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Résolution 2280 (2019)

Situation des migrants et des réfugiés dans les îles grecques: il faut redoubler d’efforts

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 11 avril 2019 (17e séance) (voir Doc. 14837, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteure: Mme Petra De Sutter). Texte adopté par l’Assemblée le 11 avril 2019 (17e séance).Voir également la Recommandation 2155 (2019).

1. L’Assemblée parlementaire note que la situation autrefois tendue dans les centres d’accueil et d’identification des îles grecques de Leros et de Kos s’est améliorée en 2017. Elle relève cependant avec beaucoup d’inquiétude que la situation humanitaire des demandeurs d’asile dans les centres des îles grecques de Lesbos, Samos et Chios reste très difficile depuis plusieurs années. Prévue initialement pour héberger environ 7 500 personnes, la capacité de ces cinq centres a été diminuée à quelque 5 000 places à la fin de l’année 2017 alors qu’ils étaient en réalité occupés par 10 907 personnes. Ce nombre a même augmenté, le centre de Moria, sur l’île de Lesbos, accueillant à lui seul plus de 8 000 personnes à l’automne 2018 en raison d’une hausse des arrivées en provenance des côtes proches de la Turquie.
2. L’Assemblée note que, depuis la Déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016, les situations humanitaires et des droits de l’homme dans les «hot spots» des îles de Lesbos, de Samos et de Chios ne se sont pas améliorées. De plus, elle constate que la mise en œuvre du concept de «hot spot» de l’Union européenne ne remplit pas les conditions nécessaires pour améliorer la situation sur ces îles car elle ne répond pas aux dispositions du droit international concernant les réfugiés tels que la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
3. L’Assemblée salue l’initiative du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) de fournir des logements en location aux demandeurs d’asile en Grèce continentale et sur les îles grecques, ainsi que les travaux de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour rénover et gérer les centres d’accueil ouverts, et son programme «Aide au retour volontaire et à la réintégration»; toutes ces initiatives sont financées par l’Union européenne. De concert avec les transferts rapides et à grande échelle de demandeurs d’asile vers la Grèce continentale avant l’hiver 2018, ces initiatives ont permis d’abaisser le nombre d’occupants du centre de Moria à environ 5 000 personnes à la fin de 2018. L’Assemblée salue également les efforts constants déployés par les autorités grecques pour transférer des centres insulaires vers la Grèce continentale toutes les personnes vulnérables qui ont été enregistrées et identifiées. La situation des centres de Moria à Lesbos et de Vathy à Samos reste cependant préoccupante puisqu’un grand nombre de personnes sont hébergées dans des tentes, avec des équipements sanitaires inadaptés, des distributions alimentaires insuffisantes, un manque de services de santé, de mauvaises conditions de sécurité, en particulier la nuit, et des niveaux élevés de violence et de criminalité à l’intérieur des centres.
4. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par les signalements de violence sexuelle, d’exploitation et de traite des êtres humains par des gangs au sein des camps, des passeurs et d’autres membres de criminalité organisée, qui provoquent une détresse psychologique s’ajoutant aux situations traumatisantes vécues par de nombreuses personnes au cours de leur fuite vers la Turquie puis la Grèce, et invite les autorités grecques à redoubler d’efforts pour lutter contre les infractions susmentionnées;
4.1. rappelant que la Grèce et la Turquie sont toutes deux des États parties au Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, et au Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, additionnels à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, l’Assemblée invite les deux pays à signer et à ratifier la Convention des Nations Unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui. Les services répressifs grecs devraient coopérer avec Interpol et Europol au niveau international ainsi qu’avec les services répressifs turcs afin de mettre fin à ce climat d’impunité;
4.2. l’Assemblée invite le Groupe d’action financière (GAFI), lors de son évaluation de la Grèce et de la Turquie par rapport aux normes financières internationales applicables relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement des activités terroristes, ainsi que le Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL), lors de son évaluation du respect de ces normes par les pays limitrophes de la Grèce qui font partie de ses membres, à accorder une attention particulière aux transferts d’argent générés par le trafic illicite et la traite de migrants.
5. Consciente que la Grèce a reçu 16 670 premières demandes d’asile au troisième trimestre 2018, le chiffre le plus élevé de demandes d’asile par habitant au sein de l’Union européenne après Chypre, l’Assemblée se félicite de l’aide financière d’environ 2 milliards d’euros accordée par l’Union européenne à la Grèce, qui inclut les 289 millions d’euros mis récemment à la disposition de la gestion des migrations et des frontières. Confrontées depuis plus d’une décennie à un afflux permanent de migrants arrivant par les frontières maritimes et terrestres gréco-turques, la Grèce et la Turquie méritent la solidarité de tous les États membres du Conseil de l’Europe. Renvoyant aux informations faisant état de détournement des fonds de l’Union européenne par les autorités grecques, qui aurait empêché l’amélioration de la situation déplorable des demandeurs d’asile en matière de logement pendant plusieurs années, l’Assemblée invite l’Union européenne à contrôler efficacement l’utilisation appropriée de ses fonds.
6. Rappelant que la Grèce est liée par la Directive 2013/32/UE relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, la Directive 2013/33/UE établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, la Directive 2011/95/UE concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, le Règlement Dublin III (no 604/2013) et le Règlement EURODAC (no 603/2013), l’Assemblée prend note que la Grèce entreprend des efforts soutenus pour améliorer les conditions d’accueil et accélérer les procédures d’asile, tels que l’adoption d’une nouvelle loi en mai 2018 (loi no 4540/2018). En conséquence, l’Assemblée invite l’Union européenne à continuer d’aider la Grèce à respecter le droit de l’UE, notamment en ce qui concerne les manquements apparents en matière d’hébergement des demandeurs d’asile dans les centres d’accueil et d’identification, et de traitement rapide et approprié des demandes d’asile.
7. L’Assemblée invite l’Union européenne et l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes de l’Union européenne (Frontex) à mettre en place des procédures de suivi, à demander des retours d’information spécifiques sur la situation des migrants sans papiers en Grèce, telle qu’elle est rapportée par certains acteurs, et à aider les autorités grecques à enregistrer et identifier correctement toutes les personnes qui arrivent par les frontières maritimes et terrestres gréco-turques. Les migrants sans papiers sont particulièrement vulnérables et exposés à la criminalité organisée, notamment aux trafiquants de drogue présents tout au long de l’axe principal de la drogue entre l’Afghanistan et l’Europe occidentale.
8. L’Assemblée regrette que la Grèce n’autorise pas le regroupement familial dans le cadre de la protection subsidiaire. Elle note par ailleurs que la situation des mineurs non accompagnés demeure très préoccupante et invite la Grèce à mettre en œuvre la nouvelle loi sur la tutelle (loi no 4554/2018). Conformément à la Résolution 2243 (2018) sur le regroupement familial des réfugiés et des migrants dans les États membres du Conseil de l’Europe, les mineurs non accompagnés bénéficiant de la protection subsidiaire ne devraient pas être empêchés de rejoindre en Grèce les membres de leur famille.
9. L’Assemblée regrette qu’en décembre 2018 les institutions de l’Union européenne et le Gouvernement grec aient convenu de maintenir des taux de taxe sur la valeur ajoutée moins élevés dans les îles hébergeant des centres d’accueil et d’identification tant que ces centres seront surpeuplés. L’Union européenne et le Gouvernement grec devraient revoir cet accord.
10. Enfin, l’Assemblée recommande les mesures suivantes pour améliorer la situation des demandeurs d’asile, des réfugiés, des demandeurs d’asile déboutés et des migrants en situation irrégulière:
10.1. les autorités grecques devraient:
10.1.1. améliorer rapidement les conditions d’hébergement, d’hygiène et de sécurité à l’intérieur des centres d’accueil et d’identification surpeuplés de Lesbos, Samos et Chios, et/ou transférer les demandeurs d’asile enregistrés et identifiés vers les centres d’accueil ouverts gérés par l’OIM, les camps alternatifs gérés par des organisations humanitaires non gouvernementales (ONG) et les logements loués par le HCR sur les îles grecques et en Grèce continentale; les transferts incontrôlés vers les rues des villes grecques ou vers des pays tiers doivent cesser;
10.1.2. revoir la pratique consistant à conditionner le transfert vers la Grèce continentale à une situation de vulnérabilité ou à un état de santé grave des demandeurs d’asile, afin d’éviter des cas d’automutilation; les services médicaux devraient être améliorés rapidement à l’intérieur de tous les camps des îles ainsi qu’en Grèce continentale;
10.1.3. faire en sorte que le transfert des demandeurs d’asile vers la Grèce continentale ou dans d’autres logements dans les îles n’ait pas d’effet négatif sur le traitement de leur demande d’asile;
10.1.4. dûment identifier et enregistrer tous les migrants qui arrivent par bateau dans les îles grecques ou qui traversent la frontière terrestre gréco-turque afin d’éviter qu’ils restent sans papiers et, par conséquent, fortement exposés à la criminalité organisée, et partager ces données avec le système d’information sur les visas de Schengen ainsi qu’avec d’autres pays voisins;
10.1.5. faire en sorte que les mineurs non accompagnés et les femmes soient particulièrement protégés contre la violence, l’exploitation sexuelle et la traite des êtres humains, comme l’exigent la Convention sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (STCE no 201) et la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197); utiliser le manuel à l'usage des professionnels de terrain sur la communication d'informations adaptées aux enfants en situation de migration (How to convey child-friendly information to children in migration – A handbook for frontline professionals);
10.1.6. garantir la tutelle effective des mineurs non accompagnés, ce qui implique la responsabilité des tuteurs et le respect du droit des parents au maintien de l’autorité parentale sur les mineurs non accompagnés; assurer davantage de logements pour les mineurs non accompagnés, tant en Grèce continentale que sur les îles; les mineurs non accompagnés devraient être autorisés à se regrouper avec les membres de leur famille ou à maintenir des contacts avec eux, en application notamment de l’Accord européen relatif à la suppression des visas pour les réfugiés (STE no 31); conformément à la Résolution 2195 (2017) de l’Assemblée «Enfants migrants non accompagnés: pour une détermination de l’âge adaptée à l'enfant», une attention particulière devrait être accordée à l’évaluation de l’âge des mineurs non accompagnés;
10.1.7. mettre en place des unités de répression spécifiques chargées du crime organisé, afin de lutter contre la traite et le trafic des êtres humains ainsi que le détournement des fonds publics alloués à l’aide aux réfugiés, conformément aux Conventions pénale et civile sur la corruption (STE nos 173 et 174) et à la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198);
10.1.8. faire en sorte que les réfugiés qui périssent en Grèce aient des funérailles décentes, conformes à leurs coutumes religieuses;
10.1.9. ne pas interdire aux ONG qui fournissent l’assistance humanitaire nécessaire aux demandeurs d’asile d’accéder aux camps;
10.2. les autorités turques devraient:
10.2.1. accroître leurs efforts pour assurer que les trafiquants d’êtres humains et les passeurs ne peuvent pas agir en toute impunité lorsqu’ils déplacent des migrants vers la Grèce;
10.2.2. respecter l’accord bilatéral Grèce-Turquie relatif à la réadmission des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile déboutés, ainsi que la Déclaration UE-Turquie;
10.2.3. enregistrer et identifier tous les migrants et réfugiés qui entrent en Turquie, et partager ces données avec le système d’information sur les visas de Schengen ainsi qu’avec d’autres pays;
10.3. l’Union européenne devrait:
10.3.1. aider la Grèce à accueillir les demandeurs d’asile et les réfugiés, et à gérer les frontières extérieures de l’Union européenne;
10.3.2. aider la Grèce à établir de meilleures procédures d’asile sur les îles grecques, avec des transferts rapides vers la Grèce continentale;
10.3.3. réintroduire des programmes de financement de projets humanitaires gérés par les ONG et d’autres acteurs intéressés, y compris les pouvoirs publics, qui permettent des projets plus décentralisés, plus proches des personnes dans le besoin;
10.3.4. aider la Turquie à mettre en œuvre l’accord bilatéral de réadmission Grèce-Turquie, qui s’applique aux migrants en situation irrégulière et aux demandeurs d’asile déboutés arrivés par bateau en provenance de Turquie, ainsi qu’à ceux qui sont entrés par la frontière terrestre gréco-turque;
10.3.5. aider la Grèce à conclure et mettre en œuvre des accords de réadmission avec les autres pays d’origine sûrs des demandeurs d’asile déboutés et des migrants en situation irrégulière;
10.3.6. inviter la Grèce à empêcher les mesures de renvoi de demandeurs d’asile, en reconnaissant le fait que ces mesures constituent une violation grave des droits de l'homme fondamentaux;
10.3.7. aider les États membres à mettre en œuvre le regroupement familial, conformément à la Directive 2003/86/CE du Conseil de l’UE relative au droit au regroupement familial, et à la Résolution 2243 (2018) de l’Assemblée;
10.3.8. introduire un nouveau programme de relocalisation visant à alléger la pression exercée par les demandeurs d’asile dans les pays de première arrivée;
10.3.9. contrôler l’utilisation efficace et transparente des fonds de l’Union européenne, et établir des indicateurs de performance ainsi que des mécanismes de contrôle du respect et des exigences de bonne gouvernance;
10.3.10. mettre en place un système commun de répartition, afin d’alléger effectivement le fardeau qui pèse sur les États membres de première ligne;
10.3.11. évaluer l’impact sur les droits de l’homme de la Déclaration UE-Turquie, en tenant compte des Résolutions de l’Assemblée Résolution 2109 (2016) sur la situation des réfugiés et des migrants dans le cadre de l’Accord UE-Turquie du 18 mars 2016, 2118 (2016) «Les réfugiés en Grèce: défis et risques – Une responsabilité européenne», 2174 (2017) sur les répercussions sur les droits de l’homme de la réponse européenne aux migrations de transit en Méditerranée, et 2228 (2018) «Conséquences pour les droits de l'homme de la “dimension extérieure” de la politique d’asile et de migration de l’Union européenne: loin des yeux, loin des droits?»;
10.3.12. élaborer sans tarder une nouvelle approche en matière de réfugiés conforme aux dispositions internationales applicables aux réfugiés, comme la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et la Convention européenne des droits de l’homme, afin de faire face à la situation des nouveaux réfugiés qui demandent à bénéficier d’une protection aux frontières extérieures de l’Union européenne.