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Rapport | Doc. 14834 | 15 février 2019

La valeur du patrimoine culturel dans une société démocratique

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : Lord Alexander DUNDEE, Royaume-Uni, CE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14026, Renvoi 4228 du 24 juin 2016. 2019 - Commission permanente de mars

Résumé

Le patrimoine culturel n’est pas qu’une question de monuments, d’objets conservés dans les musées, ni même de compétences ou de traditions. Dans une société de plus en plus cosmopolite, la culture et le patrimoine ont trait à l’identité. Ils sont des outils indispensables pour trouver des solutions innovantes aux problèmes de nos sociétés. Mais pour ce faire, la culture et le patrimoine doivent faire partie intégrante de la réflexion générale sur les mutations sociales et économiques. Le rapport met en lumière sept défis qui sous-tendent la relation actuelle et future entre la valeur du patrimoine culturel et la démocratie.

Ensemble, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne devraient élever le niveau des activités culturelles de sorte que la culture et le patrimoine soient envisagés sous l’angle des droits de l’homme. Culture et patrimoine sont en effet de puissants outils pour répondre aux défis sociaux et économiques actuels, par leur potentiel immense pour intégrer les personnes qui se sentent marginalisées et encourager le débat public et les projets communs entre des personnes dont les styles de vie, les modes de pensée, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances diffèrent.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 22 janvier
2019.

(open)
1. La diversité culturelle et la richesse du patrimoine culturel sont des atouts importants pour les économies et les sociétés européennes. L’Assemblée parlementaire rappelle la Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE no 199, «Convention de Faro»), qui promeut une vision plus large du patrimoine culturel et de son rapport avec les communautés et la société. Elle souligne aussi l’importance du patrimoine culturel qui est lié non seulement aux économies de la région et aux communautés locales mais aussi aux droits de l’homme et à la démocratie en Europe.
2. Dans la Résolution 2123 (2016) et la Recommandation 2093 (2016) «Culture et démocratie», l’Assemblée élargit la définition de la culture pour englober les traits spirituels, matériels, intellectuels et émotionnels qui caractérisent une société. Le terme inclut non seulement le patrimoine culturel, les arts et les lettres, mais aussi les styles de vie, les modes de pensée et d’action, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. Vue dans ce contexte, la culture devient un outil puissant qui permet d’encourager la pensée critique, de lancer le débat public et de renforcer la pratique démocratique.
3. L’Assemblée considère que la culture et le patrimoine ont un rôle utile à jouer dans les régions et les localités en soutenant leur économie, en améliorant la coopération avec leurs communautés et en inspirant de meilleures solutions plus créatives à leurs problèmes quotidiens, à condition toutefois que les décideurs des secteurs public et privé soient sensibles à leur valeur. L’Assemblée met donc l’accent sur les principes fondamentaux de la Convention de Faro, en précisant qu’ils doivent être largement utilisés et appliqués au niveau local, que ce soit dans les villes ou les zones rurales.
4. Dès lors, l’Assemblée recommande aux États membres du Conseil de l’Europe:
4.1. de signer et de ratifier la Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société, s’ils ne l’ont pas encore fait;
4.2. d’aider les collectivités locales à mettre en œuvre les principes énoncés dans la convention ainsi que dans la Recommandation CM/Rec(2017)1 qui lance la Stratégie pour le patrimoine culturel en Europe au XXIe siècle, et également d’encourager, au niveau national, l’adoption de politiques visant:
4.2.1. à promouvoir un plus grand degré d’inclusion au sein d’un éventail plus large d’expressions pour maximiser la contribution utile de la culture dans l’État;
4.2.2. à orienter plus efficacement la culture et le patrimoine vers l’éducation, l’emploi, l’économie, la recherche et l’innovation, les services sociaux, la santé et le bien-être;
4.2.3. à combiner des stratégies et des actions de développement durable au niveau local dans différents secteurs, qui incarnent un nouvel esprit de coopération afin de surmonter les restrictions trop souvent présentes dans les législations nationales et d’offrir le soutien et les incitations voulues pour déboucher sur des résultats constructifs;
4.2.4. à revoir et à actualiser les programmes d’enseignement et de formation professionnelle de manière qu’ils répondent bien à l’évolution des besoins en matière d’emploi dans le secteur culturel en associant plus étroitement les arts, l’économie, la technologie et la science afin de stimuler une interaction beaucoup plus convaincante entre les technologies, les arts créatifs et l’entrepreneuriat.
5. L’Assemblée recommande donc aux collectivités territoriales:
5.1. d’élaborer des stratégies de développement durable en plaçant en leur centre la culture et le patrimoine;
5.2. de promouvoir une vision positive de la culture et de sa capacité à développer les compétences et les approches novatrices de l’économie;
5.3. de ne pas être victimes de clivages inutiles et arbitraires entre la culture et l’économie;
5.4. de réunir toute une série d’associations et de participants pour convenir d’objectifs de développement local communs;
5.5. d’encourager les partenariats entre l’industrie, les institutions culturelles, les établissements scolaires locaux et les établissements de formation professionnelle de manière à faire participer les jeunes à des projets de réaménagement, en particulier dans des zones défavorisées;
5.6. de persuader les institutions culturelles d’associer davantage de personnes à leurs programmes et d’étudier de nouvelles formes d’engagement au sein de la communauté par l’intermédiaire de leurs services de proximité;
5.7. de faciliter davantage la création d’emplois et de développer les possibilités de renforcement des compétences dans les secteurs de la culture et du patrimoine par des incitations à mettre en place de nouveaux «espaces créatifs», des modules d’éducation à l’échelle locale et des partenariats et des formations efficaces.
6. L’Assemblée rend hommage au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe pour le rôle essentiel qu’il joue, les résultats qu’il a obtenus grâce à la coopération pour faire face aux défis que présente la vie culturelle et démocratique dans les villes et les zones rurales. Pour sa part, l’Assemblée favorisera cette coopération, notamment dans le cadre des quatre distinctions du Prix de l’Europe.
7. À la suite du succès de l’Année européenne du patrimoine culturel de 2018, l’Assemblée invite l’Union européenne à poursuivre sa coopération avec le Conseil de l’Europe dans le cadre du prochain Plan d’action européen pour le patrimoine culturel et du nouvel Agenda européen de la culture, ainsi qu’avec les réseaux et associations de villes aux niveaux européen et international pour promouvoir l’application des principes de Faro dans le cadre de projets locaux et régionaux de développement durable.
8. L’Assemblée invite en outre la Commission européenne à envisager la possibilité de revoir les programmes de financement existants communs à plusieurs directions générales (Politique régionale et urbaine; Éducation, jeunesse, sport et culture (et son Agence exécutive «éducation, audiovisuel et culture»); et Emploi, affaires sociales et inclusion), afin de les coordonner plus efficacement de manière que les projets financés puissent eux-mêmes être plus cohérents et mieux coordonnés pour servir d’exemples de bonnes pratiques à d’autres villes ou régions européennes.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 22 janvier 2019.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution … (2019) sur la valeur du patrimoine culturel dans une société démocratique, considère que la culture et le patrimoine sont aujourd’hui au cœur de la stabilité démocratique en Europe, car ils inspirent et mobilisent les gens. En période d’incertitude ou de déclin économique, ils sont aussi à même de raviver l’espoir, de nourrir l’identité et l’appartenance. L’Assemblée invite donc instamment le Comité des Ministres à consacrer des ressources à la poursuite des travaux sur ce sujet qu’il mène de longue date avec les États membres.
2. La Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE no 199, «Convention de Faro»), la Stratégie européenne du patrimoine pour le XXIe siècle (Stratégie 21), le Programme des Itinéraires culturels du Conseil de l’Europe et les Journées européennes du patrimoine constituent un excellent cadre pour promouvoir le patrimoine culturel, en s’appuyant sur les politiques des États membres dans lesquelles la culture et le patrimoine culturel peuvent être placés au cœur des stratégies de développement durable aux niveaux local et régional.
3. L’Assemblée recommande en conséquence au Comité des Ministres:
3.1. de renforcer le soutien aux programmes existants du Conseil de l’Europe dans le domaine de la culture et du patrimoine culturel, y compris les programmes d’assistance technique, afin de soutenir les autorités publiques dans les États membres avec un examen ciblé de leurs politiques, des conseils juridiques et d’autres initiatives;
3.2. d’améliorer la coopération avec l’Union européenne dans le cadre du prochain plan d’action européen pour le patrimoine culturel et du nouvel agenda de la culture en vue de favoriser l’innovation et de mener, dans le domaine de la culture et du patrimoine culturel, des initiatives tournées vers l’avenir qui visent à renforcer le développement et l’intégration des communautés.
4. L’Assemblée considère que l’élan imprimé par l’Année européenne du patrimoine culturel 2018 est l’occasion de renforcer les partenariats avec l’Union européenne pour nourrir l’ambition dans le domaine culturel de sorte que la culture et le patrimoine deviennent les véritables moteurs du changement dans l’avenir. L’Assemblée invite donc le Comité des Ministres et l’Union européenne à intensifier leurs échanges afin de multiplier leurs projets de coopération visant à promouvoir les valeurs culturelles européennes par des programmes d’assistance technique et le financement de projets locaux et régionaux de développement durable qui mettent en œuvre les principes de la Convention de Faro et la Stratégie pour le patrimoine culturel en Europe au XXIe siècle.

C. Exposé des motifs, par Lord Alexander Dundee, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Dans la proposition de résolution 
			(3) 
			Doc. 14026. Le 19 avril 2016, le Bureau de l’Assemblée a renvoyé
cette proposition de résolution à la commission de la culture, de
la science, de l’éducation et des médias pour rapport., il est indiqué: «La diversité culturelle et la richesse du patrimoine culturel sont des atouts importants pour les économies et les sociétés européennes.» C’est ce que soutient également la Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE no 199, «Convention de Faro») de 2005. Cette affirmation souligne l’importance du patrimoine culturel au sein des démocraties nationales et sa capacité à enrichir la vie quotidienne dans leurs localités et leurs communautés.
2. Le rapport Brundtland 
			(4) 
			Commission
des Nations Unies pour l’environnement et le développement (CMED)
(1987), Our Common Future, Oxford
University Press, Oxford. définit le développement durable comme un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs, et donc la façon de soutenir les nouvelles cultures tout en préservant les anciennes, au bénéfice de tous et en particulier des jeunes. Tel est le thème central du présent rapport.
3. Dans son rapport «Culture et démocratie» 
			(5) 
			Doc. 14070. Voir également Résolution 2123
(2016) et Recommandation 2093
(2016)., Mme Vesna Marjanović examine la grande variété de la «culture» et ce qu’elle signifie réellement; elle indique dans quelle mesure la culture englobe les aspects spirituels, matériels, intellectuels et émotionnels qui caractérisent chaque société. Dans ce cas, le terme inclut non seulement le patrimoine culturel, les arts et les lettres, mais aussi les styles de vie, les modes de penser et d’action, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. Vue dans ce contexte, la culture peut par ailleurs être un outil puissant qui permet d’encourager la pensée critique, de lancer le débat public et de renforcer la pratique démocratique.
4. Ce rapport exhorte les décideurs à adopter les principes fondamentaux de la Convention de Faro au niveau local, afin de stimuler les économies locales et de favoriser le bien-être de leurs communautés.
5. Il identifie également les enjeux et les défis qu’il convient de relever pour bien avancer. Je souhaiterais remercier le professeur Andrew Pratt, responsable du département d’économie culturelle à la London City University, pour son travail utile et sa contribution à cette évaluation. J’ai également pris en compte les conclusions des deux auditions qui ont été organisées par la sous-commission de la culture, de la diversité et du patrimoine le 4 avril 2017 à Aarhus et le 26 mars 2018 à Londres.

2. Patrimoine culturel: la redynamisation des économies et des communautés locales

6. Londres offre deux exemples de réussites: premièrement, l’arrondissement de Hackney où des initiatives privées ont été soutenues par l’administration locale, deuxièmement l’arrondissement de Waltham Forest qui fait maintenant partie d’un projet européen.
7. À Hackney, les conditions ne cessent de se détériorer depuis les années 1970. Il en est probablement de même pour plusieurs autres arrondissements londoniens. En effet, même si de nouveaux emplois ont été créés, les pertes d’emploi liées à la désindustrialisation ont été beaucoup plus nombreuses. Par conséquent, la zone montre clairement des extrêmes, sa population étant divisée entre riches et pauvres, actifs et chômeurs, ou encore travailleurs qualifiés et non qualifiés 
			(6) 
			Gordon
I., Buck N., Hall P., Harloe C. et Kleinman M. (2002). Working Capital: life and labour in contemporary London.
Londres, Routledge; Pratt A.C. (1994). “Industry and employment
in London”. Planning London.
J. Simmie (Ed). Londres, UCL Press: 19-41.. Parallèlement, en l’absence de dirigeants compétents et au bord de la faillite, l’administration locale ne s’est pas acquittée correctement de ses fonctions.
8. Heureusement, toutefois, la situation s’est améliorée depuis lors, principalement grâce à des investissements dans l’art et le patrimoine. Des espaces dédiés aux projets créatifs sont désormais disponibles. Ainsi, ce secteur de Londres (un croissant commençant à Islington et Hackney et s’étendant jusqu’à l’est de Londres) est devenu un épicentre de la production artistique et culturelle. Bon nombre des artistes qui s’y distinguent rayonnent même à l’échelle internationale, bien que certains d’entre eux continuent de survivre avec de faibles revenus et de lutter pour trouver des ateliers dans un premier temps. 
			(7) 
			Ibid.
9. Cependant, le récent succès de Hackney illustre les partenariats constructifs établis entre les entreprises et l’administration locale; il renforce également la conviction selon laquelle le patrimoine culturel peut être utilisé de manière créative afin de stimuler l’emploi dans les communautés ouvertes et cosmopolites de ce quartier de Londres.
10. Cette évolution a changé les attentes des gens sur ce que la culture peut faire. Auparavant souvent considérée comme superflue ou n’offrant qu’un avantage marginal, la culture est aujourd’hui perçue au sein même d’un arrondissement comme Hackney comme une force économique utile et donc précieuse au niveau local, national et international.
11. Contrairement à Hackney, un arrondissement au cœur de Londres, Waltham Forest se situe dans la banlieue nord-est de la ville. Plus loin du centre, cet arrondissement est nettement moins bien loti. Par exemple, il n’existe sur son territoire aucun organisme artistique financé par des fonds publics. En revanche, Islington, à proximité de Hackney, compte 25 institutions qui bénéficient d’un financement public. En outre, bien que la désindustrialisation ait pu fragiliser les économies de nombreux arrondissements de Londres, les plus proches du centre comme Hackney, au moins, ont eu plus de chance de s’en sortir par rapport à d’autres laissés pour compte, comme Waltham Forest.
12. En 2018, le maire de Londres a lancé une initiative inspirée du Programme «Capitale européenne de la culture»: le London Borough of Culture. Waltham Forest est devenu le premier lauréat de ce projet 
			(8) 
			<a href='https://www.london.gov.uk/what-we-do/arts-and-culture/current-culture-projects/london-borough-culture'>www.london.gov.uk/what-we-do/arts-and-culture/current-culture-projects/london-borough-culture</a>.. Ces concours sont souvent utiles. Waltham Forest a été obligé de bâtir son offre culturelle à partir de très peu de choses. Comme nous l’avons déjà dit, c’est parce que cet arrondissement est beaucoup moins aisé que d’autres. Néanmoins, cette disparité certaine s’est révélée être un atout. En effet, l’arrondissement a été poussé à découvrir de nouveaux réseaux, qui n’avaient pas été reliés entre eux précédemment, sans parler d’être associés aux pouvoirs locaux, ainsi que des quartiers qui jusqu’alors ne donnaient pas du tout l’impression d’être des réseaux culturels.
13. En résumé, ces deux exemples de Hackney et Waltham Forest montrent comment les projets culturels peuvent redynamiser des économies et des communautés locales jusque-là coupées de leurs pouvoirs publics, et ainsi remobiliser ceux qui ne croient plus à un gouvernement «top down» (descendant). Ils illustrent également la définition large et le potentiel significatif du patrimoine culturel lui-même pour faciliter la vie quotidienne.

3. Intégrer la culture dans la gouvernance

14. Depuis une dizaine d’années, la contribution de certains domaines culturels et économiques à l’emploi et à la création de revenus au niveau local est reconnue, tout comme leur valeur culturelle 
			(9) 
			Evans G. (2001), Cultural planning: an urban renaissance?,
Londres, Routledge..
15. Cette nouvelle forme de culture hybride, qui englobe le patrimoine et les industries de la création, peut néanmoins être problématique pour le secteur à but lucratif comme pour le secteur à but non lucratif.
16. Alors que les services culturels des collectivités locales voient leurs effectifs et leurs budgets réduits 
			(10) 
			Pratt A.C. (2015).
Resilience, locality and the cultural economy. City, Culture and Society 6(3):
61-67. Pratt A.C. (2017). Beyond Resilience: Learning from the cultural
economy. European Planning Studies 25(1):
127-139., la culture est à bien des égards plus dynamique, grâce au soutien de financements privés et de programmes mis en œuvre dans d’autres secteurs comme la santé, les transports et le développement économique, ainsi que par divers organismes. L’objectif est de préserver une vision stratégique cohérente pour la culture, malgré sa dimension multisectorielle.
17. Le programme des «Capitales européennes de la culture» est peut-être l’initiative la plus connue jamais lancée par la Commission européenne dans le domaine de la régénération urbaine et de la culture. Tout avait pourtant commencé par une simple célébration de la diversité des cultures européennes représentées par les villes. Depuis sa création en 1985, le programme a suscité un important développement de la culture 
			(11) 
			<a href='https://ec.europa.eu/programmes/creative-europe/actions/capitals-culture_fr'>https://ec.europa.eu/programmes/creative-europe/actions/capitals-culture_fr</a>.. En témoigne la manière dont les localités et les communautés adaptent et redéfinissent actuellement leurs propres identités culturelles.
18. Au début, l’événement passait d’un lieu à un autre, pour que différentes cultures locales puissent être mises en valeur. C’est aussi l’occasion de montrer la force et la diversité de la culture européenne: en choisissant une région à la fois, où les initiatives sont regroupées et financées. L’événement, dont la portée a récemment été étendue, attire maintenant davantage encore de participants et de visiteurs. Il s’accompagne désormais aussi d’événements organisés par les collectivités locales. Ainsi, bien que la durée des initiatives européennes reste de six mois par an, les villes les reprennent souvent pour lancer un projet à plus long terme. De plus en plus, l’accent ne porte plus uniquement sur la célébration du patrimoine historique, mais porte aussi sur le développement de nouvelles identités culturelles liées à la fois au passé et à l’avenir. De fait, il est devenu assez habituel que les nouveaux programmes expriment différents types de pratiques culturelles. Ils parviennent aussi à les relier à des activités autour de thèmes «non culturels» comme la santé, les transports, le développement économique et le logement.
19. Les critiques du programme des Capitales européennes de la culture ont souligné les éléments qui ont contribué à son succès. Premièrement, le processus de soumission des projets, qui a beaucoup plus à offrir qu’avant – car c’est bon pour la collectivité et pour la société. Le nombre d’acteurs impliqués est beaucoup plus important. À cela s’ajoute la fixation d’une date limite. Même les soumissionnaires non retenus sont gagnants, car le processus conduit à d'autres projets. Deuxièmement, et en relation avec ce qui précède, les possibilités de mettre en réseau tous les secteurs de la culture traditionnelle et de la culture moderne sont réelles. Troisièmement, l’intégration de l’art dans les Capitales européennes de la culture a permis à de nombreuses villes de gagner en réputation et en assurance, grâce à de nouvelles collaborations, capacités et ambitions. Quatrièmement enfin, même si une part de l’expertise vient de l'extérieur, les participants constatent dans l'ensemble que l’énergie et l'inspiration sont à portée de main – eux-mêmes sont sortis de leur propre zone de confort – appartenance, identité et compétence – pour se connecter à l’ensemble de la communauté.
20. Si on regarde les évaluations 
			(12) 
			Voir Palmer-Rae Associates
(2004), Les Capitales et Villes européennes de la culture, Bruxelles. des projets menés dans le cadre des Capitales européennes de la culture, on découvre que les administrations centrales ont une approche positive «rafraîchissante» et la capacité de changer d’orientation pour s’adapter aux souhaits de la population locale. Cette ouverture d’esprit a contribué au développement du programme. Il existe désormais des archives qui montrent la diversité des expériences de chaque manifestation des Capitales européennes de la culture et montrent comment la culture est devenue source de transformation sociale, culturelle et économique. Ce «réseau d'apprentissage» des villes est devenu un modèle que l’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) utilise aujourd'hui pour son Réseau des villes créatives, lequel compte 180 villes 
			(13) 
			<a href='https://fr.unesco.org/creative-cities/'>https://fr.unesco.org/creative-cities/</a>.. La vision du programme des Capitales européennes de la culture va au-delà du patrimoine historique et s’intéresse à de nouvelles identités culturelles connectées à la fois au passé et à l'avenir. Ce qui est tout aussi net, c'est qu’elles réussissent à englober des activités sur des thèmes «non culturels» comme la santé, les transports, le développement économique et le logement.
21. Ce changement de perspective est frappant: il montre que la «culture» peut être «repensée». En prenant acte de l’opinion des communautés locales et en en tenant compte, la démocratie locale connaît une renaissance et devient effective – et ses citoyens redécouvrent l’engagement.
22. La leçon du programme des Capitales européennes de la culture est que la culture est utile dès lors qu'elle n'est pas traitée de façon isolée ou traditionnelle – et donc comme une composante «accessoire» d’un projet économique ou social – et que le programme peut être à la fois «un moyen et une méthode» pour l'engagement social. Tout cela nous donne une nouvelle lecture de ce que peut être l’«intégration», au-delà de l’usage commun consistant à inclure une question particulière dans tous les programmes; la leçon ici est que la culture peut dicter une initiative globale (stratégie de développement local) et mobiliser d’autres secteurs pour qu’ils apportent leur soutien et s’impliquent.

4. Une conception élargie de la culture

23. Depuis 50 ans, les hiérarchies strictes entre culture élitiste et culture populaire, entre activités commerciales et activités non commerciales, se sont assouplies. Les mentalités d’hier, qui opposaient la culture à l’économie, commencent à évoluer. Et un pan plus important de la «culture ordinaire» est reconnu comme ayant une «valeur» pour la société. En devenant plus inclusive, la culture a permis une meilleure adhésion de la société à ses valeurs.
24. Différents types d’initiatives ont vu le jour. Certaines voient dans la culture un moyen de favoriser la cohésion sociale, la santé et la compréhension interculturelle. D’autres s’en servent à des fins de développement économique et de régénération urbaine. D’autres encore développent des projets simplement pour leur valeur culturelle intrinsèque 
			(14) 
			Bianchini
F. et Santacatterina L.G. (1997). Culture
et quartiers. Strasbourg, Éditions du Conseil de l'Europe.
Bianchini F. et Parkinson M. (1993). Parkinson (1993). Cultural policy and urban regeneration: the
West European experience, Manchester, Manchester University
Press..
25. Les tensions entre la culture et l’économie ne manquent pas et il y en a aussi entre les activités culturelles. De plus en plus pourtant, les organismes publics élaborent des politiques, des réglementations et des institutions qui permettent à ces deux sphères d’activité d’offrir des avantages pour la société
26. Les dossiers présentés à la sous-commission de Londres avaient en commun la manière dont la culture et le patrimoine ont évolué et ont été réinventés. Cela n’avait pas tant à voir avec un exercice académique de redéfinition qu’avec un exercice en forme de défi soumis aux décideurs politiques par les communes concernées. La culture était souvent en contradiction avec l’idée que les organismes publics se faisaient d’elle auparavant, ainsi qu’avec ce qui jusque-là avait bénéficié de financements publics. La pratique culturelle a connu une révolution au cours des 25 dernières années, notamment au Royaume-Uni 
			(15) 
			DCMS
(1998). Creative industries mapping document. Londres, ministère
de la Culture, des médias et du sport, Royaume-Uni.. Ce changement de cap avait été annoncé par une décennie d'initiatives dans les grandes villes: elles se sont polarisées sur le chômage et le réengagement des jeunes, ainsi que sur le rôle que peut jouer l'emploi culturel pour résoudre le problème 
			(16) 
			Pratt A.C. (2005).
«Cultural industries and public policy: An oxymoron?», International Journal of Cultural Policy 11(1):
31-44.. L’idée maîtresse était que la culture était une activité à la fois commerciale et financée par l'État, avec un impact social et économique, et que l’impact économique avait été sous-estimé en termes d'emplois et de revenus, tout comme la place particulière de la culture dans la régénération.
27. Ce changement a aussi touché les institutions culturelles et notamment la «nouvelle muséologie» qui prône un engagement accru des visiteurs et des expositions et qui touche des communautés qui n’avaient jamais mis les pieds dans un musée 
			(17) 
			Vergo P. (1989). The new museology. Londres, Reaktion
Books.. Plus généralement, il correspond à de nouvelles façons de penser la politique sociale et en particulier la notion d’«exclusion sociale» 
			(18) 
			Gallie D. (2004). Resisting marginalization: Unemployment experience
and social policy in the European Union, Oxford University
Press.. Les débats sur ce sujet ont montré comment l’intégration dans un large éventail d’activités renforce la démocratie et la citoyenneté. Le Royaume-Uni a étroitement associé les nouvelles industries de la création, la politique culturelle et l’intégration sociale pour repenser sa politique. Certains ont estimé qu'il allait trop loin, en ce qu’il semblait attendre de la culture qu’elle soit le remède aux grands maux de la société, en négligeant la «grande culture» 
			(19) 
			Belfiore
E. and Bennett O. (2008). The social
impact of the arts: an intellectual history. Basingstoke,
Palgrave Macmillan.. Il en est toutefois ressorti une nouvelle réflexion sur ce qu’est la culture: une redéfinition qui dépasse les limites de la culture «élitiste» et de la culture «populaire», de la culture «formelle» et «informelle», ainsi que de la culture «commerciale» et de la culture «subventionnée par l'État».
28. Ce débat sur un concept plus large de la culture n’a pas eu lieu uniquement au Royaume-Uni et plus récemment dans l'Union européenne 
			(20) 
			UE (2018), Un nouvel
agenda européen de la culture, COM(2018)267final., les Nations Unies aussi se sont emparées de la culture et ont élargi sa définition pour tenir compte de sa nature en constante évolution, de sa diversité et de sa relation à l'identité 
			(21) 
			UNCTAD (2010). Rapport
sur l’économie créative, Économie créative: une option de développement
réalisable, Genève/New York, CNUCED/PNUD; UNESCO (2013). Rapport
sur l’économie créative 2013 Édition spéciale: élargir les voies
du développement local, Paris, UNESCO/PNUD.. Le Royaume-Uni, comme beaucoup d’États dans le monde, a rebaptisé son Department of National Heritage (ministère du Patrimoine national) en Department for Digital, Culture, Media and Sport (ministère du Numérique, de la culture, des médias et du sport). Au-delà de sa valeur symbolique, un tel changement témoigne aussi d’un bon sens commun dans la volonté de réunir sous un même toit diverses composantes de l'«écosystème culturel». Les collectivités locales ont globalement eu besoin de plus de temps pour appliquer ces changements.

5. Partenariats public-privé et financement

29. Au Royaume-Uni, où les fonds publics vont à d’autres priorités et où l’unité de ressource a reculé, c’est la survie même des agences culturelles qui est menacée. Récemment, une collectivité locale a carrément supprimé son budget de la culture. Le rapport donnera des exemples de modes de financement de la culture innovants. La plupart, sinon la totalité, des pays européens connaissent des restrictions similaires en matière de financement public. Le niveau de financement public de la culture est en baisse partout dans le monde et surtout dans les pays qui appliquent des politiques d’austérité 
			(22) 
			Pratt A.C. et Hutton
T.A. (2013). Reconceptualising the relationship between the creative
economy and the city: Learning from the financial crisis. Cities 33(0): 86-95.. Si les institutions veulent prospérer et survivre, elles devront trouver de nouvelles manières de financer la culture.
30. Les collectivités locales et institutions britanniques ont dû inventer de nouveaux moyens de financer la culture. Les mesures d’austérité ont entraîné la fermeture de certaines institutions culturelles, tandis que d’autres ont dû faire appel à des bénévoles. La plupart ont dû faire appel à plusieurs sources de financement. La culture peut ainsi être utilisée pour promouvoir une autre fonction (santé, transport, inclusion sociale). Cette forme de coopération a donné des résultats très positifs 
			(23) 
			DCMS (1999). A report
for Policy Action Team 10: Arts and Sport. National Strategy for
Neighbourhood Renewal. Ministère de la Culture, des Médias et du
Sport/Unité Exclusion sociale, Royaume-Uni..
31. D’autres approches, notamment les accords de mécénat, sont plus controversées et potentiellement problématiques. De nombreux musées nationaux ont recours au mécénat d’entreprise qui, pour certains, représentent une part importante de leur budget. Dans une grande institution comme la Tate, jusqu’à 60 % des financements annuels proviennent du mécénat d’entreprise. Cette solution n’est pas une panacée: beaucoup de petites institutions n’attirent pas les mécènes, ou très peu, surtout en dehors de Londres. Et même pour celles qui ont la chance d’intéresser les mécènes, faire avec les objectifs et les réputations des parties prenantes peut être problématique. Toute la difficulté est de concilier les objectifs de chacun et de trouver un équilibre avec les prétentions des parties prenantes qui veulent avoir leur mot à dire sur les contenus. De plus, comme cela a été le cas à Londres, les institutions s’exposent à un risque moral – elles peuvent pâtir de la mauvaise image de leur mécène 
			(24) 
			BP,
mécène de la Tate Britain. <a href='https://www.independent.co.uk/arts-entertainment/art/news/bp-to-end-controversial-sponsorship-of-tate-in-2017-a6923471.html'>www.independent.co.uk/arts-entertainment/art/news/bp-to-end-controversial-sponsorship-of-tate-in-2017-a6923471.html</a>..
32. On peut citer l’exemple récent des protestations contre les activités de BP et l’accord de mécénat avec la Tate. Les militants exigeaient de la Tate qu’elle mette fin à son partenariat avec BP et rejette un financement qui, selon eux, équivalait à financer les dégâts causés à l’environnement.
33. Cette situation met en évidence les tensions entre art et argent. La politique culturelle moderne du Royaume-Uni remonte à la création, en 1946, du Conseil des arts, conforme au principe du «tampon» entre l’art et l’État, appelé «principe de pleine concurrence». Des règles de gouvernance peuvent être mises en place pour créer un «tampon» avec des intérêts privés; cependant, dans le cas de BP, elles n'ont pas protégé la Tate des atteintes à sa réputation 
			(25) 
			En 2017, BP a mis fin
à 26 ans de mécénat de la Tate. Les deux parties ont nié avoir cédé
à la pression de l’opinion publique. <a href='https://www.theguardian.com/artanddesign/2016/mar/11/bp-to-end-tate-sponsorship-climate-protests'>www.theguardian.com/artanddesign/2016/mar/11/bp-to-end-tate-sponsorship-climate-protests</a>.. Les institutions doivent gérer cette position complexe entre l’État et le marché, ce qui pose de nouveaux défis à la gouvernance et à la représentation culturelles (des formes d’art et des collectivités). Elles se retrouvent souvent en première ligne pour prendre des décisions qui autrefois incombaient à l’État au niveau central ou étaient mandatées par l’intermédiaire d’un financement. Par ailleurs, ces institutions ne sont plus pleinement «publiques» et l’équilibre entre les diverses responsabilités est souvent difficile à trouver. Les administrateurs devront disposer de nouvelles compétences et suivre des formations sortant du cadre des compétences traditionnelles de la conservation ou de l’expertise en gestion publique; peut-être faudra-t-il aussi fixer de nouvelles conditions de gouvernance et de responsabilité pour les institutions.

6. Emploi et compétences

34. En matière de création d’emplois, le secteur culturel fait mieux que le reste de l’économie. Les emplois culturels deviennent un atout majeur pour l’avenir de l’Europe 
			(26) 
			KEA European Affairs
(2006). L'économie de la culture en Europe. Bruxelles, Commission
européenne DG5., mais le système éducatif et de formation doit encore évoluer pour rattraper son retard sur cette nouvelle tendance. La plupart des organismes gouvernementaux favorisent la science, la technologie et l’ingénierie, au détriment des arts et de la culture. L’artisanat et les travaux manuels ont ainsi largement disparu des programmes scolaires. Pourtant, ce n’est que grâce à l’association des sciences et des arts que la créativité et les technologies peuvent devenir des produits ou des expériences concrets 
			(27) 
			<a href='http://theconversation.com/steam-not-stem-why-scientists-need-arts-training-89788'>http://theconversation.com/steam-not-stem-why-scientists-need-arts-training-89788</a>..
35. L’enjeu n’est pas seulement de proposer une formation ou un enseignement adaptés, mais aussi d’étendre la gamme des compétences. L’artisanat recèle d’innombrables compétences qui ont été délaissées au profit de nouvelles techniques. Or les compétences sont polyvalentes: elles peuvent être utilisées et réutilisées dans différents contextes. Protéger celles qui sont requises dans des projets patrimoniaux, ou qui sont rarement utilisées revient à créer les ressources qui seront nécessaires demain. C’est l’un des objectifs du Programme de coopération et d’assistance techniques du Conseil de l’Europe 
			(28) 
			Bold J. et Pickard
R. (éd.) (2018). An Integrated Approach
To Cultural Heritage, Éditions du Conseil de l’Europe.. Préserver des compétences permet de renforcer la cohésion d’une collectivité, de transmettre un savoir-faire d’une génération à l’autre et de continuer à entretenir le patrimoine.
36. Les compétences artisanales peuvent aussi créer de nouveaux emplois, notamment pour les jeunes. En témoigne le développement du «Maker Movement» (version moderne du «do it yourself»), qui ouvre de nouveaux espaces utilisant la technologie et la créativité pour réparer, revisiter et inventer des produits, et pour réaliser des prototypes. Ces ateliers peuvent aussi être des lieux d’apprentissage, initial et continu, ainsi qu’un moyen de développer et d’enseigner des compétences et techniques empruntées à l’artisanat local.
37. Les collectivités locales à la périphérie des grandes villes, comme Thurrock, dans la banlieue de Londres, ont été touchées par la désindustrialisation et la plupart n’ont jamais connu la reprise économique rapide de l’Inner London (centre du Grand Londres). Les liens tissés autour de l’«écosystème économique» qui rassemblait autrefois la collectivité, l’école, l’emploi et le foyer ont été rompus 
			(29) 
			À Thurrock,
il s’agit de l’industrie portuaire, où tout le monde ou presque
travaillait; ailleurs, c’est la construction automobile (comme à
Dagenham, la ville voisine) ou les mines de charbon. Ces gros employeurs
créent un écosystème qui, lorsqu’il fonctionne, est très efficace.
Cependant, avec la disparition de ces employeurs ou de ces activités,
c’est toute l’infrastructure de soutien social et économique qui
s’effondre et la reconstruire est très difficile..
38. À Thurrock, le programme High House a cherché comment créer de nouveaux emplois pour les jeunes dans un écosystème économique «en panne». La solution retenue a de quoi surprendre: faire venir à Thurrock l’atelier de construction des décors du Royal Opera House – une activité qui demande un savoir-faire artisanal. High House a ainsi mis en relation le Royal Opera House, les écoles et les centres de formation locaux pour établir un partenariat. Ce partenariat et les compétences en négociation pour parvenir à la résilience se sont avérés efficaces. Il a fallu inventer un nouveau vocabulaire et de nouvelles descriptions de poste pour combler les déficits en matière d’aspirations, d'expertise et d'activité. La manière dont on parle des gens et de leurs emplois est importante et peut souvent encourager ou freiner leur implication. Les porteurs du projet High House étaient aussi disposés à adopter une «éthique maison» (DIY mindset), ce qui a permis de trouver des solutions souples et peu orthodoxes aux problèmes et, selon leur propre expression, de «provoquer la chance» 
			(30) 
			Les retombées de cette
initiative ont été la création de nouveaux ateliers d’artistes par
un autre prestataire de services privés, ACME, sur le même site..
39. Islington est un quartier limitrophe de Hackney et lui ressemble à bien des égards: institutions financées par l’État, quartier très défavorisé, cosmopolite et économiquement très contrasté (les plus riches et les plus pauvres de Londres y vivent côté à côte). Les initiatives culturelles d’Islington sont animées par deux idées maîtresses: l'égalité des chances et l’emploi. Au lieu de mettre en œuvre un énième programme de recherche d’adéquation des compétences ou d’amélioration des résultats aux examens, l’accent a porté sur les droits des communautés exclues. Cette notion de «droits» renvoie à ce qui a été perdu: les rêves en sommeil, la certitude de ne pas trouver d’emploi ou le sentiment de ne pas «mériter» certains types d’emplois, surtout dans l’économie culturelle. Des données d’enquête ont révélé la faible présence des classes populaires, des minorités ethniques et des femmes dans tous les domaines du secteur culturel 
			(31) 
			Oakley K., Laurison
D., O’Brien D. et Friedman S. (2017). Cultural Capital: Arts Graduates,
Spatial Inequality, and London’s Impact on Cultural Labor Markets. American Behavioral Scientist 61(12):
1510-1531.. Les jeunes appartenant à ces catégories sont ainsi écartés: la croissance des industries de la création, qui pourtant se portent plutôt bien, est également limitée à Londres, et pourrait faire beaucoup mieux. Islington a donc réuni ses 65 écoles dans une «communauté» afin de favoriser l’emploi et l’expérience professionnelle. Vingt-cinq agences artistiques sont financées sur les fonds publics. Le quartier a noué un partenariat avec les écoles pour permettre aux élèves de découvrir les métiers du secteur culturel. Dans le passé, on les aurait emmenés au théâtre ou au musée. Aujourd’hui, on veut qu’ils trouvent un emploi. Au final, le problème du manque de compétences et du chômage local diminue.
40. Ces exemples montrent les retombées positives de «véritables» partenariats fondés sur la rencontre de projets communs et porteurs d’un engagement à long terme envers la collectivité. C’est grâce à ce genre de partenariats qu’il est possible de créer de «nouvelles voies» qui rassemblent les jeunes et permettent à la collectivité de s’investir de nouveau dans le travail et dans la culture.

7. La vitalité culturelle et son impact sur la démocratie

41. Les cultures devraient refléter la diversité des compétences, être réceptives aux idées et ouvertes sur l'extérieur. Elles devraient aussi inclure la volonté et l'aptitude à faire face aux problèmes et aux défis du quotidien.
42. Une culture du partage des valeurs et des idées crée une ressource inédite dont tout le monde peut profiter. L'histoire culturelle de l'Europe est une ressource accessible, mais une nouvelle culture est nécessaire pour l'avenir, une culture qui inclut le développement durable et qui peut être transmise à la génération suivante.
43. Nous devons examiner les moyens qui permettront à la culture et à l'économie de s’unir pour soutenir la diversité. C’est toute la société qui est concernée. Nous devons donc examiner les outils mis en œuvre dans le cadre des programmes culturels et patrimoniaux afin de permettre à la population de faire des choix éclairés dans un environnement diversifié.
44. La Tate Modern a beau s’enorgueillir de combler le fossé entre la culture, le patrimoine et la démocratie, car elle est aujourd’hui l’un des lieux touristiques les plus visités du Royaume-Uni, proche également de nombreuses autres institutions culturelles du quartier londonien de Southwark. Les promoteurs s’intéressent à ce quartier, bien qu’on y trouve encore de nombreux logements délabrés. D’anciens entrepôts, vestiges et docks désaffectés ont déjà été transformés en appartements de standing. Cela étant, il y a là une forme de décalage, car ces projets ont contribué à creuser légèrement le fossé entre richesse et pauvreté dans le quartier. Par conséquent, même si ce n’est que de manière limitée, la Tate Modern a peut-être involontairement aggravé le problème qu’elle visait par ailleurs à atténuer 
			(32) 
			Dean C., Donnellan
C. et Pratt A.C. (2010). Tate Modern: pushing the limits of regeneration. City, Culture and Society 1(2):
79-87..
45. Dans son approche de la relation entre l’art, la société et l’autorité publique, la Tate adopte une démarche radicale. Tate Exchange est un programme qui permet à 60 partenaires de travailler dans le monde de l’art et hors de cet univers. Son action consiste traditionnellement à organiser des visites scolaires dans des galeries et des interventions dans les écoles. Toutefois, la Tate a élargi son action en vue d’y associer la population. Des espaces ont été mis à disposition et des personnels sont présents pour aider les visiteurs. L’art est ainsi mieux mis à profit pour la collectivité. Les thèmes évoqués récemment sont notamment l’amélioration du logement, le travail, la citoyenneté et la démocratie sociale. La Tate Liverpool et la Tate Modern sont aussi actives l’une que l’autre, chacune s’employant à trouver de nouvelles façons de mettre l’art au service de la population.
46. Les exemples ci-dessus illustrent le mode d’adaptation des institutions culturelles. La nouvelle attitude ne consiste cependant pas à imposer un discours, mais plutôt à poser des questions et inviter au débat: par exemple sur la manière dont l’art peut davantage aider les personnes, où qu’elles vivent, en tenant compte notamment de l’importance de préserver un certain équilibre au sein d’une société de plus en plus multiculturelle. Il s’agit d’engendrer une bienveillance et un respect vis-à-vis de la différence entre les histoires et les pratiques culturelles. Cette approche a déjà démontré son efficacité pour réduire les conflits dans les zones de guerre et atténuer les tensions dans d’autres contextes, notamment dans nos villes, où la culture est un moyen de surmonter diverses difficultés 
			(33) 
			Wood P. et Landry C.
(2007). The intercultural city: planning
for diversity advantage, Londres; Sterling, VA, Earthscan;
Robins K. (2006). The challenge of transcultural
diversities: transversal study on the theme of cultural policy and
cultural diversity: final report. Strasbourg, Éditions
du Conseil de l’Europe..

8. La situation particulière des zones rurales et reculées

47. Les activités culturelles et les éléments du patrimoine culturel concernent principalement les villes, de même que les fruits de l’échange de connaissances.
48. Les habitants des zones rurales et isolées doivent avoir un véritable accès à la culture incluant des spectacles de compagnies en tournée et, grâce aux nouvelles technologies, la projection de pièces de théâtre en direct. Néanmoins, cela ne peut se faire sans une volonté politique pour protéger et encourager l’égalité d’accès et de l’offre culturelle dans les zones rurales.
49. Dans les régions isolées, les investissements dans la formation, les compétences et les ressources sont souvent insuffisants. De ce fait, les jeunes ont plus de chances de partir chercher du travail dans les villes.
50. Il a été affirmé qu’une part excessive des financements allait aux grandes conurbations et à la capitale elle-même. Si c’est effectivement le cas, les régions sont désavantagées, ce qui favorise l’exode de leur population. Dans tous les cas, du fait des meilleures opportunités qu’ils y trouvent, les artistes et les acteurs culturels ont de fortes chances de s’installer dans les villes et d’y avoir leur activité. Par sa politique culturelle, le Royaume-Uni s’est efforcé de protéger les régions en y créant des institutions nationales. Une autre action, intitulée «NT Live», consiste en la captation numérique de pièces de théâtre en vue de leur retransmission dans les cinémas locaux des régions.
51. Cependant, si de telles initiatives peuvent offrir une plus large diffusion des activités dans les régions, elles n’ont eu que peu d’effet pour inverser la «fuite culturelle» qui touche ces territoires. Leurs pratiques culturelles sont aujourd’hui menacées par le manque de financement ou de personnel qualifié. L’une des réponses apportées a été de créer des musées en plein air. Dans une certaine mesure, cette solution maintient «en vie» la présentation des activités et crée des emplois, mais on est loin cependant d’une politique de soutien d’une économie culturelle dynamique.
52. La difficulté qui se pose ici est d’entretenir des compétences artisanales pour lesquelles il ne semble pas y avoir de marché actuellement. Le maintien de ces compétences n’est pas simplement une question de débouchés: il requiert aussi la formation de nouveaux artisans, l’apprentissage et la transmission des compétences. Les activités artisanales peuvent créer des emplois et elles soutiennent la diversité culturelle. Par ailleurs, si l’on ne fait rien pour préserver des compétences et des pratiques uniques, il est probable qu’elles disparaîtront.
53. La question des moyens de subsistance est étroitement liée à celle des compétences et de l’artisanat. Le logement constitue un autre écueil pour les artistes et les professionnels de la culture. Son coût est souvent prohibitif, surtout pour les jeunes ménages, de sorte que les artistes et les personnes à revenus modestes n’ont pas les moyens de vivre dans une grande ville. Des logements abordables, associés à des emplois fondés sur la culture et le patrimoine, sont donc indispensables si l’on veut préserver les collectivités rurales et leur culture. Une initiative lancée au Royaume-Uni consiste à ce que des artistes gèrent ou possèdent leur logement ou leur atelier 
			(34) 
			ACME et SPACE sont
deux exemples d’organisations performantes au Royaume-Uni.. L’idée est de retirer les biens du «marché» en transférant la propriété à des entreprises du secteur tertiaire pour protéger les professionnels de la culture de la hausse des prix des logements (et des ateliers).

9. Conclusions

54. Le présent rapport met en lumière sept défis qui sous-tendent la relation actuelle et future entre la valeur du patrimoine culturel et la démocratie. Il s’appuie pour ce faire sur l’expertise de hauts responsables politiques issus des collectivités locales de Londres qui ont été confrontés à des problèmes qu’ils ont résolus au moyen de solutions innovantes et efficaces. Cela étant, les initiatives politiques ne doivent pas être coupées des spécificités législatives, sociales, culturelles ni économiques des collectivités locales. La simple copie d’une initiative est donc impossible, mais l’initiative peut être traduite dans un certain nombre de processus qui pourront alors servir de modèles permettant de résoudre les difficultés rencontrées ailleurs.
55. Les sept défis identifiés donnent un aperçu des relations entre le patrimoine culturel et la démocratie. Il est important de noter que les trois termes clés – culture, démocratie et patrimoine – sont dynamiques et fluctuants. Le patrimoine est souvent associé à l’idée de «passé». En invoquant la notion de durabilité, nous pouvons comprendre que le patrimoine de demain doit être créé aujourd’hui. Il existe entre le passé, le présent et l’avenir un lien qui doit être entretenu. Cet aspect a été souligné en lien à la fois avec l’emploi culturel et avec la manière dont au départ nous apprenons à comprendre la culture.
56. La culture et la manière dont nous l’évaluons sont susceptibles de changer. Cela ne tient pas seulement aux nouvelles formes d’expression culturelle ni aux nouveaux outils et techniques de communication. Nous réévaluons le passé dans le contexte du présent. L’idée que l’intégration sociale fait partie de la démocratie est essentielle. Autrefois, la notion de «culture nationale» permettait d’asseoir des États-nations et des empires, mais aujourd’hui nous l’interprétons souvent comme une source et une preuve de la diversité au sein de démocraties saines. Tout l’enjeu consiste à préserver cette diversité dans le présent tout en comprenant véritablement le passé. Une fois cet équilibre trouvé, les collectivités pourront prospérer. Une authentique diversité inclut différents points de vue et perspectives représentant un large éventail de cultures.
57. Le droit à la culture est une façon d’exprimer «l’appartenance» à la culture. C’est pourquoi le patrimoine culturel ne concerne pas seulement les objets conservés dans des musées, ni même les compétences et les emplois. Dans une société de plus en plus cosmopolite, le patrimoine est aussi bien personnel que communautaire. Plus qu’une simple étiquette politique, le patrimoine a trait à l’identité. Il contient l’expérience des racines de la famille et de la communauté, et les diverses expériences des itinéraires menant d’un foyer précédent à celui d’aujourd’hui. Ce flux et sa «portée» toujours plus vaste à travers le monde recèlent un potentiel concernant à la fois le logement, le travail et les loisirs.
58. Les exemples cités montrent pourquoi les autorités locales doivent prendre en compte les exigences actuelles tout en respectant celles des communautés du passé ou de régions lointaines. Les collectivités locales ont progressé vers cet équilibre dans la conduite des affaires publiques. On a vu comment la culture affecte et mobilise les personnes, notamment dans les périodes d’incertitude ou de déclin économique, et comment elle peut aussi raviver l’espoir, l’identité et l’appartenance à une communauté; elle insuffle ainsi aux personnes un nouveau respect et une nouvelle ambition.
59. Nous avons ainsi la possibilité de faire d’un problème une solution, mais il nous faut pour cela intégrer d’abord la culture et le patrimoine dans la réflexion générale sur les changements sociaux et économiques. En effet, la culture a souvent été perçue jusqu’à présent comme un ingrédient plaisant, ajoutant du «plaisir» ou de la «respectabilité» à des projets par ailleurs peu attrayants. Au contraire, les exemples ci-dessus montrent à quel point la culture devrait être au premier plan, afin que d’autres secteurs de l’économie et de la société puissent être utilisés comme des moyens de promouvoir une forme adéquate de patrimoine culturel, un patrimoine que nous souhaiterions alors transmettre aux générations futures.