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Rapport | Doc. 14960 | 05 septembre 2019

La conservation du patrimoine culturel juif

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Raphaël COMTE, Suisse, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14477, Renvoi 4364 du 16 mars 2018. 2019 - Quatrième partie de session

Résumé

Le patrimoine culturel juif fait partie intégrante du patrimoine culturel commun de l’Europe et sa conservation relève donc de la responsabilité de tous. En assurant la survie de sites historiques juifs, la mémoire collective est elle aussi préservée. La mise en valeur et la meilleure compréhension de la culture et du patrimoine juifs, qui témoignent d’importants échanges interculturels et d’un enrichissement mutuel avec d’autres cultures, favoriseront aussi le dialogue interculturel, l’inclusion et la cohésion sociale ainsi que la lutte contre l’ignorance et les préjugés.

Le rapport recommande d’élaborer des orientations pour la protection et la préservation des sites patrimoniaux juifs conformément aux acquis du Conseil de l'Europe en matière de protection du patrimoine culturel; d’aider les États membres à développer davantage les programmes éducatifs sur la valeur du patrimoine culturel juif, qui devraient largement englober les établissements scolaires, les universités, les musées et le secteur culturel; et d’envisager, en coopération avec l’Union européenne, la possibilité de créer un prix récompensant des activités bénévoles remarquables sur la conservation du patrimoine juif.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 24 juin
2019.

(open)
1. Le patrimoine culturel juif reflète la pluralité historique des communautés qui ont vécu ensemble pendant des millénaires et qui, malgré des persécutions, ont bénéficié d’échanges interculturels importants et d’un enrichissement mutuel. L’Assemblée parlementaire souligne que le patrimoine culturel juif, tant matériel qu’immatériel, fait partie intégrante du patrimoine culturel commun de l’Europe et que sa conservation relève donc de la responsabilité de tous.
2. Dans ce contexte, l’Assemblée rappelle sa Résolution 885 (1987) sur la contribution juive à la culture européenne, la Recommandation 1291 (1996) sur la culture yiddish, la Résolution 1883 (2012) sur les cimetières juifs et la Résolution 1981 (2014) sur le patrimoine menacé en Europe.
3. Aujourd’hui, moins d’un quart des synagogues historiques ont conservé leur vocation première et, privées d’une communauté de fidèles, elles sont pour la plupart abandonnées et donc particulièrement fragiles. En assurant la survie de ces sites, la mémoire collective est elle aussi préservée et les sites peuvent continuer à servir de «patrimoine vivant» capable de mobiliser les citoyens, en particulier les jeunes, de les sensibiliser à leur histoire et à leur culture, en renforçant leur identité et leur sentiment d’appartenance.
4. L’Assemblée recommande par conséquent aux États membres du Conseil de l’Europe:
4.1. en ce qui concerne l’élaboration de stratégies et de politiques:
4.1.1. de signer et de ratifier la Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE no 199, «Convention de Faro») et la Convention européenne du paysage (STE no 176), s’ils ne l’ont pas encore fait, et d’inclure équitablement le patrimoine culturel juif dans les stratégies nationales qui tiennent compte du patrimoine culturel, conformément aux principes énoncés dans ces conventions;
4.1.2. de reconnaître la vulnérabilité particulière du patrimoine juif en tant que patrimoine «orphelin», sans communauté pour l’utiliser, et d’en tenir compte dans l’élaboration des politiques et des programmes relatifs au patrimoine;
4.1.3. de faire relever le patrimoine juif d’une catégorie distincte dans l’inventaire national sur l’état du patrimoine, de concevoir des plans d’action garantissant que le patrimoine juif bénéficie d’un niveau approprié de protection, de conservation et d’entretien et d’affecter directement des ressources aux cas les plus urgents s’agissant des sites du patrimoine juif en péril;
4.1.4. de valoriser le potentiel des sites du patrimoine culturel juif pour favoriser le dialogue interculturel en tant que moyen de promouvoir l’inclusion et la cohésion sociale et de lutter contre l’ignorance et les préjugés; et d’évaluer dans quelle mesure l’histoire juive et l’interaction de la culture juive avec d’autres cultures sont comprises dans la société en vue d’attester pleinement l’histoire juive, de l’intégrer dans les programmes scolaires et universitaires et de la faire reconnaître dans le monde muséal;
4.1.5. de reconnaître, d’interpréter et de transmettre un riche patrimoine culturel immatériel, à savoir les traditions, les coutumes, les pratiques religieuses, la langue, la cuisine, la musique, les arts et l’artisanat juifs;
4.2. en ce qui concerne la mise en œuvre au niveau local:
4.2.1. de sensibiliser à la nécessité impérieuse de préserver le patrimoine juif, également en tant qu’atout du développement durable local et de renforcer l’appropriation et l’engagement au niveau local, en favorisant les partenariats avec diverses parties prenantes, dont les autorités locales, les groupes de la société civile et les organisations communautaires et patrimoniales juives intéressées;
4.2.2. d’établir des mécanismes qui puissent faciliter le débat, ainsi que l’échange et le partage des connaissances, des compétences, des expériences et des meilleures pratiques, auxquels participeraient des bénévoles et des professionnels travaillant dans le domaine de la conservation du patrimoine juif en vue de développer le sens d’une éthique commune et l’uniformisation des pratiques;
4.2.3. de mettre en place, au besoin, des politiques pour résoudre les questions posées par la propriété juridique des bâtiments communaux juifs pour contribuer au règlement des litiges et éviter qu’ils ne nuisent aux travaux de conservation;
4.2.4. de veiller, dans le cas de projets de développement susceptibles d’endommager des sites juifs, à ce que des mesures de conservation soient envisagées en consultation avec les services du patrimoine et les organismes du patrimoine juif comme la Fondation pour le patrimoine juif;
4.2.5. outre l’application aux sites du patrimoine juif des pratiques et des méthodes établies de conservation, de dispenser une formation pour que la valeur spécifique des sites patrimoniaux juifs soit reconnue, correctement évaluée et gérée;
4.3. en ce qui concerne l’intérêt pédagogique:
4.3.1. de répondre, honnêtement et directement, par le biais de l’éducation, aux défis posés par le patrimoine juif et les répercussions de l’Holocauste, pour contribuer à une forme d’apaisement social, par la promotion du bien-être et de la réconciliation;
4.3.2. d’élaborer des programmes éducatifs, en particulier pour les jeunes, afin de les aider à mieux comprendre et à apprécier l’expérience juive et la diversité historique des peuples d’Europe, et à promouvoir le respect d’autrui et la citoyenneté démocratique;
4.4. en ce qui concerne la coopération au niveau européen:
4.4.1. de favoriser l’inclusion des sites du patrimoine juif dans l’itinéraire culturel juif, qui fait partie du Programme des itinéraires culturels du Conseil de l’Europe, en vue de coopérer et de prendre part à des recherches et à des études historiques, à des échanges de jeunes et à la promotion de l’expression culturelle et artistique contemporaine et d’interagir avec d’autres itinéraires pour promouvoir la notion d’histoire et de patrimoine partagés;
4.4.2. de renforcer et de soutenir la coopération et les partenariats à travers l’Europe, pour échanger les meilleures pratiques dans le domaine de la protection et de la préservation du patrimoine juif.
5. L’Assemblée invite le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe à prendre en compte la présente résolution et à promouvoir la coopération entre les autorités locales et régionales à cet égard.
6. L’Assemblée invite l’Union européenne à coopérer avec le Conseil de l’Europe afin de soutenir la mise en œuvre de la Convention de Faro, d’élaborer des principes directeurs et de mettre en place des incitations financières pour protéger et préserver les sites patrimoniaux juifs, d’envisager d’établir un mécanisme de suivi de l’état de la conservation du patrimoine juif, et de créer un prix récompensant des activités bénévoles remarquables sur la conservation du patrimoine juif.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 24 juin 2019.

(open)
1. Renvoyant à sa Résolution … (2019) sur la conservation du patrimoine culturel juif, l’Assemblée parlementaire considère que le patrimoine culturel juif fait partie intégrante du patrimoine culturel commun de l’Europe et que sa conservation relève donc de la responsabilité de tous.
2. Le patrimoine culturel juif, tant matériel qu’immatériel, devrait être un élément clé de l’enseignement de l’histoire, car il est une manifestation concrète de la vie de la communauté juive et de sa présence historique en Europe. La mise en valeur et la meilleure compréhension de la culture et du patrimoine juifs, qui témoignent d’importants échanges interculturels et d’un enrichissement mutuel avec d’autres cultures, favoriseront aussi le dialogue interculturel, l’inclusion et la cohésion sociale ainsi que la lutte contre l’ignorance et les préjugés.
3. La Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE no 199, «Convention de Faro»), la Stratégie européenne du patrimoine pour le XXIe siècle (Stratégie 21), le Programme des itinéraires culturels du Conseil de l’Europe et les Journées européennes du patrimoine constituent un excellent cadre pour promouvoir le patrimoine culturel juif.
4. L’Assemblée recommande donc au Comité des Ministres de s’appuyer sur ces instruments et sur les activités du Conseil de l’Europe pour:
4.1. élaborer des orientations pour la protection et la préservation des sites patrimoniaux juifs conformément aux acquis du Conseil de l'Europe en matière de protection du patrimoine culturel;
4.2. aider les États membres à développer davantage les programmes éducatifs sur la valeur du patrimoine culturel juif, qui devraient largement englober les établissements scolaires, les universités, les musées et le secteur culturel;
4.3. envisager, en coopération avec l’Union européenne, la possibilité de créer un prix récompensant des activités bénévoles remarquables sur la conservation du patrimoine juif.

C. Exposé des motifs par M. Raphaël Comte, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La proposition de résolution déposée par Mme Angela Smith et d’autres membres de l’Assemblée le 23 janvier 2018, à l’origine du présent rapport, mettait en lumière les enjeux spécifiques auxquels est confronté le patrimoine culturel juif, comme l'a révélé une étude récente réalisée par la Fondation pour le patrimoine juif 
			(3) 
			<a href='http://foundationforjewishheritage.com/'>http://foundationforjewishheritage.com.</a> à la suite des recherches qu'elle a menées pour cartographier, classer et évaluer l'état des synagogues historiques d'Europe. Etant donné que le Conseil de l'Europe s’emploie actuellement à sensibiliser l’opinion au patrimoine culturel et à mieux protéger et mettre ce dernier en valeur, que le patrimoine juif fait historiquement et intégralement partie de la culture européenne et, enfin, que 2018 a été désignée Année européenne du patrimoine culturel, il serait opportun d’entreprendre des recherches sur la situation actuelle du patrimoine bâti juif en Europe.
2. L’Assemblée s’est déjà penchée sur des questions en lien avec ce thème, qui font l’objet de la Résolution 885 (1987) relative à la contribution juive à la culture européenne, de la Recommandation 1291 (1996) relative à la culture yiddish, de la Résolution 1883 (2012) sur les cimetières juifs et de la Résolution 1981 (2014) sur le patrimoine menacé en Europe.
3. En effet, la Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE no 199, «Convention de Faro») appelle les États membres à adhérer à un ensemble de principes relatifs à la protection du patrimoine, et le Conseil de l’Europe à poursuivre sa mission de suivi du patrimoine culturel en général. Les articles de la Convention sont au cœur même du présent rapport et mettent en avant les principes suivants:
  • le patrimoine culturel représente une valeur et comporte des avantages pour la société en plaçant des citoyens ordinaires au centre de l’action grâce aux liens établis avec les droits de l’homme;
  • le patrimoine culturel est un patrimoine européen commun dont il conviendrait de traiter équitablement les différentes expressions;
  • la conservation du patrimoine intéresse tout un chacun et est de la responsabilité de tous;
  • le patrimoine culturel encourage l’intérêt pour la diversité culturelle, le respect vis-à-vis d’autres cultures et, à travers le dialogue interculturel, pour la coexistence et la cohésion sociale;
  • pour rendre le patrimoine culturel entièrement accessible, celui-ci doit être inventorié, étudié, protégé, conservé, interprété et exposé;
  • l’éducation est essentielle à la sauvegarde du patrimoine, parce qu’elle permet de cultiver une mémoire culturelle collective au sein de la société;
  • le patrimoine culturel est une ressource susceptible d’offrir des avantages économiques et sociaux.
4. Je tiens à remercier M. Michael Mail, directeur général de la Fondation pour le patrimoine juif, et Dame Helen Hyde DBE, Présidente de la Fondation, pour leur aide et leur expertise dans la rédaction du présent rapport. J’ai aussi tenu compte de certains points essentiels qui ont été soulevés lors de la visite d’information que j’ai effectuée en Lituanie en octobre 2018, tant avec des personnes directement associées à des projets de restauration au niveau local, qu’avec celles qui participent à l’élaboration des politiques au niveau national. À cet égard, je remercie la délégation parlementaire lituanienne, M. Martynas Uzpelkis et la communauté juive lituanienne (Litvak) de nous avoir aidés à organiser un programme dense incluant les visites dans différentes régions du pays dans le cadre de 13 projets de restauration.

2. La situation des synagogues en Europe

2.1. Aperçu

5. La présence juive en Europe remonte à plus de 2 500 ans. Pendant cette période, le peuple juif a développé une culture aussi riche qu’exceptionnelle qui a apporté une contribution unique à la civilisation européenne toute entière et qui reste à ce jour un legs remarquable dont on trouve les traces sur l’ensemble du continent.
6. Les sites patrimoniaux juifs – synagogues, quartiers juifs, bâtiments communaux, cimetières, monuments – sont dépositaires de la vie, des coutumes et de l’art juifs dont témoignent de nombreux et splendides édifices, véritables prouesses architecturales et artistiques.
7. Les éléments les plus emblématiques de la communauté juive sont les synagogues, grandes ou petites, imposantes ou modestes. Bien plus qu’un lieu de culte, la synagogue était le principal espace public de la communauté, ainsi que sa représentation symbolique. C’est pourquoi Juifs et non-Juifs attachaient aux synagogues une importance toute particulière en tant qu’incarnation de la présence et de la vie communautaire et religieuse juives.
8. L’emplacement et l’aspect extérieur de la synagogue étaient souvent révélateurs de la position de la communauté juive au sein de la société locale, qui pouvait aller de la «ghettoïsation» à «l’acculturation complète», et s’est affirmée avec le Siècle des lumières qui a apporté l’émancipation aux Juifs d’Europe. Les membres des communautés juives cherchant à prouver qu’ils étaient désormais des citoyens européens à part entière et tenant à ce que la splendeur des synagogues n’ait rien à envier à celle des églises, l’aspect des synagogues a alors radicalement changé.
9. Le XXe siècle a été une période de transitions accompagnée de vagues de dépeuplement et d’exodes massifs et souvent tragiques qui ont culminé avec l’Holocauste. Alors qu’au XIXe siècle, 9 Juifs sur 10 vivaient en Europe, ils ne sont plus aujourd’hui qu’un sur 10. Le peuple juif «ne vit plus où il a vécu». Dans ce qui fut, des siècles durant, le cœur de l’implantation juive dans des pays tels que la Pologne et la Lituanie, ces communautés ont aujourd’hui en grande partie disparu. Privé d’utilisateurs, ce patrimoine ancien qui a subi les ravages de l’abandon, des phénomènes naturels et des actions humaines est aujourd’hui un peu partout en péril.
10. Les anciennes synagogues d’Europe de l’Est ont connu un destin particulièrement tragique sous le régime communiste. Elles ont en effet été démolies, reconstruites à des fins diverses, ou tout simplement laissées à l’abandon. En Europe de l’Ouest, où elles sont en bien meilleur état, des communautés juives amoindries se battent pour les préserver. Néanmoins, par exemple au Royaume-Uni, pays épargné par l’Holocauste, la migration naturelle de la population juive des petites vers les grandes villes et des quartiers du centre-ville vers les banlieues a eu pour effet l’abandon, la vente et la démolition de nombre de synagogues historiques.
11. Après un demi-siècle d’incurie, l’architecture des synagogues connaît depuis peu un regain d’intérêt. Le patrimoine bâti juif est aujourd’hui plus largement considéré comme faisant partie intégrante des paysages urbains et de la culture européenne en général. Ainsi, le programme du Conseil de l’Europe sur les itinéraires culturels européens comporte un itinéraire du patrimoine juif. Pourtant, un flou demeure concernant les synagogues. En effet, si certains édifices remarquables ont été reconnus comme tels et conservés et décrits en détail, un tableau exhaustif de l’état actuel des synagogues historiques fait défaut. De plus, la démolition de nombreuses anciennes synagogues se poursuit.
12. Ces faits ont conduit la Fondation pour le patrimoine juif à commander une étude, menée par le Centre d’art juif de l’Université hébraïque de Jérusalem 
			(4) 
			<a href='http://cja.huji.ac.il/'>http://cja.huji.ac.il/</a>., dans le but de répertorier l’ensemble des synagogues historiques d’Europe et de fournir ainsi une description détaillée de l’état actuel de ces édifices dont chacun est classé en fonction de son importance et de son état de conservation 
			(5) 
			<a href='http://historicsynagogueseurope.org/synagogue-map'>http://historicsynagogueseurope.org/synagogue-map.</a>.
13. Outre les États membres du Conseil de l’Europe, cette étude englobait aussi le Bélarus, pays riche en sites patrimoniaux juifs.

2.2. Principaux constats

14. Les principaux constats tirés de cet inventaire sont les suivants:

Importance

Total

En péril

%

Internationale

90

16

18%

Nationale

624

148

24%

Régionale

1 565

360

23%

Locale

958

233

24%

Total

3 237

757

23%

Total internationale et nationale

714

164

23%

  • il y a 3 237 synagogues historiques en Europe: les calculs montrent qu’en 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe comptait 17 000 synagogues. Les édifices qui ont résisté au temps représentent donc 19% du total de 1939;
  • sur ces 3 237 sites, 718 sont aujourd’hui en fonction (22%): plus des trois quarts des synagogues historiques en activité en 1939 et qui existent toujours sont soit désaffectées, soit laissées à l’abandon;
  • 757 synagogues sont désignées comme étant en péril (23%): un quart des synagogues historiques encore debout aujourd’hui sont en suffisamment mauvais état pour être considérées en danger.

2.3. Particularismes régionaux

15. La principale caractéristique architecturale d’une synagogue est sa vaste salle de prière. Les synagogues désaffectées sont utilisées à d’autres fins que leur vocation première. Par exemple, 133 d’entre elles sont devenues des lieux de culte pour d’autres confessions, 180 des musées, 289 des centres culturels ou d’art, 900 des logements ou des bureaux, et d’autres encore des gymnases, des salles de spectacles et des cinémas, des entrepôts et des restaurants, des garages et des casernes de pompiers. Trois cents anciennes synagogues sont aujourd’hui à l’abandon.
16. Le pourcentage de synagogues ayant résisté à la guerre diffère sensiblement d’un pays à l’autre. De manière générale, il est beaucoup plus bas en Europe de l’Est qu’en Europe de l’Ouest. C’est au Bélarus que le niveau de conservation est le plus faible – 7% seulement de synagogues y subsistent. Quelque 10% des synagogues ont été préservées en Ukraine, en Fédération de Russie, en Lettonie, en Lituanie, en République de Moldova et en Serbie. La Pologne et la Croatie ont conservé 14% de leurs synagogues et la Roumanie, 18%. En Bulgarie, en République tchèque, en Hongrie, en République slovaque et en Bosnie-Herzégovine, la situation est nettement meilleure, avec 30% de synagogues encore debout.
17. Plus à l’ouest, le pourcentage augmente – près de 50% des synagogues subsistent en Italie, et environ 60% en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Dans certains cas, bien entendu, les statistiques ne veulent rien dire. Citons par exemple la Norvège, dont les deux seules synagogues ont été préservées, ce qui porte le niveau de conservation à 100%.
18. Il semble que la disparition des synagogues ait été beaucoup plus fréquente en ex-Union soviétique que dans d’autres pays. Cependant, les synagogues des territoires faisant partie du bloc soviétique avant la Seconde Guerre mondiale ont été bien moins préservées que celles des territoires annexés par l’URSS à l’issue de la guerre.
19. Au Bélarus, par exemple, les deux tiers des synagogues actuelles se trouvent dans l’ouest du pays, annexé en 1939, et un tiers seulement dans la Biélorussie soviétique d’avant-guerre. Il en va de même en Ukraine. Bien plus nombreuses sont les synagogues préservées dans ces parties du pays situées avant-guerre en Pologne, en Roumanie et en Tchécoslovaquie, que dans l’Ukraine soviétique d’avant-guerre. La comparaison entre les territoires soviétiques d’avant-guerre et d’après-guerre permet de conclure que la disparition des synagogues en Union soviétique a commencé avant la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste.
20. Dans les pays de l’ancien bloc communiste d’Europe de l’Est, les synagogues ont été davantage préservées: près de 14% des synagogues subsistent en Pologne, environ 18% en Roumanie et en ex-Yougoslavie, et quelque 30% en Bulgarie, en Hongrie et en Tchécoslovaquie.
21. La différence entre l’Union soviétique et d’autres pays communistes s’explique par plusieurs facteurs. En premier lieu, nous avons déjà vu que la destruction des synagogues en URSS avait commencé bien antérieurement, avant l’Holocauste. En second lieu, la majorité des synagogues du Bélarus et d’Ukraine (ainsi que de Lituanie et de Lettonie) étaient des bâtiments de bois et risquaient donc bien plus d’être détruites durant la guerre et l’après-guerre. En troisième lieu, l’Union soviétique ne reconnaissant pas la propriété privée, l’ensemble des bâtiments appartenaient à un État foncièrement hostile aux communautés religieuses, qui en disposait à sa guise. En revanche, dans les pays communistes d’Europe de l’Est n’appartenant pas à l’URSS, les communautés juives ont continué d’exister en tant qu’entités juridiques et la destruction des synagogues orchestrée par l’État n’a pas été aussi systématique.
22. La situation patrimoniale juive était beaucoup plus favorable en Europe de l’Ouest qu’en Europe de l’Est. De fait, la plupart des synagogues y étaient construites en dur et appartenaient légalement aux communautés juives. L’État était quant à lui plus ou moins neutre et non hostile à la religion.

2.4. Défis

23. Le patrimoine juif doit aujourd’hui faire face aux défis suivants.

2.4.1. Le patrimoine «orphelin»

24. Sans communauté pour les utiliser et les entretenir, la plupart des édifices patrimoniaux juifs qui ont résisté au temps sont aujourd’hui menacés. Par ailleurs, une certaine ambivalence continue de régner au sein de la société environnante qui ne considère pas ces sites comme siens – mais comme un «patrimoine minoritaire» – et ne leur accorde donc aucune valeur. C’est ce qu’illustre aussi l’ignorance du fonctionnement antérieur de ces bâtiments, de leur valeur patrimoniale et des soins qu’ils requièrent aujourd'hui en termes de conservation et de viabilité. Il subsiste des traces de la politique consistant à occulter l’histoire juive, vivace dans les anciens pays du bloc communiste et, plus inquiétant encore, un antisémitisme encore bien présent après avoir sévi des siècles durant en Europe est encore attesté dans l’ensemble du continent. En outre, bien que nombre de biens communaux situés dans les anciens pays communistes aient été restitués à la communauté juive, des cas demeurent où la question de la propriété reste en suspens, ce qui peut entraver les actions de conservation.

2.4.2. Le traumatisme

25. Nombre de ces édifices témoignent d’un profond traumatisme social dû à une barbarie presque insoutenable. Il peut être psychologiquement plus facile d'ignorer purement et simplement ces sites et ce qu'ils représentent. Des récits contradictoires sur les événements de l'Holocauste, portant par exemple sur l’ampleur de la collaboration avec les nazis, peuvent également exacerber les sensibilités et les difficultés à prendre des mesures de sauvegarde de ces sites. Il est intéressant de consulter les sites internet de villes qui comptaient une population juive importante ou majoritaire avant la guerre – et dont l’histoire a été en grande partie une histoire juive – et d’analyser ce qui en est aujourd’hui présenté. Ceci vaut également pour certaines composantes du monde juif pour lesquelles l'Holocauste est un souvenir extrêmement douloureux qu'il est plus facile d'éluder.

2.4.3. L’ampleur de la tâche

26. Bien que de nombreux projets de conservation du patrimoine juif aient été menés avec succès ces dernières années, le nombre même de sites toujours menacés continue de faire obstacle à l'action, qui peut sembler insurmontable.

2.4.4. Le coût

27. La réhabilitation du patrimoine et la reconfiguration de bâtiments anciens à de nouvelles fins est un processus complexe et coûteux. Surtout en période de crise financière, où les gouvernements se préoccupent beaucoup plus du maintien des services sociaux de base, la conservation du patrimoine en général, et du patrimoine juif «orphelin» en particulier, n'apparaît tout simplement pas comme une priorité. Souvent, bien qu’officiellement en vigueur, les politiques de conservation ne sont pas concrètement mises en œuvre du fait de contraintes financières.

3. Réponses possibles

28. Des efforts accrus ont été déployés pour préserver, protéger et mettre en valeur le patrimoine juif au fur et à mesure que son importance historique, architecturale et sociale, ainsi que son potentiel pédagogique pour la société contemporaine, ont été davantage reconnus.
29. Un nombre croissant de défenseurs locaux du patrimoine, souvent non Juifs eux-mêmes, sont déterminés à faire en sorte que les vestiges de l'histoire et de la contribution juives ne disparaissent pas. En effet, la participation citoyenne et le militantisme social se sont souvent révélés décisifs pour faire avancer les plans de sauvetage du patrimoine juif en péril. À un tout autre niveau d’engagement, l'Union européenne, l'Islande, la Norvège et le Liechtenstein ont reconnu l'importance de ces travaux dans le cadre du mécanisme de subvention Espace économique européen/Norvège qui a financé des projets spécifiquement consacrés à la conservation du patrimoine juif.
30. Aujourd'hui, dans toute l’Europe, des projets proposent divers moyens pour remettre ces sites en service de manière rationnelle et durable. Ce sont là de bons exemples d’une «reconversion adaptée» qui consiste à réinventer d'anciens sites pour de nouveaux usages. On trouvera ci-dessous des études de cas qui portent sur des projets de ce type à divers stades de développement et qui en révèlent le potentiel.

3.1. Synagogue du Second Temple, Hambourg, Allemagne

3.1.1. Introduction

31. À l’aube du XIXe siècle, Hambourg rassemblait la plus grande communauté juive d'Allemagne. La Neue Israelitische Tempelverein de Hambourg, fondée en 1817, fut l'une des premières congrégations réformistes et joua un rôle important dans le développement du mouvement réformiste en matière de théologie, de liturgie, de musique et d’architecture. Au début des années 1840, ses membres décidèrent de construire un nouveau temple qui serait la toute première synagogue réformée construite dans une grande ville allemande. Il s'agissait d'un édifice imposant combinant les styles néo-classique, néo-gothique et mauresque. Aujourd'hui, le Temple est considéré comme l'un des principaux témoignages architecturaux du mouvement réformateur du XIXe siècle en Allemagne.

3.1.2. La situation actuelle

32. En 1931, la communauté juive déménagea et le temple fut vendu. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le bâtiment fut partiellement détruit lors des raids aériens sur Hambourg. Deux parties de la structure ont été préservées: l'entrée ouest et la partie est comprenant l'abside. Aujourd'hui, le bâtiment est une propriété privée et certaines sections servent de garage. L'arrière du bâtiment est hors d'usage et en très mauvais état. L'ensemble du site est menacé de ruine en raison d’une totale incurie.

3.1.3. Le projet

33. La première étape du plan de sauvegarde consiste à mener des recherches. Ce sera là la tâche de l'Institut de l'histoire des Juifs en Allemagne, basé à Hambourg, et de Bet Tfila – l'Unité de recherche pour l'architecture juive de l'Université technique de Braunschweig, qui analyseront la structure et l'histoire du temple. En attirant l'attention sur cet important patrimoine et en faisant prendre conscience de sa valeur, le plan à long terme est de protéger les vestiges du site, et d'en faire un mémorial et un centre éducatif qui exposeront au grand public l'histoire de la synagogue et l'importance de ce site, tout en étudiant le bâtiment qui a retrouvé sa vocation première de concert avec la communauté réformatrice de Hambourg.

3.2. Synagogue Etz Hayim, Izmir, Turquie

3.2.1. Introduction

34. La synagogue Etz Hayim est la plus ancienne d'Izmir (anciennement Smyrne). Elle remonte à l'époque des Juifs romaniotes, établis en Asie Mineure pendant la période byzantine. Elle fut par la suite reconstruite par des Juifs séfarades expulsés d'Espagne et accueillis par l'Empire ottoman. L'Etz Hayim conjugue donc des éléments architecturaux espagnols et ottomans, métissage que reflètent également ses fresques impressionnantes – une autre particularité de l'édifice. Cette convergence d'influences est un phénomène unique à Izmir. La synagogue fait partie d'un groupe de neuf synagogues historiques situées dans la vieille ville d'Izmir, elle-même zone de conservation désignée.

3.2.2. La situation actuelle

35. L’état de la synagogue Etz Hayim s’explique par une lente détérioration, d’anciens cataclysmes ayant dévasté la ville (incendies, séismes), et par le déclin d’une communauté juive qui n'a pas les moyens d'entretenir l’édifice. La propriété du site est également souvent restée incertaine. L'avenir même du bâtiment a parfois été compromis, mais des travaux ont été effectués en urgence pour réparer le toit et stabiliser le plancher qui s'effondrait. Le bâtiment demeure cependant dans un état précaire.

3.2.3. Le projet

36. Le projet de restauration de la synagogue Etz Haim s'inscrit dans le cadre d'un projet plus vaste visant à sauver toutes les synagogues historiques du vieux quartier d'Izmir, mené par la Fondation israélienne Kiriaty en coopération avec la municipalité et la communauté juive d'Izmir et le ministère de la Culture et du Tourisme de Turquie. La question de la propriété de ces sites a récemment été résolue en faveur de la communauté. L’objectif est dorénavant de sauver l'Etz Haim et de l'intégrer dans une présentation élargie de toutes les synagogues. Pour ce faire, l'ensemble du complexe sera transformé en un musée juif unique en son genre et en un lieu culturel dont les bâtiments seront accessibles à un plus vaste public et qui retraceront l’histoire, les valeurs et les traditions des populations juives du pays, et enfin leur patrimoine séfarade distinctif, constitué au XVe siècle. Une autre mesure clé consistera à présenter – et célébrer – l'histoire de la cohabitation harmonieuse qui a caractérisé les relations judéo-musulmanes dans la région, ainsi que les influences interculturelles, les valeurs communes et la contribution de la communauté juive.

3.3. Synagogue à la cigogne blanche, Wrocław, Pologne

3.3.1. Introduction

37. La diversité culturelle est l'une des principales caractéristiques historiques et culturelles qui font la singularité de Wrocław (anciennement Breslau). Les souverains et les frontières ont changé au cours des siècles et de nombreuses nationalités et confessions y ont élu domicile en raison de la situation de la ville le long de diverses routes commerciales et migratoires. La présence juive a été attestée pour la première fois il y a plus de 800 ans. Avec le Siècle des lumières vint la proposition de construire une synagogue principale qui servirait toute la communauté. C’est ainsi que fut construite la synagogue néo-classique à la cigogne blanche, inaugurée en 1829.

3.3.2. La situation actuelle

38. L’édifice fut confisqué par les nazis au cours de la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre de l’extermination du peuple juif, et utilisé comme garage automobile et entrepôt abritant les biens volés aux Juifs. Après diverses occupations sous le régime communiste d'après-guerre, le bâtiment fut définitivement rendu à la communauté juive en 1996, mais dans un état de délabrement avancé.

3.3.3. Le projet

39. Un projet de restauration a immédiatement démarré sous la direction de la Fondation Bente Kahan, avec le soutien de la ville de Wrocław et du mécanisme financier de l’Espace économique européen. Aujourd'hui, le Centre de culture et d'éducation juives de la synagogue à la cigogne blanche propose des expositions, des projections de films, des ateliers, des conférences et des concerts, ce qui fait de lui un pilier de la scène culturelle contemporaine de Wrocław. Le bâtiment abrite également une exposition permanente intitulée «L'histoire retrouvée: la vie juive à Wrocław et en Basse-Silésie» et une petite synagogue en fonctionnement. Le centre cible les jeunes, qui ont été 25 000 à assister aux représentations théâtrales pédagogiques proposées sur des thèmes de l’histoire juive. Avec les églises orthodoxe orientale, catholique romaine et luthérienne, la synagogue fait partie du Chemin culturel des quatre religions, dont les membres organisent des manifestations culturelles, éducatives et œcuméniques avec l’aide de la municipalité de Wrocław.

3.4. Synagogue en bois, Pakruojis, Lituanie

3.4.1. Introduction

40. Les Juifs se sont établis à Pakruojis au début des années 1700. En majorité des commerçants, ils ont largement contribué au développement de l'économie locale. La croissance de la population juive a stimulé l’expansion de la ville et sa vie sociale. La synagogue en bois, qui date de 1801, est aujourd'hui la plus ancienne synagogue de Lituanie. Elle a été utilisée comme telle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle la communauté juive de Pakruojis a été massacrée.

3.4.2. La situation actuelle

41. À l’issue de la guerre, la synagogue est devenue un club de loisirs, puis un cinéma. Le bâtiment a pris feu à plusieurs reprises, ce qui a occasionné beaucoup de dégâts et compromis son avenir. Des appels à sa démolition ont été lancés.

3.4.3. Le projet

42. L'administration régionale de Pakruojis et le département du patrimoine culturel lituanien se sont attelés, dans un premier temps, à la sauvegarde et à la protection du bâtiment. L'administration régionale et la communauté juive lituanienne – cette dernière étant la propriétaire officielle de la synagogue – ont ensuite conclu un accord sur son adaptation à un usage public. Les travaux se sont achevés en 2016 grâce à un financement du mécanisme financier de l'Espace économique européen, ce qui a permis de rénover le bâtiment et de restaurer de remarquables fresques intérieures. Le site est aujourd’hui occupé par la bibliothèque publique de Pakruojis et accueille une section de littérature pour la jeunesse, ainsi que des concerts et autres événements culturels. Il abrite aussi une exposition permanente sur l'histoire des Juifs de la région de Pakruojis.

3.5. Synagogue, Merthyr Tydfil, Pays de Galles

3.5.1. Introduction

43. Au XIXe siècle, Merthyr Tydfil était le cœur industriel du Pays de Galles et aussi sa plus grande ville. Une communauté juive s’y est implantée dès les années 1830 et la construction de la synagogue, en 1863, a témoigné d’une communauté prospère et en pleine croissance. La synagogue de Merthyr est une structure en pierre de style néo-gothique et la plus ancienne synagogue construite à cet effet encore debout au Pays de Galles. Aujourd'hui, elle est considérée d’un point de vue architectural comme l'une des synagogues les plus importantes du Royaume-Uni et a été classée monument historique de niveau II.

3.5.2. La situation actuelle

44. Au XXe siècle, le déclin industriel de Merthyr a entraîné celui de sa communauté juive, laquelle s’est officiellement dissoute en 1983, lorsque la synagogue a été vendue. Depuis lors, l’édifice a été employé à diverses fins. Il est cependant inoccupé depuis plusieurs années. Son état va en se dégradant et sa structure même est menacée par un trou béant dans le toit et des fenêtres brisées.

3.5.3. Le projet

45. Le bâtiment a été mis en vente par son propriétaire actuel, ce qui a permis d'envisager à nouveau son avenir. La Fondation pour le patrimoine juif a commencé à organiser une consultation pour solliciter des avis sur la proposition de création d’un «Centre du patrimoine juif gallois» qui reconnaîtrait, célébrerait et retracerait les 250 ans d'histoire remarquable de la communauté juive du Pays de Galles, tout en offrant un nouveau lieu culturel à la ville. Ce projet a été bien accueilli par la municipalité de Merthyr et les communautés juive et patrimoniale locales. Une étude de faisabilité a donc été menée en consultation avec les principaux intervenants locaux, y compris les écoles de la région et le musée local. Il en est ressorti que le concept était viable. Les prochaines étapes sont en cours de discussion avec la municipalité et le Fonds de la loterie pour le patrimoine (Heritage Lottery Fund).

3.6. Grande Synagogue, Dąbrowa Tarnowska, Pologne

3.6.1. Introduction

46. Avant 1939, Dąbrowa Tarnowska était une petite ville galicienne typique, où Juifs et non-Juifs polonais coexistaient sans conflits majeurs. La première synagogue mentionnée fut un bâtiment de bois construit en 1697. Dans les années 1860, une synagogue monumentale en pierre – la Grande Synagogue – fut construite pour accueillir une population croissante. L’édifice est aujourd’hui considéré comme un joyau de l'architecture hassidique en Pologne. En 1900, les 2 500 Juifs présents constituaient 80% de la population.

3.6.2. La situation actuelle

47. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le bâtiment a été confisqué et utilisé comme entrepôt par les nazis. Très peu de membres de la communauté juive ont survécu, la majorité d’entre eux ayant péri dans le camp de la mort de Belzec. Après la guerre, le bâtiment est devenu la propriété du Trésor public polonais et, tandis que l’on débattait de son affectation future, il est resté inutilisé et son état s'est détérioré.

3.6.3. Le projet

48. Le tournant décisif pour l'avenir du bâtiment a été la cession de la synagogue à la municipalité de Dąbrowa Tarnowska par le Trésor public polonais, en 2006. Cet événement a conduit à la mise en œuvre d'un vaste projet de restauration du bâtiment, avec la participation d'un groupement de partenaires – la municipalité, les autorités régionales de Malapolska, le ministère de la Culture et du Patrimoine national et la communauté religieuse juive de Cracovie – et l'aide financière des fonds régionaux de l’Union européenne. Ce projet a abouti à la création d’un «Centre de rencontre des cultures» qui sert de cadre au dialogue interculturel et interreligieux, et où les traditions judaïque et chrétienne se rencontrent et interagissent. Outre un espace d'exposition temporaire, le Centre propose une exposition permanente sur la vie juive dans la région. Il accueille également des concerts, des conférences et des ateliers de formation pour les citadins et l’ensemble des habitants de la région de Malapolska. L’un des grands objectifs poursuivis est de faire de ce centre un lieu intergénérationnel et d’encourager le dialogue et la réconciliation entre Juifs et Polonais tout en combattant les préjugés et les stéréotypes.

4. Principales observations

4.1. Propriété légale

49. Il est important que toute question en suspens quant à la propriété officielle des biens communautaires juifs soit entièrement réglée afin que les travaux de conservation ne s’en trouvent pas ralentis.

4.2. Recherche

50. La recherche est indispensable pour disposer d’un solide socle de connaissances sur le bâtiment, son histoire et la valeur patrimoniale à préserver. Il est également essentiel que les professionnels concernés possèdent les compétences nécessaires pour comprendre la nature et les particularités du bâtiment à la restauration duquel ils travaillent.

4.3. Collaboration

51. L’ampleur de ces projets requiert la participation de diverses catégories d'intervenants:
  • engagement local – il est indispensable d’associer étroitement la collectivité aux projets, tant au niveau de l'administration locale officielle que via la société civile, en renforçant l'intérêt et le sentiment d’«appropriation» de la population, en faisant participer les résidents à l'élaboration et à la gestion du projet et en les encourageant à le défendre, car c'est bien de leur patrimoine qu’il s’agit;
  • soutien des gouvernements régionaux et nationaux – le soutien et la participation des autorités aux niveaux régional et national, exprimés par un aval officiel et des conseils pratiques, sont importants;
  • engagement de la communauté juive – la communauté doit s'impliquer, localement si elle est présente sur le site, ou à un autre niveau, y compris en prenant contact avec des descendants des habitants et des organisations de sauvegarde du patrimoine juif;
  • bailleurs de fonds extérieurs – de tels projets nécessitent un financement substantiel qui dépasse généralement les moyens des municipalités et des militants sur le terrain. Un financement a été octroyé par les autorités régionales et nationales par des sources philanthropiques privées et à partir des fonds de l'Union européenne et de l’Espace économique européen.

4.4. Education

52. Si les synagogues peuvent être utilisées à des fins diverses, leur histoire et celle de la communauté juive sont systématiquement exploitées dans un but pédagogique, afin d’encourager la coexistence et le dialogue interculturel tout en combattant les préjugés et l'intolérance. L'aspect éducatif est souvent particulièrement axé sur les jeunes et consacré à deux aspects: a) la vie de la communauté juive, sa contribution et l’enrichissement sociétal apporté par les échanges interculturels; b) les dangers de l’intolérance, des préjugés et de l’antisémitisme, qui ont atteint leur point culminant lors de l’Holocauste.

4.5. Intégration

53. En la restaurant et en la «normalisant» comme tout autre lieu d’un paysage métissé, en favorisant le sentiment d’appartenance et en établissant des liens entre les générations actuelles et la composante juive de leur histoire et de leur culture, la synagogue s’intègre pleinement dans la vie culturelle de la ville.

4.6. Prise en compte des besoins locaux

54. Les projets visent à ce que l'affectation du bâtiment convienne à la communauté locale et réponde aux besoins de cette dernière, assurant ainsi un avenir durable.

4.7. L’histoire de A à Z

55. Dans ces sites témoignant de la vie de communautés exterminées au cours de l’Holocauste, l'accent éducatif est mis non seulement sur la façon dont ces communautés ont disparu, mais aussi sur leur vie et leur contribution à la société au cours des siècles.

4.8. Intérêt économique

56. On s’accorde à reconnaître que sauver ces sites et leur redonner vie peut être profitable à la ville sur un plan économique. Une fois restaurés, ils peuvent en effet favoriser le tourisme et être source d’une régénération socio-économique. Les bâtiments du patrimoine juif sont des lieux de pèlerinage pour les Juifs souhaitant savoir comment leurs ancêtres ont vécu, et attirent également un nombre croissant de non-Juifs cherchant à comprendre l'histoire juive de la région, ou simplement désireux d’apprécier de beaux édifices.

5. Conclusions

57. Le patrimoine culturel juif devrait être pleinement reconnu comme faisant partie intégrante du patrimoine global de la société et devrait donc être traité équitablement. Il convient de rappeler qu’un quart des synagogues historiques encore debout aujourd’hui en Europe sont en mauvais ou très mauvais état et sont considérées en péril. Après avoir vu plusieurs projets de conservation du patrimoine lors de la préparation du présent rapport, je tiens à souligner qu’il faudrait faire prendre davantage conscience, au niveau local, de la nécessité de conserver le patrimoine juif. À cette fin, il s’agirait d’amener la population locale à «s’approprier» ce patrimoine et d’encourager les partenariats entre divers acteurs, dont les autorités locales, les groupes de la société civile, la communauté juive et les organisations de sauvegarde du patrimoine.
58. La vulnérabilité particulière du patrimoine juif, souvent décrit comme un patrimoine «orphelin» sans ses communautés locales, doit être prise en compte lors de l’élaboration des politiques patrimoniales. Les enquêtes nationales sur le patrimoine devraient inclure le patrimoine juif en tant que catégorie distincte; il faudrait répertorier les sites en danger, leur assurer une protection juridique, concevoir des plans d’action et affecter des ressources aux cas les plus urgents, en veillant à ce que le patrimoine juif bénéficie du même niveau de protection, de conservation et d’entretien que le reste du patrimoine.
59. À mon avis, le patrimoine culturel juif – tant matériel qu’immatériel – devrait être utilisé comme un élément clé pour enseigner l’histoire, car il est une manifestation concrète de la vie de la communauté juive et de sa présence historique en Europe. L’intérêt pédagogique de ce patrimoine devrait être reconnu et il faudrait développer largement les programmes éducatifs, qui devraient englober les établissements scolaires, les universités, les musées et le secteur culturel. De plus, si le patrimoine culturel juif est mis en valeur et mieux compris, cela favorisera aussi le dialogue interculturel, l’inclusion et la cohésion sociale, tout en apportant une forme d’apaisement sociétal et en aidant la population à assumer un passé difficile.
60. L’Holocauste doit être étudié car il a complètement remis en cause les fondements mêmes de la société. Son étude permet de réfléchir à l’exercice du pouvoir et à l’abus de pouvoir, ainsi qu’aux responsabilités des individus, des organisations et des nations face aux violations des droits de l'homme. Étudier l’Holocauste permet aussi de comprendre comment une convergence de facteurs peut contribuer à la désintégration des valeurs démocratiques et quelles étapes peuvent conduire à un génocide, ce qui rend plus attentif au risque de génocide dans le monde d’aujourd’hui.
61. Sur le plan pratique, je préconiserais de créer un mécanisme qui serait consacré à la formation des professionnels et des bénévoles œuvrant pour le patrimoine juif et qui viserait notamment à mutualiser les connaissances, les compétences et les bonnes pratiques à l’échelle de l’Europe. Il serait possible de renforcer encore cette coopération en s’entendant sur une philosophie et des pratiques de travail communes.
62. Permettez-moi de souligner également les avantages économiques que présente la conservation des sites du patrimoine juif. Ces sites peuvent en effet contribuer à l’attrait visuel du paysage et dynamiser l’économie locale en s’intégrant dans le patrimoine général proposé aux visiteurs, aux touristes et aux pèlerins.
63. En conclusion, je tiens à souligner que la culture juive fait partie intégrante du patrimoine culturel européen. Il nous incombe donc à tous d’intensifier nos efforts pour la protéger.