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Résolution 2256 (2019)

Gouvernance de l’internet et droits de l’homme

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 23 janvier 2019 (6e séance) (voir Doc. 14789, rapport de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, rapporteur: M. Andres Herkel). Texte adopté par l’Assemblée le 23 janvier 2019 (6e séance).Voir également la Recommandation 2144 (2019).

1. L’internet est un bien commun, dont les utilisations influencent de nombreux aspects de la vie au quotidien et touchent aussi la jouissance effective des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’importance de l’internet est telle que le futur de nos sociétés dépend désormais aussi du futur de l’internet. Il est essentiel que l’évolution de l’internet conduise nos sociétés vers plus d’information et de connaissance, d’innovation et de développement durable, de justice sociale et de bien-être collectif, de liberté et de démocratie. Pour atteindre cet objectif, il est impératif d’assurer une protection plus effective des droits de l’homme sur l’internet.
2. Les nombreux textes mûrement réfléchis adoptés en la matière par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe témoignent très clairement de l’importance cruciale que revêtent ces questions. L’Assemblée parlementaire rappelle, entre autres, la Déclaration sur des principes de la gouvernance de l’internet de 2011 et les recommandations suivantes: CM/Rec(2012)3 sur la protection des droits de l’homme dans le contexte des moteurs de recherche; CM/Rec(2012)4 sur la protection des droits de l’homme dans le cadre des services de réseaux sociaux; CM/Rec(2013)1 sur l’égalité entre les femmes et les hommes et les médias; CM/Rec(2014)6 sur un Guide des droits de l’homme pour les utilisateurs d’internet; CM/Rec(2015)6 sur la libre circulation transfrontière des informations sur internet; CM/Rec(2016)1 sur la protection et la promotion du droit à la liberté d’expression et du droit à la vie privée en lien avec la neutralité du réseau; CM/Rec(2016)5 sur la liberté d’internet; CM/Rec(2018)2 sur les rôles et les responsabilités des intermédiaires d’internet; et CM/Rec(2018)7 sur les Lignes directrices relatives au respect, à la protection et à la réalisation des droits de l’enfant dans l’environnement numérique.
3. L’Assemblée reconnaît l’accès universel à internet en tant que principe clé de la gouvernance de l’internet et considère que le droit d’accès sans discrimination à internet est une composante essentielle de toute politique solide visant à promouvoir l’inclusion et à soutenir la cohésion sociale, ainsi qu’un facteur essentiel de développement démocratique et socio-économique durable.
4. L’Assemblée souligne l’importance de garantir le droit à un internet ouvert et de bâtir un écosystème qui sauvegarde la neutralité du Net. Elle note que les acteurs économiques qui contrôlent les systèmes d’exploitation et leurs magasins d’applications peuvent imposer des limitations non justifiées à la liberté d’accès des utilisateurs aux contenus et aux services disponibles en ligne, et que le risque de telles limitations s’accroît avec l'évolution vers des terminaux toujours plus intelligents.
5. L’Assemblée rappelle la nécessité d’assurer une protection effective du droit à la liberté d’expression et d’information, en ligne et hors ligne, ainsi que l’obligation pour les États membres du Conseil de l’Europe de veiller à ce que ce droit, pilier de toute société démocratique, ne soit menacé ni par les pouvoirs publics ni par les opérateurs du secteur privé ou ceux du secteur non gouvernemental. En même temps, il faut faire plus pour contrer les dangers que les abus du droit à la liberté d’expression et d’information sur l’internet engendrent, tels que l’incitation à la discrimination, à la haine et à la violence, ciblant en particulier les femmes ou les minorités ethniques, religieuses, sexuelles ou autres, les contenus prônant l’abus sexuel d’enfants, le cyberharcèlement, la manipulation de l’information et la propagande, ainsi que l’incitation au terrorisme.
6. 6. Cette exigence se double aussi de la nécessité de garantir que l’internet devienne un environnement sécurisé, où les usagers sont à l’abri de l’arbitraire, des menaces, des atteintes à l’intégrité physique et psychique, et des violations de leurs droits. Il faut renforcer la sécurité des bases de données que les institutions publiques ou privées gèrent; des échanges et transactions sur le réseau; des usagers vulnérables, victimes de propos racistes et haineux, de cyberharcèlement ou de toute autre atteinte à leur dignité; des infrastructures stratégiques et des services essentiels qui s’appuient sur l’internet pour leur fonctionnement; et de nos sociétés démocratiques menacées par le cyberterrorisme et la guerre cybernétique.
7. Il faut également renforcer la protection de la vie privée et des données personnelles dans le cyberespace, pour éviter que les technologies qui font désormais partie de notre quotidien deviennent des outils de manipulation des opinions et de contrôle sournois de notre vie privée. À cet égard, l’Assemblée souligne à nouveau la menace que représentent pour les droits de l’homme les systèmes d’envergure mis en place par les services de renseignement en vue de collecter, de conserver et d’analyser à grande échelle les données des communications, et condamne sans réserve les dérives et les abus de pouvoir qui, sous des prétextes sécuritaires, sapent les fondements de la démocratie et de l’État de droit. Par ailleurs, l’Assemblée est préoccupée par le fait que l’intérêt des entreprises privées à avoir un accès aisé au plus grand nombre de données personnelles et à les utiliser librement l’emporte encore sur la protection des utilisateurs d’internet, malgré les avancées significatives dans ce domaine.
8. Pour faire face à ces défis avec succès, il faut œuvrer ensemble plus efficacement. Ainsi, l’Assemblée prône une réflexion critique sur la gouvernance de l’internet et souligne l’importance cruciale de cette question, qui doit être au cœur des politiques publiques tant au niveau national que dans le cadre des relations multilatérales régionales et globales. Il est essentiel que les gouvernements, le secteur privé, la société civile, la communauté universitaire et technique des internautes et les médias continuent d’entretenir un dialogue ouvert et inclusif afin de définir et de concrétiser une vision commune d’une société numérique fondée sur la démocratie, l’État de droit et les libertés et droits fondamentaux. Les plateformes de dialogue telles que le Forum des Nations Unies sur la gouvernance de l’internet (FGI), de portée mondiale, le Dialogue européen sur la gouvernance de l’internet (European Dialogue on Internet Governance-EuroDIG) et le Dialogue européen du Sud-Est sur la gouvernance de l’internet (South Eastern Pan-European Dialogue on Internet Governance-SEEDIG), ainsi que les diverses initiatives nationales, contribuent à favoriser une telle vision commune et une meilleure compréhension des responsabilités et des rôles respectifs des parties prenantes, et elles peuvent jouer le rôle de catalyseur de coopération dans le monde numérique. À cet égard, l’Assemblée salue également la décision prise le 12 juillet 2018 par le Secrétaire général des Nations Unies de créer le Groupe de haut niveau sur la coopération numérique, chargé de présenter les tendances de l’évolution des technologies numériques, de recenser les carences et les perspectives qu’elles recèlent, et de proposer des moyens de renforcer la coopération internationale.
9. Dès lors, l’Assemblée recommande aux États membres du Conseil de l’Europe de mieux centrer leur travail sur la gouvernance de l’internet sur la protection des droits de l’homme, en donnant pleinement application aux recommandations du Comité des Ministres dans ce domaine et, dans ce contexte:
9.1. de mettre en œuvre des politiques nationales d’investissement public cohérentes, avec l’objectif d’un accès universel à l’internet; ces politiques devraient viser en particulier à corriger les déséquilibres géographiques (par exemple entre les zones urbaines et les zones rurales ou isolées), à aplanir le fossé numérique entre les générations et à éradiquer les inégalités de genre, ainsi que d’autres inégalités dues aux différences socio-économiques et culturelles ou à des handicaps;
9.2. d’être actifs dans les instances internationales pour garantir la neutralité du Net et sauvegarder ce principe dans le cadre de la législation nationale, qui devrait, entre autres:
9.2.1. établir clairement le principe de liberté de choix des contenus et applications, quel que soit le terminal;
9.2.2. prévoir le droit des utilisateurs de supprimer des applications préinstallées et d’accéder aisément aux applications proposées par des magasins d’applications alternatifs, avec l’obligation pour les acteurs économiques concernés d’offrir des solutions techniques adéquates à cette fin;
9.2.3. imposer la transparence des critères de référencement et de classement employés par les magasins d’applications et, à cet égard, prévoir la collecte de l’information pertinente auprès des fabricants de terminaux;
9.2.4. prévoir l’enregistrement et le suivi des signalements des utilisateurs finals, ainsi que le développement d’outils de comparaison entre les pratiques des acteurs économiques concernés;
9.3. de réfléchir à des politiques globales de lutte contre la criminalité informatique et contre les abus du droit à la liberté d’expression et d’information sur internet; ces politiques devraient s’appuyer non seulement sur une législation pénale à jour, mais aussi sur le renforcement des moyens de prévention, y compris l’établissement de forces de police spécialisées dans le dépistage et l’identification des criminels informatiques, et dotées de moyens techniques adéquats, la sensibilisation et une meilleure éducation des utilisateurs, ainsi qu’une collaboration accrue avec les opérateurs de l’internet et une responsabilisation plus grande de leur part;
9.4. d’assurer, en même temps, que toute décision ou action nationale entraînant une restriction du droit à la liberté d’expression et d’information est conforme à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et d’éviter que la protection des utilisateurs et les exigences sécuritaires ne deviennent un prétexte pour museler les opinions dissidentes et pour porter atteinte à la liberté des médias;
9.5. de reconnaître et de mettre en œuvre efficacement le principe de la «sécurité dès la conception» et, à cet égard:
9.5.1. d’assurer que la sécurité est un trait fondamental dans la conception de l’architecture principale de l’internet et des infrastructures informatiques des services essentiels, afin de renforcer la résilience vis-à-vis des diverses formes d’attaques terroristes ou criminelles et de réduire le risque et les conséquences potentielles des pannes;
9.5.2. de prévoir des obligations de gestion des risques et de signalement des incidents pour les opérateurs de services essentiels et les fournisseurs de services numériques;
9.5.3. de prôner une coopération européenne et internationale accrue visant à assurer un niveau élevé de sécurité des réseaux et des systèmes d’information;
9.5.4. de promouvoir le développement des normes de sécurité internationales harmonisées concernant «l’internet des objets», y compris la mise en place d’un mécanisme de certification;
9.5.5. de prévoir la responsabilité des entreprises privées (mais aussi, le cas échéant, des autorités publiques) en cas de dommages dus à une sécurité insuffisante des objets connectés qu’elles produisent et commercialisent, et d’introduire des régimes d’assurance obligatoire (entièrement financés par le secteur privé) afin de mutualiser les risques.
10. L’Assemblée souligne que les enfants exigent une protection spécifique en ligne et doivent être éduqués sur la manière d’éviter les dangers et de bénéficier au maximum d’internet. Les États membres du Conseil de l’Europe, avec les autres parties prenantes, doivent tirer entièrement parti de la Recommandation CM/Rec(2018)7 du Comité des Ministres.
11. L’Assemblée considère que la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité (STE no 185, «Convention de Budapest») devrait être mieux utilisée pour améliorer la collaboration interétatique visant à renforcer la cybersécurité. Par conséquent, l’Assemblée appelle les États membres:
11.1. à ratifier la Convention de Budapest, s’ils ne l’ont pas encore fait, et à garantir sa pleine mise en œuvre, en tenant dûment compte des notes d’orientation sur les attaques visant les infrastructures d’information critiques, sur les attaques par déni de service distribué, sur le terrorisme et sur d’autres questions;
11.2. à encourager l’achèvement des négociations sur le deuxième protocole additionnel à la Convention de Budapest sur une coopération internationale renforcée et l’accès aux preuves d’activités criminelles stockées dans le nuage (cloud);
11.3. à renforcer les synergies entre la Convention de Budapest, la Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (STCE no 201, «Convention de Lanzarote») et la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul») pour remédier à la cyberviolence, en suivant les recommandations figurant dans l’Étude cartographique sur la cyberviolence, adoptée par le Comité de la Convention sur la cybercriminalité (T-CY) le 9 juillet 2018;
11.4. à soutenir, et à utiliser au mieux, les programmes de renforcement des capacités menés par le Bureau du programme du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité (C-PROC).
12. L’Assemblée encourage les États membres du Conseil de l’Europe à s’engager avec le Groupe de haut niveau sur la coopération numérique créé par le Secrétaire général des Nations Unies et à contribuer à ses travaux. L’Assemblée recommande aux États membres du Conseil de l’Europe d’œuvrer ensemble pour améliorer, tant au niveau interne qu’au niveau international, les processus de prise de décision sur les questions concernant l’internet, en prônant une gouvernance de l’internet qui soit multipartite et décentralisée, transparente et responsable, collaborative et participative. À cet égard, ils devraient:
12.1. participer activement, y compris avec leurs parlementaires, au FGI, à EuroDIG et à d’autres plateformes de dialogue régionales et nationales sur la gouvernance de l’internet;
12.2. promouvoir le caractère ouvert du processus de prise de décision, afin d’assurer une participation équilibrée des parties qui y ont intérêt, selon des modalités variables en fonction du rôle qui est le leur par rapport aux questions traitées, et rechercher, dans la mesure du possible, des solutions consensuelles, tout en évitant les situations de blocage;
12.3. permettre que les différents groupes d’acteurs puissent administrer eux-mêmes les processus de désignation de leurs représentants, mais exiger que les procédures établies à cette fin soient ouvertes, démocratiques et transparentes;
12.4. encourager une dynamique de recomposition des intérêts au sein des divers groupes de parties prenantes, par exemple par le biais de structures associatives ou fédératives devant respecter les critères d’une démocratie interne; concernant la représentation des usagers, encourager une représentation équilibrée selon les sexes, l’âge, ainsi que l’origine ethnique;
12.5. développer, au niveau national, des mécanismes multipartites qui devraient servir de lien entre les discussions menées à l’échelle locale et les travaux des instances intervenant à l’échelle régionale et mondiale; assurer une bonne coordination et une communication fluide entre ces différents niveaux et favoriser une dynamique qui soit à la fois ascendante (du niveau local au niveau multilatéral) et descendante (du niveau multilatéral au niveau local);
12.6. éviter de concentrer les pouvoirs décisionnels entre les mains des autorités publiques et préserver le rôle des organisations chargées des aspects techniques et des aspects de gestion de l’internet, ainsi que le rôle du secteur privé;
12.7. viser à identifier les centres de décision les plus appropriés en termes d’efficacité, en raison de leur connaissance des problèmes à traiter et de leur capacité d’adapter les solutions aux spécificités des communautés qui doivent assurer leur mise en œuvre, en ayant égard également à une répartition horizontale des compétences décisionnelles entre acteurs de nature différente;
12.8. exiger que tous ceux qui participent à la gouvernance de l’internet assurent la transparence de leur action, celle-ci étant une condition sine qua non d’une gouvernance responsable. À cette fin:
12.8.1. il faut pouvoir identifier quelle responsabilité chacune des parties prenantes assume par rapport à la décision finale et à sa mise en œuvre;
12.8.2. au niveau multilatéral, la communauté des États devrait définir des procédures décisionnelles plus claires, en consultation avec les autres parties prenantes;
12.8.3. le sens des décisions prises devrait être compréhensible pour leurs destinataires et ces décisions devraient être publiques, donc documentées, classifiées et publiées de manière à être aisément accessibles à tous;
12.9. maintenir une attitude proactive pour soutenir les aspects participatif et collaboratif du processus de décision; à cet égard, donner aux partenaires concernés les moyens de participer utilement à la prise de décision et inclure dans ces processus des experts d’autres domaines, au-delà du cercle des professionnels du métier, afin que ces experts puissent également contribuer au développement de l’internet.