1. Je ne peux que féliciter Mme De
Sutter pour son rapport, qui aborde la question très controversée
de l’anonymat des donneurs de spermatozoïdes et d’ovocytes. Comme
le souligne la rapporteure
, l’anonymat des
donneurs n’est plus garanti en pratique, vu le développement des
technologies génétiques, et les personnes qui souhaitent retrouver
leurs géniteurs peuvent avoir facilement accès aux données génétiques
de ces derniers. Ainsi, il convient d’encadrer ces questions afin
d’éviter d’éventuelles dérives dans l’évolution de ces technologies
et c’est pour cela que je soutiens pleinement les conclusions contenues
dans le rapport de Mme De Sutter.
2. Je souhaiterais néanmoins proposer quelques modifications
au projet de recommandation, afin d’ajouter quelques précisions
terminologiques et de souligner la diversité des législations nationales
en matière de procréation médicalement assistée (PMA). Notamment,
je tiens à souligner que, comme le démontrent les réponses apportées
par la plupart des États membres du Conseil de l’Europe au questionnaire
lancé par le Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe (DH-BIO)
sur l’accès à la PMA, sur le droit à la connaissance de ses origines
pour les enfants nés après PMA et sur la maternité de substitution,
publiées en janvier 2017
, il existe des divergences quant
à la réglementation ou la pratique et l’accès à la PMA dans les
États membres du Conseil de l’Europe
. Certains pays ne possèdent même
pas de loi spécifique en la matière (par exemple, l’Azerbaïdjan,
la République Tchèque, Malte, la Pologne, la Serbie ou la République
slovaque). Parmi les États qui ont répondu au questionnaire, une
vingtaine d’entre eux avait indiqué que la PMA était réservée seulement aux
couples hétérosexuels. Les autres critères spécifiques retenus pour
l’accès à la PMA variaient également en fonction de l’État. Alors
que le don de sperme est admis dans la plupart des États membres,
certains pays interdisent le don d’ovocytes. En outre, le double
don de gamètes est parfois interdit (notamment en France). En ce
qui concerne l’anonymat des dons de gamètes, 19 États ont répondu
qu’il était possible de connaître l’identité du donneur, alors que
14 ont répondu que ce n’était pas toujours possible. Ainsi, il n’existe
pas de consensus européen en la matière.
3. La Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») a eu
quelques occasions de se prononcer sur les questions relatives à
la PMA, mais sa jurisprudence dans ce domaine reste encore assez
limitée
. La Cour a conclu
à l’absence de consensus européen sur l’apport des gamètes extérieurs
dans l’arrêt
S.H. et autres c. Autriche .
Dans cette affaire, les requérants, deux couples autrichiens, désiraient
recourir à la fécondation in vitro (FIV) avec don de sperme pour
le premier et don d’ovocytes pour le second, alors que la loi autrichienne interdisait
le don de sperme dans le cadre d’une FIV et prohibait le don d’ovules
en général. La Grande Chambre, qui avait annulé l’arrêt de la chambre,
a constaté que les États membres du Conseil de l’Europe avaient
«clairement tendance à autoriser dans leur législation le don de
gamètes à des fins de fécondation
in vitro,
tendance qui traduit l’émergence d’un consensus européen». Toutefois,
ce consensus correspondait davantage «à un stade de l’évolution
d’une branche du droit particulièrement dynamique qu’à des principes établis
de longue date dans les ordres juridiques des États membres»; ainsi,
la Cour a estimé qu’il n’y avait pas de raison pour restreindre
la marge d’appréciation de l’État
et a conclu à une non-violation
de l’article 8 de la Convention. En ce qui concerne l’accès à la
PMA pour les couples de femmes, la Cour a été saisie de cette question
récemment dans une affaire contre la France, mais elle ne s’est
pas prononcée sur le fond, car la requête a été jugée irrecevable
pour non-épuisement des voies de recours internes
.
4. Il convient de noter qu’à l’heure actuelle la Cour est en
train d’examiner deux affaires contre la France concernant le refus
des autorités de communiquer des informations sur les origines de
la conception des requérants nés à la suite d’une insémination artificielle
à partir d’un don de sperme. Les requérants se plaignent sous l’angle
de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) et de l’article
14 (interdiction de discrimination) de la Convention d’avoir été
privés d’informations sur l’identité du donneur
. L’issue
de ces requêtes sera certes déterminante pour l’appréciation de
la question en cause ou pour une éventuelle élaboration des règles
européennes dans ce domaine.
5. Rappelons que depuis plus d’une quinzaine années, sous l’angle
de l’article 8 de la Convention, la Cour s’est prononcée en faveur
d’un droit à la connaissance de ses origines, dont l’identité de
son géniteur, notamment dans des affaires concernant la contestation
ou la reconnaissance de paternité
, même si elle
a toujours cherché à savoir si «un juste équilibre a été ménagé
dans la pondération des intérêts concurrents»
. Dans
l’arrêt
Odièvre c. France concernant
l’accouchement sous X, elle a souligné que la naissance, et singulièrement
les circonstances de celle-ci, relèvent de la vie privée de l’enfant,
puis de l’adulte
.
Toutefois, elle n’a pas donné gain de cause à la requérante, estimant
que cette dernière a pu avoir des éléments non identifiants sur
sa mère et sa famille biologique (non-violation de l’article 8 de
la Convention). Dans l’affaire
Godelli
c. Italie, concernant le secret de la naissance et l’impossibilité
pour la requérante abandonnée par sa mère d’obtenir des éléments
non identifiants sur sa famille naturelle, la Cour a conclu à une
violation de l’article 8 de la Convention. Cependant, elle ne l’a
pas fait dans l’affaire
Mandet c. France, dans
laquelle les requérants (la mère, son époux et l’enfant) dénonçaient
l’annulation par les juridictions françaises d’une reconnaissance
d’une paternité à la demande d’un père biologique. Selon la Cour,
l’intérêt de l’enfant, qui continuait à vivre au sein de la famille
Mandet, était avant tout de connaître ses origines
.
6. Dans des arrêts rendus ultérieurement concernant la gestation
pour autrui (GPA), la Cour s’est aussi penchée sur la question de
l’identité des enfants nés d’une telle pratique. Notamment, dans
les arrêts
Mennesson c. France et
Labassée c. France, qui concernaient
le refus des autorités françaises de transcrire au registre d’État
civil des enfants nés de mères porteuses américaines et de pères
biologiques français (requérants), la Cour a condamné cette pratique
comme portant atteinte au droit à l’identité de ces enfants. Selon
la Cour, en faisant obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement
en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père
biologique, la France a méconnu le droit au respect de la vie privée
de ces enfants (violations de l’article 8 de la Convention)
. Il est aussi intéressant de
noter que dans une affaire plus récente
Paradiso
et Campanelli c. Italie, concernant la prise en charge
par les services sociaux italiens d’un enfant de neuf mois né en
Russie à la suite d’une GPA commandée par le couple requérant, la
Grande Chambre de la Cour a annulé l’arrêt de la chambre et a donné
raison aux autorités italiennes. Selon elle, vu l’absence de lien biologique
entre l’enfant et les requérants (contrairement aux requérants dans
les affaires
Mennesson c. France et
Labassée c. France) et la courte
durée de leur relation, la décision des autorités italiennes n’était pas
disproportionnée et n’a pas entraîné une violation de l’article
8 de la Convention
.
7. Ainsi, il en résulte que la Cour accorde une importance primordiale
au lien biologique entre les parents et les enfants. Le droit de
connaître ses origines biologiques et de les voir reconnues est
considéré par la Cour comme une partie du droit au respect de la
vie privée. Il semble a priori que
la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes n’irait pas à l’encontre
des exigences découlant de la jurisprudence de la Cour sur l’article
8 de la Convention.
8. Rappelons aussi que l’article 7.1 de la Convention relative
aux droits des enfants des Nations Unies (CDE) stipule que l’enfant
a le droit de connaître ses parents «dans la mesure du possible».
En outre, «les États parties s'engagent à respecter le droit de
l'enfant de préserver son identité, (…), son nom et ses relations familiales,
tels qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale» (article
8.1 de la CDE).
9. De plus, dans une étude publiée par le Comité de bioéthique
du Conseil de l’Europe en novembre 2017, des chercheurs de l’université
de Leiden (Pays-Bas) ont rappelé que le don de gamètes n’était régulé
ni par la Convention sur les Droits de l’homme et la biomédecine
(STE no 164, «Convention d’Oviedo») ni
par le Protocole additionnel relatif à la transplantation d’organes
et de tissus d’origine humaine (STE no 186).
Selon eux, ce sujet nécessite plus d’attention, le droit à une identité
étant protégé par la CDE et l’article 8 de la Convention européenne
des droits de l’homme. Vu le développement des technologies de reproduction,
la PMA devrait être davantage encadrée par les États. Il serait
utile de fournir aux États des recommandations et des bonnes pratiques
sur les mesures juridiques et autres à prendre afin d’assurer que
les enfants puissent recevoir des informations viables sur leurs
origines et les circonstances de leur naissance
. Ainsi, le rapport de Mme De
Sutter va dans ce sens.
1. Amendement A
Note explicative
Cet amendement tend à souligner que c’est l’interprétation
donnée à la Convention relative aux droits des enfants des Nations
Unies, qui a évolué et non pas la convention elle-même (voir à cet
égard les explications contenues dans le rapport de Mme De
Sutter au paragraphe 7, voir note de bas de page no 7).
Cette précision est d’autant plus souhaitable que le paragraphe
2 du projet de recommandation mentionne la jurisprudence de la Cour
(qui a effectivement évolué afin de répondre aux nouveaux défis
dans le domaine de la bioéthique), sans se référer à la Convention
européenne des droits de l’homme.
2. Amendement B
Note explicative
L’amendement a pour objet de mettre en exergue le fait que
le droit à la reconnaissance de ses origines fait partie du droit
au respect de la vie privée (voir notamment la jurisprudence de
la Cour relative à l’article 8 de la Convention, paragraphes 5-6
ci-dessus).
3. Amendement C
Note explicative
Cet amendement tend à mettre l’accent sur le fait qu’en ce
qui concerne les dons de gamètes, les législations et les pratiques
varient en fonction de l’État (voir paragraphe 2 ci-dessus). Ainsi,
il faudrait que l’Assemblée tienne compte de cette divergence avant
d’émettre des recommandations spécifiques.
4. Amendement D
Note explicative
Cet amendement vise à atténuer légèrement la formulation catégorique
de la première phrase de ce sous-paragraphe, notamment au vu de
la portée de l’article 7.1 de la CDE, qui stipule que l’enfant à
le droit de connaître ses parents «dans la mesure du possible».
De plus, le droit au respect de la vie privée, auquel le droit de
connaître ses origines est lié, n’est pas un droit absolu et peut
être restreint sous certaines conditions (voir l’article 8.2 de
la Convention). Enfin, il faut également prendre en compte les disparités
existantes entre les législations nationales et les spécificités
de ces dernières.