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Résolution 2308 (2019)
Le fonctionnement des institutions démocratiques en République de Moldova
1. Après les élections législatives
du 24 février 2019 ayant abouti à un parlement sans majorité, la République
de Moldova s’est retrouvée dans une situation sans précédent: le
7 juin 2019, la Cour constitutionnelle de la République de Moldova
a jugé que le délai pour former une majorité parlementaire avait expiré,
sur la base – comme l'a indiqué la Commission européenne pour la
démocratie par le droit (Commission de Venise) – d'un nouveau calcul
du délai de trois mois prévu par la Constitution. Le 8 juin 2019, un
«accord politique temporaire sur la “désoligarchisation” de la Moldova»
était conclu entre le Parti des socialistes et le Bloc ACUM, permettant
la formation d'une majorité parlementaire, l'élection d'une présidente du
parlement et la désignation d'un gouvernement. Le même jour, la
Cour constitutionnelle déclarait ces décisions inconstitutionnelles
et décidait, le 9 juin 2019, de suspendre temporairement le Président
de la République de Moldova, qui avait refusé de donner suite à
la demande de la Cour constitutionnelle de dissoudre le parlement
et de convoquer des élections législatives anticipées. Ces décisions
de la Cour constitutionnelle ont plongé le pays dans une crise politique
et constitutionnelle, et ont abouti à une dualité de pouvoir sans
précédent. Une nouvelle coalition majoritaire a pu être formée au
parlement, sans pour autant que le gouvernement en exercice cède
la place. Cette situation a conduit le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe à solliciter l’avis de la Commission de Venise le 8 juin
2019.
2. Dans son avis du 21 juin 2019, la Commission de Venise a estimé
que la Cour constitutionnelle n’avait pas rempli les conditions
requises pour ordonner la dissolution du parlement. L'Assemblée
parlementaire apprécie que cet avis ait joué un rôle déterminant
dans la recherche d'une issue à cette crise. À la suite de la démission
du gouvernement en place, la Cour constitutionnelle a, en effet,
décidé d’annuler ses décisions controversées.
3. L’Assemblée regrette profondément que cette crise ait jeté
une ombre sur la Cour constitutionnelle qui, en n’agissant pas conformément
à la Constitution et à sa propre jurisprudence, s’est discréditée.
L’Assemblée invite les membres nouvellement élus de la Cour constitutionnelle
à rétablir la confiance dans leur institution.
4. Compte tenu du climat polarisé régnant en République de Moldova,
l’Assemblée se félicite de la transition pacifique du pouvoir, et
de la résilience et de la retenue dont a fait preuve le peuple moldave
qui, par son vote, a clairement exprimé son souhait d’alternance
politique et ses attentes de véritables changements. Les forces
politiques – à savoir le Parti des socialistes et le Bloc ACUM –
ayant formé une coalition majoritaire représentent un large éventail
d’électeurs moldaves et ont réussi à s’entendre sur des objectifs
politiques communs malgré leurs visions politiques divergentes.
5. L’Assemblée note que le nouveau gouvernement s’est engagé
en priorité, à la suite d’un «accord politique temporaire», à «désoligarchiser»
le pays et à lutter contre la corruption. L’Assemblée reconnaît
les mesures légitimes et nécessaires envisagées pour éradiquer au
sein des institutions de l’État, tous les éléments caractéristiques
d’une «captation de l’État». Dans le même temps, l’Assemblée invite
les autorités moldaves à veiller à ce que les mesures à prendre
leur permettent de réformer le système et, à long terme, de consolider
les institutions démocratiques. L’Assemblée souligne également que
les processus démocratiques doivent être encouragés et, en particulier,
elle invite le parlement à garantir le respect des droits de l’opposition.
6. L’Assemblée salue les mesures prises pour identifier les personnes
responsables de l’exploitation d’institutions publiques au profit
d’intérêts privés, partisans ou commerciaux, et salue en particulier
la création de plusieurs commissions d’enquête par le parlement.
Elle invite les autorités judiciaires à prendre au sérieux les allégations
d’actes répréhensibles et à enquêter de manière approfondie sur
d’éventuelles infractions pénales. Les responsables devraient en
rendre compte et être traduits en justice.
7. L’Assemblée rappelle que «le scandale de la fraude bancaire» qui
s’est soldé par des transferts illégaux massifs de fonds issus du
système bancaire en 2014, a créé une charge financière énorme pour
les citoyens de la République de Moldova, dans la mesure où l’État
a offert des garanties financières. L’Assemblée déplore que, cinq
ans plus tard, les enquêtes menées se soient révélées peu concluantes.
Elle se félicite donc des mesures prises récemment par le parlement
pour créer une commission d’enquête parlementaire chargée de relancer
les investigations. Elle salue la publication du rapport d’audit
Kroll 2, tout en demandant instamment que toutes les informations
contenues dans celui-ci soient portées à l’attention des autorités
compétentes. L’Assemblée attend maintenant que l’ensemble des personnes
mises en cause soient traduites en justice. Elle appelle également
tous les États membres du Conseil de l’Europe concernés à coopérer
pleinement avec la justice moldave pour localiser et récupérer l’argent
volé.
8. L’Assemblée note que les autorités sont déterminées à réviser
et à assainir le système. Bien que la tentation soit grande d’expulser
rapidement les représentants de l’État ayant prétendument cédé aux influences
et aux pressions extérieures, l’Assemblée souligne que les mesures
juridiques prises aujourd’hui pour «désoligarchiser» le pays auront
des effets à long terme et qu’elles devraient donc contribuer à
consolider les institutions de l’État, à renforcer l’indépendance
de celles-ci et à garantir de nouvelles lois conformes aux normes
du Conseil de l’Europe tant au niveau de leur contenu que de leur
application. Elle invite également les autorités moldaves, si cela
s’avère approprié, à abroger les textes législatifs jugés nécessaires
pour sortir de la crise.
9. L’Assemblée note que les mesures prises après juin 2019 ont
restauré la confiance des donateurs internationaux. Elle se félicite
de la reprise du soutien financier international de l’Union européenne
et du Fonds monétaire international, qui pourrait contribuer de
manière significative au renforcement de l’État de droit, à l’augmentation
des investissements et des possibilités d’emploi, à l’amélioration
des conditions de vie sociales et économiques de la population moldave,
et à l’adoption d’incitations fortes pour que la population ne quitte pas
son pays.
10. L'Assemblée prend note de la réforme du système judiciaire
annoncée par les autorités en août 2019. Cette réforme est susceptible
de modifier substantiellement l'élection du procureur général, la
composition de la Cour suprême de justice, le Conseil supérieur
de la magistrature et le Conseil supérieur des procureurs. La réforme
apportera également des modifications à l'évaluation des juges et
des procureurs. L'Assemblée se félicite de la détermination des
autorités à résoudre les problèmes urgents et à rétablir la confiance
dans le système judiciaire. Dans le même temps, elle rappelle qu'il
est d'une importance fondamentale de veiller à ce que les modifications
proposées renforcent l'indépendance et l'impartialité des instances
de régulation du système judiciaire et du ministère public, et à
ce qu’elles établissent des systèmes de recrutement ouverts, transparents
et fondés sur le mérite. L’Assemblée craint que la récente nomination
de juges à la Cour constitutionnelle n’ait pas été totalement transparente.
L’Assemblée s’inquiète aussi du fait que les amendements récemment
proposés par le Gouvernement moldave ne soient pas entièrement conformes
aux recommandations du Conseil de l'Europe. L'Assemblée attend donc
des autorités moldaves qu'elles sollicitent l’expertise du Conseil
de l'Europe, en particulier de la Commission de Venise, pour veiller
à ce que les changements proposés soient durables et conformes aux
normes du Conseil de l'Europe.
11. L’Assemblée appelle également les autorités moldaves:
11.1. à veiller à ce que les procédures
de révocation et de recrutement dans les administrations et les institutions
publiques soient fondées sur des critères clairs et ouverts, afin
d’accroître la transparence et la responsabilisation des institutions
de l’État;
11.2. à revoir le fonctionnement de l’Institut national pour
la justice et à veiller à ce que la formation initiale et continue
vise à renforcer les capacités des futurs juges et procureurs, afin
que les intéressés soient en mesure d’agir de manière indépendante;
11.3. à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre un
terme à toutes les procédures pénales à motivation politique en
cours menées à l’encontre des militants politiques et de leurs avocats,
qui ont été lancées par le régime précédent à la suite d’ingérences
politiques dans le système judiciaire et l’application des lois,
comme l’indique le rapport de la commission des questions juridiques
et des droits de l'homme (Doc. 14405).
12. L’Assemblée souligne la nécessité de renforcer le système
judiciaire, car ses faiblesses ont permis le développement de mécanismes
de blanchiment de capitaux (appelés «lessiveuses»). L’Assemblée
rappelle sa Résolution 2279
(2019) «Lessiveuses: faire face aux nouveaux défis de
la lutte internationale contre la criminalité organisée, la corruption
et le blanchiment de capitaux» et réitère son appel aux autorités
moldaves pour qu’elles abrogent les textes législatifs comme ceux
prévoyant des «amnisties fiscales» ou des «visas en or», propices
au blanchiment, et qu’elles introduisent des dispositions empêchant
les personnes accusées ou reconnues coupables d’infractions graves,
notamment la corruption et le blanchiment de capitaux, d’accepter des
fonctions publiques ou de les exercer.
13. L’Assemblée rappelle que la corruption reste un phénomène
très répandu en République de Moldova. L’Assemblée salue la publication,
le 24 juillet 2019, du rapport de conformité de 2018 du Groupe d’États
contre la corruption (GRECO), qui a fait le bilan des mesures visant
à prévenir la corruption parmi les juges, les procureurs et les
membres du parlement. Elle invite instamment les autorités moldaves
à agir résolument pour éradiquer la corruption et à mettre en œuvre
les recommandations formulées par le GRECO en 2016 et 2018. L’Assemblée
appelle en particulier le Parlement moldave à adopter un code d’éthique,
un code de conduite et un code sur les règles et les procédures
conformes aux recommandations du GRECO de 2016.
14. À la suite des changements de la législation électorale et
de l’abolition du mode de scrutin mixte, en août 2019, conformément
aux recommandations de la Commission de Venise, l’Assemblée se félicite
des mesures prises pour accroître la transparence du financement
des campagnes électorales, abaisser le seuil électoral et élargir
les possibilités de vote des membres de la diaspora. Elle invite
les autorités moldaves à mettre en œuvre les recommandations formulées
par la commission ad hoc d’observation des élections de l’Assemblée
parlementaire en 2018 et les avis de la Commission de Venise concernant
respectivement le financement des partis politiques et des campagnes
électorales (2017) et le système électoral (2017).
15. L’Assemblée appelle les autorités moldaves à veiller à ce
que les réformes du système judiciaire et du ministère public soient
mises en œuvre de manière pleinement conforme aux normes du Conseil
de l’Europe afin d’assurer la restauration de l’État de droit et
de mettre un terme au système de justice sélective ayant prévalu
jusqu’à présent. Ces réformes permettront également de garantir
la protection juridique des droits humains fondamentaux, y compris
des droits des femmes. Dans ce contexte, l’Assemblée encourage les autorités
moldaves à ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la
prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et
la violence domestique (STCE n° 210, «Convention d’Istanbul»), qui
a été signée par le pays en 2017. L’Assemblée salue à cet égard
le soutien exprimé par le Président de la République de Moldova
en faveur de cette ratification.
16. L'Assemblée se félicite de la volonté des autorités moldaves
de poursuivre les discussions 5+2, qui impliquent la République
de Moldova, les autorités de facto de
Transnistrie, l'Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe, la Fédération de Russie et l'Ukraine, pour parvenir à
un règlement pacifique du conflit en Transnistrie. L'Assemblée réitère
également son plein soutien à l'intégrité territoriale de la République de
Moldova et son appel à la Fédération de Russie pour qu'elle retire
ses troupes et son matériel du territoire moldave, conformément
à la Résolution 1896
(2012) sur le respect des obligations et engagements
de la Fédération de Russie. Dans ce contexte, l'Assemblée se félicite
de toute initiative qui pourrait aboutir, dans un premier temps,
à la liquidation du stock de munitions dans la région transnistrienne
de la République de Moldova.
17. L’Assemblée encourage les autorités moldaves à poursuivre
leur coopération avec le Conseil de l’Europe, notamment avec la
Commission de Venise, et à tirer parti de l’expertise de celui-ci
concernant plus spécialement la réforme du système judiciaire, du
parquet et de la législation anticorruption. Elle décide de continuer
d’observer de près les progrès en cours dans le cadre de sa procédure
de suivi.
18. À l’approche des élections locales et législatives qui doivent
se tenir le 20 octobre 2019, l’Assemblée appelle les autorités moldaves
à veiller à ce que les scrutins soient organisés dans le respect
des bonnes pratiques et des normes du Conseil de l'Europe.