radiodiffuseur SWR, privilégie les nouvelles locales et les jeunes publics, dans le but d’accroître la participation par des commentaires ou des votes via Whatsapp sur tels ou tels aspects du programme 
			(50) 
			<a href='https://www.dasding.de/'>www.dasding.de/</a>.. De plus, la station de radio numérique «Deutschlandfunk Nova», destinée aux jeunes publics, a enrichi ses offres éditoriales d’un nouveau programme de fin de soirée: «Ab 21» (21+). Ce programme fait davantage de place à la création pour des sujets qui intéressent les jeunes, mais avec des contenus créés et présentés selon les normes de qualité de Deutschlandradio 
			(51) 
			<a href='http://www.deutschlandradio.de/ab-21-deutschlandfunk-nova-sendet-ab-1-maerz-neues.2174.de.html?dram:article_id=411725)'>www.deutschlandradio.de/ab-21-deutschlandfunk-nova-sendet-ab-1-maerz-neues.2174.de.html?dram:article_id=411725</a>.. En 2016, les chaînes allemandes ARD et ZDF ont lancé «Funk», plateforme de contenus de vidéo numérique. Le projet publie des vidéos critiques de divertissement et d’information sur plus de 60 chaînes. Elles sont visibles sur YouTube, Facebook, Instagram et Snapchat, mais aussi sur la plateforme funk.net. L’un des principaux objectifs de Funk est non seulement de fournir des contenus, mais aussi de stimuler la participation du public: les spectateurs sont invités à faire part de leurs idées et commentaires sur les contenus, mais aussi à soulever critiques et questions 
			(52) 
			<a href='https://www.funk.net/'>www.funk.net/</a>..

3.3.3. Attirer un public jeune grâce à la fiction

31. La radiotélévision de Vojvodine, province du nord de la Serbie, a produit une émission satirique, «Državni posao» (emploi de fonctionnaire), très populaire en particulier sur les médias sociaux, sa chaîne YouTube comptant plus d’abonnés que n’importe quel radiodiffuseur public de la région. En Finlande en 2016, la série dramatique «#sekasin» (#messedup) – produit d’une collaboration entre les chaînes de Yle avec des organisations de la société civile travaillant dans le secteur de la santé mentale – a remporté un réel succès, grâce surtout à son service connexe: un dialogue (chat) en direct avec des professionnels de la santé mentale, suivi par un public nombreux.
32. En Norvège, la série web «Skam» (Shame, 2015-2017) diffusée par le radiodiffuseur de service public NRK est peut-être actuellement le programme pour jeunes le plus connu et apprécié. La série suit un groupe d’amis qui fréquente le lycée Hartvig Nissen à Oslo, la capitale. Chaque saison correspond à un trimestre scolaire d’environ 12 semaines et s’attache tour à tour à différents personnages du groupe, en particulier à l’occasion de leurs disputes et conflits liés à toutes sortes de motifs – pression des pairs, abus sexuels, maladie mentale, homosexualité et religion. Chaque personnage (fictif) possède un compte de médias sociaux qui facilite la conversation et le dialogue entre les épisodes. Un public international d’adeptes, composé entre autres de comptes YouTube et Twitter dirigés par des fans, suit fidèlement ces aventures 
			(53) 
			<a href='https://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2017/06/the-norwegian-teen-drama-series-loved-around-the-world/532008/'>www.theatlantic.com/entertainment/archive/2017/06/the-norwegian-teen-drama-series-loved-around-the-world/532008/</a> (en anglais).. La série, qu’on croirait faite pour les médias sociaux («built for social»), a été achetée pour un remake en anglais à diffuser sur la plateforme Facebook Watch 
			(54) 
			<a href='http://deadline.com/2017/10/facebook-watch-skam-shame-remake-simon-fuller-mipcom-1202190370/'>http://deadline.com/2017/10/facebook-watch-skam-shame-remake-simon-fuller-mipcom-1202190370/</a> (en anglais)..

3.3.4. Portée mondiale: le cas de la BBC

33. Compte tenu de ses ressources humaines et budgétaires ainsi que de son excellente réputation et de ses normes professionnelles très élevées, la BBC a aujourd’hui pour ambition de devenir le leader mondial dans la lutte contre la désinformation et la propagande. La BBC met plus particulièrement l’accent sur la sensibilisation au niveau mondial concernant le phénomène du désordre informationnel et la nécessité de coopérer étroitement entre divers médias d’information dans le domaine de la vérification des faits et de l’éducation aux médias.
34. Au fur et à mesure de l’émergence du désordre informationnel, la BBC a étendu à davantage de régions du monde son service de vérification des faits «Reality Check» pour inclure les nouvelles mondiales et les questions d’audience. Cela est particulièrement utile dans la perspective des prochaines grandes élections en Inde et au Nigéria en 2019. La surveillance et l’analyse des déclarations de personnalités et partis politiques constituent une fonction de chien de garde indispensable lors des campagnes électorales. Au-delà des élections, la vérification de nouvelles et la distribution d’informations fiables de qualité sont cruciales, notamment dans le contexte indien, où de fausses rumeurs se répandant à travers des groupes fermés cryptés comme WhatsApp conduisent à la peur des enlèvements d’enfants, des meurtres de rue, etc. Les professionnels de la BBC partagent leur expertise des enquêtes avec des partenaires en Inde et en Afrique, y compris en proposant une formation aux journalistes locaux en matière de techniques de vérification.
35. BBC Monitoring est un autre service qui fait un suivi des médias dans le monde entier et s’occupe entre autres choses d’enquêter sur la désinformation et la propagande au niveau mondial; cela inclut le signalement de diverses tendances et des fausses nouvelles. Basé à Londres, il dispose de bureaux à l’étranger. BBC Monitoring sélectionne et traduit des informations de la radio, de la télévision, de la presse, des agences de presse et d’internet provenant d’environ 150 pays dans plus de 100 langues.
36. De même, la BBC étend ses programmes d’éducation aux médias bien au-delà du Royaume-Uni, notamment dans six régions différentes de l’Inde. Elle se fonde sur le travail qui a déjà été réalisé par l’émission School Report «Real News» au Royaume-Uni, en développant des matériels qui peuvent être déployés au niveau mondial – à travers des ateliers et des ressources en ligne pouvant être utilisées comme matériels dans les salles de classe – pour aider les jeunes à comprendre ce qu’est la désinformation et comment la distinguer des informations fiables.

3.4. Collaborations

37. Pour plusieurs radiodiffuseurs de service public, la stratégie consiste à collaborer avec d’autres fournisseurs de nouvelles ainsi qu’avec des vérificateurs de faits indépendants. En Autriche, la chaîne ORF collabore avec des partenaires par l’entremise de l’Agence de presse autrichienne (APA), dont elle-même et la majorité des journaux quotidiens sont actionnaires 
			(55) 
			<a href='http://orf.at/stories/2386889/2386925/'>http://orf.at/stories/2386889/2386925/</a> (en allemand).. D’autres radiodiffuseurs de service public, tels BR en Allemagne et RAI en Italie, utilisent l’extension de navigateur «FactFox», outil qui gère les commentaires des utilisateurs et y répond. BR se sert de l’outil pour identifier les fausses informations 
			(56) 
			<a href='https://factfox-staging.herokuapp.com/)'>https://factfox-staging.herokuapp.com/</a> (en allemand).. De son côté, pour ses programmes d’informations, la RAI recourt souvent à des organismes de vérification des faits afin de présenter les enquêtes et les données relatives à certains «faits» 
			(57) 
			<a href='https://pagellapolitica.it/progetto/index'>https://pagellapolitica.it/progetto/index</a> (en italien), aussi <a href='https://www.washingtonpost.com/video/national/from-rai-fact-checking-politicians/2017/07/13/038a4a6a-67f4-11e7-94ab-5b1f0ff459df_video.html?utm_term=.ae10ce3ce8a0'>www.washingtonpost.com/video/national/from-rai-fact-checking-politicians/2017/07/13/038a4a6a-67f4-11e7-94ab-5b1f0ff459df_video.html?utm_term=.ae10ce3ce8a0</a> (en anglais)..
38. En Norvège, Faktisk.no, organisation indépendante de vérification des faits, appartient aux sociétés de médias VG, Dagbladet et TV 2 et au radiodiffuseur public NRK 
			(58) 
			<a href='https://www.faktisk.no/'>www.faktisk.no/</a>.. Suivant ce modèle, la télévision suédoise (SVT) et la radio suédoise (SR), ainsi que les deux plus grands quotidiens, Dagens Nyheter et Svenska Dagbladet, ont lancé un projet de collaboration sur des méthodes de vérification des faits et de diffusion des nouvelles durant le mouvement électoral. Le projet devrait durer jusqu’en décembre 2018. Ensemble, les parties prenantes ont déjà organisé un programme de formation à l’intention des journalistes. Les participants collaborent à la méthode de vérification des faits basée sur les directives du réseau IFCN (International Fact Checking Network).
39. Peut-être la collaboration multipartite la plus connue est First Draft, projet basé à l’université de Harvard. Parmi plus de 40 membres, le projet compte des médias commerciaux et publics du monde entier (par exemple, ADF, BBC, France Télévisions, ZDF, Deutsche Welle et Eurovision), des organisations de journalisme à but non lucratif (Global Voices et ProPublica, par exemple) et des plateformes de médias sociaux (Facebook, Twitter, etc.) 
			(59) 
			<a href='https://de.firstdraftnews.org/partners-network/'>https://de.firstdraftnews.org/partners-network/</a> (en allemand).. Outre ses efforts de vérification collaborative des faits – tout particulièrement à l’occasion des élections françaises, avec un projet nommé CrossCheck – et ses contributions à des analyses des phénomènes complexes liés au désordre informationnel (y compris le rapport au Conseil de l’Europe susmentionné), la plus récente intervention du projet s’est traduite par un cours en ligne gratuit pour journalistes et grand public sur l’identification de la désinformation 
			(60) 
			<a href='https://fr.firstdraftnews.org/plus-doutils-pour-lutter-contre-la-desinformation-reseau-academique-et-projet-de-recherche/'>https://fr.firstdraftnews.org/plus-doutils-pour-lutter-contre-la-desinformation-reseau-academique-et-projet-de-recherche/</a>..
40. Les efforts de l’UER en faveur d’une programmation de qualité, de l’innovation et de la culture médiatique 
			(61) 
			L’UER coordonne les
efforts de ses membres dans le cadre d’initiatives sur la culture
numérique et médiatique: <a href='https://www.ebu.ch/fr/contents/news/2012/03/empowering-citizenship-through-m.html'>www.ebu.ch/fr/contents/news/2012/03/empowering-citizenship-through-m.html</a> (en anglais). se traduisent, nature de l’organisation oblige, par des collaborations. Outre ses activités centrales (par exemple, Eurovision News Exchange 
			(62) 
			<a href='https://www.ebu.ch/news-exchange'>www.ebu.ch/news-exchange</a>.), ces collaborations concernent de multiples aspects et domaines – innovation commerciale, notamment en matière de mégadonnées (big data) 
			(63) 
			<a href='https://www.ebu.ch/events/2018/02/big-data-conference-2018'>www.ebu.ch/events/2018/02/big-data-conference-2018</a>., formation et boîtes à outils pour les journalistes, ateliers et autres événements, recherche et, enfin, défense de politiques spécifiques en faveur de médias de qualité à même de contrer la désinformation 
			(64) 
			<a href='https://www.ebu.ch/news/2018/03/ebu-urges-european-policy-makers-to-improve-conditions-for-quality-media-to-fight-fake-news-and-disinformation'>www.ebu.ch/news/2018/03/ebu-urges-european-policy-makers-to-improve-conditions-for-quality-media-to-fight-fake-news-and-disinformation</a>.. Parmi de récents projets, à citer des initiatives innovantes de vérification collaborative des faits et de gouvernance collaborative. En 2017, l’UER a créé un système coopératif de vérification des contenus générés par les utilisateurs, système qui fonctionne en réseau avec de multiples rédactions membres, mais aussi avec d’autres partenaires de nouvelles de qualité, ce qui permet de décentraliser le processus de vérification des faits 
			(65) 
			<a href='https://www.ebu.ch/social-newswire-extending-your-newsrooms-reach'>www.ebu.ch/social-newswire-extending-your-newsrooms-reach</a>.. Une nouvelle initiative collaborative visant à lutter contre la désinformation en ligne, la Journalism Trust Initiative (JTI), a été lancée en avril 2018 par l’UER, ainsi que par les Reporters sans frontières (RSF), l’Agence France Presse (AFP) et le Global Editors Network (GEN). La JTI a pour but de promouvoir le journalisme par l’adhésion à un ensemble de normes de confiance et de transparence qui restent à élaborer et à mettre en œuvre. Ces normes seront établies dans le cadre de l’accord dit «Workshop Agreement», processus concerté sous l’égide du Centre européen de normalisation, ouvert à compter d’avril 2018 aux acteurs concernés du secteur: sociétés de médias, associations et syndicats professionnels, instances d’autorégulation comme les conseils de presse et les organismes de régulation, ainsi que plateformes numériques, annonceurs et représentants des intérêts des consommateurs 
			(66) 
			<a href='https://www.ebu.ch/fr/news/2018/04/ebu-partners-with-rsf-on-journalism-trust-initiative-to-combat-disinformation'>www.ebu.ch/fr/news/2018/04/ebu-partners-with-rsf-on-journalism-trust-initiative-to-combat-disinformation</a>.. Fin avril 2018, l’UER a publié son propre «Document d’orientation «Fausses nouvelles» et désordre informationnel», prônant une approche globale et multipartite du phénomène 
			(67) 
			<a href='https://www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/Position papers/EBU-Position-EN-Fake_News_Disinformation-18.04.2018.pdf'>www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/Position%20papers/EBU-Position-EN-Fake_News_Disinformation-18.04.2018.pdf</a>..
41. Enfin, des collaborations d’un type différent peuvent aussi être utiles: les plateformes de médias sociaux souhaiteront peut-être investir dans des projets d’éducation aux médias développés par certains MSP. Un exemple concret d’une telle collaboration est celui du projet de recherche de la BBC concernant le problème de la désinformation en Inde. Compte tenu de la gravité de cette question dans ce pays, en particulier pendant la période précédant les élections en 2019, Google et Twitter ont soutenu financièrement le projet de recherche de la BBC visant à comprendre la psychologie des personnes qui font circuler la désinformation, synchronisant ensuite cela avec l’analyse des réseaux et fournissant une compréhension globale de la chaîne complète de la désinformation: messages, acteurs et technologies. Cet exemple montre que les géants de la technologie veulent aussi trouver des solutions efficaces au désordre informationnel et peuvent coopérer de manière utile avec les MSP, et éventuellement d’autres acteurs.

4. Conclusion

42. Bien que les documents d’orientation multipartites cités dans ce rapport reconnaissent le rôle clé des médias de service public, ils ne donnent pas de recommandations spécifiques pour les MSP. Les principales actions du Groupe d’experts de haut niveau mis en place par l’Union européenne consisteront à améliorer la transparence des nouvelles en ligne, à promouvoir la maîtrise des médias et de l’information afin de contrer la désinformation, à développer des outils au service des utilisateurs et des journalistes, à s’attaquer à la désinformation et à favoriser un engagement positif avec des technologies de l’information en rapide évolution, à protéger la diversité et la pérennité de l’écosystème des médias d’information européens et, enfin, à promouvoir une recherche permanente sur l’impact de la désinformation en Europe afin d’évaluer les mesures prises 
			(68) 
			<a href='https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/news/final-report-high-level-expert-group-fake-news-and-online-disinformation'>https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/news/final-report-high-level-expert-group-fake-news-and-online-disinformation</a> (en anglais seulement).. Cette liste pourrait être poursuivie en faisant appel à un journalisme de qualité. La diffusion d'informations fiables devrait inclure le développement d'une réflexion lente, délibérative et analytique garantissant que les articles sont vérifiés, contextualisés et impartiaux.
43. Nombre d’organismes MSP favorisent les actions de sensibilisation et la culture médiatique. Certains n’hésitent pas à adopter des outils permettant de vérifier les faits et de créer les collaborations nécessaires. Reste que si les organismes MSP contribuent à la diversité du paysage médiatique européen, beaucoup ont rencontré des difficultés de financement dans leurs pays respectifs, et/ou servent plutôt à la communication politique qu’à la communication publique. C’est là que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, de même que la société civile, doivent apporter un solide soutien. Certes, la recherche et le développement internes forment une activité prépondérante des MSP, mais c’est aussi un domaine où le Conseil de l’Europe peut entreprendre des projets multipartites et participatifs pour aider à mieux comprendre les différents aspects liés au désordre informationnel et à la communication démocratique, mais aussi pour innover en termes de contenus, de formes et de technologie, et ce afin d’aider les MSP dans leur rôle crucial: protéger les systèmes de communication et de médias en Europe.
44. Dans l’environnement médiatique actuel, trois grands aspects concernent non seulement le désordre informationnel mais sont cruciaux pour saisir les opportunités et les limites des organismes MSP qui luttent contre la désinformation.
45. Premièrement, il est nécessaire et urgent d’en savoir plus sur le public et sur la désinformation. En général, les Européens font davantage confiance à la radiodiffusion qu’aux médias en ligne, surtout dans les pays où les MSP sont forts 
			(69) 
			<a href='https://www.ebu.ch/fr/news/2017/05/trust-gap-between-traditional-and-new-media-widening-across-europe'>www.ebu.ch/fr/news/2017/05/trust-gap-between-traditional-and-new-media-widening-across-europe</a>.. Cependant, des différences générationnelles et autres jouent parfois un rôle déterminant en termes de consommation de l’information et de culture médiatique. Par ailleurs, la tendance générale à la défiance vis-à-vis de l’autorité et de l’expertise mérite une analyse bien plus approfondie.
46. Deuxièmement, il est nécessaire de pleinement comprendre et de reconceptualiser le rôle des radiodiffuseurs publics nationaux dans l’écosystème médiatique mondial. Beaucoup voient dans les intermédiaires d’internet le cœur du problème 
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			<a href='https://rsf.org/fr/actualites/lue-sattaque-la-desinformation-au-dela-de-la-reflexion-cest-la-volonte-politique-qui-fera-la'>https://rsf.org/fr/actualites/lue-sattaque-la-desinformation-au-dela-de-la-reflexion-cest-la-volonte-politique-qui-fera-la</a>.. Cependant, d’aucuns partent du principe que les médias sociaux, du fait de leurs possibilités participatives et de leur importance en tant que diffuseurs d’informations et de forums d’engagement public, doivent absolument être soumis à des obligations de service public afin de garantir l’intérêt général de la société 
			(71) 
			Hjarvard
S. (2018), Public Service in the Age
of Social Network Media. In Van den Bulck H., Donders
K., Lowe G.F. (dir.), Public Service Media in the Networked Society, <a href='http://www.nordicom.gu.se/sites/default/files/kapitel-pdf/04_hjarvard.pdf'>www.nordicom.gu.se/sites/default/files/kapitel-pdf/04_hjarvard.pdf</a>.. Aussi il est impératif que les décideurs et les organismes médiatiques nationaux comprennent les enjeux politiques et réglementaires des plateformes mondiales. Toutefois, l’approche «sans frontières» se rencontre aussi dans des solutions multipartites – le projet First Draft en est un parfait exemple.
47. Troisièmement, les organismes MSP se trouvent confrontés à des défis nationaux, que ce soit dans un contexte où les médias d’État se voient transformés en MSP (dans l’ancienne Europe de l’Est, par exemple) ou lorsque des médias d’intérêt public (notamment les MSP, médias associatifs et médias locaux) font face à une dure concurrence commerciale et/ou ont besoin d’être revitalisés. À quoi s’ajoute un autre défi, plus large celui-là: l’émergence d’une tendance caractérisée par des menaces pesant sur l’indépendance des MSP ou de leurs organes de régulation. En conséquence, il est nécessaire de parfaitement comprendre les défis que rencontrent aujourd’hui les MSP, selon une perspective économique-commerciale et politique.
48. Une action essentielle des MSP est de développer diverses initiatives et programmes pour encourager une pensée critique du public à propos et autour du désordre informationnel. Les MSP comme la BBC, France Télévisions, la Corporation danoise de radiodiffusion ou les chaînes ZDF et ARD, ainsi que d’autres médias, développent des initiatives spécifiques de vérification des faits à la fois pour vérifier les informations et pour favoriser la sensibilisation de leurs audiences.
49. La culture médiatique et l’éducation aux médias pour les jeunes sont des éléments indispensables de nombreuses stratégies des MSP. Leur objectif est d’aider le public à accéder à n’importe quel type de plateforme, à l’utiliser et à pouvoir analyser et trier toutes sortes d’informations quelle qu’en soit la provenance – presse, radio, télévision, médias sociaux. Certaines organisations de MSP ont mis au point des outils spéciaux pour aider le public à mieux comprendre le désordre informationnel actuel et à s’y frayer un chemin.
50. Les MSP ont bien compris que, pour atteindre le public des jeunes, ils doivent être présents en ligne et sur les applications mobiles comme Instagram, Snapchat, Twitter, YouTube, etc. L’un des principaux objectifs de cette présence en ligne est non seulement de fournir des contenus, mais aussi de stimuler la participation interactive du public: les spectateurs sont invités à faire part de leurs idées et commentaires sur les contenus, mais aussi à émettre des critiques et à poser des questions.
51. Dans le contexte actuel du désordre informationnel, la plupart des MSP ont pris conscience du fait que les collaborations multipartites avec d’autres fournisseurs de nouvelles, ainsi qu’avec des vérificateurs de faits indépendants, sont absolument cruciales. Des lignes directrices émanant d’entités comme les réseaux International Fact-Checking Network ou First Draft sont extrêmement utiles pour leurs stratégies en vue de contrer la désinformation et la propagande.
52. Enfin, lorsque nous pensons à l’avenir des MSP dans le contexte du désordre informationnel, nous devons envisager des questions importantes comme leur portée, leur durabilité et leur pertinence. Nous devons prendre en considération qu’une compagnie comme la BBC, qui est à l’heure actuelle l’organisation de MSP la plus importante au monde, ne représente qu’un petit acteur par rapport aux nouveaux géants des médias que sont Apple, Facebook, Amazon, Netflix ou Google. Cela devrait être pris en compte dans le dialogue actuel et futur avec les plateformes technologiques concernant la nécessité pour ces dernières de prendre leurs responsabilités en vue de contrer la désinformation en ligne. En outre, les plateformes de médias sociaux peuvent participer de manière utile aux collaborations avec les MSP et d’autres acteurs en soutenant la recherche dans le domaine du désordre informationnel ou encore des projets concrets développés par les MSP pour contrer la désinformation et encourager l’éducation aux médias, comme le montrent les exemples de projets de recherche de la BBC en Inde et en Afrique cités plus haut.