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Rapport | Doc. 14907 | 08 juin 2019

Vers un agenda politique ambitieux du Conseil de l’Europe pour l’égalité de genre

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Elvira KOVÁCS, Serbie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14508, Renvoi 4381 du 27 avril 2018. 2019 - Troisième partie de session

Résumé

Le Conseil de l’Europe joue un rôle majeur dans la promotion de l’égalité et la lutte contre la discrimination, y compris celle fondée sur le sexe, depuis soixante-dix ans maintenant. En particulier au cours des trente dernières années, l’Organisation a renforcé son action en faveur de l’égalité de genre et a obtenu des résultats considérables.

L’acquis du Conseil de l’Europe dans ce domaine comprend des conventions innovantes telles que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique («Convention d’Istanbul») et la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, ainsi qu’un grand nombre de textes non contraignants du Comité des Ministres et de l’Assemblée parlementaire. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme confirme également que l’égalité de genre est l’un des principes majeurs du Conseil de l’Europe. En outre, la Stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2018-2023 du Conseil de l’Europe définit les priorités à travers six objectifs stratégiques et précise que l’objectif général de l’Organisation dans ce domaine est de parvenir à une égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Toutefois, l’Europe connaît ces dernières années un retour en arrière en matière de droits des femmes, qui vient s’ajouter à une discrimination persistante.

Les pouvoirs publics des États membres du Conseil de l’Europe devraient donc redoubler d’efforts pour défendre les droits des femmes et promouvoir l’égalité de genre. L’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui s’ajoute aux politiques sectorielles, est un outil efficace à cette fin. Un large éventail de politiques recommandées par le Conseil de l’Europe devrait être mis en œuvre de façon cohérente.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adoptée à l’unanimité par la commission le 5 juin
2019.

(open)
1. Tant que les femmes et les hommes ne seront pas sur un pied d’égalité en matière d’autonomie, de participation, de visibilité et d’accès aux ressources, nous ne pourrons considérer que les droits humains sont respectés, ni que la démocratie et l’État de droit sont des réalités. La question de l’égalité de genre est donc au cœur de la mission du Conseil de l’Europe. Parallèlement, les droits humains, la démocratie et l’État de droit sont des éléments indispensables à la construction de l’infrastructure institutionnelle nécessaire pour parvenir à l’égalité de genre.
2. Depuis sa fondation, il y a soixante-dix ans, le Conseil de l’Europe promeut l’égalité et lutte contre la discrimination. Depuis 1979, quand le premier texte pertinent du Comité des Ministres a été adopté, et plus particulièrement au cours de ces trente dernières années, l’Organisation a redoublé d’efforts pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et lutter contre la discrimination fondée sur le sexe. L’Assemblée note avec satisfaction que la question de l’égalité de genre a été considérée comme une priorité par les présidences successives du Comité des Ministres, et qu’elle continue de l’être actuellement, sous la présidence française.
3. La Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5) et ses protocoles additionnels, la Charte sociale européenne (STE no 35) et d’autres textes juridiquement contraignants, notamment la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul») et la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197) forment un solide système de protection des droits humains consacrant le principe selon lequel les droits des femmes font partie intégrante des droits humains. Ces conventions définissent également la violence à l’égard de femmes comme une violation des droits humains et reconnaissent que la réalisation de l’égalité de droit et de faitentre les femmes et les hommes est un élément fondamental dans la prévention de ce fléau. Elles lancent un appel urgent à l’intégration d’une perspective de genre et à l’égalité entre les femmes et les hommes, en donnant des orientations précieuses et utiles dans ce domaine.
4. En outre, plusieurs textes non contraignants adoptés par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe ont contribué à promouvoir l’amélioration de l’égalité de genre et orienté les efforts dans ce sens dans des domaines tels que l’émancipation économique, la participation à la vie publique et la représentation politique, les femmes dans les médias, les droits des migrantes, l’intégration d’une perspective de genre dans le sport, et les droits des femmes en situation de handicap. Plus récemment, ces textes ont aussi contribué à prévenir et à combattre le sexisme.
5. L’égalité en matière de participation ne se résume pas à une question de chiffres. L’autonomisation des femmes est fondamentale pour parvenir à l’égalité de genre: non seulement elle leur permet de prendre conscience du déséquilibre des rapports de pouvoir mais elle les dote des moyens nécessaires pour surmonter les inégalités dans tous les domaines de la vie.
6. L’Assemblée parlementaire, qui réunit des parlementaires de tous les États membres du Conseil de l’Europe, a été à la tête des travaux de l’Organisation dans ce domaine. Elle est à l’origine des progrès accomplis dans la lutte contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et a recommandé certaines mesures pour les combattre, telles que l’instauration de quotas de genre dans les politiques ou des mesures politiques pour renforcer la participation des femmes dans la vie économique et pour favoriser l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. L’Assemblée a adopté une position politique ferme contre toutes les formes de violence à l’égard les femmes en élaborant des résolutions et recommandations appelant à l’adoption de normes contraignantes sur la prévention et la protection contre la violence fondée sur le genre et à l’engagement de poursuites contre ses formes les plus graves et les plus répandues, ces travaux ayant abouti à la préparation de la Convention d’Istanbul – un traité novateur. Le Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence a soutenu la mise en œuvre de cette Convention en sensibilisant les législateurs, les responsables politiques et le public au fléau de la violence fondée sur le genre et en proposant des solutions pratiques et des orientations sur la manière d’y faire face.
7. Malgré certains progrès, ces dernières années on a constaté une opposition croissante aux droits des femmes et une érosion de ceux-ci dans le monde, y compris dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe. Certaines forces gouvernementales et certains acteurs non étatiques s’attaquent à des droits acquis de longue date, et des textes déjà adoptés sont remis en question. Cette situation appelle à faire preuve d’une vigilance accrue dans la défense des progrès réalisés en matière d'égalité de genre; pour permettre la réalisation d’autres avancées dans ce domaine, il faudra également faire preuve d’un fort engagement politique et une grande détermination.
8. La Stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2018-2023 définit les domaines dans lesquels les parties prenantes devraient agir de façon prioritaire et de concert. Elle précise que l’objectif général de l’Organisation en la matière est de parvenir à une égalité réelle entre les femmes et les hommes et d’autonomiser les femmes et les hommes dans les États membres du Conseil de l’Europe. Ses six objectifs stratégiques (prévenir et combattre les stéréotypes de genre et le sexisme; prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique; garantir aux femmes l’égalité d’accès à la justice; assurer une participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique et publique; protéger les droits des femmes et des filles migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile; et enfin, intégrer les questions d’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les politiques et mesures) devraient être les principes directeurs de l’action du Conseil de l’Europe en faveur de l’égalité de genre.
9. L’Assemblée attire l’attention sur le fait que la réalisation des objectifs de la Stratégie nécessite des efforts concertés de la part de toutes les parties prenantes au sein de l’Organisation et des États membres, ainsi que des partenaires extérieurs, y compris le secteur privé et les médias. Elle s’engage à continuer d’apporter un soutien politique cohérent à cette fin.
10. L’action du Conseil de l’Europe dans ce domaine est guidée par la Déclaration de Beijing et le Programme d’action adoptés lors de la 4e conférence mondiale sur les femmes en 1995, ainsi que les documents élaborés dans ce cadre et adoptés au niveau des Nations Unies et le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies (adopté en 2015). Le cadre juridique aussi vaste que complet mis au point par le Conseil de l’Europe contribue de façon remarquable à soutenir les États membres dans la réalisation des Objectifs définis dans le cadre du Programme, et en particulier celle de l’Objectif no 5, qui est de parvenir à l'égalité des sexes et d’autonomiser toutes les femmes et les filles.
11. De fait, la réalisation de progrès significatifs vers ces ambitieux objectifs requiert une forte volonté politique, des ressources adéquates, des mécanismes institutionnels et un changement dans les mentalités pour abandonner les attitudes patriarcales, contrer les discours émergeants qui déforment la réalité et attaquent les droits des femmes et lutter contre les comportements qui banalisent – voire normalisent – la violence à l’encontre des femmes. L’éradication de toutes les formes de sexisme et des stéréotypes sexistes, y compris dans le langage et la communication, est une composante essentielle de ce processus. Il peut être très utile, pour obtenir l’attention du public, de faire appel à des femmes et à des hommes qui donnent l’exemple en la matière, servant ainsi de modèles.
12. L’Assemblée est convaincue que les efforts nécessaires pour parvenir à l’égalité de genre ne doivent pas être conçus comme une lutte entre les femmes et les hommes, mais comme une quête de justice, de paix et de progrès. Il est donc fondamental d’associer les hommes et les garçons à la planification et à la mise en œuvre des stratégies et mesures visant à atteindre cet objectif, en particulier celles qui ont pour but de changer les mentalités et les attitudes. Nos institutions devraient adopter le principe de la démocratie de genre, fondé sur une répartition égale des pouvoirs et de l’influence entre les femmes et les hommes.
13. L’Assemblée est d’avis que pour parvenir à l’égalité de genre, parallèlement à l’adoption de politiques spécifiques pour la promotion des femmes, il est de plus en plus nécessaire d’intégrer une perspective de genre dans toutes les mesures et politiques. Elle est résolue à garantir que ses propres activités et politiques tiennent compte de la question du genre.
14. L’Assemblée rappelle sa Résolution 2274 (2019) «Pour des parlements sans sexisme ni harcèlement sexuel» et s’engage à faire de l’Assemblée un environnement sans harcèlement d’ici à 2020.
15. L'Assemblée s'efforce d'assurer l'équilibre entre les genres dans les groupes d'experts et les autres organes comptant au minimum deux membres.
16. Considérant ce qui précède, l’Assemblée appelle les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe, ainsi que les États dont le parlement bénéficie du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire:
16.1. en ce qui concerne les stéréotypes de genre et le sexisme:
16.1.1. à prendre des mesures adéquates pour mettre en œuvre la Recommandation du Comité des Ministres CM/Rec(2019)1 sur la prévention et la lutte contre le sexisme, en mettant tout particulièrement l’accent sur la représentation non-stéréotypée des femmes et des hommes et sur la lutte contre le sexisme en ligne, y compris le discours de haine sexiste;
16.1.2. à renforcer la coopération avec les associations de journalistes, les organisations de médias traditionnels et en ligne et les fédérations de la publicité dans le but de promouvoir l’égalité de genre et de prévenir et de combattre le sexisme dans le langage et la communication, notamment au moyen de l’autorégulation, de mesures incitatives et d’une utilisation ciblée des subventions;
16.1.3. à avoir recours à des personnes servant de modèles, y compris des hommes, pour changer les mentalités et les attitudes;
16.1.4. à adopter et à mettre en œuvre des lignes directrices sur le langage et la communication non-sexistes pour les activités institutionnelles d’information et de communication;
16.2. en ce qui concerne la violence à l’égard des femmes et la violence domestique:
16.2.1. à signer, à ratifier et à mettre effectivement en œuvre la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique;
16.2.2. à tenir dûment compte des recommandations émises dans les rapports d’évaluation les concernant, à mettre ces recommandations en œuvre, et à veiller à la participation de leur parlement à ce processus;
16.2.3. à veiller à la mise en œuvre des textes pertinents adoptés par l’Assemblée, notamment la Résolution 2084 (2015) «Promouvoir les meilleures pratiques dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes», la Résolution 2101 (2016) sur la collecte systématique de données relatives à la violence à l’égard des femmes et la Résolution 2274 (2019) «Pour des parlements sans sexisme ni harcèlement sexuel»;
16.3. en ce qui concerne la représentation politique des femmes:
16.3.1. à adopter des textes de loi et des mesures politiques pour mettre en œuvre la Résolution 2111 (2016) de l’Assemblée sur l’évaluation de l’impact des mesures destinées à améliorer la représentation politique des femmes;
16.3.2. à mettre en œuvre la Recommandation R (2003) 3 du Comité des Ministres sur la participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique et publique;
16.3.3. à promouvoir la parité hommes-femmes au sein des instances décisionnelles, notamment au moyen de mesures positives visant à garantir une représentation égale des femmes et des hommes dans les organes élus et non élus;
16.3.4. à se donner pour objectif de parvenir à une représentation égale des femmes et des hommes au sein des organes décisionnels d’ici à 2030;
16.4. en ce qui concerne l’émancipation économique des femmes:
16.4.1. à adopter une législation et des politiques pour mettre en œuvre la Résolution 2235 (2018) de l’Assemblée sur l’autonomisation des femmes dans l’économie, en particulier ses dispositions relatives à l’égalité de genre et à l’égalité des chances en matière d’emploi, à l’accès des femmes au financement pour la création d’entreprise, et à la promotion des filières d’éducation et des carrières professionnelles dans les STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) auprès des femmes et des filles;
16.4.2. à mettre en œuvre une législation anti-discrimination relative à la rémunération, et à interdire effectivement les inégalités salariales pour un travail de valeur égale, en vue d’éradiquer l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes d’ici à 2030;
16.5. en ce qui concerne l’accès à la justice:
16.5.1. à veiller à la mise en œuvre de la Résolution 2054 (2015) de l’Assemblée sur l’égalité et la non-discrimination dans l’accès à la justice, en particulier à l’égard des femmes, notamment les victimes de violence fondée sur le genre, les migrantes, les réfugiées et les demandeuses d’asile, les femmes issues de minorités ethniques, les femmes Roms, les femmes en situation de handicap, les femmes âgées et d’autres femmes en situation de vulnérabilité;
16.5.2. à utiliser les outils efficaces élaborés par le Conseil de l’Europe, disponible en ligne, pour la formation des professionnels du droit aux droits humains, notamment la formation en ligne sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique;
16.6. en ce qui concerne la santé et les droits sexuels et reproductifs:
16.6.1. à généraliser l'éducation sexuelle et relationnelle, à la rendre obligatoire, à veiller à ce qu’elle soit complète et inclusive et à ce qu’elle transmette des informations sur la sexualité, les relations et les droits reproductifs qui soient neutres et adaptées à l'âge des participants;
16.6.2. à garantir l’accès à des moyens de contraception abordables et modernes, remboursés au même taux que d’autres services fournis par les systèmes de santé nationaux, ainsi que la diffusion d’informations adéquates et accessibles au grand public;
16.7. en ce qui concerne les droits des femmes et des filles migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile:
16.7.1. à veiller à la mise en œuvre des textes pertinents adoptés par l’Assemblée, notamment la Résolution 2159 (2017) «Protéger les femmes et les filles réfugiées de la violence fondée sur le genre», la Résolution 2167 (2017) sur les droits en matière d’emploi des travailleurs domestiques en Europe, spécialement ceux des femmes et la Résolution 2244 (2018) «Les migrations sous l’angle de l’égalité entre les femmes et les hommes: donner aux femmes les moyens d'être des actrices essentielles de l'intégration»;
16.7.2. à veiller à ce que les politiques et les mesures relatives aux migrations, à l’asile et à l’intégration des migrants intègrent pleinement une perspective de genre;
16.8. à utiliser régulièrement les outils et procédures d’évaluation de l’impact du genre dans la conception de politiques, de programmes et de projets;
16.9. à mettre en œuvre à tous les niveaux d’administration une approche intégrée de l’égalité de genre lors de la conception, de la mise en œuvre, du suivi et de l’évaluation de toutes les mesures et politiques, y compris dans les processus budgétaires;
16.10. à veiller à la pleine mise en œuvre des normes existantes et à l’affectation de ressources suffisantes aux politiques et mécanismes relatifs à l’égalité de genre ainsi qu’aux organisations de la société civile qui travaillent sur ces questions.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adoptée à l’unanimité par la commission le 5 juin 2019.

(open)
1. À l’occasion du 70e anniversaire du Conseil de l’Europe, l’Assemblée parlementaire salue la Stratégie pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2018-2023 et attire l’attention du Comité des Ministres sur sa Résolution (2019) «Vers un agenda politique ambitieux du Conseil de l’Europe pour l’égalité de genre».
2. L’Organisation, et en particulier son Assemblée parlementaire, joue depuis des décennies le rôle de chef de file dans la lutte contre la discrimination à l’égard des femmes, favorisant la réalisation d’importants progrès en la matière dans ses États membres. Cependant, l’égalité de genre est encore loin d’être une réalité dans la pratique. En outre, on observe actuellement un recul des droits de femmes, ce qui compromet les progrès accomplis. Aussi le Conseil de l’Europe doit-il redoubler d’efforts dans ce domaine, en gardant à l’esprit que pour garantir des progrès solides et durables, un changement des mentalités, une volonté et un engagement politiques sont nécessaires.
3. Par conséquent, outre veiller à la mise en œuvre effective des mesures déjà énoncées dans la Stratégie du Conseil de l’Europe pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2023), l’Assemblée invite le Comité des Ministres:
3.1. à réaffirmer son engagement politique envers l’égalité de genre et à redoubler d’efforts pour atteindre cet objectif, notamment en encourageant l’intégration d’une perspective de genre dans toutes les politiques et activités du Conseil de l’Europe;
3.2. à désigner un·e rapporteur·e sur l’égalité de genre pour veiller à l’intégration d’une perspective de genre dans ses propres activités;
3.3. à veiller à l’équilibre des genres lors de l’élection et de la désignation de candidats à des postes ou rôles où les femmes ou les hommes sont sous-représenté·e·s;
3.4. à adopter des lignes directrices pour l'emploi d'un langage non sexiste au Conseil de l’Europe (abrogeant celles qui figurent dans l’annexe à l’Instruction no 33 du 1er juin 1994 de la Secrétaire Générale relative à l'emploi d'un langage non sexiste au Conseil de l'Europe) et à veiller à la mise en œuvre de ces lignes directrices dans tous les documents officiels et textes adoptés par les organes du Conseil de l’Europe;
3.5. à promouvoir la ratification et la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210);
3.6. à veiller à la pleine mise en œuvre des normes existantes et à l’affectation de ressources suffisantes aux politiques et mécanismes relatifs à l’égalité de genre, ainsi qu’aux organisations de la société civile travaillant dans ce domaine;
3.7. à diffuser largement la Recommandation CM/Rec(2019)1 du Comité des Ministres sur la prévention et la lutte contre le sexisme et à prendre les mesures nécessaires pour garantir sa mise en œuvre au sein du Conseil de l’Europe;
3.8. à réviser les recommandations aux États membres sur l’intégration d’une perspective de genre, pour faire en sorte que toutes leurs politiques et mesures soient fondées sur l’approche intégrée de l’égalité, conformément à la Stratégie pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2018-2023 du Conseil de l’Europe;
3.9. à soutenir l’agenda pour l’égalité de genre au niveau mondial, en promouvant et en soutenant la contribution du Conseil de l’Europe à l'Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable, en particulier les travaux effectués dans le cadre de l’Objectif no 5.

C. Exposé des motifs, par Mme Elvira Kovács, rapporteure

(open)

«Une bonne fois pour toutes: les droits humains sont des droits des femmes, et les droits des femmes sont des droits humains.»

(Hillary Clinton, Beijing,1995)

1. Jalons posés par le Conseil de l’Europe dans le domaine de l’égalité de genre

1. Sans égalité de genre, on ne peut considérer que la démocratie est atteinte, ni que les droits de l’homme sont garantis. Je suis convaincue qu’il ne peut y avoir de démocratie que s’il existe des politiques, des mesures et des pratiques visant non seulement à réduire les inégalités entre les hommes et les femmes dans tous les domaines de la vie, mais aussi à relier la démocratie à la dimension du genre. Les politiques et les pratiques destinées à renforcer la participation des femmes, leur représentation et leur présence à des postes de direction dans le milieu politique sont également indispensables à cette fin. C’est pourquoi la question de l’égalité de genre est au cœur de la mission du Conseil de l’Europe, et la promotion des droits des femmes est – et doit rester – un domaine d’action prioritaire pour l’Organisation.
2. La Charte sociale européenne (STE no 35) de 1961 garantit l’exercice de droits en matière de logement, de santé, d’éducation, d’emploi, de protection juridique et sociale et de libre circulation des personnes; elle complète les droits fondamentaux énoncés dans la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5, «la Convention») par des droits sociaux qui doivent également être mis en œuvre sans discrimination fondée sur le sexe ou d’autres motifs. Lorsque la Charte a été révisée en 1996, les normes relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes ont été considérablement renforcées, avec des dispositions concernant l’éducation, la vie professionnelle et familiale, l'égalité de chances en matière d'emploi et l’égalité salariale.
3. Depuis sa fondation, il y a soixante-dix ans, le Conseil de l’Europe promeut une plus grande égalité entre les femmes et les hommes. La Convention européenne des droits de l'homme est au cœur de l’engagement de l’Organisation à protéger les droits de l'homme en Europe. Son article 14 dispose que la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe.
4. Le principe de non-discrimination inscrit dans la Convention a été réitéré et son champ d’application a été nettement élargi en 2000 par le Protocole additionnel no 12 à la Convention (STE no 177), qui s’applique à tous les droits prévus par la loi. Là encore, le sexe fait partie des motifs de discrimination interdits.
5. L’acquis du Conseil de l’Europe comprend deux conventions novatrices qui se rapportent aux droits des femmes, à savoir la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197) et la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»). Bien que les questions abordées par ces instruments ne concernent pas exclusivement les femmes, elles présentent une dimension de genre qui est assurément pertinente (dans le cas de la Convention d’Istanbul, elle est fondamentale). Ces conventions jouent un rôle considérable dans les États membres du Conseil de l’Europe grâce à l’harmonisation des législations nationales pertinentes et aux travaux des organes de suivi (le Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) et le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), respectivement). Leur portée dépasse les frontières de l’Europe, à la fois parce qu’il est possible pour n’importe quel État d’en devenir partie (il s’agit de «conventions ouvertes») et parce que leurs normes peuvent inspirer les politiques et la législation même dans des pays tiers.
6. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a également contribué à définir les droits des femmes dans les États membres. Les arrêts pertinents portent en particulier sur l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (au motif d’une discrimination fondée sur le sexe), mais aussi sur d’autres dispositions de ce texte, dont l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), l’article 10 (liberté d’expression) et l’article 6 (droit à un procès équitable).
7. Conformément aux textes fondateurs du Conseil de l'Europe, les deux organes statutaires (le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire) et tous les autres organes et services de l’Organisation investissent sans relâche leurs efforts dans le domaine de l’égalité de genre dans le cadre de leurs mandats respectifs.
8. Cet engagement occupe une place de plus en plus importante dans l’action du Conseil de l'Europe et s'accompagne d’une sensibilisation croissante, dans les sociétés européennes et auprès de leurs dirigeants, à la nécessité d’intégrer une dimension de genre dans la protection des droits fondamentaux. Cette approche imprègne désormais les travaux du Conseil de l'Europe dans les trois principaux piliers de sa mission, à savoir promouvoir les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit. Aucun de ces objectifs ne pourra être considéré comme atteint tant que subsisteront des inégalités fondées sur le genre.
9. Les instruments utilisés pour réaliser des progrès dans ce domaine sont les campagnes d’information et de sensibilisation, les textes non contraignants (notamment les recommandations du Comité des Ministres et de l’Assemblée parlementaire) et les instruments internationaux contraignants. Engagés dans les années 1980, ces efforts se sont sensiblement renforcés ces dernières décennies.
10. En 1985, la Recommandation R (85) 2 du Comité des Ministres relative à la protection juridique contre la discrimination fondée sur le sexe a exhorté pour la première fois les États membres à adopter ou à renforcer les mesures utiles à la promotion de l’égalité de genre, notamment au moyen de la législation en matière d’emploi, de sécurité sociale et de retraite, de fiscalité, de droit civil, d’acquisition et de perte de la nationalité et de droits politiques. En outre, son annexe indiquait qu’il faudrait envisager «l’adoption de mesures spéciales temporaires destinées à accélérer la réalisation de l’égalité de fait entre les hommes et les femmes», ce qui a ouvert la voie à des mesures dites de «discrimination positive» dans des domaines comme la représentation politique. Le document de 1985 n’était pas la première recommandation du Comité des Ministres concernant les femmes (il s’agissait de la Recommandation no R (79) 10 concernant les femmes migrantes), mais il était le premier texte global, couvrant un large éventail de formes de discrimination fondée sur le genre dans tous les États membres du Conseil de l'Europe.
11. Par la suite, les recommandations du Comité des Ministres ont abordé quasiment tous les aspects spécifiques de l’égalité de genre: élimination du sexisme dans le langage (Recommandation no R (90) 4); conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale (Recommandation no R (96) 51); violence à l’égard des femmes (Recommandation CM/Rec(2002)5); participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique et publique (Recommandation CM/Rec(2003)3); rôle des femmes et des hommes dans la prévention et la résolution des conflits et la consolidation de la paix (Recommandation CM/Rec(2010)10).
12. Dans cette liste non exhaustive, je tiens à mettre particulièrement en avant la Recommandation no R (98) 14 relative à l'approche intégrée de l'égalité entre les femmes et les hommes, qui s’appuyait sur un rapport sur ce sujet établi par le Comité directeur pour l'égalité entre les femmes et les hommes (CDEG) 
			(3) 
			L'approche
intégrée de l'égalité entre les femmes et les hommes, CDEG, Conseil
de l'Europe, 1998.. Ce rapport définissait le cadre conceptuel pour une approche intégrée de l'égalité ainsi qu'une méthodologie pour sa mise en œuvre, accompagnée d'exemples de bonnes pratiques. Les normes énoncées, comme la représentation minimale de 40 % de chaque sexe dans les organes de décision, ont ensuite été adoptées par de nombreux pays et d’autres organisations internationales. L’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui met l’accent sur l’éducation, a également fait l’objet de la Recommandation CM/Rec(2007)13. Les recommandations du Comité des Ministres représentent une série de normes et d’analyses qui ont apporté une contribution inestimable à la promotion de l’égalité de genre en Europe et ailleurs dans le monde. L’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes est cruciale à cet égard et doit encore être consolidée. La recommandation de 1998 du Comité des Ministres a posé la première pierre d’un processus continu qui exige toujours notre mobilisation et notre soutien politique.
13. Parallèlement, un processus de prise de conscience et d'engagement en faveur de la promotion de l'égalité de genre a eu lieu au sein de l'Assemblée parlementaire. L’Assemblée a travaillé sur la discrimination fondée sur le sexe sous toutes ses formes et proposé diverses mesures pour la combattre, notamment une action positive pour parvenir à une représentation politique équilibrée, des mesures visant à concilier vie professionnelle et vie de famille et des politiques destinées à développer la participation des femmes à l’économie, sans parler de l’initiative qui a abouti à la rédaction de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»). L’Assemblée a également intégré une dimension de genre dans ses propres règles relatives à sa composition et à son fonctionnement, afin d’améliorer la parité femmes/hommes. Elle a confirmé son engagement à promouvoir l’égalité de genre en créant une commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes (devenue en 2011 la commission sur l’égalité et la non-discrimination, dotée d’un mandat élargi), ainsi que des structures sui generis comme le Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence, qui s’est engagé à mener une action de sensibilisation sur la question de la violence fondée sur le genre. Ce Réseau a été pour beaucoup dans l’entrée en vigueur de la Convention d'Istanbul, car ses membres ont joué un grand rôle en encourageant sa ratification par leurs parlements nationaux respectifs.
14. De plus, depuis 2012, des statistiques sur la répartition des fonctions à l’Assemblée selon le genre sont établies chaque année et incluses dans le rapport d’activité du Bureau de l’Assemblée et de la Commission permanente présenté au cours de la partie de session de janvier. Elles donnent un aperçu des progrès réalisés sur la voie de l’égalité de genre dans le fonctionnement de l’Assemblée.
15. En 2017, la présidente de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, Mme Elena Centemero (Italie, PPE/DC), et le Secrétaire Général de l'Assemblée ont préparé un mémorandum pour dresser le bilan des mesures visant à améliorer l'égalité de genre et la prise en compte de la dimension de genre dans les travaux de l'Assemblée 
			(4) 
			AS/Bur (2017) 23.. Ce mémorandum décrivait les mesures mises en œuvre par l’Assemblée dans ce domaine et évaluait leur impact.
16. Par la suite, la commission sur l’égalité et la non-discrimination a approuvé les propositions contenues dans une note que j’ai préparée sur la manière de renforcer l'intégration de la perspective de genre dans le travail de l'Assemblée. Ces propositions ne requièrent pas de modification du Règlement; elles sont relativement faciles à mettre en œuvre et n’ont pas d'incidence budgétaire. En outre, au début de l’année 2019, la commission a décidé de rétablir sa sous-commission sur l’égalité de genre.
17. En 2014, le Conseil de l’Europe a adopté sa première Stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes, qui couvrait la période allant jusqu’à 2017 
			(5) 
			La
mise en œuvre d’une politique d’égalité des chances est indispensable
pour permettre aux citoyens de vivre une vie décente. Toutes les
activités fondées sur l’axiome selon lequel «la dignité humaine
est inviolable» et le droit à mener une vie décente est un droit
fondamental confirment qu’il ne peut y avoir de justice économique,
sociale, et «de genre», ni de société juste, si les femmes sont
exposées à diverses formes de discrimination. et dont le but était de défendre la dignité humaine et de lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes en encourageant la pleine participation des femmes à la société et l’accès à des systèmes de justice équitables pour toutes et tous. En 2018, une deuxième Stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes a été adoptée pour la période 2018-2023. Ses six objectifs stratégiques ambitieux englobent les principaux aspects de l’égalité de genre: prévenir et combattre les stéréotypes de genre et le sexisme; prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique; garantir aux femmes l’égalité d’accès à la justice; assurer une participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique et publique; protéger les droits des femmes et des filles migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile, et enfin, intégrer les questions d’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les politiques et mesures.
18. D’autres activités du Conseil de l'Europe liées à l’égalité entre les femmes et les hommes ont un objet spécifique ou visent un groupe particulier. Ainsi, les lignes directrices sur l’égalité entre les femmes et les hommes adoptées par le Service de la jeunesse s’appliquent spécifiquement aux activités internationales de jeunesse. Ce service a examiné attentivement la dimension de genre du discours de haine en ligne (sujet traité dans le cadre du Mouvement contre le discours de haine, une campagne de promotions des droits de l’homme axée sur le discours de haine et l’intolérance qui s’adresse essentiellement aux jeunes internautes) et a identifié le sexisme comme l’une des principales motivations de la cyberdiscrimination et du cyberharcèlement.

2. Recul actuel des droits des femmes: la nécessité d’un nouvel élan

19. À l’approche du 70e anniversaire du Conseil de l'Europe, nous pouvons à juste titre célébrer la contribution de l’Organisation à la protection et à la promotion des droits humains, notamment ceux des femmes et la non-discrimination à raison du sexe. Cependant, les progrès accomplis dans ce domaine ne sont jamais définitivement acquis. Bien au contraire, ils sont facilement menacés par les évolutions sociales et politiques. C’est actuellement le cas en Europe et dans le reste du monde, où une situation préoccupante est en train d’apparaître. Le Rapport du Groupe de travail chargé de la question de la discrimination à l’égard des femmes dans la législation et dans la pratique 
			(6) 
			<a href='http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/HRC/38/46&Lang=F'>Rapport
du Groupe de travail chargé de la question de la discrimination
à l’égard des femmes, dans la législation et dans la pratique</a>, A/HRC/38/46, Nations Unies, 14 mai 2018., publié en 2018, évoque des «impasses, retours en arrière et revirements» qui viennent s’ajouter à une discrimination persistante, ce qui donne à penser qu’«il importe aujourd’hui de protéger les acquis du passé et de promouvoir d’urgence l’égalité réelle des femmes».
20. Toujours en 2018, un rapport établi à la demande de la Commission FEMM du Parlement européen a été publié sous le titre éloquent «Recul de l’égalité entre les femmes et les hommes et des droits des femmes et des filles» 
			(7) 
			<a href='http://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document.html?reference=IPOL_STU(2018)604955'>Backlash
in Gender Equality and Women’s and Girls’ Rights</a>, Parlement européen, 15 juin 2018.. Il porte sur six États membres de l’Union européenne (Autriche, Hongrie, Italie, Pologne, Roumanie et République slovaque) et analyse l’évolution de la situation au cours des dernières années, concluant que ce «recul a abaissé le niveau de protection des femmes et des filles ainsi que l’accès à leurs droits».
21. Face à ce recul, l’Assemblée parlementaire devrait donner un nouvel élan à la promotion de l’égalité de genre, accomplissant ainsi l’une de ses principales missions, qui consiste à fixer de nouveaux objectifs ambitieux pour l’Organisation et ses États membres. Il est nécessaire, et même urgent, de redoubler d’efforts dans ce domaine: si les droits des femmes sont aujourd’hui menacés, comme on l’observe dans un certain nombre d’États membres, il n’est pas suffisant de conserver une attitude défensive. En effet, il convient à la fois de lutter contre les atteintes à l’égalité entre les femmes et les hommes et d’œuvrer pour de nouvelles avancées.
22. La solidarité, qui est souvent évoquée dans le débat sur les inégalités sociales, est, selon moi, tout aussi pertinente pour lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Je tiens à souligner ici le lien entre la crise de la démocratie européenne et le manque de solidarité. Comme l’a fait remarquer un observateur, en cette période troublée, nous avons plus que jamais besoin de solidarité et d’un nouveau mode de coopération. La désolidarisation des sociétés contribue en effet à la désolidarisation dans les politiques démocratiques. Au-delà d’un simple mécanisme de redistribution, la solidarité est un concept social, culturel et politique. En effet, elle renvoie aux relations sociales que les individus et les groupes sociaux ont développées par leurs interactions. Elle intègre également une composante culturelle dans la mesure où elle constitue une norme fondamentale et un principe directeur dans les sociétés contemporaines. Enfin, elle comporte une dimension politique, parce que faire preuve de solidarité, c’est remettre en question les relations de pouvoir et se demander comment aider les groupes vulnérables et les minorités (ou les protéger contre des modes de domination) 
			(8) 
			Stefan Wallaschek,
Without solidarity, democracy is lost (Pas de démocratie sans solidarité),
Social Europe, 29 mars 2019: <a href='https://www.socialeurope.eu/without-solidarity-democracy-lost'>www.socialeurope.eu/without-solidarity-democracy-lost</a>. Les hommes devraient combattre activement les inégalités entre les sexes; en fait, ils sont de plus en plus nombreux à se joindre aux femmes dans cette entreprise. C’est là un exemple de solidarité.
23. Mon objectif, en tant que rapporteure, est de formuler et de soumettre à l’Assemblée une série de recommandations ambitieuses qui se présentent sous la forme d’objectifs concrets et quantitatifs. Cela devrait faciliter l’évaluation objective des progrès réalisés et aider à mieux comprendre dans quelle mesure le résultat escompté a été obtenu.
24. Aujourd’hui, l’action en matière d’égalité de genre devrait largement s’appuyer sur les Objectifs de développement durable, introduits par les Nations Unies en 2016 en vue de «transformer le monde» dans les 15 prochaines années 
			(9) 
			Pour en savoir plus,
voir <a href='https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/'>www.un.org/sustainabledevelopment/fr/</a>.	. Ces 17 objectifs constituent le Programme de développement durable à l’horizon 2030, qui se veut «un plan d’action pour l’humanité, la planète et la prospérité» et qui «vise aussi à renforcer la paix partout dans le monde dans le cadre d’une liberté plus grande». L’Objectif no 5 («Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles») dresse un plan extrêmement ambitieux, qui tient dûment compte de la situation des femmes. Le Programme fixe neuf cibles relatives à l’Objectif no 5, qui consistent notamment à mettre fin, dans le monde entier, à toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des filles; à éliminer toutes les formes de violence faite aux femmes et aux filles et à éliminer toutes les pratiques préjudiciables, telles que le mariage des enfants, le mariage précoce ou forcé et la mutilation génitale féminine. Il prévoit en outre de garantir la participation effective des femmes à tous les niveaux de décision dans la vie politique, économique et publique ainsi que d’assurer l’accès universel aux soins de santé sexuelle et reproductive et de faire en sorte que chacun puisse exercer ses droits en matière de procréation.
25. Le Programme de développement durable a une portée mondiale et les objectifs qu’il définit s’appliquent différemment à différentes régions géographiques. L’Europe est l’une des régions les plus avancées en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, mais il y a encore beaucoup à faire. En outre, l’expérience européenne n’est pas nécessairement toujours la seule référence. Dans certains domaines, comme la représentation politique des femmes, des normes élevées et des initiatives intéressantes ont été adoptées dans des contextes non européens, ce qui pourrait être une source d’inspiration. La prise de conscience et le soutien croissants des dirigeants et de l’opinion publique en Europe permettent de s’appuyer sur les acquis antérieurs.
26. Les aspects spécifiques de l’égalité de genre que l’Assemblée a examinés et auxquels elle a apporté une valeur ajoutée sont notamment les suivants:
  • la représentation politique des femmes, en mettant l’accent sur l’influence réelle des femmes sur la prise de décision politique 
			(10) 
			Résolution 2111 (2016) sur l’évaluation de l’impact des mesures destinées à
améliorer la représentation politique des femmes.;
  • l’émancipation économique et la conciliation de la vie professionnelle et de la vie personnelle 
			(11) 
			Résolution 1921 (2013) «Égalité des sexes, conciliation vie privée-vie professionnelle
et coresponsabilité»; Résolution
1939 (2013) sur le congé parental, moyen d’encourager l’égalité
des sexes; Résolution
2235 (2018) sur l’autonomisation des femmes dans l’économie.;
  • la lutte contre les stéréotypes de genre et le sexisme 
			(12) 
			Résolution 1751 (2010) et Recommandation
1931 (2010) «Combattre les stéréotypes sexistes dans les médias».;
  • la violence à l’égard des femmes 
			(13) 
			Plusieurs textes ont
été adoptés sur cette question, dont la Résolution 2084 (2015) «Promouvoir les meilleures pratiques dans la lutte contre
la violence à l’égard des femmes», la Résolution 2135 (2016) sur les mutilations génitales féminines en Europe et
la Résolution 2177 (2017) «Mettre fin aux violences sexuelles et au harcèlement
des femmes dans l’espace public».;
  • l’accès aux soins de santé et l’exercice des droits sexuels et reproductifs;
  • l’accès à la justice 
			(14) 
			Résolution 2054 (2015) sur l’égalité et la non-discrimination dans l’accès à
la justice.;
  • la protection des droits des femmes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile 
			(15) 
			Résolution 2244 (2018) «Les migrations sous l’angle de l’égalité entre les femmes
et les hommes: donner aux femmes les moyens d’être des actrices
essentielles de l’intégration».;
  • l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
27. La Finlande a été le premier pays d’Europe à généraliser le droit de vote et à conférer à tous les citoyens adultes le droit de se présenter aux élections, indépendamment de leur niveau de richesse, de leur statut ou de leur appartenance ethnique. Ainsi, le 15 mars 1907, son parlement national est devenu le premier parlement d’Europe à compter des femmes parmi ses membres: sur 200 députés, 19 étaient des femmes.
28. Le combat pour la participation des femmes à la vie politique a toujours été difficile, et, aujourd’hui encore, il est loin d’être gagné. Pour illustrer l'ampleur de la tâche, citons les propos tenus par le neurologue Paul Möbius dans «De la débilité mentale physiologique chez la femme», essai ayant rencontré un grand succès dans les années précédant la première guerre mondiale: «Une activité cérébrale excessive non seulement perturbe la femme, mais la rend malade.» (traduction libre)
29. L’année 2019 marque le 230e anniversaire de la Révolution française, qui a donné naissance non seulement à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen mais aussi à une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne 
			(16) 
			La Déclaration des
droits de la femme et de la citoyenne a été rédigée par Olympe de
Gouge, une militante et écrivaine française, en 1791.. Or, nous nous efforçons toujours, à l’heure actuelle, de trouver des réponses concrètes à un certain nombre de questions concernant la participation des femmes à la vie politique, et en particulier à celle de savoir comment garantir aux femmes l’exercice de leurs droits politiques et leur participation aux affaires gouvernementales sur un pied d’égalité avec les hommes. En réalité, il s’agit essentiellement de déterminer s’il est possible de mettre un terme à près de 6 000 ans d’injustice, et, si oui, comment.
30. La notion de dignité est fondamentale dans notre conception de la politique. La participation au processus politique, le fait d’avoir son mot à dire, d’être écouté et d’avoir une influence en sont des éléments essentiels. Lorsque des personnes se retrouvent sans le droit de vote, qu’elles sont marginalisées et, partant, deviennent «invisibles» dans la société, comme les femmes l’ont été pendant longtemps, elles sont privées de dignité humaine.

2.1. Mesures positives et quotas

31. La représentation politique constitue l’une des priorités essentielles de la feuille de route de l’égalité de genre, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, elle renforce le pouvoir des femmes et leur donne la possibilité de prendre part au processus décisionnel, y compris à l’échelon législatif et exécutif. Deuxièmement, elle peut également conduire (idéalement, si ce n’est nécessairement) à l’adoption d’une législation et d’une politique de promotion de l’égalité de genre. Troisièmement, elle est une priorité, car les inégalités dans ce domaine sont particulièrement frappantes: en novembre 2018, d’après les chiffres publiés par ONU Femmes, les femmes représentent seulement 27,7 % des parlementaires en Europe et seuls trois États membres du Conseil de l’Europe, à savoir l’Islande, la Finlande et la Suède, figurent sur la liste des pays qui présentent la plus forte proportion de femmes parlementaires. 
			(17) 
			Leadership and political
participation, ONU Femmes, 2018, <a href='http://www.unwomen.org/en/what-we-do/leadership-and-political-participation/facts-and-figures'>www.unwomen.org/en/what-we-do/leadership-and-political-participation/facts-and-figures.</a>.
32. Il existe un autre argument en faveur de cette représentation politique, qui est avancé sous la forme d’un «business case des femmes dans la vie publique» dans le rapport «Women, Government and Policy Making in OECD Countries», publié en 2014. Les experts de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) y expliquent que la représentation institutionnelle équilibrée des femmes et des hommes est avantageuse pour l’économie: «La représentation des deux sexes dans les institutions publiques (parlements, instances exécutives et judiciaires) est indispensable, puisque ces institutions prennent les décisions et élaborent les lois qui régissent les droits, les comportements et les choix de vie des citoyens, ont une sur influence sur la répartition des biens et des services dans la société et déterminent l’accès aux ressources publiques et privées.»
33. Les mesures adoptées en Europe et au-delà en vue d’accroître la représentation politique des femmes ont souvent été quantitatives et mesurables. Je songe aux mesures de discrimination positive, en particulier aux quotas par sexe des listes de candidats aux élections, qui prennent la forme d’une proportion ou d’un pourcentage. L’Assemblée a traité de ce sujet à plusieurs reprises, en défendant l’idée que l’action positive, et plus précisément les quotas par sexe, sont utiles et devraient être appliqués, fût-ce temporairement, afin de faire progresser rapidement la représentation politique. La Résolution 1825 (2011), intitulée «Davantage de femmes dans les instances de décision économiques et sociales» précise que «[l]’Assemblée est d’avis que les quotas constituent une exception transitoire mais nécessaire pour permettre une discrimination positive, en vue de favoriser un changement de mentalité et de réaliser l’égalité de droit et de fait entre les femmes et les hommes».
34. Le dernier texte adopté par l’Assemblée dans ce domaine est la Résolution 2111 (2016) sur l’évaluation de l’impact des mesures destinées à améliorer la représentation politique des femmes. Dans ce texte, l’Assemblée recommande la prise de mesures positives, en particulier de quotas électoraux, et donne un certain nombre d’indications sur la manière dont ils devraient être conçus. Ces quotas devraient poursuivre un objectif ambitieux: d’après l’analyse de la rapporteure, ils se révèlent efficaces uniquement lorsqu’ils imposent l’attribution d’une part substantielle des sièges au sexe sous-représenté. Il importe de prévoir des sanctions en cas de non-respect de ces quotas. L’existence de simples sanctions financières a rarement produit l’effet escompté. Au nombre des sanctions efficaces figure, en particulier, le rejet des listes par les commissions électorales, qui place les partis dans l’impossibilité de prendre part aux élections si leurs listes ne respectent pas les quotas.
35. La mise en œuvre des quotas devrait être surveillée par des organes indépendants, comme les juridictions à compétence électorale ou les commissions électorales, qui devraient également être chargées de l’application des sanctions. Bien que les mesures positives visent à obtenir des résultats substantiels en peu de temps, il convient de prendre des mesures d’accompagnement pour veiller à ce que les avancées obtenues ne soient pas rapidement perdues lorsque les quotas ou les autres mesures positives prennent fin. Ces mesures d’accompagnement consistent à concilier l’activité politique et la vie privée, à sensibiliser et à former les femmes aux responsabilités politiques, ainsi qu’à permettre l’accès aux médias. Elles visent à garantir qu’une meilleure égalité de genre devienne un élément structurel de la représentation politique, et non un simple effet à court terme des mesures positives.
36. Les mesures positives se sont révélées efficaces et il vaut encore la peine de les recommander, surtout lorsque la représentation des femmes est particulièrement faible. S’ils sont conçus et mis en œuvre correctement, les quotas par sexe (surtout s’ils sont obligatoires et prévus par la loi, contrairement aux quotas mis en place volontairement par les partis politiques) permettent de modifier radicalement et rapidement la situation. Celle-ci peut alors donner naissance à un cercle vertueux de changement culturel chez les électeurs, à une augmentation du nombre de femmes responsables politiques expérimentées et à l’adoption d’une nouvelle législation en matière d’égalité de genre. Certains esprits critiques estiment que les mesures positives sont contraires à la méritocratie. Or, on constate que les quotas ont un effet positif sur les compétences des responsables politiques, pour les femmes mais également pour les hommes. Une étude du modèle suédois publiée en 2017 montre que les quotas ont eu un impact positif sur le niveau de compétence des candidats, puisque la place réservée aux femmes sur les listes de candidats aux élections a généralement été faite en écartant de ces listes les «hommes médiocres» 
			(18) 
			Gender Quotas and the
Crisis of the Mediocre Man: Theory and Evidence from Sweden, Timothy
Besley, Olle Folke, Torsten Persson, Johanna Rickne, American Economic Review, vol. 107,
no 8, août 2017..

2.2. L’objectif ultime: la parité hommes-femmes dans la représentation politique

37. Si les quotas bien conçus et bien appliqués peuvent accroître le niveau de représentation politique des femmes, et parfois entraîner des changements en profondeur, ils ne peuvent plus être considérés comme un remède suffisant. Les paysages culturel et politique ont évolué, ce qui a permis et en même temps rendu indispensable le passage à une perspective plus ambitieuse dans ce domaine. D’une part, la sensibilisation à la nécessité d’améliorer l’égalité de genre s’est considérablement accrue. Elle a fait l’objet de nombreuses conventions internationales, ainsi que de nombreuses lois et politiques nationales; dans certains pays, comme au Canada et en Islande, qui ont suivi l’exemple de la Suède, elle représente également un élément important des relations diplomatiques et de la coopération internationale. D’autre part, le recul des droits des femmes, que nous avons déjà évoqué, impose de redoubler d’efforts pour promouvoir l’égalité de genre et lutter contre les formes de discrimination qui subsistent. Les attaques dont les politiques d’égalité de genre font l’objet, même si elles sont souvent bien orchestrées, ne l’emporteront pas. Mais il faut y réagir par une action forte et coordonnée.
38. Je suis convaincue qu’il faudrait passer des quotas réservés au sexe sous-représenté, qui visent à garantir la présence d’au moins 30 % ou 40 % de femmes parmi les élus, à une véritable parité. Le principe de parité n’est pas nouveau en soi: il existe depuis un certain temps. Bien que l’idée de parité soit souvent utilisée de manière interchangeable avec celle d’«égalité de genre», elle possède un sens plus précis lorsqu’il s’agit de représentation politique. Elle signifie que les organes élus et les autres organes décisionnels – y compris, point important, les gouvernements – ont l’obligation de se composer dans la mesure du possible d’un nombre égal de femmes et d’hommes.
39. L’égalité de représentation des femmes et des hommes a été appliquée dans un certain nombre de gouvernements en Europe et hors d’Europe, notamment dans le gouvernement Zapatero en Espagne en 2004, dans les gouvernements français sous les présidences Hollande et Macron, dans le gouvernement Renzi en Italie en 2014 et, pour ne citer qu’un exemple hors d’Europe, dans le gouvernement Trudeau au Canada. Interrogé sur les raisons de l’extrême diversité de son gouvernement, sur le plan à la fois du genre et de l’origine ethnique de ses membres, Trudeau avait répondu: «Parce que nous sommes en 2015.» Si le principe de parité était appliqué de manière cohérente, ces exemples ne seraient plus des exceptions intéressantes, mais plutôt la norme. L’égalité de représentation politique suppose, pour les femmes, le droit d’exprimer leurs besoins, leurs centres d’intérêt et leur vision de la société, ainsi que le droit de prendre part aux décisions qui affectent leur vie, quel que soit le contexte culturel dans lequel elles vivent. Je souhaiterais souligner que pour soutenir le processus de renforcement et d’amélioration de la représentation des femmes, il est nécessaire d’établir des partenariats avec des organisations de défense des droits des femmes et d’autres groupes œuvrant à l’égalité entre les femmes et les hommes.
40. L'universitaire espagnole Alicia Miyares explique que le féminisme conçoit la parité comme un droit civil, qui garantit la représentation proportionnelle des genres et le droit des femmes à être élues et à représenter politiquement la collectivité. La parité, ajoute-t-elle, n'est pas une concession obtenue par la volonté des partis politiques, mais plutôt un droit qui ne peut être modifié en fonction des circonstances politiques, tout comme le droit de vote. Par conséquent, conclut-elle, elle devrait être considérée comme un droit constitutionnel reconnu aux femmes. Ces dernières années, plusieurs pays d'Amérique latine, dont le Mexique, partenaire pour la démocratie de l'Assemblée, ont inséré dans leur Constitution de nouvelles dispositions sur la parité entre hommes et femmes, qui imposent aux partis politiques d’appliquer ce principe lorsqu’ils choisissent les candidats qui figureront sur leurs listes électorales 
			(19) 
			Gender
and constitutionalism in Mexico: from quotas to parity?, José Miguel
Cabrales Lucio, Constitutionnet, 2014.. L'inscription de la parité dans les Constitutions, et pas seulement dans les dispositions électorales, en ferait un grand principe, à la lumière duquel d'autres dispositions devraient être interprétées et appliquées. Ce choix peut avoir des effets considérables et il représente, je crois, l'une des voies que nous devrions explorer.
41. Les quotas électoraux par sexe ne sont pas en contradiction avec la parité. Ils représentent en fait l'un des moyens dont nous disposons pour y parvenir, comme le fait remarquer l'experte brésilienne Ana Alice Alcântara Costa dans son texte «Quotas as a Path to Parity: Challenges to Women’s Participation in Politics» («Les quotas, une voie vers la parité: les défis de la participation des femmes à la vie politique»).
42. La parité est-elle un objectif réaliste? Selon Caroline Turner, experte américaine en genre, «les gourous du pouvoir nous disent que les objectifs qui motivent le plus les gens sont mesurables, limités dans le temps et réalisables. Ils doivent être hors de portée à l’heure actuelle, mais réalistes à long terme». Bien que le raisonnement de cette experte, qui se fonde sur le niveau élevé de discrimination auquel les femmes sont actuellement confrontées, conclue que la parité entre hommes et femmes n'est pas un objectif réaliste dans un avenir prévisible, je considère qu’elle devrait être notre objectif. La volonté politique représente l’une des principales conditions préalables à la réalisation de progrès substantiels dans un délai raisonnable. C'est pourquoi j’estime qu'il est de mon devoir de faire avancer cette question au niveau politique, en particulier chez le législateur.
43. Toutefois, une petite mise en garde est peut-être nécessaire: si les quotas peuvent être exprimés en des termes numériques (étant donné qu’ils visent généralement à instaurer un seuil minimum), la «parité» au sens de «moitié-moitié» ne doit pas se concevoir comme une exigence purement arithmétique. Concrètement, il ne s’agit pas de diviser par deux le nombre de sièges dans un organe de décision donné et d’en allouer exactement le même nombre aux hommes et aux femmes, mais plutôt d'assurer une représentation équilibrée et proportionnée des électeurs. En outre, une répartition exacte du nombre de sièges entre les hommes et les femmes serait préjudiciable pour les personnes ayant une identité non binaire. La parité ne doit pas être conçue d’une manière susceptible d’exclure ces citoyens.

3. Approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes

44. L’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes est un outil important pour promouvoir l’égalité de genre à tous les niveaux 
			(20) 
			Comme
l’ont dit les participants à la discussion en ligne sur le «Contrôle
parlementaire de l’égalité des sexes» organisée par le groupe de
réflexion Iknow Politics, en tant que dimension transversale de
la démocratie, la question du genre est traitée en s’appuyant sur
deux approches complémentaires et critiques (l’intégration d’une
perspective de genre et l’autonomisation des femmes) qui sont mises
en œuvre dans le cadre de processus électoraux ou de campagnes de promotion
de mécanismes/stratégies visant à accélérer l’égalité d’accès et
le maintien de la parité aux postes à responsabilité en politique
et dans la prise de décision à tous les niveaux, ou en mettant à
profit les réseaux et partenariats pour imposer le genre comme une
question transversale dans les politiques publiques, afin de renforcer l’efficacité
du processus de promotion des droits des femmes.. Comme je l’ai mentionné lorsque j’ai fait référence à l’acquis du Conseil de l'Europe, l’Organisation a entériné très tôt ce type de stratégie et a même contribué à façonner cette notion, élaborant une définition qui est désormais communément admise: «L’approche intégrée consiste en la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques 
			(21) 
			L’approche intégrée
de l’égalité entre les femmes et les hommes – Cadre conceptuel,
méthodologie et présentation des «bonnes pratiques» – Rapport final
d’activités du Groupe de spécialistes pour une approche intégrée
de l’égalité, Conseil de l’Europe, 1998..» Aujourd’hui, le Conseil de l’Europe met en œuvre une stratégie d’intégration de la perspective de genre dans ses activités normatives, de suivi et de coopération.
45. En d’autres termes, l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes désigne l’intégration d’une perspective d’égalité hommes-femmes à tous les stades et niveaux des politiques, programmes et projets. Elle suppose également de tenir compte des différences de situation et de besoins entre les femmes et les hommes, ainsi que de leur inégalité d’accès aux ressources et aux droits (notamment en matière d’accès à la justice).
46. L’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes englobe les politiques sectorielles en faveur de l’égalité de genre mais ne s’y substitue pas. Les deux démarches sont nécessaires et contribuent à l’objectif ultime de l’égalité. Cette approche constitue une stratégie à long terme qui transforme progressivement la société, tandis que les politiques spécifiques ont un impact direct sur les secteurs ciblés et peuvent permettre d’obtenir des résultats plus rapidement. Cependant, pour que l’égalité de genre et la non-discrimination en général continuent de gagner du terrain, il faut incorporer une perspective de genre dans toutes les politiques, car ce sont elles qui ont une incidence sur la vie des hommes et des femmes, sur leur situation individuelle, sur leurs conditions de vie et sur les besoins qui leur sont propres.
47. De nombreux exemples issus d’États membres du Conseil de l'Europe peuvent aider à comprendre la portée et l’importance de la budgétisation sensible au genre. En Autriche, la dimension de genre a été intégrée dans les programmes d’aide au développement sous la forme d’une budgétisation sensible au genre dès 2009. En Finlande, en vertu de la loi sur l’égalité et du plan d’action gouvernemental pour l’égalité entre les femmes et les hommes, tous les ministères ont l’obligation de créer des groupes de travail sur l’égalité pour planifier et mettre en œuvre l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes, et les lignes directrices relatives à la rédaction des lois indiquent que l’impact des projets de loi sur les femmes et sur les hommes doit faire l’objet d’une évaluation systématique. En France, tous les ministères adoptent une feuille de route concernant les activités à mener dans le cadre de leur mandat pour parvenir à une égalité réelle entre les sexes. En Suède, l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes nourrit l’action de toutes les collectivités – locales, régionales comme nationales – et les bonnes pratiques sont réunies et diffusées sur une page internet 
			(22) 
			<a href='http://www.includegender.org/'>www.includegender.org/</a>..
48. En ce qui concerne spécifiquement les parlements nationaux, le rapport intitulé «Parlements sensibles au genre. Étude mondiale des bonnes pratiques», publié par l’Union interparlementaire en 2011, est une précieuse source d’information 
			(23) 
			Le rapport est disponible
en ligne en anglais, en arabe, en espagnol et en français: www.ipu.org/resources/publications/reports/2016-07/gender-sensitive-parliaments. 
			(23) 
			<a href='https://www.ipu.org/resources/publications/reports/2016-07/gender-sensitive-parliaments'></a>. Il vise à inciter les parlements à répondre aux besoins et aux intérêts des hommes comme des femmes dans leurs structures, leurs activités, leurs méthodes et leur travail, et couvre toute une série de sujets, puisque par définition l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes traverse tous ces domaines. Accroître la proportion de femmes dans les principales fonctions parlementaires est une avancée importante, mais cela ne se traduit pas automatiquement par l’élaboration de lois sensibles au genre. Le rôle des hommes et celui des partis politiques sont d’autres aspects particuliers, tout comme les politiques et procédures, l’infrastructure parlementaire et les services parlementaires. Le rapport susmentionné est une mine d’informations sur les bonnes pratiques et montre plus globalement qu’il faut déployer des efforts considérables pour ancrer une dimension de genre dans tous les aspects de l’activité parlementaire. Par ailleurs, il prouve que ces efforts sont nécessaires et portent leurs fruits.
49. Les détracteurs de l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes affirment que cette stratégie n’a pas produit l’effet transformationnel escompté et qu’elle a même parfois amoindri l’impact de politiques spécifiques en faveur de l’égalité de genre. En fait, la difficulté peut, dans certains contextes, tenir à la mise en œuvre. S’il est facile d’adopter la terminologie de l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de l’introduire dans les documents d’orientation, il se révèle plus difficile d’assurer un suivi et d’appliquer cette approche avec cohérence. Les habitudes tenaces tendent à contrarier le processus, creusant le fossé entre la théorie et la pratique. Dans ces conditions, une volonté politique plus affirmée devrait soutenir l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes à tous les niveaux de l’administration. Il incombera à l’Assemblée parlementaire de contribuer à apporter ce soutien.

4. Lutte contre les stéréotypes de genre et le sexisme

50. Souvent, les femmes ne sont représentées dans les médias que dans les rôles qui leur sont traditionnellement assignés par la société. Une telle représentation nuit à l’égalité de genre dans la mesure où elle ne fait que renforcer les obstacles à l’accès des femmes à certains postes et professions, en particulier au sein d’organes de décision.
51. Je souhaiterais vous faire part de l’expérience que mes collègues de l’Assemblée nationale serbe et moi-même avons vécue dans le cadre de séances de formation sur les droits de femmes organisées à l’intention des représentants des sections féminines de divers partis de notre groupe politique. Nous avons collecté plusieurs quotidiens nationaux et demandé aux participants d’imaginer qu’ils vivaient sur une autre planète et que ces journaux constituaient leur seule source d’information sur les Terriens. Nous les avons ensuite invités à compter le nombre d’hommes et de femmes figurant sur les photos et à les décrire, en précisant ce qu’ils faisaient. Les résultats ont été décourageants: seules 15 % à 20 % des personnes sur les photos étaient des femmes. Les hommes mis en avant dans ces journaux étaient des dirigeants, des hommes politiques, des champions sportifs et d’autres responsables de haut niveau, tandis que les femmes étaient décrites dans leur rôle de mère ou représentées par de magnifiques mannequins dans des publicités pour des sous-vêtements, des parfums ou autres. Il n’était que très rarement question de femmes politiques ou de femmes d’affaires. Nous en avons conclu que les femmes étaient encore clairement victimes de stéréotypes sexistes: elles sont sous-représentées, voire invisibles, dans les médias et dans la publicité.
52. C’est pourquoi il est important d’inclure dans la législation relative à l’égalité de genre des dispositions visant à lutter contre les stéréotypes sexistes et de promouvoir une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les médias.
53. Il y a près de trente ans, le Comité des Ministres a adopté une recommandation sur l’élimination du sexisme dans le langage (Recommandation no R (90) 4), dans laquelle les États membres sont appelés à prendre des mesures pour encourager l’utilisation d’un langage non sexiste, à mettre la terminologie employée dans les textes juridiques, l'administration publique et l'éducation en conformité avec le principe de l'égalité des sexes et à encourager l'utilisation d'un langage exempt de sexisme dans les médias.
54. Si, dans ce texte datant de 1990, les principaux aspects du problème étaient correctement identifiés, il n’y a pas vraiment été remédié depuis. En début d’année, une nouvelle Recommandation du Comité des Ministres sur la prévention et la lutte contre le sexisme a été adoptée (Recommandation CM/Rec(2019)1), dont l’Annexe contient, pour la première fois, une définition du sexisme, décrit comme «[T]out acte, geste, représentation visuelle, propos oral ou écrit, pratique ou comportement fondés sur l‘idée qu’une personne ou un groupe de personnes est inférieur du fait de leur sexe, commis dans la sphère publique ou privée, en ligne ou hors ligne (…)».
55. Parmi les nombreuses mesures figurant dans cette recommandation, je souhaiterais souligner:
  • la mise en place d’une éducation et d’une formation adaptées pour le personnel éducatif dans tous les domaines et à tous les niveaux d’éducation;
  • l’évaluation des manuels scolaires, des matériels de formation et des méthodes d’enseignement utilisés pour et par les élèves de tous âges et pour toutes les formes d’éducation et de formation en termes de langage, de représentations sexistes et de stéréotypes de genre, et leur révision afin qu’ils promeuvent activement l’égalité entre les femmes et les hommes;
  • l’engagement d’une réflexion sur une réforme législative qui condamne le sexisme, définisse le discours de haine sexiste et l’érige en infraction pénale;
  • le fait d’encourager les organismes et les services publics compétents, tels que les institutions de médiation, les commissions pour l’égalité, les assemblées législatives et les institutions nationales des droits de l’homme, à concevoir et à mettre en œuvre des codes de conduite ou des lignes directrices sur le sexisme;
  • la mise en œuvre des campagnes de communication et de sensibilisation efficaces sur les liens entre le sexisme et la violence à l’égard des femmes et des filles.
56. Pour résumer, ces recommandations indiquent qu’il est fondamental de promouvoir l’éducation et la formation à tous les niveaux et de mener des actions de sensibilisation pour permettre à chacun d’apprendre à identifier, à reconnaître et à dépasser les stéréotypes de genre. En outre, il faudrait renforcer la visibilité des femmes dans les médias doit être renforcée. En fait, il s’agit d’assurer une représentation plus équilibrée et non stéréotypée des femmes et des hommes dans les médias afin de surmonter les entraves à l’égalité entre les sexes.
57. L’Assemblée contribue de façon significative à sensibiliser à la question du sexisme, notamment dans le monde de la politique. En 2018, en coopération avec l’Union interparlementaire, elle a conduit une étude ayant mis en évidence l’étendue du sexisme, du harcèlement sexuel et de la violence fondée sur le genre dont sont victimes les femmes au sein des parlements 
			(24) 
			Sexisme, harcèlement
et violence à l’égard des femmes dans les parlements d’Europe»,
Union interparlementaire et Assemblée parlementaire du Conseil de
l’Europe (2018): <a href='https://www.ipu.org/resources/publications/reports/2018-10/sexism-harassment-and-violence-against-women-in-parliaments-in-europe'>www.ipu.org/resources/publications/reports/2018-10/sexism-harassment-and-violence-against-women-in-parliaments-in-europe</a>.. À l’initiative des deux Présidentes, cette étude a été transmise à tous les parlements nationaux des États membres du Conseil de l’Europe.
58. Sur la base des conclusions de l’étude, et à l’initiative de sa Présidente, Mme Liliane Maury Pasquier, l’Assemblée a lancé une initiative axée sur le hashtag #PasDansMonParlement afin de sensibiliser les parlementaires et le grand public à la nécessité de lutter contre le sexisme et le harcèlement, y compris dans le monde politique.
59. En avril 2019 a été adoptée une résolution intitulée «Pour des parlements sans sexisme ni harcèlement sexuel» 
			(25) 
			Résolution 2274 (2019); voir également Doc.
14843., qui appelle à des mesures visant à mettre un terme au sexisme et au harcèlement sexuel en politique. Parmi les mesures qui y sont recommandées figure notamment l’introduction de procédures et de mécanismes de plainte effectifs prévoyant des sanctions efficaces. En outre, l’Assemblée est invitée à modifier son propre code de conduite pour y introduire l’interdiction explicite du sexisme, du harcèlement sexuel et de la violence sexuelle, ainsi qu’une référence à la protection de la dignité.

5. Violence fondée sur le genre

60. La Recommandation CM/Rec(2019)1 du Comité des Ministres met en avant l’étroite corrélation entre les stéréotypes de genre, d’une part, et le sexisme, d’autre part, évoquant «un continuum entre les stéréotypes de genre, le sexisme et la violence à l’égard des femmes et des filles».
61. La violence est au cœur même du système patriarcal. Pour éradiquer ce fléau, la solution consiste à changer de paradigme et à déconstruire ce système. L’autonomisation contribue à ces objectifs en permettant aux femmes (et aux hommes) de prendre progressivement le contrôle de leur vie, de définir leurs propres priorités et d’acquérir de nouvelles compétences.
62. Malheureusement, les femmes sont encore victimes de violences physiques, sexuelles et psychologiques. La violence fondée sur le genre et la violence domestique sont des fléaux répandus, dont les conséquences sont durables et difficiles à surmonter. Elles constituent une violation des droits humains et un obstacle à la jouissance d’autres droits, entraînant par là même d’autres violations des droits fondamentaux des femmes et rendant impossible la réalisation de l’égalité des chances entre les femmes et les hommes 
			(26) 
			Le fait de vivre sans
violence étant un droit humain fondamental, inaliénable, inviolable
et universel, résumé dans le concept de «sécurité humaine», la violence
sous toutes ses formes, qu’elle soit d’ordre physique ou symbolique,
est considérée comme l’une des causes des inégalités entre les hommes
et les femmes..
63. Ainsi, la violence domestique et la violence fondée sur le genre sont inextricablement liées à la discrimination et au refus de l’égalité des chances. Les victimes de ces fléaux ne parviennent pas toutes à se reconstruire ou à trouver un emploi, un nouveau partenaire ou une nouvelle maison. Certaines ne survivent même pas à de tels actes.
64. Lutter contre la violence à l’égard des femmes, c’est lutter pour le droit des femmes victimes de ce fléau à une seconde chance. Je suis d’avis qu’il est fondamental que l’Assemblée parlementaire reste engagée dans ce combat 
			(27) 
			Seule
une désapprobation active de la violence à l’égard des femmes et
un véritable engagement en faveur des victimes peuvent briser le
«cercle vicieux de la violence». Nous devons toujours garder à l'esprit
que le respect des droits de ces femmes à une vie et à un travail
décents constitue une condition nécessaire à leur réalisation personnelle
dans les processus de consolidation institutionnelle, politique
et économique..
65. La Convention d’Istanbul est un document fondamental pour la lutte contre la violence fondée sur le genre. Elle propose un cadre complet pour prévenir la violence à l’égard des femmes, protéger les victimes et poursuivre les auteurs en justice. Les États Parties ont l’obligation de prévenir, de faire cesser et de sanctionner la violence à l'égard des femmes. Pour ce faire, ils sont tenus d'adopter et d'appliquer des mesures politiques efficaces et une législation rigoureuse (qui incrimine des formes spécifiques de violence, par exemple). Les normes élevées qu’établit cette Convention lient les Parties et sont une référence pour les mesures adoptées par d’autres pays également.
66. Étant donné que, parallèlement au présent rapport, un rapport intitulé «La Convention d’Istanbul sur la violence à l’égard des femmes: réalisations et défis» 
			(28) 
			Doc. 14908 (rapporteure: Mme Zita Gurmai,
Hongrie, SOC). a été préparé, je n’entrerai pas davantage dans les détails en ce qui concerne la Convention, les processus de ratification et sa mise en œuvre. Ce que je tiens à souligner, c’est que la violence fondée sur le genre est intrinsèquement liée à tous les autres aspects de la discrimination à l’égard des femmes. Le sexisme et le harcèlement sexuel, qui sont endémiques en politique, par exemple, sont l’une des causes de la faible participation des femmes à la vie politique. Pour conclure, je voudrais encore une fois attirer l’attention sur le fait que l’éradication de la violence à l’égard des femmes devrait toujours aller de pair avec la promotion de l’égalité de genre, et ce, dans tous les domaines. Le Conseil de l’Europe est le mieux placé pour mener une mission aussi complexe, et il doit le faire avec détermination, en demandant le soutien croissant des États membres.

6. Promotion d’un langage inclusif

67. La Recommandation CM/Rec(2019)1 du Comité des Ministres sur «La prévention et la lutte contre le sexisme» aborde également la question du langage et de la communication, définis comme «des composantes essentielles de l’égalité entre les femmes et les hommes» qui «ne [doivent] pas consacrer l’hégémonie du modèle masculin» (annexe, paragraphe II.A). Il est précisé qu’une communication non stéréotypée est un bon moyen d’éduquer, de sensibiliser et de prévenir les comportements sexistes, et que «[c]ela implique d’éliminer les expressions sexistes, d’utiliser des formes féminines et masculines ou neutres dans les titres et pour s’adresser à un groupe, de diversifier les représentations des femmes et des hommes, et de respecter la parité dans les représentations visuelles et autres.»
68. Outre une bonne dose de volonté politique, une telle «réforme linguistique» implique d’importants travaux, en coopération avec des experts, les médias et d’autres acteurs de la communication. Mais elle ne peut avoir qu’un effet positif sur les mentalités et ne doit pas être négligée. Elle devrait être conçue de façon très variable selon les États membres étant donné que les langues nationales diffèrent. Si, dans certains cas, l’adoption d’un langage sensible au genre n’entraînera qu’une adaptation du vocabulaire, le plus souvent, il faudra également adapter certaines règles de grammaire et d’orthographe.
69. Le choix du Gouvernement finlandais d’utiliser (en anglais) l’expression «Presidency of the Committee of Ministers» plutôt que «Chairmanship of the Committee of Ministers», employée jusque-là (les deux expressions se traduisant par «Présidence du Comité des Ministres en français) est une bonne initiative, dont d’autres devraient s’inspirer. Cet exemple montre que le langage institutionnel peut changer et qu’il est possible de privilégier des termes neutres au regard du genre sans compliquer la communication. Le successeur de la Finlande à la tête du Comité des Ministres, le Gouvernement français, a fait du langage non sexiste l’un des outils de sa politique étrangère féministe et utilise désormais, entre autres, l’expression «droits humains» au lieu de la traditionnelle expression «droits de l’Homme» (bien que le «H» majuscule renvoie plutôt à l’«homme» au sens d’«humanité»). L’Académie française, gardien de la langue française, a récemment décidé d’encourager la féminisation des noms de profession. Au Québec, région francophone, le soutien au langage non sexiste semble émaner de la société civile et du grand public 
			(29) 
			Canadiens and Canadiennes
in uproar as student paper takes stand on gender, The Guardian, 8 mai 2019..
70. Le Conseil de l’Europe devrait suivre ses propres recommandations et accorder une attention particulière au langage employé dans ses documents internes et textes adoptés. Ainsi, il conviendrait d’utiliser un langage inclusif dans l’ensemble de l’Organisation en s’appuyant sur les Lignes directrices pour l'emploi d'un langage non sexiste adoptées en 1994 
			(30) 
			Lignes
directrices pour l'emploi d'un langage non sexiste au Conseil de
l’Europe, Annexe à l’Instruction no 33
du 1er juin 1994 relative à l'emploi
d'un langage non sexiste au Conseil de l’Europe. (qu’il pourrait être utile de réviser et, éventuellement, de modifier) et le Glossaire sur l’égalité entre les femmes et les hommes publié par la Commission pour l’égalité de genre en 2016.

7. Émancipation économique et conciliation entre vie professionnelle et vie privée

71. L’émancipation économique des femmes est une question complexe et multidimensionnelle. La commission sur l’égalité et la non-discrimination s’est penchée sur tous ses aspects, que ce soit l’accès des femmes au marché du travail et leur situation au sein du personnel et de la direction des entreprises, l’entreprenariat féminin et les inégalités d’accès au financement, ou la ségrégation fondée sur le genre dans les différents secteurs et professions 
			(31) 
			Actuellement, le marché
de l’emploi est marqué par une concurrence de plus en plus forte,
une ségrégation sociale et des conditions de travail précaires,
la perte d’emploi touchant davantage les femmes que les hommes.
Cette situation fait obstacle à la réalisation de la justice économique
et sociale, et, naturellement, à celle de l’égalité de genre..
72. Il existe de solides arguments en faveur de la diversité de genre dans le monde de l’entreprise. Un document de travail de l’Institut Peterson pour l’économie internationale datant de 2016 présente les conclusions d’une étude menée dans 91 pays 
			(32) 
			Marcus Noland, Tyler
Moran et Barbara Kotschwar, Is Gender Diversity Profitable?, Evidence
from a Global Survey, Peterson Institute for International Economics,
2016.. Les résultats, qui montrent que la participation des femmes reste globalement assez faible, indiquent également que la présence de ces dernières à des postes de direction peut améliorer les performances d’une entreprise. Cette corrélation peut refléter soit le bénéfice de la non-discrimination, soit le fait que les femmes renforcent la diversité des compétences au sein d'une entreprise. Toujours d’après cette étude, une entreprise comptant 30 % de femmes aux postes de direction peut voir ses bénéfices augmenter de 15 % par rapport à une entreprise similaire dirigée uniquement par des hommes. Cela s'explique souvent par l'impact positif de la diversité sur la qualité des conseils d'administration. Une telle diversité permet d’avoir un personnel plus jeune et plus qualifié, induit une concurrence positive et entraîne l’adoption d’approches plus saines de la résolution de problèmes.
73. Ces considérations sur l’impact positif de la diversité sont valables pour l’économie en général. De fait, en 2014, l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) a conclu que d’ici à 2050, l’amélioration de l’égalité de genre entraînerait une augmentation du PIB par habitant au sein de l’Union européenne, qui passera de 6,1 % à 9,6 %, soit de 1,95 à 3,15 milliards d’euros 
			(33) 
			EIGE, Economic benefits
of gender equality: <a href='https://eige.europa.eu/gender-mainstreaming/policy-areas/economic-and-financial-affairs/economic-benefits-gender-equality'>https://eige.europa.eu/gender-mainstreaming/policy-areas/economic-and-financial-affairs/economic-benefits-gender-equality</a>..
74. Les femmes continuent de se heurter à des obstacles à plusieurs niveaux, ce qui les empêche de contribuer au marché du travail et à la richesse globale des pays européens autant qu’elles le pourraient: les attitudes culturelles dominantes, en particulier, entraînent une répartition déséquilibrée des responsabilités domestiques et des obligations familiales. Des mesures devraient être progressivement introduites à cet égard pour permettre aux femmes de concilier leurs responsabilités familiales et professionnelles sans avoir à choisir entre les deux.
75. Pour des politiques de qualité, toutes les mesures proposées, y compris et en particulier dans le domaine de l’économie, devraient faire l’objet d’une évaluation de l’impact sur le genre. Plus généralement, les États membres du Conseil de l’Europe devraient recourir à des mécanismes de budgétisation sensible au genre. De fait, la perspective de genre devrait constituer un élément essentiel de la budgétisation (la fixation de seuils bas dans les budgets des États, par exemple, pour y faire figurer la dimension du genre de façon purement symbolique n’est pas acceptable) et impliquer automatiquement un audit de genre visant à évaluer a posteriori l’impact des politiques sur l’égalité de genre.
76. Par ailleurs, l’éducation des adultes est essentielle dans les politiques visant à promouvoir une amélioration générale des compétences professionnelles. Le recours aux programmes de formation des adultes pourrait être renforcé par un soutien de la part des médias et la conduite de campagnes d’information. Comme souligné dans le rapport de l’Assemblée sur «L’autonomisation des femmes dans l’économie» 
			(34) 
			Doc. 14573 (rapporteure: Mme Elena Centemero,
PPE/DC, Italie), qui a abouti à l’adoption de la Résolution 2235 (2018), les parcours d’éducation STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques) devraient être particulièrement encouragés chez les femmes et les filles. En outre, des mesures appropriées devraient être prises pour remédier aux faibles taux d’emploi des femmes et des travailleurs âgés, en particulier ceux qui ont un parcours professionnel atypique ou qui ont une maîtrise insuffisante des technologies de l’information et de la communication (TIC). Par conséquent, il est fondamental de mettre en place les conditions nécessaires pour proposer des services d’apprentissage tout au long de la vie à tous les niveaux et ainsi favoriser une amélioration dans le domaine de l’emploi.

8. Santé et droits sexuels et reproductifs

77. Un rapport sur l’accès à la contraception en Europe étant actuellement préparé par Mme Petra Bayr pour le compte de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, il n’est pas utile que je présente la situation de façon détaillée dans le présent rapport. Il me semble toutefois important de souligner qu’on observe des inégalités dans ce domaine entre les États membres du Conseil de l’Europe – et même en leur sein, la décentralisation pouvant entrainer des différences régionales. L’écart entre les pays les plus avancés et les moins avancés en la matière, déjà très important, continue de se creuser. Actuellement, certains États membres restreignent davantage – ou tentent de le faire – l’accès à la contraception, et, plus généralement, à la santé sexuelle et reproductive.
78. Le droit à l’avortement, en particulier, est menacé par un projet de loi visant à l’interdire (en Pologne) et par des obstacles concrets ou d’ordre administratif, ainsi que par des règles trop larges sur l’objection de conscience (certaines décisions du Comité européen des Droits sociaux ont mis en avant ces difficultés, notamment en Italie). D’un autre côté, l’Irlande a légalisé l’avortement par le biais de sa loi sur la santé de 2018, l’avortement étant désormais autorisé pendant les douze premières semaines de grossesse, voire au-delà en cas de risque pour la vie ou la santé de la femme enceinte et d’anomalies fœtales létales.
79. L’Assemblée a exprimé sa position sur la question dans sa Résolution 1607 (2008) sur l’accès à un avortement sans risque et légal en Europe, qui indique notamment que l’avortement «ne doit pas être interdit dans les délais de gestation raisonnables».
80. Aujourd’hui, soit plus de dix ans plus tard, les principes établis dans ce texte restent valables, mais les obstacles à leur mise en œuvre se sont renforcés. Ce durcissement des conditions est l’un des éléments du recul général des droits des femmes que j'ai mentionné précédemment et qui exige que l'Assemblée et tous les défenseurs des droits humains soient vigilants et redoublent d’efforts pour protéger l'acquis. Les tentatives de restriction de la santé et des droits sexuels et reproductifs menacent la santé et la vie de milliers de femmes.

9. Conclusions

81. Le Conseil de l’Europe joue un rôle majeur dans la promotion de l’égalité et la lutte contre la discrimination, y compris celle fondée sur le genre, depuis soixante-dix ans maintenant. En particulier au cours des trente dernières années, l’Organisation a renforcé son action en faveur de l’égalité de genre et obtenu des résultats considérables dans des domaines tels que le marché du travail, la représentation politique et la lutte contre la violence à l’égard des femmes.
82. Toutefois, les informations et données présentées dans ce rapport montrent qu’il reste assurément des progrès à faire. En outre, on observerait un recul des droits des femmes actuellement dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe. Il est donc nécessaire non seulement d’accomplir des progrès, mais aussi de défendre l’acquis.
83. Les inégalités de genre se manifestent sous diverses formes et dans des environnements différents, tant dans la vie privée que dans la vie publique. Je tiens à dire encore une fois que toutes les manifestations de l’inégalité sont liées les unes aux autres et doivent être combattues simultanément. Les politiques en faveur de l’égalité de genre se heurtent à la résistance de divers acteurs, en particulier ceux qui les perçoivent comme une menace à leurs privilèges traditionnels.
84. C’est pour cette raison, mais aussi pour d’autres, telles que l’inévitable essoufflement de toutes les initiatives visant à induire un changement positif, que nous devons nous fixer des objectifs élevés. Les États devraient au minimum adopter un agenda très ambitieux, dont la réalisation demandera une forte volonté politique. L’Assemblée parlementaire, et le Conseil de l’Europe dans son ensemble, ont le devoir de défendre cet agenda et d’obtenir le soutien politique nécessaire de la part des États membres.