1. Introduction
1.1. Contexte
général
1. L’Islande a déclaré son indépendance
du Danemark en 1944 et est devenue la République d’Islande. La première
mention de l’Islande remonte à environ 874 après J.-C. et son parlement,
l’Althingi, qui est le plus ancien au monde, a été établi en 930
après J.-C. L’industrie de la pêche a été au cœur de l’importante croissance
économique qu’a connue le pays au cours des cent dernières années.
Son économie s’est diversifiée après l’adhésion de l’Islande à l’
Espace
économique européen en 1994, mais le pays a été particulièrement frappé
par la crise financière mondiale de 2008 qui a mis au jour un modèle
économique vulnérable. Cette situation a entraîné une série de changements
économiques, politiques et sociétaux qui ont permis de relancer
l’économie nationale, principalement alimentée par les secteurs
du tourisme et du bâtiment. L’Islande s’est désengagée du plan de
sauvetage du Fonds monétaire international (FMI) en 2011 et a levé ses
contrôles des capitaux au début de l’année 2017. Elle se classe
parmi les pays les plus développés au monde, occupant le 6e rang
sur 189 selon l’indice de développement humain des Nations Unies
et la 4e place sur
156 selon l’indice du bonheur mondial
.
2. L’Islande est une république parlementaire, dont la Constitution
a été adoptée en juin 1944. Le Président est le chef de l’État et
le premier ministre, généralement le dirigeant du parti le plus
important, est le chef du gouvernement. Le parlement, l’Althingi,
est monocaméral. Le Président actuel, Gudni Thorlacius Johannesson,
a été élu en 2016. La même année, le pays a tenu des élections législatives
anticipées et un gouvernement de coalition a été formé entre le
Parti de l’indépendance, le Parti de la Réforme et le parti Avenir radieux,
Bjarni Benediktsson devenant Premier ministre le 11 janvier 2017.
De nouvelles élections ont eu lieu le 28 octobre 2017, en raison
de la dissolution du parlement à la suite d’un abus de confiance
au sein de la coalition au pouvoir
.
1.2. Les
organisations internationales et l’Islande
3. L’Islande est devenue le 12e État
membre du Conseil de l’Europe le 7 mars 1950. Depuis son adhésion, elle
a ratifié 86 conventions du Conseil de l’Europe et a signé 37 conventions
supplémentaires, dont en 2015 le Protocole additionnel à la Convention
du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 217)
.
Quarante-sept requêtes sont actuellement pendantes devant une formation
judiciaire de la Cour européenne des droits de l’homme (au 1er juillet 2018).
Le Comité des Ministres a adopté en 2016 une résolution relative
à l’Islande, aucune en 2017 et deux en 2018. Le pays a signé en
1995 la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
(STE no 157), mais ne l’a pas encore
ratifiée, car elle se considère toujours comme un pays homogène
en termes d’identité.
4. L’Islande n’est pas membre de l’Union européenne, bien qu’elle
fasse partie de l’Espace économique européen (EEE) depuis 1994 et
de l’espace Schengen depuis 2001, ce qui lui permet de participer
à certains programmes et agences de l’Union européenne, notamment
dans les domaines des entreprises, de l’environnement, de l’éducation
et de la recherche. Elle contribue financièrement et à d’autres
titres à la «cohésion sociale et économique» au sein de l’Union
européenne/Espace économique européen, à des missions civiles de
maintien de la paix de l’Union européenne et à la Convention de
Dublin
sur la coopération dans le domaine
de la justice et des affaires intérieures. Malgré cette coopération
étroite, la question de l’adhésion à l’Union européenne reste un
sujet de controverse entre les différents partis politiques, l’Islande
et l’Union européenne ayant officiellement ouvert en 2010 des négociations
d’adhésion. En 2015, le ministre islandais des Affaires étrangères
a adressé à l’Union européenne un courrier de retrait de la candidature d’adhésion
du pays, sans l’approbation de l’Althingi. L’Union européenne a
toutefois déclaré que le pays n’avait pas officiellement retiré
sa demande.
5. Le présent rapport périodique a été établi conformément à
la
Résolution 2018 (2014) et à l’exposé des motifs approuvé par la commission
de suivi le 17 mars 2015. Il repose sur les conclusions les plus
récentes des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, sur les
rapports de l’Assemblée parlementaire et du Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe et, le cas échéant, sur les rapports
et les évaluations d’autres organisations internationales et de
la société civile.
6. Ce rapport, qui ne saurait être exhaustif, analyse l’évolution
de la situation dans le pays au regard des normes du Conseil de
l’Europe. Il porte plus spécifiquement sur les principales questions
que j’ai identifiées, sur la base des développements géopolitiques,
politiques et sociaux ainsi que sur les rapports des organes de suivi.
Il se concentre sur l’évolution de la situation après la crise en
Islande et sur les changements que cette dernière a entraînés dans
la réévaluation de la démocratie, de l’État de droit et des normes
des droits de l’homme. Il se penche aussi sur les questions les
plus importantes en matière de droits de l’homme, pour l’essentiel
la discrimination envers les demandeurs d’asile, les personnes handicapées
et les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes
(LGBTI).
1.3. La
crise financière islandaise 2008-2011
7. La crise financière a plongé
l’Islande dans une profonde récession économique et engendré d’importantes
tensions politiques. Les trois principales banques commerciales
privées du pays ont fait faillite fin 2008, à la suite de difficultés
rencontrées pour refinancer leur dette à court terme et de retraits
massifs de dépôts aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Le Gouvernement
islandais a garanti tous les dépôts des nationaux afin de stabiliser
la situation et a imposé des contrôles stricts des capitaux pour
assurer la stabilisation de la monnaie islandaise. Il a également
contracté des emprunts auprès du FMI et des pays nordiques afin
de couvrir le déficit budgétaire et de financer le redressement
du système bancaire. Le programme international de sauvetage mené
par le FMI a officiellement pris fin en 2011, tandis que les contrôles
des capitaux, mis en place en 2008, ont été levés en mars 2017
.
8. L’économie islandaise a profondément souffert de la crise
financière qui a fait sombrer le pays dans une grave récession économique.
Elle a eu entre autres effets visibles une forte dépréciation de
la monnaie nationale et la baisse de plus de 90 % de la capitalisation
du marché boursier islandais. Le pays a commencé à se redresser
en 2011, enregistrant une croissance positive du PIB qui a contribué
à une diminution progressive du taux de chômage. Par ailleurs, d’après
un rapport de l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE), l’Islande est le pays de l’OCDE où les inégalités
de revenus, après impôts et transferts, sont les plus faibles
.
9. La crise financière a eu des conséquences politiques manifestes,
dont le lancement d’un processus de réforme constitutionnelle. Une
partie de la société islandaise estime que la Constitution de 1944,
susceptible d’être considérée comme un document à vocation provisoire
à la fin de la seconde guerre mondiale, est en partie responsable
de la crise financière qui a frappé l’Islande. Une nouvelle Constitution
serait l’occasion pour le pays de réviser sa loi fondamentale en
consacrant les valeurs démocratiques et l’État de droit grâce à
un processus participatif très transparent. La nouvelle Constitution
proposée, tout en maintenant la forme politique actuelle – une république
parlementaire – renforcerait la participation directe des citoyens
à la prise de décisions au travers d’un ensemble de mécanismes complexes,
et notamment des technologies modernes de communication. Le projet
de nouveau texte constitutionnel a été examiné par la Commission
européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise)
et a suscité un avis mitigé. La Commission de Venise a soulevé deux
questions majeures concernant la révision constitutionnelle. L’une
portait sur le besoin réel d’une telle révision, l’autre concernait
le manque de clarté, de cohérence et de précision de la formulation
qui pourrait conduire à de graves difficultés d’interprétation et
d’application
. Le processus de réforme constitutionnelle
est en suspens depuis 2013, n’ayant pas été voté avant la dissolution
du dernier parlement pour les élections législatives anticipées.
10. Autre conséquence inquiétante: les poursuites pénales engagées
contre le Premier ministre de l’époque, Geir Haarde, pour les incidences
que ses décisions ont eues dans le déclenchement de la crise financière.
Le parlement a créé, en décembre 2008, une commission d’enquête
spéciale, semblable à une «commission de vérité», chargée de recenser
les erreurs commises par les différents acteurs en amont de la crise
financière et de déterminer les moyens d’éviter qu’elles ne se reproduisent
à l’avenir. La commission est parvenue à la conclusion que la crise
avait été causée par des pratiques bancaires douteuses (notamment
une «capitalisation insuffisante», une multiplication des prêts
et des emprunts dont la spirale infernale est devenue hors de contrôle
et des délits d’initié), auxquelles le gouvernement n’avait pas
mis un terme en temps utile. Elle a par ailleurs conclu à la «faute»
des principaux banquiers et de quatre membres du gouvernement: le
Premier ministre, le Vice-Premier ministre et ministre des Affaires
étrangères, le ministre des Finances et le ministre des Affaires
économiques
. En avril 2012,
la Haute Cour a déclaré l’ancien Premier ministre pénalement responsable
de l’un des quatre chefs d’accusation portés à son encontre, à savoir
le manquement à inscrire la crise financière à l’ordre du jour d’une
réunion du Cabinet des ministres. Aucune peine n’a été prononcée. Mais
cette affaire a toutefois suscité des préoccupations quant au système
islandais de contre-pouvoirs. Dans un de ses rapports, la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée
énonce clairement que la démocratie et la prééminence du droit imposent
de protéger efficacement les responsables politiques contre les
poursuites pénales engagées à leur encontre en raison de leurs décisions
politiques. Ces dernières devraient être soumises à la responsabilité
politique et non à des poursuites pénales. L’Avis divergent souligne
le fait qu’en vertu de la Constitution islandaise, les ministres
sont comptables de l’ensemble des actes administratifs. Par conséquent,
la négligence de l’ancien Premier ministre qui a omis d’inscrire
la crise bancaire à l’ordre du jour du Conseil des Ministres ne
constituait pas une atteinte aux «principes directeurs visant à
séparer la responsabilité politique de la responsabilité pénale»
. Le 23 novembre 2017,
la Cour européenne des droits de l’homme a conclu, dans l’affaire
Haarde c. Islande , que
la procédure de destitution engagée contre le requérant n’avait
pas violé l’article 6 ou 7 de la Convention européenne des droits de
l’homme (STE no 5, «la Convention») et
a rejeté son affirmation selon laquelle l’infraction pour laquelle
il avait été condamné n’était pas clairement définie par la loi.
11. La crise financière et ses conséquences immédiates ont également
entraîné la chute du traditionnel quadripartisme islandais
, le soutien aux quatre principaux partis
politiques ayant constamment diminué au fil des élections et de
nouveaux partis remportant un nombre important de sièges au parlement
et au gouvernement.
2. Démocratie
2.1. La
structure institutionnelle, y compris les contre-pouvoirs
12. L’Islande est un pays démocratique
stable dont la bonne gouvernance permet d’assurer le respect des droits
de l’homme, de l’État de droit et des valeurs démocratiques
tant
au plan national que local. Le pays affiche un bilan positif en
ce qui concerne l’efficacité, l’indépendance et la responsabilité
de l’appareil judiciaire et de l’administration publique, y compris
de son système répressif. Il bénéficie également d’une longue expérience
en termes de profond respect des droits de l’homme, à la fois dans
la loi et dans la pratique, sans discrimination aucune.
13. Alors que l’Islande était historiquement en tête de l’indice
de perception de la corruption établi par Transparency International,
ces dernières années, la corruption, en particulier des milieux
financiers et politiques nationaux, est devenue de plus en plus
un sujet d’intérêt public et de controverse
. Ceci a été renforcé
par la crise financière de 2008, laquelle, selon beaucoup d’Islandais,
a notamment été causée par les conflits d'intérêts profondément
enracinés, le clientélisme et les abus de pouvoir
. Si l’étendue de la corruption dans
la société islandaise fait l’objet de débat, les questions de corruption
et d’efficacité de la structure actuelle des contre-pouvoirs ont
pris beaucoup d’importance dans le débat politique national, et
ont notamment contribué à la chute de deux gouvernements successifs
ces dernières années.
14. À la suite de cela, l’Islande a engagé un processus de réforme
constitutionnelle qui visait principalement «à accroître les garanties
démocratiques, à renforcer les contre-pouvoirs, à améliorer le fonctionnement
des institutions de l’État et à mieux définir leurs rôles et compétences
respectifs»
. Il portait également sur les formes
de démocratie directe et un processus expérimental de révision avec
ladite Constitution rédigée par le peuple et remise à l’Althingi
par le Conseil constitutionnel
. La Commission de Venise a été consultée
sur le projet de Constitution et a rendu un avis qui, comme souligné
précédemment, parvient à des conclusions en demi-teinte. Le projet
de loi constitutionnelle a été abandonné par la législature actuelle.
2.2. Les
élections
15. Le Président est élu au suffrage
direct pour un mandat de quatre ans, renouvelable sans limitation,
et joue un rôle en grande partie honorifique, même s’il jouit de
certains pouvoirs constitutionnels. Le candidat qui recueille le
plus grand nombre de suffrages valides au cours d’un scrutin uninominal
à un tour devient Président
.
16. Le parlement monocaméral, l’Althingi, comprend 63 députés
élus au suffrage direct pour un mandat de quatre ans. Huit partis
y sont actuellement représentés
. De nouvelles élections législatives
ont eu lieu le 28 octobre 2017 après le départ du Premier ministre
et la dissolution de la coalition gouvernementale
. Le rapport de la mission d’évaluation
des besoins du Bureau des institutions démocratiques et des droits
de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE/BIDDH)
, daté du 9 octobre, recommandait
le déploiement d’une équipe d’experts électoraux en vue des élections
législatives anticipées du 28 octobre, pour analyser les effets
de l’interaction entre les différents organes chargés de l’administration des
élections sur l’uniformité et la cohérence du processus, mais aussi
pour examiner le contrôle du financement de la campagne. Il convient
toutefois de noter que les élections en Islande se sont déroulées
de manière pluraliste et transparente et que les électeurs ont bénéficié
d’un large choix d’options politiques. Le processus électoral a
été marqué par un profond respect des libertés et des droits fondamentaux
et par une grande confiance dans l’impartialité de l’administration
électorale
..
17. Les femmes sont bien représentées dans la vie politique, le
parlement comptant 38 %
de
députées
. Comme mentionné auparavant, le système
quadripartite traditionnel a récemment été remis en cause. Les jeunes
sont devenus les principaux acteurs de la réorientation du soutien
public aux partis politiques. Pour l’heure, huit partis sont représentés
au Parlement, dont le Parti pirate, qui a obtenu 14,5 % des voix
au scrutin de 2016 et 9,2 % à celui de 2017, ce qui représente une
victoire significative pour un parti anti-establishment. Aux élections
de 2016, les partis autres que les quatre traditionnels ont recueilli
plus de voix que jamais auparavant (38 %). Le scrutin de 2017 a
vu l’entrée de deux nouveaux partis au parlement
bien
que l’un des deux soit né de la scission du Parti du progrès. De
plus, un parti a perdu tous ses sièges au parlement à la suite du
scrutin.
18. La crise financière, conjuguée à une série de scandales impliquant
des responsables politiques au pouvoir, a fait naître un climat
de désillusion générale à l’égard de la politique traditionnelle
et a suscité des manifestations de masse sans précédent. Par ailleurs,
de nouvelles élections ont eu lieu le 28 octobre 2017, faisant suite
aux précédentes élections anticipées tenues un an plus tôt à peine,
en octobre 2016. Le scrutin législatif de 2016 avait été provoqué
par la démission du Premier ministre du Parti du progrès à la suite
de mouvements de protestation de grande ampleur dus à la divulgation
de documents révélant l’existence d’un conflit d’intérêts financiers
potentiel du Premier ministre et de son épouse, lié à une société
offshore, lors de son entrée au parlement en 2009. En 2017, le Premier
ministre a également été contraint de quitter ses fonctions, déclenchant
des élections anticipées, en raison de la rupture de la confiance
au sein de la coalition au pouvoir à la suite d’un scandale impliquant
son père et la «restauration de l’honneur»
d’un
pédophile reconnu coupable. Ces développements ont contribué au
changement du paysage politique islandais, marqué par un faible
taux de participation électorale et un soutien plus important que
jamais aux partis politiques non traditionnels comme le Parti pirate.
2.3. Les
libertés d’expression, des médias et d’association
19. L’Islande est un pays pluraliste
où les libertés d’expression, des médias et d’association constituent
des valeurs sociétales essentielles. Classée à la 15e place
dans le rapport de 2017 de Freedom House sur la liberté de la presse
dans le monde
, le pays jouit d’une presse libre
et stable avec une protection juridique bien définie et un environnement
politique et économique propice. Les journalistes bénéficient d’un
bon statut et aucune agression n’a été signalée à leur encontre.
Comme mentionné dans le récent rapport du GRECO, la plupart des
médias en Islande sont contrôlés par de grands groupes médiatiques,
étroitement connectés à des entreprises mais aussi à des intérêts
politiques dans le pays. Cette situation, conjuguée à l’application
de dispositions juridiques en matière de diffamation, a nui au journalisme
d'investigation indépendant en Islande
.
Plusieurs décisions rendues dans des affaires de diffamation ont
été portées devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui
a conclu à des violations de l’article 10 de la Convention (liberté d’expression)
.
20. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
(ECRI)
du Conseil de l’Europe a constaté
que le racisme est de plus en plus présent et visible dans le discours
public en Islande et qu’il vise principalement les musulmans, comme
dans le reste de l’Europe. Elle a par ailleurs noté une augmentation des
propos haineux sur les réseaux sociaux. Le discours de haine raciste
et le discours de haine homophobe/transphobe sont sanctionnés conformément
à l’article 233 du Code pénal islandais. Plusieurs responsables politiques
ont tenu des propos islamophobes, liant les musulmans au terrorisme,
au lendemain de la décision du Conseil municipal de Reykjavik d’autoriser
la construction de la première mosquée du pays. L’augmentation des
propos haineux sur les réseaux sociaux s’étend également aux communautés
LGBTI. Une base de données a récemment été établie pour surveiller
les discours de haine en ligne et un nouveau poste dédié aux enquêtes
sur les infractions motivées par la haine a été créé au sein des
services répressifs de la région de Reykjavik. À ce jour, aucune
donnée ne fait état d’incident violent fondé sur des motifs de discrimination
en Islande. Dix affaires concernant des propos homophobes sont pendantes
devant les tribunaux de district nationaux.
3. Droits
de l’homme et libertés fondamentales
3.1. Le
cadre des droits de l’homme
21. Dans l’ensemble, la situation
de l’Islande en matière de protection des droits de l’homme et des
libertés fondamentales est satisfaisante, tant en termes de cadre
juridique et normatif que de mise en œuvre. Entre 1956 et 2016,
la Cour européenne des droits de l’homme a prononcé 16 arrêts, concernant
pour la plupart l’article 6 (droit à un procès équitable) et l’article
10 (liberté d’expression) de la Convention. En 2016, 15 requêtes
sur 19 ont été déclarées irrecevables par la Cour.
22. L’Islande compte plusieurs institutions dédiées à la protection
des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont le Médiateur
parlementaire, le bureau du Médiateur pour les enfants, le Centre
pour l’égalité de genre et l’Autorité de protection des données.
Le pays n’a pas d’institution accréditée en tant qu’institution
nationale des droits de l’homme en application des Principes de
Paris des Nations Unies, ensemble de normes internationales qui
encadrent et guident le travail des organismes nationaux chargés
de la protection des droits de l’homme
. Le Centre islandais des droits
de l’homme, institution non gouvernementale indépendante bien que
financée pour l’essentiel par l’État, tient ce rôle, en menant notamment
des activités de recherche, de suivi et de sensibilisation afin
d’améliorer le système national de protection des droits de l’homme.
Plusieurs organisations internationales, dont le Commissaire aux
droits de l’homme, ont souligné l’importance de créer une institution
dotée d’un mandat étendu pour promouvoir les droits de l’homme
.
Il y a actuellement en instance un projet de loi portant création
d’une institution nationale des droits de l’homme, conformément
aux normes internationales, qui serait la structure faîtière en
matière de protection et de promotion des droits de l’homme en Islande
et offrirait un espace collaboratif à tous les acteurs nationaux
dans ce domaine, est actuellement en instance. À la fin de l’année
2016, le ministère de l’Intérieur a communiqué à l’OSCE/BIDDH le
projet de loi pour examen et recommandations
.
23. Malgré sa réputation de nation très inclusive, l’Islande ne
dispose toujours pas d’un cadre législatif complet de lutte contre
la discrimination, ni de mécanismes institutionnels chargés de promouvoir
sa mise en œuvre dans tous les domaines de la vie, pour combattre
notamment le racisme et la discrimination raciale. M. Nils Muižnieks,
le Commissaire aux droits de l’homme, et l’ECRI ont mis en avant
à plusieurs reprises l’urgence pour le pays de mettre en place une
législation anti-discrimination complète
. Il s’agit également d’une
obligation envers l’Union européenne, l’Islande étant tenue d’adopter
l’acquis communautaire européen en vertu de son adhésion à l’Espace
économique européen.
3.2. Les
droits des femmes
24. L’Islande occupe la première
place dans l’édition 2016 du Global Gender Gap Report (Rapport mondial sur
les inégalités entre les femmes et les hommes) du Forum économique
mondial, un rapport qui évalue la situation de l’égalité entre les
femmes et les hommes au plan mondial dans différents domaines comme
la politique, l’éducation, l’emploi et la santé. Les résultats du
pays sont fondés sur ses réalisations en matière d’amélioration
de l’égalité des sexes dans tous les domaines, faisant de l’Islande
un modèle pour les droits des femmes. Cependant, des différences
salariales subsistent entre les hommes et les femmes et celles-ci semblent
encore faiblement représentées aux fonctions dirigeantes en Islande
. Le taux de chômage des femmes reste
supérieur à celui des hommes. Au cours des dix dernières années,
la participation des hommes au marché du travail a diminué tandis
que celle des femmes a augmenté, bien que celles-ci travaillent davantage
à temps partiel.
25. Les élections législatives de 2016 ont vu le plus grand nombre
de femmes au parlement de toute l’histoire, à savoir 30 (48 %).
Ce chiffre a fortement chuté lors du scrutin de 2017 avec un ratio
de 39 hommes pour 24 femmes, soit la plus faible représentation
depuis les élections de 2007. En 2016, les femmes étaient majoritaires
dans trois partis: Avenir radieux, le Parti du progrès et le Mouvement
des verts et de gauche. Cependant, seules trois femmes sont devenues
ministres sur les 11 postes potentiels (27 %)
en 2016. En ce qui concerne la représentation
des femmes au sein du gouvernement actuel, cinq ministres sur onze
sont les femmes
.
26. Plusieurs textes législatifs sur l’égalité de genre ont été
adoptés en Islande au cours des cinq dernières années, notamment
des amendements aux lois relatives aux sociétés prévoyant l’introduction
de quotas de femmes au sein des conseils d’administration
, une
loi sur la protection des victimes de violences commises par des
proches
, des définitions plus
précises des discriminations directes et indirectes, du harcèlement sexuel
ou fondé sur le genre
,
ainsi qu’une loi sur l’interdiction de la discrimination en matière
de produits et de services
.
27. L’Islande s’est dotée d’un nouveau Plan d’action en faveur
de l’égalité pour 2016-2020, qui comprend un chapitre novateur sur
les hommes et l’égalité de genre. Le précédent plan d’action, qui
a expiré en 2014, prévoyait la constitution d’un groupe de travail
composé d’hommes, chargé d’examiner et de présenter un rapport sur
l’égalité des sexes du point de vue de la gente masculine et de
proposer des solutions aux divers problèmes d’inégalités entre les
femmes et les hommes. Ce chapitre a pour objet d’associer davantage d’hommes
à tous les aspects de la politique et de la prise de décision en
matière d’égalité des sexes, tant au niveau national qu’international.
D’autres chapitres portent sur l’intégration d’une perspective de
genre dans tous les aspects de la politique gouvernementale et du
processus décisionnel afin de promouvoir l’égalité de rémunération
pour un même travail, de lutter contre les stéréotypes sexistes
dans le milieu du travail et dans les médias, d’encourager l’égalité
des sexes à l’école et de favoriser une répartition moins inégale
des emplois entre les femmes et les hommes ainsi que l’égalité des
chances pour tous.
28. Des modifications ont été apportées en 2016 au Code pénal
19/1940 afin de satisfaire aux exigences de la Convention du Conseil
de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul»)
,
qui oblige les États à protéger et à soutenir les femmes qui ont
été victimes de violences sexuelles et de mauvais traitements dans
la famille, mais aussi à sensibiliser le grand public, les autorités
et les professionnels aux dangers encourus et à proposer aux auteurs
de tels actes une certaine forme de réhabilitation. Les changements
ont notamment trait au harcèlement, au durcissement des peines en
cas de mauvais traitements dans la famille et à la prolongation du
délai de prescription pour les victimes âgées de moins de 18 ans.
Selon des données récentes, près de 42 % des femmes ont subi des
violences au moins une fois dans leur vie
. Le Département d’État américain souligne
également que la charge de la preuve repose lourdement sur les femmes
dans les affaires de viol. Aucun plan d’action contre la violence
familiale et la violence sexuelle n’est actuellement en vigueur.
Le dernier plan d’action gouvernemental valide dans ce domaine a
expiré à la fin de 2011
.
Le nouveau plan devrait notamment mettre l’accent sur la formation
des policiers, des procureurs et des juges à la prévention de la violence
sexuelle. Les services offerts aux femmes et aux jeunes filles victimes
de violences sexuelle et familiale devront être renforcés et le
plan d’action devra tenir compte des besoins des femmes et des filles immigrées
ou handicapées.
3.3. La
traite des êtres humains
29. L’Islande a ratifié la Convention
du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE
no 197) en février 2012. Le Groupe d’experts
sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) a publié
en 2014 un premier rapport d’évaluation
,
principalement axé sur l’élargissement du champ d’action des autorités
islandaises dans le domaine de la traite des êtres humains de manière
à ne pas limiter la couverture à l’exploitation sexuelle et à y
inclure également l’exploitation par le travail, en particulier
dans la définition de «traite des êtres humains». Cette dernière
devrait également indiquer explicitement «que le consentement d’une
victime à l’exploitation envisagée est indifférent». L’évaluation
comprend aussi des recommandations sur l’intégration, dans les politiques
de lutte contre la traite des êtres humains, de mesures préventives
concernant les enfants non accompagnés, les travailleurs migrants
et les demandeurs d’asile, ainsi que des recommandations visant
à améliorer la collecte de données et à souligner «le caractère multidisciplinaire
de l’identification des victimes et l’importance d’une approche
proactive de la part des acteurs de terrain».
30. En 2013, le gouvernement a mis en œuvre un plan d’action national
contre la traite des êtres humains pour la période 2013-2016, qui
était malheureusement sous-financé
. Il convient d’allouer à la police
des moyens financiers et humains suffisants de manière à renforcer
ses capacités à enquêter sur les cas de traite des personnes et
à faire en sorte que les victimes de la traite obtiennent justice
et soient indemnisées. Il est également nécessaire de mener des
actions de sensibilisation et de formation des professionnels et
du grand public aux questions relatives à la traite, pour garantir
la prévention et une intervention efficace dans les affaires de
traite des êtres humains. Il est par ailleurs recommandé d’associer
activement des acteurs compétents, comme les ONG et les syndicats,
dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques
anti-traite et d’ériger en infraction pénale le fait d’utiliser
des services qui font l’objet d’une exploitation par le travail
en sachant que la personne concernée est victime de la traite.
31. Le dernier rapport du Département d’État américain
sur l’Islande insiste également
sur la vulnérabilité accrue à la traite des Islandais qui ne sont
pas de souche, victimes de discrimination de la part de leurs employeurs.
3.4. La
prévention de la torture et des autres mauvais traitements
32. L’Islande s’est dotée d’un
cadre législatif solide en matière de prévention de la torture et
des autres mauvais traitements. Elle a ratifié la Convention européenne
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (STE no 126) en 1990, et
la dernière visite périodique a eu lieu en 2012.
33. D’après le rapport de 2012 du Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT)
, les personnes détenues par la police
en Islande ne courent guère de risques d’être maltraitées et les
conditions de détention dans les locaux de la police sont généralement
adéquates. En ce qui concerne les établissements pénitentiaires,
la situation est similaire et il n’y a pratiquement aucune allégation
de mauvais traitements physiques délibérés infligés par le personnel
aux détenus.
34. L’Islande ne dispose ni de mécanismes nationaux de prévention
efficaces au sens du Protocole facultatif à la Convention des Nations
Unies contre la torture, ni d’organes de surveillance pour tous
les types de lieux de privation de liberté. Ce rôle est actuellement
assumé par le Médiateur parlementaire, qui n’a pas suffisamment
de ressources financières et humaines pour mener à bien ces tâches
et ne répond de fait qu’aux plaintes individuelles, délaissant toutes
les activités de suivi et de sensibilisation.
3.5. Les
personnes handicapées
35. L’Islande a ratifié la Convention
des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH),
le 24 septembre 2016. Le parlement s’est par ailleurs engagé à ratifier
le Protocole facultatif se rapportant à la Convention d’ici à la
fin de l’année 2017, permettant ainsi les plaintes individuelles
et collectives. Malheureusement, ceci n’a pas encore été fait. Comme
le Commissaire aux droits de l’homme l’a noté, la ratification de
la CDPH intervient dans le contexte d’un «changement de paradigme»
dans la politique islandaise en
matière de handicap, qui passe d’une législation et de politiques
fondées sur l’hypothèse que les personnes handicapées ne sont pas
en mesure d’exercer les mêmes droits que les personnes non handicapées
et axées sur la réadaptation et la sécurité sociale, à une participation
à la société sur un pied d’égalité avec les personnes valides, à
la création d’opportunités pour les personnes handicapées, à la
promotion d’une vie autonome, à l’élimination de la discrimination
et de l’exclusion sociale et à la participation des personnes handicapées
aux processus décisionnels. Un nouveau plan d’action national en faveur
des droits de l’homme devait être présenté au parlement en 2017
.
Cependant, ceci n’aurait pas encore eu lieu.
36. Le Commissaire aux droits de l’homme a également recommandé
comme priorité d’«abolir la privation complète de la capacité juridique
et la tutelle complète de personnes souffrant de handicaps, y compris psychosociaux
et intellectuels». Il s’est également dit préoccupé par la question
de l’hospitalisation d’office et du recours à la contrainte en matière
de soins de santé mentale, qui nécessite des réformes prévoyant
de fixer des critères objectifs n’établissant aucune discrimination
à l’encontre des personnes atteintes d’un handicap psychosocial.
La collecte de données dans ce domaine est également un sujet d’inquiétude,
puisqu’elle est réalisée de manière sporadique, voire pas du tout,
ce qui a une incidence sur l’élaboration des lois et politiques fondées
sur des données probantes. Le problème du consentement totalement
libre et éclairé à un traitement médical est également un domaine
dans lequel des améliorations s’imposent.
37. D’après le dernier rapport sur l’Islande du Département d’État
américain, l’emploi et l’accès aux lieux publics sont d’autres secteurs
dans lesquels les personnes handicapées sont parfois victimes de discrimination.
3.6. Les
droits des personnes LGBTI
38. Les droits des personnes LGBTI
en Islande sont très progressistes. En février 2009, la Première
ministre nouvellement élue, Jóhanna Sigurðardóttir, est devenue
la première chef de gouvernement au monde affichant ouvertement
son homosexualité. En 2010, l’Althingi a modifié la loi islandaise
sur le mariage pour le définir comme étant l’union de deux personnes,
légalisant ainsi le mariage entre personnes de même sexe. En outre, depuis
2006, les couples homosexuels ont accès sur un pied d’égalité à
l’adoption et à la fertilisation in vitro (FIV). Il est donc surprenant
de constater que l’Islande ne respecte pleinement les droits de
l’homme des personnes LBGTI qu’à hauteur de 47 %, se classant ainsi
au 16e rang sur 49 pays
. Cette situation tient essentiellement
au fait qu’en ce qui concerne les indicateurs relatifs à «l’égalité
et [à] la non-discrimination» et à «l’asile», les lois ou politiques
islandaises ayant un impact sur la vie des personnes LGBTI sont
extrêmement rares, voire inexistantes. La recommandation de l’ECRI
concernant l’élaboration d’une législation
complète de lutte contre la discrimination dans tous les domaines
et couvrant tous les motifs, y compris l’orientation sexuelle, l’identité
de genre et l’intersexualité, revêt une importance particulière.
En effet, la législation anti-discrimination islandaise ne comporte
pas encore d’interdiction explicite de la discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle et les caractéristiques
sexuelles, ce qui complique inutilement la protection effective
des droits des personnes LGBTI.
39. Le rapport ILGA Europe Annual Review de 2017 a mis en lumière
un défaut de protection des personnes LGBTI dans la législation
anti-discrimination, des lacunes dans la législation relative aux
infractions motivées par la haine et l’absence de dispositions législatives
ou de mesures positives en matière de demande d’asile. La législation
actuelle continue d’imposer aux personnes transgenres une série
de conditions dissuasives pour accéder à la reconnaissance juridique
du genre, et aucun texte de loi ne protège l’intégrité physique
des personnes intersexes. Le Médiateur pour les enfants avait précédemment
fait part de ses inquiétudes à ce sujet et l’université d’Islande
a organisé, en 2016, un colloque pour examiner les atteintes aux
droits de l’homme dont les personnes intersexes sont victimes.
40. Le discours de haine serait en augmentation en Islande, le
procureur de Reykjavik ayant procédé à des actes d’accusation dans
huit affaires de discours de haine fondés sur l’orientation sexuelle
en 2016. Les accusations reposaient principalement sur des informations
fournies par l’ONG de défense des personnes LGBT, Samtökin 78. Le
harcèlement en milieu scolaire est également un problème qui touche
principalement les jeunes perçus comme appartenant à la communauté
LGBTI.
3.7. Les
droits des migrants et des demandeurs d’asile
41. L’Islande a une longue tradition
d’accueil des réfugiés dans le cadre du programme de réinstallation
du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
À la suite de la crise des réfugiés et des migrants en Europe, elle
a relevé le nombre de réfugiés qu’elle est prête à accueillir. Au
cours de la période 2015-2016, elle a autorisé la réinstallation
d’environ 90 personnes originaires de Syrie au titre du programme susmentionné
du HCR. Un centre multiculturel et d’information, institution publique
qui protège les intérêts des migrants et offre un vaste éventail
de services, est établi à Ísafjörður. Cependant, une telle structure
serait plus utile à Reykjavik, où vit la majorité de la population
et où elle serait plus proche des autres institutions clés. En 2015,
un Conseil ministériel pour les réfugiés et l’asile a été créé en
réponse à la crise des réfugiés et doté d’un budget de 2 milliards
de couronnes pour venir en aide aux réfugiés et aux demandeurs d’asile.
Cela étant, l’Islande ne dispose pas à ce jour d’une politique ou
d’un programme national d’intégration des réfugiés.
42. S’agissant des politiques d’intégration, différents organes
internationaux de suivi, dont ceux du Conseil de l’Europe
, ont
formulé des recommandations que l’Islande devrait prendre en considération.
Le respect du droit au regroupement familial, l’adoption de lois
et de politiques du travail équitables et non discriminatoires visant
tous les services et employeurs, l’accès à une éducation de qualité,
y compris des cours de langue et d’intégration, l’accès à un logement
convenable et à des organismes de promotion de l’égalité et des
cadres juridiques antidiscriminatoires plus efficaces en sont quelques
exemples. En 2016, le nombre de demandeurs d’asile LGBTI ayant sollicité
les services de Samtökin 78, a également considérablement augmenté
(+350 %) par rapport à 2015, mettant en lumière la nécessité de
réviser le cadre législatif et politique de l’asile et d’y inclure
tous les demandeurs d’asile.
43. D’après le Centre islandais des droits de l’homme et le rapport
parallèle de l’Association islandaise des droits des femmes relatif
à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
à l’égard des femmes, la violence à l’égard des femmes immigrées
est un phénomène répandu, bien que peu de recherches lui soient
consacrées. Selon une étude réalisée en 2010 à la demande du ministère
des Affaires sociales, de nombreuses femmes immigrées n’ont pas
connaissance des ressources mises à leur disposition, n’ont pas
les moyens financiers de s’offrir les services d’un interprète et
évitent de demander de l’aide en cas de mauvais traitements par
crainte d’être expulsées
.
44. Selon l’Institut national des statistiques, les migrants représentent
9,6 % de la population islandaise, soit 31 812 personnes sur un
total de 338 349 personnes vivant en Islande
. Les Polonais constituent le contingent
le plus important, avec un effectif de 11 988 personnes, soit 3,5 %
des citoyens. La dernière politique gouvernementale sur l’intégration
des migrants, qui date de 2007, n’a pas eu les effets positifs escomptés.
De nombreux migrants font état de discrimination sur le marché de
l’emploi, les employeurs profitant de leurs connaissances limitées
ou inexistantes de l’islandais, ce qui entraîne des conditions de
travail inéquitables, un risque accru d’accidents du travail, des
difficultés d’apprentissage de la langue nationale et d’accès à
l’information, des abandons scolaires précoces et une exposition
à la traite des êtres humains.
4. État
de droit
4.1. La
lutte contre la corruption et le blanchiment de capitaux
45. L’Islande occupe la 14e place
sur 176 pays dans l’indice de corruption de Transparency International
de 2017. Malgré ce classement globalement très bon, elle a obtenu
77 points, soit un de moins qu’en 2016, et cinq points de moins
qu’en 2012.
46. Le 27 mars 2015, le GRECO a adopté son Rapport de Conformité
dans le cadre du Quatrième Cycle d’Évaluation. Il y a conclu qu’aucune
de ses dix recommandations n’a été mise en œuvre de manière satisfaisante
et que le niveau de conformité de l’Islande est «globalement insatisfaisant»
. En 2016, le GRECO a adopté un Rapport
de Conformité intérimaire dans le cadre de son Quatrième Cycle d’Évaluation, qui
concluait que «l’Islande a pris des mesures crédibles pour mettre
en œuvre les recommandations qu’il avait considérées non mises en
œuvre ou partiellement mises en œuvre dans le Rapport de Conformité
du Quatrième Cycle. Au total, deux des dix recommandations contenues
dans le Rapport d’Évaluation du Quatrième Cycle ont été mises en
œuvre»
et six l’ont été partiellement. Le
8 décembre 2017, le GRECO a adopté son deuxième Rapport de Conformité
sur l’Islande, concluant que le pays avait mis en œuvre de façon satisfaisante
en tout cinq des dix recommandations figurant dans le Rapport d’Évaluation
du Quatrième Cycle. Parmi les recommandations restantes, trois ont
été partiellement mises en œuvre et deux ne l’ont pas été.
47. Un code de conduite des membres de l’Althingi a été adopté
le 16 mars 2016. Il comporte une disposition obligeant les parlementaires
à déclarer les conflits entre leurs intérêts privés et une procédure parlementaire
particulière
. Des réformes positives ont également
été engagées au sein du ministère public, garantissant une plus
grande impartialité et indépendance et la gestion des problèmes
de conflit d’intérêts. Selon l’Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE), l’un des aspects qu’il convient
d’aborder est celui de la législation protégeant les lanceurs d’alerte
qui nécessite des améliorations, concernant en particulier l’anonymat
des lanceurs d’alerte du secteur public et les incitations à signaler
les faits répréhensibles
. Dans son Deuxième Rapport de Conformité,
le GRECO s’est félicité de l’adoption du Code de conduite, mais
a souligné qu’il fallait faire davantage «pour renforcer la transparence,
l’efficacité et la crédibilité du système de déclarations financières
actuel»
.
48. Le 23 mars 2018, le GRECO a adopté son Rapport d’évaluation
sur l’Islande dans le cadre de son Cinquième Cycle d’Évaluation,
axé sur la «Prévention de la corruption et promotion de l’intégrité
au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions de l’exécutif)
et des services répressifs»
. Dans ce document, le GRECO fait
part de la prise de conscience accrue et de l’intolérance croissante
s’agissant de la corruption en Islande, notamment après la crise
financière de 2008 et la chute de deux gouvernements successifs.
Dans ce contexte, il s’étonne que le pays n’ait pas encore élaboré
une stratégie cohérente et une politique pour lutter contre la corruption
et promouvoir l’intégrité au sein des institutions publiques
. Alors que différents codes de conduite
et autres règles d'intégrité ont été adoptés, ils ne sont souvent
pas appliqués de manière crédible, ni utilisés dans la pratique
quotidienne. Par ailleurs, plusieurs domaines, par exemple les contacts
avec des tiers cherchant à influer sur les politiques gouvernementales
et la déclaration systématique de patrimoine et intérêts ne sont
pas, ou pas suffisamment, couverts. En ce qui concerne les services
répressifs, le rapport note avec satisfaction qu’ils font partie
des institutions publiques jouissant des niveaux de confiance les
plus élevés en Islande. Dans le même temps, il constate le manque
de ressources de ces services qui accroît la vulnérabilité de leurs
agents à la corruption et aux conflits d’intérêts, compte tenu notamment
de l’absence d’interdiction pour les policiers d’exercer une activité
accessoire. En vertu de l’organisation actuelle de la police, le
ministre de la Justice est le chef suprême de la police; il nomme
directement le Commissaire de la police nationale ainsi que les
commissaires de police de district qui lui rendent compte. Cette
organisation confère au ministre de la Justice des pouvoirs considérables
ainsi qu’un contrôle direct sur la police et a empêché la mise en
place de structures de contrôle interne et disciplinaires
.
49. Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux,
l’Islande a été le théâtre de plusieurs affaires très médiatisées.
La plus célèbre remonte au mois d’avril 2016, lorsque le Premier
ministre, M. Gunnlaugsson, a démissionné en raison de l’indignation
grandissante suscitée dans l’opinion publique par la détention,
par sa famille, d’un compte offshore. L’Islande s’est dotée d’une
autorité de surveillance financière, qui enquête sur les infractions
commises dans le cadre d’activités financières et dispose de pouvoirs
étendus. Créée en 1999, cette autorité a joué un rôle important
durant la crise de 2008 et s’est vue conférer par le Gouvernement islandais,
en octobre 2008, d’importants pouvoirs supplémentaires sur les institutions
financières nationales. Elle a, elle aussi, fait l’objet de controverses,
et un nouveau directeur a dû être nommé après l’ouverture d’une procédure
pénale contre son prédécesseur qui a par la suite été révoqué par
le conseil d’administration en 2012.
50. L’Islande disposait également d’un Bureau du procureur spécial,
créé au lendemain de la crise financière de 2008 et chargé d’enquêter
sur l’effondrement du système bancaire islandais. Ce bureau a été fermé
en 2015, après l’adoption d’une nouvelle législation par l’Althingi
et le transfert de l’ensemble de ses projets en cours au procureur
de district
. Le nouveau bureau est chargé des
enquêtes et des poursuites dans les affaires de criminalité économique
et du surplus d’affaires du Directeur du Service des enquêtes fiscales et
de la Cellule de renseignement financier.
51. Depuis 1992, l’Islande est membre du Groupe d’action financière
(GAFI)
, qui établit des rapports d’évaluation
mutuelle sur la mise en œuvre de ses normes en matière de lutte
contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
D’après l’évaluation de l’Islande réalisée en 2006, le pays a mis
en place un cadre juridique rigoureux pour lutter contre le blanchiment
de capitaux, même si les sanctions prévues sont légères et le nombre
de condamnations faible
. Le rapport sur le quatrième cycle
d’évaluation a été publié le 6 avril 2018 et a conclu que l’Islande
avait connu d’importantes réformes depuis la dernière évaluation en
2006
.
52. Selon le GAFI
, la législation islandaise
de lutte contre le financement du terrorisme est, dans l’ensemble,
complète, mais n’a pas encore été mise à l’épreuve en situation
concrète. Il y a lieu d’améliorer son système de gel des avoirs
soupçonnés d’être liés au financement du terrorisme. L’Islande dispose
d’un système de coopération interne solide, renforcé par des réseaux
informels de communication au sein du gouvernement. Le cadre de
coopération internationale du pays est également vaste et de façon
générale complet.
4.2. L’indépendance
et l’efficacité du système judiciaire/de justice pénale
53. Le système judiciaire islandais
continue de répondre à des normes élevées en termes d’indépendance et
d’efficacité. L’appareil judiciaire est à trois niveaux et comprend
les tribunaux de district, la Cour suprême, dont les décisions sont
définitives, et depuis le 1er janvier
2018, un tribunal intermédiaire,
le Landsrettur . Le Landsrettur est la juridiction
de deuxième instance devant laquelle les décisions des tribunaux
de district peuvent faire l’objet d’un appel. Il a été mis en place
afin de garantir une justice équitable et de renforcer le rôle de
la Cour suprême d’Islande dans l’établissement de précédents jurisprudenciels
. Il semblerait que la nomination
des juges au Landsrettur ait suscité certaines controverses, le
ministre de la Justice n’ayant pas suivi les recommandations de
la Commission de sélection
. Au total, huit tribunaux de district
traitent des affaires civiles et pénales. Le système islandais compte
également deux juridictions spécialisées: la Haute Cour, qui ne
traite que des allégations de violation de la loi par des membres
du gouvernement, et le Tribunal du travail chargé des conflits juridiques
en vertu de la loi relative aux conflits syndicaux et professionnels.
54. D’après son rapport annuel, la Cour suprême a enregistré 869
affaires et rendu 762 arrêts
. Elle est la plus haute juridiction
d’appel du pays et a compétence nationale. Elle est composée de
neuf juges, dont une seule femme, nommés pour une durée indéterminée
par le Président de la République d’Islande, sur proposition du
ministre de la Justice. Le GRECO et l’Union européenne, dans son
rapport d’activité 2009, ont exprimé leurs préoccupations quant
aux procédures de recrutement des juges
, notamment en ce qui concerne les
nominations au Tribunal du travail. L’absence de conditions préalables
pour occuper un poste de juge au Tribunal du travail et de procédures
de sélection et de nomination du candidat de la Cour suprême au Tribunal
du travail constituent les principaux sujets d’inquiétude. Il appartient
aux autorités islandaises de redoubler d’efforts pour veiller à
la mise en œuvre des recommandations relatives à la nomination des membres
du Tribunal du travail et de celles concernant la divulgation des
intérêts financiers par les membres du parlement.
55. Selon le dernier rapport du Département d’État américain consacré
à l’Islande, le système de justice pénale pose quelques problèmes
en matière de droits de l’homme, s’agissant notamment du placement
de prévenus en détention provisoire avec des personnes condamnées,
de l’obligation de rembourser au gouvernement les services d’un
avocat lorsque les accusés qui ont eu recours à des défenseurs publics
ont été reconnus coupables et de l’utilisation potentielle devant
les tribunaux de preuves obtenues illégalement
.
5. Conclusions
et recommandations
56. Dans l’ensemble, le fonctionnement
des institutions démocratiques en Islande est conforme aux normes du
Conseil de l’Europe. L’Islande respecte globalement ses obligations
de membre découlant de l’adhésion au Conseil de l’Europe. Sur un
plan général, il s’agit d’une démocratie en bonne santé. Cependant,
compte tenu de la taille et de la composition relativement homogène
de sa société, elle a choisi, dans bon nombre de cas, de réglementer
certaines questions au moyen de règles et de dispositions informelles
au sein de la société plutôt qu’au travers de règles et normes précises,
codifiées par la loi. Cette situation a fragilisé le fonctionnement
des institutions démocratiques, s’agissant en particulier du système
de freins et contrepoids. Ces vulnérabilités sont apparues au premier
plan lors de la crise financière qui a frappé l’Islande en 2008
et a conduit au lancement d’un processus de réforme constitutionnelle
visant «à accroître les garanties démocratiques, à renforcer les
contre-pouvoirs, à améliorer le fonctionnement des institutions
de l’État et à mieux définir leurs rôles et compétences respectifs».
Malheureusement, ce processus de réforme semble avoir été interrompu
avant même l’obtention de résultats concrets. La réforme des institutions
démocratiques du pays, en particulier en ce qui concerne le renforcement
du système de contre-pouvoirs, demeure d'une importance capitale.
Par conséquent, je recommande vivement aux autorités islandaises
de concevoir et mettre en œuvre des réformes globales et cohérentes
dans ce domaine, en réactivant le processus de réforme constitutionnelle
ou par le droit commun.
57. La crise financière de 2008 a également mis en exergue la
vulnérabilité des institutions démocratiques et des intérêts financiers
du pays à la corruption et aux conflits d’intérêt. Bien que l’Islande
reste dans le haut du classement de l’indice de perception de la
corruption établi par «Transparency International», la corruption est
devenue de plus en plus un sujet de préoccupation et de débat politique
dans le pays et a contribué à la chute de deux gouvernements successifs
ces dernières années. Dans un tel contexte, l’absence de stratégie cohérente
pour lutter contre la corruption et promouvoir l’intégrité au sein
des institutions publiques, comme l’a noté le GRECO dans son rapport
sur l’Islande entrepris dans le cadre de son Cinquième Cycle d’Évaluation, est
difficilement compréhensible. Je recommande donc aux autorités islandaises
d’élaborer en priorité une stratégie cohérente et globale sur les
questions ayant trait à la corruption et à l'intégrité dans les
institutions publiques, qui prenne pleinement en compte les recommandations
formulées par le GRECO dans ses rapports d’évaluation sur l’Islande
de Quatrième et Cinquième Cycles, et en particulier:
- de développer une stratégie
afin d’améliorer l’intégrité et la gestion des conflits d’intérêts
des personnes occupant de hautes fonctions de l’exécutif au sein
du gouvernement, ainsi que des codes de conduite clairs et harmonisés
à leur intention;
- de revoir les règles concernant les activités accessoires
ainsi que celles encadrant l’emploi après la cessation des fonctions
au sein du gouvernement;
- de garantir le financement approprié des services répressifs
et de définir un processus de nomination et de promotion précis,
transparent, basé sur le mérite et exempt de toute ingérence politique.
58. L’Islande devrait compléter ses acquis en matière de protection
des droits et libertés fondamentaux. La mise en place d’une institution
nationale des droits de l’homme, conformément aux normes internationales, renforcerait
encore ce bilan et est recommandée. Malgré sa réputation de nation
très inclusive, l’Islande ne dispose toujours pas d’un cadre législatif
complet de lutte contre la discrimination, ni de mécanismes institutionnels
chargés de promouvoir sa mise en œuvre dans tous les domaines de
la vie, notamment pour combattre le racisme et la discrimination
raciale. Dans le droit fil des recommandations de l’ECRI et du Commissaire
aux droits de l’homme, je recommande ainsi aux autorités d’élaborer
une législation anti-discrimination complète.
59. L’Islande affiche de bons résultats en matière d’égalité entre
les femmes et les hommes, et le pays est généralement considéré
comme un modèle à suivre. Des inégalités subsistent toutefois, notamment
en ce qui concerne la représentation des femmes aux hautes fonctions
de l’exécutif, et la violence domestique et sexuelle à l’égard des
femmes demeure un sujet de préoccupation qui mérite l’attention
constante des autorités.
60. L’Islande dispose d’un cadre juridique bien développé en ce
qui concerne les droits des personnes LGBTI, qui est toutefois fragilisé
par l’absence déjà évoquée d’une législation complète de lutte contre
la discrimination. Malheureusement, de plus en plus de rapports
font état de propos haineux à l'encontre des personnes LGBTI.