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Résolution 2311 (2019)

Droits de l’homme et entreprises: quelles suites donner à la Recommandation CM/Rec(2016)3 du Comité des Ministres?

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 29 novembre 2019 (voir Doc. 15004, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Elshad Hasanov; et Doc. 15005, avis de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteur: M. Mikayel Melkumyan).Voir également la Recommandation 2166 (2019).

1. L’Assemblée parlementaire rappelle sa Résolution 1757 (2010) et sa Recommandation 1936 (2010) «Droits de l’homme et entreprises», ainsi que sa Résolution 1993 (2014) «Un travail décent pour tous» et sa Recommandation 2123 (2018) «Renforcer la réglementation internationale interdisant le commerce des biens utilisés pour la torture et la peine de mort».
2. L’Assemblée note que les entreprises transnationales ou multinationales sont de plus en plus influentes. Elles peuvent être bénéfiques pour la société et contribuer à la réalisation des droits humains, par exemple en garantissant une approche fondée sur des valeurs et des principes dans leurs affaires, et en fonctionnant de manière à assumer leurs responsabilités fondamentales dans les domaines des droits humains, du travail, de l’environnement et de la lutte contre la corruption, ainsi qu’en créant des emplois et en payant des impôts. Cependant, elles peuvent aussi être impliquées dans des violations des droits humains, telles que des conditions de travail dangereuses ou qui relèvent de l’exploitation, le travail forcé et le travail des enfants, la pollution, la discrimination à l’emploi et la surveillance de leurs salariés sur le lieu de travail. De nombreuses atteintes présumées aux droits humains dans lesquelles sont impliquées des entreprises se produisent dans des pays tiers, surtout hors d’Europe, ce qui rend l’accès aux voies de recours très compliqué pour les victimes. Toutefois, des enfants ou des ressortissants étrangers (européens ou non), par exemple, sont aussi exploités au sein même de l’Europe (y compris en tant que victimes de la traite), ce qui nécessite une vigilance et une protection accrues de la part des autorités nationales compétentes.
3. Le Conseil de l’Europe a adopté un certain nombre de conventions portant sur un vaste éventail de questions directement pertinentes pour les activités des entreprises, telles que les droits sociaux et économiques, la bioéthique, la société de l’information, les droits de l’enfant, la lutte contre la corruption et contre la traite des êtres humains. Par ailleurs, bien que la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») ne permette pas à un individu alléguant une violation de ses droits par une société de droit privé d’introduire une requête contre cette société devant la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»), cette dernière a admis que la Convention peut produire dans certains cas des effets directs entre des parties privées, en particulier si l’État partie à la Convention n’honore pas ses «obligations positives».
4. Au cours des dernières décennies, les tentatives visant à définir les responsabilités des entreprises dans le domaine de la protection des droits de l’homme se sont principalement appuyées sur la notion de «responsabilité sociale des entreprises» et sur une démarche volontaire. Néanmoins, bien que la protection des droits de l’homme incombe en premier lieu aux États et bien qu’il n’y ait toujours pas d’instrument juridiquement contraignant sur la responsabilité des entreprises à l’égard des violations des droits de l’homme, il est aujourd’hui largement admis que les entreprises ont des responsabilités dans ce domaine.
5. L’Assemblée observe que les «Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme – Mise en œuvre du cadre de référence “protéger, respecter et réparer”» («les Principes directeurs des Nations Unies»), approuvés par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en 2011, ont marqué une avancée considérable à cet égard. Cet ensemble de lignes directrices à l’intention des États et des entreprises constitue la première référence universellement reconnue en la matière. Ces principes se fondent sur trois piliers: l’obligation de l’État de protéger les droits de l’homme, la responsabilité des entreprises de respecter les droits de l’homme et le droit des victimes d’accéder à des voies de recours effectives.
6. L’Assemblée constate que, peu de temps après l’adoption des Principes directeurs des Nations Unies, les États ont été encouragés à élaborer des plans d’action pour leur mise en œuvre au niveau national (plans d’action nationaux – PAN). Ces documents politiques définissent les priorités et les mesures que les États prennent pour se conformer aux normes internationales et nationales relatives aux entreprises et aux droits de l’homme. L’Assemblée observe que 18 États membres du Conseil de l’Europe seulement ont établi des PAN (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Royaume-Uni, Slovénie, Suède et Suisse); la quasi-totalité de ces États sont membres de l’Union européenne.
7. L’Assemblée se félicite de l’adoption le 2 mars 2016 de la Recommandation CM/Rec(2016)3 du Comité des Ministres sur les droits de l’homme et les entreprises, et souligne l’importance de son rôle dans l’incitation des États membres du Conseil de l’Europe à mettre en œuvre les Principes directeurs des Nations Unies au niveau régional. Elle salue le fait que certains États membres du Conseil de l’Europe – principalement des États membres de l’Union européenne – aient adopté des mesures globales pour appliquer cette recommandation, y compris des mesures législatives imposant l’obligation de mettre en œuvre des procédures de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme dans les entreprises.
8. Par conséquent, l’Assemblée exhorte les États membres du Conseil de l’Europe à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre les Principes directeurs des Nations Unies et la Recommandation CM/Rec(2016)3 sur les droits de l’homme et les entreprises, et en particulier:
8.1. à élaborer des PAN, si ce n’est pas déjà fait, et à les évaluer et les mettre à jour régulièrement dans le cadre d’un processus transparent et en concertation avec les entreprises, les organisations d’entreprises, les syndicats, les organisations non gouvernementales, les institutions nationales de défense des droits de l’homme et les autres parties prenantes concernées;
8.2. à mettre en commun leurs PAN et leurs bonnes pratiques relatives à la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations Unies et de la Recommandation CM/Rec(2016)3 avec les autres États membres du Conseil de l’Europe, notamment par l’intermédiaire du système d’information partagée en cours de développement au sein du Conseil de l’Europe;
8.3. à assurer la traduction et une large diffusion de ces deux instruments, ainsi que de la Charte sociale européenne (STE no 35 et no 163), en particulier auprès des autorités nationales, des organismes étatiques et des entreprises;
8.4. à réexaminer leur législation, leurs pratiques et leurs politiques nationales pour s’assurer de leur conformité avec les exigences qui découlent de ces deux instruments; ce faisant, les parlements et les gouvernements nationaux devraient porter une attention particulière:
8.4.1. à la responsabilité de l’État dans le cadre de ses activités commerciales, y compris sa responsabilité à l’égard des organismes publics et des entreprises détenues ou contrôlées par l’État, ainsi que dans le cadre du soutien qu’il accorde à certaines entreprises et de la privatisation de certains services publics;
8.4.2. aux risques éventuels de violations des droits de l’homme commises par des entreprises à l’étranger;
8.4.3. aux risques éventuels de violations des droits de l’homme commises par des entreprises ayant des activités dans les zones touchées par les conflits;
8.4.4. à la nécessité d’adopter une législation sur la responsabilité des entreprises pour leurs activités préjudiciables aux droits de l’homme, en particulier en élaborant des procédures de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme pour les entreprises;
8.4.5. à la nécessité de prévoir des voies de recours judiciaires (civils, pénaux et administratifs) et extrajudiciaires pour les victimes de violation des droits de l’homme commises par les entreprises;
8.4.6. aux risques liés au genre et aux besoins des individus ou groupes vulnérables ou marginalisés (comme les travailleurs migrants, les enfants, les peuples autochtones, les minorités, les personnes handicapées et les défenseurs des droits de l’homme);
8.4.7. à la nécessité de fournir des informations, des formations et des ateliers appropriés sur les questions relatives aux droits de l’homme dans les pays tiers aux entreprises qui souhaitent exercer des activités dans ces pays et au personnel diplomatique et consulaire qui s’y trouve affecté;
8.5. à renforcer, en se fondant sur les instruments juridiques susmentionnés et sur la Charte sociale européenne, les pouvoirs et la capacité des inspections du travail pour détecter les cas de violation des droits humains et enquêter à leur sujet au niveau national, afin de mieux protéger les groupes de population vulnérables des traitements inhumains et dégradants, des violences, du travail forcé et de l’exploitation.
9. Conformément à sa Recommandation 2123 (2018), l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe à prendre toutes les mesures nécessaires pour interdire aux entreprises domiciliées dans leur juridiction de faire commerce de biens n’ayant aucune autre utilité pratique que celle d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et pour réglementer le commerce de biens susceptibles d’être détournés à ces fins.
10. En outre, l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe à soutenir l’adoption de l’instrument juridiquement contraignant relatif aux activités des entreprises et aux droits de l’homme, en cours d’examen par le Groupe intergouvernemental à composition non limitée sur les entreprises et les droits de l’homme des Nations Unies.
11. L’Assemblée appelle aussi les États membres du Conseil de l’Europe à renforcer leur coopération avec les autres organisations internationales, en particulier les Nations Unies, l’Organisation internationale du travail (OIT), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Union européenne, en vue de consolider des normes cohérentes relatives aux responsabilités des entreprises dans le domaine de la protection des droits de l’homme et de promouvoir la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations Unies. Plus précisément, il importe que les États membres continuent de soutenir l’action des Nations Unies et de son Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises.