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Réponse à Recommandation | Doc. 14781 | 13 décembre 2018
Problèmes juridiques posés par la guerre hybride et obligations en matière de droits de l’homme
1. Le Comité des Ministres
a examiné attentivement la Recommandation
2130 (2018) «Problèmes juridiques posés par la guerre hybride et
obligations en matière de droits de l’homme». Il l’a communiquée
au Comité directeur pour les droits de l'homme (CDDH), au Comité
de lutte contre le terrorisme (CDCT), au Comité de la Convention
sur la cybercriminalité (TC-Y), au Comité des conseillers juridiques
sur le droit international public (CAHDI) et au Comité directeur
sur les médias et la société de l’information (CDMSI), pour information
et commentaires éventuels.
2. Le Comité des Ministres partage l’inquiétude de l’Assemblée
parlementaire face au phénomène de «guerre hybride» auquel de plus
en plus d’États sont confrontés. Les cyberattaques, les campagnes
de désinformation massive, l’ingérence dans les processus électoraux,
la perturbation des communications et autres réseaux, combinées
à des moyens militaires, constituent une nouvelle forme de menace particulièrement
dangereuse pour la stabilité et la sécurité de nos États. Le Comité
des Ministres convient avec l’Assemblée que, malgré la difficulté
d’appréhender d’un point de vue juridique ce phénomène, les adversaires hybrides
n’opèrent pas dans un vide juridique. En effet, les régimes juridiques
nationaux et internationaux pertinents s’appliquent aux moyens militaires
et non militaires de «guerre hybride». Ainsi, si une action constitue
un conflit armé, international ou non, le droit international humanitaire
s’applique. De même, le droit international des droits de l’homme
s’applique à la fois aux actions militaires et non militaires menées
dans le cadre d'une «guerre hybride», y compris lorsque cela est
pertinent, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme relative aux restrictions aux droits de l’homme.
3. S’agissant de la Convention sur la cybercriminalité (paragraphes
2.5 et 2.6 de la Recommandation), le Comité des Ministres souligne
qu’elle demeure le seul instrument international juridiquement contraignant dans
ce domaine. Pleinement conscient du fait que la lutte contre la
cybercriminalité exige une coopération internationale la plus large
possible, le Comité des Ministres répond généralement favorablement
aux demandes d’adhésion à cette Convention qui lui sont soumises
par des États non-membres du Conseil de l’Europe. Sur les 61 Parties
que compte actuellement la Convention, 18 sont ainsi des États non-membres
du Conseil de l’Europe. Le Comité des Ministres considère par ailleurs
qu’un suivi adéquat du respect des dispositions de la Convention
est effectué de façon régulière par le Comité de la Convention (T-CY),
qui réunit l’ensemble des Parties à la Convention.
4. S’agissant des campagnes de désinformation massive, le Comité
des Ministres attire l’attention de l’Assemblée sur le rapport de
2017 intitulé «Désordres de l’information: vers un cadre interdisciplinaire
pour la recherche et l’élaboration de politiques», préparé à la
demande du CDMSI. Ce rapport fournit une analyse approfondie et
une description des différentes formes de désordres de l'information
(couvrant la «més-dés- et mal-information») et leur utilisation
des plates-formes de médias sociaux. Le rapport traite de leur impact
sur les processus démocratiques et explore des solutions pluridisciplinaires
possibles, y compris le renforcement des médias existants, les projets
d'éducation à l'information et la réglementation. À cet égard, il
est largement admis que le phénomène des désordres de l'information
nécessite une intervention de la part des États.
5. Cela nécessite également la vigilance des intermédiaires d’internet
lorsqu'une telle diffusion d'informations intentionnellement fausses
est réalisée en ligne. Le 7 mars 2018, le Comité des Ministres a
ainsi adopté la Recommandation CM/Rec(2018)2 sur les rôles et les responsabilités des intermédiaires
d’internet, qui définit les conditions de restriction de l'accès
au contenu illégal en ligne, que cette restriction soit fixée par les
lois nationales ou par une décision des autorités judiciaires, ou
résulte de leurs propres politiques de restriction du contenu ou
de codes d'éthique.
6. Le Comité des Ministres souhaite, par ailleurs, mettre en
garde sur le risque de violation de l’article 10 de la Convention
européenne des droits de l’homme (liberté d’expression) lorsque
des mesures sont prises pour contrer des messages intentionnellement
faux mais dont le contenu n’est pas illégal. Pour ce qui concerne ces
cas, les méthodes de vérification des faits visant à identifier
et neutraliser ces messages, associées à un journalisme de qualité
et à un public informé et réactif, peuvent efficacement contrer
les mensonges et la propagande diffusés dans le cyberespace. Le
Conseil de l’Europe soutient ainsi des initiatives visant à développer
les capacités de vérification des utilisateurs pour qu’ils puissent
repérer d’éventuelles fausses informations. Par ailleurs, l’Organisation
encourage les programmes d’éducation à la citoyenneté numérique, aux
médias et à l’information pour tous les groupes d’âge. De plus,
le Comité des Ministres informe l’Assemblée qu’un instrument normatif
visant à promouvoir un environnement favorable au journalisme de qualité
est actuellement en préparation, conformément au mandat qu’il a
donné au CDMSI pour la période 2018-2019.
7. S’agissant des processus électoraux, le Comité des Ministres
rappelle sa Recommandation CM/Rec(2007)15 sur des mesures concernant la couverture des campagnes
électorales par les médias. Cette recommandation fournit des principes
directeurs relatifs à la couverture médiatique des campagnes électorales
dans le respect de l’article 10 de la Convention européenne des
droits de l’homme. Le Comité des Ministres est toutefois conscient
du fait que face à la mutation du paysage médiatique, et notamment
l’arrivée des médias sociaux, les réglementations existantes des
campagnes électorales doivent être adaptées à ce nouvel environnement.
Une étude de 2017 du Conseil de l’Europe relative à «l’utilisation
d’internet dans le cadre des campagnes électorales» a ainsi conclu
que la réglementation actuelle ne peut ni garantir le traitement
équitable des acteurs politiques, ni assurer l’intégrité, l’impartialité
et la légitimité du processus électoral. Cette étude identifie un
certain nombre de domaines dans lesquels des difficultés sont apparues
à la suite de la numérisation des campagnes électorales et propose
de mettre à jour la réglementation dans ce domaine. Le CDMSI a ainsi
fait part au Comité des Ministres de son soutien à une révision
de la Recommandation CM/Rec(2007)15 afin d’y inclure les plates-formes de médias sociaux,
comme recommandé par l’Assemblée (paragraphe 2.2 de la Recommandation).
8. Pour conclure, le Comité des Ministres prend note de la proposition
de l’Assemblée d’envisager une nouvelle convention sur les aspects
non militaires de la «guerre hybride» (paragraphe 2.1 de la Recommandation)
mais considère, au vu du cadre juridique existant et des travaux
en cours au sein des comités compétents, que l’élaboration d’un
tel texte serait à ce stade prématurée. En revanche, il convient
de l’utilité de réviser sa Recommandation CM/Rec(2007)15 en vue d’y inclure les plates-formes de médias sociaux
et charge son Comité directeur sur les médias et la société de l’information
de lui soumettre des propositions à cet égard.