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Résolution 2255 (2019)

Les médias de service public dans le contexte de la désinformation et de la propagande

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 23 janvier 2019 (5e et 6e séances) (voir Doc. 14780, rapport de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, rapporteur: M. Petri Honkonen). Texte adopté par l’Assemblée le 23 janvier 2019 (6e séance).

1. L’Assemblée parlementaire estime que les médias de service public ont une mission indispensable à remplir dans nos sociétés démocratiques. Ils devraient être une tribune pour un débat public pluraliste et un moyen de promouvoir une plus large participation démocratique des individus, ainsi qu’un facteur de cohésion sociale et d’intégration de toutes les personnes, groupes et communautés.
2. L’indépendance éditoriale et institutionnelle, ainsi qu’un financement suffisant et stable constituent les conditions indispensables pour que les médias de service public puissent effectivement remplir leur mission. En retour, les médias de service public devraient fournir un journalisme de haute qualité en mettant l’accent sur les questions d’intérêt public et en présentant au grand public des informations fiables et une diversité d’opinions. Cela est d’autant plus important dans le nouvel environnement médiatique, où la diffusion de la désinformation, de la propagande et du discours de haine augmente de manière exponentielle, en particulier par le biais des médias sociaux.
3. Si le discours de haine peut exiger des poursuites judiciaires, la désinformation, la propagande et plus largement le désordre informationnel – créés par des faits décontextualisés, des sauts de logique et des contre-vérités répétitives – peuvent être plus facilement combattus à l’aide d’informations fiables. Or, les médias commerciaux ne font pas toujours ce travail, en particulier lorsqu’ils appartiennent à des entrepreneurs ayant des liens ou ambitions politiques. Les médias de service public, en tant que sources indépendantes d’informations fiables et de commentaires impartiaux, sont par définition bien placés pour combattre le phénomène du désordre informationnel.
4. Pleinement consciente de la menace que représentent la désinformation, la propagande et d’autres formes de désordre informationnel pour les sociétés démocratiques, l’Assemblée associe sa voix à celles des instances internationales comme les Nations Unies et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui ont reconnu la nécessité de disposer d’écosystèmes médiatiques solides et diversifiés, et ont approuvé le rôle des médias de service public dans la lutte contre la désinformation et la propagande.
5. L’Assemblée est consciente que les médias de service public doivent aujourd’hui relever plusieurs défis. Dans de nombreux États membres, on constate l’émergence d’une tendance caractérisée par des menaces pesant sur l’indépendance des médias de service public ou de leurs organes de régulation. La préférence de nombreux gouvernements pour un financement généré par le contribuable leur confère une plus grande influence budgétaire, qui peut aboutir à un plus grand contrôle étatique des contenus. De plus, en raison des pressions commerciales exercées par les marchés médiatiques, les médias de service public subissent parfois les critiques de concurrents commerciaux les accusant de créer une distorsion du marché des actualités numériques. De même, les médias de service public sont fondamentalement des institutions nationales, ce qui signifie qu’aucun modèle unique ne convient pour lutter contre le désordre informationnel national ou international dans tous les contextes. Tous ces défis risquent d’affaiblir la capacité des médias de service public à combattre la désinformation et la propagande.
6. L’Assemblée estime que, dans l’environnement médiatique actuel, il est nécessaire de disposer de médias de service public solides pour combattre le désordre informationnel. En conséquence, l’Assemblée recommande aux États membres:
6.1. de garantir l’indépendance éditoriale, ainsi qu’un financement suffisant et stable, pour les médias de service public, afin de s’assurer que ces médias sont capables de produire des nouvelles et des informations fiables et précises, et de maintenir un journalisme de qualité qui mérite la confiance du public;
6.2. d’assurer que leurs cadres juridiques nationaux permettent aux médias de service public d’utiliser l’internet et de diffuser en ligne;
6.3. de garantir un financement approprié des médias de service public afin qu’ils puissent allouer des ressources suffisantes à l’innovation en termes de contenus, de formes et de technologie en vue de promouvoir leur rôle en tant qu’acteurs principaux de la lutte contre la désinformation et la propagande, et en tant qu’intervenants cruciaux de la protection des écosystèmes de la communication et des médias en Europe;
6.4. d’éviter le terme de «fausses nouvelles» («fake news»), qui a été excessivement politisé et fréquemment utilisé pour attribuer une étiquette négative aux journalistes et aux organes de presse indépendants émettant des critiques; d’utiliser au lieu de cela – comme recommandé par le Conseil de l’Europe – la notion de «désordre informationnel» pour décrire le contenu, l’objectif et l’étendue de la diffusion d’informations trompeuses;
6.5. de soutenir la recherche sur le désordre informationnel pour mieux comprendre son impact sur le public et d’essayer de trouver des solutions adéquates pour en neutraliser les effets négatifs;
6.6. d’ouvrir un dialogue multipartite sur les obligations de service public des médias sociaux pour en tirer des bénéfices d’intérêt public pour la société, ainsi que de mener des débats sur la question du modèle économique des organisations des médias d’information qui continuent de défendre un journalisme de qualité, mais sont sous pression économique car leurs revenus publicitaires sont éclipsés par les plateformes des médias sociaux;
6.7. de soutenir les collaborations multipartites visant à mettre au point de nouveaux outils de vérification des faits pour les contenus générés par les utilisateurs et de vérification des faits à l'aide de l'intelligence artificielle;
6.8. d’assurer un véritable suivi des recommandations du Groupe d’experts de haut niveau de la Commission européenne sur les fausses nouvelles et la désinformation en ligne, à savoir de créer un réseau de centres de recherche visant à étudier la désinformation afin d’assurer un suivi de l’ampleur, des techniques et outils, de la nature précise et de l’impact potentiel de la désinformation dans la société, d’identifier et de cartographier les sources et mécanismes de la désinformation qui contribuent à son amplification numérique, de fournir un espace sûr pour accéder aux données des plateformes et les analyser, et de mieux comprendre le fonctionnement des algorithmes.
7. L’Assemblée invite les organisations des médias de service public:
7.1. à pleinement mettre en œuvre les lignes directrices et principes éditoriaux proposés par l’Union européenne de radio-télévision pour garantir la qualité et la crédibilité du journalisme, et à agir comme centres nationaux d’informations fiables servant de modèles, en dialoguant avec le public dans toute sa diversité;
7.2. à envisager le fait de lutter contre la désinformation et la propagande comme étant une de leurs missions prioritaires et, à cet égard, à chercher à renforcer leur rôle en établissant des liens avec les plateformes des médias sociaux, les médias traditionnels, les responsables politiques et d’autres acteurs dans le cadre d’une action commune contre le désordre informationnel, et à participer à des partenariats en faveur d’initiatives de vérification des faits à la fois aux niveaux local, régional et mondial;
7.3. à cultiver des points de vue analytiques, à développer des programmes d’actualité et d’éducation afin d’informer le grand public sur l’importance de l’esprit critique à l’égard des sources, de la vérification des faits et des «bulles de filtrage», en expliquant les dommages causés par la désinformation, la propagande et les «actualités alternatives»;
7.4. à attirer le public grâce à la qualité et à l’innovation, en utilisant des contenus en ligne informatifs et créatifs et des plateformes de médias sociaux ayant une plus vaste audience afin de toucher les jeunes et d’autres publics difficiles à atteindre;
7.5. tout en réagissant rapidement aux nouvelles, à développer des sujets de manière lente, délibérative et analytique qui soient vérifiés, replacés dans leur contexte et rapportés de manière impartiale.
8. L’Assemblée invite les intermédiaires d’internet:
8.1. à participer activement aux projets de vérification des faits lancés par le réseau First Draft et International Fact-Checking Network, et à développer des outils spécifiques permettant aux utilisateurs et aux journalistes de déceler la désinformation et de promouvoir un engagement positif à l’aide de technologies de l’information en mutation rapide;
8.2. à coopérer avec les médias d’information européens publics et privés pour améliorer la visibilité d’actualités exactes et fiables, et faciliter l’accès des utilisateurs à celles-ci, ainsi qu’avec la société civile et les organisations spécialisées dans la vérification des contenus afin de garantir l’exactitude de toutes les informations sur les plateformes des médias sociaux.
9. L’Assemblée invite l’Union européenne de radio-télévision à continuer de promouvoir ses lignes directrices et principes éditoriaux et, dans ce contexte:
9.1. à proposer à ses membres des stratégies avancées concernant les diverses manières de lutter contre le désordre informationnel et d’aider le public à développer des capacités critiques et analytiques dans sa consommation de nouvelles;
9.2. à développer davantage, entre ses membres, les initiatives de vérification des faits novatrices et collaboratives et les systèmes de vérification des contenus générés par les utilisateurs, en recherchant des synergies avec d’autres partenaires d’informations de qualité;
9.3. à organiser des ateliers et des formations systématiques pour ses membres sur les techniques de vérification et à encourager l’échange de bonnes pratiques dans le domaine de la lutte contre la désinformation et la propagande;
9.4. à contribuer et à participer activement à des études ciblées portant sur le désordre informationnel.