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Avis de commission | Doc. 14910 | 18 juin 2019

Mettre fin à la contrainte en santé mentale: nécessité d'une approche fondée sur les droits humains

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Sahiba GAFAROVA, Azerbaïdjan, CE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14334, Renvoi 4309 du 30 juin 2017. Commission chargée du rapport: Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable. Voir Doc. 14895. Avis approuvé par la commission le 5 juin 2019. 2019 - Troisième partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)
1. La commission sur l'égalité et la non-discrimination félicite Mme Reina de Bruijn-Wezeman (Pays-Bas, ADLE), rapporteure de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, pour son rapport intitulé «Mettre fin à la contrainte en santé mentale: nécessité d'une approche fondée sur les droits humains». Il s’agit d’un rapport équilibré et complet qui explique clairement pourquoi il est indispensable de mettre fin à la contrainte pour respecter les droits fondamentaux des personnes souffrant de troubles mentaux. De plus, il propose des alternatives fondées sur les faits.
2. La commission soutient pleinement le rapport de Mme de Bruijn-Wezeman. Elle se félicite également que la rapporteure reconnaisse la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) – qui a déjà été ratifiée par tous les États membres du Conseil de l'Europe, à l’exception du Liechtenstein – comme le texte de référence du point de vue des droits fondamentaux dans ce domaine. Son rapport souligne les effets néfastes du recours, dans le domaine de la santé mentale, à des mesures de contrainte comme le placement et le traitement involontaires. De même, il attire l’attention sur les progrès réalisables grâce à des approches alternatives renforçant les capacités des malades mentaux au lieu de les priver de leur autonomie.
3. Comme la commission est tout à fait d’accord avec l’analyse et les recommandations de la rapporteure pour rapport, elle s’intéresse dans le présent avis aux autres problèmes pour les droits fondamentaux qui pourraient survenir du point de vue de la non-discrimination.

B. Amendement proposé

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Amendement A (au projet de résolution)

À la fin du paragraphe 2, insérer la phrase suivante:

«Or, non seulement le recours à de telles mesures coercitives conduit à des privations de liberté arbitraires, mais, en tant que traitement différentiel non justifié, il enfreint aussi la prohibition de la discrimination.»

C. Note explicative de Mme Sahiba Gafarova, rapporteure pour avis

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1. Je tiens à féliciter Mme de Bruijn-Wezeman pour son rapport équilibré et complet Mettre fin à la contrainte en santé mentale: nécessité d'une approche fondée sur les droits humains. Il démontre pourquoi il est indispensable de mettre fin aux mesures de contrainte afin de respecter les droits fondamentaux des personnes confrontées à un problème de santé mentale, et souligne le cercle vicieux engendré par la stigmatisation et les clichés, la privation d’autonomie et les placements et traitements involontaires. Il insiste en outre sur le fait que des alternatives existent, qu’elles fonctionnent et qu’il faut d’urgence les promouvoir.
2. Je suis pleinement d’accord avec le rapport et concentre par conséquent mon avis sur quelques problèmes supplémentaires du point de vue des droits fondamentaux qui pourraient survenir dans ce domaine, sous l’angle de la non-discrimination. Plusieurs de ces questions ont déjà été présentées en détail dans les commentaires de la commission sur l'égalité et la non-discrimination sur le projet de protocole additionnel à la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (STE no 164, «Convention d’Oviedo»), relatif à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du placement et du traitement involontaires, adoptés le 10 octobre 2018, et qui figurent en annexe au présent avis.

1. Changer de paradigme

3. La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) – qui est déjà ratifiée par tous les États membres du Conseil de l'Europe, à l’exception du Liechtenstein – constitue aujourd’hui le texte de référence en matière de droits fondamentaux dans le domaine du handicap. La CDPH introduit un changement radical d’approche du handicap en ce qu’elle se fonde sur un modèle social, plutôt que médical, du handicap. Dès lors, un diagnostic médical (par exemple de trouble mental) n’implique pas automatiquement qu’une personne souffre d’un handicap (psychosocial). Ce sont plutôt les barrières sociales auxquelles se heurtent les personnes souffrant de troubles mentaux qui peuvent les mettre en situation de handicap. La CDPH établit clairement qu’il appartient à la société de supprimer ces obstacles afin de préserver le droit de chacun de participer à la vie sociale sur un pied d’égalité.
4. Depuis bien trop longtemps, les personnes souffrant de troubles psychosociaux sont considérées comme dangereuses, déviantes et enclines à la violence. Comme le souligne le rapport de Mme de Brujin-Wezeman, ce préjugé a fortement influencé la manière dont les troubles mentaux sont traités. Les crises sont le plus souvent gérées dans l’optique de limiter les risques immédiats de dommages pour la personne concernée et pour autrui – fréquemment par un recours à un placement involontaire assorti de traitements involontaires (c’est-à-dire des mesures de contrainte). D’une manière générale, on accorde trop peu d’attention à la prévention à long terme et aux stratégies de gestion qui renforcent la capacité des intéressés et réduisent fortement les risques de situations de crise. Pourtant, le rapport de Mme de Brujin-Wezeman démontre que ces stratégies existent et donnent de bons résultats dans de nombreux États membres.

2. Discrimination

5. Un grand nombre de pays d’Europe ont réalisé des avancées importantes dans l’élimination des obstacles à la participation des handicapés physiques (en améliorant par exemple l’accès des personnes à mobilité réduite aux bâtiments et aux transports publics). Malheureusement, quand il s’agit de handicaps psychosociaux, les anciennes conceptions s’imposent et les mesures de contrainte restent largement utilisées alors même que leurs conséquences néfastes ont été démontrées et que rien ne prouve qu’elles contribuent à limiter le risque de violence 
			(1) 
			<a href=''>Voir le chapitre 3 de l’exposé des motifs de M</a>me <a href=''>de
Bruijn-Wezeman et les sources qui y sont citées.</a>; les méthodes alternatives qui renforcent les capacités des personnes et respectent leur autonomie restent l’exception. Ces différences de traitement pour les personnes souffrant de formes différentes de handicap subsistent en raison des stéréotypes et des préjugés qui entourent les troubles mentaux, mais elles n’ont aucune justification objective et constituent par conséquent de la discrimination.
6. Comme le souligne également le rapport de Mme de Brujin-Wezeman, la recherche scientifique n’établit pas de corrélation directe entre les troubles mentaux et la violence. Un tel lien apparaît uniquement en cas d’accumulation d’autres facteurs de risque – historiques ou cliniques, prédispositions ou contexte. Pourtant, des personnes ayant des troubles mentaux continuent d’être privés de liberté et soumis à des traitements involontaires dans tous les États membres du Conseil de l'Europe, sous prétexte qu’il faut limiter le risque de préjudices. Cette situation est en contradiction avec celle d’autres groupes, comme les jeunes hommes consommateurs d’alcool ou les auteurs de violences domestiques, qui ne sont pas privés de leur liberté alors même que leur propension à la violence (c’est-à-dire le risque qu’ils causent des dommages pour eux-mêmes ou pour autrui) est empiriquement connue 
			(2) 
			Ibid.. Une fois de plus, ces différences de traitement sont injustifiées et s’apparentent à une forme de discrimination.
7. Comme la commission l’a déjà fait remarquer, les personnes souffrant de troubles psychosociaux sont souvent dans l’incapacité de faire valoir leurs droits, ce dont les mesures de contrainte sont l’illustration parfaite. Le refus de reconnaître l’aptitude des personnes souffrant de troubles mentaux à prendre leurs propres décisions est l’une des formes de discrimination les plus radicales qu’elles subissent. Quand les capacités mentales d’une personne (son aptitude à prendre des décisions) sont réduites, la solution n’est pas de priver celle-ci de sa capacité juridique: il convient plutôt, dans l’esprit de la CDPH, de mettre en place des mesures spéciales (comme la prise de décision assistée, des directives anticipées, etc.) garantissant leur jouissance de la capacité juridique sur une base d’égalité avec les autres 
			(3) 
			CRPD/C/GC/1, paragraphe
13; cf. également l’<a href=''>Annexe – </a>Commentaires sur le projet de protocole additionnel à
la Convention d’Oviedo, relatif à la protection des droits de l'homme
et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard
du placement et du traitement involontaires, approuvée le 10 octobre
2018<a href=''>.</a>.
8. La commission a déjà exposé en détail les conséquences discriminatoires sur les personnes ayant un handicap psychosocial de mesures de contrainte comme le placement et le traitement involontaires, notamment en matière de privation arbitraire de liberté; l’autonomie, le consentement libre et éclairé et l’égalité dans la reconnaissance de la personnalité juridique; et l’exposition à la violation supplémentaire des droits fondamentaux résultant des mesures de contrainte. J’ai décidé de porter ces arguments à l’attention de chacun en joignant, en annexe au présent avis, les Commentaires de la commission sur le projet de protocole additionnel à la Convention d’Oviedo, relatif à la protection des droits de l'homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du placement et du traitement involontaires.
9. J’ajoute par ailleurs que d’après la jurisprudence actuelle de la Cour européenne des droits de l’homme, la détention d’un «aliéné» (selon les termes de l’article 5.1.e de la Convention européenne des droits de l’homme) ne sera considérée comme «régulière» que si elle répond à toute une série de critères stricts. Ainsi, «[t]oute détention de personnes souffrant de maladies psychiques doit poursuivre un but thérapeutique, et plus précisément viser à la guérison ou l’amélioration, autant que possible, de leur trouble mental». Par ailleurs, «quel que soit l’endroit où ces personnes se trouvent placées, elles ont droit à un environnement médical adapté à leur état de santé, accompagné de réelles mesures thérapeutiques, ayant pour but de les préparer à [leur] (…) libération». Dans son arrêt, la Cour reconnaît explicitement que la non interdiction de la détention fondée sur l’incapacité, selon l’article 5 de la Convention tel qu’interprété aujourd’hui, diffère de la position prise sur ce point par le Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies 
			(4) 
			Rooman
c. Belgique<a href=''>, Requête n° 18052/11,
arrêt du 31 janvier 2019 (Grande Chambre); voir en particulier les paragraphes
205-211.</a>. Je souhaite souligner que les États Parties à la CPDH – c’est-à-dire 46 des 47 pays membres du Conseil de l’Europe – se sont engagés à respecter les normes universelles en matière de droits humains énoncées par cet instrument et ils ne doivent pas se prévaloir des dispositions moins contraignantes de l’article 5.1.e de la Convention tel qu’interprétées aujourd’hui afin de se soustraire à leur obligation de protéger pleinement les droits des personnes ayant un handicap psychosocial et qui relèvent de leur juridiction. De surcroît, la jurisprudence de la Cour dans ce domaine est en train d’évoluer, se rapprochant de plus en plus des positions de la CPDH.

3. Remarques finales

10. Comme le démontre le rapport de Mme de Bruijn-Wezeman, la différence de traitement imposée aux personnes ayant un handicap psychosocial – et plus spécifiquement le recours trop répandu à des mesures de contrainte dans le traitement de leurs troubles mentaux – est non seulement néfaste pour les intéressés, mais également injustifiée et discriminatoire.
11. Il faut inverser la tendance au recours accru aux mesures de contrainte dans le domaine de la santé mentale: c’est une question fondamentale de garantie de l’égalité et de la dignité. Les États doivent d’urgence s’attaquer aux clichés et aux préjugés dans la société dont sont victimes les personnes ayant un handicap psychosocial, qui sont à la racine des pratiques préjudiciables qui les affectent et les piègent dans un cercle vicieux d’exclusion.
12. Je salue la contribution majeure du rapport de Mme de Bruijn-Wezeman, qui démontre que des méthodes alternatives en matière de traitement des troubles mentaux existent et fonctionnent, et qu’il faut les promouvoir. Ces traitements doivent favoriser l’autonomie et les capacités des personnes ayant un handicap psychosocial afin de garantir leur égalité de participation au sein de la société malgré les obstacles supplémentaires auxquels elles sont confrontées.

Annexe – Commentaires sur le projet de Protocole additionnel à la Convention d’Oviedo, relatif à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du traitement et du placement involontaires 
			(5) 
			Approuvés par la commission
le 10 octobre 2018.

(open)

1. Introduction

1. Le 18 juin 2018, le Comité de Bioéthique du Conseil de l’Europe (DH-BIO) a envoyé à l’Assemblée parlementaire, pour observations, le projet de Protocole additionnel à la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (STE no 164, «Convention d’Oviedo»), relatif à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du traitement et du placement involontaires. Au sein de l’Assemblée, conformément à leur mandat respectif, deux commissions sont compétentes en la matière: la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable et la commission sur l’égalité et la non-discrimination. Elles ont organisé une audition conjointe le 9 octobre 2018 sur le thème: «Protéger les droits des personnes ayant un handicap psychosocial à l’égard des mesures involontaires en psychiatrie», avec la participation de Mme Beatrice Ioan, présidente du Comité de Bioéthique du Conseil de l’Europe; Mme Catalina Devandas-Aguilar, rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées; Mme Dunja Mijatović, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe; M. Christos Giakoumopoulos, directeur général, direction générale Droits de l’homme et État de droit du Conseil de l’Europe; Mme Olga Runciman, psychologue et propriétaire de Psycovery. Il a été tenu compte de leur contribution dans les présentes observations.
2. La commission sur l’égalité et la non-discrimination remercie le Comité de Bioéthique de lui offrir, avec cette consultation informelle, la possibilité de formuler des observations sur le projet de protocole. Elle rappelle que dans la Recommandation 2091 (2016) «Arguments contre un instrument juridique du Conseil de l’Europe sur les mesures involontaires en psychiatrie», l’Assemblée avait «recommand[é] que le Comité des Ministres charge le Comité de bioéthique: de retirer la proposition visant à élaborer un protocole additionnel relatif à la protection des droits humains et à la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du placement et du traitement involontaires; de concentrer plutôt son travail sur la promotion d’alternatives aux mesures involontaires en psychiatrie, y compris en élaborant des mesures visant à accroître la participation des personnes ayant un handicap psychosocial aux décisions qui concernent leur santé» et indiqué que «[s]’il est néanmoins décidé de poursuivre l’élaboration du protocole additionnel, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres d’encourager le Comité de bioéthique à assurer une participation directe des organisations de défense des droits des personnes handicapées au processus de rédaction, tel que recommandé par la CDPH et la Résolution 2039 (2015) de l’Assemblée «Égalité et insertion des personnes handicapées». 
			(6) 
			Paragraphes 11 et 12.
3. La contribution de la commission est principalement axée sur les questions d’égalité et de non-discrimination. Elle s’appuie sur un instrument international fondamental en matière de protection des droits des personnes handicapées: la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (ci-après, CDPH). Ce texte, qui accorde une place centrale aux personnes handicapées et applique le principe selon lequel «Rien ne se fera pour nous sans nous», a été ratifié par 46 des 47 États membres du Conseil de l’Europe 
			(7) 
			À
savoir tous les États membres du Conseil de l’Europe à l’exception
du Liechtenstein.. La commission souligne qu’il serait particulièrement préoccupant, et dangereux pour les droits des personnes handicapées, qu’en adoptant des normes internationales moins exigeantes que celles qui sont reconnues au titre de la CDPH, le Conseil de l’Europe – organisation phare de la défense des droits humains en Europe – compromette les travaux menés à l’échelon international dans ce domaine. En effet, les 46 États membres qui sont Parties à la CDPH se sont non seulement engagés à respecter la lettre de cette convention, mais aussi, sur le plan politique, à opérer le changement radical d’orientation qu’induit ce texte.
4. Les principes d’insertion et de protection des droits des personnes handicapées que défend la CDPH occupent une place primordiale dans les travaux relatifs au handicap menés par la commission sur l’égalité et la non-discrimination et sa sous-commission sur le handicap et la discrimination multiple et intersectionnelle. Dans sa Résolution 2039 (2015) sur l’égalité et l’insertion des personnes handicapées, fondée sur un projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission sur l’égalité et la non-discrimination, l’Assemblée appelle les États membres à «rompre avec la culture de l’institutionnalisation, (…) et (…) engager la réflexion sur les alternatives au placement en institution, en tenant compte des choix des personnes handicapées».

2. Considérations générales

«De toutes les tyrannies, celle qui vise au bien de ses victimes est sans doute la plus oppressive. (…) [C]eux qui nous tourmentent pour notre propre bien n'auront jamais de cesse de le faire, puisqu’ils ont la bénédiction de leur conscience». C.S. Lewis, Dieu au banc des accusés; essai de théologie (Making of Modern Theology), cité par Mme Runciman à l’audition du 9 octobre 2018.

1. Comme précisé à l’audition du 9 octobre 2018, il est généralement admis que les personnes soumises à des mesures involontaires en psychiatrie sont exposées à des violations graves de leurs droits humains et que les pouvoirs publics doivent remédier à cette situation. Les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) n’en témoignent que trop clairement. Pourtant, la législation de nombreux États membres du Conseil de l’Europe prévoit des mesures involontaires, qui restent d’application à ce jour.
2. Il est en outre généralement admis que sauver des vies et venir en aide aux personnes ayant un handicap psychosocial, notamment en cas de crise profonde ou de grande détresse, est un objectif commun et que les États membres ont besoin d’orientations pour élaborer et mettre en œuvre des alternatives efficaces, respectueuses de la dignité et des droits de ces personnes.
3. Il existe toutefois différentes façons de s’y prendre pour atteindre cet objectif. Comme l’a expliqué sa présidente à l’audition du 9 octobre 2018, le Comité de Bioéthique estime que tant que des lois prévoyant des mesures involontaires seront en vigueur et appliquées, il faudra de solides garde-fous pour s’assurer que ces mesures ne sont utilisées qu’en dernier ressort et pour permettre aux personnes ayant un handicap psychosocial d’exercer leurs droits. La rapporteuse spéciale des Nations Unies a néanmoins souligné que bien que les mesures involontaires aient été élaborées en partant du principe qu’elles devaient être d’application exceptionnelle et assorties de garanties, c’est pourtant précisément dans les États où ces garanties existent que les mesures involontaires sont le plus souvent employées. En substance, de telles garanties sont de nature à créer des obstacles supplémentaires, plutôt qu’à remédier à la situation actuelle, alors même que cela est urgent. Par ailleurs, rien n’indique, a-t-elle souligné à l’instar d’autres orateurs, que les mesures coercitives réduisent l’automutilation. Au contraire, comme l’ont fait observer aussi bien Mme Runciman qu’un orateur s’exprimant au nom du Réseau européen des (ex-)usagers et survivants de la psychiatrie (ENUSP), les mesures coercitives brisent la confiance des personnes qui les subissent en l’aptitude de la psychiatrie à les aider, et les poussent à éviter tout contact avec le système de santé. Comme l’a fait remarquer l’un des orateurs, c’est l’une des raisons pour lesquelles «la coercition n’est pas une forme de soin».
4. Des solutions autres que la coercition sont déjà proposées, par exemple des stratégies d’intervention à domicile, des services de gestion de crise ou services de répit, des initiatives entre pairs et la planification en amont. Il existe encore peu de publications dans ce domaine mais une analyse documentaire publiée en octobre 2018 montre que de telles alternatives peuvent donner d’excellents résultats et méritent que les États s’y intéressent de beaucoup plus près 
			(8) 
			Goodings P. et al. (2018), Alternatives to Coercion in Mental Health Settings:
A Literature Review, commandée par l’Office des Nations
Unies à Genève à l’appui du rapport de la rapporteuse spéciale sur
les droits des personnes handicapées, Melbourne Society Equity Institute..
5. Il est important de souligner que les personnes ayant un handicap psychosocial sont fréquemment dans l’incapacité de faire valoir leurs droits, ce dont les mesures coercitives sont l’illustration parfaite. Ne pas reconnaître la capacité des personnes ayant un handicap psychosocial à prendre leurs propres décisions est l’une des formes de discrimination les plus radicales qu’elles subissent, comme indiqué plus bas. Par ailleurs, en raison des stéréotypes et de la stigmatisation qui les entourent, ces personnes sont largement perçues comme étant dangereuses, à la fois pour elles-mêmes et pour les autres, ce qui se solde bien trop souvent par leur exclusion de la société. Tous ces facteurs accentuent la discrimination dont elles sont victimes. Comme l’a clairement montré Mme Runciman, il est indispensable d’écouter ce que ces personnes ont à raconter pour comprendre ce qu’elles vivent et la raison pour laquelle elles insistent sur le fait que ce qu’il faut, ce n’est pas multiplier les mesures similaires mais changer radicalement d’orientation.
6. L’un de ces changements radicaux consiste à cesser de parler de «personnes atteintes de troubles mentaux», terminologie employée dans le titre et le corps du projet de protocole, pour adopter la terminologie du Comité CDPH, à savoir «personnes ayant un handicap psychosocial». En effet, ce choix terminologique n’est pas neutre. Il reflète une approche différente de la question, ou met l'accent sur des aspects et préoccupations différents. Alors que «personnes atteintes de troubles mentaux» correspond à une approche traditionnelle en psychiatrie, «personnes ayant un handicap psychosocial» est la terminologie acceptée dans le domaine des droits humains.

3. Questions précises en matière d’égalité et de non-discrimination

1. Les États Parties à la CDPH se sont engagées à «s’abstenir de tout acte et de toute pratique incompatible avec la (…) Convention et veiller à ce que les pouvoirs publics et les institutions agissent conformément à la (…) Convention» (article 4.d) de la CDPH) et à «prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination fondée sur le handicap pratiquée par toute personne, organisation ou entreprise privée» (article 4.e) de la CDPH). «Les États Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement» (article 5.2 de la CDPH). C’est l’éventuel conflit entre le projet de protocole additionnel et ces engagements, tout particulièrement en ce qui concerne le respect du droit à l’égalité, qui est au cœur des observations de la commission ci-après.
2. Reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité (article 12 de la CDPH): Les droits de toutes les personnes handicapées, y compris celles qui souffrent d’un handicap psychosocial, à la reconnaissance en tous lieux de leur personnalité juridique, et à jouir de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres, sont inscrits dans l’article 12 de la CDPH. Le Comité CDPH a rappelé qu’il fallait distinguer la capacité juridique d’une personne (statut juridique et capacité d’agir en droit) et sa capacité mentale (aptitude à prendre des décisions) 
			(9) 
			CRPD/C/GC/1,
paragraphe 13.. Lorsque la capacité mentale d’une personne se détériore, il peut être nécessaire de prendre des mesures spécifiques afin de garantir son droit à jouir de sa capacité juridique sur la base de l’égalité avec les autres, conformément à l’article 12 de la CDPH. Mais la priver de sa capacité juridique va à l’encontre de son droit à la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité, aux termes de la CDPH.
3. Le droit à la liberté et à la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité (articles 14 et 12 de la CDPH): La CDPH prévoit qu’«en aucun cas l’existence d’un handicap ne justifie une privation de liberté» (article 14.b)). Le Comité CDPH a par ailleurs bien établi que le «déni de la capacité juridique des personnes handicapées et leur détention dans des établissements contre leur volonté, sans leur consentement ou avec celui d’une personne habilitée à se substituer à elles pour prendre les décisions les concernant, constituent une privation arbitraire de liberté et violent les articles 12 et 14 de la [CDPH]» 
			(10) 
			CRPD/C/GC/1, paragraphe
40.. Le placement involontaire est discriminatoire en ce sens qu’il fait tout simplement abstraction de la capacité juridique de la personne concernée. Il faudrait plutôt prendre des mesures propres à garantir le droit à l’égalité et le respect du principe de non-discrimination, par exemple en prévoyant un soutien à la prise de décision sur les questions de santé ou d’autres modèles de service, qui respectent la volonté et les préférences de la personne 
			(11) 
			Mandat du Groupe de
travail sur la détention arbitraire; président du Comité des droits
des personnes handicapées; rapporteuse spéciale sur les droits des
personnes handicapées et rapporteur spécial sur le droit qu’a toute
personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale
possible, lettre au Secrétaire général du Conseil de l’Europe, 29 septembre
2017, annexe: cf. droit international humanitaire et document des
Nations Unies A/HRC/35/21, paragraphe 29.. De telles mesures éliminent la «nécessité» du recours à un placement involontaire.
4. Autonomie, consentement libre et éclairé et reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité (articles 25 et 12 de la CDPH): Au titre de la reconnaissance par les pouvoirs publics du droit des personnes handicapées à jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination fondée sur le handicap, l’article 25.d) de la CDPH exige des professionnels de la santé qu’ils ne dispensent des soins aux personnes handicapées que s’ils obtiennent leur consentement libre et éclairé. Comme l’ont reconnu les Nations Unies, le consentement libre et éclairé à un traitement n’a de sens que si la personne concernée a le droit de refuser celui-ci 
			(12) 
			Ibid., et document Nations Unies
E/CN.4/2006/120, paragraphe 82.. Rien ne justifie de traiter les personnes ayant un handicap psychosocial différemment des autres à cet égard: là encore, ignorer leur capacité juridique n’est pas compatible avec leur droit à la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité, et il faudrait plutôt prendre lorsqu’il y a lieu des mesures propres à garantir l’accès à des processus d’accompagnement dans la prise de décision.
5. Exposition à de nouvelles violations des droits humains après placement et/ou traitement involontaires (article 15 et 17 de la CDPH et articles 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme): Il est généralement admis que «les centres de santé mentale sont le théâtre d’un nombre inacceptable d’atteintes aux droits de l’homme» et que les choses doivent immédiatement changer 
			(13) 
			Rapport
du rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit qu’à toute
personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale
possible, 28 mars 2017, A/HRC/35/21.. Outre les atteintes au droit de reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité (voir plus haut), les personnes ayant un handicap psychosocial sont exposées à d’autres violations de leurs droits humains lorsqu’elles sont placées involontairement dans des établissements de santé mentale. Elles peuvent en particulier subir des atteintes disproportionnées à leur droit à l’intégrité physique, notamment pour cause d’emploi de la force, de contention (physique ou chimique, sédation comprise) ou d’isolement, ce qui va à l’encontre de l’article 17 de la CDPH et (surtout si le recours à ces mesures se prolonge) de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 15 de la CDPH et de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(14) 
			Mandat du Groupe de
travail sur la détention arbitraire; président du Comité des droits
des personnes handicapées; rapporteuse spéciale sur les droits des
personnes handicapées et rapporteur spécial sur le droit qu’à toute
personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale
possible, lettre au Secrétaire général du Conseil de l’Europe, 29 septembre
2017, annexe: cf. droit international humanitaire et document Nations
Unies A/63/175, paragraphes 55-56 (cf. normes des Nations Unies
équivalentes en matière de torture).. L’Organisation mondiale de la santé reconnaît elle-même que les établissements psychiatriques sont associés à des violations graves des droits humains, notamment des conditions de vie et des traitements inhumains et dégradants, et que ces violations ont souvent lieu à huis clos et ne sont pas signalées 
			(15) 
			<a href='http://www.who.int/mental_health/policy/legislation/en/'>www.who.int/mental_health/policy/legislation/en/</a>., ce qui signifie qu’aucune enquête n’a lieu et qu’il ne peut donc y avoir réparation. Les personnes ayant un handicap psychosocial sont donc confrontées à certaines violations graves, sur le fond et sur la forme, de leurs droits énoncés aux articles 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et aux articles 15 et 17 de la CDPH. En somme, le placement et/ou le traitement involontaires des personnes ayant un handicap psychosocial uniquement en raison de leur handicap est également discriminatoire en ce sens qu’ils les exposent à une série de violations graves de leurs droits humains auxquelles d’autres personnes ne sont pas exposées.
6. Le Comité de Bioéthique a fait valoir que les garanties prévues dans le projet de protocole additionnel sont destinées à aider les États à aligner leur législation sur la jurisprudence de la Cour au sujet des mesures involontaires. Toutefois, il a également été soutenu à l’audition du 9 octobre 2018 que la jurisprudence de la Cour évolue et se rapproche de plus en plus des normes de la CDPH. Le protocole additionnel risque donc de cristalliser des normes qui sont non seulement aujourd’hui en conflit avec la CDPH mais qui s’avéreront rapidement moins exigeantes que celles de la Convention européenne des droits de l’homme telles qu’interprétées par la jurisprudence de la Cour. Les États membres restent bien entendu tenus d'exécuter rapidement et intégralement les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme.

4. Conclusions

1. Pour toutes les raisons mentionnées ci-dessus, la commission sur l’égalité et la non-discrimination considère que le placement et le traitement involontaires constituent une atteinte au droit des personnes ayant un handicap psychosocial à l’égalité et à la non-discrimination, et elle réaffirme l’opinion déjà exprimée par l’Assemblée parlementaire, à savoir que le Conseil de l’Europe doit cesser ses travaux de rédaction d’un projet de protocole additionnel à la Convention d’Oviedo. Ceux-ci ne pourront en effet que servir à perfectionner des mécanismes qui de par leur nature perpétueront la discrimination et autres violations des droits humains. Ni la formulation la plus prudente ni le fait de mettre fermement l’accent sur la nécessité de privilégier l’autonomie des personnes ayant un handicap psychosocial ne pourraient éliminer ce défaut, qui est inhérent à l’idée même du projet de protocole additionnel.
2. Pour garantir le droit des personnes ayant un handicap psychosocial à l’égalité et la non-discrimination, tous les secteurs du Conseil de l’Europe doivent veiller de concert à ce qu’elles ne soient pas soumises à un placement ou un traitement involontaires, et à ce que les normes en matière de droits humains qui sont établies à l’heure actuelle soient prospectives et protègent ces droits au plus haut point. Les pouvoirs publics devraient faire le nécessaire pour favoriser un changement radical d’orientation afin que des alternatives aux mesures coercitives soient adoptées et que d’autres traitements puissent être disponibles et accessibles. Le Conseil de l’Europe devrait concentrer ses efforts et ressources au soutien dont ses États membres ont besoin à cet effet.